Article Volume 41:3

L’identité autochtone dans les traités contemporains : de l’extinction à l’affirmation du titre ancestral

Table of Contents

L’identitg autochtone dans les trait~s

contemporains : de l’extinction
a l’affirmation du titre ancestral

Ghislain Otis et Andr6 Etmond’

l’extinction du

Les gouvemements ont longtemps vu dans la
conclusion de trait~s extinctifs des droits fonciers au-
tochtones une technique de 16gitimation de l’entreprise
coloniale. Toutefois,
titre ancestral
comme modalit6 oblig~e de trait~s fonciers fait au-
jourd’hui l’objet de contestations de natures juridique et
politique. Dans cette 6tude, les auteurs s’attachent
d’abord A d6montrer la lie6it6 du principe de l’extinction
consensuelle au regard de la Proclamation royale de
1763 et du r~gime des droits ancestraux. Reconnaissant
par ailleurs qu’il est Idgitime pour les autochtones de lier
la preservation de leur identit6 culturelle 4 Ia pdrennit6
du titre ancestral, les auteurs souscrivent 4 l’id~e, avan-
ce notamment par la Commission royale d’enqute sur
les peuples autochtones du Canada, de remplacer le
principe de l’extinction du titre ancestral par celui de ]a
reconnaissance mutuelle dans les trait s contemporains.
Is font cependant valoir que la formule de reconnais-
sance mutuelle propose par la Commission ne serait
pas de nature A garantir un degr6 suffisant de s~curit6
juridique pour la partie gouvemementale. En cons6-
quence, ils mettent de ‘avant une solution qu’ils esti-
ment Etre plus Zt m~me de concilier le principe de recon-
naissance identitaire et l’impratif de s6curisation des
droits de la couronne.

Governments have long considered the signing of
treaties that extinguish Aboriginal title as a way to le-
gitimize colonialism. However, the extinction of Abo-
riginal titie as a necessary element of land treaties is
presently the subject of considerable legal and political
debate. In this article, the authors first establish the le-
gality of the principle of consensual extinction in light of
the Royal Proclamation of 1763 and of the regime of
ancestral rights. Recognizing, moreover, that it is legiti-
mate for Aboriginal peoples to link the preservation of
their cultural identity to the continuity of ancestral title,
the authors subscribe to the idea, as put forward by the
Royal Commission on Aboriginal Peoples, that the
principle of mutual recognition of contemporary treaties
should replace that of the extinction of ancestral title.
The authors note, however, that the Commission’s for-
mula for mutual recognition would be an insufficient
guarantee of the Crown’s rights. The authors, therefore,
propose an alternative solution they believe is better able
to reconcile the principle of recognition of identity with
the need to secure the Crown’s rights.

“M. Ghislain Otis est avocat et professeur agrdg6 a la facult6 de droit de l’Universit6 Laval. M. An-

dr6 tmond est avocat et candidat au doctorat A l’Universit6 Laval.

Revue de droit de McGill
McGill Law Journal 1996
Mode de rdf6rence: (1996) 41 R.D. McGill 543
To be cited as: (1996) 41 McGill LI. 543

MCGILL LAW JOURAL/REVUE DE DROiTDE MCGILL

[Vol. 41

Introduction

Sommaire

L Une refutation de l’argument d’illicit6 de I’extinction consensuelle

A. La conformif de la cession du titre ancestral i la Proclamation de 1763
B. La validiti de l’extinction du titre au regard des obligations defiduciaire de

la couronne

II. La revendication identitaire et les limites d’une objection 1gitime A la politi-

que d’extinction
A. La pirenni& des droits ancestraux comme fondement d’une stratdgie au-

tochtone de r6sistance identitaire

B. Les risques d’une survalorisation des rigimesfonciers ancestraux
C. Le droit t l’auto-identification autochtone comme principe politique de co-

existence

MI. La conciliation possible de l’identit6 autochtone et de la scurit6juridique

A. Lepoids de l’incertitudejuridique
B. La reconnaissance mutuelle : une voie possible de conciliation de la liberti

identitaire et de la stabilitijuridlque

C. La proposition de la Commission : une perpituation de l’incertitude juridi-

D. La recherche d’une coexistence des droits ancestraux et de droits allochto-

que

nes intangibles

Conclusion

1996]

G. OTIS & A. tMOND – L’IDENTIT, AUTOCHTONE

Introduction

Ds les premiers temps des migrations europ~ennes en Am~rique du Nord, la
conclusion de trait6s entre l’Etat occidental et les peuples autochtones a symbolis6 et
concrdtis6 le contact d’univers juridiques profond6ment dissemblables. S’inscrivant
dans une entreprise coloniale, le trait6, bien qu’il presuppose que le colonisateur ac-
cepte 1’ant&iorit6 et ‘effectivit6 de l’ordre juridique autochtone, n’est pas une authen-
tique rencontre de ‘autre>>. Instrument de lgitimation d’une appropriation graduelle
et pacifique du territoire, le trait6 s’av&a ds le d6but, pour la couronne britannique, un
moyen de rgler les rapports avec les autochtones de mani~re A asseoir, au moindre
cofit possible, son autorit6 politique et fonci&e’. Toutefois, dans l’optique des parties
autochtones, la conclusion d’un accord foncier marquait g~nralement la conscration
de leur statut de nation et de leur appartenance au territoire, et offrait d~s lors .

L’hritage de ces diff6rentes rationalitds politico-juridiques p~se encore sur la n6-
gociation d’ententes sur des revendications territoriales. La couronne persiste, pour des
la srcurit6 juridique dans l’acc~s h la terre et aux ressources, A voir dans le
motifs lies
trait6 un mode d’acquisition d’un titre clair sur les terres en cause. Elle exige donc, en
contrepartie des avantages d~coulant d’une entente, que les autochtones c~dent au
moins partiellement leurs droits fonciers3. Mais ces demiers rpudient, au nom de leur
statut historique de nation et de la pr6servation de leur sp~cificit6 identitaire, toute de-
ls invoquent 6galement des arguments
mande d’abandon de leurs droits ancestraux.
juridiques, notamment constitutionnels, pour rejeter 1’exigence gouvemementale
d’extinction consensuelle de leur titre.

Nous voulons, dans les pages qui suivent, rendre compte des perspectives juridi-
ques en presence, en faire une 6valuation critique, et tenter de dagager les voies possi-
bles d’un compromis quant aux enjeux lies au titre ancestral. Cette probl~matique a fait
l’objet de deux importantes 6tudes publi~es rcemment ; elles ont servi h la fois de ca-
talyseurs et de mati~re privil6gi6e notre analyse.

La premiere 6tude rrsulte des recherches de la Commission royale d’enqu~te sur
les peuples autochtones (<Y. Elle y dacrit les rgimes fonciers tradition-

‘Voir de manire gdndrale D. Jones, Licence for Empire: Colonialism by Treaty in Early America,
Chicago, Chicago University Press, 1982, et plus particulirement, les propos de M. lejuge Cory dans
R. c. Badger (3 avril 1996), 23603 au n 39 (C.S.C.) [ci-apr~s Badger].

2Canada, Affaires indiennes et du Nord Canada, Rapport du Groupe d’tude de la politique des re-
vendications globales : Traitifs en vigueur : ententes durables, Ottawa, Approvisionnements et servi-
ces Canada, 1985 h la p. 7.
3 Voir Canada, Affaires indiennes et du Nord Canada, La politique des revendications territoriales
globales, Ottawa, Approvisionnements et services Canada, 1986 a la p. 9.

‘ Voir Canada, Commission royale d’enqute sur les peuples autochtones, Conclure des traitis dans
un esprit de coexistence : une solution de rechange i l’extinction du titre ancestral, Ottawa, Appro-
visionnements et services Canada, 1994 [ci-apr~s Rapport de la Commission].

MCGILL LAW JOURNAL/REVUE DE DROITDE MCGILL

[Vol. 41

nels des autochtones, 1’6volution de la politique f6d6rale d’extinction du titre ancestral,
et procde A une 6valuation de sa conformit6 aux normes juridiques en vigueur. Enfin,
la Commission met de 1’avant une solution de rechange qui, selon elle, devrait permet-
tre de r6concilier les preoccupations pratiques de la couronne et les aspirations identi-
taires des autochtones. La seconde 6tude a 6t6 pr6par6e par M. le juge A.C. Hamilton,
nomm6 par le ministre des Affaires indiennes et du Nord Canada, dans le cadre d’une
enqu~te sur la question de l’abandon des droits ancestraux dans les ententes de reven-
dications territoriales globales. Bien que son rapport soit de facture diff~rente,
1’enqu~teur f6d6ral aborde pour 1’essentiel les memes questions que la Commission et
propose aussi une nouvelle politique eu 6gard au titre ancestral.

Notre propre d6marche, suscit6e et aliment~e par ces documents, nous am~nera
dans un premier temps A r6futer I’argument voulant qu’il soit ill6gal, voire meme in-
constitutionnel, de la part du gouvemement de demander la cession du titre ancestral.
Cette question pr6alable de la lic6it6 ayant 6t6 r6gl6e, nous expliquerons dans une
deuxi~me partie l’incidence que devrait avoir, aux plans politique et juridique,
l’objection identitaire A l’abandon des droits ancestraux. Nous nous attarderons enfin,
dans la troisi~me et demire partie de notre texte, A 6valuer dans quelle mesure les so-
lutions de rechange formul6es ce jour sont porteuses d’une v6ritable conciliation de
la s6curit6juridique et de l’identit6 autochtone.

I. Une refutation de I’argument d’illicit6 de I’extinction consensuelle

Que l’on consid~re le r6gime g6nral de common law, la Proclamation royale de
1763’ ou le droit constitutionnel, rien ne semble faire obstacle A une politique consis-
tant obtenir 1’extinction des droits ancestraux comme la contrepartie oblig6e d’une
entente sur une revendication territoriale globale. Les r~gles du droit positif que nous
allons analyser paraissent suffisamment cristallis6es
cet 6gard pour rendre probl6ma-
tique tout recentrage>> fondamental du corpus juridique en fonction d’une interpr6ta-
tion sp6cifiquement autochtone du droit applicable, laquelle interpr6tation tend 4 privi-
l6gier l’intangibilit6 des droits ancestraux7. Cela ne signifie 6videmment pas, comme
nous le verrons, que dans un contexte politique de n6gociation de trait6s contemporains
la partie gouvemementale ne soit pas tenue de respecter la perspective identitaire au-
tochtone.

Voir Ministre des Travaux publics et Services gouvemementaux Canada, Le Canada et les peu-
ples autochtones: un nouveau partenariat par A.C. Hamilton, Ottawa, 1995 [ci-aprbs Rapport Hamil-
ton].
6 L.R.C. 1985, app. II, n 1 [ci-apr~s Proclamation de 1763].
‘Pour une lecture autochtone de ]a Proclamation de 1763, voir I. Borrows, (1994) 28 U.B.C. L.
Rev. 1.

1996]

G. OTIS & A. EMOND – L’IDENTITE AUTOCHTONE

A. La conformitd de la cession du titre ancestral & la Proclamation de 1763

Les relations entre les autochtones et le gouvemement du Canada ont 6t6 d6finies,
4 l’origine, dans les derniers mois de la conqu~te de la Nouvelle-France par la Grande-
Bretagne, lorsque 1’6tat-major britannique, au nom du souverain, a promis aux Indiens
amis de la France de prot6ger leurs droits sur leurs territoires s’ils abandonnaient leur
allid6. Cette promesse 6tait valable peu importe la source du titre des autochtones, qu’il
s’agisse d’une terre tribale traditionnelle ou d’une r6serve conc6d6e par 1’ancien souve-
rain frangais. Par la suite, le roi Georges III a entdrin6 la d6marche de ses g6ndraux en
6dictant la Proclamation de 1763′. La partie de cet instrument traitant des autochtones
s’ouvre par une disposition liminaire exprimant la r6solution royale

[d’]assurer aux nations ou tribus sauvages qui sont en relation avec Nous et qui
vivent sous Notre protection la possession enti~re et paisible des parties de Nos
possessions et teritoires qui ont 6td ni conc&6des ni achet6es et ont 6t6 r~ser-
vdes pour ces tribus ou quelques-unes d’entre elles comme territoires de
chasse”.

Le roi, par-delM ces assurances, a en meme temps consacr6 la l6gitimit6 et la validi-
t6 de toutes les cessions et extinctions op6r6es ant6drieurement par les autochtones puis-
que les seules terres prot6g6es sont celles >”. I1 y a donc eu simultan6ment promesse de protection

‘ Ce message du g6n6ral Amherst A l’intention des autochtones, r&lig6 le 27 avril 1760, rsume la

politique des militaires :

As I have nothing more at Heart than the good and welfare of the Community, I do as-
sure all the Indian Nations, That his Majesty has not sent me to deprive any of you of
your Lands and Property; on the contrary, so long as you adhere to his Interest, and by
your behaviour give proofs of the Sincerity of your attachment to his Royal Person and
cause, I will defend and maintain you in your just rights, and give you all the aid and
assistance you may stand in need of, to repress the Dangers you may be liable to from
the Enemy, thro’ your attachment to us (<,
Pennsylvania Archives, S6ries 1, 448-49 dans R Jennings, dir., Iroquois Indians: A
Documentary History of the Diplomacy of the Six Nations and Their League, 1761,
Woodbridge (Conn.), Research Publication, 1985).

‘Le d6bat a toujours cours quant

la port6e de la Proclamation de 1763

l’int~rieur du territoire de
la colonie de Qu6bec. Certains soutiennent que le d~cret royal ne s’y appliquait pas, ou encore qu’il
ne visait que les terres des rserves, alors que d’autres d6fendent la those voulant que la Proclamation
de 1763 ait 6galement prot~g6 les ten-es tribales traditionnelles non encore c&16es par les autochtones
(voir : Adams c. R., [1993] RJ.Q. 1011 (C.A.) [ci-api~s Adams], autorisation de pourvoi a la Cour su-
prme du Canada accord6e (9 d6cembre 1993), 23615 (C.S.C.) ; C~ti c. R., [1993] R.J.Q. 1350
(C.A.) [ci-aprbs C6te, autorisation de pourvoi a la Cour suprme du Canada accord~e (3 mars 1994),
23707 (C.S.C.) ; J. Beaulieu, C. Cantin et M. Ratelle, <> (1989) 49 R. du B. 317 ; P. Dionne, <4.es postulats de Ta Commision Dorion et le titre abo- rigine au Qu6bec vingt ans aprbs>> (1991) 51 R. du B. 127 ; R. Boivin, (1994) 25 R.G.D. 131 ; A. tmond, <> de la Pro-
clamation de 1763 pour mettre en doute la lic6it6 de toute exigence gouvemementale
d’extinction totale des droits ancestraux dans un trait6. On minimise l’6ventualit6 d’une
cession et on met plut6t en relief la flnalit6 protectrice de la Proclamation de 1763 en
insistant sur le fait que le d6cret imp6rial ne mentionne nulle part express6ment la pos-
sibilit6 de “, et >”. En cons6quence, la Commission
conclut qu’il convient d’interpr6ter la Proclamation de 1763 comme un engagement,
non pas de protdger les autochtones contre toute spoliation unilat6rale ou confiscation
injustifi6e par la couronne ou ses sujets, mais bien d’assurer l’intangibilit6 permanente
des droits ancestraux, allant meme jusqu’A s’opposer A une demande consensuelle
d’extinction complete. Traitant de 1’extinction g6nrale des droits, la Commission crit
qu’on <>”.

Si on ne peut pr6tendre que la Proclamation de 1763 commande 1’extinction totale
du titre ancestral, il ne s’ensuit pas pour autant qu’elle 1’exclut ou la rende d’une quel-
conque fagon probl6matique an plan juridique. En fait, la l6gislation royale permet en
termes clairs I’ < des terres A l’intdrieur des colonies, ce qui implique qu’il puisse
y avoir abandon des droits des autochtones sur ces terres. On ouvre donc la voie aux
cessions futures sur une base consensuelle par la mise en place d’une proc6dure dont
l’effet est de l6gitimer cette piece maitresse du projet d’implantation britannique sur le
territoire canadien. L’objectif de la guerre contre la France, est-il besoin de le rappeler,

2Le passage pertinent de la Proclamation de 1763 se lit comme suit:

[1]l est strictement d6fendu A qui que ce soit d’acheter aux sauvages des terres qui leur
sont rserv6es dans les parties de Nos colonies, ob Nous avons cru a propos de permet-
tre des 6tablissements ; cependant si quelques-uns des sauvages, un jour ou l’autre, de-
venaient encins A se d6partir desdites terres, elles ne pourront etre achet~es que pour
Nous, en Notre nom, a une runion publique ou A une assembl6e des sauvages qui de-
vra atre convoqu~e I cette fin par le gouvemeur ou le commandant en chef de la colo-
nie, dans laquelle elles se trouvent situ6es […] (ibid. A lap. 6).

‘3 Voir Ontario (PG.) c. Bear Island Foundation, [1991] 2 R.C.S. 570, 83 D.L.R. (4) 381 [ci-apr~s
Bear Island avec renvois aux R.C.S.], confirmant pour d’autres motifs (1989), 68 O.R. (2) 394 a lap.
410,58 D.L.R. (4’) 117 (C.A.).

“Rapport de la Commission, supra note 4 A lap. 53.
ibid. a la p. 54.
‘6 1bid. a la p. 53. La Proclamation de 1763 envisagerait par contre > (ibid. A la p. 55), A l’occasion de ]a conclusion de trait~s, de sorte qu’une clause
d’extinction partielle ne serait apparemment pas intrins~quement illicite.

1996]

G. OTis & A. EMOND – L’IDENTITt AUTOCHTONE

avait 6t6 >
et non de >.
L’ceuvre protectrice de la Proclamation de 1763, dans son essence, fiat de consacrer
dans un texte d’ordre constitutionnel le principe du consensualisme comme fondement
de la politique imp6riale en matire d’acc s aux terres ancestrales des autochtones.

Quoique la Proclamation de 1763 n’en fasse pas mention express6ment, le prin-
cipe d’une cession des terres par consentement mutuel pr6valait aussi dans le territoire
indien bordant la frontihre des colonies. Au-delM du libell6 mgme de la Proclamation
de 1763 qui pr6cise que ces terres sont r6serv6es <>’8, on peut citer plu-
sieurs ministres et g6n6raux parmi les plus influents, tels Shelburne, Halifax, Amherst
et Gage qui ont exprim6 le d6sir de voir se poursuivre 1’expansion coloniale vers
l’intdrieur du continent ‘ . Shelburne a d’ailleurs transmis pour 6tude
ses collkgues du
Board of Trade des propositions encourageant la cr6ation de nouvelles colonies au
Mississipi, en Ohio et D6troit, soit jusqu’au coeur du pays indien0 . Or, ces proposi-
tions ne visaient rien de moins que la prise de possession et le peuplement de tout le
territoir&’. Quoique le projet ait 6t6 6cart6 de l’agenda politique imm6diat, pour des
motifs purement commerciaux”, il demeura dans les cartons du gouvemement, histoire
de pr6server l’avenir. Voil pourquoi, peu apr~s la signature des trait6s d6partageant les

17 R. c. Sioui, [1990] 1 R.C.S. 1025 a la p. 1071, 70 D.L.R. (4) 427, M. le juge Lamer [ci-apr~s

Sioui avec renvois aux R.C.S.].

,s Proclamation de 1763, supra note 6

la p. 5. Le caractre temporaire des mesures contenues
dans la Proclamation de 1763 ressort des documents contemporains. Ainsi, dans un rapport rdig6 en
1763, le secrdtaire permanent du Board of Trade, John Pownall, avait suggdr6 que les colonies ne
puissent dtendre leurs fronti~res et ainsi empiter sur le territoire indien, for the present at least>>,
continua l’auteur (Mr. Pownall’s Sketch of a Report Concerning the Cessions in Africa and America
at the Peace of 1763
reproduit dans R.A. Humphreys, Lord Shelburne and the Proclamation of
1763
(1934) 49 Eng. Hist. Rev. 241 h lap. 259). Quelques annes plus tard, les lords du commerce
ont qualifi6 les dispositions de la Proclamation de 1763 de (mere provisional arrangements adapted
to the exigence of the time (, 7
mars 1768 dans E.B. O’Callaghan et al., dir., Documents Relating to the Colonial History of the State
of New York, vol. 8, Albany (N.Y.), Weed Parsons, 1853-87 A la p. 21 [ci-aprs State of Indian Af-
fairs>]). Lire dgalement A ce sujet : Humphreys, ibid. h lap. 249 ; M. Farrand, , dans O’Callaghan et al., dir., ibid. aux pp. 982-83.
21 Celles-ci, commenteront que les lords du commerce, are meant to support the utility of Coloniz-
ing in the interior Country, as a general principle of Policy; and that in fact they have nothing less in
(State of Indian Affairs>> dans
view than the entire possession and peopling of all that Country […]>>
O’Callaghan et aL, dir., ibid. t lap. 27). Voir 6galement > dans O’Callaghan et aL,
dir., ibid, A lap. 983.

=Voir State of Indian Affairs>> dans O’Callaghan et aL, dir., ibid. aux pp. 27-31.

MCGILL LAW JOURNAL/REVUE DEDROITDEMCGLL

[Vol. 41

colonies et le territoire indien, le Board of Trade a pris soin de prciser qu’une nouvelle
n6gociation de la fronti~re 6tait toujours possible, en supposant, bien sflr, que les au-
tochtones se montrent d’accordP.

La Proclamation de 1763 devait 8tre un remde aux abus et fraudes dans les achats
de terre et les relations commerciales avec les autochtones”. Pour y parvenir, le roi
prescrivit 1′ adoption d’une r6glementation sur le commerce et plaga les terres indiennes
sous la protection des fonctionnaires de son gouvememente. II n’a jamais 6t6 question
d’empecher les autochtones de cdder partiellement ou compl~tement leurs droits sur
leurs terres ancestrales, ni meme de favoriser leur rdtention, car la ligne de conduite
officielle, depuis pros d’un sibcle, consistait plut6t acqu6rir des autochtones le plus de
terres possibl&’. En revanche, la couronne voulait dor6navant s’imposer comme la
seule A pouvoir n6gocier l’achat des terres indiennes ‘ . Son objectif, et l’unique mesure
de son engagement, devait 8tre d’emp~cher les transactions dolosives”, les autochtones
demeurant pour le reste des acteurs autonomes en ce qui conceme la cession de leurs
terres”. Le consensualisme, quoique r6glement6, continuait donc d’Etre la r~gle0.

Qu’il s’agisse lA du droit positif applicable au regard de la Proclamation de 1763
se trouve confirm6 par une jurisprudence importante de la Cour supreme du Canada.
Ainsi, dans l’affaire Bear Island’, la plus haute juridiction a donn6 pleinement effet h
un trait6 extinctif du titre ancestral sur un territoire vis6 par la Proclamation de 1763 en

23 < Mhe agreement for a boundary line [should] be left open to such alterations as, by the Common consent, and for the mutual Interest of both parties may hereafter be found necessary & expedient>
(ibid. A lap. 23).
24 Selon l’opinion du Board of Trade, ibid. lap. 21.
2>Voir Proclamation royale de 1763, supra note 6 aux pp. 6-7.
2 6Comme en t~moigne cette directive adressde aux gouvemeurs de New York, entre 1690 et 1755:
(Relations with the Iroquois (II> dans L.W Labaree, Royal
Instructions to British Colonial Governors, 1670-1776, vol. 2, New York, Octagon Books, 1967,
465).Voir aussi > (Canadien Pacifique Ltie c. Paul, [1988] 2 R.C.S. 654 A lap. 677, 53 D.L.R. (4′) 487).
Voir aussi Guerin c. R., [1984] 2 R.C.S. 335 A lap. 383, 13 D.L.R. (4′) 321, M. le juge Dickson [ci-
aprbs Guerin avec renvois aux R.C.S.] ; Bande indienne de la rivitre Blueberry c. Canada (Ministtre
des Affaires indiennes et du Nord Canada), [1995] 4 R.C.S. 344 aux pp. 370-71, Mine le juge McLa-
chlin [ci-apr s Bande indienne de la rivire Blueberry].

29 Voir Bande indienne de la riJre Blueberry, ibid. aux pp. 358-59, M. le juge Gonthier, aux pp.

370-71, Mine le juge McLachlin.

3 La couronne ne peut porter atteinte au titre ancestral, oA moins 6videmment que les Indiens y
consentent> (voir Guerin, supra note 28 A ]a p. 349, Mine le juge Wilson, dissidente pour d’autres
motifs).

3′ Voir supra note 13.

19961

G. OTIS & A. EMOND – L’IDENTITE AUTOCHTONE

rejetant la revendication foncihre d’une communaut6 qui, selon la Cour, avait tacite-
ment adh6r6 aux termes du trait63 . De meme, dans Howard c. R.3″, apr~s avoir constat6
que les dispositions du trait6 avaient 6t6 bien comprises par les signataires autochtones,
la Cour a confirm6 1’effectivit6 d’une clause g6n6rale d’extinction des droits ances-
trauxe. On ne saurait donc s’autoriser de la <> de la Proclamation de
1763 effectu~e par la Commission pour remettre en cause la l~galit6 des cessions de
droits fonciers op6res par voie de trait6 depuis la Proclamation de 1763.

Un comit6 du conseil exrcutif de la Province du Canada concluait d6jh en 1836
que la couronne, en adoptant la Proclamation de 1763, avait assum6 le fardeau
d’administrer les terres indiennes pour le brn6fice de ses occupants 5. Le gouvernement
du pays a longtemps cm qu’il ne s’agissait que d’une responsabilit6 politique. La Cour
supreme du Canada s’est chargde de le d~tromper lorsque, rendant sa d6cision dans
Guerin’, elle a jug6 que la Proclamation de 1763 constituait 6galement le fondement
d’une responsabilit6 lggale de type fiduciair&7.

B. La validiti de l’extinction du titre au regard des obligations defiduciaire de

la couronne

La Commission’, ainsi que M. le juge Hamilton9 , soutiennent que les obligations
de fiduciaire de la couronne envers les autochtones sont un motif distinct permettant de
rejeter la politique gouvemementale d’extinction du titre ancestral. I1 est pourtant loin
d’8tre certain qu’il s’agisse M~ d’une objection juridique valable. R~gle g6n6rale, des
obligations de fiduciaire existent quand une personne promet d’agir au profit d’une

“Voir ibid. lap. 575.
3′ [1994] 1 R.C.S. 299,90 C.C.C. (3) 131.

Voir ibid. aux pp. 306-307.

35Voir > dans British North American Provinces, Copies or Extracts of Cor-
respondence Since 1st April 1835, Between the Secretary of State for the Colonies and the Governors
of the British North American Provinces Respecting the Indians in those Provinces, r~impression, To-
ronto, Canadiana House, 1973, 27.

6 Voir supra note 28.
37 C’est dans la Proclamation royale de 1763 que Sa Majest6 a pour la premiere fois endoss6 cette
responsabilit6 […]>> (Guerin, ibid.
la p. 376, M. le juge Dickson). Le lien entre la Proclamation de
1763 et l’obligation de la couronne ressort 6galement de l’ar&t Mitchell c. Bande indienne Peguis,
[1990] 2 R.C.S. 85 aux pp. 129-31,71 D.L.R. (4′) 193, M. lejuge La Forest. Comme la Proclamation
de 1763 est une codification de la common law du titre ancestral, on a indiff&emment mentionn6 ce
titre comme la source de l’obligation (voir : R. c. Sparrow, [1990] 1 R.C.S. 1075 t la p. 1108, 70
D.L.R. (4′) 385, M. le juge en chef Dickson [eci-apr~s Sparrow avec renvois aux R.C.S.] ; Roberts c.
R., [1989] 1 R.C.S. 322 A lap. 337,57 D.L.R. (4′) 197, Mme lejuge Wilson).

38Voir Rapport de la Commission, supra note 4 A lap. 51.
39Voir Rapport Hamilton, supra note 5 h lap. 76.

MCGILL LAW JOURAL/REVUE DE DROITDE MCGILL

[Vol. 41

autre et que son engagement est assorti d’un pouvoir discrdtionnaire”. Le fiduciaire
peut alors unilatdralement faire usage de ce pouvoir de manire avoir un effet sur les
intr&s du bdndficiaire de l’obligation, qui se trouve pour cette raison dans une posi-
tion vuln6rable. II faut cons6quemment etre en mesure de contr6ler les actes du fidu-
ciaire pour s’assurer qu’il respecte sa promesse, et c’est prcisdment le r6le que remplit
l’equity en permettant aux tribunaux de lui imposer des normes strictes de conduite qui
se traduisent, dans une situation donnde, par une obligation de fiduciaire”. Les obliga-
tions de fiduciaire n’ont par consdquent aucun effet juridique inddpendant de
l’engagement dont elles ddcoulent. Elles ne sont en ralit6 qu’une technique juridique
visant mettre en ceuvre et
rendre opdrationnel cet engagement, qui est ici la pro-
messe de la couronne, dont fait 6tat la Proclamation de 1763, de prot6ger les droits des
autochtones.

Chaque relation fiduciaire est particulibre. Par exemple, bien que le droit exige de
l’un et l’autre qu’ils fassent preuve de loyaut6 envers leur prot6gd, la situation du md-
l’6gard de son patient ne se compare pas A celle du parent vis-A-vis de son
decin
jeune enfant, ce demier 6tant habituellement beaucoup plus vulnerable que ne 1’est le
patient’. Les devoirs prdcis impos6s au fiduciaire ddpendent donc du contexte factuel
des rapports qui lui ont donn6 naissance ‘ . Dans le cas qui nous oceupe, il faut alors re-
venir aux engagements historiques pris par la couronne, notamment A la faveur de la
Proclamation de 1763, et A l’analyse que nous en avons d6jA faite. Or, cette analyse r6-
v~le que la couronne n’a jamais garanti la pdrennit6 des droits ancestraux comme mo-
dalit6 d’ententes visant le r6glement de revendications territoriales. II n’y aura man-
quement A ses obligations de fiduciaire que si l’extinction du titre n’est compensde, aux
termes du traitd, par aucune contrepartie dquitable en faveur des autochtones”.

Les obligations de fiduciaire, comme d’ailleurs la promesse de protection contenue
dans la Proclamation de 1763, s’appliquent avant, pendant et aprbs la cession du titre
ancestral’. Les devoirs imposes au fiduciaire sont toutefois > (Quebec (PG.) c. Canada (Office natio-
nal de l’inergie), [1994] 1 R.C.S. 159

lap. 183, 112 D.L.R. (4′) 129).

Voir supra notes 28-29 et texte correspondant.

‘5 Voir Rapport de la Commission, supra note 4 t lap. 62.

19961

G. OTIS & A. EMOND – L’IDENTIT- AUTOCHTONE

de la situation>>”. Suite une cession, le gouvemement doit jouer un r6le semblable
l’administrateur d’une fiducie, d’un trust, en gdrant les terres indiennes conform6ment
aux repr6sentations faites aux autochtones, lors de la cession, pour les convaincre de se
d6partir de leur bien. Avant la cession, le devoir du gouvemement est plut6t d’agir
comme un conseiller, en faisant comprendre aux autochtones les consdquences de la
cession pour qu’ils donnent, le cas 6ch6ant, un consentement 6clair6″. Seul l’intdr& des
autochtones doit le guider, avant comme apr~s la cession.

I1 en va autrement lorsqu’il n6gocie avec eux un accord portant sur une revendica-
tion teritoriale globale. Parce que le gouvemement parle alors au nom de toute la po-
pulation, il n’a pas et ne peut pas n’avoir que l’intdr& [des autochtones] en vue >”‘ .
Dans le contexte d’une revendication globale, l’incertitude entourant ‘existence et la
port6e des droits ancestraux p~sera lourd dans l’appr6ciation de 1’arbitrage que devra
faire la couronne entre les int6rats des autochtones et ceux de la population canadienne
en gdn6ral.

La couronne s’est engag6e prot6ger les terres des autochtones sans poser d’autre

condition que l’acceptation de sa souverainet6, mais elle n’ajamais promis d’acc6der
toutes leurs demandes sans que les autochtones aient d’abord prouv6 leur droit. Ds les
mois qui ont suivi la conquete de la Nouvelle-France, les autorit6s de la colonie ont ef-
fectivement 6t6 submerg6es de r6clamations d’autochtones souhaitant qu’on recon-
naisse leur titre7′ ; pourtant ces demiers furent souvent 6conduits”2. Le gouvernement de

“M.(K.), supra note 42 t lap. 66. Voir 6galement Mclnerney, supra note 42 A lap. 149.
7 Voir Guerin, supra note 28 aux pp. 387-89, M. lejuge Dickson.
4
41 Voir Apsassin c. R., [1993] 3 C.F. 28 aux pp. 113-14, 100 D.L.R. (4′) 504 (C.A.), M. le juge
Stone, aux pp. 78-79, M. lejuge Marceau, aux pp. 56-60,74 (infine), M. lejuge Isaac (dissident pour
d’autres motifs). En appel de cette decision, la Cour supreme du Canada a fait du consentement 6clai-
r6 des autochtones une condition de la validit6 de la cession, mais sans 6voquer explicitement
l’existence d’une obligation de la couronne d’informer les autochtones de ses cons6quences (voir
Bande indienne de la rivibre Blueberry, supra note 28 aux pp. 357, 362-63, M. le juge Gonthier, aux
pp. 372-73, Mme le juge McLachlin).

41 Bande d’Eastmain c. Quibec (PG.), [1993] 1 C.F. 501 A lap. 517,99 D.L.R. (4’) 16 (C.A.), M. le
juge D6cary, autorisation de pourvoi a ]a Cour supreme du Canada refus~e (14 octobre 1993) (C.S.C.)
[non publi~e], M. le juge Dcary continua: <[La couronne] doit chercher un compromis entre cet in- tdret [des autochtones] et celui de la collectivit6 qu'elle reprdsente aussi et dont font partie les Autoch- tones, relativement aux territoires en question> (ibiL). Voir aussi Kruger c. R. (1985), [1986] 1 C.F. 3
aux pp. 53-54, 17 D.L.R. (4′) 591 (C.A.), M. lejuge Urie.

Voir la partie Il.A, ci-dessous.

” Voir Lettre du g6n6ral Gage au surintendant William Johnson, 7 avril 1766, dans C.W. Alvord et
C.E. Carter, dir., The New Regime, 1765-1767, vol. 11, Springfield (Ill.), Ill. St. Hist. L., 1916 A ]a p.
212 [ci-aprbs Lettre du g6n6ral Gage].

” Mentionnons, a titre d’exemples, les refus opposes aux Mohawks et aux Micmacs (voir : Lettre
du g6n6ral Gage, ibid. ; Letre du lieutenant-gouvemeur Cox au gouvemeur Haldimand, 16 aoat
1784, Archives nationales du Canada, Haldimand Papers, B-202 a la p. 186 ; Lettre de John Johnson
au g6ndral Haldimand, 11 mars 1784, dans E.A. Cmikshank, The Settlement of the United Empire
Loyalists on the Upper St. Lawrence and Bay of Quinte in 1784: A Documentary Record, Toronto,
Ontario Historical Society, 1934 aux pp. 58-59).

MCGILL LAW JOURNAL/REVUE DE DROITDE McGILL

[Vol. 41

la colonie aurait d’ailleurs manqu6 A son devoir d’ttat s’il s’6tait content6 d’estampiller
sans examen les demandes qui lui 6taient adress6es. Deux si~cles ont pass6, mais la
probl6matique est demeur6e essentiellement la meme pour son successeur,
‘actuel
gouvernement du Canada, lorsqu’il est confront6 A une revendication territoriale glo-
bale d’une communaut6 autochtone.

La difficult6, du point de vue des autochtones, est que la preuve judiciaire d’une
revendication territoriale globale est une proc~dure tr~s longue, cofiteuse, et dont les r6-
sultats sont pour le moins incertains. La possibilit6 de conclure des trait6s devient donc
pour eux une solution de rechange valable. Toutefois, cette derni~re solution n’est pas
pleinement satisfaisante du point de vue du gouvemement, puisqu’il ne salt toujours
pas quels sont exactement les droits ancestraux des communaut6s concem6es. Si les
autorit6s consentent tout de meme A n6gocier une entente, elles risquent de causer un
pr6judice au reste de la population en reconnaissant des droits inexistants en common
law, lesquels seraient par consequent sans aucun lien avec l’obligation de fiduciaire
due aux autochtones.

Un compromis conciliant les r6les de la couronne comme gardienne de l’int6rat
g6n6ral et comme fiduciaire des autochtones demeure cependant possible. Le gouver-
nement, au nom de l’intdr& public, pourra demander aux autochtones de faire certaines
concessions en contrepartie du risque qu’il prend et i justifiera ces concessions, en tant
que fiduciaire des autochtones, par les avantages qu’en retirent ses prot6g6s. Outre les
6conomies de temps et d’argent, le trait6 permet en effet aux autochtones d’obtenir la
reconnaissance de droits clairs, incontestables et essentiels au d6veloppement politique,
6conomique et culturel de leurs communaut6s. Hl est certes difficile d’6valuer si les
termes de l’6change sont &quitables, en raison justement de l’incertitude juridique. On
ne peut, cependant, pr6tendre que la couronne viole son obligation de fiduciaire sim-
plement parce qu’elle demande, comme une condition du trait6, que les autochtones
consentent h l’extinction de leur titre ancestral. II faut 6viter, en d’autres termes, de te-
nir pour acquis que toute exigence d’abandon des droits constitue une spoliation ind6-
pendarnment des avantages que la partie autochtone obtient aux termes d’un trait6.

Les memes arguments peuvent 8tre avanc6s A la d6fense du gouvemement lorsque,
pour s’attaquer h la l6galit6 de sa politique d’extinction du titre ancestral, on invoque
cette fois le statut constitutionnel des droits ancestraux ‘ .

Uadoption du paragraphe 35(1) de la Loi constitutionnelle de 1982’ a marqu6 une
autre 6tape dans la mise en oeuvre des engagements historiques de la couronne. D6-
sormais, le gouvemement, tant au niveau l6gislatif qu’ex6cutif, ne peut plus se d6rober

53Voir Rapport de la Commission, supra note 4 aux pp. 55-61.

Constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), 1982, c. 11, art. 35(1) : > aux droits prot6g6s par 1’article 35 qu’il incombe au gou-
vemement de justifier selon le test d6gag6 dans SparroW’.

En somme, rien dans le droit positif ne s’oppose une politique d’extinction par
trait6. Mais la conjoncture politique dans laquelle s’ins~re actueUement le processus de
faire fi des objections identitai-
revendication n’autorise nullement le gouvemement
res formul6es par les peuples autochtones.

II. La revendication identitaire et les limites d’une objection 16gitime A la politi-

que d’extinction

A. La pdrennitd des droits ancestraux comme fondement d’une stratdgie au-

tochtone de rdsistance identitaire

La Commission et M. le juge Hamilton reprennent h leur compte le point de vue
des 61ites autochtones voulant qu’une finalit6 importante des trait6s soit d’assurer la p6-
rennit6 des particularismes culturels inh6rents aux rdgimes fonciers autochtones et que,
ds lors, 1’extinction par abandon des droits ancestraux soit radicalement incompatible
avec cet objectif. Apr~s avoir assign6 aux trait6s contemporains le r6le fondamental

” Voir Sparrow, supra note 37 a lap. 1106, ofi M. lejuge en chef Dickson a cit6 en l’approuvant ce
passage d’un essai du professeur Lyon : <[L'article 35] 6carte les anciennes r~gles du jeu en vertu desquelles Sa Majest6 6tablissait des cours de justice auxquelles elle refusait le pouvoir de mettre en doute Ses revendications souveraines>>.
>’ Ibid.
5, Voir ibid. t lap. 1109, M. lejuge en chef Dickson.
51 Voir R. c. Vincent (1993), 12 O.R (3′) 397, 80 C.C.C. (3) 256 (C.A.), autorisation de pourvoi t ]a
Cour suprme du Canada refus~e (14 octobre 1993), 23485 (C.S.C.) ; R. c. McIntyre, [1992] 4
W.W.R. 765, [1992] 3 C.N.L.R. 113 (Sask. C.A.), autorisation de pourvoi A Ia Cour supreme du Ca-
nada refus~e (7 avril 1992) (C.S.C.) [non publiCe].
59Voir Rapport de la Commission, supra note 4 aux pp. 56-59.

MCGILL LAW JOURNAL/REVUE DE DROITDE MCGILL

[Vol. 41

d’assurer la coexistence de conceptions divergentes quant aux rapports entre les hu-
mains et la terre>>, la Commission exprimne ainsi l’essence de l’objection identitaire:

[Lie plus grand d6faut de l’actuelle politique f&16rale d’extinction est qu’elle
vise l’extinction de droits intimement lis A l’identit6 autochtone. Elle se trouve
ainsi A provoquer une rupture radicale entre, d’une part, les rapports historiques
des autochtones avec ]a terre et, d’autre part, les droits contemporains reconnus
par traitW’.

Dans cette optique, les droits ancestraux 6tant consubstantiels t l’identit6 autoch-
tone, l’inscription juridique de l’autochtonie passe par une reconnaissance de droits
fonciers puisant leurs racines dans le rapport multis6culaire de la communaut6 autoch-
tone i la terre et aux ressources. L’abandon de ce lien, meme op6r6 A la faveur d’un
processus se voulant consensuel, devient ds lors un reniement de soi, une rupture et
une d6possession identitaires aux cons6quences culturelles irrdparablesp2. Selon cette
logique, la n6gociation d’un trait autochtone modeme devient le lieu de revendication
d’un vdritable droit A l’identit6 ayant une valeur constitutionnelle.

La territorialisation de l’identit6 aborigbne reprdsente sans conteste un th~me cen-
tral de l’analyse juridique contemporaine ‘ de l’autochtonie”. On a notamment parl6

6 Ibid. A la p. 7.
6, Ibid. A la p. 69. La Commission assimile 1’exigence de 1’extinction A un orefus de permettre
‘expression, en droit canadien, de certains aspects de l’identit6 autochtone>> (ibid. A lap. 53). Quant h
M. le juge Hamilton, il se contente de reprendre dans son rapport les representations des autochtones
bt cet effet (voir Rapport Hamilton, supra note 5 A la p. 39).

2 La Commission cite par exemple le propos d’une leader autochtone pour qui I’abandon des droits
ancestraux revient A <>
(Rapport de la Commission, ibid. A lap. 51). Voir au m~me effet le do-
cument de rdf6rence sur la Constitution de l’Assemblhe des Premieres Nations, Assembly of First Na-
tions Commissioner’s Report, First Nations Circle on the Constitution: To the Source, Ottawa, 1992
aux pp. 8-9, 42-43 [ci-apr~s First Nations Circle].

‘ Elle est 6galement importante dans la philosophie du droit. Le professeur B. Melkevik crit A ce

sujet :

The conception of rights in North American Native legal culture should be linked to
the concept of “community authenticity”. North American Native peoples drew their
authenticity from the land and resources around them, they portrayed themselves as
people who belonged and had communion with both nature and living creatures, hence
their identification with the forest, the plains, the mountains, and the buffalo as well (B.
Melkevik, ) dans C.B. Gray, dir., The Philosophy of Law:
An Encyclopedia, New York, Garland, 1996 [A paraltre]).

“Ainsi, Jos6 R. Martfnez Cobo, auteur d’une importante 6tude des Nations unies sur ]a question de

]a discrimination A l’encontre des populations autochtones, dcrit:

Si l’on cherche les raisons qui ont donn6 naissance A la notion de population autoch-
tone, il convient de dire que la place particulire des populations autochtones au sein de
la soci6t6 des nations-ttats qui existe aujourd’hui, procde des droits historiques
qu’elles ont sur leurs terres et de leur droit i 8tre diffdrentes et A 8tre consid~rdes
comme telles (!tude du problime de la discrimination a l’encontre des populations

1996]

G. OTIS & A. EMOND – L’IDENTIT AUTOCHTONE

des autochtones >” et affirm6 que “. C’est d’ailleurs ce qui explique largement
pourquoi l’6mergence d’un v&itable droit relatif aux peuples autochtones est, aux
la modemit6 juridi-
plans national et international, inextricablement lie au d6fi lance6
que par les pouss es identitaires des collectivit6s non dominantes67.

La consistance du lien entre les regimes fonciers coutumiers et la sprcificit6 cultu-
relle des autochtones s’exprimerait par une spiritualit6 engendrant une 6thique de con-
servation comme principe de vie et done comme fondement du syst~me social et juri-
dique autochtone”. C’est le concept de la >, qui donne avec prodigalit6 le
gibier, le poisson, les fruits et les plantes m~dicinales, g~n&osit6 h laquelle
l’autochtone rrpondrait en c~l~brant et en protdgeant sa bienfaitrice dans une relation
de <>. Cet univers culturel et juridique serait > A lap. 13
[non publif]. De m~me, dans la foul~e de l’affaire Mabo c. Queensland, [1992] 66 A.L.J.R. 408, 107
A.L.R. 1 (H.C.) [ci-apris Mabo avec renvois aux A.LJ.R.], oh l’on a reconnu le titre ancestral des
aborigines d’Australie, un analyste affirmait : <>
(G. Agniel, > dans La terre, Actes du sixi~me Colloque
C.O.R.A.I.L., Noum a, Universit6 frangaise du Pacifique, 1994,69

“N. Rouland, <> (1994) 25 R.G.D. 5 A la

lap. 93).

p. 37.

6’Voir N. Rouland, Notes d’anthropologie juridique : l’inscription juridique des identitds>> (1994)

Rev. trim. dr. civ. 287 aux pp. 293-302 [ci-apr~s ].

La Commission dcrit que

les peuples autochtones ont tendance A concevoir leur rapport A la terre comme une
responsabilit6 collective totale les obligeant A la protdger, t la nourrir, t la chrrir, parce
qu’elle est source de vie. Pour les autochtones, les droits lies au territoire ancestral sont
des expressions particulires de cette responsabilit6 g~nrale et fondamentale envers la
terre (Rapport de la Commission, supra note 4 lap. 2).

Voir aussi First Nations Circle, supra note 62
“Rapport de la Commission, ibid. a lap. 14, oia la Commission cite l’auteur Richard Daily.
‘ oIbid. A lap. 10.

lap. 46.

McGILL LAW JOURNAL/REVUE DE DRO1T DE MCGILL

[Vol. 41

Les 6tudes historiques d6montrent, par exemple, que le mouvement graduel des
autochtones vers l’6conomie de march6, dont t6moigne d’ailleurs la Proclamation de
1763″, a op6r6 dans plusieurs cas une dislocation de leur rapport traditionnel avec la
nature6’. Ainsi, d6jh au temps oi s’affrontaient, en Am6rique du Nord, les vis6es imp6-
rialistes de la France et de la Grande-Bretagne, certains autochtones de 1’est du Canada
pratiquaient une chasse intensive, parfois jusqu’A l’6puisement de la ressource, afin de
satisfaire les besoins du march6 de la traite des fourrures”. ls cherchaient alors 4 com-
bler un app6tit croissant pour des biens de consommation europ6ens d6sormais int6gr6s
A leur mode de vie.

La Commission escamote cette question mais elle note, par ailleurs, le potentiel
6volutif des droits ancestraux : <7 . Elle semble toute-
fois enserrer assez clairement cette 6volution dans le prolongement direct des rapports
originels qui marquent le particularisme de la tradition juridique autochtone. II n’est
nullement question, dans I’analyse de la Commission, de remettre en cause la norma-
tivit6 contemporaine des regimes fonciers traditionnels. Mais i faut se demander pour-
quoi la reconnaissance de droits ancestraux devrait 8tre aujourd’hui si 6troitement tri-
butaire, au plan de sa justification, d’un module et de r6f~rents culturels objectifs. La
question n’apparait nullement banale lorsque l’on prend la mesure des risques
d’enfermement identitaire que comporte ]a saisie de l’identit6 par le droit.

B. Les risques d’une survalorisation des rigimesfonciers ancestraux

Le droit n’a pas pour vocation de d6finir l’identit6, d’en fixer les traits distinctifs ni
d’en encadrer les termes d’inclusion ou d’exclusion”. En effet, un v6dritable droit A
l’identit6 emporte un libre choix de construction et de reconstruction identitaires. Pour
6tre porteuse d’6mancipation et de dignit6, l’identit6 autochtone doit demeurer vivante,
perm6able A la pluralit6, et ce, dans un contexte juridique laissant libre cours aux flux et
reflux culturels, aux ruptures m~me, qui travaillent in6luctablement les valeurs, le
mode de vie, et les autres caract6istiques de I’autochtonie.

71 L’importance du commerce avec les autochtones 6tait telle que la Proclamation de 1763 d~clare
formellement que <[n]ous accordons t tous Nos sujets le privilege de commerce ouvert et libre [...] avec lesdits sauvages>> (supra note 6 A lap. 6).

Voir: D. Del~ge, Le pays renversi : Amrindiens et Europens en Amdrique du nordest, 1600-
1664, Montreal, Bor(al, 1991 aux pp. 164-65 ; C. G. Calloway, The American Revolution in Indian
Country: Crisis and Diversity in Native American Communities, Cambridge, Cambridge University
Press, 1995 aux pp. 12-13.

73Voir Delage, ibid. A lap. 164.
74 Rapport de la Commission, supra note 4 A lap. 56.
75< [L~a fonction du droit [...] n'est pas d'exprimer des valeurs mais d'en permettre l'expregsion: non de dire l'identit6 mais de rdgler les rapports entre les identit~s>> (F. Rousso-Lenoir, Minoritds et
droits de l’homme : l’Europe et son double, Bruxelles, Librairie g6n6rale de droit et de jurisprudence,
1994 4 lap. 73).

19961

G. OTIS & A. EMOND – L’IDENTITFAUTOCHTONE

En assignant au droit la mission de prot6ger un mode de vie particulier ‘ ayant n6-
cessairement pour pierre angulaire les r6gimes fonciers traditionnels, on favorise la
composition d’un discours juridique qui serait en quelque sorte prisonnier de cette re-
pr6sentation de la sp6cificit6 autochtone. Les communaut6s autochtones pourront etre
les premires A faire les frais d’une telle tendance
la ghetto’sation identitaire comme
le montre la jurisprudence.

Les cours d’appel, A ce jour, ont effectivement confin6 les droits fonciers ances-
la 5ph~re des activit6s traditionnelles de chasse, de peche et de cuellette A des
traux
fins de subsistance7. On a 6cart6 du r6gime de common law toute forme commerciale
ou industrielle d’exploitation des ressources, et ce, en invoquant la culture ancestrale
distinctive des autochtones. Dans ‘affaire Vanderpeee’, les juges se sont meme autori-
s6s en termes expr~s de l’6thique traditionnelle de conservation des ressources, celle-lh
meme que la Commission met en exergue, pour rejeter une revendication de droits de
peche commerciale. Selon la majorit6 de la Cour, la relation traditionnelle du peuple
Sto:lo avec la nature est peu compatible avec la commercialisation du poisson selon les
r~gles du march6 :

Fish had a religious significance. Fish were revered. They were used for food,
but played a significant role in ceremonial and social ways. Another important
tradition was conservation, which would have tended to inhibit fishing other
than to satisfy the needs I have described.

La Cour supr~me du Canada devrait bient6t pr6ciser l’impact du mode de vie an-
cestral sur le potentiel d’actualisation des droits reconnus aux autochtones . Cepen-
dant, force est de constater l’ascendant du point de vue postulant l’impossibilit6 de
concilier la sauvegarde ou la revitalisation des r6gimes fonciers traditionnels avec les
conditions actuelles du d6veloppement socio-6conomique. Cette tendance confiner la

“Ainsi, la Commission crit que . Par
ailleurs, dans l’affaire Sparrow, supra note 37 A Ia p. 1099, la Cour a reconnu que les moyens techni-
ques de pr61vement des ressources n’ont pas A correspondre aux conditions ancestrales
d’exploitation.

MCGILL LAW JOURNAL/REVUE DE DROITDE MCGILL

[Vol. 41

port6e juridique de l’autochtonie A la sphere 6troite des styles de vie ancestraux existe
d’ailleurs dans d’autres payss’.

Les tribunaux ont ainsi inscrit dans l’ordre juridique une conception archaYque,
immobiliste et fonci~rement st6r6otypde de l’identit6 autochtone. I s’agit d’une d6-
possession identitaire qui s’opre par l’enclavement des communaut6s dans un <, dans des modes de production 6conomiques marginaux par rapport h la so-
cidt6 industrielle modeme et, donc, dans des projets identitaires potentiellement d~bili-
tants.

Cette dogmatisation de la sp6cificit6 culturelle A partir d’une definition juridique
objective de celle-ci devient certes plus facile lorsque les 6lites autochtones et la
Commission ddploient elles-memes un discours identitaire survalorisant l’int6grit6 et le
r6le des r6gimes fonciers traditionnels. On peut alors difficilement parler d’un r6gime
porteur de libert6 et de dignit6 pour les communautds autochtones A qui on empfche de
se forger une identit6 originale, apte A r6aliser, par le ddpassement de toute crispation
nostalgique, un mdtissage des patrimoines culturels et A soutenir leur quete de d6velop-
pement socio-6conomique.

C. Le droit i l’auto-identification autochtone comme principe politique de co-

existence

On voit donc d’embl6e que le vdritable enjeu de la probl6matique de 1’extinction
du titre ancestral n’est pas vraiment la pr6servation d’un mode de vie objectivement
ddfini en fonction d’une grille identitaire particulire. L’enjeu rel est plut6t la recon-
naissance du pouvoir des communaut6s autochtones de construire sans entrave, et de
r6interpr6ter au besoin, leur identit6 en fonction de leurs aspirations propres. C’est bien
la libre mouvance des identit6s que les trait6s modemes devront consacrer et prot6ger.
A cet 6gard, on ne saurait m6connaitre la plasticit6 et la relativit6 fondamentales des
identitds. Comme l’6crit le professeur Rouland :

Une auteure donne les exemples du Brsil et de la SuMe:

Songeons au cas des Yanomani, auxquels certains veulent bien conceder le maintien de
leur territoire traditionnel A condition qu’ils y prdservent leur style de vie mill6naire (la
notion de , supra note 67 aux pp. 292-93.
4Ibid. A lap. 301.

$

MCGILL LAw JOURNAL/REVUE DE DROITDE MCGILL

[Vol. 41

la s~curit6 juridique 16gitimement recherch~e par la couronne ne passe pas in6lucta-
blement par le sacrifice de la libert6 identitaire autochtone. D’autres voies existent et il
convient de se pencher en d6tail sur celles-ci.

I. La conciliation possible de l’idenfit autochtone et de la sgcurit6 juridique

A. Lepoids de l’incertitudejuridique

La quete par les communaut6s autochtones d’une reconnaissance du titre ancestral
comme expression de leur identit: culturelle ne devrait pas faire oublier qu’il ne s’agit
rechercher la conclusion d’une entente. 1 leur importe aussi
pas lh de leur seul int6r&t
d’att~nuer l’ind~termination g6n&alis6e qui caract&ise le regime des droits ancestraux
sous
’empire de la common law et de ]a Constitution canadienne. Le trait6 doit donc
etre l’occasion de prdciser la position juridique des autochtones et de garantir l’exercice
des droits ainsi reconnus, tout en organisant pour ‘avenir les rapports avec la couronne
et les tiers A qui des droits ont 6t6 conc~d6s relativement aux terres vis6es par la reven-
dication. Sur ce point, les attentes des autochtones rejoignent celles des autres prota-
gonistes qui voient aussi dans la conclusion d’une entente un moyen privil6gi6 de r~ali-
ser la certitude juridique.

On comprend mieux l’importance concrete de cet enjeu lorsque l’on considre
l’ampleur des zones d’incertitude touchant tant le domaine que les conditions des re-
vendications foncires autochtones. Si les tribunaux ont 6tabli que les droits ancestraux
sont notanment des droits d’occupation et d’usage des terres traditionnelles des requ6-
rants”, ils n’ont pas encore tranch6 la question de savoir s’il s’agit de droits exclusifs6 .
Les juges n’ont pas davantage prcis6 les crit~res applicables quant Ai l’intensit6 de
l’occupation et de
‘usage que devaient faire les autochtones du territoire ant~rieure-
ment

la souverainet6 europ~enne.

De meme, on ne connait pas encore vraiment la nature du lien devant exister entre
la soci~t6 ancestrale et la communaut6 autochtone contemporaine revendiquant des
droits?. La situation n’est pas fix~e non plus quant au degr6 n~cessaire de continuit6
dans l’occupation de la terre et l’usage des ressources, ni quant au type de rapport que

Voir notamment les affaires : Calder c. Colombie-Britannique (PG.), [1973] R.C.S. 313, 34
‘ 6Les cours d’appel ont apparenment adopt6 des points de vue divergents sur cette question (voir

D.L.R. (3′) 145 [ci-apr~s Calder avec renvois aux R.C.S.] ; Guerin, supra note 28.

d’une part Adams, supra note 9 et, d’autre part, Delgamuukw, supra note 77).

7 La Cour supreme du Canada s’est A ce jour content~e d’inviter les tribunaux a faire preuve de

souplesse en cette mati~re (voir Bear Island, supra note 13 A lap. 575).

Ce problme a

t6 abord6, en partie, dans le contexte des droits issus de trait6s lors de l’affaire
Simon c. R., [1985] 2 R.C.S. 387 aux pp. 407-408, 24 D.L.R. (4′) 390, et ii reste a voir quelle sera
l’incidence de cette jurisprudence eu 6gard.aux droits ancestraux. Pour une analyse jurisprudentielle
de la question en Australie, voir Mabo, supra note 65.

1996]

G. OTIS & A. EMOND – L’IDENTIT, A UTOCHTONE

la communaut6 contemporaine doit entretenir avec la terre revendique 9 . Au surplus,
on s’interroge toujours sur le contenu exact d’un 6ventuel faisceau de droits inh~rents
au titre ancestral, notamment sur l’existence de droits politiques” et sur la possibilit6
d’une exploitation commerciale ou industrielle des ressources”. Le poids de
l’incertitude prsente par ailleurs une inflexion singuUre au Quebec 6tant donn6
l’incidence encore ind~finie du rgime frangais’ et le ddbat entourant la port6e territo-
riale de la Proclamation de 1763 dans les limites du Qudbec de cette 6poque”.

A l’imprdcision entourant les conditions d’existence de droits ancestraux s’ajoute
l’inddtermination des actes ou des situations qui, avant 1982, emportaient extinction de
ces droits?. Ainsi, on se demande jusqu’ quel point le domaine priv6, par opposition
au domaine de la couronne, se trouve expos6 au risque de revendications ; en d’autres
termes, quel est le degr6 d’intangibilit6 des droits acquis par les tiers sur le territoire
grev6 d’un titre ancestral ? Les consdquences d’une extinction unilat6rale opdnie avant
1982 restent aussi A 6tre drtermin~es en ce qui conceme le droit A l’indemnisation au
profit des communaut~s d~poss&les:”.

Pour les autochtones, la conclusion d’une entente de revendication territoriale ser-
vira donc prciser 1’6tendue du territoire grev6 de droits, la porte de ces droits, et les
conditions administratives, politiques et financi6res de leur coexistence avec la cou-
ronne et les tiers sur le territoire vis6. De la conclusion d’une entente d~pendra le dive-
loppement socio-6conomique de la communaut6. Celle-ci 6vitera ainsi les frais d’une
judiciarisation de la question fonci~re dont les rsultats ne lui seraient, au demeurant,
pas forcdment favorables.

Du point de vue de la couronne, la sdcurit6 juridique r6sultant d’un trait6 sera une
fagon de promouvoir le d6veloppement 6conomique et la paix sociale des rgions con-
cemnes en plus de contribuer au rapprochement entre les autochtones et la socid6t ca-

‘9 Meme si les propos de la Cour supreme dans I’affaire Sparrow, supra note 37 A lap. 1095, don-
nent A penser que celle-ci exigera la preuve d’une utilisation ininterrompue du territoire, on ignore en-
core l’impact prcis des d~placements et de la sdentarisation volontaires des populations autochto-
nes.

9′ Les cours d’appel ont a ce jour refus6 de reconnmaitre un droit ancestral inh&ent A l’autononie
gouvemementale (voir notamment : Delgamuukw, supra note 77 ; Pamajewon, supra note 77). La
Cour supreme devra trancher cette question, peut-&tre dans l’affaire Pamajewon dont elle a accept6 de
se saisir.

9’ Voir supra note 77 et texte correspondant.
9 Voir notarnment” Adams, supra note 9 ; C6t , supra note 9 ; tmond, supra note 9 ; H. Bran, dir.,
<(Les droits des Indiens sur le territoire du Qubec > dans Le territoire du Quibec : Six itudesjuridi-
ques, Qu6bec, Presses de l’Universit6 Laval, 1974, 35 t lap. 50 ; R. Boivin, < (1995) 55 R. du B. 135.

‘ Voir supra note 9.
9’L’extinction unilatdrale des droits ancestraux 6tait possible avant 1982 en prdsence d’une manifes-
tation de l’intention du souverain de mettre fin A ces droits (voir, entre autres,
Sparrow, supra note 37 A lap. 1099, M. le juge en chef Dickson). La jurisprudence demeure cepen-
dant fort incertaine quant A la mani~re dont doit s’exprimer une telle intention.

” La Cour supreme s’est divise sur cette question dans l’affaire Calder, supra note 85.

McGLL LAW JOURNAL/REVUE DE DROiTDE MCGILL

[Vol. 41

nadienne. La levde de 1’quivoque relative aux droits fonciers favorisera en effet les
projets d’activit6s 6conomiques par un accs ordonn6 aux ressources, et aidera h mi-
nimiser les possibilit6s de tensions entre les populations partageant le territoire vis6 par
1’entente.

Jusqu’A ce jour, le gouvemement a recouru h 1’extinction des droits ancestraux
comme technique de gestion de l’ind6termination du rgime g6n6ral des droits ances-
traux et de conciliation des intr ts de toutes les parties h une entente. Cette approche,
sans 6tre en soi illicite, soul~ve d6sormais, comme il a 6t6 d~montr6 pr~c6demment,
des difficult6s politiques du fait des revendications identitaires autochtones lies A la
prennit6 du titre ancestral. Or, des formules novatrices de prise en compte de ces re-
vendications apparaissent possibles, dont celle, mise de l’avant par la Commission et
M. le juge Hamilton, de la reconnaissance mutuelle de droits comme fondement d’une
entente sur des revendications territoriales.

B. La reconnaissance mutuelle : une vole possible de conciliation de la liberte

identitaire et de la stabilitdjuridique

Pour assurer le respect dans les trait6s de la conception autochtone de la terre et du
titre ancestral, la Commission propose de substituer le principe de la <(reconnaissance mutuelle>> 1’exigence d’extinction du titre ancestral. Une entente fond6e sur ce prin-
cipe serait une entente qui protege les intr&ts existants des tiers, reconnalt les droits
fonciers des autochtones et de la Couronne>>9′. Dans la meme veine, le Rapport Hamil-
ton estime essentiel de <>.

11 s’agirait de passer d’une logique d’extinction, donc de rupture du lien des au-
tochtones avec la terre, A une logique de protection, c’est-A-dire d’affirmation de la
sp6cificit6 des droits autochtones. En contrepartie, les autochtones, forts de cette re-
connaissance et de la 16gitimit6 ainsi conff6re A leur rapport historique h la terre, pour-
raient reconnaitre A la couronne des droits et confmner les droits des tiers relativement
t leurs terres. Pour atteindre l’objectif de s6curit6 juridique, ces droits allochtones de-
vront cependant b6n6ficier d’une protection contre toute revendication de droits ances-
traux incompatibles. M. lejuge Hamilton le reconnait sans ambages dans son rapport
et la Commission le conc~de, du moins pour ce qui est des droits des tiersp.

Cependant, m~me si la Commission n’aborde pas cette question, il faut pr6ciser
que la reconnaissance de certains droits ancestraux ne doit 6videmment pas avoir pour
cons&juence que le gouvemement se trouve A accepter l’ensemble des pr6tentions de la
partie autochtone sur la totalit6 des terres revendiques. On peut en revanche penser
que plus les autochtones seront disposes A reconnaitre des droits allochtones importants

‘ Rapport de la Commission, supra note 4 A lap. 67.
7Rapport Hamilton, supra note 5 t lap. 107.
SVoir ibid. A la p. 115.
“Voir Rapport de ]a Commission, supra note 4 aux pp. 71-72.

1996]

G. OTIS & A. EMOND – L’IDENTIT, AUTOCHTONE

et fermes en fonction des diverses cat6gories de terres, moins la couronne sera port6e h
limiter 1’6tendue des terres b6n6ficiant d’une reconnaissance de droits ancestraux.

Si les parties, de manire exceptionnelle, s’entendent pour que ce ne soient pas
toutes les terres revendiqu6es qui b~n6ficient de l’affirmation de droits ancestraux,
l’accord devra r6gler d6finitivement le statut juridique des terres qui 6chappent au
principe de reconnaissance. A cet 6gard, la partie autochtone 6tant satisfaite de
l’6tendue des terres oii des droits lui sont reconnus et des autres avantages d’6coulant
du trait6, elle pourra souscrire une clause indiquant que les terres grev6es de droits
ancestraux aux termes du trait6 constituent la totalit6 des terres A l’6gard desquelles la
communaut6 autochtonejouit de droits ancestraux.

Par contre, l’absence de disposition extinctive des droits ancestraux fera en sorte
que des droits non explicitement d6firis dans le trait6 pourront subsister sur les terres
vis6es par le principe de reconnaissance, dans la mesure oii les autochtones pourront
6tablir devant les tribunaux 1’existence de ces droits r6siduels.

On peut se demander si ce concept de reconnaissance satisferait 1’exigence identi-
taire dans la mesure oa les autochtones s’engageraient
s’abstenir d’exercer leurs
droits ancestraux d’une mani~re inconciliable avec les droits reconnus t la couronne ou
aux tiers. Ne s’agirait-il pas alors d’une extinction defacto on indirecte des droits an-
cestraux ?

I1 faudrait sans doute rpondre affirmativement si on s’en tenait A une analyse pu-
rement utilitariste, mat~rielle ou 6conomique, bref eurocentrique, des droits ancestraux.
Toutefois, une approche qui transcende la mat6rialit6 pour tenir compte de la symboli-
que autochtone permet de concilier la confirmation de droits allochtones intangibles et
la preservation du rapport historique et symbolique des autochtones avec la terre. Ain-
si, le fait que ce soit la nation autochtone elle-meme qui reconnait
la couronne ou aux
autres Canadiens certains droits sur les terres vis6es par la reconnaissance du titre an-
cestral peut constituer une riaffirmation, non seulement de 1’antriorit6 de l’ordre fon-
cier autochtone, mais aussi de 1’6thique amrindienne de partage”.

Cette interpretation du principe de reconnaissance mutuelle permet clairement le
d6passement du scheme traditionnel de substitution pl~ni~re de la couronne au peuple
autochtone comme source 16gitime de droits fonciers. En plus de repr6senter un certain
modus vivendi interculturel, la reconnaissance mutuelle pourrait aussi assurer aux par-
ties un degr6 suffisant de s6curit6 juridique dans la mesure oti il y a intangibilit6 effec-
tive des droits reconnus on conf6rs par les autochtones 1’6gard des terres vis6es par
la reconnaissance de droits ancestraux.

” Sur la representation autochtone des trait~s comme opdrant un partage de la terre, voir notan-
ment : Rapport de la Commission, ibid A la p. 19 ; Rapport Hamilton, supra note 5 A lap. 50 ; R.
Daniel, > dans R. Price, dir., The Spirit of the Alberta Indian
Treaties, Montral, Institute for Research on Public Policy, 1980, 47 aux pp. 94-95 ; First Nations
Circle, supra note 62 t lap. 3.

MCGILL LAW JOURNAL/REVUE DE DROITDE MCGILL

[Vol. 41

Malheureusement, la position de la Commission, contrairement A celle exprim~e
dans le Rapport Hamilton, est pour le moins ambivalente, sinon contradictoire, quant 4t
l’importance de la s6curit6 juridique comme fimalit6 des n6gociations d’ententes sur
des revendications territoriales.

C. La proposition de la Commission: une perptuat ion de l’incerlitudejuridique

La Commission se dit d’abord “‘ avec les objectifs de clart6 et
de certitude juridiques qu’elle tient pour >’. Elle propose meme
d’atteindre ce but par la reconnaissance expresse, en fonction de diff&entes cat6gories
de terres, d’une ganme de droits ancestraux en faveur des autochtones d’une part, et de
droits d6volus t la couronne et aux tiers d’autre part. La definition des droits ances-
traux n’6tant pas n6cessairement exhaustive, des droits non vis~s par les termes du
trait6 pourraient 6ventuellement 8tre reconnus par les tribunaux”‘.

Grace I cette formule, les autochtones jouiraient d’une s6curit6 juridique r6elle en
se voyant garantir un nombre incompressible de droits pr6cis tout en conservant la
possibilit6 de faire reconnaitre par les voies contentieuses des droits r6siduels non d&-
finis dans le traitS. Pour ce qui est de la couronne et des tiers, ils pourraient 8tre pa-
reillement prot6g~s par une disposition pr6voyant la pr6s6ance de leurs droits par rap-
port aux droits ancestraux r6siduels non vis~s par 1’entente’ La position juridique des
allochtones serait de la sorte A l’abri d’une remise en question 6ventuelle r6sultant de
l’invocation par les autochtones de droits laiss~s A l’cart du traitS.

Cependant, malgr6 1’Nchafaudage de cette int6ressante formule, il s’av~re en fait
que, pour la Commission, seule la partie autochtone devrait ultimement b6n6ficier
d’une v6ritable s6curit6 juridique en vertu d’un trait6 de reconnaissance mutuelle. En
effet, la Commission dilue, au point de le priver de toute vertu stabilisante, le principe
de l’intangibilit6 des droits reconnus A la couronne. Ainsi, apr~s avoir not6
L’importance de faire en sorte que les droits ancestraux puissent 6voluer avec le
temps>> , elle affirme que les parties devront s’assurer que ‘. Elle pro-
pose de plus que les autochtones puissent en tout temps b~n6ficier d’un 6ventuel
6largissement de leurs droits l6gaux et constitutionnels>> ‘9 et qu’I cette fin n’aurait
d’autre effet que de prot6ger les autochtones contre les alas de ]a jurisprudence en garantissant ]a
jouissance des droits dMfinis qui seraient, ind~pendamment de la common law, des droits >’.

Selon la Commission, ces protections seraient rendues n6cessaires afin que les
parties autochtones ne doivent pas : <>’. Cela signifie en clair que la port6e des droits des autochtones, qu’ils
tout moment atre augment6e, en cons6-
soient ou non d~finis dans le trait6, pourrait
quence de d6veloppements jurisprudentiels, de manire A modifier les droits ou les
obligations de la couronne aux termes du traitS. Seuls les droits des tiers seraient appa-
remment immunisds contre d’6ventuelles vicissitudes jurisprudentielles”‘ . On admettra
d’embl6e qu’un tel 6largissement des droits de la partie autochtone serait, dans certains
cas, susceptible de bouleverser les &tuilibres ayant pr6sid6 h la conclusion de l’entente.

La Commission n’envisage en revanche aucune r~ouverture obligatoire du trait6
dans l’hypoth~se de d~veloppements qui auraient pu, n’eft 6t6 du traitS, b~n6ficier a la
couronne. En definitive, il revient exclusivement au gouvemement de porter le fardeau
de l’incertitude juridique d6coulant de cette formule ; ce serait mame l >”‘.

On semble oublier que la stabilit6 des relations juridiques, parce qu’elle tend h
minimiser les possibilitds de conflits, apparalt aussi comme une condition sine qua non
concilier
d’un pacte durable de coexistence. De plus, un trait6, par d6finition, vise
v6ritablement les int6rts des parties”2 , m~me s’il doit par ailleurs preserver l’honneur
de la couronne dans son r6le de fiduciaire. Dans ce contexte, il est plut6t difficile
d’admettre que la proposition de la Commission repr~sente un arbitrage 6quitable des
divers intr&ts en cause dans le processus de revendications territoriales globales. On
s’attend t ce que la couronne renonce substantiellement A son objectif de stabilit6 juri-
dique, et qu’ele sacrifie largement les int&rts qui s’y rattachent au profit de la partie
autochtone. Cette demi~re serait par contre assur6e de droits inexpugnables, reconnus
la faveur d’une ren6gociation obligatoire
dans le traitS, auxquels pourraient s’ajouter,
de l’entente, les droits nouveaux d~finis par les tribunaux au ftl du temps.

I faut 6galement comprendre que cette fragilisation des droits de la couronne ne
constitue nullement une exigence de la revendication identitaire autochtone lie A la p6-
rennit6 du titre ancestral. Comme il a 6t6 soulign6 prdc6demment, l’identit6 autochtone
et l’intangibilit6 de droits allochtones ne sont pas conceptuellement irr~conciliables, ce
que la Commission reconnait elle-m6me lorsqu’elle affirme que m8me en 1’absence de

log Ibid.
109 Ibid.
“o Voir ibid. aux pp. 71-72.

. Ibid. Map. 71.
“12 Voir Sioui, supra note 17 A lap. 1069, M. lejuge Lamer.

MCGILL LAw JOURNAL/REVUE DE DROITDE MCGILL

[Vol. 41

clause d’extinction, la s~curit6juridique des tiers doit n6cessairement primer l’exercice
mat&iel des droits ancestraux.

Par cons&tuent, il convient plut~t de s’enqu6rir des moyens d’am6nager une
sphre de coexistence harmonieuse des droits ancestraux et des droits que les autoch-
tones accepteront de reconnaitre et de garantir fermement aux tiers et h la couronne sur
les terres vis6es par la reconnaissance de droits ancestraux.

D. La recherche d’une coexistence des droits ancestraux et de droils allochto-

nes intangibles

Mme s’il n’est pas 6vident que la couronne doive renoncer A une mesure relle de
protection de ses droits aux termes d’un trait6, on pourrait craindre, h l’instar de la
Commission, que l’intangibilit6 des droits allochtones s’av~re injuste pour les autoch-
tones si la couronne, usant <“, obtenait une
formulation tellement englobante de ses droits que ‘application rsiduelle et 6volutive
de droits ancestraux non d6firis dans le trait6 se trouverait pratiquement neutrais~e.
Cette objection postule toutefois que la couronne ne viserait pas, contrairement h ses
d6clarations en ce sens, A en arriver A une solution juste et 6quitable.”

tvidemment, s’il fallait partir de ce postulat, meme la formule mise de l’avant par
la Commission pourrait se retoumer contre les autochtones. La couronne n’ayant alors
aucun int6r&e
leur accorder une s6curit6 juridique plus grande que celle lui 6tant con-
sentie, elle pourrait n’accepter de d6finir dans ‘entente que tr s peu de droits, aban-
donnant ainsi pour ‘essentiel la partie autochtone aux alias d’une d6finition judiciaire
longue et cofiteuse de ses droits ancestraux.

La justice et 1’quit6 rsident sans doute, comme c’est souvent le cas, dans une
solution interm~diaire qui tenterait d’assurer divers degr6s de coexistence des droits
allochtones et d’6ventuels droits ancestraux r6siduels, en fonction de diff6rentes cat6-
gories de terres. L’articulation des droits pourra en effet varier selon un classement des
terres allant d’un r6gime minimal de droits allochtones jusqu’At un rgime oh le prin-
cipe d’intangibilit6 des droits allochtones ne permettra qu’un exercice tout A fait limit6
d’6ventuels droits autochtones r6siduels reconnus par les tribunaux.

Dans toutes les cat6gories de terres, les droits octroy6s A la couronne et aux tiers
jouiraient d’une garantie ferme de protection contre toute invocation de droits ances-
traux. Toutefois, la coexistence des droits pourrait etre favoris6e par l’insertion dans le
trait6 d’une r~gle stricte de conflit op~rationnel applicable au moins A certaines terres.
On pourrait s’inspirer de la jurisprudence privil~giant une articulation conciliatrice des
droits fonciers des autochtones et des droits de la couronne ou des tiers”‘. Cette fagon

3 Rapport de la Commission, supra note 4 A la p. 70.
,14 Voir par exemple ‘affaire Sioui, supra note 17 oa lejuge Lamer a crit : <(Pour que l'exercice des [droits aborigines] soit incompatible avec l'occupation que ]a Couronne fait du Parc, il faudrait non seulement qu'il soit contraire a l'objectif qui sous-tend l'occupation, mais qu'il en empache la rdali- 1996] G. OTIS & A. tMOND - L'IDENTITtAUTOCHTONE de faire ne serait d'ailleurs pas sans rappeler la r6gle de conflit de lois ayant cours dans le contentieux constitutionnel du partage des comp~tences"3 . Ainsi, le principe de pr6- pond6rance des droits allochtones limit6s n'op~rerait qu'en prdsence d'une impossibili- t6 pratique de donner effet simultan6ment aux droits des autochtones. Cette pr~pondrance n'aurait d'ailleurs pas etre automatique meme en pr6sence d'un conflit puisque rien n'emp0cherait les parties de pr~voir, dans certains cas, l'exercice pl6nier des droits ancestraux, nonobstant tout droit allochtone incompatible, sous reserve d'un engagement dans le trait6 de compenser flnancirement la couronne ou les tiers"'. Puisque leur revendication de droits pleinement 6volutifs semble reposer d'abord sur des motivations identitaires et non sur la valeur purement 6conomique des droits, les groupes autochtones seraient sans doute prets h envisager un tel arrange- ment. L'ampleur des droits de la couronne et des tiers serait fonction, en plus de l'objectif de pr6servation.des droits ancestraux, des intr&ts essentiels en cause et des attentes de la partie autochtone en termes d'avantages financiers et autres. Signalons enfin qu'il tout moment apr~s la signature de l'entente, d'entamer de sera loisible aux parties, nouvelles n6gociations en vue de la modification de celle-ci. Conclusion Dans son plus r6cent arr& sur la question de l'obligation de fiduciaire, Bande in- dienne de la rivire Blueberry"', la Cour supreme du Canada a rejet6 une approche pa- ternaliste qui aurait contraint la couronne, en toutes circonstances, A prot6ger les au- tochtones contre eux-memes. Au contraire, a jug6 la Cour, ceux-ci sont des acteurs autonomes en ce qui concerne 'acquisition ou la cession de leurs terres, si l'on fait ex- ception de ces transactions oi les autochtones seraient exploit~s"8. Parce qu'il consacre l'autonomie et la responsabilit6 corrdlative des autochtones, l'arr&t Bande indienne de la rivire Blueberry est peu compatible avec la th~se, ddfendue par la Commission et M. le juge Hamilton, voulant que la couronne ne puisse juridiquement n6gocier avec eux la cession de leurs terres ancestrales. Fond6e sur une lecture contestable de la Pro- clamation de 1763 et de la responsabilit6 fiduciaire s'y rattachant, cette th~se 6tablit une ad~quation entre l'extinction du titre ancestral et 'exploitation de la partie autoch- tone ind~pendamment des avantages que celle-ci revoit en contrepartie. Cette th~se sation> (ibid. h la p. 1073). Voir 6galement les arrats : R. c. Alphonse, [1993] 5 W.W.R. 401 aux pp.
435-36, 80 B.C.L.R. (2′) 17 (C.A.), M. lejuge Lambert ; Delgamuukw, supra note 77 A lap. 165, M.
lejuge MacFarlane.

Multiple Access Ltd. c. McCutcheon, [1982] 2 R.C.S. 161, 138 D.L.R. (3) 1.

.. On trouvera la formulation classique du conflit de lois en mati~re constitutionnelle dans l’affaire
“6 Cette ide est d’ailleurs mise de l’avant dans un document de travail pr~par6 par les fonctionnai-
res des minist~res des Affaires indiennes et du Nord Canada et de la Justice, Les revendications terri-
toriales globales et la certitude (Document de r~f~rence) (1995) A lap. 14.

“1 Supra note 28.
118Voir ibid. A lap. 358, M. lejuge Gonthier, aux pp. 370-71, Mme le juge McLachlin.

570

MCGILL LAW JOURNAL/REVUE DE DROITDE MCGILL

[Vol. 41

tend 6galement vers la preservation dogmatique du r6gime ancestral en laissant peu de
place
la libert6 de chaque communaut6 de faire sa propre lecture identitaire de ce r6-
gime.

Car c’est bien de libert6 identitaire dont il devrait 8tre question et non d’une ins-
cription dans le droit d’une conception objective de l’alt~rit6 autochtone fond6e sur le
rapport traditionnel A la terre. Cette libert6 pourra certes avoir pour corollaire la recon-
naissance, au ceur des trait6s modernes, de droits ancestraux t6moignant du lien histo-
rique entre la partie autochtone et la terre. Toutefois, elle ne justifiera pas que l’on
exige de la couronne qu’elle renonce A l’objectif de certitude et de s6curit6 juridiques,
objectif fondamental pour les deux parties compte tenu de l’ind6termination caract6ri-
s~e du r6gime g6n6ral des droits ancestraux. En demandant aux autochtones de recon-
naitre A la couronne et aux tiers des droits intangibles sur les terres A l’6gard desquelles
des droits ancestraux sont reconnus, on consacre solennellement l’ant6riorit6 et la l6gi-
timit6 de leur pouvoir foncier. De cette rencontre des perspectives autochtone et alloch-
tone pourra rdsulter une coexistence optimale des droits et des cultures.

in this issue Policies, Preferences and Perversions in the Tax-Assisted Retirement Savings System

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