Article Volume 5:2

L'exécution spécifique des contrats en droit Québécois

Table of Contents

L’EXECUTION SPECIFIQUE DES CONTRATS

EN DROIT QUEBECOIS

Jean-Louis Baudouin*

(a)

INTRODUCTION

L’influence de

‘Ancien Droit franais est profonde sur tout le droit civil

qu~becois, rnais elle se fait particulirement sentir en mati~re d’obligations.

Avant la Codification, malgr6 la raret6 des 6crits et de la jurisprudence, il

semble que le droit du Bas-Canada ait suivi les principes exposds par les
auteurs anciens, notamment Pothier.

L’un des rares auteurs qubecois d’avant 1867, s’exprimait ainsi quant aux

obligations de faire et de ne pas faire :

“Toutes les obligations de faire ou de ne pas faire quelque chose ne donnent
point au cr~ancier le droit de contraindre le d~biteur prcisiment i faire ce qu’il
s’est oblig6 de faire mais elles se r~solvent en dommages-intir&ts si le d~bitenr ne
satisfait pas A son obligation.”‘

et il pr~cisait que :

“L’effet de l’obligation qu’une personne contracte de faire ou de ne pas faire
quelque chose se r6duit en dommages-intir&ts faute d’excution de l’obligation
apr~s quelle a 6t6 mise en demeure de le faire. Le juge sur cette demande
prescrit un certain temps dans lequel le d6biteur sera tenu de faire ce qu’il a
promis, et faute par lui de le faire dans le temps il le condamne aux d~pens, dom-
mages-intrts.”2
Ea ce qui concerne les obligations de donner,3 il reconnaissait, dans son cha-
pitre sur la vente, que le vendeur peut 6tre contraint ;. s’ex~cuter manu mili-
tar, et exprime la m~ne opinion en ce qui concerne la promesse de vente4
et le pr~t.5

Quant A la jurisprudence, peu nombreuse, elle confirme cependant assez bien

ces principes.8

Les Codificateurs se sont apparemment inspirs A la fois de Pothier et de
Domat, ainsi que de l’ancien droit qu~becois et du Code Napolon. Dans leur

*Cet article est un condensation de la these qui a remport6 le premier prix en droit
civil de la troisiime annie. M. Baudoin est maintenant un itudiant en quatriime
annie A la Facult6 de Droit A l’universit6 de McGill.

lHenry Beaubien, TraWt, sur les Lois civiles du Bas-Canada Montreal (1832), vol. II,

p. 193.

2H. Beaubien, op. cit., vol. II p. 192.
3id., vol. II p. 192-3 et vol. III p. 80-97.
4id., vol. III p. 111.
5id., vol. III p. 189.
OLee v. L’Associatlion de la Salle de Musique (1856), 5 L.C.R. 134; Perrault v.
Arcand (1854), 4 L.C.R.449; Spalding v. Haskill (1845), I Rev. de Leg. 398; Asselin
v. Belleau (1896), I Rev. de Leg. 46; Early v. Moon (1846), II Rev. de Leg. 79; Chabot
v. Morisset (1846), II Rev. de Leg. 79; Biswell v. Kilborn (1862), 6 L.CJ.108.

No. 2]

L’EXECUTION SPECIFIQUE

exposE sur les art. 83 (89) i 86 (92) du projet, ils s’exprimaient ainsi, apr~s
avoir discuti d’une modification concernant le degr6 de faute contractuelle :

“Les autres diffirences entre ces articles et ceux du Code frangais sont pure-

ment de style ou dans l’arrangement des articles sans toucner aux principes.”I

On pourrait alors Etre tent6 de conclure que les articles du Code civil de
Qubec et ceux du Code Napoleon sont identiques, or, il n’en est rien, et la
comparaison des art. 1142 et suiv. du Code Napol6on avec les art. 1065-66
du Code civil qu~becois laisse apparaitre d’importantes diffrences.

Tout d’abord, les articles du Code Napoleon se trouvent sous le Titre
gn ral “Des Contrats”, alors que ceux de notre Code civil sont sous celui
plus precis “Des Obligations”. Par Consequent, quand il s’agit d’ex~cution
sp~cifique, l’expression technique du droit qu~becois devrait Etre “execution
sp~cifique des obligations”, expression qui, A notre avis, est de beaucoup pref&
rable A celle d”‘ex :ution sp~cifique des contrats” du droit francais, et ceci
pour plusieurs raisons. Elle est tout d’abord plus pr6cise: ainsi quand une per-
sonne recherche l’exdcution d’un engagement, elle ne cherche pas 1’exEcution
du contrat lui-m~me, ce qui en soi ne veut rien dire, ce qu’elle veut plut6t
c’est l’ex~cution des obligations nies de ce contrat. De plus, dans un contrat
synallagmatique, cette terminologie permet de saisir plus rapidement la r&:i-
procitE des obligations sans 8tre oblig6 de faire appel A la notion de contrat.
Enfin, 1’expression franqaise est inexacte lorsqu’il s’agit d’un contrat unilateral
ne comportant qu’une seule obligation; dans ce cas en effet, il y a confusion
entre l’exdcution de l’obligation et celle du contrat.

En second lieu, contrairement au texte du Code Napoleon qui semble faire
des dommages-intr~ts la r~gle g~n~rale, le Code civil de Quebec, laisse le
choix entre trois recours possibles: dommages compensatoires, execution sp-
cifique et r6solution. Ceci suppose donc que l’option est laiss~e i la discretion
du cr~ancier 8 Celui-ci choisit, et le tribunal se prononce selon ce choix. En
France au contraire, le choix ne se fait pas au stade de ]a demande, mais a
celui de 1’audience oji le juge seul dcide du remade appropri6. La jurispru-
dence qudbecoise, 9 a d~duit de ceci que si le cr~ancier demande uniquement des
dommages-int~rts, le juge ne peut, A sa discretion, modifier la demande et
octroyer 1’exdcution spdcifique ou inversement. Bien plus, le cr~ancier ayant
intent6 une action en execution sp&ifique ne peut en cas de refus du tribunal,
obtenir des dommages compensatoires. Les tribunaux ne peuvent juger ultra
petita. Le cr~ancier a donc intirt A conclure a titre principal dans sa demande
i l’excution sp~cifique, et, subsidiairement, A des dommages-intr&s.10

7Rapport des Codificateurs, impression George Desbarrats, Rapport I p. 19.
Symons v. De la Durantaye (1942), 48 R.J. 352, A la page 357; Otis v. Bond (1945),

R.P. 309 A la page 313; Blitt v. Miller [1957] R.P. 161.

9Guaranteed Pure Milk Co. v. Patry [1957] B.R. 54. Obiter de

‘H. juge Bissonnette

p. 57.

1Barit v. Charlebois (1926), 64 C.S. 421, i la page 425.

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Cependant, le texte m&ne de l’art. 1065 prisente quelques difficult~s. L’ex-
pression “dans les cas qui le permettent 11 se rapporte uniquement i 1’ex&u-
tion spfcifique et semble limiter son champ d’application et la subordonner
indirectement aux dommages-int&&ts possibles dans tous les cas. Que signifie
d’autre part, ‘expression: “sauf les exceptions contenues clans ce Code”? Ee
semble renvoyer A certains cas particuliers oi la loi refuse le choix entre les
trois recours, c’est le cas par exemple de l’ouvrier clans

‘art. 1691.

Enfin, l’expression “specific performance” du texte anglais ne doit pas
pr&er A confusion, elle n’est que la traduction de l’expression franaise
“execution sp6cifique” et la “specific performance” du droit anglais correspon-
dant 6. une toute autre notion ob6it a une technique diff6rente.’ –

Nous 6tudierons donc le droit qu~becois relativement i l’ex&cution sp&ifique
du point de vue th6orique et pratique, clans une premiire partie, et, nous ten-
terons clans une seconde partie un examen critique de ses solutions en les com-
parant i celles des droits francais et anglais.

(b) SOLUTIONS DOCTRINALES ET JURISPRUDENTIELLES QUIEBECOISES

Depuis les quinze derni~res ann~es, la majorit6 des “leading cases” se pro-
nonant nettement contre l’ex&ution forc&e, les d&isions judiciaires sur h
question sont devenues de plus en plus rares. La majorit6 des cr~anciers
d’obligations de faire demandent directement une compensation montaire de
pr~f~rence 5 l’ex&ution sp&fique. Ils 6vitent ainsi de courir le risque d’Etre
d~bout&s de leur action.

Le seul cas ofi l’ex&ution sp~cifique soit octroy&e par une jurisprudence

constante, est celui des obligations de donner.

Nous allons donc examiner clans cette premi6re partie les modes d’ex&u-
tion forc&e correspondant 5. la division des obligations en obligations de donner,
obligations de faire et de ne pas faire.

1 ) Obligation de donner:

Remarquons tout d’abord que l’expression “obligation de donner” n’est pas
tout a fait exacte, car elle correspond plus i une id&e qu’a une r&alit6 lgale.
Le terme “obligation de livrer” nous semble beaucoup plus pr6cis, la livraison
ou d~livrance, d6signant l’acte juridique par lequel un individu abandonne un
objet entre les mains ou la possession d’une autre personne.

UlCorporation of the Town of Grand’M~re v. Sociitj Hydranlique de Grand’M’re
(1908), 17 B.R. 83. Obiter de L’H. juge Cross p. 98: “The cases in which specific
performance can be demanded are exceptions
to the rule and in the view which I
take of it the words “dans les cas qui le permettent” in 1605 C.C. refer to these
exceptions and not to cases in which dissolution of the contract is demanded.”

12 Le droit qu~becois sur l’ex&ution sp~cifique est bien d’inspiration frangaise et non
‘a not6 Lord Moulton dans le cas de: Wills v. The Cen-

d’inspiration anglaise tel que
tral Railway of Canada (1915), 24 B.R. 102, A la page 107.

No. 2]

L’EXECUTION SPECIFIQUE

II faut distinguer deux cas en ce qui concerne les obligations de livrer:
celui ofi le crancier de Fobligation jouit d’un droit reel sur l’objet et celui ofi
son droit n’est que personnel. Dans les deux cas 1’execution sp6cifique est la
r gle g~n6rale.

Nous pouvons ds Fabord, 6lininer l’hypothise du paiement d’une somme
d’argent, 1exfcution sp6cifique est id toujours possible,’? a moins que le d6bi-
teur n’ait promis le paiement en espkces ou en monnaie d’un genre special
(paiement en or par exemple). Le cr6ancier pent obtenir indirectement, par
saisie et vente des biens mobiliers et immobiliers14 de son dfbiteur, ce que
celui-ci refuse de lui donner directement. De plus, la loi protege le cr~ancier
contre la fuite ou la dissimulation des biens du d6biteur en lui accordant la
proc6Iure du capias ad respondendum .1 5

Lorsque le cr~ancier poss de un droit reel i raison de l’acquisition par lui
du droit de propri&ti, son recours est dirig6 contre l’objet mnme, sans 6gard
A la personne du d~biteur. Les deux cas les plus frequents sont les contrats
de vente et de promesse de vente synallagmatiques.

Dans le contrat de vente, l’exicution spfcifique d6pend uniquement de la
nature de l’objet vendu. Lorsque celui-ci est un corps incertain ou ind~termin6,
comme dans la vente an compte, au poids ou i la mesure, le droit de propri~t6
ne passe pas i 1’acheteur avant le comptage, le pesage ou le mesurage; l’ex~cu-
‘objet.’ 6
tion spcifique est impossible par suite du manque de d6termination de
Par contre, si l’objet est un corps certain, meuble ou immeublO 7 l’exfcution
en esp~ce est toujours octroye par les tribunaux. L’acheteur d’un meuble de-
venant propri~taire avant m~me la livraison, pent le revendiquer entre les mains
du vendeur’ 8 ou de tout tiers.19 En cas de refus de ceux-ci de d6laisser le
meuble en question, le cr~ancier peut, an moyen de la saisie revendication, 20 en
obtenir la possession physique et 16gale. En ce qui concerne les immeubles,
‘acheteur b6n6ficie du recours en possession forcfe par le sh6riff2’ mais, con-
trairement A ce qui existe en cas de vente mobilifre, ce recours est purement

13 Corporation du Village de Waterloo v. Girard (1872), 16 L.C.J. 106.
14Art. 612 i 831 Code de Proc. civ.
15 Art. 894 A 898 Code Proc. civ.
‘8 Art. 1026 et 1474 C.civ. Seaton v. Doucett (1921), 59 C.S. 92.
‘ 7 Bombardier v. Williamson et Crombie (1950), B.R. 681.
18Morrisset v. Brochu (1884), 10 Q.L.R.104; Vachon v. Roy (1922), 14 R.L.n.s.
416; Silvermann v. Massi (1927), 33 R.J.99; Simard v. Tremblay (1929), 46 B.R.
158; Duquette v. Desnoyer (1940), 78 C.S.529; Abramovitch v. Druckman [1944]
C.S.44; le vendeur ne peut cependant atre contraint de livrer tin autre objet: Guidazio
v. Spencer Heater Co. of Canada Ltd. (1931), 50 B.R. 326.

19Sapery v. Simon (1908), 14 R.L.n.s. 416 confirm6 en appel (1909), 15 R.L.n.s.120.

Dans ce cas, la Cour eut recours A l’injonction.

2 OArt. 946 A 951 du Code de Proc. civ.
2 1Art. 610-611 Code de Proc. civ.
Chartier v. Chouinard [1945] C.S. 232. Parfois 1’ex6cution spEcifique se fera par

voie d’action en bornage: St. Autin v. Brunet (1911), 40 C.S.83.

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personnel et ne peut 6tre exerc6 contre des tiers.2 De plus, l’acheteur peut obli-
ger le vendeur Ai lui livrer les titres de propri~t6 de l’immeuble.

Toutes ces dispositions sont en gfnfral applicables au contrat d’&hange.2 ‘
La dflivrance d’objets mobiliers ou immobiliers est 6galement possible en cas
de promesse de vente synallagmatique, 25 mais elle ne 1’est pas lorsque la pro-
messe de vente est unilatrale.26 Cependant, si l’objet a &6 transf&6 a un
tiers par le promettant, le cr~ancier ne peut plus avoir recours A l’ex~cution
il ne peut que demander des dommages-int6rts compensatoires,
sp~cifique;
comne dans le cas d’un pacte promissoire.

La seconde cat~gorie d’obligations de donner est celle ofi

le crancier r&
clamant l’ex~cution sp&ifique n’a pas un droit rIel sur l’objet mais unique-
ment un droit personnel contre son cocontractant. Dans le contrat de louage
de choses, par exemple, bien que le locataire ne poss~le aucun droit sur l’objet
m~me de la location, il conserve cependant le droit d’obliger le bailleur A le
mettre en possession paisible et utile de la chose louie, le contrat 6tant la lol
des parties. II peut m~me exiger d’&re mis en possession ainu militari, si
n&cessaire, par l’interm~diaire d’un huissier. Si le bailleur occupe l’immeuble
et refuse de l’6vacuer le locataire peut demander son expulsion par la force. 2
Les contrats de gage et de promesse de gage sont igalement susceptibles
d’ex&ution forcie,9 bien que le gagiste n’obtienne pas par contrat le transfert
du droit de proprik&

Dans le contrat de soci&ti, il est possible de contraindre l’un des associ~s
par jugement, A remettre ce qu’il s’est engagi A apporter A la socit6, corps
certain ou somme d’argentY0

Les tribunaux ont 6galement accord6 l’ex&ution sp&ifique de l’obligation
de livrer en cas de contrat de d~p6t3l ou de donation, ordonnant ainsi Ia li-
vraison de l’objet donn.32

22Demers v. Chauret (1892), 1 CS.303; Reinblatt v. Gold (1927), 65 C.S.17; Choi-

nitre v. Gauthier (1928), 66 C.S. 286.

2 3 1n re Banque Ville Marie (1902), 22 C.S. 162.
24Art 1599 C.civ. Grigoire v. Begnoche (1926), 32 RL.n.s.7.
25Grange v. McLennan (1883), Dorion Reports 212; St. Denis v. Gariipy (1921), 31
B.R. 257. Les r~gles concernant la promesse de vente sont les mimes pour la promesse
d’achat: Baron v. Bergeron [1949] C.S.365.

26Gahier v. Morisset (1918), 53 C.S.505, A la page 507.
27Marceau v. Turgeon (1920), 57 C.S. 491, (1921), 30 B.R. 543; Ricard v. Wolfe

(1939), 67 B.R. 258; St. Gelais v. Tremblay [1950] C.S. 475.

28Morgan v. Dubois (1889), 32 L.C.J. 204.
20Savard v. Tremblay (1906), 12 R.L.n.s. 402.
30C’est tout au moins ce que semble admettre implicitement la cause Hopper v.

Hoclor (1905), 35 S.C.R. 645.

31Cardgilhac v. Jutras (1929), 35 R.L.n.s.477; Halli v. Bernier (1920), 58 C.S.

113,

32Drouin v. Provencher (1883), 9 Q.L.R. 179.

No. 2]

L’RXECUTION SPECIFIQUE

Les obligations de livrer sont donc en g6iral, susceptibles d’6tre exfcuties
en espice, et les tribunaux qu~becois favorisent le respect de la parole donnie
d’autant plus facilenient qu’aucun acte de violence n’est exerc6 sur la personne
mfme du dfbiteur; celui-d n’est qu’un interm&liaire que les cours ne peuvent
n~gliger pour atteindre l’objet. D’autre part, l’acte requis ne tirant pas sa
valeur de l’action personnelle du d6biteur, il est possible d’y substituer, sans
porter atteinte aux int&ts du cr~ander, un mode d’ex&-ution indirecte passant
outre i son opposition.

Enfin, dans les obligations de donner, l’action itant dirig~e contre la chose
et non contre la personne, l’excution spcifique se confond pratiquement avec
la proc&ure mise i la disposition du cr~ander; l’ex~cution sp6cifique n’est ni
plus ni moins que l’exercice d’un recours de procedure, et, c’est li ce qui en
fait la force.

On peut donc dire qu’en ce qui concerne les obligations de donner l’exi-

cution sp~cifique est directe, impersonnelle et formelle.

2* Obligations de faire.
En ce qui concerne les obligations de faire, l’excution sp~cifique se heurte
A de nombreuses difficult6s, puisque le crgancier est oblig6 de passer par l’in-
term6diaire du dgbiteur pour obtenir la satisfaction de l’obligation. La souve-
rainet6 de la volont6 individuele explique que bien souvent les dommages-
intrts soient le seul recours du crancier, 6tant donn6 l’impossibilit6 morale
de forcer un individu A l’accomplissement d’tm acte auquel il se refuse. La rigle
ggngrale 6tablie par la jurisprudence est donc que seule est possible une con-
damnation pgcuniaire pour inexgcution d’une obligation de faire. Cette r~gle
souffre cependant deux exceptions: lorsque l’acte requis peut &re remplac6
par un autre, et lorsque des int6r&s supgrieurs justifient l’emploi de la violence
physique. Dans le premier cas, le jugement de la cour ou la prestation d’un
tiers remplacent l’acte demandE, et l’exgcution spkifique prend le nom d’exE-
cution par Equivalence. Dans le second, les tribunaux obligent le dgbiteur A
s’excuter lui-m~me sous peine d’emprisonnement, c’est l’ex~cution forcee.

Nous 6tudierons donc l’ex~cution sp~cifique A deux points de vue corres-
pondant aux obligations de faire susceptibles d’ex6cution par Equivalence, et
celles qui, bien que comportant un fait personnel du d6biteur, sont susceptibles
d’ex~cution forc~e.

(a) Execution par Equivalence

C’est un mode d’ex~cution de certaines obligations de faire o6i l’on substitue
A la prestation du d6biteur une autre prestation 6quivalente provenant d’un
tiers et produisant vis A vis du crEancier, les m~mes effets que si le d~biteur
avait volontairement offert l’excution de l’obligation promise. Elle suppose
que l’acte requis ne tire pas sa valeur intrinsique du fait personnel du d6bi-
teur.

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L’ex~cution par iquivalence peut prendre deux formes suivant que celui
qui execute aux lieux et places du d~biteur est une cour de justice ou bien le
cr~ancier, par l’interm6diaire d’une tierce personne.

L’ex6cution par iquivalence judiciaire se retrouve dans tous les cas o6 le
d~biteur s’est engag6 i signer ou i consentir un acte &rit quelconque. L’obli-
gation de faire peut d6pendre accessoirement d’une autre obligation pr&-
existente parfaitement dtermin6e et dans laquelle elle puise sa l6gait6. Ainsi,
l’obligation de consentir un titre dans une promesse de vente est la consequence
juridique de l’obligation du vendeur de donner bonne et enti~re possession A
l’acheteur. Pour 6tre possible juridiquement l’obligation de signer ou de con-
sentir i l’acte ne doit pas se confondre avec l’obligation principale. Ainsi le
locataire peut obliger son bailleur i. signer le bail auquel il a droit ;3 mais une
promesse d’hypoth~que se r~sout toujours en dommages-intrts, car il s’agit
d’un contrat solennel ofi negotium et instrunentum se confondent. 34 II en est
de mme pour les lettres de change et billets A ordre par suite de l’importance
qu’accorde la loi i l’instrument lui-m~ne dans le but de favoriser la sfiret6
des transactions commerciales. 35

L’action en passation de titre a pour but d’obliger le vendeur

transformer

une promesse de vente en contrat de vente.

Ce qui importe ;i l’acheteur dans cette action c’est de prot~ger ses droits
contre les tiers. I1 y a pr~s~ance de la volont6 du cr~ancier, par l’interm~diaire
du tribunal, sur celle du d6biteur de l’obligation. Le jugement ayant m&ne
valeur aux yeux de ]a loi qu’un acte sign6 de la main du vendeur, son enre-
‘enregistrement de l’acte de vente
gistrement produit les m~mes effets que
ordinaire. Le vendeur peut 6galement b~n6ficier de ce recours; il peut en effet,
lui aussi obliger l’acheteur A. la signature du contrat de vente conform6ment aux
conditions de la promesse. Dans les deux cas, la loi requiert cependant que cer-
taines conditions pr~alables soient satisfaites.

Tout d’abord, ]a perfection de la pr6messe de vente est exig~e,36 et le con-
sentement sous forme authentique ou sous-seing priv6 ne dolt faire aucun
83Walsh v. Brooke (1902), 21 C.S. 394; Miller v. Meloche (1941), 79 C.S. 297;
Larouche v. Brouillard [1956] R.P. 262. De m~me il peut exiger la signature d’un
revu attestant le paiement du loyer: Plamondon v. Mathier (1899), 16 C.S.32, (1900),
6 R.J. Z08.

3 4Connoly v. Montreal Park and Island Railway (1902), 22 C.S.322; Igartua v.
. rapprocher de Beaubien v. Ehers (1903), 24 C.S.199 ohi
Mercier [1953] B.R. 618,
la signature du cr~ancier n’itait pas n~cessaire 1 1’essence mEme du contrat (voir dis-
cussion du juge Doherty p. 205).

35La loi des lettres de change, S.R.C. chap. 16 art. 61(1) permet, en effet, au cession-
naire d’un billet d’obtenir la signature du cdant. Les cours ont, cependant, dcid
que seul le recours en domniages-intrts est possible. Grothi v. Juneau (1919), 56
C.S. 193. Voir 6galement McLaren, Bills, Notes and Cheques 1940 p. 22.

3GMartin v. Joly (1913), 44 C.S. 134; Clendenning v. Cox (1914), 45 C.S. 157,

(1916), 49 C.S. 71, 26 D.L.R. 729.

L’EXECUTION SPECIFIQUE

N.21
doute.3 7 En second lieu, l’acte prisent6 au vendeur ou i l’acheteur doit &re
stricternent conforme aux tennes mnmes de la promesse.38 On ne peut, en effet,
. sanctionner un acte non conforme aux dispositions du
obliger une personne
contrat. Enfin, si l’acheteur intente l’action en passation de titre, il doit offrir
de payer le prix de vente en consignant ses offres en cour conformment aux
. 589 du Code de Proc. civ.39 Cette derni&e condition est l’expression
art. 583
du principe de la r~ciprocit6 des prestations dans les contrats synallagmatiques
que nous 6tudierons plus loin. Le vendeur ou l’acheteur avant d’exiger de l’au-
tre ‘ex&ution de ses obligations doit 8e montrer pr& A executer les siennes.40
L’action en passation de titre est extrnernent friquente4′ et elle est 1’exem-

ple le plus parfait d’ex&ution sp~cifique par 6quivalence . 2

37Langlois v. Chaput (1922), 32 B.R. 178; Fortin v. Turcotte (1928), 45 B.R. 275.
Voir sur ce point: Albert v. Proulx (1941), 79 C.S. 179; Lacroix v. Lambert (1886),
12 L.C.R. 229; Pinsonneault v. Dubi (1859), 3 L.C.J. 176; Gagnon v. Fecteau (1889),
15 L.C.R. 89.

38La Compagnie d’Acqueduc du Village de St. Michel d’Yanaska v. Riendeau (1913),
19 R.L.n.s.457; Minard v. Thuot (1916), 50 C.S. 289; D’Onofrio v. Kravitz (1923),
35 B.R. 528; Charlebois v. Baril (1927), 43 B.R. 295; Duval v. Charlebois (1929),
67 C.S. 325; Baillargeon v. Pelchat (1934), 96 B.R. 460.

39Munro v. Dufresne (1888), 4 M.L.R.(B.R.)176; Foster c. Fraser (1890), 19 R.L.
392 et (1890), 6 M.L.R.(B.R.)405; Tachi v. Stanton (1898), 13 C.S. 505; Versailles
v. Paquin (1914), 23 B.R. 432; Langevin v. Duval (1914), 20 R.L.n.s.1; Trudel v.
Marquette (1915), 24 B.R. 279; Charlebois v. Edmond (1916), 49 C.S. 256; Desjardins
v. Bilanger (1918), 54 C.S. 77.

40Green v. Mappin (1888), 11 L.N. 132; Deslongchamps v. West Valley Land Cie
(1911), 27 R-Lan.s. 474; Pateno v. Abdellah (1920), 26 R-L.n.s. 179; loyal v. Bourassa
(1926), 40 B.R- 322; Archambault v. Deslandes (1928), 66 C.S. 346; Pelchat v. Parg
(1940), 68 B.R. 180; Janoveck v. Deguire (1941), 79 C.S. 429.

41Leclerc v. Gagnon (1875), 5 R.L. 447; Liggett v. Tracey (1876), 20 L.C.J. 313;
(1914), 23 B.R. 28;
Fauteux v. Guidon (1907), 31 C.S. 143; Dufresne v. Dubois
Greaves v. Cadieux (1916), 50 C.S. 361; Disy v. Larivi~re (1917), 26 B.R. 11; West-
bourne Land Company Limited v. Ctd (1922), 32 B.R. 328; Langlois v. Chaput (1922),
32 B.R. 178; Asbestos Corp. v. Dumas (1924), 36 B.R. 277; Hamman v. McDonald
(1924), 26 R.P. 354; Charlebois v. Baril (1926), 65 C.S. 421 –
[1928] S.C.R. 88; Poulin v. Lotbinikre Pulp Ltd. (1933), 71 C.S. 543; Poirier v. Poi-
rier [1942] C.S. 51; Manzo v. Di Patria [1955] B.R. 166.

(1927), 43 B.R. 295 –

42Les auteurs et la jurisprudence sont divisgs sur 1’existence du droit d’exiger
l’action en passation de titre lorsque l’immeuble vendu est pass6 en tierce mains. Contra:
McMartin v. Walsh (1882), 5 L.N. 402; Payette et Quevillon v. St. Denis :(1914),
(1915), 51 S.C.R. 603; Boudreau v. Carignan (1932), 52 B R. 274;
23 B.R. 436 –
Labonti v. Laliberti (1943), C.S. 394; Pro: Godin v. Godin (1910), 38 C.S. 374;
Payette et Quevillon v. St. Denis (1915), 51 S.C.R. 603.

N.B. L’action en passation de titre est avec l’action en dommage-intgr&s et l’action
en rescision, les seules voies de recours possible de l’acheteur. II ne peut proc&ier i
la vente, a la folle enchire de l’immeuble. Ppin v. Seguin (1889), 5 M.L.R. 216; Park
Realty of Montreal Limited v. Shoe Machinery Company of Canada (1910), 12 R.P.
239, (1911), 17 R.L.n.s.178 et (1911), 17 R.J. 218.

McGILL LAW JOURNAL

[Vol. 5

L’action en radiation d’hypoth~que” est un autre exemple d’ex6cution sp&
cifique par 6quivalence judiciaire. Elle diff~re cependant de l’action en passa-
tion de titre en ce que, par jugement, la cour transforme l’obligation de faire
en obligation de donner (paiement d’une somme d’argent). Elle est fond~e
sur l’obligation imposfe au vendeur par contrat de garantir l’acheteur contre
une 6viction possible lorsque l’immeuble est vendu franc et quitte de toute
charge.44 Sur demande de l’acheteur, le juge ordonne au vendeur de faire dis-
paraitre l’hypoth~que en en payant le montant au cr~ancier dans un dMai d6-
termin6.4 5 A d~faut de paiement, le jugement 6quivaut pour l’acheteur i la
radiation de l’hypoth~que, 46 le vendeur devient alors personnellement respon-
sable du montant envers le cr~ancier hypoth&aire.

L’action en radiation d’hypoth~que 6tant institu6 dans le but de prot6ger le
droit de propri~t6 de l’acheteur, celui-ci n’est pas oblig6 dans sa demande de
conclure subsidiairement i la r6siliation du contrat 4

L’autre mode d’ex&tution par 6quivalence consiste A confier au criancier
le soin d’exfcuter, lui-m~me ou par l’interm6diaire d’un tiers, ce qui normale-
ment incombait au d6biteur en vertu du contrat.4
6
Ce recours, avantageux pour le crancier, peutt

tre demand6 non seulement
lorsque le dfbiteur refuse d’ex&uter, mais aussi lorsque son ex&ution est
imparfaite 49 ou incompl~te.50 Si, par exemple, dans un contrat de louage d’ou-
vrage,51 l’entrepreneur cesse les travaux et refuse de les reprendre, le locataire
peut les faire continuer par un autre et en r&lamer le cofit au locateur. Si
d’autre part, les travaux ont 6t6 mal ex&cuts, la cour peut en ordonner la
d~molition compl&te ou partielle et la reconstruction ult6rieure.

Ce mode d’ex&ution par le crancier est 6galement tr~s frequent clans le
une reparation rapide

contrat de louage de chose.5 Le locataire, ayant int6r&t

43Art. 1068(a) A 1088(d) Code de Proc. civ.
44Beaudette v. Cormier (1890), 16 Q.L.R. 69; Millar v. Gohier (1901), 7 R.P. 396;

Ducharme v. Quintal (1916), 49 C.S. 528.

45Banque Ville Marie et Kent (1901), 4 R.P. 206; Dorion v. Jodoin (1915), 47 C.S.

46Banneau v. Livernois (1919), 55 C.S. 445.
47C’est ce que I’on peut d&!uire de la cause: Chartrand v. Thomas (1923), 29 R-L.n.s.

414.

492.

48Art 1065 C. civ.: David v. Trudel (1922), 28 R.L.n.s. 325; La Cie d’Acqueduc du
Lac St. Jean v. Tremblay (1923), 34 B.R. 188; Boudrebult v. La Compagnie Hydrau-
lique de St. Filicien (1924), 36 B.R. 455.

49Les Syndics de la Paroisse de St. Pie de Guire v. La Compagnie de Construction
de Shawinigan (1907), 32 C.S 212; Vermette v. Parent (1911), 20 B.R. 156; Symons
v. De ia Durantaye (1942), 48 R.J. 352.

50Dyson v. Sweanor (1889), 32 L.C.J. 223; Lesp5rance v. Ledoux

(1909), 15

R.L.n.s. 438.

5lCorporation du Village de St. Guillaume v. Nadeau [1922] R-J. 177.
52Desautels v. Prifontaine (1912), 42 C.S. 401; Boudreau v. Marcotte (1926), 32
R.J. 398; Meunier z. Allard (1931), 50 B.R. 30; Cuillerier v. Pelland [1947] C.S. 381;
Rublee v. Fortin [1950] C.S. 435.

No. 2]

L’EXECUTION SPECIFIQUE

des lieux lou6s, est souvent autoris6 par le tribunal i faire faire lui-m~me les
travaux ncessaires.

L’ex&ution par prestation Equivalente concilie parfaitement les deux prin-
cipes entrant en conflit dans les obligations de faire. D’une part, elle respecte
la suprmratie de la volont6 individuelle en 6vitant 1’emploi de voies de fait
contre la personne du dibiteur, et d’autre part, elle permet au crancier d’ob-
tenir exactement la prestation privue au contrat.

La non-excution d’une obligation se r6sout donc dans ce cas par une
extution en espke pour le crEancier et par le paiement d’une somme d’ar-
gent pour le d~biteur.0 Tel n’est pas le cas, comme nous l’allons voir mainte-
nant, pour les obligations de faire dont la valeur provient du fait m~me du
d~biteur.

(b) Ex6cution forq~e

L’ex~cution sp~cifique d’une obligation de faire que seul le d6biteur est en
mesure de satisfaire, est nommie ex6cution forcie. L’emploi de moyens de
contrainte physique est en effet necessaire pour parvenir a l’excution si le
d6biteur refuse la prestation volontaire de l’obligation.

Du point de vue th6orique uniquement,

‘excution forc~e est toujours pos-
sible. En effet, lorsqu’une personne accepte librement d’abandonner une pirtie
de sa libert6 en faveur d’une autre, elle peut th~oriquement 6tre tenue au res-
pect de sa parole par ]a force si besoin est. On ne devrait pas lui permettre
d’y manquer par caprice ou mauvaise foi, car la scurit6 des transactions civiles
et commerciales s’en trouverait 6branl6e, ce qui pourrait avoir de tragiques
consequences sur la vie Economique de la socit6.

Seule l’impossibilit6 morale empfche le juge de rendre absolu la principe de
l’excution sp~cifique, l’impossibilit6 mat&ielle 6tant pratiquement inexistante
la procedure du m6pris de cour. En
dans la Province de Quebec, 6tant donn
effet, le droit qu~becois, contrairement au droit franoais, a pr~f6r6 l’adoption
du syst~me anglais de la contrainte par corps. Par la procedure du m~pris de
cour 5 4 toute personne d~sob6issant i un ordre du tribunal peut 6tre incarc&re
jusqu’A ce qu’elle execute volontairement le jugement.

S’il reprisente en th~orie un moyen parfait de contrainte, le m~pris de cour

se heurte n~anmoins A certaines difficult6s d’ordre pratique.

Tout d’abord, l’emprisonnement pour dette, ne pouvant, en pratique, 6tre
perp6tuel, le cr~ancier n’obtient pas l’excution si le d~biteur refuse absolu-
ment de s’ex~cuter. D’autre part, l’exp~rience r~v$le que le cr~ancier qui ob-
tient du tribunal l’&nission d’une rtgle nisi, se heurte i une sfrie de proc6-
dures compliqu6es et dispendieuses daris lesquelles le plus grand formalisme
est de rigueur 5 5 ; ses int&ts se trouvent donc indirectement l6s&s.

53Mfalo v. Afelanon (1880), 3 L.N. 42; Cie de Chemin de fer Quebec Central v

Letourneau (1886), 14 R.L. 324.
4Art. 834 Code de Proc. civ.
5.)Par exemple art. 846 par. 1 Code de Proc. civ.

McGILL LAW JOURNAL

[Vol. 5

De plus, le mpris de cour pour inexcution d’une obligation de faire, fait
figure en droit qu6becois de remade extraordinaire et exceptionneL A notre
connaissance, il n’a encore jamais 6t6 employi pour une obligation de fairew
si bien que petit i petit, il a perdu de sa force primitive. f1 existe ;! notre avis
deux raisons principales i cet 6tat de chose. En premier lieu, les juges qu&
becois en majorit6 de mentalit6 latine, appliquent en mati&e de contrat des
principes d’inspiration franqaise. Leur formation frangaise les pousse i s’op-
poser A l’application de la contrainte par corps pour tne faute contractuelle; ils
n’osent appliquer strictement ces principes thioriques dans la crainte des solu-
tions pratiques auxquelle ils devraient logiquement aboutir.

La seconde raison de la d~su6tude dans laquelle est tomb6 le mipris de
cour reside clans le fait que les tribunaux se refusent i consid6rer comme grave
une simple faute contractuelle, qui’, par I’application m8me du m~pris de cour
se transformerait en d~lit. Les tribunaux en arrivent ainsi i favoriser la per-
sonne au d6triment du respect du contrat men e.

L’examen de la jurisprudence nous permet de constater que les tribunaux,
avant m ne de discuter la valeur doctrinale d’une demande en excution sp6-
cifique, cherchent i d6terminer si un mode de violence physique devra 6tre
prescrit pour y parvenir; dans l’affirmative ils ne l’octroient jamais. En consi-
dration de cette protection accord~e au d~biteur, nous pouvons donc distin-
guer trois cas ofi 1’execution forc~e est refus~e.

Le premier est celui of la prestation demand~e par le criancier n’a de valeur
que dans ]a mesure oi elle est faite par le d~biteur lui-mme. C’est par exem-
ple, ]a prestation de l’artiste qui s’engage A peindre un tableau, A jouer une
piece de th~ftre.5″ Bien qu’il ne puisse 6tre question ici d’ex6cution par 6qui-
‘ex~cution forc6e pourrait A la rigueur 6tre possible indirectement.
valence,
En effet, par un raffernissement de I’autorit6 judiciaire, le syst~ie qu~becois
pourrait parvenir A crier une menace d’emprisonnement tellement forte qu’elle
augmenterait certainement les chances de voir le d~biteur s’excuter volontaire-
ment. Le m~pris de cour devrait donc, A notre avis, &re forinul dans le juge-
ment mame; celui-ci devrait ordonner au d6biteur l’ex6cution tout en riser-
vant au criancier le droit de demander 1’6mission d’une rbgle nisi en cas de
rticence. Le m~pris de cour devrait perdre le caract re d~finitif -qu’il a de nos
jours et devenir tin proc~d6 d’intimidation mis A la disposition mame du cr6an-
cier. Mais, en l’tat actuel des choses, jamais tne cour qu6becoise ne permettra
‘ex6cution forc~e d’une obligation oft le fait personnel du d~biteur est requis.
Il arrive parfois que la nature m~me du contrat rende impossible l’ex zution
spcifique. 18 Tel est le cas par exemple de la promesse de mariage 9 et du con-
56Sauf peut 6tre dans l’arrt: Kieffer v. Whitehead (1888), 4 M.L. R. (B.R.) 239.
57Lotnbard v. Varennes (1922), 32 B.R. 164.
5SConnoly v. Montreal Park et Island Railway (1902), 22 C.S. 322.
59Voir article dans (1881)

IV Rev. de Leg. 266, les dommages-int6rats contractuels
eux-m~mes ne sont pas donn~s. Chatnberland v. Parent (1882), 8 L.C.R. 299; Benning
v. Grange (1870), 14 L.CJ. 284; Chapman v. Scott (1887), 31 L.CJ. 327; Walker v.
Goldman (1899), 2 R.P. 103.

No. 2]

L’EXECUTION SPECIFIQUE

trat de louage de services. Un tribunal, alors mme qu’il le voudrait ne peut
forcer i l’exicution d’une promesse de maiage, et ceci pour deux raisons: le
maniage est un contrat solennel dont l’existence dipend uniquement du con-
sentement des parties, il est donc impossible de passer outre i ce consentement;
en second lieu, les effets sociaux du mariage sont tellement importants que Yon
doit prbf&er la libert6 du consentement individuel au respect de la parole don-
nie. Cependant, la violation d’une promesse de mariage peut donner ouverture
‘art. 1052 C.
i une action en dommages-int&6ts delictuels par application de
civ. Le montant de ces dommages-int&Ets est d&erminE par le pr6judice actuel
caus6 A la partie adverse. Cette action &ant de nature d6lictuelle on ne peut
opposer comme defense une offre de remplir la promesse.60

Le troisi~me cas, enfin, oii l’exicution forc6e est pratiquement

En ce qui concerne le louage de services le principe est diffrent, puisque
le recours en dommages-int6r&s contractuels est admis. Bien que ‘on ne puisse
6videmment pas forcer un employeur i reprendre A son service un employ6
qu’il a renvoy6,61 celui-ci peut n6anmoins demander lexcution spiifique du
contrat sous forme de paiement de son salaire.u S’il opte pour cette solution,
il doit attendre l’expiration du terme; mais s’il demande des dommages-intir6ts,
il pett immdiatement intenter son action. Ces dommages-int~r&s repr~sentent
l’6valuation du pr6judice caus63 Cette distinction efitre dommages-int&&s
contractuels et d6lictuels ne nous parait pas correspondre A la r:alit6, nous
pensons que l’action en dommages-int&&s a nettement un caract re delictuel.
impossible
est celui oi
‘in.galiti de valeur entre les prestations est telle que de son chef
l’une des parties parvient par son refus d’ex&ution i d6truire le fondement
mme du contrat. Ainsi par exemple lorsqu’une personne s’est engage A suivre
des cours par correspondance, en cas de refus de sa part de les continuer, elle
porte atteinte i la cause m~ne du contrat, et les tribunaux ne pouvant forcer
quiconque a s’instruire, sont pratiquement oblig6s de refuser l’excution sp&i-
fique.6 L’examen des arrts en la mati~re nous permet cependant de reman-
6OLaperri~re v. Poulin (1894), 6 C.S. 353; Boulet v. Gaudreault (1909), 35 C.S. 294.
6 t Charbonneau v. The Publishers Press Limited (1912), 42 C.S. 97; Duprj Quarries
Ltd. v. Dupri [1934] S.C.R. 528. Voir aussi: Alary v. Letbovitz [1943] R.L.n.s. 396.
Contra: Langevin v. Les Commissaires d’Ecole de la Paroisse St. Raymond (1935),
41 R.J. 275 bas6 sur l’art. 233 du Code scolaire

6 2Gauron v. Les Coinmissaires d’Ecole de St. Louis de Lotbinire (1881), 7 Q.LR.
251; McKinstry v. Irwin [1912] B.R. 139, i la page 143; Marchand v. Jean (1918),
54 C.S. 279; Malherbe v. Orkin Limited (1918), 54 C.S. 274; Tidewater Shipbuilders
Limited v. Sociit Naphtes Transports [1927] S.C.R. 20 (fond6 sur art. 1691).

63Nadon v. Ollivron (1871), 15 L.C.J. 280; Beauchemin v. Simon (1878), 1 L.N. 40
(1879), 23 L.CJ. 143; Reid v. Smith (1880), 6 Q.L.R. 367; Fortier v. The Felsen

Company Limited (1919), 25 R.L.n.s. 14; Ferrero v. Legault et Frkres (1929)., 35
R.L.n.s. 356; Robin Hood Mills Ltd. v. Benoit (1933), 54 B.R. 387; Mongeau et
Robert Cie v. Raby (1933), 71 C.S. 517; Anderson v. Cooper Hirsch Dress Co. (1936),
74 C.S. 465.
64Dulude v. Jutras (1900), 18 C.S. 327; Shaw Schools Ltd. v. Fels (1932), 70 C.S.

483,

. la page 485.

McGILL LAW JOURNAL

[Vol. 5

quer que les tribunaux paraissent confondre ici obligation de donner et obliga-
tion de livrer. I1 ne s’agit pas d’obliger -une personne i s’instruire, mais unique-
ment A accepter la d~livrance d’un objet mobilier. L’effet semble avoir 6t6 pris
pour la cause. Les obligations des parties consistent en la d6livrance de cours
par correspondance et le paiement du prix, l’ex&ution sp&ifique devrait 6tre
octroye, nous semble-t-il, en de telles circonstances.

En conclusion et en pr~sence d’un grand nombre de d&isions judiciaires
qu’il nous est impossible d’examiner ici en detail, la r~gle g~n&ale qui parait
se degager de leur 6tude, est que l’ex6cution sp6cifique d’une obligation de
faire n’est jamais possible A moins qu’il n’existe un mode d’excution indirect
permettant au tribunal de passer outre i la volont6 du d~biteur.

3*) Obligations de ne pas faire

L’ex~cution sp&ifique des obligations de ne pas faire a 6t6 largement favoris&e
dans la Province de Quebec par l’adoption du principe anglais de l’injonction.
Par ce procd6, les tribunaux sont parvenus i 6viter les difficults rencontres
avec l’excutiori sp~cifique des obligations de faire. L’ex&ution sp&ifique des
obligations de ne pas faire, comme celle des obligations de faire, rev& deux
formes !rincipales: l’ex&ution par 6quivalence et l’ex&ution force&.

(a) Ex -ution par 6quivalence

L’art. 1066 du Code civil pr6voit deux modes d’ex~cution par 6quivalence,
selon que ]a personne .qui ex&ute A la place du d~biteur est un officier de
justice ou le ‘cr~ancier par l’iriterm~diaire d’une tierce personne.

L’emploi du premier de ces modes d’ex&ution est rare. Les tribunaux que-
becois, se rapprochant en cela des cours anglaises montrent une certaine r~ti-
cence A ordonner une ex&ution dont ils auraient a surveiller personnellement
les r~sultats. Par contre, A l’instar des obligations de faire, le second mode est
extr~mement frequent. La permission donn&e au creancier de faire d6molir ce
qui a &6″ construit en contravention de l’engagement pris, est tn droit subsi-
diaire qui lui est accord6 ipso facto lorsque le’d~biteur ne s’ex~cute pas dans
le d~lai prescrit par le tribunal. Ce recours lui est accord6 de plein droit, sans
qu’il lui soit n~cessaire d’y cbnclure express6ment.6 5 La condition sine qua non
du recours A ce mode d’ex~cution est la mat&ialit6 de la contravention A l’obli-
gation; il faut en outre que les effets de l’inex~cution soient ind~pendants de ]a
personne m~me du d6biteur et tangibles physiquement.

L’ex&ution par &juivalence est fr~quente dans les conventions de ne pas
bitir, que ces conventio*ns soient principales ou’subsidiaires au contrat. Les ser-
vitudes contractuelles, 66 principalement la servitude non aedificandi” et le droit

05Lachance v. Brissetle (1930), 49 B.R. 321.
GsHampson v. The Chateauguay and Northern Railway Company (1903), 6 R.P.
283; V”ille de Roberval v. Simard (1921), 31 B.R. 328; Tremblay v. Desbiens (1936),
60 B.R. 237.
‘ 67Hamilton v. Wall (180), 24 L.CJ. 49; Germain v. Pigeon (1899), 16 C.S. 235;
Thibault v. Gourde (1904), 26 C.S. 185; Lapierre v. Magnan (1912), 42 C.S. 59.

No. 2]

L’EXECUTION SPECIFIQUE

de passage0 8 donnent le plus souvent ouverture au droit de d6molition par le
cr~ancier.

L’obligation de ne pas faire repr6sente parfois, ,ne obligation subsidiaire et
inhrente i la convention principale. Telle est par exemple l’obligation impos&e
par la Ioi au bailleur de procurer la jouissance paisible au preneur6 9 ou encore
l’obligation du locataire de ne pas changer la destination des lieux louts.y0

Cependant, le cr.ancier peut 6galement avoir recours i l’injonction ds qu’il
’empcher de pour-
y a inex&ution de la convention par le d6biteur afin dc
suivre les travaux effectu6s en violation de sa parole. Mais, si l’inex~cution est
devenue totale et entih-e, l’injonction n’est plus d’aucune utilit6 pour le crian-
cer; il doit formuler sa demande selon les dispositions de 1’art. 1065C.civ. 7 1

(b) Execution fore.

II peut arriver que l’inex~cution d’une obligation de ne pas faire produise
des effets extra-patrimoniaux, lies uniquement a la personne m~ne du d6bi-
teur. En ce cas, la prestation du d~biteur n’tant pas susceptible d’6quivalence,
les tribunaux doivent ordonner une ex~cution in personam et non une ex&u-
ce qui se produit pour les obligations de faire,
tion in rem. Contrairement
les r~sultats obtenus pour les obligations de ne pas faire, d6montrent l’inten-
tion des tribunaux de favoriser l’ex&ution sp&ifique grace A la grande sou-
plesse de l’injonction.

Le contrat le plus remarquable

Avant l’entreprendre la discussion de cette procedure, i1 faut examiner ici
quelques cas pratiques d’ex&ution forcie dans les obligations de ne pas faire.
. ce point de vue est le contrat de louage
de services. L’abondance des d&isions judiciaires a ce sujet en fait foi. Ce
contrat, en effet, est Fun des rares contrats oit l’exdcution forc~e est d6clarde
impossible. Th6oriquement, la personnalit6 du locateur devrait ddcider de la
possibilit6 d’exdcution forc~e. Si l’on compare les d6cisions intervenues dans:
Pitre v. Association athlJtique d’Anzateurs nationaleT2 et Aird v. Birse” on
remarque que les tribunaux semblent op6rer une distinction en fonction de la
qualit6 des services du d6biteur. La cause du contrat parait 6tre le facteur
ddterminant de cette distinction. Si la personne qui s’est engagie a fournir ses
68Labonti v. Carrier (1911), 20 B.R. 280; Bergeron v. Parent (1944), 48 R.P. 260;
Lachance v. Brissette (1930), 36 R.L.n.s. 464; Ouellet v. Thibault [1951] B.R. No.
4263.

69Art. 1612 C. civ. Procureur Giniral v. C6ti (1877), 3 Q.L.R. 235 Haycock v.
Provost (1905), 7 R.P. 249; Morgan v. Provost (1913), 15 R.P. 299; Nadeau v. Gare
Centrale d’Autobus Ltie [1948] C.S. 319.

7OArt. 1626 C. civ. Audet v. Jolicoeur (1913), 22 B.R. 35; Lachance ‘. Cauchon
(1915), 24 B.R. 421; Walton v. Harmon Company Ltd (1926), 40 B.R. 148; Viger
v. Rex Finance Corp. [1949] C.S. 298; St. Cyr v. Gagni [1945] C.S. 156.

71A cause des dispositions de l’art. 957 par. 3, le demandeur a, en effet, un autre

recours i faire valoir que l’injonction.

72Pitre v. Association athlitique d’Amateurs nationale (1911), 20 B.R. 41.
7Aird v. Birse (1912), 14 R.P. 285.

McGILL LAW JOURNAL

[Vol. 5

son employeur est irrempla~able A cause de son talent
services exclusivement
ou de sa personnalit6, les tribunaux se refusent i prter leur concours i une
execution forcie zanu tnilitari qui serait en opposition avec le principe de la
libert6 individuelle. 74 Si, d’autre part les services du locateur peuvent 6tre ad&
quatement remplac~s par ceux d’un tiers, 1’injonction qui devrait en th~orie
&re octroy~e parce que n’atteignant pas la libert6 de l’individu, est 6galement
refus~e. La cause ou consid&ation du contrat n’est plus l’engagement d’une
personne d6termine mais plut6t ‘accomplissement de certaines prestations in-
d~pendantes de la personnalit6 du contractant.7 5

Ainsi dans les deux cas, la contravention i une obligation de ne pas faire
se r~sout en une compensation mon~taire. Cette solution est la mtme qu’en
droits franais et anglais.

Le vritable domaine de l’excution forc6 des obligations de ne pas faire,
est celui des contrats commerciaux, nomm~s en anglais “restrictive covenants”.
Ce sont des conventions par lesquelles une personne s’engage A ne pas faire
concurrence
i une autre. La validit6 de ces contrats est unanimemerit reconnue
par la jurisprudence, en vertu du principe de la libert6 contractuelle. La seule
condition impos6e par les tribunaux est la limitation temporelle et spatiale de
l’engagement, de fa~on i 6viter la creation d’une servitude contractuelle per-
manente.7 6 Ainsi, une personne qui s’engage
. ne pas ouvrir un commerce
semblable i celui du crancier de l’obligation, peut 8tre contrainte par injonc-
tion, au respect de la convention mtme si cela n6cessite la fermeture de son
&ablissement. 77

De mime le contrat par lequel un employ6 s’engage A ne pas utiliser ! l’ex-
piration de la convention les secrets de commerce qui lui ont 6t6 r~vll6s dans
I’exercice de ses fonctions, est toujours susceptible d’excution forc6e 78 sans
prejudice du droit du crgancier de ne rclamer que des dommages int~r&s.

Enfin lorsqu’un contrat comporte l’obligation pour le d~biteur de r~server

ses prestations uniquement au cr6ancier, les tribunaux n’h6sitent jamais &i

T4La Sociiti anonyme des Theatres v. Lombard (1905), 27 C.S. 476 –

(1906) 15
B.R. 267; Lombard v. Varennes (1922), 32 B.R. 164; Lajoie v. Canup [1954] CS.
341; Pitre v. Association athlitique d’Amateurs r*utionale (1911), 20 B.R. 41.

75Aird v. Birse (1912), 14 R.P. 285.
7GThe Canada Metal Company Limited v. Berry (1913), 15 R.P. 178; Allard v.
Cloutier (1920), 29 B.R. 565; Barri v. Fontaine let Fits Ltd. (1933), 55 B.R. 430;
Mount Royal Dairies Ltd. v. Russman (1934), 72 C.S. 240; Maguire v. Northland
Drugs Co. Ltd. [1935] S.C.R. 412; Grossman v. Schwartz [1943] B.R. 145.

77Machinnon v. Thompson (1882), 26 R.L.J. 321; Cook v. Brisebois (1899), 16
C.S. 46; Davies v. Nadel (1906), 8 R.P. 422; Hum Hop Sing Tong v. Ming (1916),
22 R.L.n.s. 253; Allard v. Cloutier (1920), 29 B.R. 565; Mount Royal Dairies Ltd. v.
Russman (1934), 72 C.S. 240; Selnekovic v. Matusky (1936), 39 R.P. 260; Ncbesny
v. Demitroff [1944] C.S. 413; Contra: Moss v. Silverman (1874), 6 R. L. 675; Find-
lay v. McWilliam (1879), 23 L.C.J. 148; Guaranteed Pure Milk Cy. v. Patry [1957]
B.R. 54.

7SVoir note ‘pric&dente par. 1. Richstone Bakeries Ltd. v. Mongols [1953] R.P. 56.

No. 2]

L’EXECUTION SPECIFIQUE

satisfaire i la demande en execution sp~cifique, quoique dans la majoriti des
cas le cr~ander pr~fire un recours en dommages-int&ts, recours plus avan-
tageux pour lui.79

L’ex~cution sp6cifique est 6galement octroy&e en rigle g~n&ale, en cas de

contrat avec stipulation d’exclusivit6.80

Certaines dcisions en sens contraire8 l ne peuvent, i notre avis, faire auto-
rit6 sur ce point, la question de la validit6 d’une telle stipulation n’6tant dis-
cut6e que dans les obiter dicta. Dans le c1bre cas, par exemple, Central Rail-
way Company of Canada v. Wills, la ratio decidendi du jugement de la Cour
Supreme et du Conseil Priv6 fut surtout l’inexistence en droit qu6becois d’une
injonction mandatoire.

Cette brave 6tude, nous permet donc de conclure qu’en droit qu6becois,
l’excution sp&ifique des obligations de ne pas faire, grAce a l’excellence du
proc~d6 de l’injonction, est beaucoup plus fr~quente que celle des obligations de
faire, c’est pourquoi, il nous parait n~cessaire de donner ici, quelques pri-
sions sur ce sujet.

L’injonction telle qu’adopt6e par les Codificateurs qu6becois8

s’inspire j
la fois du droit anglais et du droit am&icain (droit de l’Etat de New York). 8
C’est un ordre du tribunal par lequel, a la demande du cr~ancier, le juge or-
donne au d~biteur d’ex6cuter ses obligations de ne pas faire, ou en d’autres
termes de cesser de violer les termes du contrat.

Un nouvel amendement au Code de Procedure civile8 4 a introduit

‘injonc-
tion comme action principale. Form6e par demande principale, l’injonction est
donc “l’ex~cution spcifique d’une obligation de ne pas faire”. Elle n’est plus
une simple proc6dure, elle est devenue un recours complet par elle-m~ne,
comme par exemple le recours en dommages-int&6ts.

79Picher v. Rousseau (1891), 17 Q.L.R. 239; Proulx v. Rivard (1895), 1 R.J. 174;
Cie de Navigation Richelieu et Ontario v. Paul (1898), 4 R.J. 15; The United Shoe
Machinery Co. of Canada v. Brunet (1905), 27 C.S. 200; Auger & Sons Ltd. v. Landry
(1920), 29 B.R. 493; Montreal Dairy Co. Ltd. v. Gagnon (1932), 38 R.L.nms. 272;
Constant v. Vachon [1947] C.S. 205. Voir 6galement: The Ozone Co. Limited v. Lyons
(1905), 7 R.P. 65.

SOMontreal Gaz v. La Citg de Montrial et Consumers Gaz Co. (1894), 6 C.S. 134;

Richard v. La Compagnie Rlectrique de Grand’M~re (1907), 32 C.S. 10.

81Warner Quinlan Asphalt Company v. Citj de Montrial et Aztec Oil and Asphalt
Company (1915), 24 B.R. 499, (1916), 25 B.R- 147; The Central Railway Company of
Canada v. Wills (1914), 23 B.R. 196, (1915), 24 B.R. 102.

82Rapport des Commissaires chap. 38. (G&in-Lajoie, Code de Procedure civile an-

noti, Montr6al 1920 p. 1359).

83Pitre v. Association athlitique d’Amateurs nationale (1911), 20 B.R. 111. Voir la
discussion de Sir Louis Jett& The Central Railway Company of Canada v. Wils
(1914), 23 B.R. 126: expos6 de I’H. juge Gervais p. 140 A la page 150.

842-3 Eliz II ch. 27 art. 11.

McGILL LAW JOURNAL

[Vol. 5

Avant cet amendement, la jurisprudence 6tait divisie. Certaines decisions
admettant la demande principale en injonction, d’autres la rejettant.8 5 Nous ne
discuterons pas ici les m&ites respectifs de ces dcisions, qu’il nous suffise
cependant de souligner que la majorit6 semblait se prononcer pour 1’affir-
mative.

En dehors de la forme interlocutoirea8 , mesure pr~servatrice des droits des
parties jusqu’au jugement final, l’injonction peut rev&ir deux formes suivant
la p&iode de temps pour laquelle elle est prononc6e.8 7 Elle est perp6tuelle si
son effet se prolonge jusqu’; l’ob~issance du d~biteur, et elle est provisoire si
elle ne reste en vigueur que durant une p6riode d6termin6e, fix~e par le juge.
Le droit qu~becois, A l’instar du droit anglais n’admet pas 1’existence de l’in-
‘application de l’injonction est restreinte
jonction mandatoire. En Angleterre
aux contrats n~gatifs et dans la Province de Qu6bec elle ne peut &re demand~e
que pour les obligations de ne pas faire. Tous doutes sur ce point ont &6 d~fi-
nitivement 6limin~s i la suite de l’excellente discussion de l’H. juge Gervais,
dans l’affaire Central Railway Company of Canada v. Wills.s s

De plus l’injonction 6tant un “equitable remedy” I’apprciation des circons-

tances est laissge A la discrgtion du juge.8 9

Pour obtenir l’injonction, le demandeur doit tout d’abord prouver le pr6-
judice caus6Y0 Lorsque l’obligation principale a 6t6 viole, il n’est pas n6ces-
saire d’en rapporter la preuve, cette violation est en soi une preuve suffisante.
La preuve est plus difficile cependant, si l’obligation inexgutge n’est que sub-
sidiaire ou inh&ente i la convention. I1 s’agit surtout dans ce cas d’une ques-
tion de fait.

Il faut ensuite que le cr6ancier n’ait pas d’autres recours a sa disposition. 9 ‘
S’i peut obtenir l’ex cution de l’obligation par une autre demande directe
basge sur un dglit ou un quasi-dglit, le recours en injonction lui est refusi.
Ainsi, si le contrat stipule une clause p~nale en cas d’inexgcution, le seul recours
du cr6ancier est l’action pour la rgsiliation de la somme stipule et non une
demande d’injonction.

8 5Voir: Weber, Injonction by direct action and Interimay, 1945 Rev. du Barreau

p. 400.

8GArt. 957 C. de Proc. civ. par. 2 Carter v. Blake (1877), 3 Q.L.R. 113; Gilmour v.
Paradir (1887), 31 L.C.J. 232; Cournor Mining Co. Ltd. v. Perron Gold Mines Ltd.
(1952), 3 Q.L.R. 113.
87Canada Paper Ltd. v. Brown (1921), 31 B.R. 507, (1922), 63 S.C.R. 243; Garneau

v. Citadel Brick Co. (1931), 51 B.R. 9.

88Note 2 p. pr~c&&ente d6cision cite The Central Railway etc. p. 149-150.
8 9Marconi Wireless Telegraph Co. v. Canadian Car and Foundry Ltd. (1918), 54

C.S. 535.

DoDelaney v. Guilbault (1890), 19 R.L. 544; Poulos v. Scroggie (1903), 9 R.J. 495.
9 1 Wallace v. Languedoc (1902), 2 C.S. 298; La Sociiti Anonvme des TlUdtres v.
Lombard (1905), 27 C.S. 476; Hamilton Power v. Johnson (1906), 12 R.J. 263. Cd
principe est pouss6 tellement loin que l’inionction n’est pas accord6e si les dommages-
int&&s forment compensation adequate. Central Railway Company of Canada v. Wills
(1915), 24 B.R. 102.

No. 2]

L’EXECUTION SPECIFIQUE

I1 convient de signaler enfin, que toutes les rigles r gissant 1’injonction sont

appliqu~es de faqon tr~s stricte par les tribunaux.

La valeur du proc6d6 de l’injonction tient aux sanctions imposees en cas de
contravention ou de d~sob~issance i celle-ci. Le d~biteur fautif peut 6tre con-
i ne fait aucun
damn6 A une forte amende et m&ne i I’emprisonnement;9
doute que la valeur comminatoire de 1injonction est sup&ieure a celle de l’as-
treinte. Mais, la repugnance des tribunaux A gin6raliser ou i octroyer de ma-
nitre continuelle la contrainte par corps fait perdre i l’injonction une partie
de sa valeur, si bien qu’en pratique l’astreinte permet peut Etre de meilleurs
r~sultats, tout au moins dans des cas beaucoup plus fr~quents. Cependant, on
peut constater que, malgr6 tout ce qui semble les s~parer, astreinte et injonc-
tion ne sont pas aussi 6loign~es l’une et l’autre que l’on pourrait le penser,
‘art. 971
elles aboutissent pratiquement aux m~mes r~sultats puisque d’apr~s
du Code de Proc. civ., la condamnation p ,uniaire pour refus d’ob~issance A
une injonction Peut 6tre renouvelle jusqu’A ex~cution.

(c) R~gles g~nrales de l’ex~cution sp cifique en droit qufbecois.

On peut d~gager de l’ensemble des d&isions judiciaires qu6becoises sur
‘ex~cution sp6cifique un certain nombre de r~gles g~nrales strictement lgales
ou inspir~es de l’6quit6. Ces r~gles sont plut6t considr~es comme des condi-
tions sine qua non A l’octroi de l’ex~cution spcifique; elles ont acquis un
caract~re d’inflexibilit6 qui en fixe les fronti~res.

Le principe de la rciprocit6 des prestations est peut Etre celui qui est invo-
qu6 le plus fr~quemment par la jurisprudence. Cette r~gle connue 6galement
sous le nom latin d’exceptio non adimpleti contractus est directement inspir~e
du droit francais. Dans un contrat synallagmatique, celui qui demande l’ex6cu-
tion sp6cifique doit 8tre prt A ex~cuter ses propres- obligations.9 3 Dans la
Province de Qu6bec, comme en France d’ailleurs, ce principe est consid6r6
comme une convention tacite faisant partie int6grante du contrat,94 puisque la
cause de la prestation d’une des parties est la prestation de l’autre. En droit
anglais au contraire, la “consideration” 6tant ]a plupart du temps une valeur
p~cuniaire, le principe de la rciprocit6 des obligations a acquis un caract~re
formel et a pris le nom de “mutuality of remedies”, c’est une principe d’&Equit.
92 Art. 971 et 834 du Code de Proc. civ. McDonald v. Jolis (1878), 1 L.N. 446 (d&
32

cision renvers~e en appel) ; Ricard v. La Cie Rlectrique de Grand’Mre (1907),
C.S. 10; Corbeil v. Maranda (1953), R-L.n.s. 55.

93 Beard v. Brown (1871), 15 L.C.J. 136; Reid v. Smith (1880), 6 Q.L.R. 367;
Kuppenheimer v. McGorvan (1909), 18 B.R. 215 (218); In Re Diamond Trucks Com-
pany Ltd. and Bell Telephone Co. of Canada v. Duclos [1942] B.R. 83; Ltourneau vi
Luneau [1946] C.S. 129. Pour plus amples d6tails voir: Cyr v. Lacours (1915), 47
C.S. 86; D’Ambrosio v. Rufo (1921), 59 C.S. 345; City Realty Investing v. Morris
(1923), 29 R.L.n.s. 457; Moisan v. Hill (1926), 40 B.R. 515, [1918] S.C.R. 90; Christin
et Co. Ltie v. Piette [1944] R.L.n.s. 364; Vinet v. Choquette [1948] C.S. 469, A la
page 473; Drouin v. Dubois [1951] C.S. 301, A la page 306.

9 4Fortier v. Perreault (1923), 29 R.L.n.s. 354.

McGILL LAW JOURNAL

[Vol. 5

l’t des contractants
II serait injuste d’accorder la “specific performance” i
lorsqu’il n’a pas fait preuve de bonne foi en excutant volontairement ses obli-
gations. Les tribunaux qu~becois, tout en admettant la conception frangaise ont
essay6 d’en temp6rer la rigueur dans certains cas, par soud de justice natu-
relle.9 5

Le contrat de vente est 1’exemple par excellence de l’application pratique
de ce principe. Les obligations de livrer et de payer le prix,9 6 aussi bien que
celles de ceder les titres de vente et de payer le prix,97 doivent &re conconit-
tantes. De m’ne dans le contrat de louage de choses, le bailleur devant pro-
curer la jouissance paisible des lieux au preneur, ce dernier est justifi6 i refu-
ser le paiement du loyer, lorsque le bailleur contrevient

. son obligation.98

Mais le principe de la r&iprocit6 des prestations n’est pas seulement un
moyen de defense; il peut 6galement servir de moyen de contrainte indirecte.
Dans le contrat de louage de services par exemple, le locateur ne peut exiger
le paiement du prix convenu avant d’avoir fourni bonne et compl~te ex&ution
de ses obligations. L’entrepreneur ne peut r&lamer le paiement avant d’avoir
achev6 les travaux9 9 et est indirectement force6, s’il tient A pr6server ses int6-
r~ts, de donner ex6cution parfaite A son cr~ancier.

D’autre part, les tribunaux ont toujours consid6r6 comme strictes les r~gles
‘existence et la perfection des contrats. Ainsi, il est naturel que
l’ordre public, ne soit jamais

gouvernant
toute obligation contraire aux bonnes moeurs oui

05Robinson Oil Burners Ltd. v. Blanger Lte [1956] B.R. 318.
08Contan v. Normandin (1882), 11 R.L.n.s. 354; Deslve v. Fredette (1889), 17
R. L. 438; Desiardins v. Beaulieu (1903), 9 R.J. 521; Robert v. Sarault (1918), 53
C.S. 484; Papineau v. Harris Abattoirs Co. (1922),
28 R.L.n.s. 137; Gendron v.
Huart (1923), 34 B.R. 120; Dupas v. Shntcal (1928), 34 R.L.n.s. 53; Montreal Motor
Sales Limited v. Talbot (1928), 34 R.L.n.s. 55; Ranger v. Francoeur [1943] R.L.n.s.
435; Duchaine et Boucher Inc. v. Bidard [1956] C.S. 395.

97P~trin v. Brunet (1884), 12 R.L. 657; Chercuitte v. Cumings (1916), 50 C.S. 359,
(1917), 51 C.S. 63; Ross v. Amiot (1918), 24 R.L.n.s. 281; Gilson v. Lemieux (1919),
28 B.R. 497; St. Lawrence Investment and Trust Co. v. Candib (1923), 61 C.S. 534;
royal v. Bourassa (1926), 40 B.R. 322; Larouche v. Chrte a Caron Power Co Ltd.
(1931), 37 R.L.n.s. 344; Leblanc v. Alain (1933), 39 R.L.n.s. 254; Grenier v. Morrow
(1936), 42 R.L.n.s. 6; Roger v. Roy (1936), 42 R.L.n.s. 64 Contra: Cousineau v. Allard
(1898), 13 C.S. 388.

N.B.: sur l’obligation de l’acheteur d’offrir le prix voir: Great Lakes and Atlantic

Canal and Power Company Limited v. Robert (1927), 42 B.R. 193.

98Tripanier v. Thibodeau (1931), 37 R.Ln.s. 325.
D9 Saumure v Les Commissaires d’Ecole pour la Municipaliti de la Paroisse de St.
Jjr6me (1888), 16 R.L. 214; Hinhell v. Le Club Champitre canadien (1910), 16 R.L.
ns. 204; Rochon v. Favreau (1912), 21 B.R. 61. (1912), 46 S.C.R. 647; Lalonde v.
Fickels (1915), 47 C.S. 257; Brooks v. Gravers (1916), 22 R.L.n.s. 500; Prud’homme
et Fils Lte. v. Climent (1924), 62 C.S. 24; Zanella v. Lafontaine (1929), 35 R.J. 42;
Viens v. Chonikre [1945] C.S. 106; Hamilton v. Perreault [1945] C.S. 264; Anctil v.
Citi [1950] C.S. 461; Chayer v. Bilanger [1954] R.L.n.s. 509.

L’EXECUTION SPECIFIQUE

No. 2]
susceptible d’ex~cntion sp~cifique. 1- On ne peut de mnme exiger
‘ex&ution
en espce d’une obligation, si le droit qui la cr~e n’est pas encore l~galement
n6.101

L’octroi de l’excution sp6cifique depend donc directement de la validit6 du

contrat et de l’exigibilit6 des obligations qu’il comporte.

L’application trop formaliste, i notre avis, des dispositions des art. 1065-
1066 du Code civil est 6galement une cause de t’6_hec partiel de 1’ex&ution
sp6cifique dans le droit qu6becois. Le choix donn6 au creancier par notre
droit, peut devenir une arme dangereuse contre lui. Ce danger pr~sente un
double aspect. Tout d’abord la demande du cr~ancier doit Etre formule de faqon
ce que le jugement qui l’accorde puisse &re susceptible d’exicution.102 Si
donc, celui-ci r&lige mal ses conclusions, il risque de voir s’iteindre tout recours
6ventuel contre son d~biteur. 03 D’autre part, les tribunaux ne pouvant juger
ultra petita (art. 113 C. de Proc civ.) le juge ne peut supplier
l’onission
d’une conclusion subsidiaire, car d’apr~s notre droit il est oblig6 de consid~rer
uniquement la demande m&ne du cr~ancier. Si donc, celui-ci opte pour l’ex6-
cution spcifique, alors qu’elle est moralement
impossible selon le tribunal,
aucune compensation mon~taire ne peut lui itre accordie.10 4 Ce principe est
pouss6 tellement loin que tout jugement prescrivant un mode d’excution non
pr~vu par la loi, est invariablement renvers6 par les Cours d’Appel.105 Pour
pallier cette difficult6 de forme, le cr~ancier, de nos jours, conclut en g~nral
principalement
l’ex~cution sp6cifique et subsidiairement a des dommages-
intr&s.. En France, au contraire, le juge ayant en cette matire un pouvoir
discr~tionnaire beaucoup plus 6tendu, il n’est pas rare de le voir op&er la con-
version du recours.

.

Le choix laiss6 au demandeur par le Code n’est d’ailleurs pas absolu. Le
cr~ancier a th~oriquement le droit de former uniquement un recours en dom-
mages-int&&s, 0 6 mais le d~biteur conserve ]a possibilit6 d’arr&er ce recours

‘OODorchester Electric Company v. Thompson (1915), 48 C.S. 471; Leroux v. Robert

[1949] R.P. 225.

IOLajanis v. Grenier (1909), 36 C.S. 171; Moquin v. Dingman (1913), 44 C.S. 341;

Roy v. Morin [1943] B.R. 591.

lO2Gagnon v. Maheux (1915), 24 B.R. 129; Albion Textile Co.-v. Victoria Hat Manu-

facturing Co. Ltd. [1943] C.S. 127.

103Lapierre v. Maqnan (1912), 2 C.S. 59; Starmont v. Ein (1926), 29 R.P. 106;

Gallichand v. Gallichand (1924), 62 C.S. 176.

‘ 04Messier v. La Compagnie d’Acqueduc de Ste Madeleine Lte

[1947] C.S. 194; Titu

v. Lebel (1925), 28 R.P. 67. L’inverse est igalement vrai: Boswell v. Kilborn (1862),
6, L.C.J. 108; Beets v. Sauvage (1927), 23 B.R. 15.

105Brunette v. Fraser (1880), 19 R.L. 305; Les Curgs et Marguilliers de l’Oeuvre
et Fabrique de St. Charles de Lachenaie v. Archambault (1907), 9 R.P. 369; Quebec
County Railway Cd. v. Montcalm Land Co. Ltd. (1929), 46 B.R. 262.

IOSKaine v. Michaud (1920), 58 C.S. 531; Lachance v. Brissette (1930), 36 R.L.n.s.

464, 49 S.C.R. 321.

McGILL LAW JOURNAL[

[Vol. 5

en tout temps avant le jugement, en offrant l’excution en nature.’0 7 N’est-ce
pas IA une preuve convaincante que le droit qu6becois considbre la demande en
dommages-intrits comme l’exception au principe g&iral de l’ex~cution sp6ci-
fique? Cette assertion a d’autant plus de force que rinverse n’existe pas, le
d~biteur ne peut arr~ter une action en excution spcifique en offrant de payer
des dommages-int6rits compensatoires, t0 8 et ne peut substituer un corps certain
i un autre dans son offre d’ex~cution.10 9

D’autre part, le choix du cr~ancier n’est pas absolu, puisqu’il peut dans sa
demande r~clamer des dommages-intir&ts compensatoires, pour le pass6, tout
en concluant i l’ex~cution spcifique pour l’avenir.110

Enfin, une autre r~gle inspir~e celle-ci de l’6quit6, apporte une limite i l’octroi
de ]’execution sp6cifique. En effet, les juges quibecois se rapprochant par IA de
leurs colligues anglais, refusent constamment l’octroi de 1’exEcution sp~cifique
lorsqu’elle ne parait pas 6quitable.’ 1 ‘ Ainsi, lorsque 1’execution sp~cifique par
6quivalence est possible, l’exdcution forc~e est refus~e; ce refus’ 12 est bas6 str
le principe de l’abus des droits. II arrive 6galement que lorsqu’un intrt sup6-
rieur est en jeu, les tribunaux lui sacrifient l’ex6cution sp&ifique.11 3

De ce bref examen, on peut donc conclure que l’excution spcifique n’est
pas un droit absolu, mais bien un droit confin6 dans des limites tr~s strictes,
dont la dtermination est laisse en partie A l’apprciation du juge grAce A
l’introduction de la notion d’6quit6.

Et en terminant, il faut noter la tendance g~n6rale assez 6trange et certaine-
ment paradoxale au point de vue juridique, qui se manifeste depuis 1867, de
prot~ger le plus possible le d6biteur alors qu’il est seul en faute.

CONCLUSION

L’tude que nous venons de faire sur l’excution spcifique en droit qu6-
becois, n’a pas la pr~tention d’tre complete. Le probl~me est si vaste qu’il
m~riterait un examen beaucoup plus approfondi. Nous nous sommes limit6s
ici A une tentative de synth~se g6nrale, en essayant d’incorporer dans notre
6tude th~orique, un certain nombre d’exemples pratiques qui auront peut-Etre
pennis au lecteur de mieux d~finir le domaine de l’exdcution spcifique.

Un principe g6nral se d gage de cette 6tude: l’ex~cution sp6cifique est, a
vrai dire, moins un problime de pur droit qu’une question, de fait. Le juge

lo 7Auger et Sons Lhe v. Asselin (1920), 58 C.S. 367.
lOFrafpier v. Lemire (1932), 53 B.R. 9.,
1 00ProuIx v. Beaudoin [1948] C.S. 69.
1 1 0Boudreault v. Compagnie Hydraulique de St. F~iicien [1924] B.R. 455.
nlAinsi la caution n’est responsable qu’en dommages-intir&ts si le d6biteur ne s’exi-
cute pas, par interpretation du terme “equitable” des art. 1941-1948 C. civ.: Hpital
Laval Limiti v. Roberge [1942] C.S. 166. Voir 6galement les exemples suivants: Le-
lentde v. Boyer (1928), 66 C.S. 121; Laflante v. Hamelin [1957] B.R. 417.

1l2Simard v. Fortier (1892), 1 C.S. 191.
1 1 3Seaton v. Doucet (1921), 59 C.S. 92.

No. 2)

L’EXECUTION SPECIFIQUE

s’attache plus aux r6sultats pratiques obtenus qu’5. l’aspect theorique. C’est IU
pr~cis6nent que se trouve la clef du problbme. La division artificielle pr6n~e
par la Ioi entre les difffrentes espices d’obligations, rend impossible toute
tentative de g~nfralisation. Telle ou telle rigle valable pour les obligations de
faire ne l’est pas pour les obligations de ne pas faire et inversement. Tenter de
un 6chec certain.
dfgager une th6orie juridique d6finie risquerait d’aboutir
Une seule donn~e du problrne demeure valable et constante: les r~alisations
pratiques. II ne faut cependant pas concevoir l’excution sp~cifique comme tn
“remade” ou une “proc6dure”. Ses radnes sont beaucoup plus profondes, car
son existence est lie intimement i la thaorie g~n~rale des obligations. Seule
intellectuelle de gn&araliser des principes juridiques en cette
l’impossibilit6
mati~re, fait apparaitre l’excution spcifique comme une s&-ie de procfd~s
liens, d~nu~s de toute base essentiellement
formalistes
juridique.

incoh6rente et sans

L’6tude du problbme de l’ex.cution sp6cifique d~nontre cependant d’une
fa~on 6clatante combien le Droit correspond aux r6alit~s 6conomiques et socio-
logiques d’un pays.

La France, qui, depuis la R6volution et la c~l~bre D6claration des Droits
de l’Homme, a tout fait pour donner A l’individu une libert6 complte, a su
adapter A cet ideal les solutions apportfes, leurs r~sultats sont peut-Etre actuel-
lement les meilleurs.

Le Droit anglais, bien qu’il se fasse lui aussi le champion du respect de la
personne humaine, a cru pr~frable de se prononcer en faveur de l’emploi
d’une force physique contr61$e et restreinte.

Le Droit qu6becois, lui, a souffert du conflit de ces principes franais et
anglais. Puisant son inspiration mfme aux sources juridiques latines et plus
particulirement fran~aises, il a emprunti A l’Angleterre ses moyens de proc&
dure, cr6ant ainsi les germes d’un conflit interne. Comment parvenir, en effet A
concilier un droit fondamentalement respectueux de la libert6 individuelle, avec
une procedure qui lui est fonci~rement r~fractaire, sinon hostile? Les tenta-
tives de conciliation ou de rapprochement entre ces deux extremes sont la
cause des incertittdes jurisprudentielles dans la Province de Quebec, et ]a
source des difficult~s 6prouv~es par le Droit qu~becois i trouver sa voie. La
port~e juridique de ce conflit interne est d’ailleurs beaucoup plus grande qu’un
examen superficiel de la question ne le laisserait supposer. A une institution
souple et large. le juge doit, comme nous l’avons vu, appliquer des concep-
tions strictes et 6troites qui provoquent une franche diformation du droit qu&
becois des obligations. On perqoit tr~s nettement l’effet n6faste de ce conflit
dans les decisions judiciaires de notre Province. Plut6t que d’examiner
le
fondement legal de la r~gle, le juge qu~becois, lorsque le probl~me de l’excu-
tion spcifique lui est pos6, s’attache plus volontiers i ses effets. La seule ques-
tion qu’il semble se poser est la suivante: “Si j’octroie l’excution spcifique,
le jugement que je rendrai sera-t-il susceptible d’exicution, rentrera-t-il dans
le cadre des rem~des de procdure a ma disposition ?” La r~ponse 6tant n~ga-

McGILL LAW JOURNAL

[Vol. 5

tive dans la majorit6 des cas, les principes des art. 1065 et 1066 tombent peu
i peu en d~suitude, si bien que de nos jours la demande en execution spcifi-
que est presque consid&6e par les praticiens comme un risque i courir.

Cet 6tat de chose ne peut durer. Une r6forme immediate s’impose. II serait
ncessaire de rtablir . tout prix l’quilibre compromis. A cet effet trois solu-
tions seraient possibles.

La premiere qui consisterait i adopter comp16tement et sans restrictions les
principes du droit anglais, nous semble extr~mement dangereuse. Si 1’ex cu-
tion spcifique devenait comme en Angleterre, un remade d”‘equity” et pre-
nait un caract6re exceptionnel et extraordinaire, cela signifierait la disparition
compl6te et la destruction totale de F’originalit6 du droit qu6becois. L’introduc-
tion en bloc dans notre droit d’inspiration fran~aise, d’un principe anglais
aurait comme consequence l’effondrement A plus ou moins brave 6ch6ance de
la th~orie g~n~rale des contrats. On ne peut pr~lever une institution d’un sys-
t me 6tranger et la greffer sur un autre, car, ou bien elle mourra d’elle-m~me
par suite des difficult~s d’adaptation, ou bien elle prolifrera rapidement et
finira par 6touffer indirectement les principes qui la soutenaient.

La deuxi~ne solution possible consisterait a abolir compl6tement le syst~me
de l’injonction au profit d’un autre systime correspondant plus A. la r~alit6
de notre Droit fondamental. Cependant, l’introduction de l’astreinte dans notre
Droit ne nous paraitrait pas plus heureuse que celle du Droit anglais. Le bou-
leversement qu’un tel changement apporterait dans notre procedure am6nerait
vraisemblablement d’insurmontables difficult6s. Et, comme d’autre part, il n’a
jamais &6 dans la traditions des tribunaux qu~becois d’octroyer des dommages-
intrts punitifs, on pourrait craindre de leur part une certaine r6pugnance,
6tant donn6 surtout la lenteur d’adaptation A de nouveaux principes. Le Droit
qu6becois pourrait parvenir indirectement au syst~me de l’astreinte si le cr~an-
cier pouvait conclure A l’excution sp&cifique principalement, et subsidiaire-
ment A des dommages-int6r&ts d6lictuels, en vertu de l’art. 1053 C.civ. Le
cumul des actions contractuelles et d~lictuelles n’est cependant pas en faveur
A l’heure actuelle dans notre Droit.

La seule solution A envisager nous parait donc devoir

tre une solution de
compromis, empruntant aux syst6mes anglais et francais leurs qualit6s respec-
tives.

Le Droit franoas nous offre la g~nralisation de l’octroi de l’excution sp6-
cifique et le respect complet de la parole donn~e. Le Droit anglais de son
c6t6 nous pr~sente la coercition physique comme moyen de contrainte autre-
ment plus efficace que la contrainte p6cuniaire, puisqu’elle atteint rhomme dans
sa personne et non dans son patrimoine.

La solution que nous souhaiterions voir adopter serait donc l’introduction
dans notre Droit de l’injonction nwndatoire. Pourquoi limiter l’octroi de l’in-
jonction aux obligations de ne pas faire? Pourquoi ne pas affernir le principe
et ne pas en 6tendre
‘application aux obligations de faire et de donner? Une
telle solution pr~senterait en effet un double avantage: elle concilierait enfin

No. 2]

L’EXECUTION SPECIFIQUE

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les sources fran~aises et anglaises du Droit qu6becois en les unifiant; elle 6li-
minerait ce conflit int6rieur que nous mentionnions plus haut; enfin ee per-
mettrait la g~nralisation de l’octroi de l’excution sp~cifique. Les tribunaux
auraient alors A leur disposition un moyen de contrainte efficace et g6nralis6
dans son application; nous sommes persuades que disparaitrait en mgme temps
cette sorte de timidit6 dont ils font preuve.

Cependant, cette innovation ne rtglerait pas l’6ternel conflit entre la volont6
individuelle et l’autorit6 du tribunal lorsque l’obligation comporte un fait per-
sonnel du dfbiteur. Ce conflit ne peut d’ailleurs 8tre r~solu. II est le mime en
Droit anglais et en Droit fran~ais, et sur ce point les solutions de ces deux
Droits sont identiqties, en dfpit des difffrences profondes qui.sfparent ces deux
syst~mes juridiques. Tout ce qui serait permis d’esprer, et en fait, tout ce
qui serait souhaitable, serait de parvenir A favoriser l’extension de l’octroi de
1’excution spfcifique dans les domaines oii elle reste moralement et matfrielle-
ment impossible.

Le Droit qui est en fait l’expression sociologique d’un idal moral doit 6tre
le trait d’union entre les aspirations individuelles et 1 intfrt supfrieur de la
Socit.