Les silences du Code civil du Quibec
Maurice Tancelin*
Attention, un code peut en cacher un autre !
Le <
celui de 1991 ne veut pas dire qu’on en ait for-
c6ment termin6 avec le premier. A l’aide de
deux exemples tir6s des principes de la respon-
sabilit6 civile et du statut juridique du corps
humain, l’auteur s’interroge sur les cons6-
quences de la non-reproduction de certains
articles d’importance majeure de la premiere
r6daction du Code civil. II soutient la th~se
selon laquelle l’absence d’un article ne signifie
nullement sa n6cessaire abrogation, sauf dis-
position formelle en sens contraire. I1 conclut
par des r6serves sur la fagon dont la mise h
jour du Code civil a 6t6 men6e depuis l’ori-
gine, contrairement aux vceux des Commis-
saires de 1866, dont le Rapport continuera
d’Etre une r6f6rence pour les sources, faute
d’un document 6quivalent, en d6pit d’apparen-
ces trompeuses, pour la r6daction de 1991.
Warning: one code may be hiding another!
The “replacement” of the 1866 Civil Code by
the Code of 1991 does not necessarily imply
that we are through relying on the first. Using
two examples drawn from the principles of
civil liability and from the legal status of the
human body, the author examines the conse-
quences of the omission of crucial provisions
found in the first Civil Code. He argues that
the absence of an article does not inevitably
mean that it has been repealed, unless there is
a specific formal provision to that effect. He
concludes with some reservations as to the
methodology adopted since the beginning of
the reform, which was contrary to the wishes
of the Codifiers of 1866. The Codifiers’ Re-
port will continue to serve as a source of inter-
pretation, for lack of an equivalent document
for the 1991 version, despite misleading ap-
pearances.
* Professeur
l’Universit6 Laval.
Revue de droit de McGill
McGill Law Journal 1994
Mode de r6f6rence: (1994) 39 R.D. McGill 747
To be cited as: (1994) 39 McGiU L.J. 747
McGILL LAW JOURNAL
[Vol. 39
Sommaire
Introduction
I.
Les articles 1056, 1056a, 1056d et 1057 C.c.B.-C. –
civile et lgale
la responsabilit6
II. L’article 1059 C.c.B.-C. –
Conclusion
le statut juridique du corps humain
Introduction
Parmi les dispositions du Code civil de 1866 qui ne sont pas reproduites
dans la r6daction de 1991, un certain nombre sont essentielles. Comme l’abro-
gation implicite n’a pas cours dans notre droit’, on ne peut conclure du seul
silence du texte nouveau h un rejet par le droit positif du contenu d’un article
non r66dict6. Cette solution s’impose d’autant plus que les dispositions finales
disent bien qu’il s’agit d’un remplacement et non d’une abrogation. L’article 10
de la Loi d’interpritation2 fait du remplacement une cat6gorie techniquement
distincte de l’abrogation. Le sens du mot remplacement ne doit pas 8tre recher-
ch6 dans le Petit Larousse illustri, n’en d6plaise A certains. Un code n’est pas
un filtre A huile : on ne jette pas l’ancien pour mettre le nouveau 4 la place. II
va falloir vivre pendant encore plusieurs ann6es avec
disaient les 6diteurs depuis la tentative avort6e de 1980′.
La consolidation de la jurisprudence, qui constitue la partie r6ussie du
Code civil du Quebec, occupe une place tellement importante qu’on est plut6t
devant un Restatement a l’am6ricaine que devant une codification au sens oi on
entendait cette op6ration en Europe au XIX si~cle et au Qu6bec en 1866. C’est
dans cette perspective qu’il convient d’insister sur la signification technique de
remplacement oppos6 a abrogation.
Remplacer en droit 16gislatif veut dire substituer une r6daction At une autre,
avec maintien sans solution de continuit6, c’est-A-dire sans interruption de ce
qui n’est pas chang6. Le remplacement conduit h rechercher avec precision ce
qui est nouveau dans la nouvelle r6daction, car tout ne l’est pas, tant s’en faut.
‘P.-A. Ct6, Interpritation des lois, 2′ 6d., Cowansville (Qu6.), Yvon Blais, 1990 A ]a p. 87 et s.
2L.R.Q. c. 1-16.
3La seule formule pratique d’6dition du nouveau texte pour ]a p~riode transitoire est celle de M’
Marjolaine Gaudet, qui montre le texte du Code de 1866 vis-a-vis
‘article correspondant du Code
de 1991, dans Les codes civils compargs et dispositions transitoires, Montr6al, Wilson et Lafleur,
1993.
19941
LES SILENCES DU CODE CIVIL DU QUEBEC
Le Code civil du Quebec n’est pas exactement au sens juridique un nou-
veau code civil, contrairement
l’opinion courante. Au sens courant on peut
bien parler de nouveau code, mais juridiquement le mot nouveau> appliqu6 au
droit a un sens d6termin6 qui est oubli6 quand on s’exprime ainsi. La question
est loin d’etre purement s6mantique.: c’est du fond du droit qu’il s’agit. Si le
chapitre 64 des Lois de 1991 avait abrog6 le Code civil de 1866, le Code civil
du Quebec serait de droit nouveau. Avec un remplacement au lieu d’une abro-
gation, ne constituent du droit nouveau que les dispositions nouvelles. Tout ce
qui est r66dict6 sans modification meme formelle est du droit ancien. Ce qui est
modifid formellement est du droit nouveau ou du droit ancien selon ce qu’en
d~cidera la jurisprudence.
Ces lapalissades ont des consequences moins 6videntes. La m6thode suivie
a pour effet que le Code de 1991 est susceptible d’8tre interpr6t6 comme un
nouveau code ne conservant que le minimum de l’ancien ou
l’inverse comme
l’ancien Code modifi6 seulement sur des points prdcis. L’ambigu’it6 inhrente au
recours ouvert et pouss6 A la discr6tion judiciaire est accrue de fagon exponen-
tielle par toutes les questions implicitement laiss6es b l’interprdtation : d’innom-
brables fils laiss6s pendants devront etre nou6s par la jurisprudence. Le nouveau
texte ouvre un sicle d’incertitude juridique, notamment par ses silences. La
probl6matique du silence du texte est complexe. Un texte peut ne pas 8tre repro-
duit pour toutes sortes de raisons. On peut essayer d’en dresser une liste mais
on ne peut pas prdtendre qu’elle soit exhaustive. I1 s’agit d’un probl~me d’her-
m6neutique, non d’un problhme technique dont les param~tres seraient identi-
fiables avec certitude4.
Une premiere raison est que le texte non reproduit 6mettait une pure 6vi-
dence : ce qui va sans dire n’est simplement pas dit, contrairement A la sagesse
populaire. Ainsi l’article 993, deuxi~me alin6a C.c.B.-C., disposant que le dol
l’article 1401 C.c.Q. :
ne se prdsume pas et doit 6tre prouv6 n’est pas reproduit
nul ne songerait A soutenir que la r~gle soit abandonn6e, d’autant moins qu’elle
est dite sous forme du pr6cepte inverse h l’article 6 C.c.Q.
Une autre raison allant aussi dans le sens de la continuit6 est que le texte
non reproduit 6dictait une r~gle sp6cifique qui est incluse dor6navant dans une
r~gle plus gdndrale. Ainsi les articles 1058 et 1472 C.c.B.-C. parlent d’une obli-
gation de donner qui a disparu des articles 1373 et 1708 C.c.Q., ce dernier par-
lant plus exactement de transfert de propridt6, ddsormais inclus dans l’expres-
sion obligation de faire. La modification est purement formelle.
Voici deux exemples nullement limitatifs de traitement par pr6t6rition de
deux r~gles essentielles qui sont manifestement inchang6es. Ils vont dans le sens
de la r~gle selon laquelle l’abrogation tacite n’aurait pas sa place en droit dans
4A propos du silence de Rousseau sur la traite des Noirs, voir L. Sala-Molins, Le Code Noir on
le calvaire de Canaan, Paris, Presses Universitaires de France, 1987
Ia p. 245 :
On prend des risques en argumentant a silentio : il n’a rien dit, il pensait done qu’il
n’y avait rien dire ; ou bien, il n’a rien dit de concret ni de singulier parce qu’il a parl6
suffisamment haut et clair en termes g~ndraux. II faut choisir l’une ou l’autre des deux
explications, pour sonder le silence.
REVUE DE DROIT DE McGILL
[Vol. 39
un texte de remplacement. Est-ce dire qu’il faille toujours une disposition
expresse du nouveau texte pour 6carter avec certitude une solution reque sous
l’empire du texte pr6c~dent et non r66dict6e ? La complexit6 des r~gles d’inter-
pr6tation va A l’encontre d’une telle simplification.
II est possible que la solution d’un texte non reproduit soit interpr6t~e
comme 6tant rejet6e non seulement du fait de sa contradiction formelle avec un
texte nouveau (abrogation explicite), mais aussi du fait de son incompatibilit6
d6clar6e par interpr6tation judiciaire avec une ou plusieurs dispositions nou-
velles (abrogation indirecte). A partir de cette constatation, on voit l’immensit6
du chantier ouvert par la Refonte du Code civil telle qu’elle a 6t6 finalis6e.
Faute de m6thodologie d6clar6e sur ce point essentiel, la refonte de 1991
est une bolte noire au sens technique du Petit Robert: <[D]ispositif dont on con-
nalt la r~ponse h un signal d'entr6e, mais dont on ignore le fonctionnement
inteme>>. Dans la mesure oa l’interpr6tation judiciaire est la c16 du fonctionne-
ment interne du droit, un code n’en est plus un s’il s’en remet ouvertement au
juge non seulement dans des cas pr6cis dont il est possible de faire l’inventaire,
mais surtout dans des cas, h d6couvrir, oti le texte est ambigu. La boite noire
peut facilement devenir une boWte A malice si les ambigu’it6s portent sur des
questions trop importantes ou si elles sont trop nombreuses.
Nous avons choisi,
titre d’exemple d’ambigut’t6s portant sur des points
essentiels, les articles 1056 A 1059 C.c.B.-C., une suite d’articles non reproduits
dans la refonte de 1991. Nous ne reviendrons pas sur l’article 1058 C.c.B.-C.
puisqu’il est clair que donnero> voulait dire transf6rer la propri6t6 et que le
transfert de propri6t6 peut 8tre analys6 comme une obligation de faire. La modi-
fication est done terminologique et non substantive.
I. Les articles 1056, 1056a, 1056d et 1057 C.c.B.-C. –
civile et l6gale
la responsabilit6
A en croire les tables de concordance, dont l’autorit6 purement doctrinale
risque d’8tre ravageuse, les articles en question ne sont pas r66dict6s. A la place
de cette interpr6tation litt6rale, la table de concordance suivante est propos.de et
sera d6fendue :
C.c.B.-C.
1056
1056a
1056d
1057
C.c.Q.
1457, al. 2
1457, al. 1
1457, al. 1
1372, 1457, al. 1
Les deux articles centraux, 1056 et 1057 C.c.B.-C. ne sont certainement
pas abandonn6s du fait de leur non-reproduction dans les m8mes termes. Ce
n’est pas ici la place de refaire l’histoire de l’article 1056 C.c.B.-C., entr6 au
Code civil de 1866 par effraction commise contre les institutions d6mocra-
tiques. Cet article, dont l’interpr6tation erron6e a priv6 pendant cinquante
longues ann6es de multiples victimes de leur droit h r6paration a 6t6 finalement
19941
LES SILENCES DU CODE CIVIL DU QUEBEC
remis 4 sa place par l’arr& Laurent5. Ainsi a 6t6 rejet6e dans les tdn~bres ext6-
rieures la sinistre jurisprudence minoritaire Regent Taxi6. Ei est indiscutable
qu’en ne reproduisant pas l’article 1056 C.c.B.-C. on a ent6rin6 par pritgrition
la jurisprudence Laurent. On a du m~me coup condamn6 une interpr6tation de
‘article 1053 C.c.B.-C. qui 6tait restrictive, voire minimisante et contraire
l’article 12 C.c.B.-C., devenu 41 et suivants de la Loi d’interpritation. L’article
1056 C.c.B.-C. est dor6navant inclus dans l’article 1457, deuxi~me alin6a
C.c.Q., qui ne fait tout simplement plus de distinction entre les victimes, d6si-
gn6es par le mot inchang6 <
comprise dans une r-gle g6n6rale. Le droit positif est inchang6, A ceci pros que
techniquement l’interpr~tation de l’article 1457, deuxi~me alin6a C.c.Q. est
l’abri de l’interf6rence de tout autre article, 4 la diff6rence de l’article 1053
C.c.B.-C. avec l’ombre port6e par l’article 1056 C.c.B.-C.
L’article 1057 C.c.B.-C. a 6t6 trait6 d’autre fagon que l’article 1056
C.c.B.-C., puisque la jurisprudence contra legem le concernant n’a jamais 6t6
r6pudi6e par la Cour supreme. II n’y a pas eu d’arr~t 6quivalent h l’arret Laurent
pour l’article 1057 C.c.B.-C. Il y a eu au contraire un arr&t Lapierre7 qui a
endoss6 l’abrogation jurisprudentielle de l’article 1057 C.c.B.-C. Ici les h6ritiers
spirituels du juge Mignault ont remport6 la manche.
Pourtant l’affaire Lapierre a eu une suite l6gislative : une loi est intervenue
pour corriger le caract~re inacceptable de la d6cision. La question se pose alors
de savoir comment il se fait que le lgislateur, qui a de intervenir ii la piece pour
corriger le r6sultat de 1’affaire Lapierre, n’ait pas jug6 opportun de le r6gler de
fagon g6n6rale dans la <
blame du sang contamin6 par exemple ? Est-ce dire que le l6gislateur qu6b6cois
se consid~re comme r6duit h r~agir ponctuellement, le cas 6ch6ant aux d6cisions
politiquement inopportunes de la jurisprudence plut6t que de prendre les
devants en donnant des directives propres A influencer le comportement des
agents sociaux ? Dans un syst~me de droit civil, qui est d6positaire du droit
commun : le juge ou le 16gislateur ?
11 y a une r6ponse
toutes ces interrogations soulevdes par la disparition
apparente de l’article 1057 C.c.B.-C. dans la Refonte de 1991. Enferm6s dans
la logique de la premiere phase du capitalisme, les groupes de pression qui ont
l’oreille du gouvernement ont soigneusement banni du Code civil de 1991 toute
allusion explicite
l’indemnisation sans faute, que la deuxi~me phase du capi-
talisme, celle du New Deal et de lttat-providence avait dfi mettre au point pour
survivre : les lois d’indemnisation en mati~re de travail puis d’automobile et les
multiples lois sp6ciales sont pudiquement tenues h l’6cart du temple du droit
5HOpital Notre-Dame de l’Esp~rance c. Laurent, [1978] 1 R.C.S. 605, 3 C.C.L.T. 109 [ci-apr~s
Laurent].
6Regent Taxi & Transport Company c. Congregation des petitsfrres de Marie, [1929] R.C.S.
650, [1930] 2 D.L.R. 353, M. le juge Mignault (dissident).
7 Quebec (P.G.) c. Lapierre, [1985] 1 R.C.S. 241, 16 D.L.R. (4′) 554 [ci-apr~s Lapierre]. Une
hypoth~se de recherche a falsifier consiste A rechercher si cette d6cision a eu un effet sur le com-
portement des responsables du scandale du sang contamin6 au Canada.
5Loi sur la protection de la santJ publique, L.R.Q. c. P-35, art. 16.1-16.5, mod. par L.Q. 1985,
c. 23, art. 18, 26.
McGILL LAW JOURNAL
[Vol. 39
civil. Les allusions directes que faisait le Code civil de 1866, dOment compl6t6
par des lois particuli~res au cours des ann6es, les articles 1056a et 1056d notam-
ment ont 6t6 gomm~es.
Comment savoir si le passage aux profits et pertes de ces deux derniers
articles dans les tables de concordance est le fruit d’un lapsus ou d’une volont6
d6lib6r6e de venir A bout de ces lois sociales> ? Quel sera le r6sultat de ce qui
apparalit de prime abord comme une tartufferie tout A fait dans le gofit de l’6po-
que, contre ces lois ?
II est possible de lire le Code civil di Quebec autrement. L’article 1457
C.c.Q. fait 1’objet dans les tables de concordance d’un traitement global, en
d6pit de sa division en trois alin6as. Ces tables en donnent comme concordance
les articles 1053 et 1054, premier alin6a C.c.B.-C. Ces deux concordances sont
celles des alin6as deuxi~me et troisi~me: l’alin6a premier est pass6 A l’as, tout
simplement.
Or cet alin6a premier qui vise [t]oute personne est 6videmment distinct
du deuxi~me alin6a, qui ne vise que certaines personnes, celles qui sont dou6es
de raison : Elle est, lorsqu’elle est […]>> dit 616gamment ce deuxi~me alin~a,
qui introduit, A lui seul, la condition de la faute. I1 faut donc trouver une con-
cordance propre A l’article 1457, premier alin6a C.c.Q. dans le remplacement du
texte de 1866 par celui de 1991 : cette concordance est, selon nous, l’article
1057 C.c.B.-C., notamment.
L’article 1057 C.c.B.-C. a deux concordances dans le Code civil dil Qua-
bec : de fagon g6n6rale l’article 1372 C.c.Q., qui vise tout acte ou fait auquel
la loi attache d’autorit6 les effets d’une obligation> [nos italiques] et de fagon
sp6cifique l’article 1457, premier alin6a C.c.Q., qui reprend soixante-dix ans
plus tard les termes utilis~s par Lord Sumner dans Vandiy’.
En disant <[t]oute personne [...]>
l’alin6a premier, on peut soutenir que
l’article 1457 C.c.Q. reprend mot pour mot la supposition de Lord Sumner dans
la discussion sur l’article 1054 C.c.B.-C. : Toute personne est responsable>’0 .
Certes
‘article 1054 C.c.B.-C. ne le disait pas comme qa, mais l’article 1457
C.c.Q. commence la Section I, Des conditions de la responsabilit6>> en le di-
sant: Toute personne a le devoir de [se conduire] de maniere A ne pas causer de
pr6judice A autrui . Cet alin6a premier a une port6e incontestablement plus g6-
n6rale que l’alin6a deuxi~me, qui n’est que la r~gle g6n6rale au second degr6l.
Cependant le choix de la pr6sentation formelle des diff6rentes r~gles est suscep-
tible de maintenir des d6bats artificiels.
En effet l’article 1457 C.c.Q. aurait pu faire l’objet de trois articles dis-
tincts plut6t que d’un seul divis6 en trois alin6as. Ce faisant, on aurait confr6
incontestablement A ce qui est devenu l’article 1457, premier alin6a une auto-
9Quebec Railway, Light, Heat and Power Co. c. Vandry, [1920] A.C. 662 aux pp. 674-75 (C.P.).
0lIbid. A la p. 678 (en frangais dans le texte de l’arr&t).
1 Pourtant l’article 1457, premier alin6a C.c.Q., modifiant
‘article 1515, premier alin~a de
l’Avant-projet de 1987 relatif aux obligations passe d6ja inaperqu sous sa premiere forme. Voir N.
Kasirer, The infans as bon pore defamille: ‘Objectively Wrongfull Conduct’ in the Civil Code
Tradition>> (1992) 40 Am. J. Comp. L. 343 a la p. 355.
1994]
LES SILENCES DU CODE CIVIL DU QUEBEC
nomie plus marqu6e par rapport aux deux suivants. En ne le faisant pas, on a
savamment laiss6 la possibilit6 pour les traditionalistes de lire dans l’article
1457, premier alin6a un 6nonc6 g6n6ral de principe annongant les r~gles des
deux alin6as suivants. Cependant les juges qui se risqueraient a cette interpr&-
tation diluante devraient au pr6alable franchir l’obstacle de l’article 41 de la Loi
d’interprdtation modifi6 par l’article 602 de la Loi d’application12 . Car une lec-
ture de l’article 1457, premier alin6a comme une annonce ou une introduction
Sl’article 1457, deuxi~me alin6a, le tout r66dictant purement et simplement l’ar-
ticle 1053 C.c.B.-C. est impossible en vertu des nouvelles r~gles d’interpr~ta-
tion : elle serait ouvertement contra legem par rapport a la Loi d’interpretation.
En somme tant l’article 1056 et ses acolytes 1056a et 1056d notamment
que l’article 1057 C.c.B.-C. sont bel et bien repris sous une autre forme dans le
Code civil du Quibec. I1 en est de meme h notre avis de l’article 1059 C.c.B.-C.
II. L’article 1059 C.c.B.-C. –
le statut juridique du corps humain
Les tables de concordance passent 6galement l’article 1059 C.c.B.-C. aux
profits et pertes. L encore les correspondances suivantes peuvent 8tre propo-
sees :
C.c.B.-C.
1059
C.c.Q.
2795, 2876
La contraction en forme de contorsions stylistiques des articles 1058 h
1062 C.c.B.-C. dans les deux articles 1373 et 1374 C.c.Q. ne doit pas seulement
&re compl&6te par la concordance de l’article 1061, deuxi~me alin6a C.c.B.-C.
avec 631 C.c.Q., mais aussi par celle de l’article 1059 C.c.B.-C. avec les deux
articles qui reprennent la formule de choses dans le commerce sous la forme
invers6e de bien <
manifeste qu’on est devant la m~me transformation que celle de l’article 993,
deuxi~me alin~a C.c.B.-C. dans l’article 6 C.c.Q. Le renversement de la formule
constitue de l’agitation l6gislative sterile. Au fond il n’y a rien de chang6.
Dans le cas de l’article 1059 C.c.B.-C., l’absence de m~thode de la refonte
consistant a reprendre ou h ne pas reprendre un article selon la fantaisie des
6quipes de r6daction est particuli~rement grave en l’absence d’un statut juri-
dique du corps humain. Pourtant avec les progr~s fulgurants de la science m6di-
cale, ce statut aurait dfi 6tre une des priorit6s de la r6forme.
Le Code civil du Qudbec a remplac6 le cadavre humain du Code civil de
1866 s, par le corps humain 4, notamment sous les rubriques Du respect du
12Loi sur l’application de la riforme d Code civil, L.Q. 1992, c. 57, art. 602:
L’article 41 de la Loi d’interpr6tation (L.R.Q., chapitre 1-16) est modifi6 par le rempla-
cement du premier alin6a par le suivant:
<41. Toute disposition d'une loi est r6putde avoir pour objet de reconnaitre
des droits, d'imposer des obligations ou de favoriser l'exercice des
droits, ou encore de rem~dier 4i quelque abus ou de procurer quelque
avantage .
13Art. 22, 66 C.c.B.-C.
"4Art. 42 et s., 126 et s. C.c.Q.
REVUE DE DROIT DE McGILL
[Vol. 39
corps apr~s le d6c~s> et Des actes de d6c~so. Cependant il ne contient aucun
616ment d’un statut juridique du corps humain, distingu6 litt6ralement de la per-
sonne, dont il est question A partir de l’article 2 C.c.Q. On constate seulement
que cette personne est subitement qualifi6e de physique A l’article 303 C.c.Q.,
A propos de la personne morale.
I est 6videmment impossible de pr6tendre que le corps humain possde
les attributs de la personne 6nonc6s notamment aux articles 1 t 6 C.c.Q. Telle
est pourtant l’incoh6rence h laquelle aboutit la doctrine selon laquelle
[l]e
corps c’est la personne>>’, que le Code civil d Quebec semble avoir faite
sienne.
Si le corps humain et a minori ses 616ments organiques composants
n’entrent pas dans la cat6gorie des personnes, ils font n6cessairement partie de
celle des biens. Comme le note avec raison Jean Pierre Baud, en invoquant l’ar-
ticle 1128 du Code civil frangais << propos de l'8tre humain, on affirme que son
corps est une chose> 6. Si le corps humain est in6vitablement une chose au sens
juridique, quelle serait la signification de la suppression de l’article 1059
C.c.B.-C. qui dispose express6ment:
Une fois de plus, le silence de la refonte conduit A deux solutions possibles
contraires. Ou bien la non-reproduction du texte ne change rien. On peut invo-
quer t l’appui de cette premiere branche de l’altemative les deux articles pr6-
cit6s r6f6rant A la cat6gorie n6gative du hors commerce, oii le corps humain
aurait sa place.
A l’inverse on peut pr6tendre que le corps humain n’est pas a priori une
chose hors commerce. Les modifications apport6es au Code civil de 1866 avant
la refonte de 1991 permettent de le soutenir. Le droit civil du Qu6bec a com-
menc6 dans les ann6es soixante-dix ,t mettre le corps dans le commerce juri-
dique en autorisant la vente de ses parties susceptibles de r6g6n6ration
: le
lait, les ovules, le sperme, les cheveux et surtout le sang. C’est l’6poque ott
l’on a parl6 de location d’ut6rus>> et de
langage m6dico-16gal digne d’Orwell.
Le Code civil d Qu6bec ne cMde que sur le caract~re on6reux de l’ali6na-
tion des parties renouvelables, devenues symboliquement des produits du
corps>’. Le corps peut toujours faire l’objet d’une disposition t titre gratuit :
dans cette mesure, il est bel et bien laiss6 dans le commerce juridique par la
refonte de 1991. Les autorit6s s’y emploient d’ailleurs activement en mettant t
la disposition des personnes
des cartes d’assurance-maladie et des permis de conduire. C’est la conception
15France, Conseil d’ttat (Section du rapport et des 6tudes), Sciences de la vie : De I’dthique an
droit, 2′ 6d., Paris, Documentation frangaise, 1988 t la p. 16, cit6 par J.-P. Baud, L’affaire de la
main vole : Une histoire juridique d corps, Paris, Seuil, 1993 At a p. 25.
‘6Baud, ibid. A la p. 26. Voir aussi ibid. aux pp. 226-29. L’article 1059 C.c.Q. est inspir6 de l’ar-
tide 1128 du Code civil frangais.
17 Art. 20, al. 3 C.c.B.-C.
8Art. 25 C.c.Q.
19941
LES SILENCES DU CODE CIVIL DU QUEBEC
d’<
gaise du 22 ddcembre 1976 sur les prdlbvements d’organes2 .
L’article 25 C.c.Q. rejette donc la doctrine body is money en imposant le
caractbre gratuit h l’alidnation <
une personne. Cette solution s’6carte ainsi de la decision de la Cour d’appel de
Califomie dans l’affaire John Moore2 . Cependant la partie finale du second ali-
nda de cet article 25 C.c.Q. pourrait donner lieu h de fructueux ddveloppements
grace A l’utilisation de la bonne vieille mdthode de la rbgle et de l’exception. Le
d6but de l’article 25, deuxibme alinda C.c.Q. applique la rbgle vertueuse de l’ex-
clusion du contrat A titre ondreux ayant pour objet
dez sur le corps humain. Mais la partie finale 6nonce une restriction de taille:
<<[H]ormis le versement d'une indemnit6 en compensation des pertes et des con-
traintes subies>>. Ce qui est interdit directement est pernis indirectement par le
biais extr~mement flou des qualifications. Autrement dit, pas de prix, mais une
indemnitd.
L’indemnit6 compensatoire de
‘article 25, deuxibme alin6a C.c.Q. peut
d6boucher sur deux issues, l’une contentieuse, en vertu du droit commun de la
responsabilit6 civile, l’autre rdglementaire, en vertu d’une tarification adminis-
trative. Le gofit de l’6poque pour la drdglementation fait incontestablement
pencher les probabilit6s en faveur de la premibre solution.
Les dommages-int6r~ts compensatoires pour <
par suite d’une exp6rimentation auraient h franchir l’obstacle de l’acceptation
des risques. Mais on peut estimer que l’article 1477 C.c.Q. a grandement affai-
bli l’objection, mime s’il ne l’a pas fait disparaitre.
Que le pr6judice soit corporel ou moral, il tombe sous le coup de l’inter-
diction de la clause 6lisive ou limitative de responsabilit6 de l’article 1474,
deuxi~me alinda C.c.Q. Mais seul le prejudice qualifi6 de corporel serait soumis
h Particle 1614 et suivants C.c.Q. Le pr6judice moral serait assujetti aux pla-
fonds 6tablis par la jurisprudence, d’ailleurs non consolidde dans la nouvelle
redaction du Code : un silence, d’une autre sorte celui-l , un silence sur la juris-
prudence dtablie, prouvant seulement que la consolidation n’est pas complte
non plus.
19Baud, supra note 15 A la p. 36.
2Loi n’ 76-1181 du 22 dicembre 1976, .O., 23 ddcembre 1976, Gaz. Pal. 1977. 1″‘ sem. Ldg.31.
21Moore c. Regents of the University of California, 793 P.2d 479 (Cal. 1990). Baud, supra note
15 a la p. 23:
Imagioez des mddecins s’apercevant que la leucdmie a donn6 naissance, dans le corps
d’un malade, a des cellules uniques au monde. Ils savent qu’on peut les prlever, les
conserver, les multiplier; et vendre tr s cher les produits pharmaceutiques auxquels
elles donneront naissance. C’est ce qu’ils feront pendant sept ans, mais sans rien en dire
John Moore, jusqu’au jour oi celui-ci ddcouvrira ]a vdrit6 et entamera une procddure
en revendication de ses cellules. La cour d’appel de Californie lui donnera raison en
se fondant sur le principe selon lequel un homme a un v6ritable droit de propridt6 sur
les produits de son corps.
cit6 par Baud, ibid. lap. 24) est devenue une r6alit6, selon le m~me mensuel (M. Pinero,
McGILL LAW JOURNAL
[Vol. 39
Quelle que soit l’interpr6tation jurisprudentielle de l’article 25, deuxi~me
alin6a C.c.Q., elle sera enferm~e dans les param~tres 6tablis. L’industrie
m6dico-pharmaceutique n’aura 6ventuellement et h l’occasion qu’A faire des
d~bours6s modestes pour mettre 16galement la main sur le mat6riel inestimable
que repr6sente le corps humain offert
1’exp6rimentation, sans parler des
d6chets organiques autrement promis A l’incindrateur.
L’article 25 C.c.Q. contient donc des 61iments qui permettent de soutenir
la those selon laquelle le corps humain est dans le commerce, puisqu’il peut etre
ali~n6 h titre gratuit et faire l’objet d’un contrat int6ress6, c’est-h-dire interm6-
diaire entre le gratuit et l’on6reux. Les articles pr6c6dents relatifs h l’exp6rimen-
tation, notamment l’article 21 C.c.Q. r6v~lent une avancde consid6rable de la
mainmise m6dicale sur le corps des sujets souffrants. En somme le droit du
corps humain se r6duit dans la Refonte de 1991 h la facult6 de disposer de son
corps, ddcrite sous la rubrique Des soins 22, du chapitre intituld De ‘intdgrit6
de la personne >, comme si le corps et la personne ne faisaient qu’un.
En face de ce r~gime de libre disposition limit~e d’un bien, non reconnu
comme tel, on constate la disparition de la division fondamentale des biens entre
ceux qui sont dans le commerce et ceux qui ne le sont pas. Si la non-
reproduction de l’article 1059 C.c.B.-C. devait 8tre interpr~t6e comme une abro-
gation, cela impliquerait le basculement du corps humain dans la cat6gorie
indiffrencide des biens. Pourtant cet article constitue, h l’instar de l’article 1128
du Code civil frangais dont il est inspir6
son pour laquelle il nous semble important de soutenir que, en d6pit du silence
du Code civil du Quebec l’article 1059 C.c.B.-C. est maintenu dans les articles
2795 et 2876 C.c.Q., relatifs h ce qui est hors commerce.
Vu l’acuit6 des probl~mes concemant le corps humain, on peut consid6rer
comme aberrante la d6cision de ne pas reproduire l’article 1059 C.c.B.-C. dans
le Code civil du QuEbec et de le transformer sous la forme negative, A l’instar
de l’article 993, deuxi~me alin6a C.c.B.-C. : la pertinence de ce genre de
r6forme est pour le moins douteuse.
Conclusion
On voit donc l’ampleur insoupgonnable au premier abord des probl~mes
posds par la seule non-reproduction d’un texte du Code civil de 1866 dans sa
r6daction de 1991. Ce qui vaut pour des probl~mes centraux comme le principe
de la responsabilit6 civile ou le statut juridique du corps humain est transposable
aux nombreuses interrogations que soulveront les autres articles non repris et
non formellement contredits. Le principe qui domine est l’absence d’abrogation
22Art. 11-25 C.c.Q.
23Baud, supra note 15 A la p. 222.
1994]
LES SILENCES DU CODE CIVIL DU QUEBEC
implicite par une loi de <
reproduit qui n’est pas contredit par un ou plusieurs articles de la nouvelle
redaction ou d’autres lois peut 6tre consid~r comme 6tant toujours en vigueur.
Ainsi l’article 651 C.c.B.-C. disposant que
dans la nouvelle redaction. Si aucun texte du Code civil du Quebec, ni d’une loi
particuli~re n’6carte expressdment cette facult6 de correction physique ou
morale, on peut soutenir que l’article 651 C.c.B.-C. fait toujours partie du droit
positif. Sa position ne sort certes pas renforcde de ce silence, mais celui-ci ne
permet certainement pas de dire que les parents n’ont plus le droit de donner la
moindre tape ou la plus lg~re r~primande h leurs enfants, en vertu du <
font autorit6 en droit civil qu~b6cois …
Ceci am~ne h s’interroger sur la m6thodologie de la rrforme du Code civil.
Si des questions aussi fondamentales que celles examin6es ici et aussi nom-
breuses que celles non examinres et rdsultant de la non-reproduction litt6rale de
pros de six cents articles24 ne trouvent pas de solution ni m~me de principe de
solution dans la nouvelle redaction du Code civil, quoi sert-elle ? La r~ponse
pourrait se trouver en partie dans la mani~re dont l’opdration de revision du
Code civil a 6t6 mise en route, conduite et surtout terminde.
Apr~s la mise sur les tablettes d’une grande partie du Rapport sur le Code
civil du Qubecs, la tache reprise par diverses commissions administratives a
progressivement conduit A la procedure habituelle de rdforme l6gislative. Au
cours des dix annres qui se sont 6couldes entre la remise du Rapport et la sortie
des avant-projets de loi constituant les livres blancs, il n”y a pas eu de livre vert
exposant les solutions possibles entre lesquelles existaient les choix politiques
6 faire avant de proc~der d une r~forme de l’envergure de celle d’un code civil.
Les enjeux politiques majeurs sont toujours restrs caches sous les arcanes de la
technique juridique de la revision.
On se souvient que les timides et souvent maladroites vellrits de rrforme
des avant-projets de lois ont vol6 en 6clats devant le front commun des groupes
de pression 6conomiquement et politiquement influents. C’est A peine si la ques-
tion de la reserve hdrditaire a fait un temps surface, sans jamais atre mise en
rapport avec ses tenants et aboutissants 6conomiques et sociaux. Le reflux
majeur oprr6 par le Projet de loi 12526 n’a epargn6 que les mesures utiles aux
groupes d’intdr~ts mentionn6s. Peu A peu, la revision du Code a pris son allure
de probl~me banal de modification legislative et a 6t6 drpouillre de sa dimen-
sion politique majeure. Un texte qui touche d’aussi pros aux probl~mes fonda-
mentaux de la personne et des biens a 6t6 raval6 au niveau de la Loi sur les
abeilles. I1 a fait l’objet des marchandages habituels an niveau des sous-
commissions, i quoi se rdduit apparemment la procedure l6gislative contempo-
raine. La diffdrence avec le d~bat public de la fin des ann~es soixante-dix autour
2411 est facile de les identifier dans l’ouvrage de Mf Gaudet, supra note 3.
25Qurbec, Office de revision du Code civil, Rapport sur le Code civil d Quibec, Quebec,
26P.L. 125, Code civil du Quebec, 1′ sess., 34′ 16g., Quebec, 1990.
tliteur officiel, 1978 [ci-apr~s Rapport].
REVUE DE DROIT DE McGILL
[Vol. 39
de la Loi sur l’assurance automobile7 tdmoigne d’une chute de tension specta-
culaire. Ii s’agit pourtant exactement des m~mes problbmes.
Au rdsultat de l’opdration mende subitement toutes voiles dehors, aprbs des
ddcennies de navigation au regime ralenti parfois proche de la panne, on se
retrouve avec une mosa’que de textes disparates28, rddigds par des 6quipes mal
coordonndes29, raccordds surtout par la numdrotation successive inh6rente At
toute loi.
L’absence d’un rapport des codificateurs A l’Assembl6e nationale en 1991,
tel que celui pr6sent6 A la Chambre l6gislative du Bas-Canada en 1866 d6montre
la perte compl~te du sens de la codification. Son remplacement par un texte
forg6 postgrieurement A la procedure parlementaire est un maigre palliatif30 .
Les quelques innovations majeures que le Code civil d Qu bec comporte,
au milieu du remue-mdnage g6n6ralis6 qui constitue la majeure partie de l’op6-
ration ont
td passdes en douce, sans que leur signification ait 6t6 comprise.
Ainsi il aurait pourtant 6t6 facile d’expliquer aux <
Jean Lesage, que la pluralit6 de patrimoines de l’article 2 C.c.Q. est une tech-
nique permettant de g6ndraliser en droit provincial une institution nommde fidu-
cie, qui avait ddjA 6t6 partiellement introduite en 1888 par une modification
majeure du Code civil de 1866. On aurait pu ajouter que cette institution, ins-
pirde du trust est celle qui a 6t6 utilis6e notamment par le dernier gouvemement
Trudeau dans la fiducie familiale, qui a cofit6 au fisc canadien un certain
nombre de milliards de dollars faisant partie du deficit qu’on est en train de faire
payer A tout le monde, en mettant la facture sur le dos des ch6meurs et des assis-
t6s sociaux.
Parallblement les innovations possibles qui n’ont pas 6t6 rdalisdes par le
Code civil du Quebec ont une signification politique tout aussi marquee. Ainsi
on a vu que le principe de responsabilit6 sans faute n’6tait pas admis de fagon
trbs claire par la nouvelle redaction du Code civil. II risque par consequent de
rester cantonn6 dans les lois particulibres qui lui ont fait place en droit positif
depuis 1909 jusqu’h 1977. Chacun aurait pu s’apercevoir qu’un principe juri-
dique non enchass6 explicitement dans le Code civil est moins solide qu’un
principe de droit commun 1 . Or il s’agit de choses aussi concrbtes et imm6dia-
tement compr6hensibles que les accidents du travail, les maladies profession-
nelles et les accidents d’automobile.
Pour 1’essentiel, le Code civil du Quebec n’est que de la consolidation et
<
27L.R.Q. c. A-25.
28L’emprunt du chapitre de Ia prescription au Rapport (avec des amputations majeures) tdmoigne
d’une rupture de style constemante. Le style du chapitre sur les successions n’est pas au point.
29Le chapitre de ‘administration du bien d’autrui et du mandat contiennent des variations sur
le mime th~me (art. 1319 et s., 2157 et s. C.c.Q.).
30 0n peut aussi y voir une nouvelle forme de doctrine, la doctrine officielle propre aux regimes
totalitaires. Cette affaire 6voque pour nous le cri du scuIpteur Vaillancourt sur la murale du Grand-
Th6ktre de Quebec:
31C. de Brie, <
32Barreau du Qudbec, Droit des obligations (avant-projet de loi), Mdmoire prdsent6 h ]a Corn-
1994]
LES SILENCES DU CODE CIVIL DU QUEBEC
nier aspect a entram6 un travail aussi harassant qu’inint6ressant pour l’inter-
prate, il ne faut pas croire que celui-ci, fut-il critique, n’apprdcie pas h sa juste
valeur le travail de consolidation rralis6 par le Code civil du Quebec. Nan-
moins ce Code prrsente par les rrformes qu’il apporte, des analogies frappantes
avec les Codes civils louisianais et californien, dont il a acquis le m~me r6le de
pate modeler pour les groupes de pression influents33 . Enfin le r6le extensif
d6l6gu6 au juge, charg6 tr~s souvent d’6clairer lui-meme sa lanterne fait douter
du caract~re de droit commun du texte, proclam6 par la <
Le drp6t largement publicis6 quelques semaines avant l’entrre en vigueur
du Code civil du Quibec du rapport d’une commission’d’enquete sur la biorthi-
que 4 est a comparer avec le black-out mddiatique maintenu sur le Code pendant
les deux ann6es qui se sont 6coulres entre son adoption et son entr6e en vigueur.
Le droit civil n’est-il pas devenu ouvertement ce qu’il a toujours 6t6, h savoir
un droit de juristes ?
La rrforme du Code civil de 1866 a 6t6 menre de fagon critiquable d’un
bout A l’autre de 1’existence de ce code. Les trois commissaires, qui avaient,
eux, fait l’effort de dominer l’ensemble du droit civil et du droit commercial
avaient recommand6 une procedure de r6vision p6riodique particuli6re3 5. En ne
mission des institutions, octobre 1988.
33La. Civ. Code, art. 2531 (West 1961) (vices caches), modifi6 a la suite de l’arrt Prince c.
Paretti Pontiac, 281 So.2d 112 (La. 1973); Cal. Civ. Code 1714 (Deering 1949) (faute com-
mune), modifi6 a la suite de l’arrt Li c. Yellow Cab, 13 Cal. 3d 804, 532 P.2d 1226, 119 Cal. Rptr.
858 (1975). Comparer avec l’article 1473 C.c.Q. en regard de l’arr& General Motors Products of
Canada c. Kravitz, [1979] R.C.S. 790,’93 D.L.R. (3′) 481.
34Canada, Un virage d prendre en douceur : Rapport final de la Commission royale sur les nou-
velles techniques de reproduction, Ottawa, Ministre des services gouvemementaux Canada, 15
novembre 1993 (Prsidente: R Baird).
35Code civil d Bas-Canada : Sixi~me et septijme rapports, Quebec, Desbarats, 1865 aux pp.
263-65:
Le Code a pour objet de rrpondre en termes expr~s ou par implication l6gale h toutes
les questions qui tombent dans la vaste 6tendue des sujets dont il traite. I1 compose un
syst~me dont toutes les parties sont rattachres les unes aux autres avec soin, et toute
l6gislation par piece, faite dans la vue de quelque changement particulier, peut affecter
srrieusement d’autres parties de l’ouvrage que l’on ne voulait pas toucher, et conduire
un d~sordre et une confusion considerable et imprgvue.
Pour exprimer plus correctement leurs vues relativement au mode de procrder en
mati~re d’amendements et d’additions qui pourraient atre faits plus tard, qu’il soit per-
mis aux Commissaires de soumettre les observations qui suivent:
Les imperfections du Code doivent rsulter soit d’omissions ou de l’insertion de
rigles de droit incommodes ou nuisibles, soit de fausse interprrtation de la loi, ou de
son expression incertaine. Ces imperfections ressortiront principalement de la difficult6
qu’on 6prouvera dans l’interprtation judiciaire et dans l’application de la loi ; les tri-
bunaux supirieurs devraient donc 6tre astreints d faire au gouvernement des rapports
spiciatux de toutes les causes dans lesquelles telle difficult9 manifeste existe, et 1’auto-
rits comprtente sera par l mise en 6tat de juger si la loi est v~ritablement imparfaite
ou susceptible d’objection au point de requrrir Faction de la l6gislature sur le sujet.
Lorsque des amendements sont jugrs n6cessaires, ils ne devraient pas etre faits en
detail, mais au moyen d’une revision p~riodique et par un seul statut prpar6 sous le
contrOle du gouvemement, et comme r6gle grnrale, tre restreints aux sujets contenus
dans les rapports sprciaux, considdrant que la l6gislation basre sur l’exprrience est plus
McGILL LAW JOURNAL
[Vol. 39
la suivant pas et en proc6dant au contraire A la piece, un nombre tr~s 61ev6 de
fois ais6ment calculable en consultant l’dition historique de Cr6peau et Brier-
ley36, on a fait entrer le Code civil dans le rang en ce qui concerne la proc6dure
l6gislative. La perte du sens de la codification ne peut donc pas atre imput6e
exclusivement aux artisans de la refonte de 1991 : elle 6tait d6j
inscrite dans
les mceurs juridiques qu6b6coises. Cependant l’
faisait l’objet pour des consid6rations socio-historiques 6trang~res h la tech-
nique juridique a entretenu l’ide d’une r6forme globale. La fagon dont celle-ci
a 6t6 termin6e montre bien que le point de vue technique a compl~tement recou-
vert les intentions qui ont pr6sid6 A l’op6ration pluri-d6cennale de la r6vision.
L’6tape constitu6e par le Code civil du Quebec, qui a l’avantage insigne de r6ta-
blir l’unit6 formelle du code bris6e A. la 16g~re en 1980 appelle imm6diatement
la mise en route de la phase suivante de r6vision d’un texte largement insuffi-
sant, notamment du fait de ses silences. Mme si ce code n’encourait aucun
reproche –
il faudrait quand meme
songer A son maintien a jour, car comme disait Portalis : Un Code, quelque
complet qu’il puisse paraltre, n’est pas plut6t achev6, que mille questions inat-
tendues viennent s’offrir au magistrat>>37. Avec toutes les questions dont la solu-
tion est express6ment remise entre les mains des juges, ceux-ci seront encore
plus occup6s dans les prochaines d6cennies.
la critique est ais6e mais l’art est difficile –
sfire et plus durable que lorsqu’elle ne se fonde que sur des iddes sp~eulatives.
En adoptant ce mode ou quelqu’autre 6quivalent, le Code deviendra graduellement
et sfarement de plus en plus complet, et ainsi les inconv6nients r6sultant de ddcisions
judiciaires en contradiction les unes avec les autres, et l’interpr6tation divergente des
commentateurs, qu’on ne pourra 6viter enti~rement, seront considdrablement diminu6s
[nos italiques].
36P.-A. Cr6peau et J.E.C. Brierley, dir., Code civil – 1866-1980 : Edition historique et critique,
Montr6al, Universit6 McGill, Chambre des notaires du Qu6bec et Soci6t6 d’information juridique,
1981.37Portalis et al., Discours pr6liminaire prononc6 lors de la pr6sentation du projet de la Com-
mission du gouvernement>> dans P.A. Fenet, dir., Recueil complet des travaux prdparatoires d
Code civil, t. 1, Paris, Au d6p6t, 1827 A ]a p. 469.