Les systmes de gestion environnementale
au Canada : enjeux et implications pour les
politiques publiques de lenvironnement
Paule Halley et Olivier Boiral*
et
les
La certification ISO 14001 constitue lun des
systmes de gestion environnementale (SGE) de
rfrence
administratives
entits
gouvernementales charges de
la protection de
lenvironnement en font la promotion de manire
croissante auprs des entreprises. La normalisation
prive ISO 14001 se transpose donc dans les politiques
publiques de
lenvironnement pour atteindre des
objectifs plus larges de conformit la lgislation
environnementale et de dveloppement durable.
Nanmoins, il doit toujours revenir ltat ddicter les
normes de qualit de lenvironnement dans ses lois et
rglements, puisque la norme ISO 14001 ne fixe en soi
aucune rgle substantielle et vise essentiellement
confirmer que lentreprise possde un SGE. Les
mesures volontaires adoptes par les entreprises, bien
que rputes plus efficaces et plus flexibles, ne peuvent
engendrer que des conomies relatives pour ltat. Sans
objectifs clairs et sans un contrle tatique crdible et
fiable, les incidences environnementales des SGE
risquent en effet dtre limites. Par exemple, les
communications externes des entreprises demeurent
partielles et facultatives et laccs leur information
environnementale au-del de ce quexige la lgislation
est souvent imparfait, tout comme la formalisation de
leurs mesures volontaires. La certification ISO 14001
dmontre certes un engagement environnemental, mais
cette normalisation prive ne peut que complmenter la
lgislation environnementale. Elle ne saurait se
substituer lintervention de ltat dans la rgulation de
lenvironnement.
bodies
transposed
into public policies on
ISO 14001 certification serves as a model among
environmental management systems (EMSs) and is
increasingly being promoted
to businesses by
government
whose
administrative
responsibilities lie in protecting the environment. The
private standardization that ISO 14001 provides is thus
being
the
environment to achieve larger objectives such as
conformity to environmental legislation and sustainable
development. Nonetheless, it remains with the state to
determine norms of environmental quality through its
laws and regulations, as the ISO 14001 norm itself does
not establish any substantial rules but merely aims to
confirm that a business has established an EMS. The
voluntary measures undertaken by businesses, while
reputedly more effective and flexible, can only provide
relative savings for the state. Without clear objectives
and without a degree of state control that is credible and
reliable, the environmental impact of EMSs may well
be limited. For example, external communications by
businesses are optional and usually only partial, and
access to their environmental information beyond that
which is required by legislation is often imperfect, as is
the formalization of their voluntary measures. ISO
14001 certification does indicate a commitment to the
environment, but private standardization may at best
only complement environmental legislation. It cannot
replace state intervention in the regulation of the
environment.
* Paule Halley, professeure la Facult de droit de lUniversit Laval, titulaire de la Chaire de
recherche du Canada en droit de lenvironnement et Olivier Boiral, professeur au Dpartement de
management de la Facult des sciences de ladministration lUniversit Laval, titulaire de la Chaire de
recherche du Canada sur les normes internationales de gestion et les affaires environnementales.
Paule Halley et Olivier Boiral 2008
Mode de rfrence : (2008) 53 R.D. McGill 649
To be cited as: (2008) 53 McGill L.J. 649
MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE MCGILL
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Introduction
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I. volution de lintrt priv et public pour les systmes
de gestion environnementale
A. Origines et raison dtre des SGE pour les entreprises
B. Le rle croissant des SGE dans les politiques publiques
II. Les SGE dans les politiques publiques de lenvironnement :
vers une amlioration de la conformit rglementaire et des
performances environnementales ?
A. Les SGE, des conomies et une conformit la
rglementation relatives
B. Les SGE, un complment et non un substitut la
rglementation environnementale
C. Lamlioration des performances environnementales,
un objectif flou des SGE
III. Les SGE, un instrument de rgulation de lenvironnement
parfaire
A. Des communications externes limites et facultatives
B. Un accs limit aux informations environnementales
produites par les SGE
C. Une formalisation insuffisante des mesures volontaires
Conclusion
2008] HALLEY ET BOIRAL SYSTMES DE GESTION ENVIRONNEMENTALE 651
Introduction
Depuis le milieu des annes 1990, les entreprises ont volontairement labor et
mis en place des systmes de gestion environnementale (SGE) de plus en plus
normaliss pour cerner et grer les questions environnementales associes leurs
activits. Adopte par prs de 130 000 organisations dans le monde en 20061, soit 10
ans peine aprs son lancement par lOrganisation internationale de normalisation, la
norme ISO 140012 est peu peu devenue le modle de rfrence des SGE. Pour les
organisations, cette norme a une double vocation. lintrieur des organisations,
dune part, elle permet dintgrer les proccupations environnementales par
linstauration de pratiques reposant sur des principes de gestion traditionnels et
reconnus : dfinition dune politique, mise en place dobjectifs, de programmes, de
systmes de contrles et daudits, etc. lextrieur des organisations, dautre part, la
certification ISO 14001 reprsente un moyen de dmontrer
lengagement
environnemental auprs de diverses parties prenantes (stakeholders), y compris les
gouvernements, les groupes de pression et le public en gnral.
Cette double vocation se reflte dans lutilisation croissante de ce type de SGE
dans les politiques publiques de lenvironnement. lorigine conus pour servir des
fins prives de gestion interne, les SGE sont maintenant promus par les politiques
publiques pour atteindre des objectifs plus larges en matire de conformit la
lgislation environnementale et de dveloppement durable. Cette transposition des
SGE dans les politiques publiques propose de faire passer cette normalisation prive
des organisations dans le champ de la rgulation de lenvironnement. Ces
transformations visent-elles une nouvelle source de normativit des activits
polluantes ? La rgulation de la qualit de lenvironnement par la normalisation
prive, en particulier par la norme ISO 14001, sinscrit dans une nouvelle forme de
gouvernance qui tend favoriser une logique dautocontrle du secteur priv et
faire des entreprises des acteurs volontairement engags dans la protection de
lenvironnement. En Amrique du Nord, les gouvernements ont mis en place une
grande varit de programmes, notamment les SGE, pour favoriser lobservation
volontaire de la lgislation, la divulgation des non-conformits, lautovaluation des
entreprises ou encore lamlioration des performances environnementales par la
signature dententes de rduction des missions. Ces programmes proposent des
incitatifs aux entreprises, allant du marketing vert lallgement des contrles
rglementaires, en passant par la protection de la confidentialit des informations,
jusqu loctroi dune immunit de poursuite pour les infractions volontairement
divulgues.
1 Organisation internationale de normalisation, The ISO Survey of Certifications, 2006 (2007)
la p. 9, en ligne : Organisation internationale de normalisation
2 Organisation internationale de normalisation, Systmes de management environnemental :
exigences et lignes directrices pour son utilisation, 2e d., Genve, 2004 [Norme ISO 14001].
[Vol. 53
les autorits publiques responsables de
MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE MCGILL
652
Pour les gouvernements, lutilisation des SGE comme outils de rgulation de
lenvironnement apparat comme un moyen de rduire les cots associs lapproche
rglementaire traditionnelle fonde sur lapplication de la loi et de responsabiliser
davantage
les organisations en matire de qualit environnementale et de
dveloppement durable. Pour les entreprises, cette mthode de rgulation offre plus
de marge de manuvre dans la prise en compte des enjeux environnementaux et
renforce la pertinence dutiliser les SGE comme moyen de rpondre aux pressions
externes provenant, en particulier, des gouvernements.
Le dveloppement de ces nouvelles formes dintervention de ltat dans les
politiques de lenvironnement soulve beaucoup dintrt, mais aussi des questions
fondamentales qui ne sont pas toujours prises en compte dans les politiques publiques
intgrant les SGE. Reposant sur une dmarche gnralement volontaire et sur des
systmes aux exigences souvent lastiques, la prsence dun SGE conduit-elle
ncessairement un plus grand respect de la rglementation et une amlioration
continue des performances environnementales ? Cela suppose, entre autres choses,
que les rsultats des entreprises soient disponibles et fiables afin de pouvoir tre pris
en compte par
la rglementation
environnementale et par les bnficiaires de cette rglementation, savoir les
membres du public. De fait, les rsultats dune telle dmarche dpendent, dans une
large mesure, de la faon dont ces instruments sont mis en place et sont suivis par les
autorits publiques.
Selon la typologie des moyens dintervention de ltat distinguant les instruments
rglementaires, conomiques et volontaires, les SGE entrent dans la dernire
catgorie, regroupant lensemble des dispositifs en vertu desquels des entreprises
sengagent amliorer leur performance environnementale de faon dpasser ou
respecter les exigences lgales3. Les mesures volontaires se prsentent sous diverses
formes et espces : lautorglementation, les codes de conduite, les chartes, les
ententes, etc. LOrganisation de coopration et de dveloppement conomiques
(OCDE) retient trois sous-catgories de mesures volontaires, savoir les programmes
publics volontaires, les accords ngocis volontaires et les engagements unilatraux4.
Les SGE sont prsents dans chacune dentre elles. Dans
la politique
environnementale, les mesures volontaires et le renouvellement des formes de
3 Voir Organisation de coopration et de dveloppement conomiques, Les approches volontaires
dans les politiques de lenvironnement : analyse et valuation, Paris, Organisation de coopration et
de dveloppement conomiques, 1999 la p. 147 [OCDE, Analyse et valuation]. Voir aussi la
typologie de Evert Vedung qui introduit les mesures volontaires dans une catgorie plus large, celle de
linformation (Policy Instruments: Typologies and Theories dans Marie-Louise Bemelmans-Videc,
Ray C. Rist et Evert Vedung, Carrots, Sticks & Sermons: Policy Instruments and Their Evaluation,
New Brunswick (N.J.), Transaction, 1998 aux pp. 21-58).
4 Voir Vedung, ibid. aux pp. 16-19. Voir aussi Organisation de coopration et de dveloppement
conomiques, Les approches volontaires dans les politiques de lenvironnement : efficacit et
combinaison avec dautres instruments dintervention, Paris, Organisation de coopration et de
dveloppement conomiques, 2003 aux pp. 20-21 [OCDE, Efficacit et combinaison].
2008] HALLEY ET BOIRAL SYSTMES DE GESTION ENVIRONNEMENTALE 653
laction publique font lobjet de beaucoup dattention et une littrature abondante
sintresse actuellement lclatement du pouvoir normatif, au phnomne de
contractualisation de laction publique, au pluralisme juridique, lefficacit
conomique du droit ou encore la nouvelle gouvernance. Cet article ne propose pas
une rflexion gnrale sur les mesures volontaires, mais sattarde plutt sur
lmergence dun seul type de mesures volontaires, soit les SGE, et examine son
introduction dans les politiques publiques de lenvironnement au Canada.
Aussi, lobjectif du prsent article est danalyser le recours croissant aux SGE par
les entits administratives charges de la protection de lenvironnement, en sarrtant
sur les raisons qui motivent ces choix ainsi que sur leurs rles et fonctions dans les
politiques publiques et le rgime juridique de lenvironnement et du dveloppement
durable. Cette analyse sera ralise sous langle de la gestion des organisations et de
la rgulation environnementale et retiendra, plus particulirement, la norme ISO
14001, qui constitue, de loin, le SGE le plus utilis par les organisations. Dans un
premier temps, afin de mettre en lumire lintrt des SGE pour les entits prives et
publiques, nous prciserons les origines et raison dtre des SGE (I). Dans un second
temps, lutilisation croissante des SGE dans les politiques publiques, en particulier en
Amrique du Nord, sera expose et illustre par divers exemples (II). Le rle des SGE
dans
rglementaire et des performances
environnementales sera considr partir des principales tudes quant ses impacts
dans les organisations certifies. Enfin, les limites de la normalisation actuelle des
SGE comme instrument de rgulation environnementale seront discutes (III).
lamlioration de
la conformit
I. volution de lintrt priv et public pour les systmes de
gestion environnementale
Lintrt des entreprises et des gouvernements pour les SGE reflte la recherche
dune prise en compte globale, volontaire et systmatique des enjeux cologiques par
les organisations. Pour rpondre cet objectif, la plupart des SGE proposent un cadre
plus ou moins structur pour dvelopper et appliquer une politique environnementale
intgrant les principaux enjeux cologiques des organisations. Ainsi, selon la norme
ISO 14001, un SGE se dfinit comme tant
[la] composante du systme de management dun organisme […] utilise pour
dvelopper et mettre en uvre sa politique environnementale […] et grer ses
aspects environnementaux […] Un systme de management comprend la
structure organisationnelle, les activits de planification, les responsabilits, les
pratiques, les procdures […], les procds et les ressources5.
De prime abord, cette dfinition trs gnrale peut englober une grande varit de
systmes de gestion provenant de diffrents types dacteurs : gestionnaires,
organisations modles, organismes professionnels ou plurisectoriels, institutions
5 Norme ISO 14001, supra note 2, art. 3(8).
[Vol. 53
MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE MCGILL
654
nationales, organismes internationaux6. De faon gnrale, malgr leur apparente
diversit, les SGE rpondent en ralit des objectifs assez similaires et reposent
gnralement sur des pratiques de gestion comparables. Cependant, les exigences
plus spcifiques de ces systmes peuvent varier et tre destines des secteurs
particuliers. Par exemple, le programme Gestion Responsable7, qui tait, jusquau
dbut des annes 1990, un des SGE les plus utiliss, repose sur six codes de bonne
conduite destins principalement lindustrie chimique et visant contrler les
produits depuis leur cration jusqu leur destruction. Les principes Ceres, parfois
appels principes de Valdez, dvelopps par la Coalition for Environmentally
Responsible Economies (Ceres), reposent en revanche sur un SGE plus gnral et
moins technique8.
Devant la multiplication des SGE, les gouvernements ont dans un premier temps
mis en place des normes nationales dfinissant la nature et les principales
caractristiques de ces systmes. Cest
le cas par exemple des normes
environnementales publies par lAssociation canadienne de normalisation9 ou la
British Standard Institute10. Si ces normes nationales sont trs similaires, lexistence
de plusieurs systmes concurrents peut prter confusion et tre utilise comme une
barrire lentre de certains marchs.
Cest principalement pour favoriser la mise en place dun langage commun et
pour favoriser les changes internationaux que lOrganisation internationale de
normalisation a lanc, en 1996, la norme ISO 14001. En raison de son caractre
international, de sa trs large reconnaissance et de lexistence dun processus de
certification se voulant rigoureux, cette norme sest assez rapidement substitue aux
SGE locaux ou sectoriels existants. Ainsi, partir de la fin des annes 1990, la norme
ISO 14001 est devenue le modle de rfrence dans la plupart des pays et des secteurs
dactivits, si bien que le concept de SGE est parfois implicitement associ cette
norme. La majorit des politiques publiques sur les SGE et des tudes sur la question
est dailleurs aujourdhui centre sur la norme ISO 14001, qui a eu un impact
similaire au rfrentiel ISO 9001 dans le domaine de lassurance qualit. De fait, si
les SGE ne peuvent se rduire cette norme, le systme ISO 14001 demeure au
6 Sur ces divers types de SGE et leur dveloppement, voir Olivier Boiral, Environnement et gestion :
de la prvention la mobilisation, Qubec, Presses de lUniversit Laval, 2007 aux pp. 69-73 [Boiral,
Environnement et gestion].
7 Association canadienne des fabricants de produits chimiques, Gestion responsable, en
ligne : Association canadienne des fabricants de produits chimiques
8 Coalition for Environmentally Responsible Economies, Ceres Principles, en ligne : Ceres
9 Association canadienne de normalisation, Environnement, en ligne : Association canadienne de
normalisation
10 British Standard Institute, Environmental Management, en ligne : British Standard Institute
2008] HALLEY ET BOIRAL SYSTMES DE GESTION ENVIRONNEMENTALE 655
centre des dbats sur lutilisation doutils de gestion volontaires dans la rgulation de
lenvironnement.
Cependant, avant danalyser les impacts de cette norme et des SGE en gnral
dans les politiques publiques sur lenvironnement, il est essentiel de comprendre
lorigine de ces systmes et les raisons qui expliquent leur rle croissant, tant pour les
entreprises (A) que pour les gouvernements (B).
A. Origines et raison dtre des SGE pour les entreprises
Lintrt croissant des entreprises pour les SGE se rsume quatre catgories de
motifs interdpendants, qui se sont manifests graduellement travers laggravation
de la crise cologique et le dploiement de la responsabilit environnementale des
entreprises : rpondre aux exigences rglementaires et financires, dmontrer la
conduite diligente, renforcer la lgitimit sociale de lorganisation et amliorer les
pratiques et les performances organisationnelles.
Les SGE ont fait leur apparition dans les annes 1970, aprs ladoption des
premires lois environnementales imposant de nouvelles obligations aux entreprises
polluantes. Sinspirant des pratiques anciennes de laudit financier, les entreprises ont
alors dvelopp des systmes de vrification et de gestion interne axs sur la
conformit la lgislation et le contrle des impacts ngatifs de leurs activits pour
lenvironnement11. Lobjectif principal des organisations tait alors de rassurer les
institutions financires au sujet des questions relatives
la responsabilit
environnementale et la valeur des actifs. En effet, cest dans un contexte de
durcissement de la lgislation environnementale amricaine et de son application que
sest dveloppe la pratique, chez les investisseurs, de procder une vrification
environnementale des activits polluantes et de requrir des engagements de
conformit avant de conclure une transaction avec une entreprise assujettie la
lgislation environnementale. La mise en place dun SGE et la rptition des audits
de vrification du systme rpondent ainsi au besoin de prvenir les contraventions
la loi et de communiquer aux investisseurs, actionnaires, prteurs, assureurs, locateurs
et autres partenaires de lentreprise ltat de conformit environnementale de leurs
activits12. Dans cette logique, les possibilits de poursuites judiciaires contre
lentreprise et ses dirigeants ainsi que celles de dprciation des actifs exercent un
11 Voir Felicity N. Edwards, dir., Environmental Auditing: The Challenge of the 1990s, Banff
(Alta.), Banff Centre for Management, 1992 ; lizabeth Giroux, Lentreprise et
laudit
environnemental : perspectives de dveloppement national et international dans les secteurs de
lenvironnement et du commerce (1997) 38 C. de D. 71 aux pp. 73-74.
12 Voir Nola Buhr, The Environmental Audit : Who Needs It? (1991) 55 Business Quarterly 27 ;
Caroline London, Environnement et stratgie de lentreprise : dix concepts clefs, Rennes, Apoge,
1993 la p. 50 ; Groupe de travail de la Chambre de commerce international sur les audits
denvironnement, Audit denvironnement, Paris, ICC, 1988 au no 468.
[Vol. 53
MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE MCGILL
656
rle dissuasif non ngligeable sur lentreprise. De fait, ces risques tendent renforcer
la mise en place de SGE bien documents, crdibles et capables de les prvenir.
La seconde raison ayant favoris lintroduction des SGE dcoule directement de
la premire. En pratique, le souci de veiller la conformit et la sant financire de
lentreprise emporte avec lui la preuve documente des actes poss en matire
denvironnement. La documentation produite par un SGE en fait un instrument de
gestion interne bien adapt pour soutenir en justice une dfense de conduite diligente.
En effet, la mise en place dun SGE, sa vrification priodique et le suivi de ses
recommandations reprsentent autant dlments de preuve susceptibles de dmontrer
que lorganisation, ses dirigeants et ses administrateurs ont adopt une conduite
exempte de faute ou de ngligence dans le respect de la loi. De nombreuses tudes
montrent que sil est bien appliqu, un SGE peut aider lorganisation prvenir la
pollution, vrifier et amliorer ses mthodes et se dfendre contre des poursuites
pnales et civiles en dommages et en injonction13.
En effet, la mise en uvre dun SGE repose sur le principe crire ce quon fait,
faire ce quon crit. Par exemple, la norme ISO 14001 exige une dfinition prcise
des rles et des responsabilits au sein de lorganisation par rapport aux pratiques de
gestion environnementale. Ainsi, les dirigeants sont gnralement responsables de la
dfinition de la politique environnementale, de la mise en uvre des moyens pour
atteindre les objectifs et de sa rvision priodique. La documentation de ces aspects
tant une des exigences de la norme ISO 14001, il est alors plus facile de dmontrer
comment lentreprise et ses dirigeants conduisent les activits polluantes, en plus de
simplifier ltaiement dune dfense de diligence raisonnable.
Lintrt pour les attributs des SGE sest galement intensifi avec la crise
environnementale et loccurrence dvnements catastrophiques ayant hypothqu la
confiance et la lgitimit de certaines entreprises et secteurs dactivits, tels que le
naufrage de lExxon-Valdez et lexplosion de lusine de pesticides de Bhopal. Aussi,
la troisime catgorie de motifs favorisant ladoption dun SGE dans les organisations
est-elle lie la ncessit de restaurer la confiance du public et des diffrentes parties
prenantes quant leur participation la rsolution des enjeux environnementaux. Par
13 Voir par ex. Commission de coopration environnementale, Les mesures volontaires visant
lobservation de la lgislation sur lenvironnement : un examen et une analyse des initiatives nords-
amricaines, en ligne : (1998) 1 Le droit et les politiques de lenvironnement en Amrique du Nord 1
aux pp. 115-120
volontaires] ; Dianne Saxe, Voluntary Compliance: How Can Regulators Make It Work? (1997) 5
Environmental Liability 79 la p. 80 ; Paule Halley, La vrification environnementale : rflexions
sur lmergence des modes dautorgulation (1999) 40 C. de D. 621 la p. 637 ; John Swaigen,
Regulatory Offences in Canada : Liability & Defences, Toronto, Carswell, 1992 aux pp. 132-37 ;
Laurence Boy, La valeur juridique de la normalisation dans Jean Clam et Gilles Martin, dir., Les
transformations de la rgulation juridique, t. 5, Paris, Librairie gnrale de droit et de jurisprudence,
1998, 183 aux pp. 186-90 ; Grard Farjat, Nouvelles rflexions sur les codes de conduite prive
dans Jean Clam et Gilles Martin, Les transformations de la rgulation juridique, t. 5, Paris, Librairie
gnrale de droit et de jurisprudence, 1998, 151 aux pp. 161-64.
2008] HALLEY ET BOIRAL SYSTMES DE GESTION ENVIRONNEMENTALE 657
exemple, la crise de Bhopal, survenue en 1984, a contribu la mise en place du
programme Gestion Responsable14. De fait, partir des annes 1980, soit avant
lavnement de la norme ISO 14001, ce SGE sest rapidement rpandu dans
lindustrie chimique. Comme lexplique lun des fondateurs de ce programme :
Laccident de Bhopal avait plac lindustrie chimique, jusque-l relativement
discrte, sur la sellette : les citoyens ont commenc craindre quun dsastre
semblable ne se produise dans leur propre voisinage. […] Refuser de reconnatre
les proccupations du public et de poser des gestes en consquence peut
dtruire la crdibilit sociale dune industrie et hypothquer son avenir en
lexposant des rglementations ventuellement coteuses et inefficaces15.
Ainsi, les SGE comme le programme Gestion Responsable ou la norme ISO
14001 entendent restaurer la crdibilit sociale environnementale des organisations,
promouvoir la lgitimit16 de leurs pratiques et viter un retour une logique
coercitive17.
Enfin, les SGE reprsentent galement des opportunits conomiques pour les
entreprises. Ainsi, la norme ISO 14001 peut constituer un outil de slection des
fournisseurs et se diffuser travers les relations clients-fournisseurs ou de sous-
traitance. Ces relations commerciales sont dailleurs prises en compte par la norme
ISO 14001, qui stipule que les organisations doivent faire un examen des pratiques
et des procdures environnementales existantes, y compris celles associes aux achats
et aux activits sous-traites18. Pour simplifier cet examen, les organisations tendent
demander leurs fournisseurs et sous-traitants dadopter galement le systme ISO
14001, lequel peut ainsi devenir une exigence de base pour accder certains
marchs. De faon plus gnrale, la mise en uvre des SGE est souvent associe
14 Pour lhistorique du programme, voir Arthur OConnor, Poser les bons gestes : lhistoire de la
gestion responsable, en ligne : Association canadienne des fabricants de produits chimiques
15 Voir Jean M. Blanger, Lindustrie chimique canadienne redore son blason (1992) 7
codcision 48 la p. 49.
16 Une organisation est lgitime lorsque ses activits sont conformes aux attentes gnrales de ses
principales parties prenantes, ainsi quaux normes, valeurs et croyances qui prdominent dans une
socit donne. Ainsi, les SGE amliorent lapparence de lgitimit des organisations parce quils
traduisent leur engagement volontaire se conformer des exigences environnementales perues
comme pertinentes, voire essentielles la promotion dun dveloppement durable. Cet engagement
nest cependant pas crdible pour tous les acteurs sociaux et ne reflte la responsabilit sociale de
lorganisation que dans la mesure o il se traduit par des actions ou des amliorations relles,
lesquelles chappent souvent aux perceptions sociales externes. Pour une analyse de la dfinition, du
rle et des principales dimensions de la lgitimit des organisations, voir notamment Brad Long et
Cathy Driscoll, Codes of Ethics and the Pursuit of Organizational Legitimacy: Theorical and
Empirical Contributions (2007) 77 Journal of Business Ethics 173.
17 Voir Ruihua Joy Jiang et Pratima Bansal, Seeing the Need for ISO 14001 (2003) 40 Journal of
Management Studies 1047 la p. 1050 ; Olivier Boiral, Corporate Greening through ISO 14001: A
Rational Myth? (2007) 18 Organization Science 127 [Boiral, Corporate Greening].
18 Norme ISO 14001, supra note 2, ann. A, art. A1.
[Vol. 53
MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE MCGILL
658
une perspective dite gagnant-gagnant de la relation entre environnement et
conomie. Indpendamment des pressions commerciales, un des objectifs de la norme
ISO 14001 est dailleurs daider les organismes atteindre leurs objectifs
environnementaux et conomiques19. De nombreux travaux ont confirm cette
logique gagnant-gagnant en montrant que les actions environnementales ont
souvent un impact positif sur la comptitivit, linnovation technologique ainsi que
sur les performances gnrales des entreprises20.
La logique gagnant-gagnant est gnralement associe la promotion des
interventions prventives et la mise en place de solutions remdiant aux problmes
environnementaux21. En effet,
les actions environnementales des entreprises
industrielles ont longtemps repos sur des technologies palliatives de traitement des
contaminants. Ces technologies, souvent coteuses, ne visaient pas la rduction de la
pollution la source. Quant aux SGE, ils favorisent la mise en place de mesures
prventives en amenant les gestionnaires mettre en uvre des politiques, des
programmes et des pratiques reposant sur des principes de gestion et non plus
seulement sur des quipements techniques. Afin de rpondre cet objectif, les SGE
proposent une structure pour ordonner et systmatiser les principaux lments dune
politique environnementale.
En dfinitive, la recherche de bnfices conomiques et lamlioration des
pratiques par linstauration de SGE de type ISO 14001 reprsentent les principales
motivations la mise en uvre de ces systmes.
B. Le rle croissant des SGE dans les politiques publiques
partir des annes 1990, les SGE ne sont plus seulement promus par les acteurs
conomiques tenants des approches volontaires, mais galement par les acteurs
publics la recherche de nouveaux instruments pour complter, voire renouveler,
leurs interventions dans le secteur de lenvironnement et promouvoir lamlioration
continue des performances environnementales des organisations.
19 Ibid. la p. v.
20 Voir Paul Shrivastava, The Role of Corporations in Achieving Ecological Sustainability (1995)
20 Academy of Management Review 936 ; Michael E. Porter et Claas van der Linde, Toward a New
Conception of the Environment-Competitiveness Relationship (1995) 9 The Journal of Economic
Perspectives 97 ; Meena Chavan, An Appraisal of Environment Management Systems: A
Competitive Advantage for Small Businesses (2005) 16 Management of Environmental Quality
444 ; Boiral, Environnement et gestion, supra note 6 la p. 56.
21 Voir Stuart L. Hart, A Natural-Resource-Based View of the Firm (1995) 20 Academy of
Management Review 986 ; Richard Florida, Lean and Green: The Move to Environmentally
Conscious Manufacturing (1996) 39 California Management Review 80 ; Olivier Boiral, The
Impact of Operator Involvement in Pollution Reduction: Case Studies in Canadian Chemical
Companies (2005) 14 Business Strategy and the Environment 339 la p. 342.
2008] HALLEY ET BOIRAL SYSTMES DE GESTION ENVIRONNEMENTALE 659
En Amrique du Nord, la promotion des mesures volontaires et la croissance des
SGE ont largement profit du mouvement de rforme des approches rglementaires
de ltat. En ce sens, en 1993, ladministration Clinton entreprit un programme de
modernisation de ladministration publique fdrale amricaine. Ce programme, le
National Partnership for Reinventing Government, mit laccent sur la rduction de la
rglementation et des dpenses de ltat ainsi que sur de meilleurs services pour le
client22. Comme la soulign Andrew Hoffman, il y avait dj eu des efforts au sein de
lAgence de protection de lenvironnement (EPA) amricaine afin de dvelopper des
politiques publiques de concert avec les entreprises23.
Le mme phnomne fut observ au Canada. Sinspirant des travaux de Neil
Gunningham et Peter Grabosky24, le gouvernement fdral canadien entreprit lui aussi
de moderniser ses interventions, notamment en matire rglementaire, au moyen de
son programme de rglementation intelligente25. La littrature souligne que la
multiplication des accords volontaires
tendant se substituer aux normes
rglementaires et aux contrles dapplication traditionnels sinscrit galement dans la
logique de drglementation et de promotion dententes ngocies avec lindustrie26.
cette poque, une importante doctrine alimente le dbat entre lefficacit
relative des instruments rglementaires et la nouvelle gamme dinstruments
conomiques et volontaires la disposition des autorits publiques27. Dun point de
22 Voir .-U., History of the National Partnership for Reinventing Government: Accomplishments,
19932000 (12 janvier 2001), en ligne : CyberCemetery
voir aussi Richard H. Pildes et Cass R. Sunstein, Reinventing the Regulatory State (1995) 62 U.
Chicago L. Rev. 1.
23 Andrew J. Hoffman, Institutional Evolution and Change: Environmentalism and the U.S.
Chemical Industry (1999) 42 Academy of Management Journal 351 la p. 362.
24 Neil Gunningham, Peter Grabosky et Darren Sinclair, Smart Regulation: Designing
Environmental Policy, Oxford, Clarendon Press, 1998 aux pp. 11, 15, 37-91. La rglementation
intelligente combine des interventions gouvernementales slectives un ventail de solutions de
march et dordonnancements publics et privs pour capter des ressources externes au secteur public
dans lintrt des politiques publiques. En thorie, la rglementation intelligente nexigerait pas
davantage de ressources gouvernementales, mais apporterait un degr accru dinnovation, de
flexibilit rglementaire et de rendement. Elle promet ainsi une meilleure performance
environnementale un prix acceptable aux entreprises et aux communauts. Voir aussi Mark S.
Winfield, Governance and the Environment in Canada from Regulatory Renaissance to Smart
Regulation (2007) 17 J. Envtl. L. & Prac. 69.
25 Canada, Comit consultatif externe sur la rglementation intelligente, La rglementation
intelligente : une stratgie rglementaire pour le Canada, Ottawa, Bureau du Conseil Priv, 2004
[Canada, Rglementation intelligente]. Voir aussi Canada, Directive du Cabinet sur la rationalisation
de la rglementation (novembre 2007), en ligne : Gouvernement du Canada
26 Voir Thomas P. Lyon, Green Firms Bearing Gifts (2003) 26 Regulation 36.
27 Voir Maureen L. Cropper et Wallace E. Oates, Environmental Economics: A Survey (1992) 30
Journal of Economic Literature 675. Voir aussi Corinne Gendron, Le dveloppement durable comme
compromis : la modernisation cologique de lconomie lre de la mondialisation, Qubec, Presses
la
[Vol. 53
flexibles quant
MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE MCGILL
660
vue conomique, ces nouveaux instruments apparaissent plus efficaces, car ils
sappuient sur le principe du pollueur-payeur et ont des objectifs plus dynamiques. Ils
sont galement plus
faon datteindre un objectif
environnemental, car les agents conomiques sont les mieux placs pour le faire
moindre cot. En outre, ils rduisent les cots administratifs et de contrle par leurs
effets autorgulateurs28.
Dans ce contexte, les tenants des approches volontaires font valoir que la mise en
uvre des SGE de type ISO 14001 favorise le respect de la rglementation
environnementale. Mme si encore peu dtudes concernant les impacts de la
certification sur le respect de la rglementation ont t menes jusqu prsent,
ltude de Matthew Potoski et Aseem Prakash, ralise auprs de 3700 usines
amricaines, indique que la certification ISO 14001 tend amliorer la conformit
avec la rglementation29. De plus, les usines certifies seraient plus rapides que les
autres se conformer la rglementation concernant les missions atmosphriques.
Ce constat semble confirmer que la norme permet un meilleur suivi de la
rglementation et quen cas de non-conformit, les organisations certifies ragissent
de faon plus nergique que les autres. En Core du Sud, ltude mene par Dong-
Myung Kwon et ses collgues auprs de 138 entreprises locales a galement montr
que les organisations certifies ISO 14001 avaient moins tendance enfreindre la
rglementation que les autres30.
Les administrations publiques nord-amricaines charges dassurer la protection
de lenvironnement ont t sensibles aux liens existant entre les SGE et la norme
juridique de diligence raisonnable ainsi qu ses fonctions utiles pour atteindre les
objectifs publics de protection environnementale moindre cot. Aujourdhui, des
organisations rgionales, des lgislatures et des gouvernements nord-amricains font
la promotion des SGE. Lobjectif est double : il sagit damliorer la conformit la
lgislation environnementale aux frais des entreprises et dencourager lamlioration
des performances environnementales au-del des exigences rglementaires.
de lUniversit du Qubec, 2006 aux pp. 18-27; Pierre Issalys, Figures et avenir de la
drglementation (1999) 1:2 thique publique 83 aux pp. 83-84.
28 Voir Richard B. Stewart, Economics, Environment and the Limits of Legal Control (1985) 9
Harv. Envtl. L. Rev. 1 aux pp. 7-10 ; Bruce A. Ackerman et Richard B. Stewart, Reforming
Environmental Law (1985) 37 Stan. L. Rev. 1333 aux pp. 1342-1346 ; Gilles Grolleau, Naoufel
Mzoughi et Luc Thibaut, Les instruments volontaires : un nouveau mode de rgulation de
lenvironnement ? (2004) R.I.D. Econ. 461 la p. 475.
29 Matthew Potoski et Aseem Prakash, Green Clubs and Voluntary Governance: ISO 14001 and
Firms Regulatory Compliance (2005) 49 American Journal of Political Science 235.
30 Dong-Myung Kwon, Min-Seok Seo et Yong-Chil Seo, A Study of Compliance with
Environmental Regulations of ISO 14001 Certified Companies in Korea (2002) 65 Journal of
Environmental Management 347.
2008] HALLEY ET BOIRAL SYSTMES DE GESTION ENVIRONNEMENTALE 661
Cest le cas de lAccord nord-amricain de coopration dans le domaine de
lenvironnement31 adopt par le Canada, le Mexique et les tats-Unis afin de
complter les dispositions de lAccord de libre-change nord-amricain32 relatives
lenvironnement. LANACDE fait la promotion des mesures volontaires dans le choix
des politiques environnementales efficaces. En effet, larticle 5 prvoit que pour
parvenir des niveaux levs de protection environnementale et dobservation de la
rglementation environnementale, chacun des pays sengage en assurer
lapplication efficace en mettant en uvre des mesures gouvernementales
appropries. Parmi ces mesures, on retrouve lobtention dengagements volontaires
et daccords dobservation; la diffusion dinformation touchant la non-observation; la
promotion des vrifications environnementales; lobligation de tenir des dossiers et
de produire des rapports33.
La Commission de coopration environnementale (CCE), cre en application de
lANACDE, fait elle aussi la promotion des SGE. Publi en 2000, son guide
dorientation Amliorer la performance environnementale et la conformit la
lgislation sur lenvironnement : dix lments pour les systmes efficaces de gestion
de lenvironnement exprime, pour la premire fois, les vues conjointes des
gouvernements des trois pays sur les avantages tant internes quexternes des SGE,
soit des avantages commerciaux pour le secteur industriel et [une] protection accrue
de lenvironnement pour tous34. Dans ce document, ce qui retient davantage
lattention est toutefois la promotion des SGE comme instruments utiles de politiques
publiques. Aussi, le guide nest pas seulement destin aux organisations la
recherche dun SGE capable damliorer leurs relations avec leurs partenaires
conomiques, mais aussi celles cherchant amliorer leurs relations avec les
collectivits locales et les gouvernements35. Deux avantages externes des SGE
dominent lappui accord par les trois gouvernements :
Dans ce document, les gouvernements se penchent sur deux objectifs : la
conformit aux lois sur lenvironnement et la performance environnementale
31 Accord nord-amricain de coopration dans le domaine de lenvironnement entre le
gouvernement du Canada, le gouvernement des tats-Unis dAmrique et le gouvernement des tats-
Unis du Mexique, 14 septembre 1993, 32 I.L.M. 1480 (entre en vigueur : 1er janvier 1994)
[ANACDE].
32 Accord de libre-change nord-amricain entre le gouvernement du Canada, le gouvernement des
tats-Unis et le gouvernement du Mexique, 17 dcembre 1992, R.T. Can. 1994 n2, 32 I.L.M. 289
(entre en vigueur : 1er janvier 1994) [ALNA].
33 ANACDE, supra note 31, art. 5.
34 Commission de coopration environnementale, Guide dorientation Amliorer la performance
environnementale et la conformit la lgislation sur lenvironnement : dix lments pour des
systmes efficaces de gestion de
lenvironnement, Montral, Commission de coopration
environnementale, 2000 la p. 1 [CCE, Guide dorientation].
35 Ibid. la p. 1.
662
MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE MCGILL
[Vol. 53
qui va au-del du simple respect des lois dans les secteurs rglements et non
rglements36.
Cette approche favorable aux mesures volontaires est galement associe au courant
de pense alliant les actions des entreprises au projet de dveloppement durable,
lequel entend trouver un quilibre entre les enjeux conomiques, sociaux et
environnementaux. Il nest donc pas tonnant de noter que le programme Action 21
des Nations Unies en matire de dveloppement durable fait lui aussi la promotion
des SGE son chapitre 3037.
Au Canada, la lgislation environnementale et les pratiques administratives
sassociant aux organisations dotes dun SGE offrent un large spectre dexemples
allant de la simple valorisation des conduites exemplaires aux ententes dautocontrle
confiant les tches de vrification de la conformit et damlioration des
performances environnementales aux organisations dotes dun SGE. Les pratiques
sont aussi varies : elles ont cours de manire informelle en marge de la loi ou dans le
cadre de programmes officiels, mais elles ne sont que rarement encadres par la loi et
les habilitations des autorits publiques rguler ainsi lenvironnement ne sont pas
claires. Aussi, les diffrents SGE utiliss dans les organisations ne forment pas une
catgorie uniforme et ne possdent pas tous les mmes attributs juridiques.
Actuellement, certains de ces SGE sont obligatoires, mais la plupart sont facultatifs et
entrent dans la catgorie des mesures volontaires.
La catgorie des SGE rendus obligatoires par leffet de la loi correspond aux
hypothses classiques de rception de la normalisation dans le droit national : par
renvoi dans la rglementation des normes techniques de SGE, telles que la norme
ISO 14001, par
judiciaires et
administratives imposer une norme reconnue de SGE et par lapplication obligatoire
de normes de SGE dans les marchs publics. Bien que les exemples tendent se
multiplier en droit canadien, cette dernire catgorie demeure encore peu
importante38. Par exemple, loccasion de la rvision de la Loi canadienne sur la
lattribution dhabilitations
rglementaires,
36 Ibid. la p. 2.
37 Voir notamment les para. 30.3, 30.14 et 30.26 du Chapitre 30 dans Action 21 : Confrence des
Nations Unies sur lenvironnement et le dveloppement, Rapport de la Confrence des Nations Unies
sur lenvironnement et le dveloppement, Rio de Janeiro, 314 juin 1992, Doc. off. Confrence des
Nations Unies sur lenvironnement et le dveloppement, Annexe IIAction 21, Doc. NU
A/CONF.151/26/Rev.1 (Vol. I) (1993) la p. 411.
38 Le droit provincial offre galement plusieurs exemples. Au Qubec, la Loi modifiant la Loi sur le
ministre de lEnvironnement, la Loi sur la qualit de lenvironnement et dautres dispositions
lgislatives, attribue le pouvoir rglementaire dexempter, des frais relatifs aux cots des mesures de
contrle et de surveillance, les administrs ayant mis en place un systme de gestion de
lenvironnement rpondant une norme qubcoise, canadienne ou internationale reconnue (L.Q.
2004, c. 24, art. 4(1)). Toutefois, aucune exemption na t introduite dans le Rglement sur le tarif
permettant de dterminer les cots dchantillonnage, danalyse, dinspection ou denqute faisant
partie des frais dune poursuite civile ou pnale intente pour lapplication de la Loi sur la qualit de
lenvironnement (R.Q. c. Q-2, r. 23.2).
intervenir
La seconde catgorie de mesures administratives faisant
2008] HALLEY ET BOIRAL SYSTMES DE GESTION ENVIRONNEMENTALE 663
protection de lenvironnement, le Parlement a retenu que la mise en place dun
systme de gestion de lenvironnement rpondant une norme canadienne ou
internationale est un facteur que le tribunal doit prendre en considration lors de la
dtermination de la peine39. Le Parlement a galement accord au tribunal le pouvoir
dordonner un contrevenant de mettre en place un SGE en sus de toutes autres
peines40. Aussi, des tribunaux canadiens imposent maintenant des entreprises ayant
contrevenu la lgislation environnementale lobligation de se doter dun systme de
gestion environnementale certifi ISO 1400141. Soulignons que dans ces exemples,
lobligation lgale vise lobtention de la certification demande et non la
dmonstration du respect de la rglementation.
les
organisations dotes de SGE couvre lensemble plus large et diversifi des mesures
dites volontaires. Il sagit de la catgorie principale, que le SGE soit certifi ou non.
Malgr leur caractre facultatif, la mise en place dun SGE, comme celui de la norme
ISO 14001, est considre par les administrations publiques comme un moyen
dinciter et de favoriser une dmarche dautorgulation encourageant la conformit
la loi. Dans cette catgorie de mesures administratives, les cas de figure sont fort
varis et lensemble demeure flou : tantt il est question dun programme ou dune
directive rendu public et tantt dune simple pratique administrative connue
linterne.
Pour les entreprises, le passage par les gouvernements dune approche
prescriptive la promotion de partenariats environnementaux volontaires offre
plusieurs avantages. Dune part, lentreprise apparat dsormais comme un partenaire
dans un nouveau mode de gouvernance o les contraintes rglementaires ne sont pas
imposes unilatralement, mais dfinies et appliques de faon concerte, ce qui
favorise les solutions les plus efficaces pour elle. Dautre part, les approches
volontaires tendent accrotre la marge de manuvre des organisations en limitant
les contrles rglementaires, qui peuvent savrer coteux grer et ventuellement
compromettants pour
les dirigeants. Enfin, ces approches permettent aux
organisations dapparatre comme de bons citoyens corporatifs et de mnager leur
image. Vues ainsi, les actions environnementales ne dcoulant plus uniquement des
pressions rglementaires peuvent tre associes des initiatives refltant la
responsabilit sociale des entreprises et de leurs dirigeants.
39 L.C. 1999, c. 33, art. 287(c).
40 Ibid., art. 291(c).
41 R. v. Prospec Chemicals Ltd. (1996), 19 C.E.L.R. (N.S.) 178 (Alta. Prov. Ct.) ; R. v. Calgary (Ville
de) (2001), 272 A.R. 161, 35 C.E.L.R. (N.S.) 253 (Alta. Prov. Ct.). Ces deux dcisions ont t prises
en vertu du Environmental Protection and Enhancement Act (S.A. 1992, c. E-13.3, art. 220(1), abr. par
R.S.A. 2000, c. E-12, art. 234(1)).
[Vol. 53
MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE MCGILL
664
II. Les SGE dans les politiques publiques de lenvironnement :
vers une amlioration de la conformit rglementaire et des
performances environnementales ?
En Amrique du Nord, lintrt des administrations publiques pour les SGE se
reflte dans le renouvellement des stratgies dlaboration et dapplication de la loi
annonant une rduction des inspections et du contrle des entreprises dotes dun
SGE afin dallouer ces ressources dautres priorits. En tmoigne laccroissement
du nombre de programmes, politiques, directives, normes lgislatives et pratiques
administratives prcisant les appuis des gouvernements envers les SGE des
entreprises.
Aux tats-Unis, les pratiques dapplication de la loi font maintenant une large
place aux mesures dobservation volontaire impliquant des SGE, cest–dire aux
programmes et
rglementation,
damlioration de lenvironnement ou encore de substitution de normes. Par exemple,
lEPA sest dote de plusieurs dizaines de programmes de mesures volontaires pour
les industries au cours des dernires annes42. Plus particulirement, elle lana en
1999 son programme Aiming for Excellence : Actions to Encourage Stewardship and
Accelerate Environmental Progress, qui encourage les organisations se doter dun
SGE43. En 2001, ltat du Connecticut formalisa dans une loi, An Act Concerning
Exemplary Environmental Management Systems44, lutilisation des SGE et les
privilges offerts aux organisations dotes dun SGE reconnu, notamment un
allgement des procdures administratives et une rduction des frais et des rapports
priodiques.
Au Canada, les mesures volontaires occupent galement une place importante
dans les rformes rglementaires et les politiques dapplication de la loi45. Par
initiatives volontaires de conformit
la
42 Pour des programmes de mesures volontaires pour les industries de lEPA, voir .-U.,
Environmental Protection Agency, Partnership Programs: List of Programs, en
ligne :
Environmental Protection Agency
varis commencrent essaimer ds 1986, avec la premire politique de lEPA sur lutilisation des
rapports daudit. Voir Karry A. Johnson et Bertram C. Frey, Environmental Auditing Since EPAs
1986 Audit Policy, en ligne : Environmental Protection Agency
lautovaluation et la divulgation des cas de non-conformit la loi en change dune rduction de la
gravit des accusations. Voir .-U., Department of Justice, Factors in Decisions on Criminal
Prosecutions for Environmental Violations in the Context of Significant Voluntary Compliance or
Disclosure Efforts by the Violator, en ligne : United States Department of Justice
43 .-U., Environmental Protection Agency, Aiming for Excellence: Actions to Encourage
Stewardship and Accelerate Environmental Progress, Washington (D.C.), Environmental Protection
Agency, 1999.
44 Conn. Gen. Stat. 22a-6y (2001).
45 Voir les diffrents programmes canadiens recenss dans CCE, Mesures volontaires, supra note
13 aux pp. 27-152.
la
lgislation et, au-del,
2008] HALLEY ET BOIRAL SYSTMES DE GESTION ENVIRONNEMENTALE 665
exemple, en 2002, Environnement Canada se dota dune politique-cadre relative aux
ententes sur la performance environnementale46. Quant aux provinces de lAlberta et
de lOntario, elles rendirent publics, respectivement en 2005 et 2004, des
programmes offrant des avantages administratifs et rglementaires aux organisations
les plus performantes, soit EnviroVista47 et Chefs de file environnementaux de
lOntario48.
Ces exemples dintervention publique ont en commun de recourir moins
frquemment aux moyens traditionnels dapplication de la loi, de privilgier une
application flexible, voire un inflchissement, de la rglementation dans le but
dinciter les organisations rglementes adopter des mesures favorisant la
conformit
lamlioration des performances
environnementales. Les administrations publiques y voient aussi une manire de
rduire les cots dapplication de la rglementation, de lallger et mme de
llaborer.
Lintroduction des mesures volontaires dans les politiques publiques, notamment
celles fondes sur des SGE, suscite beaucoup dintrt et dattentes en matire de
renouvellement des modes dintervention de
la protection de
lenvironnement49. Ces interventions, plus consensuelles, fourniraient ltat
loccasion de repenser le cadre et la nature de ses rapports, non seulement avec les
personnes rglementes, mais avec lensemble des justiciables. Elles autorisent la
participation des personnes intresses et du public, en plus dtre associes lide
dune gestion plus moderne, efficace et dmocratique des affaires publiques, par
contraste avec les actes unilatraux associs lide dun tat bureaucrate et
autoritaire.
Par ailleurs, larrimage de la normalisation prive des entreprises en matire de
gestion environnementale avec les politiques publiques soulve des interrogations
quant leur rle dans la rgulation de lenvironnement et la promotion du
dveloppement durable. Nous verrons que les attentes des administrations publiques
quant aux SGE des entreprises sont importantes en matire de rduction des cots et
ltat dans
46 Environnement Canada, Politique-cadre
la performance
environnementale (fvrier 2008), en ligne : Environnement Canada
relative aux ententes sur
47 Alberta Environment, EnviroVista, en ligne : Alberta Environment
48 Ontario, ministre de lEnvironnement, Chefs de file environnementaux de lOntario, en ligne :
ministre de lEnvironnement
49 Voir par ex. Franois Rangeon, Contrat et dcentralisation : de nouvelles formes de rgulation au
plan local dans Jean Clam et Gilles Martin, dir., Les transformations de la rgulation juridique, t. 5,
Paris, Librairie gnrale de droit et de jurisprudence, 1998, 321 ; Issalys, supra note 27 ; James
Hartshorn, Better Government: The Value of Environmental Management Systems in Achieving
Policy Objectives (2003) 12 J. Envtl. L. & Prac. 99 aux pp. 115-27.
MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE MCGILL
666
de respect de la conformit (A), de substitution la rglementation environnementale
(B) et damlioration continue (C), alors que les SGE noffrent que des garanties
relatives.
[Vol. 53
A. Les SGE, des conomies et une conformit la rglementation
relatives
Dans ltat actuel de normalisation des SGE, lintrt des administrations
publiques charges de la politique environnementale pour les entreprises dotes dun
SGE se fonde sur deux hypothses principales. La premire vise la rduction des
cots de mise en uvre et de contrle de la rglementation supports par ltat en les
transfrant vers les organisations. La seconde hypothse sous-entend que la mise en
place des SGE favorise les dmarches dautorgulation conformes la loi, voire le
dpassement des exigences de la rglementation environnementale.
Sur le plan des cots administratifs de la politique environnementale, la littrature
institutionnelle et acadmique soutient que les mesures volontaires permettent de
rpartir les cots associs aux activits de suivi et de contrle de la rglementation50.
En pratique, lefficience conomique recherche parat toutefois devoir tre
nuance51. Tout dabord, mme si les administrations publiques peuvent rduire
lintensit de leurs activits dapplication, elles ne peuvent se retirer compltement
des activits de contrle des engagements consentis par les organisations dotes dun
SGE sans nuire lefficacit de la rglementation environnementale et lintgration
des SGE dans les politiques publiques. Ensuite, les administrations publiques ne
peuvent rduire lintensit des activits de contrle de la conformit la
rglementation si les informations produites par les organisations dotes dun SGE,
dans le cadre dun programme de conformit, ne sont pas disponibles, accessibles ou
fiables. Nous verrons que la conception des programmes de conformit peut tre
lacunaire en matire dinformation. Enfin, compte tenu des privilges accords ces
organisations, les autorits publiques devront vrifier priodiquement si elles
administrent efficacement la rglementation environnementale en se fondant sur ces
mesures volontaires. Les autorits publiques devront galement rendre compte des
rsultats obtenus. Vue ainsi, la rduction des cots pour les administrations publiques
ne peut tre que partielle52.
50 Pour une revue critique de la littrature sur lefficience conomique des SGE la fois pour les
entreprises et le rgulateur, voir Maia David, Les approches volontaires comme instruments de
rgulation environnementale (2003) 19 Revue franaise dconomie 227 aux pp. 238 et s.
51 Voir OCDE, Analyse et valuation, supra note 3 la p. 139 ; OCDE, Efficacit et combinaison,
supra note 4 aux pp. 13, 16 ; Grolleau, Mzoughi et Thibaut, supra note 28 aux pp. 474-76.
52 Voir OCDE, Efficacit et combinaison, ibid. la p. 16 ([s]i lon consacre trop peu de ressources
leur prparation, leur ngociation et leur application, les incidences environnementales risquent
dtre trs limites).
2008] HALLEY ET BOIRAL SYSTMES DE GESTION ENVIRONNEMENTALE 667
Lhypothse voulant que la prsence dun SGE amliore la conformit la
rglementation suscite elle aussi des interrogations. Si certaines tudes ont montr
que la certification ISO 14001 a effectivement contribu amliorer les performances
environnementales53, dautres recherches ont remis en cause lefficacit de cette
norme pour rduire les impacts environnementaux54. Par exemple, dans son tude
effectue auprs de trente-sept usines qubcoises de ptes et papiers, Philippe Barla
a montr que les tablissements certifis navaient pas obtenu de meilleures
performances que les autres55. Pour certains indicateurs environnementaux, comme la
demande biologique en oxygne (DBO5), les usines certifies avaient mme obtenu
de moins bonnes performances que celles qui navaient pas adopt la norme ISO
14001.
Les conclusions de ces tudes sur les impacts de la norme ISO 14001 en matire
de conformit rglementaire demeurent, certes, prliminaires et incompltes. Dune
part, les relations positives entre ladoption de la norme et lamlioration des
performances ou encore entre ladoption de la norme et le respect des normes
rglementaires peuvent reflter une propension accrue des organisations les plus
vertes adopter la norme. Dans ce contexte, ce nest peut-tre pas la norme qui
amliore les performances environnementales des organisations, mais le fait que
lorganisation tait au dpart plus verte, plus motive et mieux gre, ce qui rend
ladoption de la norme plus probable. Dautre part, les recherches sur la question
demeurent encore peu nombreuses et leurs rsultats trop divergents pour tirer des
conclusions sur les impacts rels de la prsence dun SGE, mme certifi. Enfin, la
plupart des tudes sur ce thme sont bases sur des approches quantitatives qui ne
permettent pas dapprofondir tous les effets de la certification. En outre, ces tudes
reposent le plus souvent sur lattitude de gestionnaires qui, par leur fonction, ont
tendance avoir une vision plutt optimiste des systmes de gestion mis en uvre et
dont ils ont la responsabilit.
53 Voir Steven A. Melnyk, Robert P. Sroufe et Roger Calantone, Assessing the Impact of
Environmental Management Systems on Corporate and Environmental Performance (2003) 21
Journal of Operations Management 329 ; K. F. Pun et I. K. Hui, An Analytical Hierarchy Process
Assessment of the ISO 14001 Environmental Management System (2001) 12 Integrated
Manufacturing Systems 333 aux pp. 341, 343 ; Goh Eng Ann, Suhaiza Zailani et Nabsiah Abd Wahid,
A Study on the Impact of Environmental Management System (EMS) Certification Towards Firms
Performance in Malaysia (2006) 17 Management of Environmental Quality 73 ; Eric W. Welch,
Ashish Rana et Yasuhumi Mori, The Promises and Pitfalls of ISO 14001 for Competitiveness and
Sustainability (2003) 44 Greener Management International 59.
54 Voir Jiang et Bansal, supra note 17; Boiral, Corporate Greening, supra note 17.
55 Philippe Barla, ISO 14001 Certification and Environmental Performance in Quebecs Pulp and
Paper Industry, en ligne : (2005) 05-03 Cahiers de recherche GREEN 1
668
MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE MCGILL
[Vol. 53
B. Les SGE, un complment et non un substitut la rglementation
environnementale
La principale question souleve par la popularit croissante des SGE normaliss,
certifis ou non, demeure leur valeur juridique. La rponse ne peut tre que nuance
en raison de la complexit des relations quentretiennent les mesures volontaires avec
la rglementation environnementale.
Les SGE, comme celui de la norme ISO 14001, sont des normes prives de
gestion environnementale des activits de dveloppement conomique. Ils ne fixent
aucune norme dmission ou de qualit de lenvironnement, mais prcisent plutt les
moyens de connatre et de respecter la rglementation ce sujet. Cest en effet la
responsabilit de ltat ddicter les normes de qualit de lenvironnement dans ses
lois et rglements. De nombreuses tudes ont conclu que les SGE des entreprises ne
peuvent, eux seuls, constituer une alternative efficace la rglementation
environnementale56. Ainsi compris, les SGE reprsentent davantage un complment
quun substitut cette dernire.
Les normes rglementaires de protection environnementale demeurent nanmoins
au cur des SGE. Ainsi, lintroduction de la norme ISO 14001 nonce que la mise en
uvre de ce systme permet un organisme de dvelopper et de mettre en uvre
une politique et des objectifs qui prennent en compte les exigences lgales et les
informations relatives aux aspects environnementaux significatifs57. Selon cette
norme, la mise en place de la politique environnementale doit galement comporter
un engagement de conformit aux exigences lgales applicables et autres
exigences58. De faon plus spcifique, la norme prcise :
Lorganisme doit tablir et tenir jour une (des) procdure(s) pour identifier et
avoir accs aux exigences lgales applicables et aux autres exigences
applicables auxquelles
lorganisme a souscrit relatives ses aspects
environnementaux, et dterminer comment ces exigences sappliquent ses
aspects environnementaux. Lorganisme doit sassurer que ces exigences
lgales applicables et autres exigences applicables auxquelles lorganisme a
souscrit sont prises en compte dans ltablissement, la mise en uvre et la tenue
jour de son systme de management environnemental59.
Lorganisation certifie ISO 14001 est donc tenue de prendre en compte les exigences
lgales dans sa politique, dans la dfinition de ses objectifs, dans ses programmes et
dans ses systmes de contrle. De plus, la norme prescrit aux organisations de mettre
56 Voir CCE, Mesures volontaires, supra note 13 aux pp. 121-29 ; Hartshorn, supra note 49 aux
pp. 108-11 ; David, supra note 50 aux pp. 238 et s. ; Alastair R. Lucas, Voluntary Initiatives for
Greenhouse Gas Reduction: The Legal Implications (2000) 10 J. Envtl. L. & Prac. 89 aux pp. 93-96 ;
Halley, supra note 13 la p. 635 ; Saxe, supra note 13 la p. 81 ; Darren Sinclair, Self-Regulation
Versus Command and Control? Beyond False Dichotomies (1997) 19 Law and Poly 529.
57 Norme ISO 14001, supra note 2 la p. v.
58 Ibid., art. 4.2.
59 Ibid., art. 4.3.2.
lorganisation et
2008] HALLEY ET BOIRAL SYSTMES DE GESTION ENVIRONNEMENTALE 669
en uvre et [de] tenir jour une (des) procdure(s) pour valuer priodiquement sa
conformit aux exigences lgales applicables60. Lorganisation doit donc vrifier et
documenter la conformit de ses activits son engagement de respecter les
exigences lgales. Cela suppose que les carts ventuels entre les performances
environnementales de
les exigences rglementaires soient
documents et que des mesures correctives soient prises. Enfin, la revue de direction
prcise que les dirigeants doivent priodiquement examiner le SGE en vrifiant
notamment la conformit aux exigences lgales ainsi que le suivi des plaintes61.
Lobjectif de respecter la rglementation environnementale est donc explicitement
retenu par certains SGE, comme celui de la norme ISO 14001.
Toutefois, bien que lobjectif de conformit la rglementation soit fondamental,
la mise en place dun SGE, mme certifi ISO 14001, ne garantit pas que
lorganisation respectera les normes rglementaires. En effet, il ne sagit pas dune
condition ncessaire ou pralable la certification ni son renouvellement. La
certification vise plutt assurer que lorganisation certifie possde un systme de
gestion des activits, produits et services susceptibles davoir un impact sur
lenvironnement (transport, procds, dchets, etc.) et que les normes lgales
applicables sont clairement identifies, documentes et prises en compte par
lorganisation. La certification sert aussi identifier et corriger les cas de non-
conformit, sans pour autant garantir que les mesures correctrices prises sont
adquates sur le plan de la conformit la lgislation environnementale. Outre les
exigences lgales, la norme stipule aussi que lorganisation doit prendre en compte
dautres exigences, telles que des accords conclus avec des autorits publiques, des
clients ou des organisations non-gouvernementales, des codes de conduite
volontaires, etc. Ces autres exigences sont traites de la mme faon que les
normes rglementaires, auxquelles
la norme ISO 14001 naccorde aucune
prsance62.
Plusieurs tudes ont soulign que sil est bien appliqu, un SGE, certifi ou non,
peut aider une entreprise tayer une dfense de diligence raisonnable dans le cas
dune infraction la lgislation environnementale et obtenir un acquittement en
dmontrant
lorganisation face ses obligations
environnementales63. En effet, lexamen des dcisions judiciaires montre que les
SGE, certifis ou non, peuvent tre considrs comme une traduction de la diligence
raisonnable, une rgle de lart ou de savoir-faire lors dun procs concernant la
responsabilit civile ou pnale dune organisation. Toutefois, devant les instances
judiciaires, la prsence dun SGE ne garantit pas que lorganisation sera acquitte. En
la conduite diligente de
60 Ibid., art. 4.5.2.1.
61 Ibid., art. 4.6.
62 Voir par ex. ibid., art. 4.3.2.
63 Voir par ex. CCE, Mesures volontaires, supra note 13 aux pp. 115-20 ; Saxe, supra note 13 la
p. 80 ; Halley, supra note 13 la p. 637 ; Swaigen, supra note 13 aux pp. 132-37 ; Boy, supra note 13
aux pp. 186-90 ; Farjat, supra note 13 aux pp. 161-64.
[Vol. 53
MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE MCGILL
670
effet, lvaluation de la conduite demeure une question de fait laisse lapprciation
du tribunal et chaque cas est jug son mrite.
Au Canada, la dcision judiciaire la plus connue demeure laffaire R. v. Bata
Industries Ltd64. Par leffet de ce jugement, la socit Bata, le prsident de sa division
canadienne et le directeur de lusine de Batawa furent condamns pour leur
ngligence dans la gestion de matires dangereuses, notamment pour ne pas avoir
respect les normes internes de gestion des matires dangereuses contenues dans la
Technical Advisory Circular 298 (TAC 298) et ne pas avoir supervis son application.
Seul le prsident de la multinationale de la chaussure, Thomas G. Bata, fut acquitt
pour avoir mis et supervis lapplication de la circulaire TAC 298, avoir confi la
gestion de lusine de Batawa une personne exprimente et avoir allou, par le
pass, des ressources financires pour rsoudre des problmes environnementaux. On
dnombre dautres dcisions judiciaires o le respect dun SGE ou dune pratique
industrielle a donn lieu des acquittements en raison de la preuve de la diligence
raisonnable exerce65. Dans R. v. Stora Forest Industries Ltd., le SGE permit
lentreprise dintervenir adquatement lors dun dversement dhydrocarbures et
dtre acquitte pour sa conduite diligente. ce sujet, le tribunal souligna :
[T]he Supervisor who found the leak […] knew the equipment, knew what to do
to stop the leak, and did so immediately. Hed been instructed what to do in the
event of any oil spill and he did that. […]
Stora, through its management, has given environmental concerns a high
profile in its operations and has attempted to convey to its employees the need
for them to act with those concerns in mind66.
Par ailleurs, les dcisions recenses soulignent galement que le simple fait
davoir mis en place un SGE ne suffit pas dmontrer la conduite diligente face des
incidents prcis survenus dans lexercice des activits rglementes. Dans R. v.
MacMillan Bloedel Ltd, lentreprise fut condamne car elle navait pas communiqu
dinstructions adquates ses prposs ni mis en place de procdure pour prvenir et
contenir les dversements accidentels de soude caustique67. Le tribunal souligna
clairement la porte relative de la mise en place dun SGE :
64 (1992), 9 O.R. (3e) 329, 7 C.E.L.R. (N.S.) 245 (Div. gn. Ont.), sentences modifies en appel par
(1993), 11 C.E.L.R. (N.S.) 208 (Div. gn. Ont.) et (1996), 18 C.E.L.R. (N.S.) 11 (C.A. Ont.).
65 Voir R. v. TNT Canada (25 juin 1992), Ontario 092/231/064 (Off. Ct.) (concluant que le systme
mis en place visait adquatement le chargement et le transport des matires dangereuses, la formation
des prposs et la supervision des mesures) ; R. v. Placer Dome Canada Ltd. (30 juillet 1997), Ontario
098/021/107 (Off. Ct.) (jugeant raisonnables la prsence dun SGE dtaill et rgulirement audit et
la mise en uvre des activits recommandes).
66 [1993] N.S.J. No. 330 aux para. 31-32 (C. Prov. N.-.) (QL).
67 R. v. MacMillan Bloedel Ltd. (1993), 12 C.E.L.R. (N.S.) 230, 21 W.C.B. (2e) 554 (Ont. Ct. J.
(Prov. Div.)), conf. par (1995) 17 C.E.L.R. (N.S.) 67 (Ont. C.A.) [avec renvois aux C.E.L.R.] (une
valve laisse ouverte par accident causa le rejet de 20 000 litres de soude caustique dans une rivire ;
lamende fut augmente de 2000$ 25 000$).
2008] HALLEY ET BOIRAL SYSTMES DE GESTION ENVIRONNEMENTALE 671
The defence argued that it had an environmental policy which was posted in the
mill and this was evidence of due diligence. I cannot agree. At best, a posted
environmental policy was only a statement of good intentions. It made for good
public relations but provided no guideline or instructions to prevent the escape
of caustic soda from holding tanks. Again, spill reporting precautions are
concerned with procedures after an accident but are not concerned with
preventing an accident68.
Lorganisation doit aller plus loin que de se doter dun SGE si elle veut obtenir un
acquittement. Elle doit dmontrer que le SGE fonctionne bien et met en uvre toutes
les mesures de diligence requises pour prvenir les risques ou les dfaillances
technologiques lorigine des infractions reproches. Aussi, des organisations
possdant des SGE ont t condamnes en raison de leur gestion de certains risques
particuliers juge inadquate en matire de communication interne, de formation du
personnel ou de prvention des risques69.
En rsum, la seule prsence dun SGE, certifi ou non, noffre aucune garantie
aux autorits publiques que lorganisation respecte la lgislation environnementale au
moment de la certification ou tout autre moment. Des initiatives rcentes tentent de
parer aux difficults souleves par les effets relatifs des SGE en matire de
conformit en limitant laccs aux avantages de flexibilit rglementaire aux seules
organisations exemplaires. Cest le cas du programme EnviroVista de lAlberta, qui
accorde la reconnaissance de leader ou de champion aux seules organisations
dotes dun SGE et capables de dmontrer un taux de conformit certaines normes
rglementaires de lordre de 99,5 pourcent et plus, en plus dafficher un rapport de
conformit sans aucune accusation provinciale, ordonnance, pnalit administrative
ou lettre davertissement au cours des cinq dernires annes70. En 2007, vingt-quatre
entreprises albertaines taient qualifies de leader et une seule de champion.
Le programme Chefs de file environnementaux de lOntario est lui aussi rserv
aux organisations dotes dun SGE ayant dnonc toutes les poursuites touchant
lenvironnement au cours des cinq dernires annes, dmontr un tat de conformit
gnral et dpos un engagement de conformit sign par un officier suprieur de
lorganisation. Le ministre de lEnvironnement conduit une vrification interne, des
68 Ibid. la p. 238.
69 Voir R. v. Toronto Electric Commissioners (1991), 6 C.E.L.R. (N.S.) 301, 12 W.C.B. (2e) 222
(Ont. Ct. J. (Gen. Div.)) [Toronto Electric Commissioners] (jugeant le SGE inadquat car lquipe
dinspection ignorait la prsence de BPC dans des quipements identifis comme ayant des fuites) ; R.
v. Queens University at Kingston (1997), 25 C.E.L.R. (N.S.) 310, 36 W.C.B. (2e) 170 (Ont. Ct. J.
(Prov. Div.)) (malgr la rputation de leader de cette universit dans la gestion des matires
rsiduelles, son SGE tait insuffisant compte tenu de lomission danalyser les matires rsiduelles
susceptibles de contenir des huiles contamines aux BPC) ; Qubec (P.G.) c. Domtar (30 mai 1995),
Saint-Franois 450-36-000007-956, J.E. 95-1357 (C.S.) aux pp. 6, 20-23.
70 Alberta Environment, EnviroVista Leaders Guide, 2006 aux pp. 1-2, en ligne : Alberta
Environment
MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE MCGILL
672
entretiens avec le personnel de lorganisation et des recherches avant daccorder le
titre de chef de file et ses privilges une organisation71. En 2007, lOntario avait
accord ce titre quatre organisations, dont un hpital et deux associations
industrielles.
[Vol. 53
C. Lamlioration des performances environnementales, un objectif
flou des SGE
Lintrt des gouvernements pour les SGE sexplique en partie par la perception
que la mise en place de ce type de systme aide les entreprises amliorer de manire
continue leurs performances environnementales, et cela, au-del des exigences
lgales72. En pratique, leffet itratif des SGE de type ISO 14001 permet une
organisation de mettre en place des moyens pour amliorer ses procds, produits et
services ayant un impact environnemental au-del des exigences tablies dans les lois
et les rglements dans ce domaine. Lobjectif damlioration des performances rend
les mesures volontaires fondes sur un SGE des plus intressantes pour la politique
environnementale, car les organisations dsireuses de bnficier des avantages de la
flexibilit rglementaire offrent alors davantage en contrepartie que la simple
promesse de se conformer la loi, obligation laquelle elles sont dj tenues73.
Toutefois, dans ltat actuel de la normalisation des SGE, cet objectif de rgulation
environnementale mrite dtre comment.
ce sujet, il convient de souligner de quelle manire les SGE prennent en
compte lamlioration des performances. Par exemple, la norme ISO 14001 soutient
dentre de jeu que sa mise en uvre a pour objet damliorer la performance
environnementale74. De fait, il semble a priori raisonnable de supposer que les
organisations certifies sont en mesure de produire de meilleures performances
environnementales et de mieux se conformer la rglementation que les autres.
Dans le systme ISO 14001, lamlioration des performances environnementales
est associe au principe assez large damlioration continue, dfini comme tant un
processus rcurrent denrichissement du SGE afin dobtenir des amliorations de la
performance environnementale globale en cohrence avec
la politique
environnementale de lorganisme75. Le systme ISO 14001 ne garantit pas ni ne vise
directement lamlioration des performances environnementales, mais propose plutt
des moyens qui, en principe, devraient y contribuer. Contrairement aux exigences
71 Ontario, Ministry of the Environment, A Framework for Ontarios Environmental Leaders
Program, 2004 la p. 5, en ligne : Ministry of the Environment
72 Voir CCE, Guide dorientation, supra note 34 la p. 2.
73 Sur ce que lentreprise peut offrir en contrepartie, voir CCE, Mesures volontaires, supra note 13
aux pp. 48-51.
74 Norme ISO 14001, supra note 2, ann. A, art. A7.
75 Ibid., art. 3.2.
2008] HALLEY ET BOIRAL SYSTMES DE GESTION ENVIRONNEMENTALE 673
lgales, lamlioration des performances environnementales nest pas lobjet dun
article particulier de la norme ISO 14001. Elle est cependant voque dans plusieurs
de ses articles.
Ainsi, lintroduction de la norme nonce que le systme ISO 14001 permet
lorganisation de prendre les actions ncessaires pour amliorer sa performance.
Elle prcise toutefois que la norme
ntablit pas dexigences absolues en matire de performance environnementale
[…] Ainsi, deux organismes effectuant des oprations similaires mais ayant des
performances environnementales diffrentes peuvent tre tous deux conformes
aux exigences de la prsente norme internationale76.
De plus, le domaine dapplication de la norme prcise que cette dernire ninstaure
pas en elle-mme de critres spcifiques de performance environnementale. En
dautres termes, la norme ne propose pas dobjectifs atteindre ou de critres
respecter, laissant aux organisations la libert de dfinir ces lments77. Finalement, la
surveillance et le mesurage du systme indiquent que lorganisation doit mettre en
place des procdures pour surveiller et mesurer rgulirement les principales
caractristiques de ses oprations qui peuvent avoir un impact environnemental
significatif. Ces procdures doivent galement permettre un suivi de la
performance78.
Dans ce contexte, lamlioration des performances, linstar du respect des
exigences lgales, nest pas une exigence formelle. Elle dpend de la faon dont
lorganisation met en uvre son SGE, des engagements consentis et des moyens mis
au service de la rduction des impacts ngatifs des activits sur le milieu naturel. Par
consquent, pour promouvoir les SGE comme instruments damlioration des
performances au-del de la rglementation, les pratiques administratives doivent
formaliser cet objectif ainsi que les modalits de suivi et de reddition de compte avant
daccorder des privilges une organisation dote dun SGE.
Les programmes EnviroVista de lAlberta et Chefs de file environnementaux de
lOntario ont
lobjectif damlioration continue des performances
environnementales et formalis sa reddition de compte. En Alberta, cet objectif est
uniquement rserv au niveau suprieur du programme, le niveau champion, qui a
comme un de ses critres le continuous improvement actions related to the emission
targets and to the reduction in the use of resources and to reuse, recycling, and
reductions of non-regulated waste streams79. En 2007, Alberta Envirofuels tait la
introduit
76 Ibid. aux pp. v, vii.
77 Ibid., art. 1.
78 Ibid., art. 4.5.1.
79 Voir Alberta Environment, Guide for the EnviroVista Champion Level, 2007 la p. 3, en ligne :
Alberta
lenvironnement.
Environment
MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE MCGILL
674
seule organisation enregistre comme champion. Dans une entente crite rendue
publique et valide pendant dix ans, cette organisation sest engage rduire ses
matires rsiduelles, recycler, dcharger ses eaux uses contenant des traces
dalcool tertiaire de butanol dans un rseau de traitement des eaux au lieu de les
rejeter la rivire, rparer les quipements mettant plus de 500 parties par million
de composs organiques volatiles, amliorer son efficacit nergtique et
dvelopper et tudier les possibilits damlioration de lefficacit des quipements
industriels identifis80. Par ailleurs, le programme ontarien est lui aussi rserv aux
organisations qui sengagent dpasser les exigences des lois environnementales
relatives lutilisation ou lmission de substances pralablement identifies
comme prioritaires81. Quant lobjectif de rguler ainsi lenvironnement, le
programme ontarien est particulirement clair : Ontarios Environmental Leaders
Program (OEL) is intended to result in an improved environment, with a long-term
view to establishing new norms of environmental protection82.
Dans les politiques publiques, latteinte des objectifs de rduction des cots, de
conformit la loi et damlioration des performances environnementales demeure
relative. lvidence, lavance apparat se raliser uniquement dans le cadre de
programmes volontaires publics assurant larrimage avec lordre juridique et les
exigences de la participation publique. dfaut de dfinir clairement les objectifs
atteindre et dexercer une surveillance crdible et fiable,
incidences
environnementales de ces mesures volontaires risquent dtre limites. Lexprience
canadienne rvle que le manque dencadrement des pratiques administratives
annonce dautres difficults susceptibles de compromettre leur utilit et leur
pertinence.
[Vol. 53
les
III. Les SGE, un instrument de rgulation de lenvironnement
parfaire
Du point de vue de la politique environnementale et du projet de dveloppement
durable, le recours croissant aux mesures volontaires soulve un certain nombre de
questions touchant lefficacit, leffectivit, la lgalit et le caractre dmocratique de
ces nouveaux instruments dintervention des politiques publiques. Dans une tude
rcente, lOCDE souligne les inconvnients potentiels des mesures volontaires en
termes de dtournement de la rglementation et de resquilleurs, et conclut que
lefficacit environnementale est sujette caution83. Pour maximiser le succs des
mesures fondes sur des SGE, des auteurs et des organisations ont mis en vidence
80 Alberta Environment, EnviroVista Program for Environmental Excellence, Champion Stewardship
Agreement between Alberta and Alberta Envirofuels Inc., 2007 la p. 6, en ligne : Alberta Environment
81 Ontario, Framework, supra note 71 aux pp. 3-4.
82 Ibid. la p. 3.
83 OCDE, Efficacit et combinaison, supra note 4 la p. 14.
2008] HALLEY ET BOIRAL SYSTMES DE GESTION ENVIRONNEMENTALE 675
limportance du rle des autorits publiques dans la formalisation et la normalisation
des pratiques, quil sagisse de la clart des cibles environnementales, des modalits
dexcution et des chances, de la reddition de compte, de la transparence, du
respect des conditions et de lapplication de la loi84. Ces garanties devraient permettre
au public dvaluer la faon dont les gouvernements exercent leurs pouvoirs dans le
secteur de lenvironnement.
Sans prtendre puiser lexamen des impacts des mesures volontaires sur les
politiques environnementales, nous proposons une rflexion sur larrimage difficile
des mesures volontaires avec les autres instruments de la politique environnementale
canadienne. Bien quil faille se garder de gnraliser, lexprience canadienne montre
que lefficacit environnementale et administrative des pratiques actuelles demeure
quivoque. En dehors des mesures volontaires fondes sur des programmes publics,
les administrations publiques sen remettent gnralement la seule bonne volont
des organisations dotes dun SGE. Elles ne se fondent que rarement sur une
habilitation lgislative ou un cadre de rgles visant la conception de mesures
volontaires bien arrimes aux autres instruments de la politique publique. De fait,
linsuffisante formalisation des exigences touchant llaboration et le suivi des
accords ngocis met en cause des principes fondamentaux sur lesquels devrait
reposer laction publique dans le secteur de lenvironnement. En effet, le principal
ressort daction des instruments volontaires dans les politiques publiques fait appel
la disponibilit des informations relatives aux activits des organisations, qui influera
sur leur responsabilit morale et la peur dventuelles sanctions sociales auxquelles
elles sexposeraient en cas de contravention85. De plus, les dclarations publiques
favorables au dveloppement durable concourent aussi voir ltat fonder ses
nouveaux moyens dintervention en conformit avec ces principes cardinaux, dont
celui de linformation et de la participation du public86.
84 Voir ibid. aux pp. 16-17; Linda F. Duncan Enforcement and Compliance dans Elaine L.
Hughes, Alastair R. Lucas et William A. Tilleman, dir., Environmental Law and Policy, 3e d.,
Toronto, Emond Montgomery, 2003, 347 la p. 374 ; Jerry V. DeMarco et Toby Vigod, Smarter
Regulation: The Case for Enforcement and Transparency (2007) 17 J. Envtl. L. & Prac. 85 ; Emily
Walter, Decoding Codes of Practice: Approaches to Regulating the Ecological Impacts of Logging in
British Columbia (2005) 15 J. Envtl. L. & Prac. 143 ; Lucas, supra note 56 ; Paul Muldoon et
Ramani Nadarajah, A Sober Second Look dans Robert B. Gibson, dir., Voluntary Initiatives: The
New Politics of Corporate Greening, Peterborough, Ont., Broadview Press, 1999, 51 ; Kernaghan
Webb, Voluntary Initiatives and the Law dans Gibson, ibid., 32 ; John Moffet et Franois Bregha,
An Overview of Issues with Respect to Voluntary Environmental Agreements (1998) 8 J. Envtl. L.
& Prac. 63 aux pp. 88-93 ; Halley, supra note 13 aux pp. 637-41.
85 Voir OCDE, Efficacit et combinaison, supra note 4 la p. 14.
86 Voir Confrence des Nations Unies sur lenvironnement et le dveloppement, Rapport de la
Confrence des Nations Unies sur lenvironnement et le dveloppement (Rio de Janeiro, 314 juin
1992), Doc. off. Confrence des Nations Unies sur lenvironnement et le dveloppement, Annexe I
Dclaration de Rio sur lenvironnement et le dveloppement, Doc NU A/CONF.151/26/Rev.1 (vol.1)
(1993), principe 10. Le rapport note que
[Vol. 53
respect de
la
MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE MCGILL
676
De faon gnrale, les informations produites par les SGE intressent de
nombreux intervenants externes soucieux de la qualit de lenvironnement dont, en
premier lieu, les personnes touches par la pollution et les autorits publiques
charges dappliquer la lgislation environnementale. En effet, les SGE produisent
des informations sur les dpassements de normes, les causes dun accident, les
modifications apportes pour prvenir sa rptition et les mesures de contrle des
risques et de diligence qui peuvent tre utiles pour tayer une preuve dans des
procdures administratives ou judiciaires entreprises contre lorganisation. De plus,
les gouvernements tant redevables de la faon dont ils exercent leurs pouvoirs, il
serait paradoxal de faire la promotion des SGE et de la certification ISO 14001 dans
les politiques publiques de lenvironnement sans une certaine vrification des
rsultats obtenus. La disponibilit des informations sur les rsultats des organisations
favorise galement une plus grande responsabilisation des organisations et de leurs
dirigeants
rglementation et aux performances
environnementales des entreprises. Du ct du public, laccs aux informations
relatives ltat de lenvironnement conditionne lexercice du droit un
environnement de qualit et la participation au dveloppement durable.
En pratique, la normalisation actuelle des SGE encourage peu la diffusion externe
des informations produites par les organisations (A) et la disponibilit et laccs aux
informations sur ltat de lenvironnement produites par un SGE demeurent assez
limits au Canada (B). Labsence de formalisation des pratiques administratives nuit
laccs et la fiabilit de linformation produite par les organisations dotes dun
SGE ainsi qu la crdibilit des pressions externes et des menaces de sanctions
judiciaires (C).
face au
A. Des communications externes limites et facultatives
Lambigut des relations entre la mise en place dun SGE, tel que la norme ISO
14001, et lamlioration des performances et de la responsabilit environnementale de
lorganisation dcoule en partie de la diversit des objectifs de dpart des dirigeants.
En effet, sils visent lamlioration de limage et de la lgitimit sociale de
lorganisation avant de chercher rduire les impacts cologiques, il est peu probable
[l]a meilleure faon de traiter les questions denvironnement est dassurer la
participation de tous les citoyens concerns, au niveau qui convient. Au niveau
national, chaque individu doit avoir dment accs aux informations relatives
lenvironnement que dtiennent les autorits publiques, y compris aux informations
relatives aux substances et activits dangereuses dans leurs collectivits, et avoir la
possibilit de participer aux processus de prise de dcision. Les tats doivent faciliter et
encourager la sensibilisation et la participation du public en mettant les informations
la disposition de celui-ci. Un accs effectif des actions judiciaires et administratives,
notamment des rparations et des recours, doit tre assur (ibid.).
Voir aussi Convention sur linformation, la participation du public au processus dcisionnel et laccs
la justice en matire denvironnement, 25 juin 1998, 2161 R.T.N.U. 447 (entre en vigueur : 30
octobre 2001).
2008] HALLEY ET BOIRAL SYSTMES DE GESTION ENVIRONNEMENTALE 677
que la mise en uvre dun SGE se traduise par des changements profonds dans les
procds, produits et services ou par des amliorations substantielles pour
lenvironnement. De faon gnrale, la mise en uvre de nouvelles pratiques et de
nouvelles structures dans les organisations rpond souvent un besoin de lgitimit
sociale plus qu un rel souci damliorer les performances87.
Dans ce contexte, les organisations sont portes adopter des pratiques
identiques et normalises surtout pour rpondre aux pressions externes et dmontrer
leur responsabilit sociale. Ainsi, en adoptant la norme ISO 14001, qui repose sur un
systme de gestion trs formalis, les organisations tendent montrer que les enjeux
environnementaux sont effectivement pris en compte de faon rigoureuse et
systmatique et ce, partir dun standard reconnu internationalement. Comme lont
soulign Ruihua Joy Jiang et Pratima Bansal dans leur tude sur la mise en uvre de
la norme ISO 14001 par les entreprises canadiennes de ptes et papiers, la
certification donne surtout une visibilit institutionnelle par rapport des enjeux
environnementaux qui demeurent relativement opaques, en particulier pour le
public88. En effet, les performances environnementales sont difficiles mesurer et
dmontrer publiquement. Dans ce contexte, la certification ISO 14001 permet
damliorer la communication externe en donnant au public et aux autres parties
prenantes des informations sur lengagement environnemental de lorganisation, mais
sans pour autant garantir les effets de cet engagement.
Ce souci de visibilit externe travers la certification ISO 14001 peut galement
contribuer renforcer limputabilit des dirigeants. En effet, ces derniers sont de plus
en plus appels rendre des comptes non seulement sur les aspects financiers et
conomiques, mais galement sur leur engagement en matire de dveloppement
durable89. Les pressions externes par rapport ce type dengagement ne proviennent
pas seulement des groupes environnementaux, des gouvernements et du public, mais
galement des marchs financiers. Ces dernires pressions se refltent, par exemple,
dans limportance croissante des index boursiers relatifs ces questions, comme les
Dow Jones Sustainability Indexes, bass sur une slection dentreprises considres
comme tant des leaders dans le domaine de la responsabilit sociale et
environnementale.
La certification ISO 14001 permet donc aux dirigeants de dmontrer de faon
rationnelle leur engagement environnemental en diffusant, sur les marchs financiers
87 Voir John W. Meyer et Brian Rowan, Institutional Organizations: Formal Structure as Myth and
Ceremony (1977) 83 American Journal of Sociology 340 ; Boiral, Corporate Greening, supra note
17.
88 Jiang et Bansal, supra note 17.
89 Voir Carol A. Adams et Patty McNicholas, Making a Difference: Sustainability Reporting,
Accountability and Organisational Change (2007) 20 Accounting, Auditing & Accountability Journal
382 ; Carol A. Adams et Carlos Larrinaga-Gonzlez, Engaging with Organisations in Pursuit of
Improved Sustainability Accounting and Performance (2007) 20 Accounting, Auditing &
Accountability Journal 333.
[Vol. 53
MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE MCGILL
678
et auprs des autres parties prenantes, des signaux clairement identifiables qui tendent
dmontrer leurs efforts dans ce domaine. Le processus de certification, qui se veut
indpendant, contribue crdibiliser cette dmarche. Ainsi, limage des audits
financiers et de la certification des comptes dune entreprise, la certification ISO
14001 apparat de plus en plus comme un moyen pour les dirigeants de rendre des
comptes auprs de diverses parties prenantes
relativement aux enjeux
environnementaux et au respect des normes rglementaires. En pratique, la
disponibilit, la qualit et laccs aux informations produites par les organisations
dotes dun SGE demeurent limits. En effet, la normalisation actuelle des SGE
encourage peu la diffusion externe des informations produites par les organisations.
Ainsi, les principales exigences en matire de communication externe de la norme
ISO 14001 se limitent des procdures de gestion des demandes daccs
linformation :
recevoir et documenter les demandes pertinentes des parties intresses
externes, et y apporter les rponses correspondantes. Lorganisme doit dcider
sil communique ou pas, en externe, sur ses aspects environnementaux
significatifs, et doit documenter sa dcision. Si lorganisme dcide de
communiquer en externe, il doit tablir et mettre en uvre une (des) mthode(s)
pour cette communication externe90.
Lorganisation certifie ISO 14001 na donc pas dobligation spcifique en matire
dinformation du public, sinon celle de documenter et de rpondre aux demandes
externes. Labsence de prescriptions substantielles ce sujet montre clairement le
caractre priv et relativement opaque de la normalisation des SGE.
B. Un accs limit aux informations environnementales produites
par les SGE
Diffrentes tendances saffrontent au Canada quant la lgitimit de permettre
lusage par des tiers, notamment devant des instances judiciaires, des informations
produites par les SGE. Selon les tenants des mesures volontaires, la divulgation des
informations peut dissuader les entreprises de mettre en place un SGE ou de le
maintenir, malgr ses effets positifs en matire de conformit la rglementation et
pour lenvironnement. Pour dautres, la non-divulgation des informations reprsente
une importante faiblesse des SGE comme instruments de politiques publiques de
lenvironnement et de dveloppement durable. En pratique, nous verrons que la
jurisprudence canadienne autorise lutilisation en preuve des rapports internes de
vrification. Sensibles aux arguments des tenants des mesures volontaires, des
lgislatures et des administrations ont toutefois introduit une varit de mesures pour
limiter lusage de ces informations.
Au Canada, les informations produites linterne, mais exiges par la loi, ne
bnficient pas de privilge en matire de preuve et peuvent tre saisies, rendues
90 Norme ISO 14001, supra note 2, art. 4.4.3.
2008] HALLEY ET BOIRAL SYSTMES DE GESTION ENVIRONNEMENTALE 679
publiques et utilises contre lorganisation les ayant produites. Laccs ces
informations ne porte pas atteinte au droit la protection contre lautoincrimination
protg par la Charte canadienne des droits et liberts91. Par consquent, ltat est
fond de poursuivre en cas de non-conformit en utilisant les informations
communiques par les administrs. De plus, le public aura accs aux informations la
disposition de ltat quant aux missions dune organisation92. Toutefois, le droit
daccs du public est limit lorsque les informations en matire denvironnement ne
sont pas disponibles auprs dun organisme public, mais plutt produites et
conserves par des organisations prives. Ici, le mauvais arrimage avec les exigences
de la dmocratie et du droit de la personne lenvironnement invite mettre
clairement en relation les nouvelles formes de laction tatique et ces exigences
fondamentales.
Lautre hypothse vise laccs du public aux informations qui, sans tre exiges
par la lgislation environnementale, sont requises par un SGE dans le cadre dune
entente ou dun programme de conformit ou de performances environnementales
conclu avec les autorits publiques responsables. Le public naura pas accs aux
informations touchant lenvironnement si les ententes ou programmes ne prvoient
pas de mcanismes de reddition de compte. Quant aux autorits publiques, elles
pourront saisir, en excution dun mandat de perquisition, des documents internes
dune organisation dans la mesure o ils participent la preuve dune infraction
prsume ou de moyens de dfense susceptibles dtre soulevs par le contrevenant,
tels que sa diligence raisonnable93. Dans ce contexte, les documents produits par un
SGE relativement une infraction pourraient tre saisis et produits en preuve.
Des procureurs ont aussi plaid, sans succs, que les informations produites par
une organisation jouissent dun privilge de confidentialit relatif la preuve les
rendant inadmissibles devant une instance judiciaire. Au Canada, la common law ne
retient que de rares privilges en matire de preuve, parmi lesquels ne figurent pas les
informations produites par un systme de gestion interne dune organisation. Malgr
tout, les rsultats des vrifications internes ne sont pas toujours admissibles en
preuve. En effet, le privilge de confidentialit accord aux communications entre un
avocat et son client a t accord des rapports internes de vrification
environnementale ayant t raliss en vue dassister un avocat mandat par
91 Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant lannexe B de la Loi de 1982 sur le
Canada (R.-U.), 1982, c. 11, reproduite dans L.R.C. 1985, app. II, no 44, art. 7, 11(c)(d), 13. Voir
aussi R. c. Fitzpatrick, [1995] 4 R.C.S. 154, 129 D.L.R. (4e) 129.
92 Voir Loi sur la qualit de lenvironnement, L.R.Q. c. Q-2, art. 118.4. Lart. 118.4 dclare : Toute
personne a droit dobtenir du ministre du Dveloppement durable, de lEnvironnement et des Parcs copie
de tout renseignement disponible concernant la quantit, la qualit ou la concentration des contaminants
mis, dgags, rejets ou dposs par une source de contamination ou, concernant la prsence dun
contaminant dans lenvironnement (ibid.).
93 Voir CanadianOxy Chemicals Ltd. c. Canada (P.G.), [1999] 1 R.C.S. 743, 171 D.L.R. (4e) 733.
Voir aussi Alex Couture inc. c. Qubec (Ministre de lEnvironnement) (28 janvier 2003), Qubec,
200-10-001336-028, J.E. 2003-316 (C.A.).
MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE MCGILL
680
lorganisation pour prparer un avis juridique dans un contexte de litige apprhend94.
Soulignons toutefois quen rgle gnrale, le but dun SGE nest pas de produire de la
documentation pour assister un avocat loccasion dun litige et que ces informations
jouissent rarement du privilge avocatclient95. Plus rcemment, un privilge largi
lintrt public a t reconnu pour limiter lusage en preuve de lensemble dun
rapport interne dvaluation tout en autorisant le dpt en preuve des informations
utiles lenqute :
[Vol. 53
A legitimate concern arises that seizing environmental audits of this sort may
have a chilling effect and discourage corporations from undertaking
constructive analysis, criticism and evaluation of the environmental risks
inherent in its operations.
I conclude that an appropriate balance is met by an order requiring Skeena to
disclose portions of the risk assessment documents that relate specifically to the
subject incident described in the search warrant. The balance of those
documents should be kept confidential.96
lutilisation des
informations environnementales produites par
En Amrique du Nord, les lgislatures et les gouvernements ont t sensibles aux
arguments des tenants des mesures volontaires et ont entrepris de prciser et de
limiter
les
organisations de manire ne pas nuire la promotion des pratiques diligentes. Au
Canada, par exemple, les politiques fdrales dapplication de la lgislation
environnementale annoncent que laccs aux informations produites par les SGE ne
sera pas rclam lors des inspections rgulires, mais seulement lors dune enqute et
sous lautorit dun mandat de perquisition97. Dans ce mme but de promouvoir des
pratiques diligentes, des provinces ont
lgislation
environnementale des mesures encourageant la divulgation des situations de non-
conformit en change dune immunit de poursuite accompagne de conditions
respecter quant au rtablissement de la conformit98.
introduit dans
leur
94 Voir McCarthy Ttrault v. Ontario (Ministre de lenvironnement) (1993), 95 D.L.R. (4e) 94, 9
C.E.L.R. (N.S.) 12 (Ont. Ct. J. (Prov. Div.)) ; Canada (A.G.) v. Skeena Cellulose, 2000 BCSC 756, 37
C.E.L.R. (N.S.) 32 (jugeant que les memoranda changs par les prposs de la socit et lavocat et
visant les consquences juridiques dun vnement accidentel sont couverts par le privilge).
95 Ibid. Le rapport interne sur laccident et les mesures correctives nest pas couvert par le privilge
car il na pas t produit dans le but dentreprendre ou de se dfendre dans un litige.
96 Ibid. la p. 41.
97 Voir Environnement Canada, Politique dobservation et dapplication de la Loi canadienne sur la
protection de lenvironnement, 1999, Ottawa, Environnement Canada, 2001 aux pp. 17-18 ;
Environnement Canada, Politique de conformit et dapplication des dispositions de la Loi sur les
pches pour la protection de lhabitat du poisson et la prvention de la pollution, Ottawa,
Environnement Canada, 2001 aux pp. 15-16.
98 Voir Environment Act, S.N.S. 1994-95, c. 1, art. 70. Pour dautres lgislations provinciales qui
encouragent la divulgation des situations de non-conformit, voir Loi sur la qualit de
lenvironnement, supra note 92, art. 116.2-116.4; Loi sur lenvironnement, L.R.Y. 2002, c. 76, art.
158 ; Loi sur la protection de lenvironnement, L.R.O. c. E.19, art. 10.
2008] HALLEY ET BOIRAL SYSTMES DE GESTION ENVIRONNEMENTALE 681
Aux tats-Unis, les mmes tendances saffrontent. Les rapports de conformit ou
dmissions exigs par la loi ny bnficient daucune protection ou privilge en
matire de preuve. Les rapports dvaluation destins lamlioration des
performances peuvent bnficier du privilge de self-evaluation reconnu certains
documents dvaluation interne99. Enfin, depuis 1993, la tendance des interventions
publiques va dans le sens de la rduction de laccs ces informations. Ainsi,
plusieurs tats ont adopt des lois pour rduire lutilisation des informations internes
produites par un SGE100.
Il existe donc un dcalage entre la tendance des autorits publiques rduire
lutilisation des informations pour promouvoir lusage priv des SGE et le caractre
fondamental de linformation pour crdibiliser lusage dans les politiques publiques
des mesures volontaires fondes sur des SGE. Ce dcalage met en vidence la
ncessit dune formalisation des objectifs recherchs, laquelle profiterait
lefficacit de ces instruments dans les politiques publiques.
C. Une formalisation insuffisante des mesures volontaires
Cest au niveau des exigences de transparence et de reddition de compte sur la
faon dont le pouvoir public est exerc que le recours actuel aux SGE dans la
politique environnementale soulve les plus importantes rserves101. Lexprience
canadienne dmontre que lencadrement des pratiques administratives sappuyant sur
des mesures volontaires, notamment des accords ngocis en marge des programmes
publics, est fort ingal. Linconvnient pour le public, bnficiaire des normes de
qualit environnementale, est de voir
la rglementation
environnementale tre inflchies ou contournes en raison de la prsence rassurante
dun SGE, rduisant ainsi lespace rserv au dbat public sur lenvironnement. La
faible part laisse au public dans ce processus de rgulation concorde peu avec le
projet de dveloppement durable promu par la politique environnementale.
Au Canada, ladministration publique a de plus en plus recours aux organisations
dotes de SGE pour raliser les tches de collecter les chantillons, les tests de suivi
de la conformit et lamlioration des performances industrielles102. Toutefois, dans
ltat actuel de la normalisation des SGE, les pratiques prsentent encore des lacunes.
En premier lieu, en labsence dexigences relatives la qualit de linformation, les
les exigences de
99 Voir Bredice v. Doctors Hospital, 50 F.R.D. 249, 14 Fed.R.Serv.2d 759 (D.D.C. 1970), conf. par
479 F.2d 920 (C.A.D.C. 1973). La dcision de principe visait lamlioration des pratiques mdicales
dun hpital par la protection de la critique professionnelle constructive.
100 Voir Craig N. Johnston, An Essay on Environmental Audit Privileges: The Right Problem, the
Wrong Solution (1995) 25 Envtl. L. 335 aux pp. 336-40 ; Giroux, supra note 11 aux pp. 90-91.
101 Voir OCDE, Analyse et valuation, supra note 3 la p. 11. LOCDE note : Du point de vue de
lenvironnement, peu dlments attestent lefficacit des AV qui ne semblent pas inciter fortement
innover et qui peuvent ptir dun manque de crdibilit, en particulier vis–vis du public (ibid.). Voir
aussi David, supra note 50 aux pp. 250 et s.
102 Voir Duncan, supra note 84 la p. 363.
[Vol. 53
MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE MCGILL
682
organisations sont susceptibles de produire des rsultats dont la force probante est
incertaine, donc peu utiles pour tayer la conformit aux exigences lgales et
lamlioration des performances environnementales. En deuxime lieu, le risque est
de voir lobjet de la conformit aux exigences lgales et aux engagements
supplmentaires consentis se dplacer vers le respect de la norme de SGE.
Ces difficults sont illustres dans le dossier factuel ralis par le secrtariat de la
CCE sur la plainte allguant que le Canada omettait, en 2000, dassurer lapplication
efficace de la Loi sur les pches dix usines de ptes et papiers103. Les usines
proccupantes taient soumises des normes rglementaires dmission et des
obligations lgales de les dclarer priodiquement. La majorit des usines taient
alors certifies ISO 14001 ou en voie de ltre, et la politique officielle
dEnvironnement Canada tait de considrer
renseignements quelles
fournissaient comme des preuves utiles devant les instances judiciaires.
Pour lanne 2000, les donnes produites par huit des usines ont fait tat de plus
de quatre-vingts dpassements de la norme pour les matires en suspension, de plus
de quarante dpassements pour la demande biochimique en oxygne et de plus de
cinquante checs de lessai de dtermination de la ltalit aigu sur la truite104.
Environnement Canada avait envoy de nombreux avertissements aprs la rception
des
trois
chantillonnages de leffluent dusines diffrentes et stait appuy sur les contrles
dapplication raliss par les provinces. Pour lensemble des cas de non-conformit
enregistrs en 2000, le rapport factuel relve louverture de seulement deux enqutes
(closes sans suite), deux poursuites pnales entreprises par une province et une
poursuite pnale entreprise par Environnement Canada105.
Le rapport factuel de la CCE fait tat des difficults dapplication de la loi
associes au manque de fiabilit des informations produites par les usines106. Des
reprsentants dEnvironnement Canada avaient jug prfrable de ne pas fonder de
recours uniquement sur des informations produites par des usines, car elles noffraient
les cas de non-conformit, avait ralis
informations
les
touchant
103 Commission de coopration environnementale, Dossier factuel : Communication Ptes et
papiers (SEM-02-003), Montral, Commission de coopration environnementale, 2007 [CCE, Dossier
factuel]. Des ententes ayant court dans le secteur des ptes et papiers furent galement examines par
la Commissaire lenvironnement et au dveloppement durable. Voir Canada, Bureau du vrificateur
gnral du Canada, 1999 Rapport du commissaire lenvironnement et au dveloppement durable,
Ottawa, Bureau du vrificateur gnral, 1999 au chapitre 5.
104 Voir CCE, Dossier factuel, ibid. aux pp. 312-17. Deux usines ne sont pas comptabilises : lusine
Soucy (Qu.), qui tait entirement conforme en 2000, et lusine Irving de Saint-John (N.B.), dont les
informations ne sont pas assez prcises pour lanne 2000.
105 Ibid. aux pp. 315, 318. La fabrique AV Cell, situe au Nouveau-Brunswick, fut poursuivie pour
un rejet deffluents ltalit aigu et condamne une amende de 30 000$. La fabrique Interlake,
situe en Ontario, a plaid coupable six chefs daccusation et fut condamne une amende de
37 500$. Elle a aussi plaid coupable un chef daccusation dpos par Environnement Canada et fut
condamne une amende de 15 000$ (ibid.).
106 Ibid. la p. 109.
2008] HALLEY ET BOIRAL SYSTMES DE GESTION ENVIRONNEMENTALE 683
pas de garanties suffisantes quant au respect des exigences techniques (chane de
possession, laboratoire accrdit, protocole dchantillonnage, mthode danalyse, etc.)
pour en faire de bons chantillons judiciaires107. Puisque la politique dEnvironnement
Canada tait de se fier aux informations produites par les usines, les budgets
dinspection et denqute avaient t rduits en consquence et les cas de non-
conformit dclars par les usines navaient gnralement pas fait lobjet denqute
sur place ni de prlvements dchantillons. En dfinitive, labsence dexigences
claires quant la production des rsultats par les usines a fait perdre Environnement
Canada sa capacit dexercer une menace rglementaire crdible auprs de ces
dernires. De plus, le rapport factuel de la CCE illustre que pour les reprsentants
dEnvironnement Canada, la prsence dun SGE dans une usine se confondait avec la
conduite diligente. Ainsi, les reprsentants dEnvironnement Canada considraient
quil ny avait pas matire poursuite judiciaire si, aprs un dpassement de la
norme, lusine avait agi sans dlai pour remdier la non-conformit, mme
chronique, car ce faisant, elle dmontrait sa diligence raisonnable108.
Cette faon dappliquer la loi tend substituer aux normes rglementaires
applicables une norme de diligence gnrale ou de bonne conduite fonde sur un
SGE priv, dont les exigences et concessions sont ngocies derrire des portes
closes109. Pourtant, la jurisprudence canadienne retient que la prsence dun SGE ne
suffit pas pour tayer une dfense de diligence raisonnable110. Cette forme de
ngociation des normes rglementaires va lencontre des pratiques de consultation
publique quil est ncessaire dutiliser au Qubec depuis 1985 pour les projets de
normes rglementaires111, ces pratiques de consultation publique tant aussi promues
par le dveloppement durable. Enfin, les risques de captation de la politique
environnementale par des intrts particuliers pour retarder ou viter des politiques
plus rigoureuses demeurent inhrents aux processus de ngociations occultes. En
labsence dinformations suffisantes et valides quant au respect des normes
rglementaires, ces pratiques sont quivoques et nuisent la lgitimit des mesures
volontaires dans les politiques de lenvironnement.
Des programmes publics rcents insistent davantage sur la qualit des
informations produites, la transparence des ententes et la participation publique. Par
consquent, ils proposent un meilleur arrimage des mesures volontaires dans la
politique environnementale. En Alberta, le niveau champion du programme
107 Ibid. aux pp. 99-111.
108 Ibid. aux pp. 93-94.
109 Sur leffet normatif des activits dapplication de la loi, voir Linda F. Duncan, Effective
Environmental Enforcement : The Missing Link to Sustainable Development, thse de matrise,
Dalhousie University, 1999 aux pp. 13-18, reproduit dans Duncan, supra note 84 aux pp. 348 et s. ;
Issalys, supra note 27 la p. 86.
110 Voir section II.A.
111 Loi sur les rglements, L.R.Q. c. R.-18.1, art. 8-14, 25-26. Au fdral, voir Canada,
Rglementation intelligente, supra note 25.
[Vol. 53
MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE MCGILL
684
EnviroVista vise lamlioration des performances environnementales en change
dune flexibilit rglementaire et dune dlgation dactivits de suivi de la
conformit. Ce programme reprend les dix lments pour des systmes efficaces de
gestion de lenvironnement du guide dorientation produit par la CCE en 2000112. La
seule entente existante de cogestion et damlioration des performances, signe avec
Alberta Envirofuels, prcise les informations que cette dernire devra enregistrer, les
seuils dmissions et les mthodes danalyse utiliser par un laboratoire accrdit
conformment la norme ISO 17025. En outre, les informations doivent tre
rsumes dans un rapport annuel rendu public113. Le niveau champion nest ouvert
quaux organisations dotes dun SGE ayant fait lobjet dun audit de vrification
dont les rsultats doivent tre disponibles sur demande. Les engagements initiaux des
organisations doivent faire lobjet dune consultation avec les parties prenantes et
dtailler comment et quand les informations sur les progrs raliss seront rendues
publiques, notamment les moyens retenus pour consulter le public114. Lorganisation
doit aussi rapporter les proccupations des tiers et comment elles sont prises en
compte115.
Comme en Alberta, le programme Chefs de file environnementaux de lOntario
nest ouvert quaux organisations dont le SGE est dot de mesures de consultation de
la communaut et dun systme pour rpondre aux demandes du public et pour
linformer des questions importantes relatives leur gestion environnementale116.
Toutefois, le programme de lOntario nimpose pas directement dexigences en
matire de fiabilit de linformation. Il retient plutt des procdures daudit pour
vrifier la qualit des informations produites par les organisations. Ainsi, les rapports
annuels des deuxime et cinquime annes doivent faire lobjet dune vrification par
un auditeur indpendant117. Les organisations reconnues doivent surveiller et dclarer
les missions et les dpassements auprs du ministre de lEnvironnement de
lOntario et rendre ces informations disponibles au public annuellement118.
Conclusion
Au cours des dernires dcennies, on a pu observer un dveloppement rapide des
approches volontaires dans les politiques publiques, considres tantt comme un
substitut, un complment ou un nouveau mode de rgulation de lenvironnement. Nous
avons soulign que les SGE reprsentent des systmes de gestion privs fonds sur des
112 CCE, Guide dorientation, supra note 34 aux pp. 3-7.
113 Alberta, Champion Stewardship Agreement, supra note 80 la p. 4.
114 Alberta, Champion Level, supra note 79 la p. 13.
115 Ibid. la p. 12.
116 Ontario, Framework, supra note 70 la p. 8.
117 Ibid. ([c]redible monitoring and reporting of environmental performance is key to ensuring
transparency, monitoring Facility progress and evaluating the impact of the program on beyond
compliance performance or regulated entities). Voir aussi ibid. la p. 9.
118 Ibid.
2008] HALLEY ET BOIRAL SYSTMES DE GESTION ENVIRONNEMENTALE 685
principes normaliss de gestion connus pour apporter plus de rigueur la gestion
environnementale des entreprises. Par leur apparence rigoureuse et rationnelle, ces
systmes contribuent aujourdhui lgitimer les pratiques des organisations auprs des
parties prenantes et leur donner une visibilit institutionnelle. Toutefois, si les SGE
semblent rigoureux, ils demeurent comparables une coquille vide : ils offrent une
structure logique pour atteindre des objectifs, mais ne proposent gnralement aucun
contenu, critres ou cibles environnementaux particuliers. Aussi, les mesures
volontaires ne se substituent ni ne sopposent aux interventions rglementaires des
gouvernements : elles coexistent et interagissent avec elles.
Sur le terrain de la politique environnementale, la pertinence de promouvoir les
systmes normaliss de gestion environnementale comme moyens damliorer la
conformit et les performances environnementales des organisations ne fait pas de
doute. Toutefois, lanalyse montre que les vertus prtes aux SGE dans les politiques
environnementales doivent tre nuances, car les arguments thoriques ne concordent
pas avec la ralit du terrain ni avec les impratifs de lexercice des pouvoirs publics.
Lexamen montre la grande varit des pratiques ayant cours actuellement au Canada
et lefficacit environnementale relative des accords qui sont ngocis en marge dun
cadre rglementaire clair balisant les pratiques administratives. Jusqu prsent, seuls
quelques programmes publics tels ceux existant en Alberta et en Ontario se
proccupent de ces aspects, mais aucun dispositif prcis ne simpose de manire
gnrale aux accords conclus en marge de ces programmes. Par consquent, si les
autorits publiques cherchent valoriser les conduites responsables des organisations
en matire denvironnement et mieux rpartir les cots, elles gagneront encadrer
leurs pratiques afin de naccorder de privilges des organisations quen change
dobjectifs environnementaux ambitieux et de modalits de suivi et de surveillance
crdibles et efficaces.