CASE COMMENT
CHRONIQUE DE JURISPRUDENCE
Lexercice de la comptence juridictionnelle
internationale des tribunaux au Qubec :
une crise des valeurs ? Commentaire sur
Spar Aerospace lte c. American
Mobile Satellite Corp.
Louise Lussier*
les rgles de droit
En 2002, en rendant sa dcision dans laffaire
Spar Aerospace lte c. American Mobile Satellite
Corp., la Cour suprme du Canada ratait une occasion
d’arrimer
international priv
canadiennes et qubcoises. Pour l’auteure, la dcision
cre une asymtrie sur trois plans : dabord, la Cour
relgue les principes de courtoisie, dordre et d’quit
au rang de guides d’interprtation ; ensuite, elle refuse
de tenir compte du test du lien rel et substantiel
comme critre additionnel aux critres spcifiquement
codifis au Code civil du Qubec ; enfin, elle ne se
penche pas assez longuement sur le test du forum non
conveniens et
son caractre
exceptionnel. Par un examen de la jurisprudence
canadienne et des dispositions du Livre dixime du
Code civil, l’auteure avance quil nexiste que peu de
raisons justifiant le maintien d’un droit international
priv qubcois isol du droit canadien et de son
volution rcente.
insiste
trop
sur
In 2002, in rendering its judgement in the case of
Spar Aerospace Ltd. v. American Mobile Satellite
Corp., the Supreme Court of Canada missed an
opportunity to bring together Canada and Quebec’s
private international law rules. According to the author,
the decision creates a triple asymmetry: first, the Court
relegates the principles of courtesy, order, and equity to
the rank of interpretative guidelines; second, it refuses
to recognize the real and substantial connection test as
an additional criterion to those specifically codified in
the Civil Code of Quebec; third, it fails to sufficiently
consider the forum non conveniens test and excessively
its exceptional character. Through an
stresses
examination of Canadian
the
provisions of Book Ten of the Civil Code, the author
argues that few reasons justify maintaining Quebec
international private law rules isolated from Canadian
law and its recent developments.
jurisprudence and
* Conseillre juridique, Ministre de la Justice du Canada. Lauteure prsente ici ses opinions
personnelles qui nengagent quelle-mme. Ce commentaire a t rdig en mai 2003 et mis jour
pour les fins de sa publication. Une version anglaise est disponible sur demande auprs de lauteure.
(An English translation is available upon request to the author.)
Louise Lussier 2005
Mode de rfrence : (2005) 50 R.D. McGill 417
To be cited as: (2005) 50 McGill L.J. 417
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Introduction
I. Historique
II. La courtoisie internationale, lordre et lquit en
droit qubcois
A. Labsence de rfrence dans les Codes
B. La difficult de dfinir ces principes
C. Le caractre non contraignant des principes
1. Leur valeur normative suprieure
2. Leur reconnaissance en droit constitutionnel canadien
a. Validit constitutionnelle
b. Lexercice appropri de la comptence
c. Le respect des droits constitutionnels des parties
III. Lopportunit du critre du lien rel et substantiel en droit
qubcois
A. La question du critre additionnel
B. Dans son rapport avec le forum non conveniens
IV. Lapplication de la doctrine du forum non conveniens
au Qubec
A. Les critres du forum non conveniens
B. Le caractre exceptionnel
Conclusion
Annexe
419
L. LUSSIER SPAR AEROSPACE
2005]
Introduction
Le 11 juin 2002, dans laffaire Spar Aerospace lte c. American Mobile Satellite
Corp., la Cour suprme du Canada rejetait sur le banc, avec motifs suivre, lappel de
quatre compagnies amricaines poursuivies par Spar au Qubec dans une action en
dommages (extra-contractuels et contractuels) et qui contestaient la comptence des
tribunaux qubcois dentendre le litige, lui prfrant celle de tribunaux situs aux
tats-Unis1. Notons que les dfenderesses staient vues refuser la formulation dune
question constitutionnelle2. Cest le 6 dcembre 2002 que le juge Louis LeBel, au
nom des sept juges composant le banc, faisait part des motifs de ce rejet dans une
dcision fort captivante3, particulirement pour ceux et celles qui sintressent au droit
international priv canadien et qubcois.
notre avis, la dcision dans Spar a reprsent pour la Cour suprme une
occasion rate darrimer les rgles du droit international priv qubcois lvolution
rcente du droit international priv canadien. Pour la Cour, la justification simpose
delle-mme en raison de lidentit distincte du droit qubcois. En effet, cest en
raison de la codification des rgles du international priv4 que le juge LeBel, au nom
de la Cour, prconise une dmarche diffrente au Qubec de celle adopte ailleurs au
Canada, ds lors que les rgles du Code civil du Qubec entrent en jeu.
Nous tenterons de dmontrer que lemphase sur le caractre identitaire du droit
qubcois nest pas sans faille ni pril. En agissant ainsi, la Cour a limit la porte en
droit qubcois de certains principes constituant les fondements du droit international
priv moderne canadien, savoir la courtoisie, lordre et lquit, et ce en dpit des
attributs dimpratifs constitutionnels quelle leur avait reconnus dans ses dcisions
antrieures. De plus, elle a mis en veilleuse en droit qubcois le test autonome de la
validation de la comptence juridictionnelle sur la base du critre du lien rel et
substantiel, ce qui contraste avec lexamen des rgles de comptence auquel elle
procde dans les autres provinces. Enfin, elle a formul une interprtation distincte de
la doctrine du forum non conveniens de celle retenue par lacommon law canadienne.
Si certains taient tents de croire que sur le plan des rsultats rien nest vraiment
diffrent, ils pourraient nanmoins dchanter. Les consquences dune telle dcision
vont lencontre de lmergence dun droit international priv canadien moderne,
avec la Cour suprme du Canada pour arbitre final et agent unificateur, puisquelle
cre une asymtrie entre le Qubec et les provinces de common law. Vue travers le
regard des justiciables trangers et de leurs procureurs, elle pourrait exacerber les
1 Voir Cour suprme du Canada, Communiqu, Appels entendus (11 juin 2002), en ligne :
LexUM
2 Voir Hughes Communications inc. c. Spar Aerospace lte (9 octobre 2001), 28070 (C.S.C.), juge
en chef McLachlin. La juge en chef na toutefois pas fait partie du banc lors de laudition et du
jugement au fond.
3 [2002] 4 R.C.S. 205, 220 D.L.R. (4e) 54, 2002 CSC 78 [Spar avec renvois au R.C.S.].
4 Spar, ibid. au para. 23.
[Vol. 50
MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE MCGILL
420
rticences de certains tats reconnatre un statut spcial aux pays qui, comme le
Canada, possdent une structure fdrale. Dans le cadre de traits, dont ceux visant
entre autres la reconnaissance et lexcution de jugements en matire civile et
commerciale, ces tats pourraient sobjecter linsertion de clauses susceptibles de
neutraliser lapplication des dispositions du trait entre les provinces et territoires du
Canada en les soumettant plutt aux diffrentes rgles locales, puisque ceci irait
lencontre de lobjectif du trait. Sur le plan interne, on peut galement se demander si
une telle position est ncessaire pour respecter la spcificit du droit international
priv qubcois, notamment en raison de la codification de certaines rgles au Livre
X du Code civil. Cet espace juridique peut tre considr comme un droit hybride,
aux confluents dinfluences diverses provenant tant des systmes de droit civil et de
common law que du droit international priv conventionnel ou compar. Ces
influences ne sont pas ngligeables non plus dans lvolution du droit international
priv canadien. Dans quelle mesure, ds lors, la spcificit qubcoise doit-elle
sinscrire en marge du courant vers une plus grande harmonisation du droit
international priv canadien et mondial ?
Ces questions mritent certes dtre dbattues plus largement que dans le cadre de
ce commentaire, mais il nous a sembl utile de les identifier comme trame de fond de
la prsente analyse critique de la dcision Spar. En toute dfrence, nous sommes
davis que le raisonnement de la Cour, pris dans son ensemble, parat parfois manquer
de cohrence, non seulement par rapport ses dcisions antrieures, mais galement
dans sa logique intrinsque. Aprs un bref rappel des faits (partie I), nous analyserons
la dcision selon lordonnancement de sa construction, savoir, tour tour,
lapplication en droit qubcois des principes de courtoisie internationale, dordre et
dquit (partie II), le rle en droit qubcois du lien rel et substantiel et son
utilisation en tant qulment de contrle dune comptence inapproprie dans son
rapport avec le forum non conveniens (partie III) et enfin, lapplication proprement
dite de la doctrine du forum non conveniens au Qubec (partie IV).
I. Historique
Laffaire commence lorsque, au dbut des annes 1990, American Mobile
Satellite (AMS, devenue depuis Motient), une compagnie exploitant des satellites,
passe une commande auprs de Hughes Aircraft pour la construction dun satellite.
Hughes se tourne alors vers Spar Aerospace (Spar) pour la fabrication, en sous-
traitance, du matriel de communication formant la charge utile du satellite. Aprs le
lancement russi du satellite et sa mise sur orbite au dbut de 1995, AMS dcide de
procder des tests de communication et en confie la ralisation deux autres
compagnies, Westinghouse Electric (devenue Viacom) et Satellite Transmission
Systems, le tout sous la supervision de Hughes Communications. Toutefois, des
problmes surviennent lors des tests, endommageant gravement le satellite. Le blme
est jet sur Spar, qui se voit refuser par Hughes Aircraft le paiement de primes de
rendement dcoulant du contrat de sous-traitance.
421
L. LUSSIER SPAR AEROSPACE
2005]
En 1998, des poursuites en dommages sont alors entreprises de part et dautre,
tant en Californie, tablissement principal de Hughes Aircraft et Hughes
Communications, quau Qubec, place daffaires de Spar et lieu de fabrication du
matriel. Aprs avoir russi obtenir un rglement hors cour suite une srie de
poursuites intentes contre elle en Californie, Spar doit rsister aux tentatives des
compagnies impliques (sauf, fait intressant, son co-contractant direct, Hughes
Aircraft) de faire chouer son action au Qubec, et ce jusqu la Cour suprme.
Laffaire ne sera jamais entendue quant au fond, puisque les parties arrivent un
rglement hors cour la fin de 2004.
Dune part, les dfenderesses prsentent dabord une requte en vue dexiger une
caution pour la sret des frais allguant que Spar, ayant son sige social en Ontario,
est assujettie lexigence formule par larticle 65 du Code de procdure civile. Elles
sont toutefois dboutes5 : Spar, en effet, possde un bureau daffaires au Qubec et
peut donc tre considre rsidente.
Dautre part, aucune des compagnies dfenderesses nayant de lien avec le
Qubec, elles essaient alors, par voie de requte en exception dclinatoire, dattaquer
la comptence des tribunaux du Qubec au motif de labsence de comptence
matrielle et, subsidiairement pour certaines, sur la base du forum non conveniens en
vue de faire rejeter laction de Spar. Elles nont pas le succs escompt, ni en Cour
suprieure, ni en Cour dappel du Qubec, qui les dboutent dans des jugements
lapidaires.
Le 4 octobre 1999, la juge Duval Hesler de la Cour suprieure, aprs un bref
expos des principes juridiques applicables partir des rgles du Code civil et de
dcisions antrieures de la Cour suprme, dcide que la comptence des tribunaux du
Qubec peut tre fonde sur larticle 3148 du Code civil, puisque cest au Qubec que
Spar a subi des dommages6. Elle statue de plus quen lespce, puisquaucun autre
tribunal ne parat comptent, la requte en vue du rejet de laction en application de la
doctrine du forum non conveniens nonce larticle 3135 ne peut pas tre accueillie.
Dans sa dcision du 24 mai 2000, la Cour dappel se limite mentionner de
manire succinte les diverses bases de comptence numres larticle 3148, avant
de conclure la comptence des tribunaux du Qubec conformment au troisime
alina cest–dire au motif que le fait dommageable, latteinte la rputation de
Spar, tel quallgu, sest produit au Qubec7. La cour ajoute toutefois au texte de
cette disposition une condition, celle dune rclamation notable, et non pour des
dommages ngligeables, au regard de larticle 3164, qui impose lexigence dun
rattachement important entre le litige et un tribunal tranger. La cour estime que
5 Spar Aerospace Ltd. c. American Mobile Satellite Corp., [1998] R.J.Q. 2802 (C.S.).
6 Spar Aerospace Ltd. v. American Mobile Satellite Corp., REJB 1999-14700 (C.S.).
7 Mme si quatre appels distincts avaient t dposs, la cour en a dispos comme sil ny avait eu
quun seul appel dans larrt American Mobile Satellite Corp. c. Spar Aerospace Ltd., [2000] R.J.Q.
1405 (C.A.) [Spar (C.A.)].
MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE MCGILL
422
cette exigence doit galement se lire dans larticle 3148(3) et quen lespce elle est
comble, puisque la rclamation de Spar porte sur des dommages substantiels8.
[Vol. 50
Ayant eu lautorisation de porter cette dcision en appel9, les dfenderesses nont
pas non plus gain de cause devant la Cour suprme qui, le 11 juin 2002, rejete les
appels avec motifs suivre10. Cette fois, dans une dcision longuement motive en
date du 6 dcembre 2002, la Cour, sous la plume du juge LeBel, clarifie le fondement
de la comptence des tribunaux qubcois en lespce11. Elle estime notamment,
linverse de la juge des requtes en Cour suprieure qui a correctement conclu que les
tribunaux du Qubec pouvaient se dclarer comptents sur la base de lexistence dun
prjudice subi au Qubec, que la Cour dappel a commis une erreur dans son
interprtation de la base de comptence fonde sur un fait dommageable tel que prvu
au par. 3148(3)12. Au passage, la Cour suprme tablit des balises en ce qui concerne
lapplication au Qubec des principes de droit international priv reconnus dans ses
arrts antrieurs que sont la courtoisie, lordre et lquit. La Cour en profite pour
expliciter davantage la dynamique entre les bases de comptence directe prvues dans
le Code et lexistence dun lien rel et substantiel, dune part, et la doctrine du
forum non conveniens, dautre part, ainsi que pour examiner le recours cette
dernire.
II. La courtoisie internationale, lordre et lquit en droit qubcois
Au dbut des annes 1990, la Cour suprme eut deux occasions dacclrer, la
suite dune lente gestation, lvolution du droit international priv canadien. Le
premier arrt, Morguard, portait sur la reconnaissance de jugements entre des
provinces de common law, lAlberta et la Colombie-Britannique13 ; le second, Hunt,
traitait de la validit dune loi qubcoise interdisant la production de documents dans
une instance lextrieur de la province, en loccurrence la Colombie-Britannique14.
Cest le juge La Forest qui a expos les axiomes de cette rvolution tranquille, en
commenant par dpoussirer les principes de courtoisie internationale, dordre et
dquit.
En 2002, dans laffaire Spar, le juge LeBel a estim toutefois que ces trois
principes devaient servir de guide linterprtation des rgles contenues au
nouveau Code civil :
8 Spar (C.A.), ibid. au para. 22.
9 Voir Spar (C.A.), supra note 7, autorisation de pouvoir la C.S.C. autorise, [2001] 1 R.C.S. xii.
10 Voir supra note 1.
11 Spar, supra note 3.
12 Ibid. au para. 43.
13 Morguard Investments Ltd. c. De Savoye, [1990] 3 R.C.S. 1077, 76 D.L.R. (4e) 256 [Morguard
avec renvois au R.C.S.].
14 Hunt c. T&N, [1993] 4 R.C.S. 289, 109 D.L.R. (4e) 16 [Hunt avec renvois au R.C.S.].
2005]
L. LUSSIER SPAR AEROSPACE
423
Comme les dispositions du C.c.Q. et du C.p.c. ne renvoient pas directement
aux principes de courtoisie, dordre et dquit, et quau mieux ces principes y
sont vaguement dfinis, il est important de souligner que ces derniers ne
constituent pas des rgles contraignantes en soi. Elles servent plutt de guide
linterprtation des diffrentes rgles de droit international priv et renforcent
le lien troit entre les questions en litige [nos italiques]15.
Il ajoute plus loin que [l]es dispositions [du Livre dixime du Code civil] doivent
sinterprter comme un tout cohrent et en fonction des principes de courtoisie,
dordre et dquit [nos italiques]16.
En comparant ces deux passages, on peut penser que la qualification de guide
linterprtation indique davantage quun simple incitatif, mais bien une ligne
directrice pour les tribunaux, au-del du droit positif. Ceci semblerait particulirement
bienvenu dans un contexte international, mme si la Cour ne sest pas attarde sur
cette dimension. Mais les raisons retenues par le juge LeBel savoir que : (1) les
Codes ne contiennent pas de renvoi direct ces principes ; (2) que ces principes sont
vaguement dfinis ; et (3) quils ne sont pas des rgles contraignantes pourraient
nanmoins limiter indment leur application au Qubec. Nous croyons opportun
dapporter des arguments lencontre de cette interprtation troite.
A. Labsence de rfrence dans les Codes
Dans les dcisions antrieures Spar, il est clair pour la Cour suprme que les
principes de courtoisie, dordre et dquit sont le reflet dun ordre juridique
international priv qui a volu avec louverture des mentalits et la modernit des
valeurs. Cest dans laffaire Morguard que le juge La Forest sy est rfr pour la
premire fois, en ces termes : En un mot, les rgles du droit international priv sont
fondes sur la ncessit quimpose lpoque moderne de faciliter la circulation
ordonne et quitable des richesses, des techniques et des personnes dun pays
lautre17. Dans Spar, le juge LeBel concde dailleurs que ces trois principes se
situent au cur de lordre juridique international priv18.
Il serait tonnant que le lgislateur qubcois, en entreprenant de codifier une
partie des rgles de droit international priv, ait ignor cette ralit. Les dispositions
du Livre X sur le droit international priv ont t prcisment labores pour crer un
ordre juridique moderne et ouvert aux changes et aux mouvements de personnes et
de biens, de manire ordonne et non chaotique. Il nous semble indiscutable que la
rforme du droit international priv qubcois, en clarifiant certaines rgles ou en y
15 Spar, supra note 3 au para. 23.
16 Ibid. au para. 55.
17 Morguard, supra note 13 aux pp. 1096-97.
18 Spar, supra note 3 au para. 21.
MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE MCGILL
424
ajoutant de nouvelles, se soit imprgne des principes tels quils ont eux-mmes
volu19.
[Vol. 50
Linfluence des principes de la courtoisie internationale, de lordre et de lquit
se manifeste dans diverses dispositions du Code civil qui admettent dans certaines
circonstances la dfrence la comptence et la saisine de lautorit juridictionnelle
trangre : on la retrouve notamment aux articles 3135 (forum non conveniens) et
3137 (litispendance), ou encore 3164 (conditions rattaches la reconnaissance de la
comptence trangre). Jusqu la dcision dans Spar, les tribunaux du Qubec
lavaient
la courtoisie
internationale20 et en citant la jurisprudence de la Cour suprme pr-Spar relative
aux fondements de la comptence juridictionnelle21.
largement confirm en sinspirant notamment de
Dans Spar, la Cour a indiqu que les tribunaux doivent dabord examiner le
libell particulier des dispositions du Code avant de [chercher] savoir si leur
interprtation est compatible avec les principes qui sous-tendent les rgles [de droit
international priv]22. Quil faille accorder prsance aux rgles du Code civil
simpose ; toutefois, la Cour na pas expos de quelle manire leur interprtation doit
se faire conformment aux principes de courtoisie, dordre et dquit. On aurait pu
souhaiter que la Cour nonce des balises pour illustrer la rigueur avec laquelle cet
19 L-dessus, la doctrine qubcoise souligne llan apport par le nouveau Code civil, des degrs
divers certes, mais nanmoins avec une certaine unanimit : voir Ethel Groffier, La rforme du droit
international priv qubcois : Supplment au Prcis de droit international priv qubcois,
Cowansville (Qc), Yvon Blais, 1993 aux nos 1-4 [Groffier, Supplment] ; H. Patrick Glenn, Droit
international priv dans La rforme du Code civil, vol. 3, Sainte-Foy (Qc), Presses de lUniversit
Laval, 1993, 669 la p. 743 ; Grald Goldstein et Ethel Groffier, Droit international priv : Thorie
gnrale, t. 1, Cowansville (Qc), Yvon Blais, 1998, au no 20 [Goldstein et Groffier, Droit
international priv] ; Claude Emanuelli, Droit international priv qubcois, Montral, Wilson &
Lafleur, 2001, aux nos 83-96.
20 Les dcisions suivantes font expressment mention de la courtoisie internationale : en matire de
reconnaissance et dexcution dune dcision amricaine, DirectTV inc. c. Reginald Scullion, [2002]
R.J.Q. 2086 la p. 2088 (C.S.) et Cortas Canning and Refrigerating Co. c. Suidan Bros. inc., [1999]
R.J.Q. 1227 la p. 1236 (C.S.) ; concernant lapplication dune loi trangre, Banque Paribas
(Suisse) S.A. c. Wightman, REJB 1997-00037 aux paras. 15, 20-23 (C.A.) ; au regard dune demande
dinjonction contre une poursuite entreprise aux tats-Unis, Opron inc. c. Aero System Engineering
inc., [1999] R.J.Q. 757 la p. 778 (C.S.); en matire dassistance un tribunal tranger dans une
procdure de faillite, Antwerp Bulkcarriers, N.V. (Faillite de), REJB 2000-16893 aux paras. 27-29
(C.A.) et Re Matol Botanical International Ltd., [2001] R.J.Q. 2333 aux paras. 14-15 (C.S.) ; ou
encore, dans le cas de procdures spciales, Abenhaim c. American Home Products Corporation,
REJB 2000-19980 au para. 38 (C.A.). Le principe de la courtoisie a mme t plaid devant la Cour
dappel dans une affaire dcoulant de la contestation de la constitutionnalit de rgles budgtaires
concernant les frais de scolarit pour tudiants non-rsidents : Ruel c. Marois, [2001] R.J.Q. 2590 au
para. 131.
21 Voir par ex. Fellen c. Barnett Bank, [1994] R.J.Q. 932 (C.A.) ; Oppenheim Forfait GmbH c.
Lexus Maritime inc., REJB 1998-07102 au para. 40 (C.A.) [Lexus Maritime].
22 Spar, supra note 3 au para. 23.
L. LUSSIER SPAR AEROSPACE
2005]
exercice doit se raliser. notre avis, labsence de rfrence expresse ou de renvoi
direct ne saurait rduire la porte des principes de courtoise, dordre et dquit.
425
B. La difficult de dfinir ces principes
Il est assez frquent en droit dutiliser des concepts possdant un caractre vague,
ambig ou imprcis : mais le simple fait que la courtoisie internationale, lordre et
lquit soient des principes quelque peu abstraits en fait-il ce point des sources de
confusion ?
La courtoisie internationale (en anglais comity, provenant du latin comitas
gentium)23, est une expression largement accepte et reconnue en droit international
priv, surtout dans les juridictions de droit anglo-saxon, dont le Canada et, par leffet
de la coexistence, le Qubec24. Elle ne sentend ni du droit commun des gens ou jus
gentium, ni ne correspond lide dune simple politesse. Comme la explicit la
Cour suprme des tats-Unis en 1895 dans Hilton v. Guyot, la notion de courtoisie
internationale correspond la reconnaissance accorde par un tat aux actes
lgislatifs, excutifs ou judiciaires dun autre tat afin de leur donner effet25. Elle
permet ainsi de considrer en droit interne des intrts divers parfois opposs,
parfois concurrents et dcoulant de lapplication de lois ou de comptences
trangres dans des situations comportant un lment dextranit. Cette approche a
t bien reue au Canada comme ailleurs et a t reprise dans Spar, comme dans
dautres dcisions avant celle-ci26.
Dans tout litige interprovincial canadien, on peut dailleurs concevoir que la
courtoisie internationale doive sadapter la nature fdrale de ltat, comme la
exprim clairement le juge La Forest dans Morguard :
Les considrations qui sous-tendent les rgles de la courtoisie sappliquent
avec beaucoup plus de force entre les lments dun tat fdral et je ne crois
pas quil importe quon les qualifie de rgles de courtoisie ou quon ne fasse
quappel directement aux motifs de justice, de ncessit et de commodit dont
jai dj parl27.
Cette adaptation joue galement entre les tribunaux provinciaux et fdraux, comme
la reconnu la Cour suprme dans laffaire Antwerp pour des poursuites impliquant le
23 Voir Blacks Law Dictionary, 7e d., s.v. comity ; The Dictionary of Canadian Law, 2e d., s.v.
comity.
24 Voir Goldstein et Groffier, Droit international priv, supra note 19 au no 15.
25 Hilton c. Guyot, 159 U.S. 113 aux pp. 163-64, 16 S. Ct. 139 (1895).
26 Ces dcisions sont numres dans Spar, supra note 3 au para. 19. Voir entre autres Morguard,
supra note 13, Holt Cargo c. ABC ContainerLine, [2001] 3 R.C.S. 907, 207 D.L.R. (4e) 577, 2001
CSC 90 [Holt avec renvois au R.C.S.], et Spencer c. R. [1985] 2 R.C.S. 278, 21 D.L.R. (4e) 756. Voir
galement Zingre c. R. [1981] 2 R.C.S. 392, 127 D.L.R. (3e) 223.
27 Morguard, supra note 13 la p. 1098.
MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE MCGILL
426
mme navire tranger devant la Cour suprieure du Qubec et la Cour fdrale28. Le
juge LeBel, au nom de la Cour dans Spar, y souscrit sans dtour29.
[Vol. 50
De surcrot, comme la soulign la Cour suprme dans Hunt, ce principe de la
courtoisie se juxtaposent les principes de lordre et de lquit: Il faut souligner que
les ides de courtoisie ne sont pas une fin en soi, mais reposent sur des notions
dordre et dquit envers les parties un litige qui a des liens avec plusieurs
ressorts30.
Lordre suppose un amnagement du systme de justice propice un exercice
appropri de la comptence juridictionnelle31. Quant lquit, elle sentend de la
considration accorder aux droits des parties, particulirement ceux du dfendeur32.
La courtoisie permet de poursuivre ce double objectif dordre et dquit, comme le
reconnat le juge LeBel33.Toutefois, ce sont les principes dordre et dquit qui
doivent recevoir prsance, comme lindique le juge La Forest dans Morguard : [c]e
sont les principes dordre et dquit, des principes qui assurent la fois la justice et la
sret des oprations qui doivent servir de fondement un systme moderne de droit
international priv34.
Le principe de la courtoisie est donc principalement conditionn par le respect de
lordre, mais il dpend galement du respect de lquit. Il nous semble toutefois
28 N.V. (Re), Antwerp Bulkcarriers [2001] 3 R.C.S. 951, 207 D.L.R. (4e) 612, 2001 CSC 91
[Antwerp]. Comme le constate le juge Binnie au nom dune cour unanime, [d]ans le prsent pourvoi,
nous sommes aux prises, de faon plutt inhabituelle, avec une question de courtoisie nationale
(ibid. la p. 953). En effet, dans cette affaire de droit maritime, la Cour fdrale avait t saisie par un
crancier dune action in rem lencontre dun bateau battant pavillon belge. Lentreprise propritaire
ayant fait faillite peu de temps aprs, des procdures de faillite ont t entreprises en Belgique et le
concours de la Cour suprieure du Qubec avait t demand par les syndics. La Cour suprieure
avait alors mis une ordonnance ayant pour effet dempcher les parties de continuer de procder
devant la Cour fdrale. La Cour suprme a estim que la Cour suprieure, mme si elle tait
comptente en matire de faillite, devait nanmoins laisser la Cour fdrale le soin de continuer
soccuper de laffaire en vertu de sa comptence en matire de droit maritime.
29 Supra note 3 aux paras. 53-54.
30 Hunt, supra note 14 la p. 325.
31 Voir Morguard, supra note 13 : Lordre et la justice militent tous les deux en faveur de la
scurit des oprations (ibid. la p. 1102).
32 Voir ibid. la page 1103 : Il faut cependant soupeser ces proccupations en fonction de lquit
envers le dfendeur.
33 Spar, supra note 3 au para. 20. Il prend ici appui sur Holt Cargo c. ABC Containerline, supra
note 26 la p. 940, o le juge Binnie fait rfrence la ligne jurisprudentielle initie avec
Morguard. Laffaire Holt, connexe au litige dans Antwerp, supra note 28, concernait une question
de faillite internationale dans laquelle les syndics belges avaient demand sans succs la suspension
des procdures devant la Cour fdrale au nom de la courtoisie internationale et de la ncessit
dassurer une meilleure coordination internationale. La Cour suprme a conclu que le juge avait
bien tenu compte des facteurs pertinents lexercice de la comptence de la Cour fdrale et que
celle-ci tait justifie.
34 Morguard, supra note 13 la p. 1097. En faisant cette affirmation, le juge La Forest sappuie sur
Hemel Y. Yntema, The Objectives of Private International Law (1957) 35 R. du B. can. 721.
L. LUSSIER SPAR AEROSPACE
2005]
dommage que la Cour nait pas suffisamment approfondi lanalyse de linterrelation
de ces principes dans son jugement dans le contexte de laffaire Spar.
427
Malgr leur nonc abstrait, les principes de courtoisie, dordre et dquit
trouvent leur pleine expression dans lapplication des rgles sur la comptence
juridictionnelle internationale et celles sur la reconnaissance et lexcution des
dcisions. Dans la foule des dcisions de la Cour suprme, les tribunaux
provinciaux, y compris ceux du Qubec, ont retenu lenseignement en tirer. Ainsi
compris et appliqus, il importe peu, nous semble-t-il, quils soient plus ou moins bien
dfinis.
C. Le caractre non contraignant des principes
Labsence de caractre contraignant des principes de courtoisie, dordre et
dquit serait tributaire en partie du silence des Codes sur leur existence et de leur
dfinition vague, mais surtout de limpossibilit den sanctionner le manquement. Il
parat justifi de contester cette dernire affirmation tant donn (1) la valeur
normative suprieure quil convient dattribuer de tels principes et (2) leur
reconnaissance en droit constitutionnel canadien.
1. Leur valeur normative suprieure
Mme si les principes de courtoisie, dordre et dquit ne se retrouvent pas dans
le droit positif au mme titre que les normes formelles, ils en conditionnent toutefois
lobjet et lapplication en se superposant lordre juridique interne. Cest la
dmonstration quavait faite la Cour dans Morguard35 et Hunt36, et dont elle a largi
ltendue dans Amchem37. Dans cette dernire affaire, des procdures parallles
avaient t entreprises la fois au Texas et en Colombie-Britannique. Une requte
avait t prsente aux tribunaux britanno-colombiens pour obtenir une injonction
lencontre du demandeur afin que celui-ci abandonne sa poursuite au Texas, le Texas
ayant refus de se considrer forum non conveniens. Le juge Sopinka crit :
Lapplication de ces principes a pour rsultat que, si un tribunal tranger se
dclare comptent pour un motif qui est gnralement conforme notre rgle
de droit international priv concernant le forum non conveniens, cette dcision
sera respecte et le tribunal canadien ne prendra pas sur lui de rendre la
dcision pour le tribunal tranger. Cest le minimum quexige la ligne de
conduite de nos tribunaux au chapitre de la courtoisie. Toutefois, si un tribunal
tranger se dclare comptent pour un motif qui est incompatible avec nos
rgles de droit international priv et quil en rsulte une injustice pour une
partie existante ou ventuelle devant nos tribunaux, sa dcision dexercer sa
35 Supra note 13.
36 Supra note 14.
37 Colombie-Britannique (Workers Compensation Board) c. Amchem Products Inc., [1993] 1 R.C.S
897, 102 D.L.R. (4e) 96 [Amchem avec renvois au R.C.S.].
428
MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE MCGILL
[Vol. 50
comptence est alors contraire lquit et il y a lieu dempcher le demandeur
de poursuivre linstance ltranger. Nayant pas lui-mme observ les rgles
de la courtoisie, le tribunal tranger ne doit pas sattendre ce que sa dcision
soit respecte au nom de la courtoisie38.
Ainsi, les principes servent assurer que lapplication des rgles relatives la
comptence juridictionnelle et la reconnaissance et lexcution des jugements ne se
fasse pas de manire mcanique. Ils doivent tre pris en compte par le tribunal au
stade initial de la procdure, si une exception dclinatoire est souleve, pour vrifier la
comptence. Ils doivent ltre galement au stade ultime de lexcution du jugement
au fond. Dans les deux cas, ces principes feront partie des conditions dexercice du
contrle par un tribunal suprieur en appel. Cest travers un examen rigoureux des
conditions dans lesquelles un tribunal saisi dun litige impliquant un lment
international a dcid ou non dexercer sa comptence, particulirement par
ltablissement dun lien rel ou substantiel entre le litige et ce tribunal, que sera
value leffectivit de ces principes39.
Selon nous, les tribunaux ont ainsi le devoir dapprcier si ces principes sont ou
ont t respects, en les soulevant doffice au besoin40. En ce sens, ils simposent de
par leur valeur normative suprieure.
2. Leur reconnaissance en droit constitutionnel canadien
Cest grce au droit constitutionnel canadien que leffet contraignant des
principes de la courtoisie, de lordre et de lquit nous parat avoir t consacr. En
effet, dj dans Morguard, la Cour suprme suggrait quils constituaient des
impratifs constitutionnels qui doivent, dans leur application entre les provinces,
respecter la structure fdrale de la Constitution41. Puis, elle nonait expressment
38 Ibid. la p. 934.
39 Avec des rsultats parfois tonnants, selon nous, comme lillustre la dcision de la Cour dappel
de lOntario dans Beals v. Saldanha, (2001) 54 O.R. (3e) 641, maintenue par la Cour suprme ([2003]
3 R.C.S. 416, 2003 CSC 72) dans un jugement majoritaire malgr une dissidence bien sentie. La Cour
y a reconnu le caractre excutoire dun jugement de la Floride obtenu par dfaut contre des rsidents
ontariens qui les avait condamns des dommages trs levs la suite dune transaction immobilire
dune valeur modeste en examinant (avec une bienveillance sans doute inspire par la courtoisie) le
droulement des procdures devant le tribunal tranger. Une telle approche a fait lobjet de critiques :
voir Janet Walker, Beals v. Saldanha : Striking the Comity Balance Anew (2002) 5 Cdn. Int l.
Lawyer 28.
40 Pour une application rcente des principes dordre et dquit, voir ZI Pompey Industrie c. Ecu-
Line N.V. [2003] 1 R.C.S. 450, 224 D.L.R. (4e) 577, 2003 CSC 27, une affaire de connaissement
maritime dont le contrat affrent contenait une clause dlection de for en faveur dun tribunal belge.
cette occasion, le juge Bastarache, sexprimant au nom de la Cour, a indiqu que la demande de
suspension des procdures devant la Cour fdrale devait tre accueillie moins que pour des motifs
srieux, une analyse quivalente (mais diffrente) celle de la doctrine du forum non conveniens ne
permette dcarter la clause dlection de for (ibid. aux pp. 461-64).
41 Morguard, supra note 13 la p. 1101.
L. LUSSIER SPAR AEROSPACE
2005]
dans Hunt que les considrations constitutionnelles souleves sont […] des impratifs
constitutionnels [qui] sappliquent, en tant que [tels], autant aux lgislatures
provinciales quaux tribunaux42.
429
Dans Spar, le juge LeBel constate ainsi que les arrts Morguard et Hunt
tablissent lexistence dun impratif constitutionnel selon lequel les tribunaux
canadiens ne peuvent se dclarer comptents que sil existe un lien rel et
substantiel43. Il parle galement du principe constitutionnel de la courtoisie qui
rgit la reconnaissance et lexcution des dcisions interprovinciales44.
Une telle reconnaissance nest pas sans consquences : il est indniable quen tant
quimpratifs constitutionnels (ou toute autre dsignation quivalente), les principes
de courtoisie, dordre et dquit sont susceptibles de produire des effets juridiques
puissants, mme au Qubec. Du reste, il sagit l de la position gnralement adopte
au Qubec dans la doctrine quant limpact du droit constitutionnel sur le droit
international priv qubcois45.
La reconnaissance de ces principes en droit constitutionnel canadien soulve
nanmoins des problmes non seulement quant leur porte territoriale, mais
galement quant leur impact rel. Cet impact se fait sentir trois niveaux : le
premier concerne la validit constitutionnelle des lois ou rgles de droit international
priv ; le second est la dtermination, entre autres, dexigences en vue de lexercice
appropri de la comptence juridictionnelle ; et le troisime niveau, sans doute inclus
dans le second mais ncessitant une reconnaissance autonome, a trait au respect des
droits constitutionnels des parties un litige interprovincial ou international.
a. Validit constitutionnelle
Dans laffaire Morguard46, en affirmant limportance des principes de courtoisie,
dordre et dquit, la Cour suprme avait signifi un changement paradigmatique
dans le choix des rgles devant rgir la reconnaissance et lexcution des dcisions
judiciaires entre les provinces, afin dinstaurer un rgime plus souple et favorable.
Daucuns y avaient vu, avec plus ou moins de rserve, la formulation dune rgle
42 Hunt, supra note 14 la p. 324.
43 Spar, supra note 3 au para. 51.
44 Ibid. au para. 64.
45 Voir Groffier, Supplment, supra note 19 aux nos 8-10 ; Goldstein et Groffier, Droit international
priv, supra note 19 au no 23 ; Emanuelli, supra note 19 aux nos 71-82. Le professeur H. Patrick
Glenn a t le premier prendre cette position ds 1992 et avant Hunt : H. Patrick Glenn, Foreign
Judgments, the Common Law and the Constitution : De Savoye v. Morguard Investments Ltd (1992)
37 R.D. McGill 537.
46 Supra note 13.
MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE MCGILL
430
quivalente aux clauses de full faith and credit des constitutions amricaine et
australienne aux fins de la reconnaissance totale des jugements domestiques47.
[Vol. 50
Cependant, peu dauteurs se sont aventurs discuter du fond de la qualification
et du rattachement de ces principes ou impratifs non crits dans la constitution
canadienne. Sans doute pourrait-on les comprendre comme une expression du
fdralisme ou de la primaut du droit et du constitutionnalisme, deux des quatre
principes constitutionnels non crits identifis par la Cour suprme en 1998 dans le
Renvoi relatif la scession du Qubec48. Toutefois, limpact de ces principes sur des
rgles crites plus restrictives demeurait incertain.
Cest laffaire Hunt qui a permis la Cour suprme de dfinir un test de validit
constitutionnelle des rgles de droit international priv au Canada :
Il sagit l, comme on la aussi fait remarquer dans larrt Morguard, dune
caractristique inhrente de la fdration canadienne et les lgislatures
provinciales ne peuvent y passer outre. Cela ne veut pas dire, toutefois, quil est
interdit une province dadopter une loi qui peut avoir un effet sur les litiges
dans dautres provinces, voire dadopter une loi concernant les modalits de
reconnaissance des jugements dautres provinces. Mais cela signifie quelle
doit respecter les normes minimales dordre et dquit abordes dans larrt
Morguard49 [nos italiques].
Des nouvelles limites aux comptences lgislatives des provinces prvues larticle
92 de la Loi constitutionnelle de 186750 ont donc t fixes, permettant ainsi de
circonscrire les conditions de validit de lapplication extraterroriale des lois
provinciales51.
Depuis la dcision dans Hunt, il est clair, tout le moins dans un cadre
intracanadien52, que doivent se concilier avec les principes dordre et dquit les
rgles de droit international priv quil sagisse de celles sur la comptence, sur la
47 Voir Groffier, Supplment, supra note 19 la p. 12, n. 9-13 et Goldstein et Groffier, Droit
international priv, supra note 19 la p. 47, n. 22-14.
48 [1998] 2 R.C.S. 217, 161 D.L.R. (4e) 385. Voir notamment les pp. 248-49 pour lnonc de ces
valeurs, et leur valeur dobligations juridiques substantielles.
49 Hunt, supra note 14 aux pp. 324-25.
50 Loi constitutionnelle de 1867 (R.-U.), 30 & 31 Vict., c. 3, reproduite dans L.R.C. 1985, app. II, no 5.
51 Cest la perspective dveloppe par Peter H. Hogg dans Constitutional Law of Canada, feuilles
mobiles, vol. 1, Toronto, Carswell, 1992, aux pp. 13-1313-30. Depuis, la Cour suprme a labor
un test dapplicabilit des lois provinciales du point de vue du droit constitutionnel en tenant
compte du lien rel et substantiel : voir Unifund Assurance c. Insurance Corp. of British Columbia,
[2003] 2 R.C.S. 63 la p. 89, 227 D.L.R. (4e) 402, 2003 CSC 40.
52 Et ce en dpit du contexte limit de laffaire Hunt, portant sur lapplication dune loi dite de
blocage visant restreindre la communication de preuves dans une instance se droulant
lextrieur de la province : voir Goldstein et Groffier, Droit international priv, supra note 19 au no
22. Ces auteurs hsitent toutefois remettre en cause le premier alina de larticle 3077 du Code civil,
qui ntablit aucune distinction de traitement entre les autres provinces canadiennes et les tats
trangers : Lorsquun tat comprend plusieurs units territoriales ayant des comptences lgislatives
distinctes, chaque unit territoriale est considre comme un tat.
L. LUSSIER SPAR AEROSPACE
2005]
reconnaissance des jugements, ou de conflits de lois53. Mais doit-il en tre ainsi
galement dans un cadre vritablement international ?
431
Dans un contexte international, sans exclure tout fait la porte de ces principes54,
la Cour a tout au plus suggr la possibilit de normes diffrentes, ventuellement
plus restrictives55, mais nanmoins places sous linfluence des principes de
courtoisie, dordre et dquit, conformment linterprtation canadienne du droit
international priv, comme lindique le juge Sopinka dans Amchem56. Toutefois,
jusqu prsent, aucun barme satisfaisant na t propos pour mesurer le degr de
divergence qui pourrait tre acceptable, ce qui rend compte de la difficult inhrente
une telle approche57.
notre avis, la dcision dans Spar na pas apport de nouvel clairage sur cette
question. Mme sil se dit prt reconnatre lexistence dimpratifs constitutionnels
dans le contexte de conflits de comptence interprovinciaux, le juge LeBel est
davis quelle ne peut facilement dborder du contexte intracanadien58 : il souligne
que les dcisions de la Cour qui lont consacr et renforc reposaient essentiellement
sur le caractre fdral du Canada59. Certes, le juge LeBel avait indiqu ne pas
vouloir dbattre du caractre constitutionnel en raison du fait que la formulation dune
question constitutionnelle avait t rejete et que les appelantes ne pouvaient ainsi
prsenter des arguments sur ce point60 ; pourtant rien naurait empch la Cour
dinsuffler des considrations constitutionnelles61 en prenant en compte les
circonstances du litige. Dautre part, si la Cour tait si dtermine ne pas aborder
une telle discussion, elle aurait sans doute mieux fait de ne pas savancer sur ce terrain
glissant, mme en termes gnraux.
53 En matire extracontractuelle par exemple, tel dans Tolofson c. Jensen, [1994] 3 R.C.S. 1022,
120 D.L.R. (4e) 289 [Tolofson avec renvois au R.C.S.], commente quant ses consquences sur le
droit civil par Goldstein et Groffier, Droit international priv, supra note 19 aux nos 20, 22.
54 La Cour avait notamment rejet sans motifs ([2001] 1 R.C.S. iv, 197 D.L.R. (4e) 211, 2001 CSC
26) lappel de la dcision de la Cour dappel de la Colombie-Britannique dans Westec Aerospace Inc.
v. Raytheon Aircraft Co., [1999] 173 D.L.R. (4e) 498. Celle-ci avait conclu lapplication de la
doctrine du forum non conveniens en faveur dun tribunal amricain du Kansas sur la base de la
courtoisie, en dpit de lexistence de procdures parallles entreprises dans la province. Entre-temps,
le tribunal amricain avait rendu un jugement sur le fond, et ce, ds novembre 1999, bien que la Cour
suprme nait appris ce fait quen janvier 2001.
55 Voir Tolofson, supra note 53 aux pp. 1049-50.
56 Supra note 37 la p. 930.
57 Voir notamment Beals c. Saldanha (C.S.C.), supra note 39, qui illustre largement le problme.
58 Supra note 3 au para. 51.
59 Ibid. au para. 53.
60 La question, telle quvoque au para. 44 de la dcision, portait sur la comptence des tribunaux
provinciaux lgard des dfenseurs non rsidents est soumise une restriction constitutionnelle
correspondant la rgle de droit international priv qui impose un lien rel entre lobjet de laction et
la comptence du tribunal devant lequel laction est intente.
61 Hunt, supra note 14 la p. 324.
MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE MCGILL
432
Sil est tout fait acceptable de faire une distinction entre une instance vraiment
internationale et une affaire intracanadienne, on ne peut nanmoins carter tout fait
la pertinence de lapplication des principes dans un contexte international. Une telle
opportunit se prsente concrtement chaque fois que les tribunaux canadiens doivent
dcider de leur comptence juridictionnelle par la recherche du lien rel et
substantiel afin de satisfaire au contrle de la validit constitutionnelle de lexercice
appropri de la comptence.
[Vol. 50
b. Lexercice appropri de la comptence
Cest sous limpulsion de la Cour suprme62 que lexistence dun lien rel et
substantiel entre le litige et le tribunal saisi sest impose comme une exigence
incontournable dans lexercice de la comptence juridictionnelle internationale
lgard de tout dfendeur se trouvant lextrieur de la province du tribunal saisi.
Ainsi lnonce le juge La Forest dans Tolofson :
Pour viter que lon aille trop loin, les tribunaux ont cependant tabli des rgles
rgissant et restreignant lexercice de comptence sur les oprations
extraterritoriales et transnationales. Au Canada, un tribunal ne peut exercer sa
comptence que sil existe un lien rel et substantiel (expression non encore
entirement dfinie) entre lui et lobjet du litige. Ce critre a pour effet
dempcher un tribunal de simmiscer indment dans des affaires dans
lesquelles le ressort o il est situ a peu dintrt. De plus, grce au principe du
forum non conveniens, un tribunal peut refuser dexercer sa comptence
lorsque […] il existe ailleurs un tribunal plus convenable ou appropri [nos
italiques, notes omises]63.
Cette exigence, elle-mme drive des principes dordre et dquit, cre des
contraintes de nature constitutionnelle pour les tribunaux dans lapplication des rgles
relatives la comptence, quil sagisse des rgles de signification ltranger des
tribunaux suprieurs des autres provinces, ou des dispositions du Code civil sur la
comptence juridictionnelle internationale.
Dans Spar, le juge LeBel met quelques rserves lencontre dune telle
extension :
mon avis, rien dans ces arrts [Morguard et Hunt] ntaye la prtention des
appelantes selon laquelle il faut satisfaire au critre constitutionnel du lien rel
et substantiel en plus des dispositions relatives la comptence qui figurent
dans le Livre dixime du C.c.Q.64.
En consquence, la Cour dcide quil ny a aucun motif en lespce, tant donn les
dispositions applicables du Code, pour souscrire labsence de comptence de
manire empcher quun tribunal qui na aucun lien rel et substantiel avec laction
62 Entre autres avec Morguard.
63 Tolofson, supra note 53 la p. 1049.
64 Spar, supra note 3 au para. 54.
L. LUSSIER SPAR AEROSPACE
2005]
nen soit saisi65. Cette affirmation sibylline contribue malheureusement entretenir
lambigut sur les fondements des rgles de la comptence au Qubec, laquelle
nous reviendrons dans la prochaine partie. De surcrot, notre avis, elle va
lencontre de la dimension constitutionnelle des principes de droit international priv.
433
c. Le respect des droits constitutionnels des parties
Il est plausible davancer lhypothse que la position des appelantes lgard de
labsence de comptence des tribunaux qubcois dentendre la poursuite en
dommages intente par Spar pouvait reposer implicitement sur le respect de leurs
droits constitutionnels titre de parties non-rsidentes66. En dautres mots, si lon
accepte que lordre et lquit sont essentiels la validit de la comptence
juridictionnelle internationale directe, ne doit-on pas admettre quils correspondent l
des principes de justice fondamentale67 ?
Cette expression contenue dans la Charte module les garanties juridiques
accordes au droit la vie, la libert et la scurit de la personne. Certains auteurs
ont tent de faire un rapprochement avec le prcepte du due process contenu dans
le Fourteenth Amendement du Bill of Rights de la constitution amricaine68, tout en
notant les diffrences entre les systmes69. Il y a ds lors lieu de se demander si le
contrle de la validit constitutionnelle de la comptence sur la base des principes de
courtoisie, dordre et dquit est une avenue possible pour protger les droits
constitutionnels des dfenderesses. Au moment de la dcision dans Spar, ceci restait
encore tre dtermin par la Cour suprme. Toutefois, au vu dun certain nombre de
dcisions de tribunaux infrieurs dans lesquelles a t contenu llargissement de la
comptence internationale lencontre des dfendeurs trangers dans des poursuites
entreprises par des demandeurs rsidents du for, on pourrait avancer que le judiciaire
a, dune certaine manire, admis lexistence de garanties lies aux droits
constitutionnels de dfendeurs trangers, sans vraiment larticuler en ces termes70.
65 Spar, ibid. au para. 63.
66 Mme si leur position navait pas t articule en ces termes dans la question constitutionnelle
qui avait t soumise la Cour avant quelle nen refuse la considration (voir supra note 2), nous
prtendons quelle aurait pu tre ainsi interprte.
67 Charte canadienne des droits et liberts, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant
lannexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), 1982, c. 11, art. 7 [Charte].
68 U.S. Const. amend. XIV, 1. Voir Jeffrey Talpis, If I Am from Grand-Mre, Why Am I Being Sued
in Texas ? Responding to Inappropriate Foreign Jurisdiction in Quebec-United States Crossborder
Litigation, Montral, Thmis, 2001 aux pp. 76-86 ; Hogg, supra note 51 aux pp. 13-1713-18, qui
trouve un appui dans Morguard, la p. 1110.
69 Tel le choix des mots justice fondamentale (natural justice) au lieu de due process et de
lomission du mot proprit dans lnumration des droits viss par larticle 7 : voir Hogg, ibid.,
vol. 2 aux pp. 44-4, 44-1544-17.
70 Voir Muscutt v. Courcelles, (2002) 60 O.R. (3e) 20 [Muscutt]. Dans cette dcision de principe, la
Cour dappel de lOntario a discut, de larticle 7 de la Charte pour rejeter lapproche subjective de la
comptence juridictionnelle fonde sur le lien avec le dfendeur, lui prfrant une approche globale
MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE MCGILL
434
linverse, les dfendeurs canadiens dans une action entreprise ltranger pourraient
galement en bnficier au stade de la demande de reconnaissance et dexcution du
jugement tranger au Canada71.
[Vol. 50
Quel que soit lattrait dun tel raisonnement, peu de temps aprs la dcision dans
Spar, la Cour suprme dans Beals la cart sans mnagement autant la majorit72
que la dissidence73. Lopinion de la Cour ne sest scinde que dans lvaluation des
moyens de dfense, en fonction dune valuation diffrente des notions de justice.
Nous sommes davis quil sagit l dun dtour compliqu pour tenter de limiter les
atteintes aux droits des canadiens amens se dfendre ltranger.
La Cour na donc pas voulu constitutionnaliser outre mesure le droit international
priv canadien, afin dviter peut-tre les drapages lamricaine dcoulant de la
saisine de certains tribunaux fonde sur une comptence exorbitante dite long-arm
jurisdiction. Toutefois, il serait htif de conclure que les tribunaux canadiens
pourraient tre tents dlargir lexercice de leur comptence de manire inapproprie
ds lors que les principes de justice fondamentale de larticle 7 de la Charte ne
peuvent tre invoqus. Les balises que reprsentent les principes de courtoisie,
dordre et dquit, sous-jacents au critre du lien rel et substantiel, existent bel et
bien pour servir de contrepoids.
Au terme de cette brve tude critique, nous pouvons donc conclure que les
principes de courtoisie, dordre et dquit reprsentent davantage quun simple guide
linterprtation des rgles de droit international priv. la fois par leur valeur
normative suprieure et leur reconnaissance titre dimpratifs constitutionnels, ils
occupent une place importante dans lordre juridique international priv au Canada.
Cette reconnaissance nous parat encore plus fondamentale tant donn le fardeau
quelle impose sur la manire de conduire lexamen du lien rel et substantiel dans un
litige international. Bien que la Cour ait tent de semployer cet examen dans Spar,
elle est arrive des conclusions tonnantes.
III. Lopportunit du critre du lien rel et substantiel en droit
qubcois
Suivant lenseignement des dcisions de la Cour suprme aprs Morguard, le
fondement de lexercice appropri de la comptence dans le respect des principes de
courtoisie, dordre et dquit repose sur lexistence dun lien rel et substantiel entre
lobjet du litige et le tribunal saisi. Ce lien rpond la fois la ncessit de justifier et
base sur le test gnral du lien rel et substantiel entre la nature du litige et le tribunal saisi (ibid. aux
pp. 38-44).
71 Voir en ce sens la dissidence vigoureuse du juge Weiler de la Cour dappel de lOntario dans
Beals v. Saldanha, supra note 39, que la Cour suprme na toutefois pas prise en compte.
72 Beals c. Saldanha (C.S.C.), ibid. la p. 454.
73 Ibid. la p. 490.
L. LUSSIER SPAR AEROSPACE
2005]
de contrler la dcision dun juge de se saisir dun litige comportant un ou plusieurs
lments dextranit.
435
Dabord nonc en vue de conditionner la reconnaissance et lexcution dun
jugement provenant dune province dans une autre, le critre du lien rel et substantiel
a t ds lorigine galement associ lexercice appropri de la comptence. Ctait
dailleurs l lopinion du juge La Forest dans Morguard :
Jai signal quil faut considrer comme corrlatifs lexercice de comptence
par un tribunal dans une province et la reconnaissance de celle-ci dans une
autre province et jai ajout que la reconnaissance dans les autres provinces
devrait dpendre de ce que le tribunal qui a rendu jugement a correctement
ou convenablement exerc sa comptence. Pareille solution peut satisfaire
aux exigences de lordre et de lquit de reconnatre un jugement rendu dans
un ressort qui avait le plus de liens avec lobjet de laction ou qui avait, tout le
moins, des liens substantiels avec lui74.
Dans la foule de Morguard, le test du lien rel et substantiel a dbord des
limites de la reconnaissance et de lexcution interprovinciale des jugements rendus
au Canada. Il a engendr une progniture fconde qui la enrichi en identifiant divers
liens possibles dans le respect des principes qui lont gnr. Comme le rappelle
toutefois le juge La Forest dans Hunt, [p]eu importe le point de vue adopt, la
dclaration de comptence et le pouvoir discrtionnaire de ne pas lexercer doivent en
fin de compte tre subordonns aux exigences dordre et dquit, et non un calcul
mcanique de rapports ou de liens75.
La position prise par la Cour suprme dans Spar quant lexigence dun lien rel
et substantiel signale une rupture avec sa jurisprudence antrieure, au moins en ce qui
concerne le droit qubcois. La Cour a appliqu les rgles matrielles de comptence
de larticle 3148.3 C.c.Q, pourtant fort larges, sans procder notre avis un examen
approfondi. Ce faisant, elle a cart largument que le lien rel et substantiel constitue
un critre additionnel, lui prfrant un rle de double emploi avec la doctrine du
forum non conveniens, afin de prvenir lexercice injustifi de comptence.
Dans cette partie, nous entendons reprendre lanalyse de la Cour pour en
souligner les limites.
A. La question du critre additionnel
Au nom de la Cour, le juge LeBel a rejett catgoriquement lide dimporter le
lien rel et substantiel comme critre additionnel de contrle et de justification de
lexercice de la comptence juridictionnelle internationale au Qubec. Voici comment
il sexprime ce sujet :
74 Morguard, supra note 13 la p. 1103.
75 Hunt, supra note 14 la p. 326.
436
MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE MCGILL
[Vol. 50
Passant maintenant lexamen des arguments de fond, je ne peux accepter
ceux que proposent les appelantes selon lesquels lexigence dun lien rel et
substantiel nonce dans les arrts Morguard et Hunt est un critre
additionnel auquel il faut satisfaire pour dterminer la comptence des
tribunaux qubcois en lespce [nos italiques]76.
En toute dfrence, cette approche troite nous semble contraster avec lemphase mise
sur linterrelation entre le lien rel et substantiel et le droit international priv
qubcois77. En effet, la Cour affirme du mme souffle que le systme qubcois de
droit international priv vise assurer la prsence de ce lien, et empcher
lexercice inappropri de la comptence du for qubcois78. De plus, elle estime que
ce lien sincarne dans dautres dispositions pour offrir une protection contre
lexercice injustifi de comptence, dont larticle 3135 qui codifie la doctrine du
forum non conveniens79. Se rfrant larticle 3164 sur la reconnaissance des
jugements, elle mentionne que dautres rgles de droit international priv nonces
au Livre dixime du C.c.Q. contribuent assurer le respect du critre du lien rel et
substantiel80. En somme, conclut-elle, lexigence relative lexistence dun lien rel
et substantiel se dgage de lconomie gnrale du Livre dixime81.
notre avis, cette partie de la dcision sur la place du critre du lien rel et
substantiel dans le Livre dixime du Code civil justifierait parfaitement lopportunit
de traiter ce lien comme critre additionnel dans lexamen des bases de comptence.
Quelle que soit la formule utilise, on comprend que la comptence juridictionnelle
internationale ne peut tre tablie sur une base tnue, insignifiante, non pertinente ou
opportuniste, mais seulement sil existe un lien rel ou substantiel.
Dailleurs, le juge LeBel reconnat qu[] lexamen du libell mme de lart.
3148, on peut soutenir que la notion de lien rel et substantiel se trouve dj
subsume sous les dispositions du par. 3148(3)82. Cela voudrait dire que dans les
circonstances o lapplication de ces dispositions soulverait un doute sur le degr du
lien existant, le tribunal devrait en outre sassurer partir de lensemble des faits que
cette comptence serait justifie. Autrement, il suffirait de pouvoir rattacher la
comptence un chef de comptence gnrale, sans sassurer de lexistence du lien
rel et substantiel.
Notons que la Cour dappel du Qubec dans Spar avait tent daller dans cette
direction. Elle avait dune part suggr, de manire implicite au nom de la courtoisie,
76 Spar, supra note 3 au para. 50.
77 Du reste, notons que le juge LeBel ne sest aucunement prononc, comme lintime le suggrait,
sur le point de qualifier le critre de principe de common law quil ny a pas lieu dintroduire dans le
droit civil (ibid., para. 49).
78 Ibid. au para. 55.
79 Ibid. au para. 57.
80 Ibid. au para. 62.
81 Ibid. au para. 63.
82 Ibid. au para. 56.
L. LUSSIER SPAR AEROSPACE
2005]
de respecter la comptence potentiellement concurrente du tribunal tranger fonde
sur un lien significatif :
437
Bien que larticle 3148 C.C.Q. ne caractrise pas lexpression fait
dommageable, la rclamation qui en rsulte, lorsque le fait dommageable
nest quune assise de revendication parmi plusieurs autres, doit tre notable. Il
ne peut tre question dutiliser un fait qui entrane des dommages ngligeables
pour carter la comptence dautorits trangres83.
Dautre part, par un effet de miroir, sinspirant de larticle 3164 gouvernant la
reconnaissance de la comptence du tribunal tranger, elle avait transpos dans le
texte de larticle 3148 lexigence dun rattachement important84 comme condition
de la comptence du tribunal qubcois : [e]n toute logique, la mme exigence
devrait se rencontrer lorsque seulement une partie des dommages rclams dcoule
dun fait qui sest produit au Qubec85.
Cependant, comme la Cour dappel avait t davis que la base de la comptence
tait le fait dommageable, et non le prjudice, sa dcision a t renverse par la Cour
suprme. Rien dans le jugement nindique toutefois que la proposition de la Cour
dappel sur ce point ne mrite pas davantage de rflexion une autre occasion86.
On retient donc que dans des situations de comptences concurrentes, il reviendra
au juge saisi dapprcier les rgles de comptence la lumire des faits et des
prtentions des parties, en accordant la considration ncessaire la qualit du lien
entre laction et le lieu de son introduction. Ce faisant, il remplira le devoir qui
simpose en raison des contraintes constitutionnelles nonces par la Cour suprme
concernant lexercice appropri de la comptence87. En consquence, il serait
imprudent de dduire que le critre du lien rel et substantiel nest aucunement
pertinent dans un litige international comme celui soulev dans Spar.
B. Dans son rapport avec le forum non conveniens
Tel que soulign dans Spar, cest par leffet de lapplication de la doctrine du
forum non conveniens que le test du lien rel et substantiel rtablirait lquilibre entre
les droits des parties pour offrir une protection contre lexercice injustifi de la
comptence88. Cependant, comme la justement fait remarquer la Cour dappel de
lOntario dans Muscutt, la doctrine du forum non conveniens et le critre du lien rel
83 Spar (C.A.), supra note 7 au para. 19.
84 Ibid. au para. 20.
85 Ibid. au para. 21.
86 Le juge LeBel sexprime ainsi au para. 64 : Comme cette affaire vise lattribution initiale de
comptence par un tribunal, il serait prmatur de discuter de lapplication du critre du lien rel et
substantiel relativement la reconnaissance et la mise excution des dcisions interprovinciales.
87 Voir Hunt, supra note 14 la p. 327 ; Emanuelli, Droit international priv qubcois, supra note
19 au no 143.
88 Supra note 3 au para. 57.
[Vol. 50
MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE MCGILL
438
et substantiel sont deux tests distincts, notamment en raison du fait que le premier est
discrtionnaire, alors que le second correspond une norme juridique89. Pour
lessentiel, les tribunaux utilisent pour ces deux tests la mme grille dexamen90.
Lapplication du test fond sur lexistence du lien rel et substantiel devrait donc
prcder celle du test reli au forum non conveniens dans lexamen pralable des
rgles de comptence91. Ds lors, si le tribunal est comptent en raison de lexistence
dun lien rel et substantiel, le recours subsquent au test du forum non conveniens
permettrait alors de considrer cette comptence comme tant plus approprie que
celle dun tribunal tranger, dans le prolongement en quelque sorte de lanalyse du
lien rel et substantiel92.
Cette logique na t que peu explore par la jurisprudence ou par la doctrine au
Qubec, ce qui tient surtout au fait que le test dcoulant de la doctrine du forum non
conveniens a supplant, en lintgrant vraisemblablement, le test du lien rel et
substantiel inhrent lexercice appropri de la comptence93. Un test unique ne
saurait suffire, surtout lorsque son application se fait de manire incomplte et
partielle et quil en rsulte une confusion quant sa finalit. Comme le dmontre le
passage suivant de Spar, cet examen peut de toute manire tre vou lchec :
ce stade-ci, tenant pour acquis, titre dexemple, que le prsent appel devrait
tre jug purement et simplement en fonction du critre du lien rel et
substantiel, sans aucune rfrence aux dispositions du code, il est intressant
de souligner que lissue resterait la mme. Ainsi, les facteurs de rattachement
numrs plus loin dans lexamen de lapplication de la doctrine du forum non
conveniens laissent entrevoir un lien suffisant avec le tribunal du Qubec, ce
qui appuierait la dcision du juge du procs de se reconnatre comptent pour
statuer sur la demande94.
89 Muscutt, supra note 70 aux pp. 34-37. Cette dcision fort importante a permis la Cour dappel
de lOntario dnoncer en parallle les principes juridiques de ltablissement de la comptence
juridictionnelle internationale et de lapplication du forum non conveniens dans le cadre dune
poursuite pour des dommages subis en Ontario mais rsultant dune faute commise ltranger. Elle a
t suivie dans trois autres dcisions rendues au mme moment dans Lemmex v. Bernard, (2002) 60
O.R. (3e) 54, Gajraj v. DeBernardo, (2002) 60 O.R. (3e) 68 et Sinclair v. Cracker Barrel Old Country
Store Inc., (2002) 60 O.R. (3e) 76, impliquant toutes des fors concurrents ltranger alors que dans
Muscutt, il sagissait dun for situ dans une autre province.
90 Voir le tableau comparatif en annexe.
91 Pour cette raison, la Cour dappel de lOntario dans Muscutt avait dailleurs soulign de manire
favorable le raisonnement implicitement adopt par la Cour dappel du Qubec dans Spar
(Muscutt, supra note 70 la p. 43).
92 Comme la Cour dappel de lOntario la dmontr dans Lemmex v. Bernard, Gajraj v.
DeBesnardo et Sinclair v. Cracker Barrel Old Country Store Inc., supra note 89, si le test du lien rel
et substantiel oblige le tribunal conclure que cest le tribunal tranger plutt que le tribunal interne
qui est comptent, le test du forum non conveniens ne sera plus pertinent.
93 Talpis est dopinion que Quebec judges […] frequently let forum non conveniens dominate or
completely overtake other considerations (Talpis, supra note 68 la p. 46).
94 Spar, supra note 3 au para. 64.
L. LUSSIER SPAR AEROSPACE
2005]
Ce passage est la manifestation mme quun test unique met en chec lapplication
rigoureuse du test du forum non conveniens, puisque lobjectif de ce dernier nest pas
dtablir un lien rel et substantiel, mais bien si le tribunal saisi est plus appropri. Il
convient maintenant den voir les raisons, qui rvlent notre avis la fragilit de
lexercice accompli dans Spar.
439
IV. Lapplication de la doctrine du forum non conveniens au
Qubec
Bien quinfluence par la common law, la rception de cette doctrine au Qubec95
est originale du fait de sa codification larticle 3135 du Code civil en ces termes :
Bien quelle soit comptente pour connatre dun litige, une autorit du Qubec peut,
exceptionnellement et la demande dune partie, dcliner cette comptence si elle
estime que les autorits dun autre tat sont mieux mme de trancher le litige.
Cette disposition consacre donc les deux caractristiques du forum non conveniens
conformes celles de la common law96, savoir lexigence quun autre tat soit
mieux mme de trancher et la nature exceptionnelle de son application.
Sur le premier point, la dtermination de la comptence plus approprie du
tribunal tranger ncessite un examen de critres qui ne sont pas numrs comme
tels dans la disposition97. Ce sont les tribunaux au Qubec qui se sont chargs de les
formuler, rejoignant en cela le mouvement jurisprudentiel amorc par la Cour
suprme dans Amchem et par les cours des autres provinces98. Quant au deuxime
95 Cette doctrine avait dj t applique au Qubec, non sans controverse, imitant les pays de
common law qui lavaient eux-mmes emprunte lorigine des tribunaux civilistes cossais. Avec
ladoption de larticle 3135, le lgislateur qubcois a tranch : voir Goldstein et Groffier, Droit
international priv, supra note 19 au no 132. Les tribunaux qubcois ont mis un certain temps
adapter leur pratique : cest la dcision de la Cour dappel dans Lamborghini (Canada) inc. c.
Automobili Lamborghini S.P.A., [1997] R.J.Q. 58 (C.A.) [Lamborghini], qui sera le point tournant.
96 Voir Goldstein et Groffier, Droit international priv, ibid., au no 134 ; Emanuelli, Droit
international priv qubcois, supra note 19 au no 151. Pour une discussion des diffrences entre la
common law et larticle 3135, voir Genevive Saumier, Forum Non Conveniens : Where Are We
Now?, (2000) 12 Sup. Ct. L. Rev. (2e) 121 la p. 129.
97 Comme le reconnaissent les commentaires du ministre de la Justice du Qubec sous larticle
3135 : Qubec, Ministre de la Justice, Commentaires du ministre de la Justice : Le Code civil du
Qubec, t. 2, Qubec, Publications du Qubec, 1993 la p. 1999.
98 Sans prsenter une liste dtaille, le juge Sopinka a souscrit aux critres des tribunaux anglais
dans laffaire Spiliada Maritime Corporation c. Consulex Ltd. (1985), [1987] 1 A.C. 460 (H.L.) :
Lord Goff a donn certaines indications relatives aux facteurs pertinents pour ce qui est
de dterminer le tribunal appropri. Bien quil nait pas voulu dresser une liste
exhaustive, Sa Seigneurie sest rfre aux principaux facteurs dans ses motifs, la
p. 478 : Le tribunal doit donc rechercher dabord les facteurs de rattachement en ce
sens ; ils comprennent non seulement les facteurs dordre pratique ou pcuniaire (tels
que la disponibilit des tmoins), mais encore des facteurs tels que la loi applicable
lopration en cause (voir ce sujet laffaire Crdit Chimique c. James Scott
MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE MCGILL
440
point, le caractre dexception, il suppose lvaluation par le tribunal de lopportunit
dutiliser son pouvoir discrtionnaire dans lvaluation des critres en vue de dcider
ou non de dcliner dexercer sa propre comptence.
[Vol. 50
Dans Spar, comme il se doit, le juge LeBel traite de ces deux points, mais dune
manire qui, selon nous, distingue considrablement lapplication du forum non
conveniens au Qubec de celle qui simpose dans les autres provinces, telle que
dcrite dans Amchem. Cette distinction est le rsultat, dune part, (A) dune analyse
trop rapide des critres du forum non conveniens ; et, dautre part, (B) dune emphase
exagre sur son caractre exceptionnel.
A. Les critres du forum non conveniens
Aux fins de son analyse, le juge LeBel, suivant en cela la juge des requtes99,
emprunte la Cour dappel du Qubec la liste quelle avait labore dans Lexus
Maritime100. Cette liste comporte des facteurs la fois variables et souples101, qui
doivent tre valus dans leur ensemble sans quaucun ne soit dterminant lui seul.
Ces facteurs se comparent du reste aisment ceux utiliss dans dautres ressorts au
Canada pour valuer la comptence concurrente dun autre tribunal102, mais encore
faut-il un examen attentif et dtaill.
En sinspirant largement des critres de Lexus Maritime, les appelantes dans Spar
avaient soutenu que les tribunaux du Qubec devaient dcliner comptence pour les
Engineering Group Ltd., 1982 S.L.T. 131) et le lieu de rsidence des parties ou le sige
de leur activit [traduction de la Cour] (Amchem, supra note 37 la p. 917).
Le juge Sopinka a galement longuement voqu la question de lavantage juridique pour le
demandeur dcoulant du choix du for, avant de conclure quaucune raison sur le plan des principes
ne nous autorise considrer la perte dun avantage juridique comme une condition distincte plutt
que comme un facteur parmi ceux dont la cour tient compte pour dterminer le tribunal appropri
(ibid. aux pp. 919-20).
99 Voir la dcision de premire instance, supra note 6 au para. 18. Fait tonnant, bien que deux des
appelantes aient demand le rejet de laction subsidiairement sur la base de larticle 3135 (ibid. au
para. 7) devant la Cour dappel, celle-ci ne sest pas directement prononce sur ce motif.
100 Supra note 21 au para. 22. Cette liste comporte dix critres partir dun assemblage de ceux
retenus dans des dcisions prcdentes : (1) le lieu de rsidence des parties et des tmoins ordinaires
et experts ; (2) la situation des lments de preuve ; (3) le lieu de formation et dexcution du contrat
qui donne lieu la demande ; (4) lexistence et le contenu dune autre action intente ltranger et le
progrs dj effectu dans la poursuite de cette action ; (5) la situation des biens appartenant au
dfendeur ; (6) la loi applicable du litige ; (7) lavantage dont jouit la demanderesse dans le for choisi
; (8) lintrt de la justice ; (9) lintrt des deux parties ; (10) la ncessit ventuelle dune procdure
en exemplification ltranger. notre avis, les critres 1 6 sont tributaires du test du lien rel et
substantiel appliquer tant au tribunal saisi qu un ou plusieurs fors concurrents, alors que les
critres 7 10 traitent plutt de lapprciation de lapplication exceptionnelle du renvoi un autre
tribunal comptent.
101 Comme les dcrit le juge LeBel, alors juge la Cour dappel, dans Birdsall inc. c. In Any Event
inc., [1999] R.J.Q. 1344 la p. 1354 (C.A.).
102 Voir notamment Muscutt, supra note 70. Voir galement le tableau comparatif en annexe.
L. LUSSIER SPAR AEROSPACE
2005]
motifs suivants : le lieu de rsidence des parties et des tmoins se situait ailleurs quau
Qubec ; il nexistait plus de lien entre la demanderesse et le Qubec, celle-ci ny
possdant plus dusine ; lendroit o aurait t commise la faute allgue, ainsi que la
localisation des biens des dfenderesses se trouvaient lextrieur du for103, sans
compter enfin que les dommages-intrts rclams au Qubec reprsentaient une
somme minime104. Au terme dun examen succinct, le juge LeBel conclut toutefois
que ces facteurs ne sont pas dterminants105.
441
Au surplus, il rejette un autre argument des dfenderesses (pourtant fort plausible
notre avis) relatif lavantage pour la demanderesse davoir choisi le for qubcois,
non seulement parce que celle-ci pouvait y rclamer, contrairement dautres fors
potentiellement comptents, des pertes purement pcuniaires106, mais galement en
raison du fait quil devient impossible de modifier le choix du ressort fait par le
demandeur107. Le juge LeBel estime sur ce dernier point, trouvant appui dans
lopinion du juge Sopinka dans Amchem, quil est tout fait acceptable de reconnatre
une prsomption en faveur du ressort choisi par le demandeur lorsquil nexiste
aucune autre alternative108.
Une telle approche peut se justifier par lattitude des dfenderesses elles-mmes,
qui ont contribu rendre la slection dun for comptent encore plus nbuleuse lors
des procdures devant la juge des requtes, qui crit :
That this is a case where no clearly appropriate forum emerges from the
facts alleged is made even clearer by the discoveries. […]
Still, it is difficult to imagine a case where determining a clearly appropriate
earthly forum poses more of a conundrum. It may be useful to point out that the
Defendants do not make a claim for Virginia jurisdiction in any event. Those
who express a preference favour California. […]
Were the California proceedings still pending in that state, California would
be the most appropriate forum, if only to avoid a duplication of costs109.
Compte tenu quen lespce, aucun autre tribunal plus appropri ntait saisi et
quaucun autre navait pu tre identifi, il fallait bien convenir que, par dfaut, le
tribunal qubcois devenait et demeurait un for comptent, si ce nest dans lintrt de
la demanderesse110. Le manque de collaboration entre les dfenderesses (ou certaines
103 Spar, supra note 3 au para. 72.
104 Ibid. au para. 74.
105 Ibid. aux paras. 73-74.
106 Ibid. au para. 46.
107 Ibid. au para. 75.
108 Ibid.
109 Spar (C.S.), supra note 6 aux paras. 23-26.
110 Cest voquer l, dune certaine manire, la doctrine du for de ncessit codifie larticle 3136
du Code civil et galement de nature exceptionnelle, linstar du forum non conveniens. En lespce,
cette doctrine ne pouvait sappliquer puisquil avait t dcid que les autorits judiciaires du Qubec
MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE MCGILL
442
dentre elles) en vue de ladoption dune stratgie commune dans le choix dun for
alternatif, a peut-tre conduit un tel rsultat. Comme le dit ladage, a tough case
makes bad law.
[Vol. 50
Quoiquil en soit, il nous semble quil revenait aux tribunaux de soupeser
galement lintrt de la justice et celui des parties dans leur apprciation de
largument du forum non conveniens, conformment la liste reconnue des critres
considrer. Nous croyons quil sagit l dune lacune du jugement dans Spar. Il aurait
fallu apporter des rponses aux questions suivantes : Comment un tribunal qubcois,
comme for du fond, pourra-t-il utilement instruire un dbat sur une prtendue faute
lie des faits et agissements des dfenderesses stant produits ailleurs, notamment
en Virginie, ou encore dans latmosphre terrestre, alors quil devra non seulement
pouvoir tre en mesure dentendre un grand nombre de tmoins rsidant ltranger
mais galement examiner lapplication de la loi trangre ? Lintrt de la justice sera-
t-il prserv ? Lintrt de la demanderesse sera-t-il mieux servi si la question tait
examine par un autre tribunal ? Et quen est-il des intrts des dfenderesses, en
lespce possiblement contradictoires, sinon conflictuels ? Seraient-ils mieux servi par
un tribunal du Qubec ? Quoi quil advienne, si les dfenderesses ne possdent pas de
biens au Qubec, la demanderesse devra se rendre ltranger pour obtenir le
paiement des dommages.
Malheureusement, la Cour napporte que peu dclairage, sinon aucun, sur ces
questions. Or cest prcisment ltape de lexamen des facteurs pertinents du forum
non conveniens quelles doivent tre dbattues, car elles sont essentielles la
dtermination de lapplication exceptionnelle du forum non conveniens.
B. Le caractre exceptionnel
Dans Spar, le juge LeBel insiste fortement sur le caractre exceptionnel de
lapplication de la doctrine du forum non conveniens ds lors que la comptence du
tribunal qubcois a t tablie111. Ses propos semblent suggrer que cette application
doit se faire avec parcimonie, la discrtion du juge des requtes et seulement si des
circonstances exceptionnelles le justifient. Cette approche confirme le courant
jurisprudentiel suivi jusque l au Qubec112. En soi, elle ne nous semble pas soulever
avaient comptence. Si la conclusion avait t diffrente, il aurait fallu satisfaire les conditions de
larticle 3136, dont lexistence dun lien suffisant.
111 Supra note 3 aux paras. 77-81. Si cette comptence ne peut tre tablie de manire raisonnable,
la doctrine ne sapplique pas : voir Quebecor Printing Memphis inc. c. Regenair inc., [2001] R.J.Q.
966 au para. 11 (C.A.), autorisation de pourvoi la C.S.C. refuse, [2002] 1 R.C.S. x. Il est intressant
de constater que les allgations de la partie demanderesse (concernant le prjudice subi d au refus de
paiement lentreprise domicilie au Qubec), sont semblables celles dans Spar, mais quelles nont
pas ici su convaincre la majorit de la comptence des tribunaux du Qubec.
112 Aprs un dbut dapplication parfois chaotique, les tribunaux du Qubec ont depuis
Lamborghini, supra note 95, dmontr une meilleure matrise de larticle 3135. Voir par ex. Amiel
Distributions Ltd. c. Amana Company L.P., REJB 2002-32688 (C.A.) [Amiel].
L. LUSSIER SPAR AEROSPACE
2005]
de difficults particulires, dans la mesure toutefois o elle demeure subordonne
lanalyse exhaustive des critres du forum non conveniens. Cependant, un flou
entoure toujours la mthode par laquelle une telle application exceptionnelle doit
soprer. Sagit-il pour le juge des requtes ou du fond de se rfrer nouveau la
liste des critres, en les comptabilisant en quelque sorte, ou plutt de les valuer en
fonction de la dynamique tablie entre les parties et le for saisi ? De mme, dans
quelle mesure les procdures entreprises ltranger doivent-elles peser dans la
balance ?
443
Une revue rapide des dcisions de la Cour dappel du Qubec confirme
lapplication du forum non conveniens dans le cas o une injonction anti-poursuite a
t obtenue ltranger113. Toutefois, elle rvle que son rejet est frquent lorsque des
procdures parallles ont t entreprises ltranger et quelles se poursuivent sur des
objets diffrents114. Il en va de mme lorsque les facteurs de rattachement ne
permettent pas didentifier un seul et unique tribunal comptent115, condition
laquelle Spar accorde une grande lgitimit sur la base de la rgle contenue larticle
3135.
notre avis, aussi important que soit le choix dun ressort unique plus logique
ou naturel, en regard du caractre exceptionnel du forum non conveniens ,
lattention porte une telle exigence peut mener des conclusions excessives qui ne
paraissent pas appuyes par la dcision dans Amchem. Ce constat est particulirement
saisissant la lumire de la mission que semblent stre donns les tribunaux au
Qubec dtablir le forum le plus appropri. Bien que sur ce point le juge LeBel se
rfre aux commentaires du juge Sopinka dans Amchem, nous prtendons que sils
avaient t lus en contexte, ils auraient pu mener une autre interprtation.
En effet, le juge Sopinka stait prononc ainsi :
Selon ce critre, le tribunal doit dcider si un autre tribunal est nettement plus
appropri. Cette modification a pour effet dans les cas de demande de
suspension que, lorsque aucun tribunal nest le plus appropri, le tribunal
interne lemporte ipso facto et refuse la suspension, la condition dtre un
tribunal appropri. […] Si, en appliquant les principes relatifs au forum non
conveniens […], le tribunal tranger avait pu raisonnablement conclure
quaucun autre tribunal ntait nettement plus appropri, le tribunal interne
devrait respecter cette dcision et rejeter la demande116.
En dautres mots, pour le juge Sopinka, il ne sagit pas de dcider quel tribunal
est le plus appropri, mais bien le tribunal qui est plus appropri quun autre. Selon
113 Voir par ex. Birdsall inc. c. In Any Event inc., supra note 101.
114 Au sens de larticle 3137 du Code. Ctait le cas dans Amiel, supra note 112. Tel que soulign
par Saumier, supra note 96 la p. 132, ce genre de situations serait davantage soumis aux solutions
dcoulant de la rgle de la litispendance contenue larticle 3137.
115 Voir la conclusion dans Lexus Maritime, supra note 21 reprise par le juge minoritaire dans
Quebecor Printing Memphis inc. c. Regenair inc., supra note 111 au para. 35.
116 Amchem, supra note 37 aux pp. 931-32.
MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE MCGILL
444
notre comprhension, rien dans les principes du forum non conveniens nimpose au
dfendeur dtablir par des moyens de preuve quun tribunal le plus appropri existe,
mais plutt quun autre tribunal est plus appropri que celui retenu par le
demandeur117. La lecture du texte de larticle 3135 parat corroborer cette nuance, bien
que les mots employs dans la version franaise pour dsigner un tel tribunal soient
plus ambigs (mieux mme de trancher le litige) que ceux de la version anglaise
(in a better position to decide).
[Vol. 50
Dans Spar, le juge LeBel souscrit lapproche dune certaine jurisprudence au
Qubec qui voit dans la recherche dun for dit naturel lexigence dun for
unique118, un test plus rigide et exigeant. Ceci semble bien loign de la conception
du juge Sopinka dans Amchem, pour qui le ressort logique est celui qui a le lien le
plus rel et important avec le litige119.
Dans cette dernire dcision, le juge Sopinka ne sest pas attard au caractre
exceptionnel du forum non conveniens en tant que tel. Il nutilise pas le mot
exception, mais laisse entendre que le choix du for par le demandeur, quil soit
son avantage ou non, ne devrait tre cart que dans des circonstances limites. Il en
va ainsi lorsque le lien est tnu et quil convient dviter une injustice :
Le poids accorder un avantage juridique dpend grandement du lien des
parties avec le ressort en question. Si une partie sadresse un tribunal
simplement pour obtenir un avantage juridique et non en raison dun lien rel et
important de laffaire avec le ressort, ce choix est dordinaire rprouv parce
quil quivaut la recherche dun tribunal favorable. En revanche, la partie
dont la demande a un lien rel et important avec un ressort peut lgitimement
faire valoir les avantages quelle peut en retirer. La lgitimit de sa demande
repose sur lattente raisonnable quen cas de litige dcoulant de lopration en
cause, elle pourra se prvaloir de ces avantages120.
117 Voir ibid. la p. 921. La Cour dappel de la Colombie-Britannique a discut du fardeau de
preuve du dfendeur en soulignant dans quelle mesure labsence de procdures parallles pourrait
favoriser le choix du for pour le demandeur : Pacific intl Sec. inc. v. Drake Capital Sec. inc., 194
D.L.R. (4e) 716 la p. 724. La situation sera diffrente si des procdures sont pendantes devant deux
fors concurrents, principalement en raison du principe de la courtoisie : voir 472900 B.C. Ltd. v.
Thrifty Canada Ltd. (1998), 168 D.L.R. (4e) 602 (B.C.C.A.) ainsi que Westec Aerospace Inc. v.
Raytheon Aircraft Co., supra note 54. Talpis est davis que face des faits similaires ceux dans
Westec, une dcision qubcoise serait toutefois diffrente de la dcision britanno-colombienne et ne
reconnatrait pas la comptence du tribunal tranger instruire laffaire, d aux rgles strictes
concernant la suspension de procdures tablies larticle 3137 du Code civil (Talpis, supra note 68
aux pp. 60-63).
118 Spar, supra note 3 au para. 76. Il fait rfrence la dcision de la Cour dappel du Qubec dans
Lexus Maritime, supra note 21, sur laquelle avait renchri la dcision dans Birdsall inc. c. In Any
Event inc., supra note 101. Curieusement, dans les deux cas, les tribunaux du Qubec avaient
nanmoins t trouvs forum non conveniens. Ajoutons que dans Lexus Maritime, aucun autre
tribunal tranger navait encore t saisi.
119 Amchem, supra note 37 aux pp. 916, 935.
120 Ibid. la p. 920.
L. LUSSIER SPAR AEROSPACE
2005]
Le respect d par les cours dappel lexercice par le tribunal de premire
instance de sa discrtion dans lapplication exceptionnelle du forum non conveniens
ne pourrait donc se justifier que si tous les critres pertinents ont t rellement
contrls. Sinon, le tribunal na pas rempli son devoir dans lexercice de sa discrtion
et la dcision laquelle il arrive est susceptible dtre renverse la suite dun
examen approfondi en appel. Bien que dans Spar le juge LeBel ait conclu que le juge
des requtes navait pas commis derreur, en tout respect, sa dmonstration ne nous
convainc pas entirement121.
445
Ainsi, la dcision dans Spar de ne pas agrer la requte des dfenderesses de
dclarer les tribunaux qubcois forum non conveniens au motif que cette doctrine
doit demeurer exceptionnelle risque de conduire au rsultat inverse de celui recherch
par le juge LeBel dassurer la scurit de lordre juridique. Cette consquence, sans
doute non souhaite et encore moins souhaitable est encore plus saisissante la
lumire de ses commentaires justifiant la ncessit de renforcer ce caractre
exceptionnel,
incertitude pourrait gravement
compromettre les principes de courtoisie, dordre et dquit, principes mmes dont
les rgles du droit international priv sont supposes favoriser la mise en oeuvre122.
indique quune
lorsquil
telle
Par ce retour aux principes se situant au cur de lordre juridique international
priv, le juge LeBel ne fait que nous rendre davantage perplexes sur les valeurs
inspirant le Livre dixime. Le recours ultime au test du forum non conveniens, sans
que ltablissement de la comptence initiale du tribunal qubcois nait t filtr
travers le test du lien rel et substantiel, ne devrait pas conduire ldification dun
rempart devant les fors trangers potentiellement concurrents, perus comme une
menace lexercice de la comptence du for interne du demandeur. En mettant de
ct le test additionnel du lien rel et substantiel, qui permet dassurer la validit
constitutionnelle de la comptence juridictionnelle internationale des tribunaux du
Qubec, et en rehaussant la barre pour les cas dans lesquels ces tribunaux pourraient
dcliner comptence, la dcision de la Cour suprme dans Spar vient rompre
lquilibre recherch dans lexercice appropri de la comptence en accord avec les
principes qui lont inspir.
Conclusion
La dcision dans Spar aurait-elle pu constituer une dcision cl de la Cour
suprme dans le domaine du droit international priv, lgal de ses dcisions dans
Morguard, Hunt, Amchem et Tolofson, mais cette fois dans le cadre proprement
121 Il faut se surprendre de lappui que le juge LeBel estime trouver (Spar, supra note 3 au para. 80)
dans larrt Sam Lvy & Associs c. Azco Mining inc., [2001] 3 R.C.S. 978. En effet, une lecture
attentive de cette dcision, dans laquelle la Cour examinait lapplication du forum non conveniens en
matire de procdures de faillite, indique clairement que larticle 3135 nest pas pertinent cette
analyse.
122 Spar, supra note 3 au para. 81.
MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE MCGILL
446
qubcois ? Pour ce faire, tel que nous avons tent de le dmontrer, ses conclusions
auraient notre avis d tre les suivantes :
[Vol. 50
La courtoisie internationale, lordre et lquit doivent tre
considrs comme constituant davantage que de simples principes
dinterprtation, mais bien des principes fondamentaux auxquels
se subordonnent lapplication des rgles du droit international
priv.
Au surplus, tant donn leur valeur dimpratifs constitutionnels
au Canada, ils doivent tre pris en compte dans la sanction par les
tribunaux des rgles de droit international priv, particulirement
lorsquils doivent dcider de leur comptence.
Ces principes, bien quayant t formuls lorigine dans un
contexte canadien, demeurent pertinents dans le cas de litiges
vritablement internationaux.
Compte tenu de linterface entre la courtoisie internationale,
lordre et lquit, dune part, et le lien rel et substantiel, dautre
part, celui-ci devrait servir lexamen des rgles de comptence
du Code civil du Qubec.
En tant qulment de la dcision sur la saisine du tribunal, le test
du lien rel et substantiel devrait tre trait sparment du test de
la doctrine du forum non conveniens.
Les circonstances exceptionnelles justifiant lapplication du forum
non conveniens devraient tre examines la lumire de
lensemble des critres pertinents, incluant ceux se rapportant
lintrt de la justice et des parties.
Pour ces raisons, il nexiste somme toute que peu de justifications
vouloir reconnatre la spcificit du droit international priv
qubcois et de
tentatives dvolution et
dharmonisation du droit international priv canadien.
lisoler des
Puisque les parties se sont entendues lamiable, cest pure spculation que de
tenter de prdire quels seraient ou auraient pu tre les rsultats dune poursuite au
Qubec. Toutefois, les dfenderesses auraient eu la possibilit de contester nouveau
la comptence des tribunaux du Qubec123. On imagine sans peine les cots de telles
procdures et le discrdit jet sur ladministration dune justice se voulant expditive,
123 Cest ce qua ritr la cour dans Transworld Steel Ltd. c. Venture Steel Inc., REJB 2003-39417
(C.A.), en regard du libell de larticle 167 du C.p.c., ds lors que des lments nouveaux
permettraient de soutenir de telles allgations.
L. LUSSIER SPAR AEROSPACE
2005]
mais cest l la ralit de litiges internationaux o les enjeux commerciaux et
financiers sont considrables.
447
Plus intressante est lvaluation de limpact de la dcision sur lexamen
pralable de la comptence juridictionnelle ainsi que sur lapplication du forum non
conveniens sur les dcisions et sur la pratique en droit international priv au Qubec
et ailleurs au Canada. Selon nos recherches, la dcision a t cite dans prs dune
vingtaine de jugements, dont sept de la Cour dappel du Qubec. Elle a galement fait
lobjet de rfrences dans des dcisions subsquentes de la Cour suprme124. Notons
quelle a reu galement lattention dautres cours dappel en Alberta, Colombie-
Britannique, Nouvelle-cosse et Ontario, pour des raisons qui parfois contrastent avec
celles retenues au Qubec. En effet, dans trois de ces instances, la position du juge
LeBel quant une tendue plus limite de la porte constitutionnelle des principes de
courtoisie, dordre et dquit dans le contexte international quinterne a attir les
commentaires des tribunaux infrieurs leffet dun possible conflit avec la dcision
de la Cour dappel de lOntario dans Muscutt, soit explicitement, ou encore par
adhsion implicite125. Enfin, la Cour dappel de la Nouvelle-cosse sest rallie
lopinion du juge LeBel sur llargissement de la comptence matrielle des tribunaux
provinciaux au motif de leffet comparable entre les rgles de service ex juris dans
cette province et les rgles de comptence du Code civil126.
124 Outre Beals c. Saldanha (C.S.C.), supra note 39, et Unifund Assurance Co. c. Insurance Corp.
of British Columbia, supra note 51, voir Socit canadienne des auteurs, compositeurs et diteurs
de musique c. Association canadienne des fournisseurs Internet, [2004] 2 R.C.S. 427. Dans cette
affaire, la Cour avait dcider dune contestation de la porte extraterritoriale de la Loi sur le droit
dauteur, L.R.C. 1985, c. C-42, des communications sur Internet. Cette dcision a permis la
Cour didentifier les facteurs de rattachement pouvant servir reconnatre comme valide
lapplication de la loi fdrale en lespce; le juge LeBel a dclar ne pas partager cette opinion au
motif que le lien rel et substantiel ne devait pas sappliquer aux comptences lgislatives (ibid. au
para. 147).
125 Seule la dcision albertaine impliquait un litige vritablement international. La Cour dappel de
lAlberta, dans Deuruneft Deutsche-Russische Mineralol Handelsgesellschaft mbH v. Bullen, (2003)
21 Alta. L.R. (4e) 349, [2004] 1 W.W.R. 535, tout en endossant la position que le respect d au
principe de courtoisie en faveur dun for tranger stablissait un degr diffrent de celui envers un
for interne, a nanmoins conclu labsence de lien rel et substantiel avec le for interne. Dans un
cadre interprovincial, la Cour dappel de Colombie-Britannique, dans Marren v. Echo Bay Mines Ltd.,
(2003) 226 D.L.R. (4e) 622, (2003) 13 B.C.L.R. (4e) 177, a pour sa part soutenu que cette approche ne
pouvait tre retenue lorsque la seule question tait la dtermination dun lien rel et substantiel, et non
celle de lapplication du forum non conveniens, refusant ainsi de reconnatre la comptence du for
saisi compte tenu dun rattachement insuffisant en lespce. Enfin, la Cour dappel de lOntario dans
Incorporated Broadcasters Ltd. v. Canwest Global Communications Corp., (2003) 63 O.R. (3e) 431,
(2003) 223 D.L.R. (4e) 627, tant saisie dune question de forum conveniens entre deux fors
provinciaux, a dcid que les tribunaux ontariens devaient dcliner comptence, lutilisation des
critres apparemment communs retenus dans Muscutt et Spar permettant dtablir que les tribunaux
manitobains possdaient un lien rel et substantiel avec le litige.
126 PCI Chemicals Canada Co. v. ABB Trasmissione & Distribuzione S.p.A., (2004) 220 N.S.R. (2e)
142: la Cour a dcid de confirmer la comptence internationale des tribunaux de Nouvelle-cosse au
MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE MCGILL
448
Au Qubec, laprs-Spar se dessine de la faon suivante :
[Vol. 50
En matire de comptence matrielle directe, linterprtation large
de larticle 3148(3) a t adopte fidlement dans lensemble par
la Cour dappel et la Cour suprieure127. Seule une dcision de la
Cour dappel semble mettre en veilleuse labsence de ncessit
dexaminer lexistence dun lien rel et substantiel une fois tablie
la comptence128.
Le caractre exceptionnel du forum non conveniens, amplifi par
la Cour suprme, permet dans plusieurs litiges de justifier la
reconnaissance de la comptence des tribunaux du Qubec,
appuye (dans certains cas, mais non dans tous) dune analyse des
critres figurant dans la liste retenue dans Lexus Maritime129 et
reprise dans Spar130. Le rsultat est nanmoins parfois favorable
un autre tribunal, tranger ou dune autre province131.
motif de la prsence du sige social dans la province (tel que permis dans les rgles de pratique)
comme seul critre de rattachement, et non sur la base du test du lien rel et substantiel la Muscutt.
127 Voir, dans un cadre international, Republic Bank Ltd. c. Firecash Ltd., REJB 2004-59992
(C.A.), concernant un contrat dutilisation de cartes de crdit par un intermdiaire en vue de garantir
des mises pour des jeux de casino virtuels et payables sur une banque de Trinit-et-Tobago ; Capital
Factors c. Royal Bank of Canada, REJB 2004-81258 (C.A.) ; Blanger v. Services de consultation
Arthur Andersen & Cie, REJB 2002-35510 (C.S.), o le demandeur recherche entre autres
lobtention de dommages exemplaires pour une diffamation supposment subie au Qubec sur la
base dun contrat demploi sign localement, alors que les parties se trouvent aux tats-Unis et que
le lien contractuel nexiste plus. Voir, dans un cadre interprovincial, Roco Industrie inc. c. Sterling
Combustion inc., REJB 2004-80671 (C.S.), relative une action fonde sur la garantie du vendeur,
alors que le revendeur qubcois a acquis lorigine les biens dun manufacturier ontarien ;
4041992 Canada inc. c. 1172535 Ontario inc., J.E. 2004-2121, o un franchiseur poursuit au
Qubec pour un prjudice sa rputation subi localement, alors que le franchis prtendument fautif
opre en Ontario.
128 Cest le juge Brossard qui, au nom de ses deux collgues, en fait une analyse fort labore dans
Banque de Montral c. Hydro Aluminium Wells Inc., REJB 2004-55097 (C.A.), dans le cadre dun
contrat international se basant sur une dcision de la Cour suprme ultrieure Spar, soit celle rendue
en 2003 dans Beals v. Saldanha, supra note 39, pour indiquer que la rflexion du juge LeBel sur ce
point est thorique et dpasse. Il conviendra de mesurer en temps utile limpact de tels commentaires
sur linterprtation de larticle 3148.
129 Supra note 21.
130 Voir par ex. Republic Bank Ltd. c. Firecash Ltd., supra note 127 ; Grecon Dimter inc. c. J.R.
Normand inc., [2004] R.J.Q. 88 (C.A.) ; quipements Power Survey lte v. Commonwealth Sprague
Capacitor inc., [2003] J.Q. no 5311 (C.A.) (QL), o le demandeur a entrepris des actions parallles,
lune au Massachusetts, o se trouve le sige social de la compagnie ayant pass la commande, et
lautre au Qubec, o auraient t produits les biens dfectueux ; Arontec inc. c. Socit
commerciale anonyme de construction technique et touristique Poseidon, EYB 2004-70561
(C.S.), relative une action sur compte lie un contrat de fabrication de matriaux au Qubec et
livrables une socit ltranger, le paiement tant en partie garanti par un crdit documentaire
mis par une banque internationale ; Royal & Sun Alliance Insurance c. Despec Supplies inc., REJB
2003-51617 (C.S.), concernant lannulation de polices dassurance mises par un assureur
2005]
L. LUSSIER SPAR AEROSPACE
449
Une autre avenue, plus imprvue celle-l, est celle de linfluence
de Spar sur les conditions de la reconnaissance et lexcution de
jugements trangers. Dans deux dcisions, lune par la Cour
dappel132, lautre par la Cour suprieure133, les juges qubcois
ont refus de rendre excutoire au Qubec un jugement tranger
au motif de la primaut accorder aux rgles du Code civil,
affirme par la Cour suprme.
Ce bilan, encore que rcent et fragmentaire, donne penser que laprs-Spar
soulve encore des questions sur le rle de la Cour suprme dans sa double fonction
de guide dans linterprtation des rgles et dagent unificateur dans lapplication
cohrente du droit international priv. Il rend compte galement des tensions
inhrentes au sein de la Cour et de leurs rpercussions au niveau des cours infrieures
quant au maintien dune distinction entre le degr de dfrence devant tre accord
aux procdures intentes au sein de la fdration canadienne et celui manifest
lgard des instances engages ltranger, qui avait merg avec larrt Morguard
mais qui, en dpit de Spar, commence sinflchir. Il nous reste souhaiter une
nouvelle dcision de la Cour dans une affaire provenant du Qubec pour en suivre
lvolution.
londonien due de fausses dclarations faites au profit entre autres dune entreprise lie oprant aux
tats-Unis ; M.Ma.F. c. K.M., [2003] R.D.F. 736 (C.S.), en matire de garde denfants dans un litige
international ; Rudolf Keller SRL c. Banque Laurentienne du Canada, REJB 2003-47627 (C.S.) ;
M.A. c. J.-M. G.M.B., [2004] R.D.F. 401 (C.S.), dans une instance de divorce internationale.
131 Voir S.P. c. S.A.N., [2004] J.Q. no 14058 (C.A.) (QL), et P.L.M. c. T.M., [2004] J.Q. no 8993
(C.S.) (QL), deux instances en divorce interprovinciales ; MacDougall GM & Partner Corporation c.
Griffiths Mcburney & Partners, [2003] J.Q. no 6971 (C.S.) (QL).
132 Voir Worthington Corp. c. Atlas Turner, REJB 2004-70145 (C.A.), o la Cour dappel a refus
de reconnatre les effets dune dcision dun tribunal amricain condamnant une compagnie
qubcoise payer des dommages lun de ses employs. Son refus se base sur les alinas 3155(1)
et 3165(1) du Code civil, des dispositions dordre public rendant la comptence des tribunaux du
Qubec exclusive en cas de poursuite lie une matire premire produite au Qubec. La cour met
de ct les arguments dinconstitutionnalit lis la porte extraterritoriale des alinas en question,
au motif que ces dispositions de droit international priv entrent dans les comptences lgislatives
du Qubec et quelles doivent donc recevoir application conformment lopinion du juge LeBel
dans Spar.
133 Voir Labs of Virginia c. Clintrials Bioresearch Ltd., REJB 2003-39907 (C.S.), dans laquelle la
cour rejette la requte en reconnaissance et excution dune dcision dun tribunal amricain contre
un laboratoire de recherche tabli au Qubec pour bris dun contrat visant lapprovisionnement du
laboratoire en singes en bonne sant. La cour est guide par les conditions poses par lalina
3168(4), qui sont plus exigeantes pour fonder la comptence contractuelle du for tranger en vue de
la reconnaissance de ses dcisions que ne le sont celles poses par 3148 pour tablir la comptence
du for qubcois. Ce sont ces rgles du Code civil quil convient dappliquer en premier lieu,
comme la indiqu le juge LeBel dans Spar, mme si elles ont pour consquence de limiter en
matire juridictionnelle le principe dit du miroir.
MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE MCGILL
450
Annexe : Tableau comparatif des critres du lien rel et substantiel
[Vol. 50
et du forum non conveniens
Tableau comparatif
Liste des facteurs retenus pour les tests du
lien rel et substantiel et le forum non conveniens
Real and substantial connection
Forum non conveniens
Forum non conveniens
Oppenheim Forfait Gmbh c.
Lexus Maritime (C.A. Qu)
Le lieu de rsidence des
parties et des tmoins
ordinaires et experts ;
La situation des lments
de preuve ;
Le lieu de formation et
dexcution du contrat qui
donne lieu la demande ;
Lexistence et le contenu
dune autre action intente
ltranger et le progrs
dj effectu dans la
poursuite de cette action ;
La situation des biens
appartenant au dfendeur ;
La loi applicable au litige ;
Lavantage dont jouit la
demanderesse dans le for
choisi ;
Lintrt de la justice ;
Lintrt des deux parties ;
La ncessit ventuelle
dune procdure en
exemplification
ltranger.
Muscutt c. Courcelle (C.A.
Ont.)
The location of the
majority of the parties
(residence or place of
business);
The location of key
witnesses and evidence;
Contractual provisions
that specify applicable
law or accord
jurisdiction;
The avoidance of a
multiplicity of
proceedings;
The applicable law and
its weight in comparison
to the factual questions
to be decided;
Geographical factors
suggesting the natural
forum (jurisdiction in
which the factual matters
arose;
Whether declining
jurisdiction would
deprive the plaintiff of a
legitimate juridical
advantage available in
the domestic court (loss
of juridical advantage);
Other factors.
Muscutt c. Courcelle (C.A.
Ont.)
The connection between
the forum and the
plaintiffs claim;
The connection between
the forum and the
defendant;
Unfairness to the
defendant in assuming
jurisdiction;
Unfairness to the plaintiff
in not assuming
jurisdiction;
The involvement of other
parties to the suit;
The courts willingness to
recognize and enforce
extra-provincial judgment
rendered on the same
jurisdictional basis;
Whether the case is
interprovincial or
international in nature;
Comity and standards of
jurisdiction, recognition
and enforcement
prevailing elsewhere.