L’lmmunit6 16gale de la femme enceinte
et I’affaire Dobson
Alexandre-Philippe Avard et Bartha Maria Knoppers’
Dans Dobson c. Dobson, la Cour supreme a refus6 de
reconnaltre la possibilit6 pour un enfant d’intenter un recours
contre sa m~e pour des dommages prnatals. Les auteurs
examinent cette d cision dans la perspective de la common
liv, pour ensuite y comparer l’approche que prdconiserait la
tradition civiliste, et enfin 6tudier la place de l’lat dans la
protection de l’intdgrit6 du foetus.
En refusant de sanctionner une mare qui aurait caus6 un
pijudice t son enfant in utero, l’arr& Dobson s’inscrit clai-
rement dans le courant jurisprudentiel 6tabli par la Cour su-
preme qui, depuis l’av~nement de la Charte canadienne des
droits et libertds, s’est toujours soucide de prserver l’int~gritd
et la libert6 de la femme enceinte. Or, tenir une mare respon-
sable de la ngligence dont elle aurait fait preuve avant la
naissance de son enfant porterait gravement atteinte au droit
de cette demiare de contr6ler sa propre vie. Le respect des
droits fondamentaux exige ni plus ni moins l’immunit6 de la
m~re face aux rdclamations de l’enfant pour des dommages
prdnatals. Les auteurs 6valuent ensuite l’approche que pr co-
niserait le droit civil aux prises avec une demande de la meme
nature. Parce que contraire A l’ordre public en ce sens qu’il
enfreint le droit A l’intggdt physique de ]a femme enceinte de
meme que son droit A la protection de sa vie privde, les au-
teurs concluent que le recours d’un enfant contre sa mise
pour des dommages subis pendant la grossesse et illdgale.
Cependant, le fetus ne doit pas demeurer sans protection a-
cune. Certaines stratdgies l6gislatives mises ,jour pour prot6-
ger le fetus ont pour but de punk les femmes enceintes ndgli-
gentes et de favoriser l’intervention forc&e sur leur personne.
Elles sont dtudides dans la dernire partie de l’article, mais
elles sont rapidement remises par les auteurs au profit d’une
approche socio-sanitaire plus souple et comprhensive; des
m6dthodes coercitives et des sanctions p6nales sont loin d’etre
en mesure de garantir la sant6 des nouveau-nds. En effet, Ia
santd de l’enfant A naltre ne conceme pas que la future mare.
I s’agit au contraire d’un problme de socidt6 dont la solution
passe par la prevention et le soutien des femmes A tous les
stades de leur grossesse.
In Dobson v. Dobson, the Supreme Court of Canada re-
fused to acknowledge a child’s right to take an action against
his mother for prenatal damages. The authors of the present
case comment examine the Dobson decision from a Common
Law perspective, compare this approach with the Civilian
tradition, and conclude with a discussion of the role of the
State in the protection of the integrity of the fetus.
In refusing to sanction a mother who has caused dam-
age to her child in utero, the authors affirm that the Dobson
decision is in line with the jurisprudential current established
by the Supreme Court. Since the advent of the Canadian
Charter of Rights and Freedons, the Supreme Court has been
conscious to maintain the preservation of the integrity of
women. To hold a mother accountable because she has been
negligent toward her unbom child seriously infringes the
former’s right of control over her person. Respect of the
mother’s fundamental rights requires nothing more or less
than immunity from any action taken by her child for prenatal
damages. In the second part of this case comment, the authors
evaluate what the Civil Law’s approach would be to a claim
of the same nature. The authors conclude that a child’s re-
course against a mother for prenatal damages would be
against public order because it would infringe upon the
mother’s right to bodily integrity as well as her right to pri-
vacy. Nevertheless, the authors affirm that the fretus is not
without protection. The goal of certain legislative strategies
which have already been implemented in order to protect the
fetus is to punish negligent pregnant women and to force in-
terventionist measures upon them. While these legislative
strategies are analyzed in the final part of this article, the
authors conclude that a socio-sanitary approach, which is
more flexible and comprehensive, is preferable; coercive
methods and penal sanctions will not guarantee the health of
our newborns. Indeed, the health of a child who is about to be
bom is a concem that is not exclusive to the future mother.
The concern is a societal one, the response to which resides in
preventive programs that support pregnant women at all
stages of their pregnancy.
“Bartha Maria Knoppers, Professeure, Facult6 de droit (Centre de recherche en droit public), Uni-
versit6 de Montr6al. Alexandre-Philippe Avard, 6tudiant, 3 annde du Programme national, Facult6 de
droit, Universit6 McGill, Montrnal.
Revue de droit de McGill 2000
McGill Law Journal 2000
Mode de r6f&ence: (2000) 45 R.D. McGil 315
To be cited as: (2000) 45 McGill LJ. 315
316
MCGILL LAW JOURNAL/REVUEDEDROITDE MCGILL
[Vol. 45
Introduction
I.
I’affaire Dobson et la tradition de la common law
II. I2affaire Dobson et la responsabilit6 en droit civil qu6b6cois
A.
Inviolabilit6 de la personne
B. Protection de la vie priv6e
III. Les strat6gies de protection du foetus
A. Approche 6tatique-interventionniste
B. Approche socio-sanitaire
Conclusion
2000)
A.-RAVARD ETB.M. KNOPPERS – IAFFAIREDOBSON
317
Introduction
Jusqu’A tout rdcemment, la maternit6 jouissait d’un caract6re sacr6 voire impdn6-
trable. Toutefois, suite aux innombrables progr s de la m6decine modeme, cette aura
de myst~re entourant la reproduction humaine s’est progressivement estomp~e. En ef-
fet, il est maintenant possible de suivre le ddveloppement de l’enfant t naitre, de sa
conception jusqu’ sa naissance, et meme de d6tecter des anomalies g6ndtiques ou
physiques chez le fetus. Nous sommes donc d6sormais davantage conscient de
l’impact du mode de vie de la m~re sur la sant6 fetale. En consdquence, le fetus est
bien souvent perqu par le corps mddical et scientifique comme un
N6anmoins, la science et le droit demeurent deux disciplines distinctes qui, mal-
gr6 leurs interactions, se doivent de conserver leurs distances. Les connaissances
scientifiques ont certes le mdrite d’6clairer et d’orienter le ddbat sur le th~me de la re-
production, mais elles ne doivent pas d6tourner compltement notre attention des v6-
ritables enjeux moraux et sociaux qui sous-tendent l’analyse de ces questions’. Une
s6rieuse r6flexion s’impose donc quant au statut de la relation mre-fetus et A la place
de l’appareil 6tatique dans la protection du bien-etre de l’enfant L naitre. L’tat doit-il
s’ingdrer dans la vie et l’int6grit6 physique des futures m~res dont le mode de vie pr6-
sente un risque pour le fetus au nom du droit de ‘enfant
croltre et naltre dans des
conditions optimales ? La femme enceinte deviendra-t-elle l’assureur du bon dave-
loppement du foetus, une simple <
Ces interrogations se retrouvent notamment au cceur de la pol6mique concemant
la responsabilit6 civile de la femme enceinte envers 1’enfant qu’elle porte. Une femme
enceinte doit-elle r6pondre d’un acte qu’elle a pos6 et qui a causd pr6judice au foetus ?
Le plus haut tribunal canadien s’est rdcemment pench6 sur la question dans Dobson c.
Dobson’.
Dans l’affaire Dobson, l’appelante conduisait sa voiture, alors qu’elle 6tait en-
ceinte de vingt-sept semaines. Suite t sa n6gligence, elle perdit le contr6le de
l’automobile pour heurter un v6hicule roulant en sens inverse. Rdsultat: l’enfant
qu’elle portait, Ryan Dobson, fut bless6 in utero et souffre maintenant de paralysie c6-
r6brale. Ryan Dobson, reprdsent6 par son grand-p~re, poursuit done Madame Dobson
afin d’obtenir compensation pour les dommages subis in utero.
Plusieurs entrevoyaient l’affaire Dobson comme l’occasion idale pour la Cour
supreme de r6diger le chapitre final de la <
de plus d’une ddcennie, entourant le statut juridique et les droits du fetus. I1 est per-
‘T. Caulfield et E. Nelson,
2 Dobson (Tuteur a I’instance de) c. Dobson, [1999] 2 R.C.S. 753, A.C.S. n 41, en ligne: QL
ligne: La Cour supreme du Canada
MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE MCGILL
[Vol. 45
mis de douter que tel est l’impact de Dobson. I importe done d’examiner dans un
premier temps cette d6cision dans ]a perspective de la common law (I), pour ensuite y
comparer l’approche que pr6coniserait la tradition civiliste (II) et enfin, analyser les
diverses stratdgies qui s’offrent au 16gislateur pour clore ]a saga jurisprudentielle et
surtout, prot6ger l’int6grit6 du foetus (IMl.
I. L’affaire Dobson et la tradition de la common law
Tel qu’il le fut 6tabli notamment dans Daigle c. Tremblay’, le foetus ne possde
pas de personnalit6 juridique aux fins de la Charte des droits et liberts de la per-
sonme’, de m~me que g6n6ralement, en droit civil et en common law’. En cons6-
quence, l’enfant A naitre ne peut etre titulaire de droits avant sa naissance. Toutefois,
afin de prot6ger ses int6r~ts, le droit canadien stipule, par une fiction juridique, qu’un
enfant n6 vivant et viable peut poursuivre un tiers pour des dommages pr6natals. Aux
ttats-Unis, la Cour d’appel de l’Illinois a m~me statu6 qu’un m6decin peut etre tenu
responsable pour une faute survenue avant la conception7 .
De plus, les tribunaux ont maintenu l’inapplicabilit6 de la doctrine de l’immunit6
parentale dans ]a common law canadienne. Selon cette doctrine, tout recours en res-
ponsabilit6 extracontractuelle entre un enfant et ses parents est strictement prohib6 et
ce, afin de pr6server l’harmonie et la coh6sion au sein de la cellule familiale.
En toute logique, si un enfant peut poursuivre un tiers pour des dommages pr6-
natals et peut 6galement poursuivre ses parents, on devrait conclure que rien ne
l’empeche de poursuivre sa mbre pour des gestes pos6s lors de la grossesse. Mais, est-
ce 16galement souhaitable ? La common law ouvre-t-elle si facilement ]a porte A la
responsabilit6 de la femme enceinte ?
La majorit de la Cour supreme, sous la plume du juge Cory, refuse de reconnal-
tre 1’existence d’un lien de droit> entre l’enfant et sa mhre dans les cas de dommages
[1989] 2 R.C.S. 530,62 D.L.R. (4′) 634 [ci-aprs Daigle].
L.R.Q., c. C-12 [ci-apr~s Charte quibifcoise].
M.-J. Bemardi, Le Droit a la santi dufowtus au Canada, Montr6al, Th6mis, 1995 aux pp. 170-73;
voir dgalement I.R. Kerr, oPre-Natal Fictions and Post-Partum Actions>> (1997) 20 Dal. L.1 237 A la
p. 243.
“Montreal Tranwvays Co. c. LUveilld, [1933] R.C.S. 456, 4 D.L.R. 337 [ci-aprs L,veille] ; Duval c.
‘article 66
Seguin, [1972] 2 O.R. 686, 26 D.L.R. (3’) 418 (H.C.J.). Le principe est d’ailleurs codifi6
de la Loi sur le droit de lafanille, L.R.O., 1990, c. F-3.
>Renslow c. Mennonite Hospital, 351 N.E.2d 870 (11. C.A. 1976).
‘Deziel c. Deziel, [1953] 1 D.L.R 651 (Ont. H.C.1): ; voir aussi Cowle c. Filion (1956), 6 D.L.R. (2′) 258 (Ont. Co. Ct).
9Voir Dobson, supra note 2:7 juges contre 2, les juges Major et Bastarache sont dissidents.
2000]
A.-R A VARD ETB.M. KNOPPERS – L’AFFAIRE DOBSON
319
pr6natals. Appliquant les crit~res 6tablis dans Kamloops (City) c. Nielsen’ , le juge Co-
ry maintient que des questions de
le jeune Ryan Dobson. Ce constat repose essentiellement sur la relation biologique et
6motionnelle particulire qui unit la m~re et le foetus. Permettre
l’enfant, une fois n6,
de r6clamer contre sa m~re une compensation pour dommages pr6natals, c’est appli-
quer un r6gime juridique xtaill6 sur mesure pour r6gir des relations extracontrac-
tuelles entre deux personnes. Or, la mere et le foetus ne sont justement pas des entit6s
distinctes et autonomes et, encore moins, des adversaires juridiques :
Bien que l’imposition d’une responsabilit6 d61ictuelle aux tiers pour la n~gli-
gence dont ils ont fait preuve avant la naissance favorise autant les droits de la
m~re que ceux de ‘enfant, elle ne porte aucune atteinte majeure au droit des
tiers de contr6ler leur propre vie. Contrairement au tiers d6fendeur, chaque
instant de veille et chaque instant de sommeil de la femme enceinte –
essen-
tiellement, toute son existence –
a un lien avec le foetus, auquel elle est sus-
ceptible de porter pr6judice. S’il fallait tenir la m~re responsable de la n6gli-
gence dont elle a fait preuve avant la naissance, les decisions les plus banales
de la vie quotidienne de la femme enceinte pourraient faire l’objet d’un examen
par les tribunaux”.
l’int6grit6 physique, h l’autonomie d6cisionnelle,
la vie priv6e et A
Le droit
l’6galit6 de la femme enceinte n’exigent donc ni plus ni moins que l’immunit6 de la
m~re face aux r6clamations de l’enfant pour dommages pr~natals.
Dissident, le juge Major soutient que les droits fondamentaux de Madame
Dobson ne seraient pas enfreints en accueillant la demande du jeune Ryan Dobson,
puisqu’elle 6tait d6j
tenue de conduire de mani~re diligente envers les autres con-
ducteurs:
Lorsque la femme enceinte est d6ja tenue envers un tiers d’une obligation de
diligence relativement au comportement pour lequel son enfant n6 vivant cher-
che t la faire d6clarer responsable, des consid6ations d’ordre politique se rap-
portant
la libertd d’action de la femme enceinte ne peuvent 8tre invoques
pour priver l’enfant de son droitprimafacie d’intenter une action. L’obligation
de diligence pesant sur la femme enceinte n’est pas plus lourde parce qu’elle
peut 8tre d~clar e responsable A l’dgard de son enfant n6 vivant”.
Le juge Major introduit donc une distinction juridique entre les actes donnant naissance
h des obligations g6n6rales impos6es h tous> (pour lesquels la femme enceinte pourra
Wtre tenue responsable) et les actes relevant du choix de mode de vie particulier du pa-
rent> (pour lesquels la femme enceinte bMn6ficierait d’une immunit6). Ainsi, la femme
‘0 [1984] 2 S.C.R. 2, 10 D.L.R. (4’) 641 aux pp. 662-63 : WMn order to decide whether or not a pri-
vate law duty of care existed, two questions must be asked: (1) is there a sufficiently close rela-
tionship between the parties […] (2) are there any considerations which ought to negative or limit (a)
the scope of the duty and (b) the class of persons to whom it is owed or (c) the damages to which a
breach of it may give rise ?>.
“Dobson, supra note 2 au para. 27.
‘2 Ibid. au para. 116.
MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE MCGILL
[Vol. 45
enceinte aurait A r6pondre de sa conduite durant la grossesse sans toutefois voir
‘ensemble de ses choix strictement personnels (nourriture, consommation d’alcool, de
drogue, horaire de travail, activitds physiques, etc.) scrutds
la loupe par les tribunaux.
Une telle distinction fut imm6diatement rejetde par la majorit6 de la Cour su-
preme en raison de son impr6cision et de son caractre arbitraire :
Essentiellement, une rgle de responsabilit6 ddlictuelle visant h 6tablir une dis-
tinction entre les actes de la future mre qui relvent du droit A la vie prive et
ceux qui constituent des d~lits conduirait in6vitablement 4 1’tablissement de
frontires arbitraires et A des jugements contradictoires. Se contenter de dire
qu’aucune obligation gd6rale de diligence ne s’appliquera aux choix de
mode de vie>> revient A permettre que bon nombre des actes accomplis par la
femme enceinte ne soient pas consid&ds comme des choix de mode de vie
dans le cadre d’un litige”.
Enfin, le juge Cory rejette 6galement l’argument voulant que l’existence d’une as-
surance responsabilit6 obligatoire couvrant les dommages corporels en mati~re de
conduite automobile justifie la reconnaissance d’un lien de droit> entre la mrre et le
foetus en cas de poursuite pour dommages pr6natals :
Apporter une solution judiciaire fond6e sur l’obligation d’assurance h la ques-
tion soulevde dans le pr6sent pourvoi, c’est faire peser une responsabilit6 sur la
mare en raison de sa capacit6 de payer
‘indemnitd fixde par le jugement grace
ses assurances. Toutefois, le droit de la responsabilit6 d6lictuelle n’est pas, et
ne doit pas etre, ainsi ax6 sur le r6sultat 4.
L’affaire Dobson s’ins~re dans un contexte international relativement ddfavorable
A la sanction d6lictuelle des gestes d’une m~re qui auraient caus6 prdjudice A l’enfant
in utero. D’abord, au Royaume-Uni, le d6bat est circonscrit par la Congenital Disabi-
lities (Civil Liability) Act qui &licte qu’un enfant ne peut poursuivre sa m~re pour
dommages pr6natals que dans l’hypothse ot il y a conduite n6gligente d’un v6hicule
A moteur”. Du c6t6 australien, une seule ddcision fut rendue, soit Lynch c. Lynch”.
S’inspirant de la solution anglaise, la common law australienne ouvre la porte aux re-
cours du nouveau-n6 pour dommages pr6natals contre sa propre mere, mais seule-
ment en cas de conduite n6gligente d’un vWhicule A moteur. Enfin, la question de-
meure en suspens aux ttats-Unis, les r6ponses jusqu’ici apportdes 6tant contradictoi-
res.
Ibid. au para. 61.
“Ibid. au para. 73.
“Congenital Disabilities (Civil Liability) Act (R.-U.), 1976, c. 28. Une telle politique Idgislative
s’explique en partie par l’obligation de tout conducteur, au Royaume-Uni, de souscrire A une police
d’assurance responsabilit6 civile.
16(1991) 14 M.V.R 521 (N.S.W. C.A.), en ligne: LEXIS.
” Voir Grodin c. Grodin, 301 N.W.2d 869 (Mich. C.A. 1980): M’ Grodin a consomm6 un m~li-
cament nomm6 t6tracydline durant la grossesse, ce qui a provoqu6 une d6coloration des dents de
l’enfant. La Cour a statu6 qu’une mare ne peut etre poursuivie pour dommages prdnatals qu’A condi-
tion que
‘acte reproch6 ne relive pas de 1’exercice raisonnable de l’autorit6 parentale ni de la discr&
2000]
A.-RAVARDElB.M. KNOPPERS – ..AFFAIRE DOBSON
Malgr6 son int&et indiscutable au plan international en raison du nombre restreint
dejuridictions qui ont abord6 une question similaire, la ddcision dans Dobson n’a rien
de vWritablement surprenant. La Cour supreme a, surtout depuis l’av6nement de la
Charte canadienne des droits et libertis8 , toujours 6t
soucieuse de pr6server
l’int~grit6 et la libert6 de la femme dans la procr6ation.
En effet, ds le d6but des anndes 1980, on a reconnu l’importance du droit
la re-
production ainsi que la place pr6ponddrante que doit occuper le libre arbitre de la
femme en mati~re de procreation. En 1986, dans E. (M’) c. Eve 9, la Cour supreme du
Canada est cat6gorique : jamais l’intdret de la femme, inapte ou non, ne justifiera une
ordonnance judiciaire de st6rilisation, car cela <<[...] enl~ve h une personne le grand
privilege de procrder [...]>> [nos italiquesf. Cette reconnaissance de la libert6 de choix
pavera la voie h la d6criminalisation de l’avortement quelques ann6es plus tard. D-
sormais, seule la femme enceinte a le pouvoir de d6cider de poursuivre ou non sa
grossesse. Le juge en chef Dickson affirme :
Forcer une femme, sous la menace d’une sanction criminelle, it mener un fcetus
A terme h moins qu’elle ne satisfasse L des critres sans rapport avec ses propres
priorits et aspirations est une ingdrence grave A ‘6gard de son corps et donc
une violation de la scurit6 de sa personne ‘.
Le d6bat sur le statut juridique du fcetus va de pair avec ce courant jurisprudentiel
privil6giant le contr6le de la femme sur son propre corps. C’est ainsi qu’en 1989, dans
l’arr& Daigle, la Cour supreme a reconnu que le foetus ne poss&Iait pas de personna-
lit6 juridique en droit canadien, mettant ainsi un terme aux tentatives d’ing6rences
extdrieures dans les choix personnels de la femme enceinte. Dans cette foul6e, la Cour
supreme, en 1997, a refus6 d’exercer son pouvoir parens patriae afin de contraindre
une femme enceinte, sous l’effet de substances nocives pour ‘enfant h naitre, de subir
des traitements de d6sintoxication :
tion parentale relative h la garde et k ‘6ducation des enfants ; voir toutefois Stallman c. Youngquist, 78
A.L.R. 4! 1071 (I1. Sup. Ct. 1988): M-” Youngquist fit impliqu~e, par sa faute, dans un accident
d’automobile qui a caus6 un prdjudice irr6parable au fetus. Le tribunal a rejet6 le recours en respon-
sabilit6 contre la more pour dommages prdnatals et ce, pour des motifs de
droit des femmes h l’autonomie et h la libert6 de leur personne ainsi que la nature particulire de la
relation qui unit la m~re et le fetus; voir cependant Bonte c. Bonte, 616 A.2d 464 (N.H. Sup. Ct.
1992): M’ Bonte fit impliqu~e, par sa faute, dans un accident de voiture durant sa grossesse. La
Cour a conclu qu’une more peut 8tre poursuivie pour dommages prdnatals; voir aussi Cullotta c.
Cullotta, 678 N.E.2d 717 (Ill. C.A. 1997): la Cour a confirm6 la position 6noncee dans Stallman c.
Youngquist.
‘8 Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Cana-
da (R.-U.), 1982, c. 11 [ci-aprs Charte].
‘9 [1986] 2 R.C.S. 388, 31 D.L.R. (4) 1.
01bid k la p. 432; voir la r~cente d6cision de la Cour suprieure du Quebec qui ordonne
l’interruption de la grossesse et la ligature tubaire d’une femme enceinte souffrant de schizophrdnie
paranofde : Centre HospitalierRobert-Giffard c. Lavoie, [1999] J.Q. no 2798, en ligne : (QL) (JQ).
2 R. c. Morgentaler, [1988] 1 R.C.S. 30 L lap. 57,44 D.L.
(4′) 385.
322
MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE MCGILL
[Vol. 45
Le droit dans son 6tat actuel est clair: les tribunaux ne peuvent exercer leur
1’6gard de 1’enfant h naitre. […] En
comp6tence parens patriae ou de tutelle
droit, la naissance est une condition ncessaire A l’acquisition de la personnalit6
juridique. La femme enceinte et l’enfant h naitre ne forment qu’une seule per-
sonne. Enfin, rendre une ordonnance visant A prot6ger le foetus empidterait ra-
dicalement sur les libert s fondamentales de la femme enceinte, tant en ce qui
concerne le choix d’un mode de vie, que sa mani~re d’6tre et l’endroit oii elle
choisit de vivre”.
Devant cette promotion constante des droits de la femme enceinte, il n’est donc
pas surprenant de voir la Cour supreme refuser la demande du jeune Ryan Dobson.
La Cour avait d’ailleurs offert, quelques mois auparavant, un avant-gofit de cette con-
clusion dans Winnipeg:
II suffit de signaler qu[e la reconnaissance de la responsabilit6 de la femme en-
ceinte pour dommages pr6natals] soul~ve de graves questions de principes. La
reforme propos6e du droit de la responsabilit6 ddlictuelle pourait crder une in-
certitude consid6rable et avoir une incidence d6favorable sur la vie de beau-
coup de gens, sans pour autant assurer la r6gression des dommages pr~natals
causes par l’abus de drogues. Ces considerations […] justifient qu’on laisse au
l6gislateur le soin d’apporter une solution h ce probl~me’.
La plupart de ces d6cisions fondamentales concemant la relation m~re/fetus et la
responsabilit6 de la femme enceinte envers renfant qu’ele porte furent rendues dans
le contexte de la common law. En fait, seule ‘affaire Daigle provient du Qu6bec.
Peut-on alors pr6dire quelle serait la solution prim6e par le syst~me judiciaire en re-
gard du droit civil qu6b6cois, face A une poursuite contre une m~re pour dommages
pr6natals ?
II. L’affaire Dobson et la responsabilit6 en droit civil qu~b~cois
La question au cceur de l’affaire Dobson tarde h attirer
‘attention des juristes
qu6b6cois. Jamais, jusqu’ pr6sent, un enfant n6 vivant et viable n’a intent6 de pour-
suites contre sa mere sur la base de son comportement durant la grossesse. Selon un
auteur, l’enfant aurait [th6oriquement] […], en vertu de l’article 1457 du C.c.Q., un
recours contre sa mare en raison des dommages pr6natals qu’il aurait subi, c’est-A-
dire pour des dommages inflig6s une fois conqu mais avant sa naissance, a condition
toutefois qu’il naisse vivant et viable>>”. Meme si th6oriquement possibles, nous
sommes d’avis que le droit civil, A l’image de la common law, s’opposerait vivement
aux r6clamations du type de celles pr6sent6es par Ryan Dobson.
L’article 1457 du Code civil du Qudbec (<
liques]. Peut-on consid6rer le foetus comme une entit6 juridique distincte de la femme
enceinte, en conformit6 avec le sens du terme <
fetus soit juridiquement reconnu comme partie int6grante de la femme enceinte, le
droit qu6b6cois est limpide : l’enfant est r6troactivement consid6r6 comme une <
n6 peut pr6tendre, ‘ l’encontre d’un tiers, avoir subi un dommage distinct de celui de
sa mere m~me si, a 1’6poque oii l’accident s’est produit, il 6tait encore <
palement application dans la sphere contractuelle,
l’ordre public gouveme 1’exercice
de tous les droits civils y compris celui d’obtenir r6paration pour le manquement A
une obligation extracontractuelle5 . Par exemple, dans l’affaire Suite c. Cooke, oii l’on
traite de la responsabilit6 d’un gyn6cologue pour sa n6gligence dans une proc6dure de
st6rilisation (action en wrongful pregnancy et wrongful life), le tribunal s’interroge ‘a
savoir si les valeurs fondamentales de la soci6t6 qu6b6coise, l’ordre public, s’opposent
A l’octroi de dommages pour la naissance d’un enfant en pleine sant6. De la meme
mani~re, il convient maintenant de questionner la l6gitimit6 du recours de l’enfant
contre sa mere pour dommages pr6natals en fonction de consid6rations relevant de
l’ordre public. Nous soutenons qu’un tel recours est contraire ‘ l’ordre public notam-
ment parce qu’il enfreint le droit ‘a l’int6grit6 physique de la femme enceinte (A), de
meme que son droit ‘a la protection de sa vie priv6e (B). Nous restreignons ainsi notre
analyse de l’ordre public ‘a ces deux principes, car ils sont explicitement prot6g6s tant
dans le Code civil du Quibec que dans la Charte qudbicoise.
2 Principe inspir6 de la maxime romaine infans conceptus pro nato habetur quoties de commodis
ejus agitur.
16 Ljveillj, supra note 6.
27 B. Lefebvre, <
149
lap. 152.
Voir entre autres les articles 1373, 1411 et 1413 C.c.Q.
29J.-L. Baudouin, La Responsabilit6 civile, 4! &i., Cowansville (Qc.), Yvon Blais, 1994, au para.
215.
‘o [1995] R.J.Q. 2765, R.R.A. 849 (C.A.); voir aussi Engstrom c. Courteau, [1986] R.J.Q. 3048
(C.S.) et Cataford c. Moreau, [1978] C.S. 933.
324
MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROITDE MCGILL
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A. Inviolabilit6 de la personne
Le droit A l’inviolabilit6 de la personne est au coeur des valeurs ddfendues par la
soci6t6 qu6b6coise et canadienne. Chacun, an nom de sa dignit6 et de son autonomie
d6cisionnelle, m6rite d’8tre protdg6 contre toute atteinte non consentie a son int6grit6
physique”1 . Ce principe se retrouve justement codifi6 aux articles 3 et 10 C.c.Q. ainsi
qu’A Particle premier de la Charte qudbdcoise :
tion de l’int6grit6 physique est a ce point aner6e dans notre tradition juridique qu’un
patient peut 16gitimement ddcliner tout traitement, alors mgme qu’un tel refus se sol-
dera in6vitablement, et dans un avenir rapproch6, par le d6cs .
De ce qui pr6c~de ddcoule logiquement le principe vonlant que nul ne peut etre
contraint d’utiliser son corps an profit d’une autre personne, meme si la vie de celle-ci
est en danger”. Or, c’est indirectement ce qu’on exigerait de la femme enceinte si le
recours intent6 dans Dobson 6tait accueilli. En effet, la future mhre n’aurait nul autre
choix, face h la menace de sanctions civiles ex post facto, que de subir diverses at-
teintes h son int6grit6 physique an profit de l’enfant A naitre: traitements m6dicaux,
contr6le de ses activit6s sportives et professionnelles, de son r6gime alimentaire, etc.
Ultime affront : elle pourrait un jour devoir consentir un avortement ou A une quel-
conque th6rapie fcetale, sachant son enfant atteint d’une malformation g6n6tique
grave, par peur d’6ventuelles repr6sailles juridiques de la part de celui-ci ‘ . Tout re-
cours en responsabilit6 contre la femme enceinte pour un pr6judice inflig6 au retus
est donc contraire A l’ordre public parce qu’il viole l’int6grit6 physique de la femme.
” . Deleury et D. Goubau, Le Droit des personnes physiques, 2! &l., Cowansville (Qc.), Yvon
Blais, 1997, aux pp. 92-96.
” Voir par ex. Nancy B. c. H6tel-Dieu de Qudbec, [1992] RJ.Q. 361, 86 D.L.R. (4) 385 (C.S.);
voir aussi Manoir de la Pointe Bleue (1978) c. Corbeil, [1992] RJ.Q. 712 (C.S.) ; et Malette c. Shul-
man (1990), 72 O.R. (2′) 417,67 D.L.R. (4’) 321 (C.A.).
” R.D. Bell, (Prenatal Substance Abuse and Judicial Intervention in Pregnancy: Winnipeg Child
and Family Services v. G.(D.E)o (1997) 55 U.T. Fac. L. Rev. 321
la p. 329 :
> Pour le moment, Faction en wrongful life est, en g6nral, proscrite tant au Royaume-Uni, qu’au
Canada et aux ttats-Unis : voir entre autres Mackay c. Essex Area Health Authority, [1982] 2 W.L.R.
890 (R.U. C.A.) ; Arndt c. Smith (1994), 21 C.C.L.T. (2′) 66,93 B.C.L.R. (2) 220 (B.C. S.C.) ; Bader
c. Johnson, 675 N.E.2d 1119 (Ind. C.A. 1997).
” Canada, Rapport final de la Commission royale sur les nouvelles techniques de reproduction : Un
virage a prendre en douceur, vol. 2, Ottawa, La Commission, 1993 A lap. 1087 [ci-apris Rapport].
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A.-RAVARDETB.M. KNOPPERS – LAFFAIRE DOBSON
B. Protection de la vie prive
Par ailleurs, le recours 6tudi6 porte gravement atteinte au droit de chacun
la
protection de sa vie priv6e, droit garanti par les articles 35 C.c.Q. et 5 de la Charte
quibicoise’. L’objet et le contenu de ce droit sont ainsi d6finis :
Le respect de la vie privde se traduit essentiellement par un devoir de non-
immixtion, de non-ingdrence dans les affaires d’autrui. […I Cette tranquillit6,
qui est une valeur psychologique protdgde, rev& de multiples aspects concrt-
tement dissemblables: demeurer inconnu ; n’6tre pas 6pi6 ; […J ne pas 6tre
comptable des actes de son existence quotidienne” [nos italiques].
Or, en accueillant le recours du nouveau-n6 contre sa m~re pour prdjudice in utero,
c’est justement 1’ensemble des choix et gestes quotidiens les plus banals de la femme
enceinte – par exemple, les comportements qui, ordinairement, n’auraient aucun im-
pact sur les tiers comme l’alimentation ou le rythme de vie –
que le syst6me judi-
ciaire risque d’examiner au microscope . Jamais un recours extracontractuel n’a af-
fect un aussi vaste 6ventail de facettes de 1’existence intime et privde d’un individu.
L’ ordre public s’oppose donc h toute violation de la dignit6 de la femme enceinte
par l’entremise du recours en responsabilit6 pour dommages prdnatals. De surcrolt,
compte tenu de l’6tat actuel des connaissances scientifiques, la preuve de la responsa-
bilit6 de la femme enceinte, et plus particulirement le lien de causalit6 entre le com-
portement reproch6 et l’6tat physique ou mental du nouveau-n6, s’av~re fort complexe
ht d6montrer : <<[L]a nature ayant 6galement une part L jouer dans le ddveloppement
foetal, les r6les sont parfois difficiles h d6partager en mati6re de responsabilit&>“3 .
Mais, malgr6 l’impossibilit6 de tenir une m~re civilement responsable envers 1’enfant
qu’elle porte, le foetus ne doit pas demeurer sans protection aucune.
III. Les strategies de protection du fetus
Tons s’entendent sur un point: il est vital de promouvoir la santd des enfants et
ce,
tous les stades de leur d6veloppement, y compris celui d’embryon on de fcetus.
D’ailleurs cette pr6occupation est prdsente depuis fort longtemps. Ds 1959, la Dicla-
ration des droits de l’enfant’ formulde par I’ONU 6nongait en pr6ambule : <
la p. 619: <([...] in order to enforce
fetal rights [...], the state would necessarily intrude in the most private areas of a woman's life. The
state would have to police what a woman ate and drank, the types of physical activity in which she
engaged, with whom and how often she had sexual intercourse, and where she worked -
to name
only a few areas of regulation>.
” Bemardi, supra note 5 lap. 197.
40 Rds. AG 1386 (XIV), Doec. off. AG NU, 14! sess., supp. n 16, Doec. NU A/4354 (1959) 19.
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MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROITDE MCGILL
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dique appropride, avant comme aprs la naissance>> [nos italiques]”. Ce besoin de
protection est manifeste lorsque l’on consulte les statistiques canadiennes : en 1990,
5.5 % des nouveau-n6s naquirent avec un poids insuffisant, 34 % des femmes en age
de procr6er d6clar~rent fumer r6gulirement alors que 15 % des femmes de 25 44
ans dirent mener une vie tr~s stressant&2. De plus, on estime, et ce de mani~re conser-
vatrice, qu’entre un et trois enfants sur 1000 naissent affect~s du syndrome
d’alcoolisme fcetal dans les pays industrialisfs 43. In6vitablement, ces individus mal-
chanceux vivront avec de graves probl~mes de sant6, en plus de voir leur avenir pro-
fessionnel et personnel grandement hypothdqu6.
Tant dans Dobson que dans Winnipeg, la Cour supreme a,
juste titre, renvoy6 la
balle au l6gislateur dans le dossier de la protection de la sant6 du fcetus. Par exemple,
le juge Cory affirmait ceci dans Dobson: <
s’offrent alors au 16gislateur afin de promouvoir le bon d6roulement des grossesses ?
Parmi celles-ci,
laquelle s’av~re la plus souhaitable: une approche 9tatique-
inteiventionniste (A), centr6e sur la sanction de comportements r6pr6hensibles chez la
femme enceinte, ou une approche socio-sanitaire (B), soucieuse d’encadrer, tant m6-
dicalement que socialement, la matemit6 afin de pr6venir les problhmes de d6velop-
pement chez le fcetus ?
A. Approche 6tatique-interventionniste
Un des premiers r6flexes du l6gislateur face h un problhme social est de faire ap-
pel au droit criminel. Nous pourrions ainsi imposer des sanctions p6nales contre la
femme enceinte pour ses comportements nuisibles pour la sant6 du fcetus. Prsente-
ment, le Code criminel’ est relativement muet sur la question et ne pr6voit pas expres-
” Ce principe est rdaffirm6 en pr6ambule de la Convention relative aux droits de l’enfant, 20 no-
vembre 1989, 1577 R.T.N.U. 3, R.T. Can. 1992 n 3 (entrde en vigueur: 2 septembre 1990, accession
du Canada 1992).
4 Institut canadien de la sant6 infantile (ICSI), La Sant des enfants du Canada: Profil realisipar
I’ICS, 2 &l., Ottawa, ICSI, 1994 aux pp. 15-40.
41 Sant6 Canada,
‘alcoolisme et les toxicomanies
aprs vD&laration conjointe>>]. Le syndrome d’alcoolisme fetal est une entit6 clinique qui englobe
une sdrie d’anomalies associ6es
la consommation d’alcool pendant la grossesse. Les effets chez
l’enfant peuvent etre tr~s importants : retard de croissance prenatal et/ou postnatal, atteinte du syst~me
nerveux central, troubles du comportement, troubles d’apprentissage, d6ficits intellectuels, etc.
” Dobson, supra note 2 au para. 48.
4’L,R.C. 1985, c. C-46.
2000]
A.-RAVARDETB.M. KNOPPERS – LAFFAIRE DOBSON
s6ment de telles sanctions . En 1989, la Commission de r6forme du droit au Canada
avait pourtant propos6 une solution plus
bie-Britannique :
mhe powers of the superintendent to apprehend are restricted to living chil-
dren that have been delivered. Were it otherwise, then the state would be able to
confine a mother to await her delivery of the child being apprehended. For the
apprehension of a child to be effective there must be a measure of control over
the body of the mother. Should it be lawful in this case to apprehend an unborn
child hours before birth, then it would logically follow that an apprehension
could take place a month or more before term. Such powers to interfere with
the rights of women, if granted and if lawful, must be done by specific legisla-
tion and anything less will not do55.
Malgr6 ces sporadiques tentatives d’intervention 6tatique dans la grossesse, c’est
du c6t6 du gouvemement f6dral que l’on assiste pr6sentement au plus explicite d6bat
naitre. En effet, la Chambre des
concernant la protection de la sant6 des enfants
communes est 6tudier le Projet de loi C-243 ‘ qui modifierait l’article 218 du Code
criminel afin de punir certains comportements de la femme enceinte en plus de per-
mettre toute ordonnance n6cessaire A la protection du fetus 7 :
” Voir Re Children’s Aid Society for the District of Kenora and J.L (1981), 134 D.L.R. (3d) 249
(C.P. Div. fam. Ont.) ; voir aussi Re Supt. of Family and Child Service and McDonald (1982), 135
D.L.R. (3d) 330,37 B.C.L.R 32 (B.C. S. C.).
“(1988), 53 D.L.R (4′) 69,30 B.C.L.R. (2′) 237 (B.C. S.C.) [ci-aprbs Re Baby RI.
S.B.C. 1980, c. 11, art. 1.
“Re Baby R., supra note 53 t la p. 80. Voir 6galement Re A. (in utero) (1990), 72 D.L.R. (4) 722,
75 O.R (2) 82 (Ont. Unif. Fain. Ct.). Dans cette affaire, le tribunal a jug6 que la d6finition du terme
cenfant> dans ]a Loi sur les services a l’enfance et i lafamille ne confere pas de statut ni de droit au
foetus A la protection contre les abus de la mre. Le juge Steinberg rejette express~ment les conclu-
sions du juge Kirkland dans Re Children’s Aid Society and T (1987), 59 O.R. (2) 204, 7 R.EL. (3′)
191 (C.P. Div. Fam.). Dans cette affaire, le tribunal avait conclu qu’un foetus pouvait b6n6ficier de la
protection de la Loi sur les services & l’enfance et a lafamille.
” P.L. C-243, Loi modifiant le Code criminel (protection de l’enfant avant sa naissance), 1″ sess.,
36′ Parl., 1997, art.l (I’ lecture le 9 octobre 1997). Ce projet de loi fut pr6sent6 par un d6put6 de
l’opposition (bill priv6).
” Du c6t6 des ttats-Unis, peu de dispositions 16gislatives ne conferent si explicitement des droits au
foetus 4 l’encontre de la libert6 et l’int~grit de la femme enceinte. En revanche, les tribunaux de la
Caroline du Sud ont accept6 d’interpr~ter les lois de protection des enfants afin d’imposer des sanc-
tions criminelles A une femme pour son comportement r6pr6hensible A l’6gard du fetus lors du troi-
2000]
A.-RAvARDETB.M. KNOPPERS -LAFFAIRE DOBSON
329
218.(1) Pour 1’application du present article, <
foetus que sa mere n’a pas l’intention arrte de faire avorter.
(2) Quiconque 6tant enceinte consomme, sciemment ou sans se soucier des
consequences de son acte, une substance qui nuit ou est susceptible de
nuire 4 la croissance, au d6veloppement ou
la sant6 d’un enfant
qu’elle porte est coupable d’un acte criminel et passible d’un empri-
sonnement maximal d’un an.
(3) Lorsqu’une personne a commis l’infraction vise au paragraphe (2), si
le tribunal estime qu’il est n6cessaire de rendre une ordonnance visant A
prdvenir la perpetration d’une nouvelle infraction par cette personne a
1’6gard du m~me enfant, il peut rendre l’une ou l’autre des ordonnances
suivantes :
(a) une ordonnance confinant la personne A un h6pital ou h un autre
6tablissement appropri dans lequel l’acc~s aux substances nocives
est contr616 pour le temps que le tribunal estime n6cessaire pour la
protection de la croissance, du d6veloppement et de la sant6 de
1’enfant ;
(b) une ordonnance de soumettre la personne au traitement que le tri-
bunal estime ntcessaire pour la protection de la croissance, du d6-
veloppement et de la sant6 de l’enfant.
Ces strategies 16gislatives qui pr6nent la
des femmes enceintes et l’intervention forcte sur leur personne, ne s’av~rent pas la
solution idale. D’abord, suite h notre analyse des decisions de la Cour supreme et des
si~me trimestre de sa grossesse (consommation de drogue): Whitner c. State, 492 S.E.2d 777 (S.C.
Sup. Ct. 1997). Mais, aucun autre 6tat n’a accept6 d’interprter sa l6gislation de cette manire: voir
Reinesto c. Superior Court of State In and For County of Navajo, 894 P.2d 733 (Ariz. C.A. 1995);
Reyes c. Superior Court, 75 Cal. App.3d 214 (C.A. 1977); Johnson c. State, 602 So.2d 1288 (Fla.
Sup. Ct. 1992); State c. Luster, 419 S.E.2d 32 (Ga. C.A. 1992); People c. Hardy, 469 N.W.2d 50
(Mich. C.A. 1991) ; People c. Morabito, 580 N.Y.S.2d 843 (Co. Ct. 1992) ; Sheriff, Washoe County,
Nev. c. Encoe, 885 P.2d 596 (Nev. Sup. Ct. 1994); State c. Gray, 584 N.E.2d 710 (Ohio Sup. Ct.
1992) ; Collins c. State, 890 S.W.2d 893 (Tex. C.A. 1994) ; State c. Dunn, 916 P.2d 952 (Wash. C.A.
1996). De surcrolt, en g~nral, les 6tats amricains n’ordonnent pas la d6tention d’une femme en-
ceinte et l’imposition de soins au profit du foetus : In re Steven S., 126 Cal. App.3d 23 (C.A. 1981) ;
State ex rel. Angela M.W. c. Kruzicki, 561 N.W.2d 729 (Wis. Sup. Ct. 1997) ;Matter ofDittrick Infant,
263 N.W.2d 37 (Mich. C.A. 1977) ; Taft c. Taft, 446 N.E.2d 395 (Mass. Sup. Ct. 1983). Voir toutefois
les decisions amficaines qui autorisent le m&tecin A proc&Ier t une c~sarienne ou k une transfusion
sanguine en l’absence du consentement de la femme enceinte alors que le fetus a atteint la viabilit6:
Raleigh Fitkin-Paul Morgan Memorial Hospital and Ann May Memorial Foundation in Town of
Neptune c. Anderson, 201 A.2d. 537 (NJ. Sup. Ct. 1964) ; Jefferson c. Griffin Spalding County Hos-
pital Authority, 274 S.E.2d 457 (Ga. Sup. Ct. 1981) ; Application of Jamaica Hosp., 491 N.Y.S.2d
898 (Sup. Ct. 1985) ; Crouse Irving Memorial Hosp. c. Paddock, 485 N.YS.2d 443 (Sup. Ct. 1985) ;
In re A.C., 533 A.2d 611 (D.C. C.A. 1987). Voir enfin J.K. Levy,
J.L., Med.& Eth. 171.
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MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE MCGILL
[Vol. 45
valeurs sous-jacentes, on peut douter de la constitutionnalit6 de telles mesures8 . De
plus, outre l’atteinte consid6rable A l’int6grit6 physique et au droit A la protection de la
vie priv6e de la femme enceinte”‘, plusieurs croient que ces politiques draconiennes
auraient un impact pernicieux sur la sant6 des femmes et celle de leur enfant a naitre.
Imposer des sanctions contre la femme enceinte, c’est s’enliser dans un cercle vi-
cieux par lequel la soci6t6 ne fait qu’exacerber le degr6 de culpabilit6 et de honte d6j
fort important chez celles dont le comportement pose des risques pour la sant6 de leur
futur b6b6. Par cons6quent, les femmes enceintes pourraient h6siter A consulter un
professionnel afin d’obtenir des soins pr6natals et ce, par crainte que ce sp6cialiste ne
d6couvre la moindre negligence qui risquerait d’endommager le fcetus. La relation de
confiance, pierre angulaire du rapport m6decin-patient, est donc totalement incompa-
tible avec l’approche coercitive. La Soci6t6 des obst6triciens et gyn6cologues du Ca-
nada, h l’image de bon nombre d’associations m6dicales tant au Canada qu’aux ttats-
Unis, est de cet avis :
It is false to assume that intervention will necessarily benefit the fetus. Inter-
vention discourages women whose fetuses may be most at risk from seeking
medical care, as it erodes the trust necessary for pregnant women to gain access
to prenatal care and other services that could help to promote the birth of
healthier infants. The physician must remain a conduit to care for pregnant
women, an advocate for access to appropriate services”.
En outre, l’efficacit6 de cette forme de protection de la sant6 des enfants A naitre
est discutable parce que le risque le plus 61ev6 de pr6judices irr6parables chez le retus
existe au cours des premieres semaines suivant la conception, alors que fr&tuemment,
]a femme ne sait meme pas qu’elle est enceinte. Comment peut-on alors pr6tendre que
” M. Jackman, The Canadian Charter as a Barrier to Unwanted Medical Treatment of Pregnant
Women in the Interests of the Foetus>> (1993) 14 Health L. Can. 49 ; voir aussi Bell, supra note 33.
>9 Voir ]a section ll.B. du pr6sent commentaire.
Colombie-Britannique, Ministry for Children and Family, <
bre 1999) : <
(1997), en ligne:
American Academy of Pediatrics, Committee on Substance Abuse,
d’acc& : 27 juillet 1999) ; American Nurses Association,
aux pp. 1085-86.
2000]
A.-RAVARDETB.M. KNOPPERS – L’AFFAIRE DOBSON.
l’imposition de sanctions criminelles et leur effet dissuasif pourront b6n6ficier h
l’enfant <
Par ailleurs, ouvrir la porte A l’intervention judiciaire dans 1’existence de la
femme enceinte, c’est s’aventurer en terrain glissant. En effet, dans le contexte actuel
ott les progr~s fulgurants de la g6ndtique et du d6pistage prdnatal ne cessent d’dtonner,
permettre h l’ttat de s’ingirer dans le pouvoir purement personnel de la procrdation
pourrait mener 4 des rdsultats inddsirables. Entre forcer une femme h subir des traite-
ments dans l’intert du fcetus et contraindre celle-ci h se faire avorter en raison du r6-
sultat d’un examen prdnatal rdvdlant une malformation grave chez le fetus, il n’y a
qu’un pas h franchir63. Ne risque-t-on pas alors de voir le spectre de l’eug6nisme re-
faire surface au nom de la protection de l’int6rt du fcetus et de la socidt6′ ?
En fait, c’est la dignit6 de la femme, sa place an sein de la socirtd canadienne et
nouveau de tout ce ddbat entourant la criminalisation et le
qudbdcoise qui souffre
traitement du comportement abusif de la femme enceinte :
[L]es d~cisions tendant h criminaliser la conduite de la femme pendant la gros-
sesse sont rdvdlatrices en ce qu’elles renvoient une certaine perception du r61e de
celle-ci, r~duite une activit6 de pondeuse. Ainsi considre sous le seul angle
de la reproduction humaine, la femme perd sa qualit6 de personne capable,
douse de raison, pour ne devenir qu’un appareil reproducteur qu’il faut contrfler
pour en assurer le bon fonctionnement jusqu’h ce que le travail soit complte.
En plus de devoir traditionnellement porter la majeure partie du fardeau dconomique
et social reli h la grossesse, les femmes seraient transformres en
sant6 de 1’enfant naitre. Vue sous cet angle, la grossesse deviendrait un veritable ris-
que juridique pour bon nombre de femmes. Decider de mener
terme sa grossesse
pourrait signifier s’exposer an regard inquisiteur de l’Ittat sur ses choix personnels
jusqu’h la menace d’une intervention forcde sur son corps. Ne risque-t-on pas alors de
percevoir un impact ndgatif sur le taux de natalit6 en plus de constater un accroisse-
ment dans la pratique des avortementse ?
De surcroit, on pent pr6dire que dans bon nombre de cas, ce seront des femmes
issues de milieux ddfavorisds, n’ayant que pen on pas de contr6le sur la situation de
mis~re dans laquelle elles se trouvent, qui feront l’objet des mesures coercitives :
62 S. Martin et M. Coleman, <
p. 982.
63 k l’heure actuelle, un organisme amdricain sans but lucratif offre une compensation mon6taire
aux femmes d~pendantes de la drogue qui acceptent de se faire striliser: voir T. Robertson,
A14.
6′ D. Heyd,
Questions d’ordre dthique etjuridique lides aux nouvelles techniques de reproduction : Grossesse et
parentalitd, Collection d’6tudes de la Commission royale sur les nouvelles techniques de reproduc-
tion, vol. 4, Ottawa, La Commission, 1993 A lap. 102.
” C. MacIntosh, <
proaches to “fetal abuse” are simplistic, dualistic, and based on premises which may be more harmful
than helpful, both to women overall and to pregnant women in particular. In general, these positions
have tended to over-represent the power of individual women to control the well-being of their pre-
gnancies, while ignoring such factors as the impossibility of many women to control or prevent acts
of violence directed at them which simultaneously impact upon women’s well-being and that of a de-
veloping fetus. Although children whose fetal development has been damaged by truly preventable
causes are certainly victims, it is clearly naive to assert that such damage can be averted by controlling
women while allowing the conditions which lead to fetal damage to continue to occur (e.g. battering
by male partners directly, or substance abuse that may be the response to such battering)>.
69Rodgers, supra note 67 t lap. 103.
70Jacob, supra note 51 A lap. 80.
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A.-RAVARDETB.M. KNOPPERS – L!AFFAIRE DOBSON
333
guent A la fois la dignit6 de la femme et le droit de l’enfant de d6buter sa vie dans les
meilleures conditions possibles. Tout cela passe n6cessairement par un changement
dans la conception sociale de la relation m~re-fetus : la femme enceinte et l’enfant
qu’elle porte ne sont pas des adversaires 16gaux; la femme enceinte n’est pas
d’amour et de proximit6. Ds qu’elle se sait enceinte, la future m6re a donc un devoir
moral envers cet <<6tre> qu’elle porte: elle devra faire des choix, des sacrifices afin
d’offrir au foetus un d6veloppement optimal. Une telle responsabilit6 ne saurait exister
sans un soutien constant et compr6hensif de la part du milieu :
La meilleure fagon de proc&ler n’est pas de contraindre les fenmes enceintes A
adopter certains comportements, mais plutrt de leur offrir un environnement
qui les soutient et qui les aide, dans lequel cies peuvent prendre des d6cisions
6clair6es et choisir parmi les solutions r6alistes qui s’offrent
elles avant et
pendant leur grossesse’.
B. Approche socio-sanitaire
L’approche socio-sanitaire cherche justement a ddtourner les projecteurs de la
femme enceinte pour conscientiser la population h l’effet que la sant6 des nouveau-
n6s est une question qui concerne 1’ensemble de la socidt6. Contrairement h
l’approche 6tatique-interventionniste qui ne fait que r6agir A une situation probldmati-
que, 1’approche socio-sanitaire <
tions durables par un soutien aux femmes enceintes. Cet encadrement social de la
maternit6 se traduit par trois concepts : sensibilisation, pr6vention et traitement.
D’abord, il est primordial de sensibiliser 1’ensemble de la population et ce, d~s le
moment oit les individus sont en age de procr~er, quant A l’impact des choix de mode
de vie sur la sant6 et le bon d6veloppement de l’enfant A naitre=. Cela passe notam-
ment par l’identification prdcise, preuves h l’appui, des comportements potentielle-
ment n6fastes, tels la consommation d’alcool, de drogues, de tabac ainsi que la mal-
nutrition. De plus, des campagnes d’6ducation devraient cibler et s’adapter plus parti-
culi~rement aux groupes A risques, tout en insistant sur la responsabilit6 du p~re dans
le bon ddroulement de la grossesse et sur son r6le primordial h titre de soutien moral,
affectif et 6conomique. Enfin, il importe de fournir aux membres de la profession m6-
dicale les outils n6cessaires pour rdagir efficacement : une formation complte en ma-
ti~re de sant6 pr6natale et surtout, une sensibilisation quant aux ressources commu-
nautaires disponibles pour le soutien des femmes enceintes. Ainsi, ils pourront mieux
conseiller leurs patientes face aux choix auxquels elles seront confront6es, en plus de
d6celer rapidement celles qui auront un comportement A risque pour mieux les orien-
ter vers les soins et ressources approprids. Tel que l’affirme Sant Canada:
Les efforts de prevention devraient 8tre dirig~s vers les femmes avant et pen-
dant la priode de la procrdation, de mme que vers les personnes qui ont de
7’Rapport, supra note 35 4 lap. 1090.
7Ibid., voir en particulier la recommandation 275
lap. 1093.
MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROITDE MCGILL
[Vol. 45
1’influence sur elles, entre autres, leur partenaire, leur famille et les membres de
la collectivit6. Tous les efforts doivent tenir compte de la famille et du milieu
culturel, autrement dit, cibler aussi bien la femme enceinte que son partenaire
et son milieu familial dans le contexte de la collectivit6 A laquelle ils appartien-
nent. De plus, Us doivent reposer sur une d6marche intdgrde, en d’autres ter-
mes, mobiliser tous les services que suppose la prise en compte des besoins
souvent complexes de ces femmes sur les plan social, dconomique et affectif 3.
Mais, une campagne d’&Iucation ne saurait avoir un impact substantiel sur la sant6
des nouveau-n6s si elle ne s’accompagne pas de mesures additionnelles de pr6vention.
Par exemple, I’ttat devrait mettre en place un programme d’assistance directe aux fem-
mes enceintes dans le besoin sous forme, par exemple, d’oetrois d’allocations pr6natales
et de compl6ments alimentaires ou vitaminiques?. De plus, l’!tat devrait faciliter l’acc~s
aux femmes enceintes A des sp6cialistes, tels des nutritionnistes, capables de les guider
dans leurs choix personnels lorsque vient le temps de la grossesse.
Plus important encore, la promotion de la sant6 des nouveau-nes passe par
l’am6lioration g6n6rale des conditions 6conomiques et sociales des families les plus
pauvres. En effet, la pauvret6 repr6sente un facteur responsable en grande partie des
troubles de sant6 chez les nouveau-n6s75. Dans un rapport am6ricain, on constate A
quel point les efforts de r6duction de ]a pauvret6 sont n6cessaires
la lutte contre les
problmes de sant6 chez les nourrissons :
Ultimately, however, the nation’s persistently high rate of low birth weight would
be most effectively addressed through a dedicated, national commitment to as-
suring adequate support to individuals and families, including ample income and
health care. Sufficient evidence is available to point to significant health benefits
of an integrated approach to health and well-being, incorporating high-quality
medical care with protections against poverty and its circumstances’.
Enfin, ]a soci6t6 devrait faciliter l’acc~s des femmes enceintes aux soins de sant6,
particuli~rement aux programmes de d6sintoxication, ainsi qu’At un <
sonnalis6 et adapt6 h leurs besoins.
La mise en oeuvre de ces politiques d’inspiration socio-sanitaire s’av~re donc la
vole A suivre. Plus compatible avec le droit de la femme A l’autonomie en mati~re de
73 %D6claration conjointe>, supra note 43.
” A l’heure actuelle, un tel programme existe notamment au niveau du gouvemement fd6dral. Ce
programme, chapeaut6 par Sant6 Canada, est appel6
finance des projets locaux d’aide A la matemit6 tant avant qu’aprs la nalssance. Voir le site internet de
Sant6 Canada:
” D. Hughes et L. Simpson,
temps 1995), en ligne:
(date d’acc~s:
28 octobre 1999): (
76Ibid.
2000]
A.-RAVARD ETB.M. KNOPPERS – IAFFAIRE DOBSON
335
procrdation et le respect de son intdgrit6 physique, parions que rencadrement de la
grossesse permettra aux enfants du pays de d6buter leur vie du bon pied. C’est
d’ailleurs l’opinion de plusieurs organismes dont La Socidt6 des obstdtriciens et gyn6-
cologues du Canada:
The SOGC recommends that adequate ressources should be made available for
the development of effective programmes and services to ensure that all preg-
nant women have access to good health care, proper counselling and rehabili-
tation, safe living conditions, and adequate nutrition. Rather than forced medi-
cal intervention, improvement in communication and counselling in a non-
judgmental fashion is the best approach for resolving differences in medical
opinion and patient perspective. The primary objective of physicians who work
with pregnant women should be to promote the women’s health and well-being
while respecting their autonomy.
Conclusion
Le ddbat sur les droits du foetus et de la femme qui le porte n’est certes pas clos.
Mais la Cour supreme du Canada, notanment dans l’affaire Dobson, indique assez
justement l’optique dans laquelle la soci6t6 queb6coise et canadienne doit poursuivre
sa r6flexion quant 4 la promotion de la sant6 fcetale. Celle-ci se trouve beaucoup
mieux servie par une approche socio-sanitaire>>, plus compr6hensive, que par
l’imposition de sanctions ou la menace d’une ordonnance judiciaire de traitement de
la femme enceinte. La sant6 de l’enfant h naitre ne concerne pas que la future m~re : iH
s’agit d’un problkme de socidt6 dont la solution passe par la prdvention et le soutien
des fernmes enceintes h tous les stades de leur grossesse. Cette approche pr6ventive,
plut6t que coercitive on punitive, ne s’inscrit-elle pas dans la volont6 de plus en plus
ferme, en droit canadien, de rechercher des alternatives viables h la justice p6nale ?
Aprhs plus d’une ddcennie de debats juridiques opposant la m~re an fetus, n’est-il
pas temps de toumer la page ? Avec l’6mergence de la th6rapie fetale et d’une mde-
cine pr6-conceptuelle, nous avons donc besoin plus que jamais, tant en droit civil qu’en
common law, d’une confirmation 16gislative sans 6quivoque de l’autonomie de la femme
enceinte dans la procr6ation et, notanment, d’une reconnaissance inconditionnelle de
l’immunitd de la mbre contre toutes poursuites en rdparation de pr6judices in utero.
77 SOGC Guidelines>>, supra note 61 a lap. 2.
Voir b ce sujet la Commission du droit du Canada: J.J. Llewellyn et R. Howse, La Justice rdpa-
ratrice : cadre de rdflexion>, en ligne :
27 octobre 1999).