19951
J. LECLAIR – EFFETS DE COMMERCE
L’interaction entre le droitprive fidral et le
droit civil qudbecois en mati re d’effets de
commerce : perspective constitutionnelle
Jean Leclair”
L’auteur 6tudie les principes constitutionnels qui gou-
vement l’interaction entre le droit priv6 f~dlral et le droit
civil provincial. II examine plus particulihrement le secteur
du droit des effets de commerce, et ce, pour les deux motifs
suivants : premi:rement, le lettres de change et les billets A
ordre relvent de la comptence exclusive du Parlement fd-
dtral aux termes de la Loi constitutionnelle de 1867, alors
que les provinces detiennent une compdtence de principe en
druit privd ; deuxikmement, la Loi sur les lettres de change
comporte une disposition qui rend applicable, h titre suppl6-
if, les rfgles de Ia comnon lav d’Angleterre.
Dans un premier temps, l’auteur expose les difftrents
problkmes qui, en pratique, sont engendr~s au Quebec par la
rencontre des traditions frangaise et anglaise dans le do-
maine des lettres de change et des billets hk ordre, ainsi que
les solutions proposdes par les tribunaux et par ]a doctrine
pour rsoudre ces conflits –
approches dites littdrale, inter-
prtative et constitutionnelle.
Une fois cette mise en situation effectu6e,
‘auteur
analyse la portde du pouvoir excusif et du pouvoir acces-
soire du Parlement fdral en matikre de billets et de lettres
de change. Cette 6tude le porte 1k conclure que rien ne
s’oppose AI ‘application, h titre compldmentaire, du droit
provincial en matikre de lettres de change et de billets (y
compris les ddlais de prescription), darns la mesure oi ce
droit provincial ne porte pas atteinte au contenu spdcifique-
ment fddral de la compdtence reconnue au Parlement fded-
ral aux termes du paragraphe 91(18) de ]a Loi constittion-
helle de 1867. L’auteur
constate dgaement que
l’interptation restrictive donnde au texte de la disposition
de renvoi fdrale se justifie pleinement au regard du droit
constitutionnel canadien. It est d’avis que le pouvoir acces-
soire ne peut pas justifier l’adoption d’une disposition aussi
imprecise et envahissante. 1 fonde en partie cette conclusion
sur l’interprtation donnde ii des dispositions de renvoi simi-
laires adoptdes
l1’6tranger.
In examining the constitutional principles that underlie
the interaction between federal private law and provincial
civil law in the area of negotiable instruments, the author is
guided by two considerations: first, the fact that bills of ex-
change and promissory notes are among the exclusive pow-
ers of the federal parliament; second, a rule found in the
Bills of Exchange Act which gives suppletive effect to rules
originating from English common law.
The analysis starts with a description of the various
problems that arise from the interaction of the French and
English legal traditions in the areas of bills of exchange and
promissory notes. The author then looks at how doctrine and
the courts have resolved some of these problems and identi-
fies three distinctive approaches that he describes as literal,
interpretative and constitutional.
The focus then shifts to an analysis of the scope of
Parliament’s exclusive and ancillary powers in this field.
The author concludes that where provincial law does not
impinge on the federal power found in subsection 91(18) of
the Constitution Act, 1867 as it has been defined by the
courts there is no reason why provincial law cannot apply in
the area of negotiable instruments, including prescription.
Furthermore, in light of current Canadian constitutional law,
he welcomes the restrictive interpretation that the courts
have given to the wording of the reference article. In his
opinion, Parliament’s ancillary power cannot suffice to jus-
tify the adoption of a rule as unclear and imposing as the
reference article. In coming to this conclusion he draws on
the experience of other countries with similar reference
provisions.
. Professeur de droit a l’Universit6 de Montrdal et membre du Barreau du Quebec. L’auteur tient i
exprimer sa gratitude aux professeurs Frangois Chevrette et Albert Bohmier qui ont bien voulu lire et
commenter le manuscrit de cet article. L’auteur demeure cependant entirement responsable des ides
avancdes darts ce texte.
Revue de droit de McGill
McGill Law Journal 1995
Mode de rtftrence: (1995) 40 R.D. McGill 691
To be cited as: (1995) 40 McGill Li. 691
MCGILL LAW JOURNAL/REVUE DE DROITDE MCGILL
[Vol. 40
Introduction
Sommaire
I. L’ tat du droit: l’interp~n~tration du droit civil qu6b6cois et du droit f~d-
ral des effets de commerce
A.
Illustrations des difficultis engendries en matire d’effets de commerce
par la rencontre des traditions franfaise et anglaise
B. La nature du droit complimentaire applicable en matire d’effets de
commerce : tentatives de rationalisation jurisprudentielle et doctrinale
1.
2.
3.
L’ approche litt6rale
L’approche interpr6tative
L’approche constitutionnelle
II. L’explication constitutionnelle de l’tat du droit : l’6tendue du pouvoir f6-
d~ral en matire d’effets de commerce
A. Le contenu spicifiquementfidgral de la competence fdrale en matire
d’effets de commerce : le problme de la prescription
1.
L’exclusivit6 des comp6tences : une question de finalit6s
16gislatives et non de domaines ldgislatifs
L’impact de la nature d’une comp6tence fdd6rale sur
1’applicabilit6 des d6lais de prescription provinciaux
L’impact du nouveau Code civitdu Qujbec en mati~re de
prescription de lettres de change
2.
3.
B. La portde de la compdtence accessoire du Parlementfidgral en matire
de lettres de change : le problhme de l’article 9
1.
2.
Les limites constitutionnelles au pouvoir d’empi6ter
La portde de rParticle 9 A la lumire de son module britannique
Conclusion
1995]
Introduction
J. LECLAR – EFFETS DE COMMERCE
Durer, c’est garder l’identitj a travers le change-
ment, et s’enrichir du changement pour 6tre tou-
jours plus semblable a soi-neine.
L’existence d’une interaction entre le droit priv6 f6d6ral et le droit civil provin-
cial s’impose t l’esprit de tout juriste par son caract~re d’6vidence. Aujourd’hui en-
core, cependant, les fondements et les principes qui gouvernent cette action r6-
ciproque demeurent obscurs, ind6terminds. Quelques vell6it6s de solutions ont bien
6t6 propos6es par certains, mais, dans l’ensemble, on a pr6f6r6 occulter le probl~me
derriere le voile d’affirmations pdremptoires plus parentes de 1’aphorisme que du
raisonnement r6flechi.
Un domaine particulier du droit priv6 f6d6ral a cependant r6ussi h fixer sur lui
1’attention de certains juges et auteurs. II s’agit du droit des effets de commerce.
L’Acte des lettres de change3, adopt6 en 1890, constitue l’exemple parfait d’une
loi f6d6rale relative h un sujet qui, n’efit 6t6 de son attribution au Parlement f6d6ral4,
aurait 6t6 d6clar6 partie int6grante de la compdtence des provinces en mati~re de
<
Cette compdtence de droit priv6 accord6e au Parlement 6tait appelde h soulever
plusieurs problmes, notamment celui de son 6tendue. Jusqu’oi le f6d6ral peut-il
s’aventurer dans l’exercice de son pouvoir 16gislatif en mati~re de billets et de let-
tres de change ? Lui est-il possible de r6gir toutes les facettes contractuelles de la
transaction constitude par 1’effet de commerce ? Qu’advient-il si, face
un pro-
blame particulier, une lecture attentive de la loi porte h conclure qu’elle est muette h
ce sujet ? Doit-on alors recourir aux r~gles de la common law ou h celles du droit
civil qu6b6cois pour solutionner le litige ? Si, au contraire, la loi r~gle sp6cifique-
ment un sujet donn6, doit-on privil6gier la version anglaise ou la version frangaise
du texte lorsque les concepts 6noncds dans l’une ne correspondent pas exactement h
ceux dont 1’autre fait dtat ?
‘J. Guitton, Ce que je crois, Paris, Grasset, 1971 A lap. 89.
” J.-M. Brisson a cependant publi6 r6cemment une 6tude trbs int6ressante sur cette question
L’impact du Code civil du Qu6bec sur le droit f&ldral: une probl6matique>> (1992) 52 R. du B. 345.
L’aspect constitutionnel du problme soulevd par cette interaction n’y est cependant pas examin6 en
d6tail. Enfin, mdrite d’stre lu l’article de Y. Caron, L’interprtation de ]a Loi sur les corporations
commerciales canadiennes en fonction du droit provincial: aspects constitutionnels et interaction du
droit civil et du Common Law>> dans Conf6rences Comm6moratives Meredith, Loi sur les corpora-
tions conunerciales canadiennes, Toronto, Richard De Boo, 1975, 54.
‘S.C. 1890, c. 33, devenu la Loi sur les letres de change, L.R.C. 1985, c. B-4.
Loi constitutionnelle de 1867 (R.-U.), 30 & 31 Vict., c. 3, par. 91(18). Cette disposition 6tend
l’autorit6 l6gislative exclusive du Parlement au domaine constitu6 par ([lies lettres de change et les
billets A ordre.)>
5 Ibid., par. 92(13).
MCGILL LAW JOURNAL/REVUE DE DROITDE MCGILL
[Vol. 40
Notre choix ne s’est pas arrt6 arbitrairement sur ]a Loi sur les lettres de
change. En effet, cette loi comporte une disposition toute particuli~re, laquelle
6dicte ce qui suit:
The rules of the common law of England, including the law merchant,
save in so far as they are inconsistent with the express provisions of this Act,
apply to bills, notes and cheques.
Les r~gles de la common law d’Angleterre, y compris en droit commer-
cial, s’appliquent aux lettres, billets et ch~tues dans ]a mesure de leur compa-
tibilitd avec les dispositions expresses de ]a prdente loif.
Les maints drbats suscitrs par cet article parmi d’6minents juristes ne sont eux-
memes qu’un reflet des divergences d’opinions affichres par la jurisprudence. Des
solutions diverses ont 6t6 proposres, les unes favorisant une application systdmati-
que de la common law quelle que soit ]a nature du probl~me en litige, les autres
avantageant plutt une approche plus nuancde qui autoriserait, dans certains cas, le
recours au droit civil provincial. Cette demi~re solution a toujours recueilli les suf-
frages de la majorit6 des juristes, qu’ils soient auteurs ou juges. Personne, cepen-
dant, n’a vritablement tent6 de concilier cette affirmation d’applicabilit6 du droit
civil provincial en matire d’effets de commerce avec le contexte particulier du f6-
d6ralisme canadien. L’article de renvoi en cause ici nous servira de pr6texte A une
6tude de cette question7.
plus particuli6rement du droit civil qurb6cois –
Dans un premier temps, nous mettrons en lumi~re l’interprnrtration du droit
civil provincial –
et du droit priv6
frdral qui caract6rise le secteur des effets de commerce. l cette fin, nous expose-
rons les diffdrents probl~mes qui, en pratique, sont engendrds par ]a rencontre des
traditions frangaise et anglaise dans le domaine des lettres de change et des billets ht
ordre (IA), ainsi que les solutions propos6es par les tribunaux et ]a doctrine pour
rdsoudre ces conflits (I.B). Une fois effectu6e cette mise en situation, nous analyse-
rons la portde du pouvoir exclusif (II.A) et du pouvoir accessoire (II.B) du Parle-
ment fdd6ral en mati~re de billets et de lettres de change. Cette 6tude nous permet-
tra de constater que l’interprdtation restrictive donn6e au texte de la disposition de
renvoi frdrale se justifie pleinement au regard du droit constitutionnel canadien.
Au surplus, nous verrons que rien ne s’oppose h l’application,
titre compl6men-
taire, du droit provincial d’application gdnrale en mati~re de lettres de change et
de billets, dans la mesure oa ce droit provincial ne porte pas atteinte au contenu
sprcifiquement fdd6ral de la competence reconnue au Parlement central aux termes
du paragraphe 91(18) de la Loi constitutionnelle de 1867.
6 Loi sur les lettres de change, supra note 3, art. 9.
Au surplus, l’article 9 de ]a Loi sur les lettres de change nous permettra d’ouvrir ]a porte sur le
probl~me plus g~nrral soulev6 par l’identification du droit complrmentaire applicable en matire pri-
v6e f6l~rale (voir Brisson, supra note 2).
19951
J. LECLAIR – EFFETS DE COMMERCE
I. L’tat du droit: l’interpn6tration du droit civil qugbgcois et du droit fgd&
ral des effets de commerce
Le caract~re inexorable du probl~me pos6 par l’interprdtation h donner
l’article 9 de la Loi sur les lettres de change a forc6 les tribunaux canadiens A 6iabo-
rer diverses theories visant toutes h ddlimiter l’6tendue potentielle de l’application
de la common law en mati~re de lettres de change. La tache des juges, nous le ver-
tons, en a 6t6 une d’accommodement. Pour la plupart, ces derniers se sont attard~s
A rconcilier le d6sir du 16gislateur f~d6ral de voir s’appliquer la common law avec
la ndcessit6 non moins fondamentale, a leurs yeux, de pr6server l’int6gritd du droit
civil provincial. Si 1’intention du Parlement est expressdment formul6e ii l’article 9
de la Loi, le protectionnisme>> juridique pr6n6 par certains magistrats ne semble
pas enracin6, i premiere vue, dans des principes de droit bien d6finis.
Toutes ces theories ont elles-mgmes fait ‘objet de discussions par d’6minents
auteurs de doctrine, au nombre desquels on peut mentionner Falconbridge, Le Dain,
Boh6mier, Nicholls et Perrault, pour n’en citer que quelques-uns.
II est important de noter que le probl~me de la relation entre le droit fdd6ral des
effets de commerce et le droit priv6 provincial s’est maintes fois pos6 sans que soit
invoqu6 ‘article 9 de la Loi. En r6alit6, lorsqu’on examine le contentieux relatif h
cette question, on s’6tonne du peu d’intr&t qu’a suscit6 cette disposition. Nan-
moins, pareille constatation vient conforter la these que nous entendons d6fendre
dans le pr6sent article, savoir que cet article h lui seul n’a rien de determinant et que
sa juste interpr6tation appelle, au prdalable, une qualification constitutionnelle des
diverses comp~tences de droit priv6 attribu6es aux deux paliers gouvernementaux.
Avant d’examiner les solutions propos~es par les auteurs et la juriprudence, un
bref survol des situations oti les fers du droit f~dral et du droit civil se sont crois~s
est n6cessaire.
A.
Illustrations des difficultis engendries en mati&re d’effets de commerce
par la rencontre des traditions franfaise et anglaise.
Depuis 1’adoption initiale de la loi f6d6rale en 1890, huit facettes du contrat’
constitu6 par ‘effet de commerce ont 6t6 examin6es A la lumi~re du droit civil qu6-
b6cois. Les tribunaux ont jug6 applicables aux lettres de change et billets les r~gles
du Code civil du Bas-Canada ayant trait aL la capacit6 de contracter?, h l’6tendue de
‘Roy c. Canadian hnperial Bank of Commerce, [1971] C.A. 321 [ci-apr;s Roy] ; Ricard c. Banque
Nationale (1893), 3 B.R. 161 ; Dagneau c. Decarie (1906), 8 R.P. Qu6. 141 (C.S.) ; Cassaubon c.
Bddard (1917), 54 C.S. 385 [ci-apres Cassaubon] ; Morin c. Dion (1956), [1957] C.S. 53 ; Conswn-
ers Acceptance Corporation c. Gendron (1961), [1962] C.S. 203.
Le paragraphe 47(1) de la Loi de 1970 (S.R.C. 1970, c. B-5) 6nongait ce qui suit:
Le nouveau paragraphe 46(1) de la Loi de 1985 6dicte :
MCGILL LAW JOURNAL/REVUE DE DROIT DE MCGILL
[Vol. 40
la responsabilit6 des cosignataires9 et des endosseurs’0 d’un billet ou d’une lettre de
y compris les
change, au consentement n6cessaire t la formation du contrat –
moyens de d6fense opposables A un detenteur r6gulier”, h ]a cause ou consid6ration
pouvant fonder sa lic6it6 2, a ]a preuve”, h la procdure 4ainsi qu’aux d6lais de
prescription applicables A de tels effets”. Les raisonnements qui ont conduit h cette
application du droit civil qu6b6cois comportent parfois, comme nous pourrons le
constater, un caract~re quelque peu alambiqu6. Enfin, certains juges ont choisi, t
9Montenay Inc. c. lnbrook Properties Ltd., [1989] RJ.Q. 846 (C.A.) [ci-apr~s Montenay] ; Drouin
c. Gauthier (1903), 12 B.R. 442, 5 R.P Qu6. 211 ; Kaufinan c. Weissfeld, [1972] C.A. 462 (A propos
de cette decision, voir A. Boh~mier,
426); Cassaubon, ibid. ; Fisherc. Hargreaves (1968), [1969] R.P. Qu6. 191 (Protonotaire).
Le paragraphe 179(1) de ]a Loi de 1970 &tictait ce qui suit: Un billet A ordre peut 6tre souscrit par
deux personnes ou plus, et elles peuvent s’engager conjointement, ou conjointement et solidairement,
selon sa teneur [
179(l) de la Loi de 1985, il dit : Un billet peut etre souscrit par plusieurs personnes qui peuvent
s’engager conjointement ou solidairement, selon sa teneur.
” Kulcsar c. Reisler (1965), [1966] B.R. 334, 57 D.L.R. (2′) 730 [ci-apr~s Kulcsar] ; Banque Ca-
nadienne Nationale c. Turcotte, [1942] B.R. 383 [ci-apr~s Turcotte] ; Meikle c. Dorion (1892), 1 C.S.
72 (C. rev.) ; Guy c. Pari (1892), 1 C.S. 443 (C. rv.) [ci-apr~s Guy] ; Banque d’Hochelaga c. Lger
(1918), 25 R.L. (N.S.) 158 (C. rv.) [ci-aprbs Lger] ; Lusher c. Lacroix (1914), 23 R.L. (N.S.) 212
(C.S.) [ci-aprs Lusher].
i, Caisse Populaire de Forestville c. St-Pierre, [1979] C.A 350.
, Pesant c. Pesant, [1934] R.C.S. 249, [1934] 2 D.L.R. 623 [ci-aprs Pesant avec renvois aux
R.C.S.] ; Ross c. Royal Institution for the Advancement of Learning (1931), 50 B.R. 107, [1931] 4
D.L.R. 689 [ci-apris Ross avec renvois aux B.R.], conf. par [1932] R.C.S. 57 ; Rouleau c. Poulain
(1964), [1965] B.R. 292 ; Verreault c. Harvey, [1970] C.A. 753 ; Bloom c. Loch (30 janvier 1979),
Montr6al 09-000-496-778, J.E. 79-186 (C.A.) ; Stephen c. Perrault (1918), 56 C.S. 54 (C. r6v.) [ci-
apr~s Stephen] ; Morin c. Chamnbre de Commerce de St-Hyacinthe (1934), 72 C.S. 323 [ci-apr~s Mo-
rin avec renvois aux C.S.], conf. par (1936), 61 B.R. 244 ; Plasse c. Plasse (1937), 75 C.S. 142; COtd
c. Larocque (26 novembre 1981), Terrebonne 700-05-001995-756, J.E. 82-44 (C.S.) ; Brunelle c.
Brunelle (9 janvier 1979), Montreal 02-024 660-784, J.E. 79-129 (C.P).
L’alin6a 53(1)a) de la Loi de 1970 prcisait que:
(1) Une cause ou consideration valable pour une lettre de change peut etre constitude
par
(a)
toute cause ou consid6ration suffisante pour donner validit6 A un contrat
simple [<(any consideration sufficient to support a simple contract)].
L'alinfa 52(1)a) de la Loi de 1985 mentionne que :
(1) Est A titre ondreux ]a lettre dont la cause
(a) peut faire l'objet d'un contrat simple.
Blais c. Mathieu (1918), 56 C.S. 3 (C. r6v.) [ci-apr s Blais] ; Jean c. Banque Canadienne Natio-
nale (1930), 69 C.S. 66 [ci-apr s Jean] ; Spasiuk c. Zyla (1939), 46 R.L. (N.S.) 23 (C.S.) [ci-apr~s
Spasiuk] ; Arnand c. Checotel Finance Corporation, [1985] C.S. 1154 ; Banque Provinciale diu Ca-
nada c. Poulin (6 mai 1980), Montr6al 500-02-019 240-790, J.E. 80-509 (C.P.).
" Blais, ibid. ; Western Loan and Trust Co. c. Ross (1902), 12 B.R. 226 ; 1,pond c. Finestone
(1932), 53 B.R. 59.
" En matibre d'interruption de prescription, voir Banque Canadienne Nationale c. Labontd, [1947]
B.R. 415 [ci-apr s Labonte]. Voir aussi ]a decision ontarienne Cook c. Dodds (1903), 6 O.L.R. 608
(C. div.) [ci-apr~s Cook].
19951
J. LECLAIR - EFFETS DE COMMERCE
l'occasion, de recourir aux r~gles de la common law pour rdsoudre les probl~mes
6num6r6s plus haut16 .
Nous n'entendons pas analyser en ddtail les difficult6s que soulve chacune de
ces questions. Les experts du droit des effets de commerce les ont expos6es avec
beaucoup plus d'habilet6 que nous ne saurions en d6montrer7 . Contentons-nous
simplement d'6voquer le problme en posant notre regard sur certains des litiges
qui jalonnent l'histoire du droit canadien des effets de commerce.
Dans 1'arrt Roy, l'intim6e, d6tentrice r6guli~re, r6clamait de l'appelant le
paiement de quatre cheques sign6s et n6goci6s par celui-ci. Roy tenta vainement de
se d6rober 4t toute responsabilit6 en arguant de son incapacit6, en tant que mineur, h
s'engager par les effets de commerce en litige. La 16sion all6gu6e par 1'appelant
n'dtait mise en doute par personne : elle d6coulait du non-accomplissement, par la
compagnie avec laquelle Roy avait intitialement contract6, des prestations auxquel-
les celle-ci s'dtait engag6e.
A l'dpoque, 'article 48"8 et l'alinda 74(b)' 9 de la Loi sur les lettres de change se
lisaient respectivement comme suit:
'6 Responsabilit6 des cosignataires : voir Entreprises Loyola Schmidt Lte c. Cholette, [1976] C.S.
557 [ci-apr s Cholette] ;' Cripeau c. Beauchesne (1898), 14 C.S. 495 (C. cir.) [ci-apr s Cripeau] ;
Noble c. Forgrave (1899), 17 C.S. 234 [ci-apr~s Noble]. Responsabilit6 des endosseurs : voir Banque
le-Marie c. Mallette (1888), 33 L.C. Jurist 8 (C.A.) ; Lavoie c. Abbott, [1963] C.S. 600. Consente-
ment et moyens de d6fense : voir Bank of Montreal c. Amireault (1938), 65 B.R. I [ci-apr s And-
reault] ; Ctd c. Brunelle (1916), 51 C.S. 35 [ci-apr~s COte]. Preuve : voir Larochelle c. Bluteau
(1923), 34 R.L. (N.S.) 328 (B.R.) [ci-apr~s Larochelle] ; Hdbert c. Poirier (1911), 40 C.S. 405 (C.
r6v.) [ci-apr~s Hbert] ; Boyer c. Samnbeau (1919), 57 C.S. 79 [ci-apr s Boyer].
7 B. Crawford et J.D. Falconbridge, Banking and Bills of Exchange, vol. 2, 8' &., Toronto, Canada
Law Book, 1986 ; A. Perrault, Traitdde droit conunercial, t. 3, Montreal, Albert lavesque, 1940 ; M.
Caron et A. Bobemier, Pricis de droit des effets de commerce, 7 6d1. par A. Bohemier, Montr6al, Li-
brairie Beauchemin, 1982 ; J.D. Falconbridge, T'he Bills of Exchange Act in Quebec> (1942) 20 R.
du B. can. 723 ; G.V Nicholls, The Bills of Exchange Act and Prescription in the Province of Que-
bec> (1936-37) 15 R. du D. 396,459, 539, 606 et (1937-38) 16 R. du D. 26 [ci-apr~s Prescription>>] ;
G.V. Nicholls, The Bills of Exchange Act and Novation in the Province of Quebec>> (1938) 16 R. du
B. can. 602 [ci-apr~s Novation >] ; G.E. Le Dain, Compte rendu : Banking and Bills of Exchange par
J.D. Falconbridge (1956) 3 R.D. McGill 113 [ci-apr~s
24 R.J.T. 153.
” Cet article, devenu l’article 47 de la Loi de 1985, se lit comme suit : La souscription ou
‘endossement d’une lettre par un mineur ou par une personne morale incapable de s’engager par let-
tre donne droit au d6tenteur den recevoir le paiement et d’y obliger les autres parties 4 ]a lettre. >
l’alin~a 73(b) de ]a Loi de 1985, qui a remplac6 l’alin6a 74(b),
il dispose
‘9 Quant
maintenant:
73. Les droits et pouvoirs du d6tenteur d’une lettre sont les suivants:
b) Le d6tenteur r6gulier d6tient la lettre lib6r6e de tout vice de titre des parties qui le pr6c~dent
ainsi que des d6fenses personnelles que pouvaient faire valoir les parties ant6rieures entre
elles; il peut exiger le paiement de toutes les parties oblig6es par ]a lettre.
MCGILL LAW JOURNAL/REVUE DE DROIT DE MCGILL
[Vol. 40
48. Lorsqu’une lettre de change est tirde ou endossde par un mineur ou par une
corporation qui n’a pas ]a capacit6 nile pouvoir de s’engager par lettre de
change, ]a souscription ou rendossement donne droit au d6tenteur de re-
cevoir et d’exiger le paiement de toute autre partie A la lettre.
74. Les droits et pouvoirs du d6tenteur d’une lettre de change sont les suivants:
I[…]I
b) s’il est d6tenteur r6gulier, ii poss~de la lettre lib6r6e de tout vice de litre
[
defense personnelle [mere personal defences>>] que pouvaient faire
valoir les parties ant6rieures entre elles, et il peut exiger le paiement de
toutes les parties lies par ]a lettre [nos italiques].
Apr~s avoir conclu que le paragraphe 47(1)’ 0 de la Loi avait pour effet
d’imposer l’application des r~gles du droit civil relatives h’ ]a capacit621, le juge
Hyde a d6clar6 que la 16sion d’un mineur, source de nullit6 relative, ne pouvait etre
oppos6e t un d6tenteur r6gulier. Selon lui, l’article 48 de la Loi devait etre lu
comme suit : quelle que soit la capacit6 d’un mineur en vertu du droit priv6 pro-
vincial, un effet de commerce restait valide <
19951
J. LECLAIR – EFFETS DE COMMERCE
relative ou absolue ? –
cation (ddtermination de la nature –
de la ddfense invo-
qude par un mineur) ; 20 le recours au droit anglais pour d6finir le sens du texte de
loi f6d6ral (sens h donner A l’expression
; et
30 l’assimilation du concept de droit civil issu de la qualification factuelle initiale h
la mati~re de common law qui s’en rapproche le plus (la nullit6 relative s’apparente
h l’obligation voidable>> du droit anglais, laquelle ne constitue qu’un moyen de d6-
fense personnelle). De la mise en application de cette m6thode temaire r6sulte la
consdquence suivante : l’inopposablit6 de la nullit6 relative invoqu6e par un mineur
au d6tenteur r6gulier d’un effet de commerce. Comme le rappelle avec pertinence
une auteure,
[i]l semblerait que les juges de la Cour d’appel [dans l’affaire Roy] ont trans-
pos6 littalement le crit&e anglais de <
entre les moyens de d6fense r~elle et les moyens de d6fense personnelle en
droit canadien. Us ont dO faire I’analogie suivante : l’incapacit6 du mineur, en-
tratnant en droit qu6b6cois la nullit6 relative, est une defense personnelle, car,
en droit anglais, ce genre de nullit6, attach6e A certaines incapacits, est inop-
posable au d~tenteur r6gulier.
Le double objectif poursuivi par le 16gislateur h 1’article 48 est de garantir les
droits du d6tenteur r6gulier tout en assurant la protection du mineur 6. Le droit an-
glais parvient a. rencontrer le deuxi~me de ces objectifs en faisant de l’incapacit6 du
le contrat sign6 est r6put6 <
sion emporte les memes cons6quences qu’une action en annulation29. Les deux
traditions juridiques accordent ainsi une protection qui, peu importe I’appellation
qu’on lui attribue, devrait pouvoir &re invoqu6e par un mineur. L’esprit de la Loi
sur les lettres de change exige semblable interprdtation.
Ce singulier processus de qualification en plusieurs 6tapes s’est aussi manifest6
dans les litiges portant sur l’6tendue des obligations des personnes qui participent h
la crdation d’un effet de commerce. I1 diff6rait cependant du premier en ce que la
qualification factuelle originelle se faisait h la lumi~re de la common law (par
exemple, la responsabilit6 des cosignataires d’un effet de commerce est-elle <
ou joint and several> ?). Par la suite, les cons6quences d’une responsabilit6
6taient r6put6es identiques ii elles qui r6sultaient d’une responsabilit6 conjointe.
Dans l’affaire Noble, le tribunal a affirm6 que la responsabilit6 des cosignataires
d’un billet 6tait
S. Robert, Chronique dejurisprudence (1971) 6 RJ.T. 451 a lap. 455.
26 Ibid.
2 Ibid. aux pp. 452-55.
L’Heureux, supra note 24 A la p. 559.
9 Ibid.
MCGILL LAW JOURNAL/ REVUE DE DROITDE MCGILL
[Vol. 40
18900 ainsi que le droit anglais introduit par l’article 8″‘ du chapitre 17 des lois f6-
d6rales de 1891 l’exigeaient. Les d6biteurs ne furent cependant tenus qu’h leur part
respective de la dette puisque, aux yeux du juge, une 6quivalence existait entre res-
ponsabilit6 conjointe et responsabilit6
a fait erron6e33, car il n’existe aucune similitude entre ces deux concepts. Comme le
dit Falconbridge,
it makes nonsense of the section to say, as was said in effect in Noble v. For-
grave, that the liability of the makers was joint, because English law said so,
but that joint liability meant something quite different from what it does in
English law, because Quebec law said so.
II est de beaucoup pr6f6rable,
l’occasion d’un litige n6 au Qu6bec, de favori-
ser la mise en application des concepts juridiques civilistes auxquels r6f~re la ver-
sion frangaise de ‘article 179 de la Loi sur les lettres de change35. En effet, rien
dans le texte de loi fdd6ral n’impose le recours aux notions de conmon law qui fi-
gurent dans la version anglaise. Agir de la sorte est non seulement pr6f6rable, mais,
comme nous le verrons un peu plus loin, constitutionnellement valide.
Les deux causes mentionn6es plus haut mettent en relief une nouvelle dimen-
sion du problme pos6 par la Loi sur les lettres de change. Si le texte de loi aborde
sp6cifiquement un aspect particulier du contrat constitu6 par un effet de commerce,
l’interpr6tation doit-elle se fonder uniquement sur ]a version anglaise du libelI6 ?
La question est d’importance puisque les versions anglaise et frangaise de certaines
dispositions 16gislatives font parfois r6f6rence h des institutions propres t chacune
des deux traditions juridiques. Lors de la refonte de 1985, le 16gislateur s’est bien
efforc6 de donner a la version franqaise du texte de loi une facture plus civiliste. I1
n’en reste pas moins que, dans
‘ensemble, cette derni~re nest rien de plus qu’une
mauvaise traduction d’expressions issues de la common law. Les termes valuable
consideration et <
<
distinctifs du droit anglais. Comme nous avons pu le remarquer, il en va de meme
des termes <
pressions <
de loi peut donc soulever plusieurs probl~mes. A titre d’exemple, ]a cause licite
” Prdcurseur de rarticle 179 de Ia Loi de 1970 dont le texte est reproduit supra A ]a note 9.
” AncPtre du pr6sent article 9 de Ia Loi sur les lettres de change.
“Noble, supra note 16 A lap. 236.
3 Boh6mier et Richard, supra note 17 A la P. 174 ; Falconbridge, supra note 17 aux pp. 739-40;
Prescription >, supra note 17 aux pp. 28-29.
Falconbridge, ibid. A lap. 740.
” Boh6mier et Richard, supra note 17 A lap. 174.
3 L’expression ,consid6ration valable>> a 6t6 remplac~e par le terme
dienne impdriale de commerce c. Mallette, Benoit & Compagnie Lte, [1987] R.J.Q. 96 (C.A.)).
“L’expression (simple contrat,> dans le texte frangais de la Loi ne correspond t aucun concept re-
connu par le droit civil (Ross, supra note 12 A lap. 123, M. lejuge Bond, dissident).
19951
J. LECLAIR – EFFETS DE COMMERCE
d’un contrat au Qu6bec, tel que l’acquittement d’une dette morale, peut ne pas
l’etre en pays de common law 8. Devrait-on malgr6 tout favoriser syst6matiquement
le syst~me anglais au d6triment de ]a tradition juridique qu6b6coise ? Dans une af-
faire en provenance du Qu6bec39, la Cour supreme a d6clar6 que 1’acquittement
d’une dette naturelle, savoir la remise par une m~re a un de ses enfants d’un billet
pour le paiement d’aliments, pouvait constituer le fondement licite d’un effet de
commerce. Cette d6cision reposait sur une interpr6tation restrictive de l’article 9 de
la Loi sur les lettres de change. D’ailleurs, si l’on a parfois affirm6 que le libell6 des
dispositions de la loi f6d6rale imposait le recours au droit anglais, il est h noter
qu’on a 6galement conclu qu’en certains endroits le texte mame de ces dispositions
devait etre interpr6t6 comme renvoyant au droit civil provincialf. Ainsi, on a d6cid6
que le libell6 de l’alin6a 53(1)a)4 ‘ et du paragraphe 47(1) 2 de la Loi de 1970 avaient
pour effet d’imposer l’application du droit provincial en mati~re de cause43 et de
capacit6& lorsqu’6tait en litige un effet de commerce.
D’6vidence, plusieurs des questions soulev6es dans le cadre de l’application de
la Loi sur les lettres de change, comme en font foi les exemples cit6s plus haut, res-
sortissent aux experts du droit des effets de commerce. En effet, la ligne de d6mar-
cation qui s6pare les sph~res d’application du droit civil et de la common law en
mati~re de lettres de change et de billets n’est pas toujours facile h tracer. L’6tape
d’accommodement des traditions juridiques frangaise et anglaise n’intervient ce-
pendant qu’une fois reconnu comme possible le recours au droit civil provincial.
Cette dtape suppose donc une qualification qui tienne compte de crit~res dont’la
s6lection doit 8tre laiss6e aux professionnels du droit des effets de commerce. En
d’autres mots, elle implique la mise en oeuvre d’un processus de <
entre les 616ments constitutifs du contrat que repr6sente le billet ou la lettre de
change (obligation civile -disposition provinciale vs effet n6gociable –
common
law). Nous ne fixerons cependant pas notre attention sur cet aspect particulier du
probl~me. Nous esp6rons plut6t jeter les bases d’une approche interpr6tative appli-
cable au domaine du droit priv6 que se partagent respectivement les deux paliers
gouvemementaux. Nous entendons ainsi r6pondre h ceux qui pr6tendent, comme
nous le verrons un peu plus loin4, que seuls des arguments de
une interpr6tation limit6e de 1’article 9 de la Loi.
” G.V. Nicholls,
‘9 Pesant, supra note 12.
” Caron et Boh~mier, supra note 17 aux pp. 14-15.
” Le texte de cette disposition est reproduit supra ]a note 12.
4’ Le libell6 de ce paragraphe est reproduit supra A la note 8.
41 Morin, supra note 12 ; Stephen, supra note 12, cit6 avec approbation par ]a Cour supreme dans
Pesant, supra note 12 ; Ross, supra note 12 A lap. 119, M. le juge Bemier.
“Roy, supra note 8.
45 Cette expression est utilis~e par Ia professeure Andrie Lajoie dans le cadre de son 6tude relative a
la nature du droit suppl6tif applicable en mati~re de contrats administratifs au Qu6bec (A. Lajoie,
Contrats adininistratifs: jalonspour une thiorie, Montreal, Tbemis, 1984 t lap. 59).
46Voir ci-dessous la partie I.B.3.
MCGILL LAW JOURNAL/REVUE DE DROITDE MCGILL
[Vol. 40
En l’occurrence, ]a question suivante sera abordde : est-il raisonnable de don-
ner, comme lont fait jusqu’ici les tribunaux provinciaux, une interpr6tation restric-
tive h l’article 9 de la Loi sur les lettres de change ? En rdpondant h cette question
nous serons 6galement en mesure de ddterminer s’il est justifiable de recourir aux
concepts du droit civil qudb6cois dans l’interprrtation des dispositions de cette
meme loi. Une fois cette question rdpondue, il sera possible de dessiner ,a grands
traits les fronti~res qui ddlimitent l’application du droit civil et de la common law.
Les experts se chargeront alors de d6terminer si oui ou non un concept de droit civil
peut etre utilis6 sans que l’objectif vis6 par ]a loi ne soit mis en pdril. Cette dernitre
6tape, on ‘a drjh dit, nrcessite le recours t un processus de pond6ration qu’il n’est
pas dans notre intention d’aborder.
Bien peu de juges se sont interrog6s sur les raisons qui les amenaient t recourir
aux rtgles du droit civil lorsqu’ils 6taient confrontds t une question se rapportant h
un effet de commerce. On les devine prdoccup6s par le r6sultat et non par la m6-
thode d’application 47.
Lorsque la destination prochaine est visible A l’ceil nu, le marin ne prete gure
attention aux mouvements de sa boussole. Peu lui importe de savoir si les aiguilles
de son compas pointent vers l’objectif qu’il s’est fix6. Nous sommes convaincus de
la justesse du rdsultat obtenu de fagon g6ndrale par les juges. Nous nous int6resse-
rons cependant h ce qui, A nos yeux, impose l’approche qu’ils ont adopte. Notre
regard se posera sur la boussole et stir les mrcanismes qui l’animent. Ce sont les
principes qui doivent nous mener t bon port et non le seul instinct.
B. La nature du droit complhnentaire applicable en matire d’effets de
commerce : tentatives de rationalisation jurisprudentielle et doctrinale
II serait faux d’affirmer qu’aucune explication n’a 6t6 avanc6e par les tribunaux
pour justifier le recours, h titre compldmentaire, A ]a common law ou encore au droit
civil. Les solutions les plus valables, pour la majorit6, ont 6t6 proposres par la doc-
trine.
1.
L’approche littrale
Une premiere approche, trts minoritaire, adopte une interpr6tation suivant
‘ensemble de ]a common law a 6t6 introduit par l’article 9 de la Loi. Rus-
laquelle
sell, principal tenant de cette thorie, affirme simplement que
[tlhis section clearly changes the rule of construction for the Province of Que-
bec. The Bills of Exchange Act is the law for the Province of Quebec as it is
“A ce sujet, ]a remarque suivante de la professeure Lajoie, supra note 45 A la p. 51, est fort perti-
nente : <[Clhacun en est conscient, le juriste qui qualifie le fait rarement sans songer aux consdquen-
ces normatives de sa qualification, quand il ne le fait pas tout simplement en vue d'entraIner pr6cisd-
ment des cons&tuences spdcifiques.,>
1995]
J. LECLAIR – EFFETS DE COMMERCE
for the rest of the Dominion. Where it is silent, recourse is to be had to the rules
of the common law of England, including the law merchant. It is difficult to see
that any place whatever is left for any rules of law peculiar to the Province of
Quebec.
Cette dcole de penste n’a pas fait beaucoup d’adeptes au sein de la magistrature
quTbcoise. Certains s’y sont rallits sous prttexte que notre loi ftdrale sur les let-
tres de change 6tait d’inspiration anglaise 49 , qu’il entrait dans l’intention du 16gisla-
teur ftdtral de voir h l’uniformisation du droit des effets de commerce”, que ]a loi
avait pour <
parce que, d’apr~s eux, le libell6 de l’article 9 imposait une telle interpretation .
titre de droit commun, en mati~re
Pour d’autres, l’application du droit anglais,
commerciale f6d~rale –
s’appuie sur le texte du pr6-
ambule de la Loi constitutionnelle de 1867″ . En effet, ce dernier affirme que la
Constitution canadienne
faillite et lettres de change –
2.
L’approche interpretative
L’application des r~gles de la common law a cependant 6t6 rendue ntcessaire,
aux yeux de certains, par le recours du 16gislateur ftdral, dans sa loi sur les effets
de commerce, t des concepts qui n’ont aucun 6quivalent en droit civil qudb6cois.
4′ B. Russell, A Commentary on the Bills of Exchange Act, 2 &t., Montreal, Burroughs (Eastem),
1921 A lap. 22.
‘9 Ctd, supra note 16 A la p. 37 ; Ross, supra note 12 t ]a p. 123, M. lejuge Bond, dissident. C’est
aussi ce qui semble ressortir des propos tenus par MM. les juges Bemier et St-Jacques dans Ami-
reault, supra note 16 aux pp. 21, 32. Voir aussi J.E.C. Brierley,
que, dir., Lafonnation du droit national dans les pays de droit mixte, Aix-en-Provence, Presses uni-
versitaires d’Aix-Marseille, 1989, 103 A lap. 108.
-‘ Guy, supra note 10 A la p. 451, M. le juge Davidson, dissident; Duplain c. Cameron, [1961]
R.C.S. 693 A lap. 707, 30 D.L.R. (2’) 348, M. le juge Locke, dissident [ci-apr~s Dujilain avec renvois
aux R.C.S.].
“1Amireault, supra note 16 A la p. 32.
5 2Boyer, supra note 16 A lap. 82; Hdbert, supra note 16 A lap. 411. C’est ce que semblent affirmer
les juges Barclay et Bond dans Amireault, ibicL aux pp. 15-16, 28. Voir aussi Larochelle, supra note
16 A lap. 331, M. le juge Bernier, dissident. Dans l’affaire.Noble, supra note 16 A lap. 236, Ia Cour
suptrieure affirme que les r~gles du droit anglais s’appliquent
le juge Davidson, dissident, 6nonce exactement ]a m~me distinction. Dans Banque Canadienne Na-
tionale c. Gingras, [1977] 2 R.C.S. 554,76 D.L.R. (3′) 91 [avec renvois aux R.C.S.], la Cour supreme
s’6tait refus6e A mettre en application ]a r~gle de contnon law de
dtait inapplicable dans la province de Quebec. Cependant, en obiter dictum, le juge Pigeon, ibid. A la
p. 564, avait d(clar6 que cette conclusion 6tait peut-8tre incorrecte vu la prdsence de ‘article 10 de la
Loi sur les lettres de change.
” Brierley, supra note 49 A lap. 107.
MCGILL LAW JOURNAL/REVUE DE DROITDE MCGILL
[Vol. 40
L’intention du l6gislateur aurait donc 6t6 de faire pr6valoir la version anglaiseM. A
1’inverse, d’autres ont affirm6 que le renvoi h des concepts de droit civil qu6b6cois
dans
imposer
1’application55.
la version frangaise du texte de
loi avait pour effet d’en
Pour les tenants de cette 6cole, la question du choix possible entre conimon law
et droit civil doit donc etre abordee comme un probl~me d’interpr6tation et non
comme un probl~me
caract~re constitutionnel. Doit-on, oui ou non, opter pour
l’utilisation de la version frangaise du texte de loi lorsqu’une affaire est nee au
Qu6bec ? Ne devrait-on pas plutet voir
ce que les notions de common law dont
fait 6tat la version anglaise soient mises en application ? Voici comment
s’expriment Boh6mier et Richard
ce sujet:
[La] veritable question n’est pas d’ordre constitutionnel […] [car on] ne peut,
nous semble-t-il, douter r~ellement du pouvoir du parlement f~dral de lMgif&
rer sur l’6tendue des obligations des personnes qui participent A ]a creation et Ai
]a circulation des effets de commerce. Cela paralt peu discutable.
Mais la question de savoir si le f&d6ral a voulu occuper sur ce point par-
ticulier tout son champ de competence en est une de tout autre nature: il s’agit
d’une simple question d’interprtation [notes omises]16.
Dans l’arret Cholette57, la Cour sup6rieure a conf6r6 aux mots <(conjointement,
ou conjointement et solidairement>> figurant h l’article 179 de la Loi sur les lettres
de change le sens qu’attribue le droit anglais aux expressions
application qu’en l’absence d’une disposition sp6cifique dans la loi fed6rale, lejuge
Par6 signale que
l’article 179 contient prdcisdment une disposition indiquant comment deux
souscripteurs sont lis A l’dgard du ddtenteur. Ii s’agit ici non pas d’appliquer
une autre loi A d6faut de dispositions pertinentes dans ]a Loi sur les lettres de
change mais d’interpriter les termes de la disposition elle-nine que contient
l’article 179. Je crois ici qu’on doit appliquer l’article 10 [devenu l’article 9]
dans de telles circonstances. D’autre part, sans meme qu’il soit ndcessaire de se
servir de cet article 10, l’historique de la Loi sur les lettres de change indique
de toute 6vidence, par les sources dont elle s’inspire, les bases pertinentes A ]a
d~f’mition de ses termes [nos italiques]”.
Boh6mier et Richard soutiennent, quant h eux, que la version frangaise du libel-
16 de ‘article 179 doit recevoir application 9. En effet, selon eux, bien qu’un con-
– Ross, supra note 12 aux pp. 109, M. lejuge Dorion, et 123, M. lejuge Bond, dissident; Cholette,
supra note 16.
5-Voir les autorites cities supra aux notes 40,43,44.
56 Bohdmier et Richard, supra note 17 A lap. 160.
17 Cholette, supra note 16. Voir aussi Cripeau, supra note 16.
5 Cholette, supra note 16 aux pp. 560-61.
59Boh~mier et Richard, supra note 17 A la p. 174.
19951
J. LECLAIR – EFFETS DE COMMERCE
cept de droit civil – par exemple, la responsabilit6 conjointe – puisse fort bien
comporter certaines similitudes avec une r~gle particuli~re de common law –
res-
ponsabilit6
0. II
6tait donc prdfdrable d’entdriner les approches traditionnelles portant qu’aux sour-
ces du droit qudb6cois de la responsabilit6 devaient 6tre puisres les solutions i ce
probl~me d’interprrtation”.
tenterons de
Nous ne sommes pas en d6saccord avec 1’approche
par les auteurs Boh6mier et Richard puisque le texte de loi frdral n’impose en au-
cune fagon le devoir de mettre en application les concepts de common law 6noncrs
dans la version anglaise. Cette attitude s’accorde d’ailleurs avec la technique
d’interprrtation des textes qui ont fait l’objet d’une <
‘ Caron et Bohdmier, supra note 17 A ]a p. 11. Cette approche a 6t6 adopt6e dans ]a decision Bdtis-
ses d’Acier C.R. Nadeau Inc. c. Batisses d’Acier Hercule LtDe, [1982] C.P. 106.
MCGILL LAW JOURNAL/REVUE DE DROITDE MCGILL
[Vol. 40
lettres de change, cheques et billetsi,64, <
initialement dnoncde par Falconbridge 66, Nicholls avance que ]a commfon law ne
peut trouver application h moins que la difficult6 soulevde ne soit
properly speaking one of bills of exchange, cheques or promissory notes, or, in
other words, only within the la; of bills and notes in a strict sense. In the si-
lence of the Bills of Exchange Act, the common law must be applied to the
solution of problems affecting the form, issue, negotiation and discharge of
bills and notes, but not the consequences of the contracts entered into by the
parties to the instrument.6
Que le test propos6 par Perrault soit plus s6vere que celui de Nicholls68 , la
chose ne nous interesse gu~re pour l’instant. Seul le fondement constitutionnel de
ces deux theories nous importe ici. En effet, ces auteurs s’entendent pour dire
qu’une interpr6tation large de l’article 9 serait inconstitutionnelle. I faut pr6sumer,
affirment-ils’ 9, que le I6gislateur f~deral n’avait pas 1’intention d’empieter illgale-
6,Perrault, supra note 17 A la p. 171.
6 Ibid. A la p. 180. Le test de Perrault a 6t6 applique dans ‘affaire Kudcsar, supra note 10. Une ap-
proche similaire a dt6 adoptee dans les affaires Guy, supra note 10, et Labont, supra note 15. Dans
cette demire affaire, ibid A la p. 433, Ia Cour d’appel confina I’application du droit anglais oh ]a
technique meme des effets de commerce (leur forme, l’acceptation, la livraison, etc…).5> Elle devait
ajouter, ibid., que tous les
res Pesant, supra note 12, Duplain, supra note 50, M. le juge Ritchie, et Jean, supra note 13, et ap-
pliqu6 dans les affaires Spasiuk, supra note 13, et Lusher, supra note 10. D’autres decisions, lager,
supra note 10, et Turcolle, supra note 10, M. lejuge Barclay, empruntent le meme vocabulaire sans
qu’il soit fait cependant express6ment r6f6rence A Falconbridge. La Cour suprieure a invoqu6 l’arret
Lusher, ibicL, dans Chainandy c. Leblanc, [1977] C.S. 176. Le test dnoncd par Falconbridge a t6 ap-
prouv6 par un auteur isradlien (A. Barak,
6 Falconbridge, supra note 17 aux pp. 729-30.
< Novation , supra note 17 aux pp. 602-603:
The proper interpretation of section 10 is in the final analysis a constitutional question.
The Dominion in enacting it cannot be presumed to have intended to interfere improp-
erly with the right of the provinces to legislate on property and civil rights, as it would
1995]
J. LECLAiR - EFFETS DE COMMERCE
ment sur les pouvoirs de la province en mati~re de <
qu’il a 6dict6 l’article 9. Ainsi, cette disposition voit sa port6e limitde h ce qui peut
etre rattach6 ,h la comp6tence exclusive du Parlement fdd6ral en mati~re de lettres de
change et billets. L’expression
10 toute mati~re qui ne se rapporte pas h 1’essence meme du droit des effets de com-
merce et 20 tout sujet h propos duquel le f6d6ral ne pourrait 16gif6rer que de fagon
accessoire7.
Bien sfir, s6lectionner les mati~res qui rel~vent de l’essence meme des effets de
commerce nWest pas une tache aisee . En outre, aux yeux de plusteurs , ce test n’est
pas sans faille puisque certains sujets qui font nettement partie du droit des lettres
de change au sens strict, tel que la prescription, n’en sont pas moins r6gis par le
droit provincial. C’est pourquoi d’aucuns concluent
l’impossibilit6 d’61aborer une
th6orie aprioriste 73. Ils lui pr6ferent une approche plus empirique :
All that can be done is to examine the civil law in its possible applications to
bills of exchange, cheques and promissory notes, to weigh the propriety of ap-
plying the civil law or the common law in each instance, and to evolve from
that examination a series of particularized rules-of-thumb to cover the most
common situations that might arisen.
Nicholls affirme toutefois que le sens h donner au texte de loi f6d6ral doit 6tre
tir6 de la common law et ce, quoi qu’il en soit de son libell6 frangais75 . Il pr6conise
‘application d’une nouvelle variante de l’approche en trois temps explicit6e plus
haut. D’apr~s lui, les diverses obligations des parties h un effet de commerce
doivent 8tre examin6es hi la luni-re du droit anglais 7
. Une fois cette qualification
op6r6e, il faut tenter d’6tablir un rapprochement entre ce concept de common law et
be doing if the section were given its broadest, and perhaps most obvious meaning.
Perrault, supra note 17 A lap. 172:
En l’absence d’un texte prdcis, le l6gislateur fd6dral n’est pas prdsum6 avoir eu pareille
intention [celle d’introduire les r~gles de ]a conmnon law quelle que soit la nature du
litige]. Sauf expression de volont6 contraire, le l6gislateur f~d6ral est cens6 adopter ses
la lettre et A l’esprit de ]a constitution de 1867, dans le respect des
lois conform6ment
garanties que ‘acte f&i6ratif comporte en faveur des 16gislatures.
Au reste, aurait-il eu cette intention que cet art. 10 serait inconstitutionnel comme af-
fectant un droit l6gislatif r~serv6 aux 16gislatures. Le parlement f&6ral ne peut
s’autoriser de ‘art. 91, A.B.N., lui accordant le pouvoir de r6glementer les lettres de
change, ch~ues et billets, pour enlever aux provinces le contr6le de leur droit civil.
70Falconbridge, supra note 17 A lap. 731.
7, Boh~mier et Richard, supra note 17 A ]a p. 160 :
7 <
7 Ibid. a lap. 30.
lap. 36.
MCGILL LAW JOURNAL/REVUE DE DROITDE MCGILL
[Vol. 40
une mati~re de droit civiln. Le concept du droit civil le plus approchant sera d~s
lors mis en application. Cette approche n’a pas pour effet de pervertir la vritable
port6e de l’institution de common law comme le faisait l’attitude adopt6e par la
Cour dans Noble7s.
Le Dain, alors qu’il 6tait professeur, s’est lui aussi prononc6 sur la difficile
question de l’application du droit civil provincial en mati6re f6d6rale7 . Cette ques-
tion, rappelle-t-il80 , soul~ve les deux probl~mes suivants : celui de l’6tendue du
pouvoir attribu6 au Parlement f6d6ral et celui des r6percussions possibles pouvant
d6couler, dans un univers de common law, de l’application de principes de droit
civil. Ces deux questions, dit-il, posent le probl~me de la d6marcation entre le pou-
voir exclusif allou6 au Parlement f6ddral et la comp6tence qu’il peut exercer h titre
accessoire. Cette distinction, selon l’auteur, doit tenir compte des r6alit6s pratiques
qui caract6risent un domaine legislatif donne . Elle suppose le recours hi un proces-
sus d’accommodation des syst~mes de droit civil et de common law dans chaque
cas particulier, processus qui devra prendre en compte <
lution” .
.
81
Le professeur Le Dain donne son aval
la th6orie limitant l’application de ]a
common law h ce qui relive du droit des effets de commerce au sens strict. II si-
gnale n6anmoins qu’
cette th6orie doit etre utilis6e avec prudence, chaque litige devant etre 6tudid
comme un cas d’esp~ce.
l’instar de tout outil conceptuel –
<
Selon l’auteur, il est raisonnable d’affirmer que la comp6tence exclusive du
Parlement f6d6ral en mati~re de lettres de change et billets s’6tend hi toute r~gle qui,
de par son essence meme, fait partie du droit des effets de commerce au sens
strict . A l’ext6rieur de ce cadre limit6, on trouve un champ I6gislatif provincial sur
lequel peut empi6ter le f6d6ral en vertu de son pouvoir accessoire. Le Dain recon-
nait donc une dimension constitutionnelle au probl~me de l’interpr6tation de
Ibid.’ la p. 31.
78 Voir ci-dessus le texte correspondant A ]a note 30 et s. En guise d’exemple de I’approche proposde
par Nicholls, voir Crdpeau, supra note 16.
9 <
<
‘ Ibid. : This distinction must be drawn in the light of the operational realities of legislative regu-
lation in a particular field, and these are most likely to be perceived by judges familiar, through daily
experience, with the effects of legislation and the practical issues which arise in the various areas of
law. >
82 ibid.
‘~ Ibid.
‘ bid. A rlap.
”
n.
I
19951
J. LECLAIR – EFFETS DE COMMERCE
l’article 9 de la loi f6drale. Par contre, d’apr~s lui, seuls des arguments de com-
modit6 –
permettent de conclure qu’il n’entrait pas dans l’intention du
16gislateur f6d6ral d’occuper l’ensemble du territoire 16gislatif –
exclusif et acces-
soire –
en mati~re de lettres de change et billets, lorsqu’il a 6dict6 la disposition en
litige:
Technically the question is one of statutory interpretation, but in searching for
that will-o-the-wisp intention of the legislature> and making what is in the fi-
nal analysis a decision of policy, one is naturally influenced by the current dis-
tinctions of constitutional law. Did Parliament in enacting section 10 intend to
cover only those matters not covered by express provision in the Act which fall
within its exclusive legislative jurisdiction or did it intend as well to occupy the
occupiable field? As far as this reviewer is aware, the courts have not formu-
lated any rle of interpretation to deal with this problem. There is presumably
no reason in principle why the occupiable field should not be occupied in this
wholesale fashion –
and there is nothing on the face of section 10 to justify
but as a matter of policy, in view of the ob-
any restriction or qualification –
vious impropriety of introducing a whole body of English common law in this
way into a provincial legal system, particularly the civil law system of Quebec,
without a careful consideration of the detailed implications, it is probably rea-
sonable to hold as most of the cases and commentators have in effect done, that
this cannot be presumed to have been the intention of Parliament. This interpre-
tation is not at open variance with the language of section 10; it merely gives it
a restricted application. Parliament may in fact have thought that it was provid-
ing a uniform system of law to cover every aspect of bills and notes but there
are practical limits to the extent to which this can be carried out in a bi-legal
country. So long as we frankly acknowledge that this is ultinmtely a decision of
policy and do not try to dress it up in a pseudo-legal proposition, we avoid ar-
gument at cross-purposes [nos italiques] 6.
Pour Le Dain, il est prrfrable de ne pas tenter de formuler un test universel.
Mme s’il approuve les propositions faites par Falconbridge et Nicholls, il n’en
reste pas moins convaincu lui aussi du caract~re inadrquat de celles-ci. I1 signale le
probl~me pos6 par la prescription ainsi que les difficultrs soulev6es par 1’obligation
qui existe de distinguer le droit des effets de commerce au sens strict de celui qui ne
l’est pas.
Une fois tourn6 l’obstacle de l’6tendue du pouvoir ddtenu par Ottawa en ma-
ti~re de lettres de change et billets, il faut ensuite s’interroger sur les rdpercussions
possibles du droit civil sur les concepts de connon law intrgr6s par le Parlement
fdd6ral dans une de ses lois. L’auteur affirme que le recours au droit civil ne doit
pas avoir pour effet de stdriliser la portde d’une disposition l6gislative f6ddrale. A
titre d’exemple, il fait r6f6rence h ‘arrt M.R.N. c. Smithe7 oji les juges dissidents
Fauteux et Judson ont refus6 d’accorder au terme succession
I’article 3 de la Loiftddrale sur les droits successoraux’s le sens qui lui est propre
apparaissant
Ibid. aux pp. 118-19.
[1960] R.C.S. 477 [ci-apr~s Smith].
S.R.C. 1952, c. 89.
MCGILL LAW JOURNAL/REVUE DE DROITDE MCGILL
[Vol. 40
sous le rdgime du droit civil qudbdcois. Agir autrement, de dire le juge Fauteux, au-
rait pour effet que ces dispositions seraient lettre morte.>>9
L’incidence de l’application du droit civil sur un environnement 16gislatif
d’inspiration anglaise est donc un autre 616ment dont il doit 6tre tenu compte dans
le cadre du processus d’accommodation mentionn6 par le professeur Le Dain. Au
dire de cet auteur, ce processus est facilit6 par l’6clectisme du droit commercial
qudbdcois. Compost d’un ensemble de rfgles de droit 6manant des traditions juri-
diques frangaise et anglaise, la nature syncr6tique de ce corpus juridique autorise-
rait le recours t une approche comparative axde sur l’uniformit6e. Le Dain ajoute:
It is sufficient here to stress the continuing importance in Canada, under any
foreseeable circumstances of constitutional or political accommodation, of
comparative legal method at the judicial as well as the legislative level, in the
interests of a workable jurisprudence adapted to economic realities in the field
of commercial law. The necessity of achieving a working relationship, and in-
deed as large a measure of unifonnity of result as possible, between the civil
law and common law in the commercial field is not a problem peculiar to Can-
ada but one which conditions investment and commercial relations in the
whole of the Western world, where the influence and relative importance of the
common law and civil law systems, the one centred on the United States and
territories which formerly were part of the British Empire, the other centred on
continental Europe and territories which were formerly colonies of European
powers, are more and more evenly balanced. In this larger context, Quebec has
an important stake in the maintenance and development of a legal system that
is as commercially serviceable as any other [nos italiques]”.
En somme, meme si le professeur Le Dain admet l’existence d’une dimension
constitutionnelle au probl~me que pose l’identification des sources du droit cana-
dien des effets de commerce, il n’en reste pas moins qu’h ses yeux la question de la
portde potentielle de l’article 9 en est une de pure interprdtation 16gislative. Le libel-
16 de cette disposition ne permet pas d’y voir exprimde par le 16gislateur une inten-
tion de limiter le recours A la common law aux questions qui rel~vent du droit des
effets de commerce au sens strict. En 6dictant cet article de renvoi, le Parlement f6-
ddral aurait occup6 l’ensemble du champ 16gislatif.
Un nombre important de juges et d’auteurs favorise l’application des r~gles du
droit civil qudbdcois en mati~re d’effets de commerce. Cependant, ]a 16gitimit6 de
ce recours au droit provincial est mise en doute. Notre objectif consiste prdcisdment
h drmontrer qu’une interprdtation constitutionnelle aussi bien que 16gislative peut
faire admettre commejuste et raisonnable cette approche dite traditionnelle.
Au risque de nous rdpdter, prdcisons que nous ne prdtendons pas t l’61aboration
d’un test infaillible permettant de ddcouper de fagon mathdmatique les spheres
‘ Smith, supra note 87 A la p. 495.
“<
9’lIbid. Atla p. 115.
19951
J. LECLAIR – EFFETS DE COMMERCE
d’application respectives du droit civil et de la common law dans le cadre d’un pro-
cessus d’interpr6tation d’une loi f6d6rale de droit priv6. Nous tenterons plutot de
proposer un fondement constitutionnel h l’interpr6tation restrictive donn6e jusqu’ici
par les tribunaux ht 1’article 9 de la Loi sur les lettres de change. Pour ce faire, nous
tenterons de mesurer l’6tendue des pouvoirs exclusif et accessoire auxquels peut
pr6tendre le Parlement f6d6ral en vertu du paragraphe 91(18) de la Loi constitu-
tionnelle de 1867. Le probl~me de la prescription retiendra plus particuli~rement
notre attention au cours de l’dtude du pouvoir exclusif, alors que la disposition f6-
d6rale de renvoi nous permettra de mesurer la port6e du pouvoir accessoire du Par-
lement fdd6ral en mati~re de lettres de change et de billets.
II. L’explication constitutionnelle de l’6tat du droit : l’Ntendue du pouvoir f6-
d6ral en mati~re d’effets de commerce
Plusieurs auteurs, nous l’avons vu plus haut, mettent en doute l’interpr6tation
restrictive donnde A la disposition f6d6rale de renvoi au motif que rien ne permet de
conclure qu’en adoptant cet article le Parlement f6d6ral n’entendait pas occuper
tout le champ du droit des effets de commerce. De plus, en guise d’exemple de
l’inad6quation de l’approche restrictive, ils all~guent que la prescription, mati~re
qui, selon eux, fait incontestablement partie du droit des lettres de change au sens
strict et qui devrait .done relever de la comp6tence exclusive du Parlement f6d6ral,
n’en est pas moins r6gie par le droit provincial. Le professeur Le Dain en conclut,
quant h lui, que l’interprdtation restrictive de la disposition de renvoi f6d6rale se
fonde en r6alit6 sur de simples motifs de commodit6 –
et
d’opportunit6. D’apr~s lui, l’application des lois provinciales 6tablissant des d6lais
de prescription au secteur f6d6ral des effets de commerce est inconstitutionnelle
parce que celles-ci visent une mati~re qui relive de la seule comp6tence du Parle-
ment f6d6ral aux termes du paragraphe 91(18) de la Loi constitutionnelle de 1867.
tol6r6e93. I1 soutient done que
Cette application, dit-il, serait simplement
1interpr6tation restrictive de la disposition de renvoi ne trouve pas d’assises solides
en droit constitutionnel canadien.
<
Nous tenterons, dans un premier temps, de d6montrer que si le Parlement fd-
ral d6tient bel et bien le pouvoir d’adopter des d61ais de prescription en mati~re de
lettres de change et de billets, cette conclusion n’est cependant pas constitutionnel-
lement incompatible avec une reconnaissance de l’applicabilit6 des d6lais de pres-
cription provinciaux aux effets de commerce, compte tenu du silence de la loi f6d6-
rale sur ce point (A). Dans la mesure oii ces d6lais n’atteignent pas la comprtence
fdd6rale en mati~re de lettres de change et de billets dans sa <
” Voir supra notes 72, 86 et texte correspondant.
93
qu’en mati~re de prescription, l’article 9 de la Loi sur les letres de change n’est d’aucune utilit6 car la
notion de
statutaire (J.S. Williams, Limitation of Actions in Canada, 2 6d., Toronto, Butterworths, 1980
la p.
25).
MCGILL LAW JOURNAL/REVUE DE DROITDE MCGILL
[Vol. 40
ils seront applicables en mati~re d’effets de commerce, A moins d’incompatibilit6
op6rationnelle avec la Loi sur les lettres de change.
Dans un deuxi~me temps, nous aborderons l’6tude proprement dite de l’article
9 de ]a Loi sur les lettres de change. 11 est vrai qu’A premiere vue cette disposition
pourrait 8tre interprdt6e comme autorisant l’introduction de la common law en toute
mati~re non couverte par la Loi. Nous constaterons cependant que l’article 9 ne r6-
pond pas aux conditions requises pour justifier un empi6tement d’une telle gravitd
sur les comp6tences provinciales. En effet, la redaction, le libell6 m~me d’un article
constitue bien 6videmment un 616ment h prendre en consid6ration dans 1’6tude de la
validit6 et de l’6tendue d’un empi6tement fond6 sur l’exercice d’un pouvoir acces-
soire. Or l’interpr6tation donn6e ht la disposition anglaise dont s’est inspir6 le 16gis-
lateur f6d6ral au moment de l’adoption de sa propre disposition de renvoi nous
6clairera sur la port6e limit6e que le Parlement f6d6ral entendait Iui voir attribuer
(B).
A. Le contenu spicifiquementfidgral de la compitencefidrale en mati~re
d’effets de commerce : le probMne de la prescription
Dans ce d6veloppement, nous verrons que s’est aujourd’hui beaucoup assouplie
la distinction entre pouvoir exclusif et pouvoir accessoire sur laquelle se fondent
des auteurs comme Le Dain pour affirmer que les d6lais de prescription provin-
ciaux ne peuvent s’appliquer h des effets de commerce. Les th6ories de qualifica-
tion actuelles encouragent d’ailleurs le chevauchement de mesures l6gislatives bien
plus que le cloisonnement 6tanche des comp6tences (1). En outre, nous constate-
rons que la nature particuli~re des comp6tences conf6r~es par les paragraphes
91(18) et 92(13) appelle un recoupement encore plus 6troit entre les interventions
‘application, A titre compl6men-
16gislatives provinciale et f6d6rale. En somme,
taire, des d6lais de prescription provinciaux est non seulement souhaitable mais
constitutionnellement autorisfe (2). Nous examinerons enfin l’impact de l’adoption
du nouveau Code civil du Quibec sur la question du d6lai de prescription applica-
ble au Qu6bec en mati~re de lettres de change. Nous verrons alors qu’une province
est habilit6e h adopter des ddlais de prescription en mati~re priv6e ffd6rale (3).
1.
L’exclusivit6 des comp6tences
l6gislatives et non de domaines 16gislatifs
: une question de
finalit6s
La th6orie des <
tutionnel canadien et qui reconnalit l’existence de domaines exclusifs de comp6-
tence, semble aujourd’hui vouloir c6der le pas h la th6orie dite du
” Alberta Government Telephones c. Canada (Conseil de la radiodiffusion et des tdleconmnunica-
‘arr& SEFPO c.
tions canadiennes), [1989] 2 R.C.S. 225
Ontario (PG.), [1987] 2 R.C.S. 2, 41 D.L.R. (4) 1 [ci-apr~s avec renvois aux R.C.S.], lejuge en chef
Dickson affirmait:
]a 1p. 275, [1989] 5 W.W.R. 385. Dans
19951
J. LECLAIR – EFFETS DE COMMERCE
nitre thorie, une loi qui, de par son caractre v6ritable, est f6ddrale sera mainte-
nue m~me si elle touche h des mati~res qui paraissent constituer des sujets de 16gis-
lation provinciale (et vice versa) [nos italiques] 9 ‘ Ce n’est donc pas le cloisonne-
ment 6tanche qu’encourage cette approche, mais bien le
que des auteurs comme Hogg ont fait remarquer . En effet, si certaines matires
sont sp6cifiquement f6d6rales, il faut en conclure que certaines finalit6s 16gislatives
ne peuvent 6tre poursuivies que par un seul ordre de gouvemement. Cette conclu-
sion s’impose, cependant, si l’on ne veut pas transformer les champs de comp6ten-
ces exclusives f6d6raux et provinciaux <
<
change et des billets, le
La question fondamentale est done la suivante : la prescription des effets de
commerce est-elle une mati~re exclusivement f6d6rale ? Fait-elle partie de ce droit
des effets de commerce au sens strict, de ce contenu sp6cifiquement f6d6ral ? Si tel
est le cas, il faudra conclure h l’inapplicabilit6 des ddlais de prescription provin-
ciaux d’application g6n6rale en mati~re de lettres de change et de billets.
Pour tenter de r6pondre
cette question, examinons tout d’abord la seule ddci-
sion de la Cour suprbme qui porte pr6cis6ment sur le probl~me de l’applicabilit6
d’un d6lai de prescription provincial en mati~re f6d6rale, soit l’arr& Clark. Cette
d6cision nous permettra de mettre en lumi~re d~s maintenant l’importance d’un
problme que nous examinerons plus en dMtail au cours de ]a section suivante, Ai sa-
1289. II existe une multitude d’exernples de lois f6rales comportant des d~lais de prescription Loi
sur la responsabilitUd civile de l’ttat et le contentieux adininistratif, L.R.C. 1985, c. C-50, art. 32 ; Loi
sur la Courfidirale, L.R.C. 1985, c. F-7, par. 39(1), 39(2) ; Loi sur la privention de la pollution des
eaux arctiques, L.R.C. 1985, c. A-12, par. 6(5) ; Loi sur les banques, L.R.C. 1985, c. B-1.01, par.
76(3), 272(2), 363(2), art. 209; Loi canadienne sur la protection de l’environnement, L.R.C. 1985 (4′
supp.), c. 16, par. 39(7), 60(7) ; Loi sur le progranume de stimulation mnibre au Canada, L.R.C. 1985
(4! supp.), c. 27, par. 19(l) ; Loi sur le drit d’auteur, L.R.C. 1985, c. C-42, art. 41 ; Loi sur les socid-
tds par actions, L.R.C. 1985, c. C-44, par. 38(5), 118(7), 131(5) ; Loi sur les miesures d’urgence,
L.R.C. 1985 (4! supp.), c. 22, par. 51(2) ; Loi d’urgence sur les approvisionnements d’6nergie, L.R.C.
1985, c. E-9, par. 32.3(2) ; Loi sur la taxe d’accise, L.R.C. 1985, c. E-15, par. 82(2) ; Loi stir la dd-
fense nationale, L.R.C. 1985, c. N-5, par. 269(1) ; Loi sur les opdrations pdtroliares au Canada,
L.RC. 1985, c. 0-7, par. 26(5) ; Loi sur la marine marchande, L.R.C. 1985, c. S-9, par, 471(1),
572(1), 677(10).
” Bell Canada c. Qudbec (Conrnission de la santg et de la sicuritif au travail), [1988] 1 R.C.S.
749, 51 D.L.R. (4′) 161 [ci-aprbs C.S.S.T avec renvois aux R.C.S.] ; Clark, ibid. ; Commission de
transport de la Comnunautd urbaine de Quibec c. Canada (Comnmission des champs de bataille na-
tionaux), [1990] 2 R.C.S. 838,74 D.L.R. (4′) 23.
OPW. Hogg, Constitutional Lzv of Canada, 3 6d., Toronto, Carswell, 1992 aux pp. 395-402.
‘0’ C.S.S.T, supra note 100 A lap. 766.
19951
J. LECLAIR – EFFETS DE COMMERCE
voir l’impact de la nature d’une comp6tence f6d6rale sur l’applicabilit6 des d6lais
de prescription provinciaux.
Dans Clark, une action en
1’encontre d’une entreprise fdd6rale de transport ferroviaire. L’enfant avait
t6 per-
cut6 par une locomotive. Les proc6dures ayant 6t6 engag6es plus de trois ans apr~s
la naissance du fondement de 1’action, le Canadien National pr6tendit pouvoir
s’abriter derriere le voile du d6lai de prescription de deux ans pr6vu au paragraphe
342(1) de la Loi sur les chemins defer O3. L’intim6, quant h lui, r6clamait la mise en
application du d6lai de six ans pr6vu par ‘article 18 de la Loi sur la prescription”4
du Nouveau-Brunswick. Les’all6gations de l’intim6 allaient recevoir l’assentiment
des juges de la Cour supreme.
La Cour devait souligner, dans un premier temps, que les actes n6gligents pos6s
par la compagnie ferroviaire r6sultaient, d’une part, d’une violation de l’obligation
de diligence reconnue par la common law et, d’autre part, de manquements a cer-
tains devoirs qu’imposait la Loi sur les chemins de fer O5. Bien que fond6e sur
l’irrespect d’obligations 6nonc6es dans cette derni~re loi, l’action intent6e n’en de-
meurait pas moins une action en
tige 6tait donc le suivant : le d6lai de prescription pr6vu au paragraphe 342(1) de la
loi f6d6rale pouvait-il 8tre appliqu6 A un recours de common law ? Sa port6e ne de-
vait-elle pas plutt 6tre restreinte aux droits d’action sp6cialement cr66s par la Loi
sur les chemins defer ? A l’inverse, il fallait aussi se demander si le d6lai de pres-
cription provincial 6tait suspectible de s’appliquer A une entreprise f6d6rale. La
Cour allait opter pour une interpr6tation limit6e de la disposition f6d6rale et une re-
connaissance de l’applicabilit6 de la loi provinciale.
La Cour proc6da, dans un premier temps, h un simple examen de la port6e vir-
tuelle du texte 16gislatif f6d6ral. Cette 6tude apprbfondie de l’objectif vis6 par la
disposition, soit la protection des compagnies ferroviaires contre toute forme de
poursuites judiciaires, a port6 la Cour
conclure que <<[r]ien dans le texte du par.
342(1) ne laisse entendre que le Parlement avait l'intention d'en limiter la port6e
[aux droits d'action cr66s par la loi].>>’ O’ En cons6quence, la Cour en a conclu que,
qu’il puisse en etre de la port6e virtuelle de cette disposition 16gislative, il fallait
malgr6 tout s’interroger sur sa constitutionnalit6. Cette question, nous le verrons,
’03 S.R.C. 1970, c. R-2, devenu le paragraphe 367(1) de la Loi sur les chemins defer, L.R.C. 1985,
c. R-3.
… L.RN.-B. 1973, c. LA8
‘o’ Clark, supra note 99 A la p. 687.
‘ Ibid. A ]a p. 690: v
“Ibid. A lap. 695.
loS Ibid.
MCGILL LAW JOURNAL/REVUE DE DROIT DE MCGILL
[Vol. 40
exigeait une prise en compte de la nature de la competence frd6rale en litige.
La Cour rappelle qu’en r~gle g6n6rale les lois provinciales d’application g6n6-
rale sont applicables aux entreprises frd6rales dans ]a mesure oi elles ne les
atteignent pas dans leur sp6cificit6 f6drale’9. Elle affirme en outre <[qu'il] ne fait
aucun doute que ]a l6gislature du Nouveau-Brunswick est constitutionnellement
comp6tente pour 16gifrer [...] en mati~re de d6lais de prescription g6n6raux, en
application des par. 92(13) et (14) de la Loi constitutionnelle de 1867.>>”o
Or, en l’esp~ce, quelle 6tait l’6tendue du contenu sp6cifiquement f6drral de la
comp6tence conf&re au Parlement f6d6ral aux termes des paragraphes 91(29) et
92(10) ? Le pouvoir drtenu par le Parlement en mati~re d’entreprise est de ]a nature
d’un pouvoir de gestion et d’exploitation. Tout ce qui se rapporte h cette gestion ou
exploitation relive du pouvoir exclusif f6d6ral”‘. Cette constatation entraTne une
cons6quence d’importance. En effet, s’il est vrai d’affirmer que les entreprises f6dd-
rales sont assujetties aux lois provinciales d’application g6n6rale, cette sujrtion,
rappelons-le, ne doit pas avoir pour effet de porter atteinte ii ces entreprises dans ce
qui constitue justenent leur sprcificit6 frd6rale,>>.. soit leur gestion et exploita-
tion. En l’occurrence, devait affirmer la Cour”3, la loi du Nouveau-Brunswick
n’empi6tait pas sur la gestion et l’exploitation de ]a compagnie ferroviaire comme
l’avait fait ]a loi qurb6coise sur la sant6 et ]a s6curit6 au travail dans l’affaire
C.S.S.T” 4 La Cour devait d6cider <[qu']on ne [pouvait] affirmer qu'une disposition
concernant la prescription applicable hi une action pour blessures causres par un
train [faisait] partie intigrante de ]a competence ffd6rale [nos italiques]>”
en ma-
tire d’entreprises ferroviaires. Sans se soucier de savoir si l’adoption de la loi
provinciale r6sultait de l’exercice d’un pouvoir exclusif ou accessoire, la Cour a
conclu que celle-ci 6tait valide parce que comportant un aspect ind6niablement
provincial, et qu’elle 6tait applicable t une entreprise f~d6rale, car elle n’en attei-
gnait pas la sp6cificit6.
La Cour supreme devait cependant reconnaitre que, si le droit d’action avait 6t6
validement cr66 par ]a loi frdrale, il eat 6t6 possible pour le Parlement d’adopter
“9 Ibid. aux pp. 704-705 ; voir aussi C.S.S.T, supra note 100 aux pp. 762-63.
” Clark, ibid. A la p. 708.
.. C.S.S.T, supra note 100 aux pp. 762, 833 et surtout 839.
“‘ Ibid. a la p. 762, tel que cit6 dans l’arrt Clark, supra note 99 a lap. 705.
… Clark, ibid. lap. 708.
‘” Dans cette affaire, la C.S.S.T. pr~tendait que ]a Loi sur la santi et la sdcuriti du travail, L.R.Q. c.
S-2.1, avait pour trait dominant la rrglementation de la sant – secteur de competence provinciale-
et qu’t ce titre elle pouvait s’appliquer aux entreprises f&lrales. M. lejuge Beetz, au nom de la Cour,
en est venu A la conclusion que ]a loi provinciale visait bel et bien A prot6ger ]a sant6 des travailleurs,
mais qu’elle y parvenait au moyen d’une rrglementation des relations de travail de ces derniers. Or,
devait-il affirmer, les relations de travail d’une entreprise de communication ou de transport interrre-
liante constituent une matire spcifiquement f~d6rale. L’application de ]a loi provinciale aurait en-
train6 une ingrrence, par la province, dans ]a gestion et ‘exploitation de l’entreprise f~drale. Ces
deux mati~res, devait affirmer la Cour, rel~vent de la competence exclusive du Parlement fdral.
115 Clark, supra.note 99 A lap. 708.
1995]
J. LECLAIR – EFFETS DE COMMERCE
116
. Puisque tel n’6tait pas le cas en
une disposition qui en aurait limit6 l’application’
l’esp~ce, le paragraphe 342(1) n’6tait pas applicable au litige ; on pouvait ainsi
avoir recours au drlai de prescription provincial. A propos de ce paragraphe, la
Cour ajoute ce qui suit:
La Loi sur les chenzins de fer crre effectivement des causes d’actions (voir
Part. 336) et le par. 342(1) est applicable constitutionnellement pour rrgir ces
actions.
I1 se peut que le Parlement n’ait pas eu l’intention de restreindre la dis-
position sur la prescription aux causes d’action que la loi crrait sp~cifiquement,
mais il est possible de donner au par. 342(1) ce sens restreint. Restreindre
rapplication du par. 342(1) aux causes d’action validement 6dictes en vertu
d’une loi f6drale valide ne prive pas l’article de tout effet veritable; cela ne fait
que restreindre sa portde A ce qui est acceptable sur le plan constitutionnel”‘.
Dans l’affaire Clark, la Cour supreme a donc reconnu que les d6lais de pres-
cription provinciaux 6taient applicables h des actions fondles sur le droit provincial
et intentres i l’encontre d’entreprises frdrales. Ces ddlais de prescription provin-
ciaux sont applicables aux entreprises dans la mesure oii ils ne les atteignent pas
dans leur sprcificit6 f6ddrale. Elle a 6galement reconnu le pouvoir du Parlement
central d’adopter des ddlais de prescription ; en l’esp~ce, cependant, elle a limit6 la
portde du ddlai de prescription f~drral aux recours cr66s par la loi f~d6rale. I1 faut
admettre toutefois que la Cour supreme discutait, dans cette ddcision, du probl~me
soulev6 par la comp6tence du Parlement en mati6re d’entreprises f6ddrales et que
1’action 6tait fond6e sur le droit provincial et non le droit f6d6ral. Elle devait
d’ailleurs affirmer :
Nous concluons que le par. 342(1) est ultra vires du Parlement f&ral dans ]a
mesure o6i il vise h s’appliquer A une action en common law fondre sur la n6-
gligence dans la mise en service d’un chemin de fer. Nous sommes d’avis
d’ajouter […] que la question litigieuse en l’espkce porte sur ]a competence du
Parlement de crier un d6lai de prescription particulier aux entreprises visres au
par. 92(10). Des consid6rations diffdrentes sont A l’origine des drlais de
prescription adoptfs dans d’autres domaines de competence f&t6rale comme ]a
faillite et les lettres de change, qui reIveraient de la proprirt6 et des droits
civils>> s’ils n’en avaient pas 6t6 retires par une disposition constitutionnelle
sprcifique […is.
Ce passage signifie simplement que l’tendue du pouvoir ffdral en mati~re de
ddlais de prescription, tout autant que l’applicabilit6 des drlais de prescription pro-
vinciaux b des secteurs de droit frddral, doit etre mesur6e i l’aune de la nature de la
comp6tence fddrrale en litige. C’est-h-dire que l’6tendue de ce qui est sp6cifique-
ment frdral peut varier d’une comp6tence h l’autre. Nous examinerons maintenant
cette question.
” Ibid. aux pp. 709-10.
17Ibid. Al a p. 710.
” Ibid. aux pp. 710-11.
MCGILL LAW JOURNAL/REVUE DE DROITDE MCGILL
[Vol. 40
2.
L’impact de
la nature d’une comp6tence
1’applicabilit6 des d6lais de prescription provinciaux
f6d6rale
sur
La thdorie de l’aspect autorise l’application des d6lais de prescription provin-
ciaux en mati~re f6d6rale dans la mesure of ils n’atteignent pas la comp6tence dans
sa sp6cificit fdd6rale et dans la mesure of ils n’entrent pas en conflit avec une me-
sure 16gislative f6d6rale valide. Le contenu de cette sp6cificit6 est largement in-
fluenc6 par le type de comp6tence qui est en jeu.
Dans Clark, ii s’agissait, nous nous en souviendrons, d’un litige impliquant
I’application d’une loi provinciale h une entreprise fddgrale. Or, au cours de son
6tude de
l’applicabilit6 du d6lai de prescription du Nouveau-Brunswick h
‘entreprise Canadien National, ]a Cour a nettement tenu compte de ]a qualit6 parti-
culire de la comp6tence ffddrale en jeu, soit une entreprise ferroviaire interre-
liante :
La responsabilit6 f6d6rale fondamentale en mati~re de chemin de fer est de
planifier, d’dtablir, de superviser et de girer la construction et l’exploitation de
cheinins defer, de compagnies de chenin defer et d’opdrations connexes. A
notre avis, I’dtablissement de d61ais de prescription g6n6raux qui touchent ceux
qui sont bless6s en raison de la n6gligence de l’entreprise de chemin de fer ne
fait pas partie int6grante de cette responsabilit6 fd&6rale fondamentale et n’en
est pas assez proche pour r6pondre au crit~re d6fini dans les arrets pr6cit6s [soit
Construction Montcaln Inc. c. Commission du salaire ndnhnutn”, Northern
Telecom LtDe c. Travailleurs n conununication du Canada120 et C.S.S.T] [nos
italiques]”‘.
Quelle est la nature de la comp6tence conf6r6e au Parlement en mati~re
d’entreprises aux termes du paragraphe 92(10) de ]a Loi constitutionnelle de 1867 ?
It est essentiel de donner r6ponse t cette question si l’on veut d6terminer avec jus-
tesse l’dtendue sp6cifiquement f6d6rale de cette comp6tence. Celle-ci porte onon
pas sur une matifre juridique ou un secteur de droit aux contours impr6cis, mais
bien sur une entit6 particulifre dont les fronti~res et le champ d’activit6s peuvent
etre fix6s assez ais6ment A l’aide d’une approche qui tient compte de composantes
factuelles.>>’ Le paragraphe 92(10) reconnait une comp6tence qui s’exerce
t
l’6gard d’entreprises locales et interreliantes. II est done peu 6tonnant que le conte-
nu exclusif de celle-ci s’exprime en termes defonctionnement et de gestion. Le pa-
ragraphe 92(10) impose ainsi h l’interprte qui d6sire en mesurer le
919791 1 R.C.S. 754,93 D.L.R. (3) 641.
,0 (1979), [1980] 1 R.C.S. 115,98 D.L.R. (3′) 1.
121 Clark, supra note 99 aux pp. 708-709.
‘ J. Leclair, <
L’impact>)].
” C.S.S.T, supra note 100 At lap. 839.
1995]
J. LECLAIR – EFFETS DE COMMERCE
tive de type matdriel mettant l’accent sur des crit~res pratiques et pragmatiques
d’appr6ciation, tel le concept d’ing6rence dans la gestion et l’exploitation d’une
entreprise. Cette approche a pour fonction d’identifier ce qui fait la sp6cificit6 par-
ticuli~re de cette comp6tence. Les lois provinciales qui atteignent les entreprises f6-
d6rales dans leur sp6cificit6 fdd6rale sont donc inapplicables, puisqu’elles empi6-
tent alors sur une comp6tence f6d6rale exclusive’24. C’est le cas, entre autres, des
lois provinciales qui r6gissent les relations de travail’ 25. Comme nous l’expliquions
dans une 6tude ant6rieure,
[u]ne fois identifide ]a nature fd6rale de l’entreprise, dtape qui requiert
l’tablissement d’une distinction fond~e sur des critres physiques et
gdographiques, tout 616ment jug6 essentiel A l’exploitation de cette demi~re
sera ddclar6 faire partie int6grante de la competence f&l6rale exclusive. II
s’agira ds lors, pour reprendre le libell6 du texte constitutionnel, d’une inatiare
tombant dans ]a cat~gorie de sujets formant ]a competence en question. En ef-
fet, c’est l’entreprise dats la totalitd de ses activitds qui relive du pouvoir 16gis-
latif du Parlement ft6dral. Une entreprise n’est pas divisible comme peut l’tre
une matire juridique. Uaccent est donc mis sur des crit res mat6riels
d’activit6s, de fonctionnement et de gestion. En outre, le simple fait pour une
loi provinciale de toucher un de ces 616ments dits essentiels en neutralise
l’application. […]
[LIe paragraphe 92(10) prockde A un partage de comp6tences qui n’admet pas
de recoupement puisqu’il se fonde essentiellement sur des crit~res physiques et
g6ographiques. Les entreprises locales, et tout ce qui touche leur gestion,
rel~vent des provinces, alors que 1’exploitation des entreprises interreliantes
relive du Parlement central. Ainsi, lorsque Ottawa et les provinces 1Mgif~rent A
l’gard des relations de travail, ils le font pour les memes fins et sous le meme
aspect. I1 n’y a pas double matire. Une loi provinciale r6gissant les relations
de travail ne sera donc intra vires que si elle vise une entreprise A l’6gard de
laquelle la province peut validement exercer son pouvoir 16gislatif.”‘
La nature particuli~re de la comp6tence f6d6rale sur les entreprises interrelian-
tes explique que son contenu sp6cifiquement f6ddral puisse etre n6cessairement
plus grand que celui d’une comp6tence dont la nature autoriserait un plus grand re-
coupement de finalit6s 16gislatives n2. Dans Clark, le d6lai de prescription provincial
t6 cr66 par
aurait-il port6 atteinte A la sp6cificit6 f6ddrale si le droit d’ action avait
la Loi sur les chemins defer ? Si ce dernier droit 6tait r6put6 faire partie int6grante
de cette responsabilit6 fondamentale que constitue ‘exploitation de compagnies de
chemins de fer interreliants, cette question devrait recevoir une r6ponse affirmative.
titre d’exemple, examinons un instant la comp6tence f6d6rale sur les
constitutionnelle de 1867.
124 Ibid. aux pp. 840-41.
‘5 Conunission du salaire mininum c. Bell Telephone Company of Canada, [1966] R.C.S. 767, 59
D.L.R. (2″) 145 ; C.S.S.T, ibid.
,21
‘”Sur cette question, voir ibid
MCGILL LAW JOURNAL/REVUE DE DROITDEMCG1LL
[Vol. 40
Dans R. c. Smith2″, l’intim6 r6clamait la possession d’une terre situ6e dans une
r6serve indienne ; if pr6tendait en avoir acquis la propri6t6 en vertu d’une posses-
sion non interrrompue d’au moins soixante ans. Cette prescription acquisitive 6tait
pr6vue dans une loi du Nouveau-Brunswick. La question en litige 6tait done la sui-
vante : le titre indien et le droit h la possession de la Couronne du chef du Canada,
qui sont tous deux fond6s sur le statut de 1’ immeuble comme terre de r6serve, pou-
vaient-ils 8tre valablement touch6s par une loi provinciale relative t la prescription
d’actions en recouvrement de biens-fonds ?
De fagon ,i r6pondre ad~quatement A cette question, le juge Le Dain”9 –
il
n’6tait pas encore juge h la Cour supreme –
a cherch6 A identifier ce qui faisait
partie int6grante du contenu exclusif de la comp6tence fdd6rale sur les terres in-
diennes. If en est venu
la conclusion que le droit h la possession de terres qui font
partie d’une r6serve au sens de la Loi sur les Indiens”3 relevait de la comp6tence
exclusive du Parlement f6d6ral aux termes du paragraphe 91(24) de la Loi constitu-
tionnelle de 1867.
1995]
J. LECLAIR – EFFETS DE COMMERCE
Qu’en est-il de la comp6tence f6d6rale en mati~re de lettres de change et de
billets ? Une loi provinciale 6tablissant un d6lai de prescription risque-t-elle de
l’atteindre dans sa sp6cificit6 fdd6rale ? La prescription rel~ve-t-elle du droit des ef-
fets de commerce au sens strict ? Cette question appelle aussi un examen de la na-
ture des comp6tences attribu6es respectivement aux deux ordres de gouvernement
en vertu des paragraphes 91(18) et 92(13) de la Loi constitutionnelle de 1867.
N’oublions pas n6anmoins, comme le rappelait h juste titre la Cour dans Clark, que
ce qui est vrai pour les entreprises f6d6rales et les Indiens ne l’est pas n6cessaire-
ment pour les autres chefs de competence f~draux”‘.
Les paragraphes 91(18) et 92(13) de la Loi constitutionnelle de 1867 ont ceci
de particulier qu’ils conferent tous deux un pouvoir de meme nature. En effet, ils
attribuent aux deux ordres de gouvernement une comp6tence en mati~re de droit
privd. En outre, h la diff6rence du paragraphe 92(10), le paragraphe 91(18) accorde
un pouvoir qui s’exerce t 1’6gard d’un secteur juridique et non h 1’6gard d’une enti-
t6 physique indivisible. Le droit priv6 ne constitue pas une mati~re qui est suscep-
tible, comme une entreprise, de faire l’objet d’un d6coupage fond6 sur des crit~res
physiques ou g6ographiques. II appelle le recoupement plut6t que l’exclusion.
D’ailleurs, en l’absence d’une attribution sp6cifique aux termes de la Loi constitu-
tionnelle de 1867, les lettres de change auraient tr~s certainement relev6 du para-
graphe 92(13) 34. On peut done affirmer sans crainte de se tromper que le contenu
minimum exclusif propre h chacune des comp6tences provinciale et f6d6rale de
droit priv6 ne peut tre mesur6 au moyen de crit~res d’activit6s ou de fonctionne-
ment comme pouvait l’8tre le pouvoir f6d6ral relatif aux entreprises f6ddraleg. C’est
par le recours h une approche de type analytique, soit une approche qui emprunte la
voie d’une analyse juridique, essentiellement intellectuelle>>’35 des concepts juridi-
ques, qu’il sera possible d’identifier le contenu minimal exclusif d’une comp6tence
de droit priv6. Tout le probl~me consiste donc h identifier les mati~res que peut seul
r6gir le Parlement f6d6ral aux termes de la comp6tence que lui confere le paragra-
phe 9 1(18) de la Loi constitutionnelle de 1867.
En vertu du paragraphe 92(13), les provinces sont en mesure d’ddicter les r6-
gles g6n6rales applicables en mati~re contractuelle’36 ; elles disposent du pouvoir
d’61aborer les r~gles du droit commun priv6137. Le paragraphe 92(14) reconnait aux
“‘ Clark, supra note 99 aux pp. 710-11.
13 Ibid.
I L’impact>>, supra note.122 t lap. 681.
136 j. Leclair, <
<
‘”Ibid. aux pp. 541-48.
t6 d6volue aux LAgislatures pro-
La comp6tence de principe sur le droit priv6 ayant
vinciales, en effet, c’est dans le droit des provinces que sont exprim es et d6finies, ou A
tout le moins r6glementdes, les notions fondamentales propres A cette mati~re. […] Le
l6gislateur f&t6ral n’a en effet pas le pouvoir de r6glementer de fagon exhaustive et
syst6matique les g6n6lrait6s du droit priv6, sauf de fagon restreinte dans ]a poursuite de
MCGILL LAW JOURNAL/REVUE DE DROITDE MCGILL
[Vol. 40
provinces le pouvoir de r6glementer la procedure en mati~re provinciale”3 ‘. I1 attri-
bue 6galement aux provinces le pouvoir de r6gir 1’administration de la justice dans
la province. La comp6tence d6tenue par le Parlement en vertu du paragraphe 91(18)
porte, quant h elle, sur un contrat de droit priv6. En effet, une lettre de change et un
billet h ordre ne pourront jamais 8tre cr66s en l’absence d’une obligation civile 39.
Au surplus, si un effet de commerce ne r6pond pas aux exigences formelles 6tablies
par la loi f6d6rale, il n’en demeurera pas moins une entente valable entre les parties
contractantesOt4 . Enfin, soulignons que la comp6tence f6d6rale do droit priv6 recon-
nue par le paragraphe 91(18) fait figure d’exception par rapport au paragraphe
92(13). I1 est donc naturel, selon nous, compte tenu de cette comp6tence de principe
attribu6e aux provinces en mati~re contractuelle, d’avoir recours aux r~gles du droit
civil pour colmater les brches d’une loi f6d6rale de droit priv6. Ces dernires, ce-
pendant, ne doivent pas porter sur des sujets qui sont sp6cifiquement f6d6raux,
c’est-,t-dire des sujets qui font partie du droit des effets de commerce au sens
strict>> 4 . Do toute fagon, une disposition l6gislative provinciale qui tendrait ht re-
m6dier h certains probl~mes pos6s par la n6gociation ou la forme d’un effet do
commerce ne pourrait plus so qualifier A titre de loi d’application gdn6rale”‘.
ses propres fins (Brisson, supra note 2 a la p. 349).
Valin c. Langlois (1879), 3 R.C.S. 1 aux pp. 15, M. lejuge en chef Ritchie, 81, M. lejuge Tasche-
reau, 89, M. le juge Gwynne [ci-apris Valin]. Les juges Foumier et Henry ne se sont pas prononcds
sur cette question. Quant au juge Strong, il n’a pas pris part au jugement. Le Conseil priv6 a confirm6
]a decision de ]a Cour supreme sans exprimer d’opinion sur le sens des mots oprocddure en mati~re
civile > ((1879), 5 App. Cas. 115 (C.P.)).
,3 Caron et Bohdmier, supra note 17 aux pp. 15-16. Comme ‘affirmait le juge McTieman dans
‘arr& Stock Motor Ploughs Ltd. c. Forsyth (1932), 48 C.L.R. 128
]a p. 154 (H.C. Australie) [ci-
apr~s Forsyth], <<[i]f debts were not contracted, the instruments to which the [Bills of Exchange] Act
relates would not come into existence.)>
,* M. Deschamps,
tutionnel: Notes etjurisprudence, Montral, Presses de l’Universit6 de Montr6al, 1982 aux pp. 836-
40.
” [1990] 2 R.C.S. 338, 58 C.C.C. (3) 65 [ci-apr~s Knox avec renvois aux R.C.S.]. Lejuge Sopinka
(avec l’appui des juges L’Heureux-Dub6 et McLachlin) dtait dissident dans cette affaire, mais sur un
autre point. II avait conclu que les dispositions de ]a loi f&16rale sur le revenu autorisant la d6livrance
d’un mandat de perquisition relevaient A la fois des paragraphes 91(27) et 91(3) de ]a Loi constitu-
tionnelle de 1867. Ainsi, la proc6dure applicable
la d6cision d’un juge d’une cour sup6rieure de ne
pas annuler un tel mandat pouvait 6tre rdgie a titre compl6mentaire par le droit provincial. Le juge
Cory (avec ‘appui des juges Wilson et Gonthier) 6tait cependant d’avis que les articles de ]a loi f6d&
rale relevaient exclusivenent du paragraphe 91(27). En cons&tuence, seul le Parlement f&6ral 6tait
comp6tent pour rdglementer ]a proc6lure qui leur dtait applicable – A ce sujet, voir Needham c.
British Cohnbia (1992), 95 D.L.R. (4′) 754
la p. 765, 76 C.C.C. (3′) 146 (C.A. C.-B.). Quant au
juge La Forest, bien qu’il ait pr6f&r6 l’approche du juge Sopinka, il a n6anmoins conclu de la meme
mani~re que lejuge Cory, mais pour un motif different. Cet arr& a dt6 suivi par une majorit6 des juges
de ]a Cour supreme dans Kourtessis c. M.RN., [1993] 2 R.C.S. 53, 93 D.T.C. 5137 [ci-apr s Kour-
tessis avec renvois aux R.C.S.].
724
MCGILL LAW JOURNALI REVUE DE DROITDE MCGiLL
[Vol. 40
Un tribunal provincial qui est saisi de ]a question peut validement appliquer ses
propres rfgles de procedure civile A moins que le recours A ces r~gles ne soit
interdit par une loi f&lrale ou que ]a question se rapporte clairement A une
proc&lure criminelle’.
Dans ‘affaire Dorfer c. Winchell 47, le juge Matheson a d’ailleurs conclu que le
Limitations of Actions Act14 de l’Alberta 6tait applicable aux effets de commerce,
puisque cette loi provinciale visait la procedure et non le droit substantiel.
Selon nous, la distinction entre droit procedural et droit substantiel est de peu
d’utilit6 –
nous y reviendrons toutefois dans la section suivante. En effet, nous
sommes d’avis que m~me si la prescription relive du droit substantiel, elle ne fait
pas partie du contenu specifiquement fed6ral propre i la competence du Parlement
fedral en mati~re de lettres de change et de billets. En somme, la prescription ne
fait pas partie integrante du droit des effets de commerce au sens strict. Le Parle-
ment pourrait cependant adopter un ddlai de prescription en matire d’effets de
commerce aux termes de son pouvoir accessoire.
Une etude historique du droit canadien des effets de commerce nous a permis
d’affirmer que le contenu sp6fiquement fed6ral de ]a competence conferee par le
paragraphe 91(18) ne s’6tend qu’aux facettes purement techniques qui distinguent
l’effet de commerce des autres contrats, soit les conditions de formation et de n6-
gociabilit6 des effets, les types de detenteurs et les privileges reconnus 4 chacun
’49
. En somme, nous sommes d’avis que le droit des effets de commerce <
tie du contenu minimal irrdductible de ia competence f6d6rale en matire de lettres
de change et billets.
Toutefois, nous verrons maintenant que rien n’empeche l’application des d6lais
de prescription provinciaux d’application gen6rale, et ce, parce que la prescription
ne fait pas partie du <
concept qui, t l’instar de la ndgociabilit6 ou de la forme d’un effet de commerce,
s’inscrit dans le <
fedrale attribuee en vertu du paragraphe 91(18) de la Loi constitutionnelle de
1867. De plus, nous tenterons de d6montrer que ces ddlais de prescription n’entrent
pas en conflit avec les dispositions de la loi fedrale sur les lettres de change.
Dans Alberta (PG.) c. Atlas Lumber Co.”O, l’intimde avait intent6 une action
sur billet A l’encontre de l’appelant. En guise de defense, celui-ci avait invoqu6
“6 Knox, ibiaL aux pp. 360,362,363.
,”‘ [1941] 2 D.L.R. 772 (C. dist. Alta.).
’48 S.A. 1935, c. 8.
49 <
“0 [1941] R.C.S. 87, [1941] 1 D.L.R. 625 [ci-apr~s Atlas avec renvois aux R.C.S.]. Voir aussi John
Deere Plow c. Agnew (1913), 48 R.C.S. 208,4 W.W.R. 277.
J. LECLAIR – EFFETS DE COMMERCE
1995]
l’alinfa 8(1)a) du Debt Adjustment Act 5′ de l’Alberta qui retirait h tout cr6ancier
le droit
non titulaire d’un permis dfcem6 par une commission provinciale
d’entreprendre des proc6dures en remboursement. Tous les juges de la Cour su-
preme conclurent ,h l’inapplicabilit6 de la disposition en litige. Les juges Duff et
Kerwin en sont arriv6s h la conclusion que ‘article 8 de la loi provinciale entrait en
conflit direct. avec le droit absolu, confr6 par la Loi sur les lettres de change au
ddtenteur d’un effet de commerce, de poursuivre souscripteur et endosseur. La dis-
position en litige, d’affirmer le juge Rinfret, avait pour effet d’attribuer h un orga-
nisme administratif provincial un pouvoir dfcisionnel absolu et purement discr6-
tionnaire d’accorder ou de refuser le permis d’acc~s aux tribunaux nfcessaire au
crfancier dfsireux de recouvrer sa dette. Or une telle disposition avait pour effet de
rdduire h n6ant les pivilfgesattribus par la loi f~dfrale sur les lettres de change au
dftenteur d’un billet:
The prohibition goes to the right to sue. It has nothing to do with mere proce-
dure. The right to bring an action is not procedure; it is a substantive right. […]
[IT]he right to sue, or to enforce payment, or to recover on a bill or note is of the
very essence of bills of exchange; it is one of the essential characteristics of a
bill or of a promissory note. The matter falls within the strict limits of sub-head
18 of sec. 91. It flows from the provisions establishing negotiability, which has
become the primary quality of a bill or note and in which consist the true char-
acter and nature of these instruments.
The provisions relating to the right to sue, to enforce payment and to re-
cover before the courts are not incidental provisions; they are, in truth, the very
pith and substance of the statute. […]
The effect is to destroy the value of the negotiability of the bill or note and to
deprive the holder of a bill or note of the right and power to sue and enforce
payment and recover, which are conferred upon him by the Bills of Exchange
Act’52.
Les juges Hudson, Taschereau et Davis 6taient tous d’avis qu’une province ne
pouvait subordonner t un contr6le extrajudiciaire l’exercice de droits d’action cr66s
en vertu d’une loi ffd6rale’53.
‘5’ S.A. 1937, c. 9.
“‘2Atlas, supra note 150 aux pp. 97, 101.
‘” Le juge Taschereau a fait siens les motifs 6noncds par son coll~gue Hudson, alors que le juge
Davis a r&lig6 une opinion s~par~e. Dans Reference re Debt Adjustment Act, 1937 (Alberta), [1942]
R.C.S. 31, [1942] 1 D.L.R. 1 [ci-apr _s Reference re Debt Adjustment avec renvois aux R.C.S.] – d6-
cision confirm~e par le Conseil priv6 ([1943] A.C. 356, [1943] 2 D.L.R. 1 (C.P.)) –
le Debt Adjust-
ment Act de l’Alberta a 6t6 d~clar6 inconstitutionnel dans son entiret. Le juge en chef Duff, dans
Reference re Debt Adjustment, ibid. A la p. 40, (et les juges Rinfret, Davis, Kerwin, Hudson et Tasche-
le juge Crocket 6tait dissident) en est venu h Ia conclusion que toute la Loi 6tait ultra vires au
reau –
motif, entre autres, qu’elle empi~tait sur ]a comp6tence f&tdrale en mati~re de faillite. II devait 6gale-
ment souligner qu’elle portait atteinte aux droits d’action reconnus par les lois f~drales sur les lettres
de change, sur les banques et sur les compagnies incorpordes au f&hiral. A ce propos, il affirmait que
MCGiLL LAW JOURNAL/REVUE DE DROITDE MCGILL
[Vol. 40
La loi provinciale en litige dans cette affaire avait pour effet de nier tout acc~s
aux cours de justice. Le d6tenteur d’un effet de commerce ne pouvait en aucune fa-
gon exercer les droits que lui conf6rait la loi fdd6rale. En l’absence d’un permis,
toute action 6tait prohib6e. La loi en litige
vise simplement h protdger les ddbiteurs, au nom de l’intr& public, ,h l’encontre
des crdanciers n6gligents qui omettent d’exercer leurs recours dans un laps de
temps donn6. I n’annihile pas compl&ement le droit d’action du ddtenteur. L’acc~s
aux tribunaux demeure possible. Un tel d6lai impose simplement un devoir de c6-
16rit6 au cr6ancier du souscripteur d’un billet. II ne met nullement en p6ril le carac-
tare n6gociable de l’effet de commerce 5 ‘. De plus, il n’y a pas de conflit op6ration-
nel puisque l’application d’une disposition provinciale de cette nature ne nous pa-
rait pas incompatible avec l’objet de la loi fdd6rale sur les effets de commerce’. En
effet, celle-ci accorde au ddtenteur d’un effet de commerce un droit de poursuivre ;
cependant, rien ne permet de conclure que ce droit est conf6r6 ad vitam wternam,
[t]he distinction between right and remedy is often a useful distinction, but an enact-
ment which takes away the remedy by action, which the law otherwise would give to
the creditor in respect of his debt, and substitutes therefor the chance of obtaining, by
the arbitrary act of a public authority, permission to enforce a remedy is, I think,
something more than an enactment relating to procedure. It strikes, I think, at the sub-
stance of the creditor’s rights (ibid. la p. 36).
I devait ajouter, ibid. A a p. 38 : <
prudence reconnait au f&16ral (une tr~s vaste comp6tence accessoire>>. Cette approche
est certes la plus conforme A une interprdtation contextuelle du partage des comp6-
tences: en droit priv6, ce sont les comp~tences f&ldrales qui constituent des exceptions
A la r~gle de l’article 92(13), et ii faut 6viter que cette rigle ne devienne 1’exception par
l’effet conjugu6 de larges exclusivitds f6drales (H. Brun et G. Tremblay, Droit Consti-
tutionnel, 2 dl., Cowansville (Qu6bec), Yvon Blais, 1990 A lap. 431).
16″ The Securities Act, S.S. 1954, c. 89.
MCGILL LAW JOURNAL/REVUE DE DROITDE MCGILL
[Vol. 40
financi~res, l’appelant avait remis h diffdrents pr~teurs un certain nombre de billets
portant la mention Promissory Note and Collateral Covenants>>. Ceux-ci deve-
naient payables douze mois apr~s leur mise en circulation. Des ill6galit6s perp6tr6es
par l’appelant devaient amener la commission provinciale des valeurs mobilires I
lui retirer son permis de vendeur. Dor6navant incapable de proc6der t la n6gocia-
tion des billets ddcrits plus haut sans encourir de sanctions p6nales, 1’appelant d6ci-
da d’attaquer la constitutionnalit6 de la loi provinciale. En guise d’argument princi-
pal, il soutenait que la loi en litige portait sur un sujet relevant de ]a comp6tence
exclusive du Parlement, en l’occurrence les lettres de change et les billets.
Le juge en chef Kerwin’63 a rejet6 les pr6tentions de Duplain au motif que la loi
en litige portait sur ]a r6glementation du commerce des valeurs mobilires et ne vi-
sait donc pas les effets de commerce’6. Cette affaire, disait-il, se distinguait de
l’arret Atlas puisqu’en l’esp~ce le droit d’action du d6tenteur n’6tait pas mis en
6chec par la loi. Rien n’emp~chait les d6tenteurs des Promissory Notes and Col-
lateral Covenants>> de poursuivre les souscripteurs de ces effets’
. Le juge
Cartwright, quant I lui, 6tait d’avis que la loi provinciale 6tait valide et applicable
puisqu’elle n’avait pas pour cons6quence d’alt6rer la nature ou l’essence meme du
billet’6 . Pour sa part, le juge dissident Locke estimait que les dispositions l6gislati-
yes en litige entravaient 1’application de la loi f6d6rale sur les effets de commerce
d’une fagon bien plus dramatique que le Debt Adjustment Act de l’Alberta. Selon
lui, l’article 10 de la Loi sur les lettres de change prdservait le droit de n6gocier li-
brement les effets de commerce que reconnaissait la common law antdrieurement It
1890. En l’esp~ce, affirmait-il, la loi de la Saskatchewan prohibait non seulement la
n6gociation de billets par des personnes non titulaires de permis, mais encore, seuls
les effets qui satisfaisaient aux exigences prdvues par ladite loi pouvaient etre n6-
gocies
167
Bref, une loi provinciale qui ne touche pas la form, content, validity or en-
forceability of promissory notes>>68 _ le droit des effets de commerce au sens strict
– pourra fort bien s’appliquer I des effets de commerce; elle ne d6jouera alors pas
l’intention du l6gislateur f6d6ral. Voilk ce que d6montre clairement la d6cision Du-
plain, si l’on fait bien stir exception de l’opinion dissidente du juge Locke. En ou-
tre, pour les motifs 6nonc6s plus haut, l’arr& Atlas peut difficilement etre interpr6t6
comme prohibant l’application des d6lais de prescription d’application g6n6rale
adopt6s par une province sous ’empire du pouvoir qu’elle ddtient en vertu des pa-
ragraphes 92(13) et (14) de la Loi constitutionnelle de 1867.
Qu’en peut-on d6duire sinon qu’un ddlai de prescription g6n6ral 6tabli par une
loi provinciale pourrait fort bien s’appliquer en mati~re f6d6rale ? C’est d’ailleurs
.. Les juges Taschereau, Fauteux et Judson ont approuv6 les motifs de leur coll~gue Kerwin.
‘ Duplain, supra note 50 A lap. 700.
Ibid. aux pp. 700-701.
’66 Ibid. a lap. 709.
“‘ Ibid. A lap. 708.
‘6 Ibid. A lap. 714, M. lejuge Ritchie.
1995]
J. LECLAiR – EFFETS DE COMMERCE
ce que semble avoir implicitement reconnu la Cour supreme dans 1’affaire Gingras
c. General Motors Products of Canada69. En l’esp&ce, l’intim6e soutenait que la
prescription annale pr6vue h l’article 1040 du Code civil du Bas-Canada 6tait ap-
plicable au recours d’un syndic fond6 sur l’article 64 de la Loi sur lafaillite’ . Bien
qu’aucune question constitutionnelle n’ait 6t6 soulevde, tous les juges de la Cour se
sont entendus pour admettre que les drlais de prescription provinciaux 6taient ap-
plicables. Alors qu’une majorit6 des juges 17′ s’est prononc6e en faveur de
l’application des ddlais de prescription de droit commun, de trente ans ou de cinq
ans selon le cas, le juge dissident de Grandpr6 6tait plutOt d’avis que la prescription
annale 6tablie par 1’article 1040 devait 8tre invoqufe.
En somme, on peut affirmer que les comp6tences fdddrales et provinciales por-
tant sur le droit priv6 6num&res aux articles 91 et 92 de la Loi constitutionnelle de
1867 repr6sentent un ensemble de fins l6gislatives h atteindre et non de domaines
juridiques exclusifs. Un seul domaine existe, h savoir le droit priv6. Le Parlement
est seul, h l’intdrieur de cette sphere juridique, h pouvoir poursuivre, h titre excep-
tionnel, certaines fins 16gislatives bien d6finies. Comme nous avons pu le voir, la
prescription est un sujet qui, incontestablement, peut faire l’objet d’une intervention
ldgislative directe par le Parlement en vertu du pouvoir qu’il d6tient relativement
aux effets de commerce 3. Cependant, puisque la prescription n’entre pas, selon
nous, dans le contenu sp6cifiquement frddral de la comp6tence du Parlement en
mati~re de lettres de change, la comp6tence frdrrale h l’6gard de cette mati~re se
fonderait sur l’exercice d’un pouvoir accessoire.
Les provinces peuvent, quant h elles, 6tablir des d6lais de prescription
d’application gdnrrale sous l’empire des pouvoirs de rdglementation qu’elles pos-
‘0 [1976] 1 R.C.S. 426, 57 D.L.R. (3′) 705 [ci-apr~s Gingras avec renvois aux R.C.S.].
70 S.R.C. 1952, c. 14; devenu S.R.C. 1970, c. B-3, art. 73 ; lui-m~me devenu L.R.C. 1985, c. B-3,
171 Gingras, supra note 169 aux pp. 434 (M. le juge Pigeon avec l’approbation de MM. les juges
art. 95.
Martland et Dickson), 439 (M. lejuge Beetz).
172 Ibid. la p. 452. Seul lejuge de Grandpr6 s’est prononcd sur la constitutionnalit6 de l’application
des drlais de prescription provinciaux en mati~re f&ldrale. Ainsi, il affirme ce qui suit:
Avec respect, je ne puis partager ]a reaction premi~re de M. le juge Locke [dans Tra-
ders Finance Corporation Ltd. c. Lvesque, [1961] R.C.S. 83 A lap. 90,26 D.L.R. (2’)
384 – il s’agissait nettement d’un obiter -] qu’aucune loi provinciale touchant ]a
prescription n’est opposable A un rdclamant dot6 d’un droit d’action par une loi f~d6-
rale lorsque cette derni~re ne contient aucune disposition rdglant ]a mati~re. C’est ainsi
que le droit d’action accord6 par ]a Lai sur les lettres de change […] a 6t6 soumis A la
prescription quinquennale du Code civil dans l’arret Catellier c. Blanger [[1924]
R.C.S. 436, [1924] 4 D.L.R. 267 [ci-apr s Catellier]]. Cet arr&t nous indique la voie A
suivre lorsque, comme en l’esp~ce, le texte 16gislatif provincial porte une date antd-
rieure A la Confddration (Gingras, ibid A lap. 446).
‘”Voir ci-dessus le texte correspondant A ]a note 99.
MCGILL LAW JOURNAL/REVUE DE DRO1TDE MCGILL
[Vol. 40
sWdent en matibre de contrats et de procedure civile’74. En raison de la compl6tude
du droit priv6 et de l’attribution d’une competence de principe aux provinces en cc
domaine, il est raisonnable de penser qu’une disposition provinciale d’application
g6ndrale puisse venir combler les silences d’une loi fdd6rale relative aux lettres de
change et aux billets. I1 pourrait y avoir incompatibilit6 op6rationnelle dans la seule
mesure oti robjet de ]a loi en question serait mis en dchec par ‘application de ]a
disposition provinciale. Comme nous l’avons d6montr6 lors de notre examen de
‘arr& Atlas, un ddlai de prescription d’application gdn6rale ne soulhve pas un tel
conflit.
Certains mettaient en doute la validit6 de l’interprdtation restrictive de ‘article
9 sous pr6texte que la prescription des effets de commerce, tout en continuant
d’etre f6gie par le droit provincial, n’en 6tait pas moins une mati~re qui relevait du
droit des lettres de change au sens strict. Comme nous avons tent6 de le d6montrer,
la prescription est plut6t une mati~re qui peut faire l’objet d’une intervention l6gis-
lative de la part des deux paliers gouvernementaux, dans la mesure ofi, cc faisant,
poursuivre une fin constitutionnellement l6gitime. Or, en
ceux-ci s’attachent
l’absence de conflit, les d6lais provinciaux de prescription d’application g6nerale
peuvent s’appliquer, A titre compl6mentaire, aux effets de commerce, car ils
n’atteignent pas la comp6tence en matibre de lettres de change et billets dans sa
sp6cificit6 f~drale. La relation tr~s particulibre qui unit les comp6tences f6d6rale et
provinciale de droit priv6 explique cc phdnombne.
3.
L’impact du nouveau Code civil du Quebec en mati~re de
prescription de lettres de change
La Loi sur les lettres de change n’a jamais prdvu et ne pr6voit toujours pas de
ddlai de prescription. Ont donc 6t6 invoqu6s avec succ~s les d6lais de prescription
d’application gdn6rale adopt6s par les provinces. Ce recours aux dispositions pro-
‘avons constat6, est tout it fait justifi6 sur le plan constitutionnel.
vinciales, nous
Au Quebec, cependant, le problbme de la prescription applicable en matibre de let-
tres de change et de billets a 6t6 r6solu jusqu’ t tout rdcemment par I’application
d’une disposition pr6conf6d6rale.
L’alinda 2260(4) du Code civil du Bas-Canada pr6voyait que <<[l]'action se
prescrit par cinq ans dans les cas suivants : [...] [e]n fait de lettres de change h
l'int6rieur ou t l'6tranger, billets promissoires ou billets pour la livraison de grains
ou autres choses, ndgociables ou non [...] h compter de l'6ch6ance.>> Cette disposi-
tion n’a pas 6t6 adopt6e par ‘assemblde legislative de la Province de Qu6bec, mais
bien par l’assemblde l6gislative de la Province du Canada-Uni. II s’agit d’une dis-
position pr6conf~drale, maintenue en vigueur par l’article 129 de la Loi constitt-
tionnelle de 1867. La Cour supreme n’a pas h6sit6 t recourir t cc d6lai de prescrip-
tion d’application particulibre7 .
‘7’ Voir ci-dessus le texte correspondant
“‘ Catellier, supra note 172; Bergeron c. Lindsay, [1940] R.C.S. 534, [1940] 4 D.L.R. 81.
a note 110.
19951
J. LECLAIR – EFFETS DE COMMERCE
Le nouveau Code civil dA Quibec, entr6 en vigueur le l”janvier 1994, a abrog6
le Code civil du Bas-Canada. Se pose alors la question suivante : la Legislature du
Qu6bec 6tait-elle en mesure d’abroger l’alin6a 2260(4) ? Cette disposition n’6tablit
pas un d6lai de prescription d’application g6n6rale. Elle vise spicifiquement la
prescription des lettres de change et billets. Or le libell6 de l’article 129 de la Loi
constitutionnelle de 1867 6dicte que
les lois en force au Canada 76 [sont maintenues en force] […] ; mais […] [elles]
pourront n6anmoins […] etre […] aboli[e]s ou modifif[e]s, selon le cas, par le
Parlement du Canada, ou par la Legislature de la province respective, confor-
m6ment A l’autorit6 du Parlement ou de cette 16gislature en vertu de ]a presente
loi.
En d’autres mots, le pouvoir de modifier le droit prdconf6deral est partag6 entre les
provinces et le pouvoir central en conformit6 avec les acticles 91 et 92 de la Loi
constitutionnelle de 1867.
Qui, du Parlement f6d6ral ou des 16gislatures provinciales, est comp6tent pour
abroger l’alin6a 2260(4) ? Dans la section pr6c6dente, nous avons conclu que la
prescription ne relevait pas du contenu spdcifiquement f6d6ral de la competence re-
connue au Parlement en mati~re d’effets de commerce. I1 s’ensuit, comme nous
l’avons 6galement constat6, que le pouvoir du Parlement f6d6ral de 16giferer en
mati~re de prescription repose sur l’exercice d’un pouvoir accessoire. En conse-
quence, Ottawa pourrait non seulement pr6voir un delai de prescription dans sa Loi
sur les lettres de change, mais encore pourrait-il modifier.1’alin6a 2260(4) du Code
civil dA Bas-Canada.
Qu’en est-il de la Province de Quebec ? Jusqu’I pr6sent, nous avons d6montr6
que rien ne s’oppose hi l’application, h titre compl6mentaire, des d6lais de prescrip-
tion provinciaux d’application gendrale. Toutefois, un d6lai de prescription pro-
vincial d’application particulidre ne pourrait-il pas 6galement etre valide et appli-
cable t titre suppl6tif ? En effet, puisque la prescription ne fait pas partie du conte-
nu sp6cifiquement et exclusivement f6d6ral de la competence de droit priv6 recon-
nue au Parlement f6d6ral aux termes du paragraphe 91(18) de la Loi constitution-
helle de 1867 7, ne devrait-on pas en conclure que les provinces disposent, en vertu
du paragraphe 92(13), d’une comp6tence exclusive en mati~re de prescription, et
ce, h l’egard de tout contrat, y compris d’un effet de commerce ?
Comme le rappelait M. le juge Beetz, dans l’affaire C.S.S.T, <<[l]e principe de
l'exclusivit6 des champs de comp6tences n'est pas tributaire d'une technique de r6-
'76Cette expression d6signait alors ]a Province du Canada-Uni.
"7II pourrait en aller autrement A l'gard de competences f&6drales d'une autre nature (par exemple,
]a comp6tence f6derale sur les indiens ou les entreprises fMd6rales). En effet, de telles competences ne
font pas figures d'exception aux competences des provinces comme c'est le cas des pouvoirs du Par-
lement f&l6ral en matire de droit priv6.
MCGILL LAW JOURNAL/REVUE DE DROIT DE MCG1LL
[Vol. 40
daction 16gislative.>>’78 Ainsi, dans ]a mesure o une loi provinciale de droit priv6 ne
porte pas atteinte h ]a sp6cificit6 f6d6rale d’une comp6tence de droit priv6 attribu6e
au Parlement, en quoi est-il pertinent que la loi provinciale soit d’application g6n6-
rale ou particuli~re ? Les tribunaux canadiens ont reconnu la validit6 de plusieurs
lois provinciales, et ce, meme si elles visaient sp6cifiquement certaines personnes
relevant d’Ottawa 79 . Les cours d’appel du Quebec ‘ O et de
ou entreprises
l’Ontario ‘ ont d’ailleurs confirm6 que des lois prov*inciales qui comportaient des
r6f6rences directes aux effets de commerce n’6taient pas pour autant ultra vires.
Puisqu’un d6lai de prescription provincial n’atteint pas la comp6tence du Parlement
f~d6ral dans sa spkificit6 meme et que l’adoption d’un tel d6lai rel~ve par cons6-
quent du pouvoir exclusif que d6tiennent les provinces aux termes du paragraphe
92(13) de la Loi constitutionnelle de 1867, pourquoi nier t la province le pouvoir
de faire sp6cifiquement ce qu’elle peut faire par le moyen d’un d6lai d’application
g6n6rale ? De tels ddlais de prescription particuliers ont d’ailleurs 6t6 d6clar6s vali-
1 C.S.S.T, supra note 100 h la p. 841. En l’espce, la Cour avait conclu que ]a Loi surla sanid et la
sdcuritd au travail du Qudbec 6tait inapplicable h Bell Canada au motif qu’elle portait atteinte au
contenu sp~ifiquement f&!dral de ]a comp6tence du Parlement f~dral en mati~re d’entreprises inter-
reliantes. Que cette loi soit d’application g6n6rale plut6t que particulire n’6tait pas pertinent, devait
souligner M. lejuge Beetz, ibid.
“9 Voir Hogg, supra note 101 aux pp. 380-81 et les d6cisions qu’il cite.
” Dans 127097 Canada Ltd. c. Qudbec (PG.), [1991] R.J.Q. 2526 (C.A.), l’appelante contestait ]a
validit6 de l’article 251 de la Loi sur la protection du consommnateur qui interdit ]a perception de frais
pour rencaissement d’un chbque 6mis par le gouvemement du Quebec, du Canada, ou par une corpo-
ration municipale. L’appelante soutenait que ]a loi portait atteinte, A ]a n6gociabilit6 des effets de
commerce puisqu’elle avait pour effet de fixer le prix auquel un effet de commerce devait 8tre n6go-
ci6. Le juge Gendreau (et les juges Mailhot et Fish), ibid. A lap. 2529 devait conclure que ]a loi en li-
tige visait ]a protection du consommateur – matire relevant de la comp6tence des provinces –
et
que l’article 251 prohibait validement une
perception de frais par une personne qui sait fort bien que le chque 6mis par un gouvemement sera
promptement et totalement honorS. La Cour souligne ensuite, ibid. aux pp. 2530, 2532, que ]a n~go-
ciabilit6 d’une lettre de change au sens de ]a Loi sur les lettres de change
remarquer, ibid A ]a p. 2532, que l’article en litige ne visait pas le droit des effets de commerce oin
the strict sense>>, qu’il ne portait pas atteinte A la n6gociabilit6 du cheque. I1 visait simplement Ia per-
sonne qui fait commerce de rencaissement des chetues en prohibant ]a perception de frais ; il n’en
restait pas moins, de dire lejuge, que
oproc6dure en mati~re civile>> apparaissant au meme paragraphe ont 6t6 interprrt6s
comme signifiant la procddure en mati~re provinciale 87. Une r6glementation pro-
vinciale de la procdure ffdrale autre que criminelle ne semblant donc pas pouvoir
trouver assise sur cette partie du paragraphe 92(14), les deux auteurs la fondent
… Dans l’arrt Weingarden c. Moss (1955), 15 W.W.R. 481, [1955] 4 D.L.R. 63 A la p. 69 (C.A.
Man.), la Cour d’appel du Manitoba devait affirmer ce qui suit : <
Burton, [1945] 3 W.W.R. 765, [1946] 1 D.L.R. 315 A ]a p. 325 (C.A. Alta.), decision oib la comp6-
tence fdd6rale en matire de mariage dtait en litige, le juge Frank Ford affirme : It may be assumed,
[…] that the Legislature of Alberta presently has the power, by apt words, to provide for a period of
limitation in respect of actions for nullity of marriage on the ground of incapacity to consummate the
marriage, acting under its legislative jurisdiction in respect of procedure in the provincial Courts.>>
“‘Voir ci-dessus le texte correspondant A la note 160.
,” II ne faudrait pas croire que Ia province pourrait modifier ou abroger un dalai de prescription fi-
gurant dans une loi f&tdrale. Si les deux ordres de gouvemement sont habilits, selon nous, A 16gifdrer
a l’6gard de I’alin~a 2260(4) du Code civil du Bas-Canada, c’est en raison de ]a nature prconf~darale
de cette disposition. Ayant dt6 adopt6 en 1866 par la Province du Canada-Uni, on ne peut dire de
6fd.Arale>. Seule ]a mati~re sur laquelle il porte
l’alinga 2260(4) qu’il est de nature <,provinciale>> ou
son dgard. Or nous en sommes arrives A ]a conclusion que
permet d’identifier l’autorit6 comptente
le pouvoir accessoire du Parlement f~dlral en matire de lettres de change et de billets avalisait une
intervention de ce demier en matire de prescription, alors que le pouvoir exclusif provincial relati-
vement aux contrats et A Ia prescription permettait 6galement une intervention de ce genre. I1 s’ensuit
que les deux paliers gouvemementaux pouvalent modifier l’alin~a 2260(4).
“‘ Quant A ]a procrdure criminelle, il n’est mis en doute par personne qu’elle relive du pouvoir ex-
clusif f~d~ral aux termes du paragraphe 91(27) de la Loi constitutionnelle de 1867.
“6 Chevrette et Marx, supra note 144 aux pp. 836, 839.
117 Valin, supra note 138.
MCGILL LAW JOURNAL/ REVUE DE DROITDE MCGILL
[Vol. 40
plut6t sur le pouvoir que poss~dent les provinces pour assurer l’administration effi-
cace de ]a justice sur leur territoire. Ils en concluent que
[s]ous rdserve de ces difficult~s de qualification, une loi provinciale de
proc&lure ou de preuve, pour etre applicable A titre suppldtif en matire f&ld-
rale, n’a pas besoin d’etre une loi de caract~re g~n6ral et pent viser specifique-
ment certaines de ces matiares, comme le montrent certains exemples citds
plus haut”. [-..] Son caract~re gdn6ral peut meme ]a rendre si inappropri~e A un
domaine f&16ral donn6 qu’elle y deviendra inapplicable. Inversement, son
caractre spgcifique pourra 6ventuellement etre un indice de d6guisement 1dgis-
latif [nos italiques], t ‘
Cette approche a le grand m6rite d’autoriser une province h abroger ou modi-
fier une mesure 16gislative prdconf6d6rale, comme l’alin6a 2260(4), portant sur une
matire de procedure f6d6rale autre que criminelle’O.
Selon nous, cependant, l’expression proc6dure en mati~re civile > est trop pr6-
cise pour que l’on puisse pr6tendre trouver une autre assise au pouvoir provincial
en cette mati~re. II est malheureux que, dans Valin, la Cour supreme n’ait pas donn6
aux mots
interprdtation aurait dt6 tout h fait plausible, nous semble-t-il, compte tenu du libel-
16 des paragraphes 91(27) et 92(14). Le sens accord6 A l’expression
lement avec rinterpr6tation subsdquente donn6e par la Cour supreme au paragraphe
92(14) de ]a Loi constitutionnelle de 1867. Avant d’examiner bri~vement ce con-
tentieux, signalons tout de suite que, dans Valin, il s’agissait de savoir si le Parle-
ment 6tait autoris6 h conf6rer juridiction h un tribunal provincial relativement t une
mati~re f6d6rale, et s’il lui 6tait possible d’ddicter la procddure permettant la mise
en oeuvre des mesures qu’il avait adopt6es. Ce n’dtait donc pas l’6tendue du pou-
voir provincial en mati~re de procddure civile qui dtait en litige, mais bien celui du
Parlement f6d6ral. Or, s’il est vrai d’affirmer que le Parlement f6ddral d6tient le
pouvoir d’adopter des r~gles de procddure dans ses champs de comp6tence, il ne
s’ensuit pas ndcessairement une incapacit6 pour les provinces d’adopter des r~gles
de proc6dure en mati~re autre que criminelle. Ne l’oublions pas, la thdorie des
compartiments 6tanches ne prdside plus A 1interpr6tation de la Loi constitutionnelle
de 1867.
L’arret Valin n’a d’ailleurs pas empech6 la Cour supreme de reconnai’tre aux
provinces un pouvoir d’attribuer juridiction h un tribunal provincial, et ce, a 1’6gard
d’une mati~re f6ddrale. Ainsi, dans McKenzie, ]a Cour a reconnu la validit6 d’une
loi de la Colombie-Britannique attribuant spicifiquement aux cours de comtd pro-
“a Les auteurs se fondent principalement sur l’arr&t Colombie-Britannique (RG.) c. McKenzie,
[1965] R.C.S. 490, 51 D.L.R. (2′) 623 [ci-apr~s McKenzie avec renvois aux R.C.S.] dont nous repar-
lerons un peu plus loin (voir ci-dessous le texte correspondant ala note 191 et s.).
l” Chevrette et Marx, supra note 144 A lap. 839.
0 Ibd a lap. 837.
1995]
J. LECLAIR – EFFETS DE COMMERCE
vinciales une juridiction concurrente hi celle de la Cour supfrieure en mati~re de di-
vorce. I1 ne s’agissait pas, en 1’esp~ce, d’une loi d’application g6ndrale. Le juge
Ritchie a toutefois ddclar6 que it is within the legislative competence of the Legis-
lature of [the] Province to pass laws relating to the constitution, maintenance and
organization of such courts ‘ 9′ et que the impugned legislation [did] not […] create
any substantive right or make any changes in the law or jurisdiction in that re-
gard.>’ 92 N’6tait-ce pas reconnaitre aux provinces le pouvoir de 16gifdrer directe-
ment en mati~re d’administration de la justice civile, et ce, m~me en mati~re f6d6-
rale ? Pourquoi le mot
Dans McKenzie’9′, le juge Ritchie fait aussi r6f6rence t l’arr&t Watts c. Watts”9 ,
dans lequel le Conseil priv6 a reconnu la comp6tence des cours supdrieures de la
Colombie-Britannique pour entendre les litiges en mati~re de divorce, conform6-
ment h une loi anglaise pr6conffdfrale –
la Divorce and Matrimonial Causes Act
de 1857′ 9′ – qui avait 6t6 introduite en droit provincial. Or, dans cette affaire, Lord
Collins avait approuv6 la decision Sheppard c. Sheppard96 dont le juge Ritchie cite
un passage qui donne ? penser que les provinces sont compftentes en mati~re de
proc6dure civile fdd6rale:
Moreover, while on the one hand it is true that the Legislature of a Province has
no power to legislate in divorce matters so far as expanding or contracting the
jurisdiction in that respect possessed by its Courts before the Union, yet on the
other hand it is equally true that the Court itself has inherent power to make
rules regulating its procedure, and that power the Provincial Legislature can
take from it in divorce matters as it has in all other matters in this Court, and
therefore mnay, in this sense, legislate by rules of court or otherwise, respecting
the regulation of the procedure by which the unalterable Ante-Union jurisdic-
tion mnay be exercised. Under section 92(14) of the British North America Act
the Provincial Legislatures have the exclusive power to constitute, maintain,
and organize Courts for the purpose of exercising all jurisdictions whether ac-
quired before or after the Union [nos italiques]”7.
De plus, le recent arr&t Kourtessis nous porte 6galement
conclure que le rai-
sonnement tenu dans Valin ne reprdsente peut-8tre plus l’6tat actuel du droit. En
il s’agissait de savoir si les r~gles de procedure de la Colombie-
l’esp~ce,
Britannique pouvaient s’appliquer de fagon compl6mentaire h un litige mettant en
cause une ordonnance d6livrfe en vertu de la loi ffd6rale sur le revenu et autorisant
‘9’ McKenzie, supra note 188 A lap. 495.
9, Ibid. la p. 496. Une decision similaire a dt6 rendue par ]a Cour d’appel de l’Ontario dans Refer-
ence re Constitutional Validity of Section 11 of the Judicature Amendment Act, 1970 (No. 4), [1971] 2
O.R. 521, 18 D.L.R. (3′) 385 (C.A.).
… McKenzie, ibid. a la p. 495.
‘9’ [1908] A.C. 573,77 LJ. PC. 121 (C.P.).
193 20 & 21 Vict., c. 85.
’96 (1908), 13 B.C.R. 486 (C.S.) [ci-apr~s Sheppard].
“9′ Sheppard, ibid. A lap. 519, tel que cit6 dans McKenzie, supra note 188 A lap. 495.
736
MCGILLLAWJOURNALIREVUEDEDROITDEMCGILL
[Vol. 40
l’octroi d’un mandat de perquisition. Bien que la Cour se soit divis6e 6galement sur
cette question’98, le juge Sopinka d6clarait que les provinces disposent d’un pouvoir
de 16gif6rer sp6cifiquement en matire d’attribution de juridiction et, pourrait-on
croire, de proc6dure autre que criminelle:
II ressort clairement de I doctrine et de la jurisprudence qu’une province a le
pouvoir l6gislatif de traiter les questions qui rel~vent de ]a competence f~drale
[has legislative authority to adjudicate federal matters>>] et que de telles me-
sures l6gislatives ne sont dcart~es que si elles contredisent une mesure 16gisla-
tive f~drale. Dans l’arr& Adler c. Adler, le juge Laskin (plus tard Juge en chef
de notre Cour) a conclu, au nom de la Cour d’appel de l’Ontario,
]a constitu-
tionnalitd du par. 7(1) de ]a Matrimonial Causes Act, […] une loi ontarienne.
Cet article pr6voyait qu’un jugement irrdvocable de divorce ne pouvait faire
l’objet d’un appel. Le divorce est tine question fdd6rale et on soutenait que ]a
mesure 16gislative provinciale dtait inconstitutionnelle. A ]a page 736, le juge
Laskin affirme:
[TRADUCTION] tvidemment, il itait loisible e l’asseniblde 1d-
gislative de l’Ontario (sauf si une mesure legislative fiddrale
constitutionnelle relative ti la procedure en matire de divorce
peut l’interdire) de nodifier ses lois sur la procedure de rbglenient
des actions en divorce et des appels qui en dicoulent.
De plus, dans l’arr& Ontario (Procureur gendral) c. Pemibina Exploration
Canada Ltd., le juge La Forest s’est donn6 beaucoup de mal pour souligner le
m~me point en mati~re d’amiraut. Dans les motifs qu’il a rddig6s au nom de ]a
Cour et ok il a maintenu ]a mesure l6gislative provinciale qui conf~rait une
compdtence en mati~re d’amiraut6 A une cour des petites cr~ances, il s’est
fond6 sur un certain nombre d’arr~ts confirmant ]a compdtence provinciale en
matire de r~glement des actions en divorce. […]
Cette conclusion ne d~pendait nullement de l’adoption de ]a mesure 1dgislative
provinciale au moyen d’une mesure lgislative f&l6rale appropri6e. Elle 6tait
plut6t fond6e sur le pouvoir 16gislatif provincial conferd par le par. 92(14) de ]a
Loi constitutionnelle de 1867 [notes omises ; nos italiques] t’.
Bref, si l’on tient pour acquis que l’arr& Valin n’est plus aujourd’hui un obsta-
cle incontournable, cela signifie que les autorit6s provinciales pourraient adopter
des r~gles de proc6dures, y compris des d6lais de prescription, destindes
i
s’appliquer de fagon sp6cifique h des secteurs fdd6raux de droit priv6 comme les
lettres de change, la faillite, le divorce et les banques. Nanmoins, l’inconv6nient
” Les juges McLachlin et Iacobucci ont approuv6
‘opinion du juge Sopinka. Le juge La Forest
(avec l’appui des juges L’Heureux-Dub6 et Cory) n’a cependant pas entrin6 l’approche de son coll6-
gue Sopinka (Kourtessis, supra note 145 A la p. 79). A noter toutefois que la juge L’Heureux-Dub6
approuve les motifs du juge La Forest au motif qu’elle se sent lie par l’arr~t Knox (ibid. A la p. 93).
Enfin, compte tenu du fait que le juge Stevenson n’a pas pris part au jugement, il est difficile de sa-
voir qui, de La Forest ou Sopinka, exprime l’opinion d’une majoritd des juges de la Cour.
’99 Ibid. aux pp. 105-107. Lejuge n’a rien dit cependant de l’arr&t Valin.
1995]
J. LECLAIR – EFFETS DE COMMERCE
de ‘approche proposre par Chevrette et Marx est qu’elle presuppose que la pres-
cription est affaire de procedure et non de droit substantiel. Or cette question est en
elle-meme fort controversre. C’est pourquoi notre point de vue nous apparait prrf6-
rable. En effet, il ne se fonde en aucune fagon sur la distinction entre procedure et
droit substantiel. Une province, selon nous, peut 6tablir des ddlais de prescription
en mati~re d’effets de commerce en vertu de la competence qu’elle drtient aux ter-
mes du paragraphe 92(13) de la Loi constitutionnelle de 1867.
B. La porte de la competence accessoire du Parlement fidgral en mati~re
de lettres de change : le probkme de Particle 9
Le professeur Le Dain et d’autres auteurs mettent en doute la pertinence de
l’interprdtation de l’article 9 qui en limite la port6e aux r~gles de droit des effets de
commerce <
lidit de cette approche limitative au motif que le libell6 de la disposition de renvoi
ne permet pas de conclure que le 16gislateur fdddral entendait limiter aux questions
relevant du droit des effets de commerce au sens strict le recours aux r~gles de la
conmon law. Au surplus, dit-il, 1’application du droit provincial –
application qui
est parfois, toujours selon lui, manifestement inconstitutionnelle, comme c’est le
cas en mati~re de prescription – n’est que tol6rre.
Jusqu’ t prdsent, nous avons pu constater, en utilisant comme exemple la pres-
cription, que le pouvoir exclusif du Parlement frdral en mati~re de lettres de
change ne reprdsente pas un obstacle incontournable h I’application, h titre com-
plrmentaire, de lois provinciales valides qui n’atteignent pas la competence fd-
rale reconnue au paragraphe 91(18) dans sa sprcificit6 frdrrale. Le deuxihme ar-
gument du professeur Le Dain ne tient donc plus.
Le probl~me de l’interprrtation h donner a l’article 9 n’en est pas pour autant
rdsolu. Qu’en est-il, en effet, du premier argument du professeur Le Dain ? En sup-
posant que le pouvoir exclusif du Parlement ne l’autoriserait pas h adopter une r6-
gle de droit relevant des effets de commerce au sens large, ne pourrait-on pas pr6-
tendre qu’en vertu de son pouvoir accessoire il lui serait loisible de le faire ? Dans
une telle 6ventualit6, la validit6 de l’interpr6tation gdndreuse de l’article 9 proposde
par le professeur Le Dain pourrait etre avalisre.
Apr~s avoir expos6 les principes permettant de mesurer la validit6 d’un empid-
tement rdsultant de l’exercice d’un pouvoir accessoire (1), nous procrderons h un
examen plus circonstanci6 de la disposition de renvoi. Une 6tude de l’interprdtation
donnre h des dispositions de renvoi similaires adopt6es h l’6tranger nous permettra
de constater que l’intention du l6gislateur frdral 6tait fort probablement de limiter
la portde de I’article 9 a un renvoi aux r~gles du droit des effets de commerce au
sens strict (2).
McGiLL LAW JOURNAL/REVUE DE DROITDE MCGILL
[Vol. 40
1.
Les limites constitutionnelles au pouvoir d’empidter
Pour d6terminer si l’interpr6tation g6ndreuse de l’article 9 de la Loi sur les let-
tres de change peut valablement se fonder sur l’exercice par le Parlement f6d6ral de
son pouvoir accessoire, il faut avant tout examiner les conditions de mise en euvre
de ce dernier. La Cour supreme s’est rdcemment prononc6e sur cette question dans
l’arr~t General Motors.
Dans cette affaire, l’appelante contestait la validit6 de
‘article 31.1 de la Loi
relative aux enqu~tes sur les coalitions2 qui reconnait t toute personne>> ayant
subi un pr6judice par suite d’un comportement allant h 1’encontre de la Loi le droit
de r6clamer du contrevenant le montant de ]a perte subie. General Motors soutenait
que cette disposition empi6tait de fagon invalide sur la comp6tence provinciale en
mati~re de propri6t6 et de droits civils.
D’embl6e, le juge en chef Dickson0′ a reconnu que la cr6ation d’un droit
d’action de nature civile relive g6n6ralement des provinces et qu’il y avait donc
empi6temente . Neanmoins, il devait en arriver h la conclusion que la disposition en
litige 6tait valide parce que suffisamment int6gr6e h une loi qui, quant h elle, se
fondait valablement sur le paragraphe 91(2) de la Loi constitutionnelle de 1867.
Le juge en chef a en effet d6clar6 que le rapport entretenu entre une disposition
qui empi~te et la loi valide h laquelle elle se rattache d6terminait la constitutionnali-
t6 d’un d6bordement 16gislatifo3. A propos de ce rapport d’int6gration, le juge en
chef affirme:
Pour r6pondre A cette question, il faut d’abord d6cider quel crit&e de
<(concordance)> est appropri6 a cette d6cision. Par
dans quelle mesure la disposition est int6grde A l’ensemble de la loi ct A quel
point elle est importante pour son efficacit6. Le meme crit&e ne sera pas ap-
propri6 dans toutes les circonstances. Pour parvenir a ]a norme appropri~e, ]a
cour doit consid6rer dans quelle mesure la disposition empi~te sur les pouvoirs
de ]a province. […] [D]ans certaines circonstances, un critre plus strict est de
rigueur alors que dans d’autres un crit~re moins rigoureux est acceptable.”
Un autre 616ment viendra jouer au cours de la s6lection du crit6re de concor-
la nature particulire de ]a comp6tence sur laquelle s’appuie ]a
dance applicable
validit6 de la loi :
[C]ertains chefs de competence f&I6rale, comme par exemple le par. 92(10),
sont des pouvoirs restreints et distincts qui se rapportent A des entreprises et des
S.R.C. 1970, c. C-23, devenu l’article 36 de ]a Loi sur la concurrence, L.R.C. 1985, c. C-34.
2 Lejuge en chef Dickson s’exprimait alors au nom de ses collgues Beetz, McIntyre, Lamer, La
Forest et L’Heureux-Dub6. Le juge Le Dain n’a pas pris part au jugement.
202 General Motors, supra note 94 aux pp. 672-73.
“Ibid. A la p. 668.
Ibid. aux pp. 668-69.
1995]
J. LEcLAIR – EFFETS DE COMMERCE
ouvrages particuliers et done tr s susceptibles de comporter des dispositions
qu’on ajoute apr~s coup A ]a loi pour la valider, alors que d’autres chefs de
competence fddrale, comme par exemple les 6changes et le commerce, sont
g~ndraux et done peu susceptibles de donner lieu t des dispositions tr~s enva-
hissantes.
Le juge rappelle que, dans la determination du crit~re de concordance, il faut
garder en mrmoire que, dans la poursuite de finalitrs 16gislatives valides, chaque
ordre de gouvernement est appel6 h influer sur les pouvoirs de l’autre : <<[I]l faut
s'attendre h ce qu'il y ait chevauchement de mesures 16gislatives et il faut s'y
adapter dans un Etat frdrra> O2 Enfin, le juge proc~de h une description des crit6-
res de concordance 61abords par les tribunaux :
Dans diff~rents contextes, les tribunaux ont dtabli des conditions qui varient un
peu, par exemple :
; accessoire > et
vraiment accessoire> (…] ;
tionnalit6 est susceptible de venir du contexte oa il a le canact~re de disposition
additionnelle>> […] ; et <
s’interprdter comme 6nongant le crit~re applicable dans le contexte particulier
dont il est question, et non pas comme tentant de formuler un crit~re
d’application grnrale
tous les contextes. Les crit~res qu’ils 6tablissent ne
sont done pas identiques. Puisque la gravit6 de l’empirtement sur les pouvoirs
provinciaux varie, il en va de meme du crit~re requis pour maintenir un dquili-
bre constitutionnel approprie ‘ .
Apr~s avoir conclu que la loi en litige avait 6t valablement adoptre par le Par-
lement frd6ral aux termes du paragraphe 91(2), le juge en chef aborde ensuite le
probl~me particulier de la validitd de 1’article 31.1 de la loi en litige. I1 proc~de
d’abord ,h un examen de la gravit6 de l’empirtement. L’empirtement lui-mame ne
fait aucun doute, car il est bien 6tabli en jurisprudence qu’un droit d’action de na-
ture civile relive grn6ralement des provinces . Toutefois, souligne le juge,
l’empirtement est, en 1’esp6ce, 16ger puisque 10′ Particle 31.1 est une disposition r6-
paratrice dont l’objet est de faciliter l’application de la loi ; il n’en constitue donc
pas une partie fondamentale ; 2′ le droit d’action cr66 est de portre restreinte, car il
ne s’agit pas d’un droit gdn6ral d’action ; la loi en litige en balise soigneusement
l’application ; et enfin 30 >’09
Puisque, au dire du juge, l’article n’empi~te que de
pouvoirs des provinces , il ne consid~re pas utile de recourir un crit~re strict de
concordance comme celui du
d’avis que la disposition en litige rdpondrait, si besoin 6tait, au crit6re du
en litige offre un recours de nature priv6e uniquement pour des contraventions par-
ticuli~res
la Loi ; qu’il s’inscrit tout h fait bien dans l’esprit de celle-ci, puisqu’il
existe un lien 6troit entre le but de favoriser une saine concurrence dans l’conomie
et un article qui cr~e
7
A premiere vue, il semblerait donc que la nature de la comp6tence f6d6rale en
mati~re de lettres de change et de billets puisse avaliser une interpr6tation g6n6-
reuse de ‘article 9. Toutefois, le juge en chef Dickson a bien d6montr6 que l’6tude
de la validit6 d’un empi6tement requiert avant tout un examen de la disposition 16-
gislative elle-meme. Qu’en est-il alors de l’article 9 de la Loi sur les lettres de
change ? Le libell6 de cette disposition d6montre-t-il de la part du 16gislateur f6d-
ral une intention manifeste d’empi6ter sur l’ensemble du champ 16gislatif couvert
par le droit des effets de commerce ?
Un peu de la meme fagon qu’il y a lieu d’interpr6ter une disposition l6gislative
, on doit l’interpr6ter comme ne commandant pas
dans le sens de sa validite
d’empi6tement massif sur les comp6tences de l’autre ordre de gouvernement. Un
pareil empi6tement constitue 1’exception et non la r6gle et un tribunal doit faire
2″ A ce propos, voir ]a citation tirde de Brun et Tremblay, supra note 161.
A16 noter que, Iors de ]a refonte de 1985, comme en t6moignent certains des articles reproduits su-
pra aux notes 8, 9, 12, 19, le lgislateur s’est efforc6 de <
lap. 508.
MCGILL LAW JOURNAL/ REVUE DE DROIT DE MCGILL
[Vol. 40
preuve de retenue A ce sujet.
II importe de souligner tout de suite le danger qui consisterait h d6limiter
l’6tendue de la port6e de l’article 9 en usant de crit~res purement mat6riels. Le
simple fait pour un juge d’8tre confront6 it un effet de commerce pourrait, en vertu
de pareils crit~res, entrainer l’application des r~gles de la common law. Une telle
approche aurait pour r6sultat de transformer ]a comp6tence exclusive que ddtient le
Parlement relativement h une mati~re donnfe –
en une competence sur un domaine exclusif et mat6riellement identifiable –
les ef-
fets de commerce. La r6alit6 des effets de commerce ne peut 8tre appr6hend6e cor-
rectement sans qu’avant tout soit comprise la relation complexe qui unit les comp6-
tences de droit priv6 allou6es aux provinces et au Parlement. C’est ce que nous
avons tent6 de d6montrer dans les pages qui pr6c~dent. A premiere vue, il appert
que l’article 9 ne poss~de pas la clart6 et la pr6cision requises pour justifier le large
empi6tement qu’on lui voudrait voir effectuer sur la comp6tence provinciale de
principe en droit priv6.
le drolt des effets de commerce –
De plus, s’il est raisonnable de prendre en compte des composantes telles que
l’uniformit6 du droit relatif aux effets n6gociables ainsi que les besoins et les n6-
cessit6s du commerce dans le cadre d’une d6termination du crit~re de concordance
applicable, le recours i de telles notions doit se faire avec beaucoup de prudence.
En effet, l’histoire r6v~le clairement que l’unification du droit priv6 par ]a Cour su-
pr~me s’est toujours effectu6e au d6triment du droit civil qu6b6cois219. En outre, la
prise en compte des int6rts du monde commercial a syst6matiquement favoris6
l’utilisation de concepts issus du droit anglais22. Enfin, l’assertion du professeur Le
Dain,
savoir que le recours h la common law est justifi6 en raison de ]a nature
6clectique du droit commercial qu6b6cois”‘, nous parait quelque peu t6m6raire.
Premi~rement, l’6tude des sources du droit commercial qu6b6cois reste encore “h
“9 Voir H.P. Glenn, Le droit compar6 et la Cour supreme du Canada,> dans Mdlanges Louis-
Philippe Pigeon, Montreal, Wilson et Lafleur, 1989, 197 ; R. Boult,
can. 738. Il n’entre pas dans notre intention d’approfondir cette question. Qu’il suffise do rappeler les
propos du professeur Glenn
La creation d’une r~gle uniforme pour toutes les provinces doit 6tre le rdsultat d’un
processus beaucoup plus dlabor6, et exploratoire, d’appr6ciation des solutions do droit
civil et de common law [que l’imposition syst~matique de ]a conmon law] et rien
n’indique que c’est la solution de la coiwnon law qui devrait pr6valoir meme pour les
provinces de common law. […] La Cour [supreme] n’est pas dans ]a situation o, pour
crder un droit national, elle peut choisir une source dont ]a primaut6 est largement dic-
tde par des circonstances ext6rieures et incorporer d6finitivement les solutions de cette
source dans le nouveau droit national (Glenn, ibid. A lap. 211),
z A titre d’exemple, lire les motifs dujuge Le Dain relativement au fondement l6gal do ‘exception
de fraude opposable A l’autonomie des lettres de cr&lit documentaire dans Banque de Nouvelle-
cosse c. Angelica-Whitewear LtdL, [1987] 1 R.C.S, 59 aux pp. 81-83, 73 N.R. 158. Voir aussi Prd-
fontaine c. Grenier (1906), [19071 A.C. 101 A lap. 110, 15 Que. K.B. 563.
22 <
19951
J. LECLAIR – EFFETS DE COMMERCE
faire. Les maigres informations issues de l’ouvrage de Walton 222 ne semblent pas
pouvoir appuyer l’affirmation un peu hardie du professeur Le Dain. Qui plus est,
Walton souligne lui-meme les dangers soulev6s par une pareille interpr6tation.
Les arguments pr6sent6s plus haut ne permettent pourtant pas de conclure cat6-
goriquement h la validit6 de l’interpr6tation restrictive donnde par les tribunaux h
1’article 9 de la loi f6ddrale. Puisque la comp6tence attribu6e au 16gislateur fdd6ral
conform6ment au paragraphe 91(18) de la Loi constitutionnelle de 1867 permet un
large d6bordement 16gislatif, est-il
toujours possible de pr6tendre valide
l’interprdtation traditionnelle donn6e par les tribunaux h l’article 9 de la Loi sur les
lettres de change ? La r6ponse t cette question n6cessite un examen des motifs qui
ont entrain6 1’adoption par le Parlement f6d6ral de la disposition en litige. Ces mo-
tifs nous amnent A penser que l’adoption de cette disposition de renvoi ne repre-
sente pas l’exercice par le Parlement d’un pouvoir accessoire qui avait pour objet
de r6gir la presque totalit6 des facettes contractuelles d’un effet de commerce. En
effet, il semble que l’intention du 1dgislateur f6d6ral de 1892 ait 6t6 de confiner la
port6e de 1’article 9 aux seules questions qui relevaient du droit des effets de com-
merce au sens strict. Au cours de ]a section suivante, nous nous attacherons A d6-
montrer que l’approche traditionnelle s’enracine non seulement dans la Loi consti-
tutionnelle de 1867, mais bien dans le texte m~me de la Loi sur les lettres de
change.
2.
La port6e de 1’article 9 t la lumi~re de son module britannique
La Loi sur les lettres de change n’est rien de moins qu’un duplicata de cette
codification du droit anglais des effets de commerce que constitue An Act to codify
the Law relating to Bills of Exchange, Cheques, and Promissory Notes, 18822.
Sous rdserve d’une ldg~re diff6rence au niveau du libell62 , l’article 9 de la loi fdd6-
rale et le paragraphe 97(2) du texte l6gislatif anglais sont identiques. Ce dernier
dispose que:
The rules of the common law including the law merchant, save in so far as they
are inconsistent with the specific provisions of this Act, shall continue to apply
to bills of exchange, promissory notes and cheques.
“F.P. Walton, Le doinaine et l’interprdtation du Code civil du Bas-Canada, Toronto, Butterworths,
1980.
223 Ibid. A ]a p. 129. L’auteur rapporte entre autres les propos tenus par lejuge dissident Taschereau
dans Young c. MacNider (1895), 25 R.C.S. 272 A la p. 283, d6cision dans laquelle celui-ci devait af-
firmer que <<[e]xcept as to rules of evidence, art. 1206 C.C., and to a certain extent as to promissory
notes, by a special article of the code (art. 2340), [...] the cominercial law of the province of Quebec,
as a general rule, is the French law [nos italiques].>> L’auteur cite aussi un extrait du jugement dissi-
dent rendu par M. lejuge Aylwin dans Montreal Assurance Co. c. McGillivray (1858), 8 L.C.R. 401 A
lap. 423, 2 L.C. Jurist. 221 (B.R.).
2
(R.-U.), 45 & 46 Vict., c. 61 [ci-aprbs Bills of Exchange Act, 1882]. A ce propos, voir <
anglais.
MCGILL LAW JOURNAL/REVUE DE DROITDEMCGILL
[Vol. 40
Un examen de rinterpr6tation donn6e h cet article constitue, A nos yeux, un pas es-
sentiel vers l’61ucidation du probl’me A l’6tude.
Conscient du caract~re fondamentalement dissemblable des syst~mes constitu-
tionnels britannique et canadien –
ainsi
que de l’impact occasionn6 par la nature particuli~re du droit civil en vigueur dans
]a Province de Qu6bec, nous croyons n6anmoins qu’une approche comparative peut
nous 6clairer sur la portfe v6ritable de la disposition de renvoi f6d6rale, et plus
sp6cifiquement sur le r6le particulier qu’elle avait pour fonction d’accomplir”‘.
le premier unitaire, le second fd6ral –
Une 6tude de l’interpr6tation donn6e au paragraphe 97(2) du Bills of Exchange
Act, 1882 nous porte ii conclure qu’il avait pour unique objet l’introduction de r6-
gles du droit des effets de commerce au sens strict. En effet, avec respect pour
l’opinion contraire, il nous apparait incontestable que les mots
rence i la common law g6n6rale. Dans un syst~me unitaire comme le r6gime an-
glais, la common law r6gissant 1’ensemble du droit des obligations devait, sans
conteste; continuer i s’appliquer aux effets de commerce, sauf indication contraire
dans la loi. Personne n’oserait contredire cette proposition. Dans ce domaine du
droit priv6 d6pourvu de liens avec les r~gles juridiques particulires au droit des ef-
fets de commerce, la pr66minence de la common law sur un droit statutaire impr6cis
persistait. Le Bills of Exchange Act, 1882 ne visait d’ailleurs pas h codifier
I’ensemble de la common law anglaise susceptible de s’appliquer aux effet de
commerce. A ce sujet, il est int6ressant de noter les propos tenus par Chalmers, r6-
dacteur du Bills of Exchange Act, 1882, dans un article qu’il 6crivait en 1886:
The Bills of Exchange Act 1882 is, I believe, the first code or codifying enact-
ment which has found its way into the English Statute Book. By a code, I mean
a statement under the authority of the legislature, and on a systematic plan, of
the whole of the general principles applicable to any given branch of the law.
[…] Bills, notes, and cheques seened to fonn a well isolated subject, and I
therefore set to work to prepare a Digest of the law relating to thein [nos
italiques] 27.
Comme nous le constaterons an cours de cette section, le Bills of Exchange Act,
1882 devait avoir pr6s6ance sur le droit des lettres de change tel qu’il existait ant6-
rieurement
cette date. Certaines circonstances exceptionnelles pouvaient cepen-
dant justifier un regard vers le pass6. L’expression <
de toute 6vidence, r6f6rence h ce droit ant6rieur h la codification. Quant aux termes
26 D’ailleurs, lorsque deux lois sont parentes, on admet que l’interprdtation do l’une puisse
s’inspirer de ]a jurisprudence 6labor6e a partir de l’autre, compte tenu, bien stir, des differences con-
textuelles (P.-A. Cotd, Interpritation des lois, 2′ 6d., Cowansville (Qudbec), Yvon Blais, 1990 A ]a p.
517). Dans le contexte plus particulier de la Loi sur les lettres de change, voir Hinton Electric Co. c.
Bank of Montreal (1903), 9 B.C.R. 545 aux pp. 548-49 (C.S.) [ci-apr~s Hinton].
” M.D. Chalmers, <
1995]
J. LECLAIR – EFFETS DE COMMERCE
save in so far as they are inconsistent with the express provisions of this Act,>> ils
tdmoignent de la nature toute spdciale de la common law visde par le 16gislateur.
Puisque la loi en question codifie uniquement cette portion particuli~re de la con-
mon law constitude par le droit des effets de commerce, ce ne peut &tre, selon nous,
qu’a ces r~gles que font rrfdrence les mots pr6citds.
En analysant la jurisprudence, nous verrons que le paragraphe 97(2) autorise le
renvoi aux r~gles de common law relatives au droit des effets de commerce au sens
strict. Ce recours h la common law n’est cependant permis que dans l’6ventualit6 oii
le Bills of Exchange Act, 1882 serait jug6 incomplet sur un problme donn6 ou
lorsqu’il fait rdfdrence a certains concepts vagues ou techniques propres au droit
des effets de commerce. Selon nous, il devrait en aller de m~me de l’article 9 de la
Loi sur les lettres de change. Cette interprdtation restrictive s’harmonise d’ailleurs
parfaitement avec l’objet des lois canadienne et anglaise sur les effets de com-
merce. En effet, toutes deux, faut-il le rappeler, visent uniquement h rdsumer
l’ensemble des rfgles de droit applicables h des effets qui ont pour caractdristique
principale d’6tre n6gociables et de confdrer a leurs ddtenteurs des privileges parti-
culiers.
Neuf ans h peine apr~s l’adoption du Bills of Exchange Act, 1882, la Chambre
des lords 6tait appelde a se prononcer, dans Bank of England c. Vagliano
Brothers , sur les effets engendrds, dans le domaine de son interprdtation, par la
nature particuli~re de cette loi.
228
En l’esp~ce, la Cour d’appel s’6tait penchde sur le probl~me de la portde du pa-
ragraphe 7(3) du Bills of Exchange Act, 1882229. Apr~s avoir examin6 en detail la
jurisprudence antdrieure A l’adoption de la loi en litige, les juges en vinrent h la
conclusion suivante : le porteur d’une lettre de change pouvait l’opposer a un
accepteur s’il 6tait 6tabli 1 que le preneur initial 6tait fictif ou qu’il n’existait pas et
20 que l’accepteur 6tait au fait de cet 6tat de chose. La Chambre des lords se refusa
h admettre le bien-fond d’un tel raisonnement. Selon les juges de la majorit6″3,
le
libell6 de 1’article en litige ne pretait pas h 6quivoque. La preuve du caract~re fictif
du preneur suffisait, en elle-meme, h faire de la lettre de change un effet au porteur
et ce, A l’6gard de tous. Le droit antdrieur avait 6 modifi6 par la loi et n’6tait des
lors plus applicable. Voici comment s’exprime Lord Herschell :
My Lords, with sincere respect for the learned Judges who have taken this
view, I cannot bring myself to think that this is the proper way to deal with
2 [1891] A.C. 107 (C.L.) [ci-aprbs Vagliano avec renvois aux A.C.], approuvde dans Bank of
Montreal c. R. (1907), 38 R.C.S. 258 aux pp. 263-64.
9 Cette disposition dnonce :
1’quivalent.
‘ Lord Herschell, Lord Halsbury, Lord Selbome, Lord Watson et Lord Macnaghten.
MCGILL LAW JOURNAL/REVUE DE DROITPE MCGILL
[Vol. 40
such a statute as the Bills of Exchange Act, which was intended to be a code of
the law relating to negotiable instruments. I think the proper course is ‘in the
first instance to examine the language of the statute and to ask what is its natu-
ral meaning, uninfluenced by any considerations derived from the previous
state of the law, and not to start with inquiring how the law previously stood,
and then, assuming that it was probably intended to leave it unaltered, to see if
the words of the enactment will bear an interpretation in conformity with this
view.
If a statute, intended to embody in a code a particular branch of the law, is
to be treated in this fashion, it appears to me that its utility will be almost en-
tirely destroyed, and the very object with which it was enacted will be frus-
traled. The purpose of such a statute surely was that on any point specifically
dealt with by it, the law should be ascertained by interpreting the language used
instead of, as before, by roaming over a vast number of authorities in order to
discover what the law was, extracting it by a minute critical examination of the
prior decisions, dependent upon a knowledge of the exact effect even of an ob-
solete proceeding such as a demurrer to evidence. I am of course far from as-
serting that resort may never be had to the previous state of the law for the pur-
pose of aiding in the construction of the provisions of the code. If, for example,
a provision be of doubtful import, such resort would be perfectly legitimate. Or,
again, if in a code of the law of negotiable instruments words be found which
have previously acquired a technical meaning, or been used in a sense other
than their ordinary one, in relation to such instruments, the same interpretation
might well be put upon them in the code. I give these as examples merely; they,
of course, do not exhaust the category. What, however, I am venturing to insist
upon is, that the first step taken should be to interpret the language of the stat-
ute, and that an appeal to earlier decisions can only be justified on some special
ground.
One further remark I have to make before I proceed to consider the lan-
guage of the statute. The Bills of Exchange Act was certainly not intended to
be merely a code of the existing law. It is not open to question that it was in-
tended to alter, and did alter it in certain respects. And I do not think that it is to
be presumed that any particular provision was intended to be a statement of the
existing law, rather than a substituted enactment
‘.
Aucune mention n’est faite du paragraphe 97(2) dans les motifs des juges ma-
. Pourquoi cette absence de r6f6rence h la disposition de renvoi ? Une
joritaires
r6ponse peut etre propos6e : puisque la disposition en litige dans cette affaire ne
comportait aucune ambigu’td, les juges se sont abstenus d’aborder un problme
6tranger au d6bat. Cette absence de rdf6rence au paragraphe 97(2) n’a pas pour
23, Vagliano, supra note 228 aux pp. 144-45. Voir aussi Lord Halsbury, ibid. h ]a p. 120 ; Lord Sel-
bome, ibid A la p. 130; Lord Watson, ibid A la p. 134; Lord Macnaghten, ibid. aux pp. 160-61.
“2 Lord Bramwell, ibid A lap. 137, fonde cependant sa dissidence sur cette disposition : 4t must be
bome in mind that the Bills of Exchange Act is “An Act to codify the Law relating to Bills of Ex-
change”, not to alter or amend it, and by sect. 97 the rules of common law, including the law mer-
chant, “save in so far as they are inconsistent with the express provisions of this Act, shall continue to
apply to bills of exchange”.> De toute 6vidence, le point de vue de Lord Bramwell quant aux caract6-
ristiques d’un code ne concorde pas avec celui de son collfgue Herschell.
19951
J. LECLAiR – EFFETS DE COMMERCE
cons6quence de rendre les commentaires de Lord Herschell impertinents au pro-
blme de son interpr6tation23 . D’ailleurs, 1’existence d’une semblable disposition
s’harmonise parfaitement avec cette volont6 du Parlement britannique, d6gag6e du
texte m~me de la loi par la Chambre des lords, de faire du Bills of Exchange Act,
1882 un dtat complet du droit des effets de commerce. En effet, puisque la perfec-
tion tient de 1’utopie, une certaine latitude devait etre reconnue aux tribunaux les
autorisant puiser i la source du droit ant6rieur les r6ponses aux questions qui leur
6taient posdes. La circonspection est cependant de mise lorsqu’on procde it la d6-
termination des rares cas qui justifient ce recours. Cette ponction exceptionnelle,
affirme Lord Herschell, peut i tout le moins s’exercer dans les deux situations sui-
vantes : 1 lorsque la portde d’une disposition 16gislative obscure appelle des dclair-
cissements ; et 20 lorsque les termes employ6s par le l6gislateur ont acquis avec le
temps un sens technique particulier. Cette liste n’est pas exhaustive. Rappelons
toutefois que, depuis 1882, la Chambre des lords ne s’est jamais v6ritablement pro-
noncde sur le sens ht donner au paragraphe 97(2). II n’en a pas 6t6 de meme des au-
tres instances judiciaires.
Nous verrons maintenant que les tribunaux anglais, it l’instar de la Chambre des
lords, ont limit6 le recours aux ddcisions judiciaires antdrieures t l’entrde en vi-
gueur du Bills of Exchange Act, 1882 ii des litiges soulevant des questions relatives
au droit des effets de commerce au sens strict. Deux approches ont 6t6 propos6es
par les juges pour justifier ce recours h la common law. L’utilisation de la jurispru-
dence ant6rieure it la codification de 1882 s’autorisait, pour certains, de la seule af-
faire Vagliano. Enfin, d’ aucuns jug~rent suffisant de se fonder sur la disposition de
renvoi, en l’occurrence le paragraphe 97(2) du Bills of Exchange Act, 1882. Des
approches analogues, comme nous pourrons le constater, ont 6galement
td adop-
t6es par les juges canadiens et australiens.
Dans Oliver c. Davis-‘s, le juge Somervell a utilis6 le droit antdrieur t l’entrde
en vigueur du Bills of Exchange Act, 1882 pour d6terminer le sens exact des mots
<
1. II se fondait sp6cifique-
ment sur l’arr&t Vagliano, sans pour autant faire mention du paragraphe 97(2). Le
juge Greer adopte la meme attitude dans Carpenter’s Company c. British Mutual
Banking Co.26 lorsqu’il affirme que les articles 82 et 6e’a du Bills of Exchange Act,
1882 doivent 8tre examin6s sans r6f6rence aux d6cisions rendues avant 1882, sauf
s’ils s’av6raient ambigus.
La d6cision Herdman c. Wheeler 2
8, s ‘inscrit, quant it elle, dans la deuxi~me des
23 Certains auteurs en font la dcision fondamentale en ce qui a trait A l’interpr6tation du paragraphe
97(2) (F.C. Conningsby, The Law of Bills of Exchange, London, Stevens & Sons, 1947 t lap. 127).
2- [1949] 2 K.B. 727 i ]a p. 741, [1949] 2 All E.R. 353 (C.A.).
2″ Ualin6a 52(1)b) de la Loi sur les lettres de change en est l’&tuivalent.
2[1938] 1 K.B. 511 At la p. 531 (C.A.).
” L’article 175 de la Loi sur les lettres de change est l’homologue de l’article 82. L’article 60 n’a
pas d’dquivalent en droit canadien (Hinton, supra note 226 At lap. 549).
23 [1902] 1 K.B. 361 (C.A.).
MCGILL LAW JOURNAL/REVUE DE DROITDE MCGILL
[Vol. 40
cat6gories mentionndes. En l’esp~ce, le d6fendeur avait remis une simple signature
sur papier blanc t un certain Anderson, lequel devait compl6ter cet effet confor-
m6ment aux directives de Wheeler. Malhonnete, Anderson inscrivit un montant su-
p6rieur A la somme convenue. Une fois compldt6, le billet fut n6goci6 au deman-
deur contre valeur. M. Herdman 6tait-il un ddtenteur r6gulier titulaire de ]a garantie
pr6vue au paragraphe 20(2) du Bills of Exchange Act, 1882″9 ? Pour r6pondre at
cette question, il fallait avant tout d6terminer si le billet, apr~s avoir 6t6 compldt6,
avait 6t6 ndgoci6 (<.negociated)
i un d6tenteur r6gulier. Bien que seul le paragra-
phe 97(2) soit mentionn6 et qu'aucune r6f6rence expresse ne soit faite A l'arrt
Vagliano, le raisonnement du juge Channell est indubitablement calqu6 sur les ob-
servations de Lord Herschell. Le Bills of Exchange Act, 1882, rappelle-t-il, avait
pour fonction de codifier le droit des effets de commerce. Ainsi, tout article de loi
modificatif du droit ant6rieur devait dor6navant pr6valoir. Par contre, souligne le
juge Channell, si le temps a su d6poser sur certains termes techniques une patine
toute particuli~re, le mot en question ne doit pas etre d6pouill6 de son sens tradi-
tionnel sauf, bien stir, indication contraire dans la loi. En l'espce, le juge Channell
a conclu que le droit ant6rieur n'6tait d'aucune utilit6 pour arrter le sens du mot
negociation>>.
Re Gillespie24, ddcid6e ant6rieurement i ‘affaire Vagliano, fait 6tat d’une ex-
ception additionnelle au principe g6n6ral de ]a stricte application de ]a loi. Avant la
codification de 1882, Ia jurisprudence anglaise reconnaissait t toute personne qui,
de l’6tranger, tirait une lettre de change sur une institution sise en Angleterre, le
droit de r6clamer de l’accepteur, en sus du montant attest6 par la lettre, tout d6bours
occasionn6 par le refus de ce dernier d’honorer l’effet. Au nombre de ces ddpenses,
on pouvait compter les frais de re-exchange>>, lesquels, en l’occurrence, faisaient
l’objet du litige. Cette r~gle de droit, affirme M. le juge Cave, n’a pas
t6 explicite-
ment 6cart6e par la loi. Ainsi, par suite de I’existence du paragraphe 97(2), il fallait
en conclure it la survivance de ce droit ant6rieur.
Bref, outre les deux exceptions 6noncdes par Lord Herschell, le paragraphe
97(2) assure aussi le maintien de droits et d’obligations reconnus par le droit ant6-
rieur et ce, dans la mesure oa ces derniers n’ont pas 6t6 express6ment ou implicite-
ment r6pudi6s par le 16gislateur.
Les trois exceptions 6num6r6es jusqu’i pr6sent ont toutes pour effet de permet-
tre le recours it une jurisprudence essentiellement ax6e sur les techniques particuli6-
res au droit des lettres de change. Le droit g6n6ral des obligations ou
l’&tuivalent.
2,0 (1885), 16 Q.B.D. 702, conf. par (1886), 18 Q.B.D. 286 (C.A.) [ci-apr~s Gillespie]; mentionn6e
par M. lejuge Locke, dissident, dans Duplain, supra note 50 A la p. 707.
1995]
J. LECLAIR – EFFETS DE COMMERCE
law>>241 ne saurait fournir de r6ponses de tels probl~mes.
Ceci nous amine h discuter de l’attitude affich6e par certains juges anglais
lorsque confront6s
un litige qui ne soul~ve pas une question relative au droit des
effets de commerce au sens strict. Par exemple, dans London Joint Stock Bank
Limited c. MacMillan & Arthur 242, un cheque comportant des blancs avait
td sign6
par les intim6s et compl6t6 frauduleusement par un de leurs employds. II 6tait no-
toire que ce dernier avait qualit6 pour effectuer des retraits du compte bancaire de
MacMillan et Arthur. Sur pr6sentation, la banque paya l’effet. Les intim6s intent6-
rent alors une action h l’encontre de la London Joint Stock Bank pour que soit d6-
clar6 ill6gal le d6bit port6 h leur compte. Accueillie en premiere et deuxi~me ins-
tances, la demande en justice de MacMillan et Arthur fut rejet6e par la Chambre
des lords. Selon les juges, une obligation de prudence incombait
toute personne
qui entendait apposer sa signature au bas d’un effet de commerce. Ce devoir imp-
ratif d6rivait directement du contrat bancaire intervenu entre MacMillan et Arthur
et la London Joint Stock Bank. En l’occurrence, pareilles pr6cautions n’avaient pas
td prises ; les intim6s 6taient donc forclos de r6clamer remboursement.
.241
Lord Finlay, quant t lui, fonde son raisonnement sur l’arrt Young c. Grote .
Aucune mention n’est faite du paragraphe 97(2). Les motifs du vicomte Haldane
sont beaucoup plus int6ressants. Dans son 6tude de la nature des obligations engen-
dr6es par un contrat bancaire et des principes rdgissant la relation tireur-agent, le
juge examine certaines des dispositions l~gislatives du Bills of Exchange Act, 1882.
Apr~s avoir cit6 les paragraphes 1 et 2 de l’article 2024 o1i l’on parle du pouvoir qui
peut 8tre accord6 h une personne de compl6ter un billet, le vicomte Haldane remar-
que:
My Lords, these words probably do no more than express the law merchant as
it stood prior to the statute. And they leave open for determination by the law
outside of the statute the question how the authority given is to be proved [nos
italiques]’.
Selon le juge, Ioestoppel by conduct> prohibait tout recours par les intim6s h la
d6fense d’absence d’autorisation. Leur propre n6gligence avait contribu6 h entrete-
nir la vraisemblance de la supercherie dont ils avaient t6 victimes.
Devant le mutisme du Bills of Exchange Act, 1882, il serait donc possible, h en
juger par les propos tenus par Lord Haldane, de recourir au droit g6n6ral, soit <(the
law outside the statute>>, pour r6soudre un probl~me particulier. En l’occurrence, le
juge nous renvoie aux r~gles de la preuve:
est emprunt6e A B.B. Riley, The Law Relating to Bills of Exchange in Australia, 2′
“L’expression
d., Sydney, Law Book Co. of Australasia Pty., 1964 A lap. 14.
242 [1918] A.C. 777 [ci-apr~s MacMillan].
… (1827), 4 Bingham’s R. 253 (Plaids communs).
24 L’article 30 et le paragraphe 31(1) de ]a Loi sur les lettres de change en sont les 6quivalents.
2
5MacMillan, supra note 242 aux pp. 816-17.
1
MCGILL LAW JOURNAL/REVUE DE DROITDE MCGILL
[Vol. 40
[I]t may be observed that it [l’
called substantive law in the sense of declaring an immediate right or claim. It
is rather a rle of evidence, capable none the less on that account of affecting
gravely substantive rights. The principle of estoppel thus explained is one
which it appears plain that a banker, in proper circumstances, might invoke as a
defence against his customer’s claim ‘6.
Aucune rrfrence n’est faite dans cette d6cision au paragraphe 97(2). Ne s’agit-il
pas lh d’une omission 6loquente ? Doit-on en infrer que cette disposition n’a pas h
etre invoqure pour justifier 1’application de la common law si le probl~me en litige
n’en est pas un intimement i6
l’aspect technique du droit des lettres de change ?
Le paragraphe a
‘tude, nous opposeront certains, ne nous r6fare pas aux
<
modificateur n’est joint a l’expression <
pourrait peut-8tre appuyer pareille argumentation.
Dans cette affaire, un chque vol6 et endoss6 frauduleusement avait 6t6 pay6 de
bonne foi et sans ndgligence aucune par une banque viennoise. Apr~s l’avoir en-
doss6, cette derni~re le transmit h la banque ddfenderesse, sise h Londres, sur
laquelle l’effet avait 6t6 tir6. Anglo Austrian Bank encaissa et paya le cheque. Pour-
suivie pour <
faux endossement, en droit autrichien, ne viciait nullement ]a qualit6 de ddtenteur
rdgulier de la banque viennoise. En consdquence, elle jouissait des memes droits
que cette derni~re. En guise de ddfense, Embiricos soutenait que le droit anglais de-
vait s’appliquer, lequel 6tablissait clairement qu’un endossement contrefait ne con-
fdrait aucun droit et ce, quelle que soit la qualit6 du ddtenteur.
La Cour du Banc du Roi statua que, selon les r~gles du droit international priv6,
Ia validit6 d’un transfert de biens devait etre 6tudide la lumi~re de la loi applicable
dans le pays oti s’6tait effectu6e la cession. Les lettres de change et billets, tout au-
tant que les autres types de biens (<(chattels>>), devaient, aux dires du juge Walton,
se plier ce principe gdndral :
.4. Ibid. A lap. 818. Dans une affaire ant6rieure intitul6e Smith c. Prosser, [1907] 2 K.B. 735 A lap.
751, dont les faits dtaient nettement similaires A ceux de l’arrt MacMillan, lejuge Fletcher Moulton,
apr s avoir signal6 le mutisme du Bills of Exchange Act, 1882 en matire d’
suit: <[W]e are [thus] thrown back on the common law doctrine of estoppel (which was in existence
long before the Bills of Exchange Act) as applicable to the case of negotiable instmments. >
247 A ce sujet, il est intdressant de remarquer que la loi ismrlienne intitu]6e The Bills of Erchange
Ordinance dispose, en son paragraphe 2(2), qu’elle devra 8tre interprtde <
24 [190412 K.B. 870, conf. par [1905] 1 K.B. 677 (C.A.) [ci-apras Embiricos].
1995]
J. LECLAIR – EFFETS DE COMMERCE
I do not think that I can say that the general rule only applies in so far as it is
expressly mentioned, because this Act [le Bills of Exchange Act, 1882] does
not purport to be a scientific code dealing with the whole law relating to bills of
exchange, but it is more in the nature of a digest of the law on the subject, and
it contains, like many similar statutes, a general saving clause (97(2))2.
I1 est vrai qu’en l’esp~ce on invoque le paragraphe 97(2) pour justifier
l’application d’une r~gle juridique qui n’est pas, per se, relative au droit des lettres
de change. Cependant, nous doutons qu’il ait 6t6 dans l’intention du juge Walton
d’affirmer que l’ensemble de la common law anglaise 6tait vis6 par cette disposi-
tion.
Rappelons-le, dans un r6gime unitaire comme le syst6me juridique anglais, iI
allait de soit que les r~gles de la common law r6gissant l’ensemble du droit des
obligations allaient continuer
t s’appliquer aux effets de commerce h moins
d’indication contraire dans la loi. Les observations de Lord Herschell dans l’arr&
Vagliano, ne l’oublions pas, ont 6t6 faites dans un contexte tout h fait sp6cial. II
s’agissait de savoir si un concept sp6cifique au droit des lettres de change'”devait
8tre examin6 a la lumi~re des d6cisions antdrieures a la codification de 1882 ou s’iI
ne fallait pas plut6t s’en r6f6rer au texte pr6cis de la loi. Or, tel qu’il appert des mo-
tifs de Lord Herschell, le Bills of Exchange Act, 1882 ne visait pas ht codifier
l’ensemble de la common law anglaise : ,[It was] intended to codify a particular
branch of the law > , soit le droit des effets de commerce. Quant au juge Walton, il
d~crit la loi en litige comme 6tant un
du Bills of Exchange Act, 1882, les r~gles du droit international priv6 applicables
aux chattels , il n’6tait pas n6cessaire au juge Walton d’invoquer le paragraphe
97(2) pour rendre cette partie du droit des obligations applicable aux lettres de
change’
.
Les tribunaux canadiens et australiens ont 6galement adopt6 des approches qui
s’apparentent h celles de leurs homologues britanniques. En premier lieu, un certain
nombre de juges canadiens ont autoris6 le recours au droit des effets de commerce
au sens strict sur la seule base de la disposition de renvoi figurant dans ]a Loi sur
les lettres de change. Ainsi, dans Banque du Canada c. Banque de Montrat 3, M.
le juge Beetz a d6termin6, au nom de la majorit6 4, que les articles 156 et 157 de la
..9 Ibid. aux pp. 875-76.
o Vagliano, supra note 228 A lap. 144.
‘ Enibiricos, supra note 248 A lap. 876.
2A preuve, ]a Cour d’appel a confirm6 Ia d6cision du juge Walton sans faire aucune r6f6rence au
paragraphe en litige.
‘5’ (1977), [1978] 1 R.C.S. 1178, 76 D.L.R. (3′) 385 [ci-apr~s Banque de Montrial] ; commentde
par S. Griffin,
wa L. Rev. 726.
Dans cette affaire, la d6cision de ]a Cour d’appel de l’Ontario a 6td confirme, les juges de la
MCGILL LAw JOURNAL/REVUE DE DROIT DE MCGILL
[Vol. 40
Loi de 1970255 n’entendaient pas restreindre la r~gle reconnue avant 188326, voulant
qu’une action puisse etre intentde en common law pour rdclamer du tireur un dou-
ble d’un effet de commerce ddtruit, lorsqu’une preuve secondaire de sa teneur 6tait
prdsentde. Le juge fonde sa ddcision sur ‘article 10117 et sur une jurisprudence an-
glaise antdrieure h 1882. Le recours pur et simple h l’article 10 a 6galement permis
d’assurer la mise en application des exceptions formuldes dans Vagliano. Pour ex-
pliciter les mots <
Loi de 197058, M. le juge Maclaren2 9 a examin6 le sort rdserv6 par les droits an-
glais et amdricain aux lettres de change comportant des ratures et des ajouts. Quant
h la Cour supreme, elle s’est inspirde du droit am6ricain (apr6s examen de la com-
mon law anglaise”6) pour tenter de cerner le sens du terme <
Cour supreme s’dtant divisrs 6galement sur les questions en litige. M. le juge Spence s’dtait abstenu
de singer puisqu’il avait rendu lejugement en premi&e instance. La majorit6 dtait composde des juges
Beetz, Ritchie, Pigeon et de Grandpr6, alors qu’on pouvait compter au nombre des minoritaires les
juges Laskin, Martland, Judson et Dickson.
2′ Devenus plus tard les articles 155 et 156 de la Loi de 1985.
2, Cette date correspond A l’entrde en vigueur de ]a codification anglaise. On peut supposer que le
juge Beetz s’y rrf~re puisque ]a loi f&ldrale, plus particuli~rement les articles 156 et 157, n’est qu’une
copie de ]a loi anglaise.
n2″ Devenu par ]a suite l’article 9 de ]a Loi de 1985.
2″ Devenu par la suite l’article 55 de ]a Loi de 1985.
29 Bellamy c. Williams (1917), 41 O.L.R. 244,40 D.L.R. 396 (C.A.).
260
It would appear, therefore, that the application of the rule in the manner proposed can-
not be justified upon the grounds upon which the rule itself is based. I come now to
those decisions that are precisely in point; and it will be convenient first to deal with
the decisions of the American courts. It is here again to be observed that we are apply-
ing the law merchant. And while it is true that we have to administer the law merchant
which is part of the law of England, and have no authority to administer anything but
the law of England, yet it is also true that, as in its broad features, the law merchant was
much the same in all commercial countries, it is the practice of English judges when
the point for decision is a question arising upon the law merchant and is also one upon
which English authority is wanting, to have recourse to the law of other commercial
countries. Examples may be found in Lord Mansfield’s judgment in Luke v. Lyde, and
in the judgment of Mr. Justice Willes in Dakin v. Oxley. The weight to be attached to a
rule of law of a foreign country is increased when the principles of the law there ad-
ministered upon the subject in question are professedly (as the decisions of the Su-
preme Court of the United States on this subject are) a development of the law mer-
chant, as recognized by the common law of England. There are some branches of the
law merchant in which the American courts have professedly departed from the com-
mon law and in such cases their decisions cannot afford us a guide; but where that is
not so, unless at all events it appears to proceed upon principles at variance with the
accepted principles upon which courts administering the law of England are accus-
tomed to act, one must, of course, regard a decision of the Supreme Court of the United
States upon a point of commercial law not covered by authority in England or Canada
as no small evidence of the soundness of the conclusion at which one has one’s self ar-
rived (Union Investment Co. c. Wells (1908), 39 R.C.S. 625 aux pp. 638-39, M. lejuge
Duff [ci-aprs Union Investment]).
Voir aussi Cosgrave c. Boyle (1881), 6 R.C.S. 165 A lap. 173. En l’esp~ce, l’article 1 de ‘Actepour
amender la loi concernant les lettres de change et billets promissoires et les timbres ii y apposer, S.C.
1995]
J. LECLAIR – EFFETS DE COMMERCE
l’alin6a 56(1)a) et au paragraphe 70(2) de la Loi sur les lettres de change, 1906261.
Comme l’affirme
le juge Duff, il ne s’agissait pas d’une simple question
d’interpr6tation statutaire ; en effet, <<[t]he express provisions of the Act [did] not
[...] afford a clear guide upon the question.
62
Par ailleurs, les tribunaux australiens et canadiens se sont parfois explicitement
fond6s sur 1'arr& Vagliano pour justifier le recours h la common law relative au
droit des effets de commerce au sens strict. Pour d6terminer le sens exact des mots
de la Haute Cour d’Australie264 s’est pench6 sur des d6cisions de common law sans
ndcessairement se limiter aux arrts antdrieurs h 1890. Pour justifier ce glanage
d’616ments exog~nes
la loi, le juge se fonde sur l’article 105 de cette demi~re, le-
quel est en tout point identique au paragraphe 97(2) du Bills of Exchange Act, 1882.
Qui plus est, apr~s avoir rappel6 la r~gle d’interpr6tation 6nonc6e dans l’arrat Va-
gliano, la Cour d6clare ce qui suit:
[W]hen the terms and expressions are not expressly defined, then, unless in-
consistent with the context, common law decisions, and the common significa-
tion of these terms and expressions are material guides2″.
Dans Macleod Savings & Credit Union Ltd. c. Perrett , la Cour supreme du
Canada a 6tabli qu’un effet portant la mention <
Beetz a conclu qu’en common law la precision requise par l’alin6a 28(1)a) de la Loi
de 1970267 2n reconnu par la common law d~s le ddbut du
dix-neuvi~me si~cle, et qui 6tait <,
etait maintenu en vigueur par ]a disposition de
renvoi fedrale. I1 devait affirmer que ce principe de common law demeurait appli-
cable au motif qu’il n’avait pas 6t6 express6ment ou implicitement rdpudi6 par le
lgislateur fdderal274.
juge ht la Cour d’appel –
Le peu de jurisprudence dont nous disposons n’autorise pas ]a formulation de
principes absolus en ce qui a trait h l’interprdtation ht donner au paragraphe 97(2) du
Bills of Exchange Act, 1882. Ndanmoins, sans pouvoir brosser un tableau ddfinitif,
il nous est possible de tracer l’esquisse d’une solution.
Selon nous, h la lumi~re de ce que nous avons expose dans I’dtude qui pr6cede,
il est plausible d’affirmer que le paragraphe 97(2) du Bills of Exchange Act, 1882
vise simplement h colmater les br~ches d’une loi incomplete ou faisant dtat de cer-
oMacleod, supra note 266 aux pp. 84-85.
211 (1979), 24 O.R. (2) 494,99 D.L.R. (3) 729 (C. comte) aux pp. 736-39 [ci-apr~s Hogg avec ren-
vois aux D.L.R.].
‘ Ibid. A lap. 736. Le principe de
r~gles de droit relatives aux effets de commerce, le Bills of Exchange Act, 1882 de-
vait, en principe, donner r6ponse h tout probl~me que pouvaient soulever billets et
lettres de change. Seul le 16gislateur pouvait voir h l’assouplissement de ce prin-
cipe. En effet, pour garantir aux tribunaux un recours aux r~gles du droit des effets
de commerce qui auraient 6chapp6 it la sagacit6 des codificateurs, une disposition
explicite dans la loi elle-m~me 6tait ndcessaire, d’oii l’adoption du paragraphe
97(2) du Bills of Exchange Act, 1882.
Cette interpr6tation restrictive a dt6 accueillie favorablement par les tribunaux
canadiens27 . Pareille attitude 6tonne d’autant moins lorsqu’on consid~re que
l’intention du 16gislateur f6d6ral 6tait identique h celle de son homologue britanni-
que. IActe des lettres de change de 1892 devait simplement codifier le droit des ef-
fets de commerce, rien de plus271.
L’histoire 16gislative de l’article 9 et une approche comparative viennent donc
confirmer les conclusions auxquelles notre analyse constitutionnelle nous avait
amen6 : lapproche restrictive traditionnellement adopt6e par les tribunaux cana-
diens et qu6b6cois dans l’interpr6tation de l’article 9 ne jure donc ni avec le texte de
la Loi constitutionnelle de 1867 ni avec le libeIld du texte de loi f~dral.
2″ Rappelons ici ce que disait M. lejuge Locke (dissident sur un autre point) dans l’arr& Duplain:
The Act, while intended as a code, did not exhaustively deal with all of the rights given
to persons desiring to contract in this manner or to the holders of these instruments un-
der that branch of the common law referred to as the law merchant. These rights were
reserved by s. 97(2) and are reserved to the holders of such instruments by s. 10
(Duplain, supra note 50
la p. 707).
76 <(La Constitution>, supra note 136 aux pp. 610-16 ; voir 6galement Socidtd h~telire Canadien
Pacifique Ltde c. Banque de Montrial, [1987] 1 R.C.S. 711 A lap. 780,40 D.L.R. (4′) 385, M. lejuge
La Forest.
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Conclusion
MCGILL LAWJOURNALI REVUE DE DROITDEMCGiLL
[Vol. 40
Un examen du rapport particulier entretenu par les comp6tences fdd6rale et
provinciale en matibre de droit priv6 nous a amend
t conclure que le contexte
constitutionnel canadien autorisait les tribunaux h donner, comme ils Font fait, une
interpr6tation restrictive h l’article 9 de la Loi sur les lettres de change. Nous avons
6galement constat6 que ‘application des d6lais de prescription provinciaux en ma-
tibre de lettres de change n’dtait pas constitutionnellement prohib6e. Enfin, une
6tude du libell6 meme de l’article de renvoi et du contexte historique de son adop-
tion nous ont port6 h conclure qu’il avait pour seule fonction d’introduire les con-
cepts de droit anglais relevant du droit des effets de commerce au sens strict.
L’approche constitutionnelle proposde ici comporte le double avantage de per-
mettre une grande interaction entre les droits privds fdd6ral et provinciaux, tout en
respectant le principe de l’exclusivit6 des compdtences qu’imposent les termes
memes de la Loi constitutionnelle de 1867.