L’obligation d’accommodement raisonnable
et I’adaptation de la soci6t6
a la diversit6 religieuse
Jose Woehrling”
L’obligation d’accommodement (ou d’adaptation) oblige,
dans certains cas, I’ttat, les personnes et les entreprises priv6.s
ai modifier des normes, des pratiques ou des politiques ligitimes
ct justifi6es, qui s’appliquent sans distinction 5 tous, pour tenir
compte des besoins particuliers de certaines minoritis, princi-
palement les minorits etihniques ct religieuses.
La concept d’accommodement raisonnable a d’abord
t6
Elabor6 A partir du principe d’6galitd par les tribunaux spsdciali-
ss des droits de la personne chargds d’appliquer les lois relati-
l’obligation
ves aux droits de Ia personne. Dans cc cadre,
d’accommodement s’applique principalement en matihre de
relations d’cmploi ct de foumiture do biens ct de services desti-
ns au public, ct cite vise les organismes gouvemementaux et
les entrcprises privwes auxquels la loi s’applique. Elle les oblige
hs faire un effort pour tenter d’adaptcr leum normes et politiques
aux croyances ct pratiques religieuses avec lesquelles celles-ci
entrent cn conflit, A moins quc I’adaptation requise n’entraine
une contrainte excessive.
L’obligation d’accommodement peut 6galement ddcouler
du droit 5 1’6galit6 et do la Iibertd de religion garantis par la
Charte canadienne des drots et tibert& ct par la Charte des
droits et libertds de la personne du Quibec. Ella s’impose alom
I’autorit6 rdglementaire qui devront prdvoir
au Idgislateur ct
des exceptions pour permettro les pratiques religieuses qui so-
mient autrement contrari6s ou cmpdEh&s par I’application do
lcurs normes. Si une disposition I6gislative ou rdglemcntaire no
respecte pas ctte obligation d’adaptation, elle devra Etre invali-
dde ou, si les circonstances le permettont, reformulde par les tri-
bunaux do fa.on i y ajouter I’exception ou I’adaptation requise,
ai moins qu’on no puiss ddmontrer qua la disposition telle
qu’adoptda par Ia 16gislateur constitue ddjA le moyen Ia moins
restrictif pour atteindre un objectif social important.
On
raisonnablo
reproche A i’accommodement
(tout
comme A Is politique du multiculturalisme) de favoriser la
ghettoisation des minoritds et do fmgmenter I’identit6 nationale.
Au contraire, pour les ddfenseurs des politiques plumlistes at
multiculturelles, Ia reconnaissance de la diffdrenee at les adap-
tations qui sont consenties aux minorits faciliteront le plus
souvent, 5i moyon Ct b long terme, leur intgration harmonieuse,
mlme si, a court terme, ces politiques peuvent avoir pour effet
de souligner cortains traits et comportements particuliors de ces
groupes.
The duty to accommodate requires the State and private
persons or corporations to alter standards, practices and policies
that are legitimate and applied equally to everyone, in order to
adapt them to the specific needs of certain groups, in particular
ethnic and religious minorities.
as the proper rem-
This duty has first been developed –
by the specialized
edy in cases of indirect discrimination –
human rights tribunals that apply provincial, territorial and fed-
cral human rights acts. In this context, the right to reasonable
accommodation exists mainly in the area of employment and
with respect to the provision of services, goods and facilities.
The duty requires governmental bodies and private persons or
companies to change their rules and policies in order to ac-
commodate the needs of those whose right to equality has been
infringed, unless the needed accommodation would impose un-
due hardship.
The duty to accommodate can also result from the right
to equality and freedom of religion guaranteed by the Canadian
Charter of Rights and Freedoms and the Quebec Charter of
Hunan Rights and Freedoms. It then imposes on the legislature
and on bodies enacting regulations an obligation to accommo-
date the special needs of minorities in order to allow religious
practices that would otherwise be prohibited or hindered by the
effect of neutrally phrased and applied legislation. If a legisla-
tive measure does not contain the proper exemption, it must be
struck down or, if circumstances allow, it will be “recon-
structed” by the courts so as to include the needed accommoda-
tion. When applied to legislative acts or delegated legislation,
the limits of the duty to accommodate must be assessed under
section 1 of the Canadian Charter. No accommodation will be
required if it can be shown that the legislative measure, as
adopted, already uses the least restrictive means for attaining an
important social objective.
The duty to accommodate has been criticized (as has the
multiculturalism policy) for encouraging the ghettoisation of
minorities and for fragmenting the national identity. On the
other hand, proponents of the duty and of other measures aimed
at furthering cultural diversity are convinced that the recogni-
tion of minorities and the accommodation of their differences
will, in the long run, facilitate rather than prevent their organic
integration into the mainstream of society.
. Professeur A la Facult6 de droit de l’Universit6 de Montreal. L’auteur remercie le Professeur Daniel
Proulx pour ses commentaires et suggestions.
Revue de droit de McGill
McGill Law Journal 1998
Mode de rdffrence : (1998) 43 R.D. McGill 325
To be cited as: (1998) 43 McGill U. 325
MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE MCGILL
[Vol. 43
Introduction
I. L’obligation d’accommodement fond6e sur le droit & I’6galit6
dans le cadre des lois relatives aux droits de la personne
A. Lobligation d’accommodement, corollaire de l’interdiction de la dis-
crimination indirecte
B. Les principaux domaines d’application de ‘accommodement raison-
nable : les relations de travail et la fourniture de biens et de services
au public
C. Les moyens de d~fense opposables A I’ob/igation d’accommodement
raisonnable
1. Le caractbre rationnel de la politique, de la r~gle ou de la norme
contest6e
‘effort d’accommodement
2.
3. Le caractbre excessif de la contrainte
a. Le coOt de I’accommodement recherch6
b. L’entrave indue & I’exploitation de l’entreprise ou au bon fonc-
tionnement du service
c. Les droits d’autrui
I1. LUobligation d’accommodement fond~e sur le droit h 1’6galit6 et la li-
bert6 de religion dans le cadre de la Charte canadienne des droits et
libert6s et de la Charte des droits et libertd de la personne du Qu6-
bec
A. La transposition de ‘obligation d’accommodement dans le domaine
de ‘activit6 l6gislative et r6glementaire
1. Linvalidation ou la reformulation judiciaire des normes qui cr6ent
une discrimination religieuse indirecte
2. Les limites de l’obligation d’accommodement : I’application des
clauses limitatives des deux Chartes
a. L’article 1 de la Charte canadienne
b. L’artic/e 9.1 de/a Charte qufbtcoise
B. Le paralldlisme entre la /ibertd de religion et l’interdiction de la discri-
mination re/igieuse
C. L’obligation d’accommodement fond~e sur la /ibertM de religion
1. Les 6l6ments constitutifs de la libert6 de religion :le droit au libre
exercice et I’obligation de neutralit6 de I’E~tat en matibre religieuse
lUobligation d’accommodement comme 6lment constitutif du droit
au libre exercice
2.
3. Les contradictions susceptibles de surgir entre
d’accommodement et l’obligation de neutralit6
I’obligation
1998]
J. WOEHRLING – ACCOMMODEMENT ET DIVERSITE RELIGIEUSE
327
D. Les conditions A remplir pour invoquer la libert6 de religion afin
d’obtenir un accommodement
1. La nature des convictions, croyances et pratiques prot6g6es
2. Lexistence des pr6ceptes invoqu6s et la sinc6rit6 de la personne
qui les invoque
3. Leffet de la norme ou de la pratique contest6e sur les croyances
Conclusion
328
MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE MCGILL
[Vol. 43
Introduction
La composition de la population canadienne et qu6b~coise se diversifie de plus en
plus sur les plans culturel et religieux. Ce ph6nom~ne rfsulte des changements ap-
port6s A la politique d’immigration depuis une quinzaine d’ann6es : pendant long-
temps, les immigrants sont surtout venus d’Europe ; aujourd’hui, ils sont essentielle-
ment originaires d’Asie, d’Afrique et des Caralbes’. L’arriv~e de personnes d’origines
tr~s diverses soul~ve 6videmment le probl~me de leur int6gration. Les pratiques reli-
gieuses et les habitudes culturelles des nouveaux immigrants sont parfois difficiles
concilier avec les normes commun6ment accept6es par la soci6t6 qu6b6coise et cana-
dienne. Pour maintenir leurs traditions et leur identit6, les groupes ethnoculturels nou-
vellement install6s multiplient donc les demandes d’accommodement, c’est-A-dire de
modification ou d’ajustement des r~gles gdn6ralement applicables, pour les adapter ?
leur situation sp6cifique. I1 en r~sulte une complexit6 croissante de la gestion de la di-
versit6 ethnoculturelle et religieuse, autant pour les organismes publics que pour les
entreprises priv6es. Pour ces deux cat6gories d’organisations, le d6fi est de s’adapter
aux nouvelles caract6ristiques culturelles et religieuses de leur clientele et de leurs
employ6s.
Dans ce contexte, l’obligation d’accommodement (ou d’adaptation) raisonnable
constitue un instrument de maintien des identit6s particuli~res et de gestion de la di-
versit6 ethnoculturelle. En effet, l’obligation d’accommodement oblige dans certains
cas l’ttat et les personnes ou entreprises privies modifier des normes, des pratiques
ou des politiques 16gitimes et justifi6es, qui s’appliquent sans distinction h tous, pour
tenir compte des besoins particuliers de certaines minorit6s, surtout ethniques et reli-
gieuses.
L’obligation d’accommodement peut 8tre principalement fond6e sur le droit h
l’6galit6 et la libert6 de religion. En fait, le concept d’accommodement raisonnable a
d’abord 6t6 6labor6, . partir du concept d’6galit6, par les tribunaux sp6cialis6s appli-
quant les lois relatives aux droits de la personne adopt6es par les legislatures cana-
diennes. Ces lois ont essentiellement pour but d’interdire la discrimination. Dans le
cadre des lois sur les droits de la personne, l’obligation d’accommodement s’applique
principalement dans le domaine des relations d’emploi et dans celui de ]a fourniture
de biens et de services destin6s au public. Elle vise les organismes gouvernementaux
et les entreprises priv6es auxquels la loi –
f6d6rale, provinciale ou territoriale –
s’applique. Elle les oblige A faire un effort pour tenter d’adapter leurs normes et poli-
‘ En 1996, dix pays fournissaient au Canada un peu plus de la moiti6 de ses immigrants (125 563
sur un total de 224 050, soit 56%) : Hong Kong (29 871) ; Inde (21 166) ; Chine (17 479) ; ‘Taiwan
(13 165) ; Philippines (12 923); Pakistan (7 724) ; Sri Lanka (6 117) ; Etats-Unis (5 789); Iran (5
770) ; Royaume-Uni (5 559). Par rapport h une population de 28,8 millions d’habitants, le nombre des
nouvelles admissions chaqtte annde repr~sente 0,7% de la population. Voir Gestion et technologic de
l’information et Politiques, planification et recherche strat6gique de Citoyennet6 et Immigration Ca-
nada, Faits et chi[fres 1996, Ottawa, Approvisionnements et Services Canada, 1997, en ligne: Ci-
toyennet6
Immigration
et
Canada,
1998]
J. WOEHRLING – ACCOMMODEMENT ET DIVERSITE RELIGIEUSE
329
tiques aux croyances et pratiques religieuses avec lesquelles celles-ci entrent en con-
flit, ‘a moins que l’adaptation requise n’entraeine une contrainte excessive. Les princi-
pes d6velopp6s par
la personne en mati~re
d’accommodement raisonnable ont 6t6 repris et entfrin6s par les tribunaux judiciaires,
y compris la Cour supreme du Canada.
tribunaux des droits de
les
L’obligation d’accommodement peut 6galement d~couler du droit ‘ l’6galit6 et de
la libert6 de religion garantis par la Charte canadienne des droits et libertds et par la
Charte des droits et libertis de la personne du QuEbec’. Elle s’impose alors g6n~ra-
lement au l6gislateur et ‘ l’autorit6 r6glementaire qui devront pr6voir des exceptions
pour permettre
les pratiques religieuses qui seraient autrement contrariees par
l’application de leurs normes. Si une disposition l6gislative ou r6glementaire ne res-
pecte pas cette obligation d’adaptation, elle devra 6tre invalid~e ou, si les circonstan-
ces le permettent, reformul~e par les tribunaux de fagon ‘a y ajouter l’exception ou
l’adaptation requise A moins que la disposition contest6e ne constitue d6j’a le moyen le
moins attentatoire pour atteindre un objectif social important.
M~me si l’obligation d’accommodement peut se fonder autant sur la Charte ca-
nadienne et la Charte qudbdcoise que sur les lois relatives aux droits de la personne,
les tribunaux semblent avoir plus de rticences ‘a l’imposer au lgislateur et ‘a
l’autorit6 r6glementaire qu’aux employeurs et aux fournisseurs de biens et de services
publics ou priv6s. Cela tient sans doute au fait que les concepts 61abor~s dans le do-
maine des relations de travail et dans celui de l’acc~s aux biens et aux services ne sont
pas toujours faciles h transposer dans le cadre du contr6le judiciaire de ]a l6gislation.
I. L’obligation d’accommodement fond6e sur le droit & I’6galit6
dans le cadre des lois relatives aux droits de la personne
Dans le cadre des lois relatives aux droits de la personne, la Cour supreme du Ca-
nada, reprenant en cela la jurisprudence des tribunaux sur les droits de la personne, a
tr~s clairement fait d~couler l’obligation d’accommodement raisonnable du droit h
l’6galit6 et de l’interdiction de la discrimination, particuli~rement la discrimination
indirecte. Jusqu’a pr6sent, les arr~ts de la plus haute cour canadienne sur cette ques-
tion ont toujours port6 sur les relations de travail, mais la jurisprudence des tribunaux
sp~cialisds montre que l’obligation d’accommodement existe dans tous les domaines
d’activit6 vis6s par les lois sur les droits de la personne, notamment celui de la four-
niture de biens et de services. Aprs avoir examin6 le fondement et le domaine
d’application de l’obligation d’accommodement, nous verrons que ses limites
s’expriment dans le concept de <
2 Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada
(R.-U.), 1982, c. 11 [ci-apr~s Charte canadienne].
L.R.Q. c. C-12 [ci-apr s Charte qudbdcoise].
330
MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE MCGILL
[Vol. 43
A. Lobligation d’accommodement, corollaire de I’interdiction de la
discrimination indirecte
Tant au Quebec qu’ailleurs au Canada, ia doctrine et la jurisprudence considrent
que le fondement juridique de l’obligation d’accommodement raisonnable est d’abord
constitu6 par le principe d’6galit et que l’obligation s’applique surtout dans les cas de
discrimination indirecte. Elle n’a pas A 6tre pr6vue express6ment par le 16gislateur,
elle fait partie intrgrante du concept d’6galit6. C’est ce qu’illustre la premiere d6cision
dans
l’obligation
d’accommodement, l’affaire Commission ontarienne des droits de la personne c.
Simpson-Sears Limited. La Cour ‘a fait d~couler du Code des droits de la personne
de I’Ontario6 qui, A l’6poque, ne la pr~voyait pas expressrment. Parlant au nom de la
Cour, le juge McIntyre 6crit :
reconnu 1’existence de
la Cour supreme a
laquelle
Dans un cas de discrimination fondde sur la croyance et r~sultant de
‘effet
d’une condition ou d’une r~gle qui est raisonnablement lie A l’ex6cution des
fonctions et qui n’est pas discriminatoire
premiere vue, […] [Ila r~gle ou la
condition de travail n’est pas annulde, mais son effet sur le plaignant doit dire
6tudi6 et si ‘on veut mettre en application l’objet du Code ontarien des droits
de la personne un accommodement quelconque s’impose de ia part de
I’employeur au profit du plaignane.
I[…1I
Pour la doctrine relative h ia Charte qudbicoise, voir notamment P. Carignan, (L’dgalit6 dans le
droit : une mrthode d’approche appliqude a P’article 10 de la Charte des droits et liberts de la per-
sonne, (1987) 21 RJ.T. 491 aux pp. 530-31 ; P. Bosset, La discrimination indirecte dans le domaie
de l’emploi : aspects juridiques, Cowansville (Qu6.), Yvon Blais, 1989 aux pp. 101-03 ; M. Caron,
((Les concepts d’rgalit6 et de discrimination dans la Charte qudbicoise des droits et liberths do ia per-
sonneo dans Barreau du Quebec, Service do la formation permanente, Developpements ricents en
droit administratif (1993), Cowansville (Qu6.), Yvon Blais, 1993 A la p. 39 et s., 57 ; D. Proulx, La
discrimination dans l’emploi: les moyens de ddfense, Cowansville (Qu6.), Yvon Blais, 1993 a la p.
122. Pour la doctrine relative aux lois sur les droits de ia personne des autres provinces, voir notam-
ment M.D. Lepofsky, (The Duty to Accommodate: A Purposive Approach, (1992) 1 Can. Lab. W. 1
aux pp. 1, 2, 11, 18, 19 ; D. Gibson, The Law of the Charter: Equality Rights, Scarborough, Carswell,
1990 aux pp. 133-36.
5 [1985] 2 R.C.S. 536, 23 D.L.R. (4′) 321 [ci-aprbs O’Malley avec renvois aux R.C.S.]. Dans cette
affaire, la Cour a jug6 que la plaignante, Mme O’Malley, A laquelle sa religion prescrivait
l’observance stricte du sabbat partir du coucher du soleil le vendredi jusqu’au coucher du soleil le
samedi, 6tait victime de discrimination indirecte fondre sur la religion du fait que son employcur in-
sistait pour la faire travailler le vendredi soir et le samedi. Ce demier ne s’6tait pas acquitt6 do son
obligation, soit en lui offrant un accommodement raisonnable en modifiant ses horaires de travail, soit
en drmontrant qu’un tel arrangement entrainerait pour lui une contrainte excessive.
6 LR.O. 1980, c. 340. Depuis cette 6poque, le code ontarien a
t6 modifi6 A quelques reprises. En
vertu de modifications qui lui ont 6td apportdes en 1986, il prdvoit d6sormais l’obligation
d’accommodement raisonnable de fagon expresse ; voir Code des droits de la personne, L.R.O 1990,
c. H.19, art. 11, 24.
‘O’Malley, supra note 5 A la p. 552, juge McIntyre.
1998]
J. WOEHRLING – ACCOMMODEMENT ET DIVERSITE RELIGIEUSE
331
Le Code confere le droit de ne pas 8tre victime de discrimination dans son em-
ploi. M~me si aucun droit ne saurait 6tre consid6rd comme absolu, une cons6-
quence naturelle de la reconnaissance d’un droit doit 6tre ‘acceptation sociale
de l’obligation g6n~rale de le respecter et de prendre des mesures raisonnables
afin de le protdger. […] Dans le present cas, conform6ment aux dispositions et
l’objet du Code ontarien des droits de la personne, le droit de I’employ6 exige
que l’employeur prenne des mesures d’accommodement raisonnables.
Dans une d6cision post6rieure, ‘affaire Commission scolaire rdgionale de Chambly c.
Bergevin, la Cour supreme a clairement r6affirm6 que l’obligation d’accommodement
l’article 10 de la Charte qudbdcoise,
raisonnable d6coule du principe d’6galit6 pr6vu
selon lequel il y a discrimination
Pour qu’il y ait 6galit6 et 6quit6 vritables en milieu de travail, quelles que
soient les croyances religieuses des employ~s, il va de soi que I’employeur doit
tre tenu de prendre des mesures raisonnables pour s’entendre avec les em-
ploys l6sds par les r~gles en matiure d’emploi. Cela est essentiel 4 la rdalisa-
tion de l’objet des lois en mati~re de droits de la personne. […] Ce principe
[l’accommodement raisonnable] est si important que le juge McIntyre a indi-
qu6, au nom de notre Cour a l’unanimit6, dans l’arrt O’Malley […] qu’une me-
sure d’accommodement raisonnable fait partie int6grante du droit .l’galit6ll.
Comme nous l’avons d6j soulign6, l’obligation d’accommodement raisonnable
n’existe pas seulement en mati~re de relations de travail ; elle peut apparaitre dans
tous les domaines d’activit6 vis6s par les lois relatives aux droits de la personne. En
outre, elle n’est pas limit6e aux cas de discrimination religieuse : ceux fondes, par
exemple, sur le handicap, le sexe ou la grossesse peuvent 6galement donner lieu A une
telle obligation”.
, Ibid. aux pp. 554-55, juge McIntyre.
9 [1994] 2 R.C.S. 525, 115 D.L.R. (4′) 609 [ci-aprbs Bergevin avec renvois aux R.C.S.]. Dans cette
affaire, la Cour est arrivde A la conclusion que le calendrier scolaire fixant l’horaire de travail des en-
seignants, qui faisait partie de la convention collective liant la commission scolaire intim6e, dans la
mesure oil il ne pr6voyait pas de cong6 pay6 lejour du Yom Kippour, avait un effet discriminatoire in-
direct A l’6gard des enseignants de religion juive, ceux-ci devant prendre une joum6e de cong6 pour
c6lbrer leur fete religieuse. Tenant compte du fait que la convention collective pr6voyait en l’esp.ce
la rdmun6ration de l’enseignant qui s’absente pour diverses raisons et que dans le pass6 les absences
r6mun6r6es incluaient la c6ldbration du Yom Kippour, la Cour a jug6 que l’employeur n’avait pas
r6ussi
faire la preuve que le fait d’accommoder les int6ress6s, en leur permettant de prendre un jour
de cong6 pay6 pour c6lbrer le Yom Kippour, lui imposerait une contrainte excessive. Par cons6quent,
il ne s’6tait pas acquitt6 de son obligation d’accommodement raisonnable. La Cour supreme a done
renvers6 la decision de la Cour d’appel (voir (1992), 48 Q.A.C. 34,97 D.L.R. (4′) 661) qui 6tait majo-
ritairement arriv6e 4 la conclusion qu’il n’y avait pas de discrimination, et a r6tabli la d6cision du Tri-
bunal d’arbitrage, qui avait d~cid6 que l’intimde devait payer les enseignants de religion juive qui
s’dtaient absent6s lejour du Yom Kippour.
,Charte quibdcoise, supra note 3.
“Bergevin, supra note 9 A lap. 544, juge Cory.
‘”Voir par ex. la Charte qudbdcoise, supra note 3, art. 10.
332
MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROITDE MCGILL
[Vol. 43
Comme rillustrent les deux d6cisions de la Cour supreme mentionn6es pr6c6-
demment, c’est dans les cas de discrimination indirecte, ou discrimination par suite
d’un effet pr6judiciable, que l’obligation d’accommodement raisonnable apparait
d’habitude. Alors que la discrimination directe est celle qui repose ouvertement sur un
motif prohib6 de distinction, la discrimination indirecte d6coule d’une r~gle oneutre>>,
c’est- -dire qui s’applique de ]a m~me fagon
tous, mais qui produit n6anmoins un
effet discriminatoire sur un seul groupe de personnes en ce qu’elle leur impose des
obligations ou des conditions restrictives. Une norme ou une politique directement
discriminatoire sera invalid6e ou annul6e, A moins qu’elle puisse etre consid6r~e
comme raisonnable (ou, en mati~re de relations de travail, qu’il ne s’agisse d’une exi-
gence professionnelle justifide’>). Par contre, une norme indirectement discriminatoire
sera le plus souvent consid6r6e comme raisonnable, si bien qu’il n’y aura pas de rai-
son de l’annuler. Le corollaire de l’interdiction de la discrimination indirecte consiste
plut6t en une obligation d’accommodement, c’est–dire un devoir pour celui qui est ,i
l’origine de la discrimination de prendre tous les moyens raisonnables pour soustraire
les victimes de la discrimination indirecte aux effets de celle-ci.
II existe depuis une dizaine d’ann6es une controverse doctrinale et jurispruden-
tielle pour savoir s’il peut 6galement y avoir obligation d’accommodement raisonna-
ble dans certains cas de discrimination directe, lorsque celle-ci est consid6r6e comme
justifi6e. Par exemple, lorsqu’une politique d’emploi est ouvertement fond~e sur un
motif prohib6 de distinction (par exemple, la retraite obligatoire
un certain age),
mais que l’employeur r~ussit d6montrer qu’il s’agit d’une exigence professionnelle
justifi6e (bona fide occupational requirement), celui-ci se trouve-t-il d~s lors d~gag6
de toute obligation ou doit-il n6anmoins s’efforcer d’accommoder les employ6s tou-
ch6s par la politique en cause ? De nombreux auteurs”, ainsi qu’un certain courant ju-
risprudentiel chez les tribunaux sp6cialis6s'”, consid~rent aujourd’hui que les moyens
de d6fense invocables devraient 6tre essentiellement les m~mes, qu’il s’agisse de dis-
crimination directe ou de discrimination indirecte. Dans cette optique, l’obligation
d’accommodement raisonnable qui s’applique en mati~re de discrimination indirecte
serait,
toutes fins pratiques, identique A l’obligation de rechercher une autre solution
” Voir Charte qudbdcoise, ibiL, art. 20. Cette disposition utilise l’expression ,aptitudes ou qualit6s
requises par un emploi>,.
” Voir notamment Prouix, supra note 4 a la p. 109 et s. ; D. Proulx, ,,L’accommodement raisonna-
ble, cet incompris: commentaire de l’arr~t Large c. Stratford, (1996) 41 R.D. McGill 669 5 la p. 683
et s. [ci-aprbs
((The Justification of Discrimination under Canadian Human Rights Legislation and the Charter:
Why So Many Tests?>> (1993) 2 NJ.C.L 63
la p. 87 et s. ; P. Horwitz, ,”The Sources and Limits of
Freedom of Religion in a Liberal Democracy: Section 2(a) and Beyond, (1996) 54 U.T. Fac. L. Rev.
1 A lap. 62.
” Pour un exemple de d6cision dans laquelle on adopte la thorie de i’unit6 du rdgime de d6fense en
mati~re de discrimination directe et indirecte, voir i’affaire Thwaites c. Forces armdes canadiennes
(1993), D.T. 9/93 (T.C.D.P.). Voir 6galement les d6cisions cit6es dans Proulx, ‘L’accomodement rai-
sonnable >, ibid
lap. 700, n. 111.
1998]
J. WOEHRLING – ACCOMMODEMENT ET DIVERSIT- RELIGIEUSE
333
raisonnable qui existe en cas de discrimination directe et qui fait partie des crit~res;
appliquer pour 6tablir la d6fense d’exigence professionnelle justifi6e”.
Par contre, la jurisprudence de la Cour suprhme sur ce point est h6sitante et plut6t
confuse. Alors que cette cour avait jug6, dans I’affaire O’Malley”, que l’obligation
d’accommodement raisonnable fait partie int6grante du droit h l’6galit6 et de
l’interdiction de la discrimination, elle d6cidait la m~me ann6e dans l’arr~t Bindher c.
Compagnie des chemins defer nationaux du Canada”, que si l’employeur r6ussissait
d6montrer qu’une politique entranant une discrimination-indirecte pour des motifs
religieux constituait une exigence professionnelle justifi~e, il 6tait lib6r6 de toute obli-
gation d’accommodement. Par la suite, dans l’arrht Central Alberta Dairy Pool c. Al-
berta (H.R.C.)”, au nom d’une majorit6 de quatre juges contre trois, la juge Wilson a
retenu un point de vue consistant distinguer ]a d6fense en mati~re de discrimination
directe de celle qui s’applique en mati~re de discrimination indirecte : ce n’est que
dans le deuxi~me cas qu’il y aurait obligation d’accommodement raisonnable, le pre-
mier cas relevant uniquement de la d6fense d’exigence professionnelle justifi6e?”. Par
contre, dans le mhme arr&t, le point de vue d6fendu par le juge Sopinka, en dissi-
dence, revient i consid6rer que le moyen de d6fense de l’exigence professionnelle
justifi6e est le mhme qu’il s’agisse de discrimination directe ou de discrimination indi-
recte, un de ses 616ments consistant d6montrer l’absence od’autre solution raisonna-
ble >, c’est-i-dire l’impossibilit6 de tenir compte de la situation particulihre des per-
sonnes exclues par la politique d’emploi”. Sans trancher entre les deux positions, ce
que les faits de l’esp~ce ne l’obligeaient pas
faire, le juge Sopinka a expos6 ce m~me
point de vue dans l’arrht Central Okanagan School District No. 23 c. Renaud-. Ce-
pendant, dans l’affaire Large c. Stratford- , le juge Sopinka, pour la majorit6, revient
sur ses positions en affirmant qu’il 6tait erron6 d’assimiler l’accommodement indivi-
duel
l’exigence concernant l’existence de solutions de rechange raisonnables-.
6 Dans la Charte qudbdcoise, supra note 3, cette d6fense est pr6vue A l’art. 20 (((aptitudes ou quali-
t6s requises par un emploi>).
,Supra note 5.
[1985] 2 R.C.S. 561, 23 D.L.R. (4) 481 [ci-aprhs Bindher].
“[1990] 2 R.C.S. 489, 72 D.L.R. (4) 417 [ci-aprhs Central Alberta Dairy Pool avec renvois aux
R.C.S.].
“Voir ibid. h lap. 517, juge Wilson.
21 Voir ibid. A lap. 528, juge Sopinka.
22 [1992] 2 R.C.S. 970 A lap. 981, 95 D.LR. (4) 577 [ci-aprhs Renaud avec renvois aux R.C.S.].
[1995] 3 R.C.S. 733, 128 D.L.R. (4) 193 [ci-aprhs Large avec renvois aux R.C.S.].
2′ Voir ibid. aux pp. 751-52. Pour une critique mordante de cette opinion, voir Proulx,
Le 19 dcembre 1997, est entr6e en vigueur une modification de ‘article 93 de la Loi conslitu-
tionnelle de 1867 qui a pour effet de soustraire entirement le Qu6bec au respect des droits confes-
sionnels scolaires, voir Modification constitutionnelle de 1997 (Qudbec), T.R. 97-141, Gaz. C.
1997.11, &lition sp6ciale du 22 d6cembre 1997, vol. 131. Le 8 janvier 1998, est 6galement entrde cn
vigueur une modification de l’article 17 des conditions de l’adh6sion de Terre-Neuve, voir Modifica-
tion constitutionnelle de 1998 (Loi sur Terre-Neuve), T.R. 98-25, Gaz. C. 1998.11, ddition sp6ciale du
14 janvier 1998, vol. 132. Cependant, plut6t que de faire adopter, comme au Qudbec, une modifica-
tion constitutionnelle abolissant entitrement les garanties confessionnelles, le gouvernement do Terre-
Neuve a propos6 une nouvelle rddaction de t’article 17 qui conserve une certaine place t la religion
dans le futur syst~me scolaire public. Ces deux modifications constitutionnelles ont td adoptdes con-
form6ment h la procddure pr6vue A I’article 43 de ia Loi constitutionnelle de 1982, supra note 2.
27 C’est ce qu’a jug6 la Cour supreme dans le Renvoi relatif au projet de Loi 30, An Act to Amend
the Education Act (Ont.), [1987] 1 R.C.S. 1148,40 D.L.R. (4′) 18. Pour une analyse de cette d6cision,
voir P. Carignan, Les garanties confessionnelles a la lumiare du Renvoi relatif aux dcoles sdpardes de
l’Ontario, Montr6al, Thdmis, 1992 aux pp. 209-20. De plus, I’article 29 de la Charte canadienne, su-
pra note 2, pr6voit que ,des dispositions de la prdsente Charte ne portent pas atteinte aux droits ou
privileges garantis en vertu de ia Constitution du Canada concemant les 6coles s6pardes et autres
6coles confessionnelles>>.
2′ Voir par ex. Caldwell c. Stuart, [1984] 2 R.C.S 603, 15 D.LR. (4′) 1 ; Garrod c. Rhema Christian
School (1991), 92 C.LLC. 17,003, 15 C.H.R.R. D/477 (Commission d’enqu~te Ont.).
1998]
J. WOEHRLING – ACCOMMODEMENT ET DIVERSITE RELIGIEUSE
335
ble ne serait possible en l’occurrence, m~me si l’on supposait que l’employeur reste
soumis une telle obligation apr~s avoir fait la preuve d’une exigence professionnelle
justifide.
L’accommodement raisonnable devant 8tre consenti aux victimes de la discrimi-
nation indirecte peut prendre plusieurs formes, l’objectif 6tant de faire disparaitre les
inconv6nients que la r~gle en question entraine pour ces personnes. Uaccommodement
peut consister A dispenser purement et simplement les int6ress~s de l’application de la
r~gle contest6e. Par exemple, le r~glement d’une 6cole prohibant ]a possession
d’armes par les 616ves ou interdisant le port de tout v~tement distinctif s’applique sans
distinction ii tous, mais a un effet discriminatoire sur ceux dont la religion les oblige A
avoir sur eux en permanence un poignard servant au rituel (kirpan) ou A porter le
hidjab. A moins qu’on ne puisse d6montrer qu’il s’agit d’une contrainte excessive,
l’accommodement consiste ii pr6voir un r6gime d’exception permettant aux sikhs de
garder leur poignard A l’6cole’ et aux musulmanes de porter le hidjab”. De m~me, la
condition qui exige des employ6s qu’ils soient presents au travail le vendredi soir et le
Uauteur Lepofsky donne ia definition suivante de l’obligation d’accommodement, laquelle nous
parait en traduire i’essentiel : <[a]t the core of any accommodation is the tailoring of a work rule,
practice, condition or requirement to the specific needs of an individual or group,. Supra note 4 a la
p. 3 .
:" Voir Pandori c. Peel (Region) Board of Education (1990), 12 C.H.R.R. D/364 (Commission
d'enqu~te Ont.), appel rejet6 (1991), 14 C.H.R.R. D/403 (C. Div. Ont.) [ci-apr s Pandori]. I1 s'agit de
deux plaintes conjointes relatives au port du kirpan par un professeur et des 616ves sikhs
l'6cole. Ils
se sont vus opposer une rdsolution de la Commission scolaire de Peel interdisant le port du kirpan
dans I'enceinte de l'cole. Le commissaire d'enqu~te autorise le port du kirpan dans cette 6cole mais
aux conditions que le kirpan soit d'une taille raisonnable, qu'ii soit port6 en dessous des habits et qu'il
soit tenu fermement dans sa gaine ; Singh c. Workmen's Compensation Board Hospital Rehabilitation
Centre (1981), 2 C.H.R.R. D/459 (Commission d'enqu~te Ont.) : M. Singh a 6t6 inform qu'il ne
pourrait pas passer de tests
l'h6pital s'il n'6tait pas son kirpan, ce qu'il a refus6 de faire. La Com-
mission d'enqu&e a d6cid6 que l'h6pital aurait pu trouver une solution d'accommodement respectant
les croyances de M. Singh ; elle ordonne qu'A l'avenir les patients de religion sikh soient autoris6s A
l'h6pital A condition qu'il soit d'une lon-
conserver leur kirpan, pendant qu'ils reroivent des soins
gueur raisonnable. Dans Hothi c. R., [1985] 3 W.W.R. 256 (B.R. Man.) conf.
[1986] 3 W.W.R. 671
(C.A. Man.), la Cour du Banc de Ia Reine du Manitoba a confirm6 l'ordonnance d'un juge de la Cour
provinciale interdisant le port du kirpan dans une salle d'audience. A propos du turban port6 par les
sikhs, voir Sehdev c. Bayview Glen Junior Schools (1988), 9 C.H.R.R. D/4881 (Commission
d'enqu~te Ont.) : une 6cole priv6e ayant une politique stricte sur l'uniforme refuse l'admission d'un
616ve sikh h cause du port du turban. La Commission d'enqu~te conclut que l'dcole n'a pas 6tabli que
sa politique est raisonnable et de bonne foi dans les circonstances. Elle doit faire des efforts
d'accommodement raisonnable et l'objectif de la politique de i'uniforme de l'6cole ne sera pas com-
promise du fait de permettre certaines exceptions.
' A notre connaissance, le port du foulard islamique n'a pas encore donn6 lieu une dfcision judi-
ciaire ou quasi-judiciaire. Par contre, la Commission des droits de la personne du Qu6bec a 6mis un
document dans lequel elle exprime l'opinion que l'application, aux jeunes musulmanes qui d6sirent
porter le foulard, d'une r~gle scolaire interdisant le port de v~tements susceptibles de marginaliser les
616ves, constituerait de la discrimination indirecte. Voir Commission des droits de la personne du
Qu6bec, Le port du foulard islamique dans les dcoles publiques: aspects juridiques, par P. Bosset,
Montr6al, Commission des droits de la personne du Qu6bec, 1994 [non publif]. Document adopt6 A
la 388' s6ance de la Commission, tenue le 21 d6cembre 1994, par sa rdsolution COM-388-6.1.3.
336
MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE MCGILL
[Vol. 43
samedi s'applique sans distinction h tous mais produit un effet discriminatoire sur
ceux A qui leur religion prescrit le repos le vendredi soir et le samedi jusqu'au coucher
du soleil. Afin de respecter l'obligation d'accommodement, les employeurs seront te-
nus de proposer un horaire de travail diff6rent h ces employ6s'2. Egalement, la loi qui
oblige tous les commergants A fermer leur commerce le dimanche s'applique de la
m~me mani~re A tous, mais produit un effet discriminatoire sur ceux dont la religion
prescrit un jour d'observance religieuse autre que le dimanche. En effet, ils sont alors
p6nalis6s sur le plan 6conomique par rapport A ceux dont le jour d'observance est le
dimanche. L'accommodement, s'il y a lieu, consistera A permettre aux commergants
juifs d'ouvrir leur commerce le dimanche, A condition d'avoir fait relache le samedi".
L'accommodement peut aussi consister h mettre i la disposition des int6ress6s des
installations ou des avantages particuliers. Par exemple, la pratique de servir le m~me
menu, avec de la viande de porc, dans une prison ou dans un h6pital produit un effet
discriminatoire sur les d6tenus ou les malades juifs et musulmans. L'accommodement
consistera h offrir des repas diff6rents i ces personnes.
L'accommodement peut 8tre impos6 par un tribunal, mais il peut 6galement atre
n6goci6 h l'amiable et volontairement consenti. Ainsi, la Gendarmerie royale du Ca-
nada a d6cid6 de permettre aux sikhs de servir dans ses rangs en les dispensant de
l'obligation de porter le chapeau de feutre traditionnel et en les autorisant h porter
plut6t leur turban et autres symboles religieux, comme la barbe et le kirpan". De
m~me, dans un avis du Conseil des communaut6s culturelles et de l'immigration du
Qu6bece, on donne l'exemple d'une municipalit6 qui a d6cid6 de r~server l'usage de
la piscine municipale aux musulmans pendant une dur6e de trois heures par semaine,
pendant laquelle les autres usagers sont exclus, afin de leur permettre de se baigner
entre personnes du m~me sexe uniquement. Les groupes en cause consid6raient que
'2 Voir O'Malley, supra note 5.
"Voir R. c. Videoflicks Ltd. (1985), 48 O.R. (2') 395, 14 D.L.R. (4) 10 (C.A. Ont.) [ci-apr~s Video-
flicks avec renvois aux D.L.R.] ; cependant, pour des raisons analys6es plus loin (voir le texte corres-
pondant
la note 131), cette d6cision a dt6 renvers6e par la Cour supreme dans R. c. Edwards Books
&ArtsLtd., [1986] 2 R.C.S. 713,55 C.R. (3') 193 [ci-aprbs Edwards Books avec renvois aux R.C.S.].
m Voir Commission des droits de la personne du Qu6bec, Le rdgime alimentaire des ddtenus defoi
hdbraYque : obligations des autoritds carcdrales (Avis officiel), par P. Bosset, Montr6al, Commission
des droits de Ia personne, 1991 [non publi6 ; ci-apr s Le rdgime des ddtenus de foi hdbraYque]. Do-
cument adopt6 h ia 358' sdance de la Commission, tenue le 31 mai 1991, par sa rdsolution COM-358-
8.1.2.
3" Dans Grant c. Canada (PG.) (1994), [1995] 1 C.F. 158, 81 F.T.R. 195, la Cour f~d6rale (1' ins-
tance) a jug6 que les mesures prises par le Commissaire de la G.R.C. pour que les membres de celle-
ci soient autoris6s A porter des symboles religieux, tel le turban sikh, ne portent pas atteinte aux art.
2(a), 7 et 15 de ia Charte canadienne. Decision affirm6e par la Cour F~ddrale d'appel (1995), 96
F.T.R. 239, 125 D.L.R. (4) 556, juge Linden, appel A ia Cour Suprame du Canada rejet6, [1996] 1
R.C.S. vii, 130 D.L.R. (4') vii.
Qu6bec, Conseil des communaut~s culturelles et de I'immigration, La gestion des conflits do
normes par les organisations dans 1c contexte pluraliste de la socidid qudbdcoise : principes de fond
et de procddure pour guider la recherche d'accommodements raisonnables (Avis pr6sent6 A la minis-
tre des Communaut6s culturelles et de l'lmmigration), Montr6al, Conseil des communautds culturel-
les et de l'immigration, 1993 h lap. 63 [ci-aprbs La gestion des cotflits dc normes].
1998]
J. WOEHRLING - ACCOMMODEMENT ET DIVERSITE RELIGIEUSE
337
leur religion les emp~chait de frequenter une piscine ouverte en m~me temps aux per-
sonnes des deux sexes. Enfin, en aofit 1996, le Congr~s juif du Canada est parvenu
une entente avec l'Office de la langue franqaise pour que les produits casher vendus h
l'occasion de la PAque juive soient dispens6s de l'obligation d'8tre 6tiquet6s en fran-
qais. Pendant le reste de l'ann6e, par contre, l'6tiquetage des produits casher devra se
conformer aux exigences de la loi.
Enfin, l'accommodement peut
tre recommand6 par une commission des droits
de la personne, comme l'illustrent deux documents de la Commission des droits de la
personne du Qu6bec, Fun recommandant l'accommodement pour le r6gime alimen-
taire des d~tenus de foi h~braIque', l'autre pour le port du hijab'".
B. Les principaux domaines d'application de l'accommodement
raisonnable : les relations de travail et la fourniture de biens et
de services au public
Les concepts ayant trait i l'accommodement raisonnable ont surtout W 6labor~s
dans le contexte des relations d'emploi '". Mais l'obligation d'accommodement rai-
sonnable existe 6galement dans tous les autres domaines vises par les lois relatives
aux droits de la personne des provinces et des deux territoirese, ainsi que par la Loi
canadienne sur les droits de la personne42.
"Voir Charte de la languefrangaise, L.R.Q. c. C-11, art. 51.
' Voir supra note 34.
" Voir supra note 31.
Voir Commission ontarienne des droits de la personne c. Etobicoke (Ville de), [1982] 1 R.C.S.
202, 132 D.L.R. (3') 14 ; O'Malley, supra note 5 ; Bindher, supra note 18 ; Brossard (ille de) c.
Qudbec (Commission des droits de lapersonne), [1988] 2 R.C.S. 279,53 D.L.R. (4') 609 ; Saskatoon
(ille de) c. Saskatdewan (Commission des droits de la personne), [1989] 2 R.C.S. 1297, 65 D.L.R.
(4') 481 ; CentralAlberta Dairy Pool, supra note 19 ; Renaud, supra note 22 ; Dickason c. Universitd
de l'Alberta, [1992] 2 R.C.S. 1103,95 D.L.R. (4') 439; Bergevin, supra note 9 ; Large, supra note 23.
Pour une analyse synth6tique de cette jurisprudence, voir Proulx, supra note 4 A la p. 29 et s. ; Proulx,
<
la voix du juge La Forest, a fait d&couler de l’article 15(1) de la Charte canadienne une obligation
d’accommodement en mati~re de prestation des soins de sant6 par un h6pital dans le cadre du r6gime
public de soins de sant6. En l’occurrence, la Cour a conclu que le refus de foumir des services
d’interprdtation gestuelle A des personnes atteintes de surdit6 constituait une discrimination indirecte
fond6e sur le handicap, contraire
l’article 15(1) de la Charte canadienne. La Cour a ensuite jug6
qu’il y avait obligation d’accommodement raisonnable, l’accommodement consistant dans la fourni-
ture de services d’interprdtation gestuelle lorsque ceux-ci sont n6cessaires pour permettre des com-
munications efficaces. Le juge La Forest a ajout6 que, dans le cas des personnes sourdes dont la capa-
cit6 de lire et d’6crire est limit6e, il 6tait permis de supposer que l’interpr6tation gestuelle serait re-
quise dans la plupart des cas. Dans l’affaire Eaton, supra note 24, la Cour a reconnu qu’en vertu de
l’article 15(1) de la Charte canadienne, un droit A l’accommodement pouvait exister en mati~re
d’accbs h l’6cole publique au profit d’une enfant atteinte de paralysie c6r6brale.
“‘ Voir par ex. les art. 10-13, 15-19 de la Charte qudbdcoise, supra note 3. En outre, l’article 10 ga-
rantit le droit
l’galit6, sans discrimination fond6e sur ‘un des motifs illicites, dans la reconnais-
sance et l’exercice de tous les autres droits et libert6s contenus dans la Charte, c’est-h-dire les droits et
338
MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROITDE MCGILL
[Vol. 43
En dehors des relations de travail, le domaine d’application le plus considdrable
de robligation d’accommodement raisonnable est celui de l’offre de biens et de servi-
ces au public qui figure en termes similaires dans toutes les lois relatives aux droits de
la personne” et qui a W interprft6 de fagon tr~s large par la jurisprudence, autant en
ce qui concerne les organismes priv6s que publics.
Pour ce qui est des organismes publics, tous leurs services doivent 8tre considfr6s
comme soumis aux lois sur les droits de la personne. C’est ce qui ressort de la juris-
prudence. Ainsi, dans l’affaire Saskatchewan (Human Rights Commission) c. Saskat-
chewan (Department of Social Services)”, la Cour d’appel de la Saskatchewan cite h
cet effet la professeure Greschner, laquelle soutient que :
The interpretation of “offered to the public” for the purposes of s. 12 should be
as follows: any service offered by a government is a service offered to the pub-
lie’5.
Eligibility criteria and application forms generally ensure the impartial and
universal application of services rather than a restriction of an offering of the
service to the publice.
libertds fondamentaux de la personne ainsi que les droits politiques, judiciaires, 6conomiques et so-
ciaux (voir Charte quibdcoise, ibid., art. 1-9, 21-48).
4’ LR.C. 1985, c. H-6. La jurisprudence confirme pleinement ce point de vue. Voir, par ex., les d6-
cisions mentionn es dans G. Otis et C. Brunelle, cLa Charte des droits et libertds de la personne et Ia
lap. 640, n. 185. Voir dgalement M.
tenue vestimentaire A l’Fcole publique (1995) 36 C. de D. 599
raisonnable au-delM des relations employcurs-
Coulanges,
employ6s dans Barreau du Quebec, Service de la formation permanente, dir., Ddveloppements rd-
cents en droit administratif (1994), Cowansville (Qu6.), Yvon Blais, 1995, 181 aux pp. 207-11.
d’accommodement
,L’obligation
‘s L’offre de services publics est notamment vis~e par les articles 12, 13 et 15 de la Charte qudbd-
coise, supra note 3. Voir 6galement les art. 5, 6 de la Loi canadienne sur les droits de la personne,
ibid
[1988] 5 W.W.R. 446, [1989] 52 D.L.R. (4’) 253 (C.A. Sask.), juge Vancise.
‘5 Ibid. A la p. 267.
IbiL i ia p. 266. Voir 6galement, par ex., Canada (PG.) c. Rosin (1990), [1991] 1 CF. 391, 91
C.LLC. 17 (C.A.) [ci-apr~s Rosin avec renvois aux CF.] : un cours de parachutage offert seulement
aux membres des forces arm6es et i certains cadets est destin6 au publice puisque toute personne de
12 h 18 ans peut s’enr6ler dans les cadets et postuler A ce cours ; LeDeuff c. Canada (Commission de
l’Emploi et de l’Immigration) (1987), 8 C.H.R.R. D/3690 (C.C.D.P.), confirm6 sur cc point en appel i
(1988), 9 C.H.R.R. D/4479 (T.C.D.P.) : les communications 6tablies par les enquteurs de la Com-
mission avec les administrds constituent des services au sens de ‘article 5 de la Loi canadienne sur
les droits de la personne, supra note 42 ; Corlis c. Canada (Commission canadienne de l’Emploi et
de I’Immigration), [1987] D.L.Q. 442, 8 C.H.R.R. D/4146 (T.C.D.P.) : les prestations d’assurance-
ch6mage constituent un service au sens de l’article 5 de la Loi canadienne sur les droits de la per-
sonne, supra note 42 ; Druken c. Canada (Commission de l’Emploi et de l’Immigration) (1987), 8
C.H.R.R. D/4379, 87 C.LLC. 17,030, conf. par [1989] 2 F.C. 24, 53 D.LR. (4) 29 (T.C.D.P.) :
l’assurance-ch6mage constitue un service au sens de Particle 5 de la Loi canadienne sur les droits de
la personne, ibid. ; Re Singh, [1989] 1 C.E 430, 51 D.L.R. (4’) 673 (C.EA.) : les services do
l’Immigration fournissent des services au sens de ‘article 5 de la Loi canadienne sur les droits de la
personne, supra note 42, lorsqu’il 6mettent des visas d’immigration ou de visiteurs ou qu’il permet-
tent A une personne de parrainer un membre de sa famille qui veut s’dtablir au Canada ; Canada
(PG.) c. Cumming, [1980] 2 C.F. 122, 103 D.L.R. (3’) 151 (C.F (1″ inst.)): en 6tablissant des cotisa-
1998]
J. WOEHRLING – ACCOMMODEMENT ET DIVERSIT- RELIGIEUSE
339
une 6tudiante d’une c16 donnant acc~s
Dans le cas des organismes priv6s, la question est 6videmment plus complexe.
Nanmoins, les solutions retenues par la jurisprudence ont pour effet de soumettre la
plus grande partie de leurs activit6s aux lois sur les droits de la personne. Ainsi, dans
l’affaire University of British Columbia c. Berg”, ]a Cour supreme du Canada devait
d6cider si la remise
un 6difice de
l’universit6 et le fait de remplir un formulaire d’6valuation devant accompagner une
demande d’internat, constituaient des
1998) [ci-aprs Elections Canada] : les bureaux de vote, lors d’une lection fdd6rale, constituent un
service offert au public au sens de l’article 5 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, ibid
4 [1993] 2 R.C.S. 353, 102 D.LR. (4) 665 [ci-apr s Berg avec renvois aux R.C.S.].
48S.B.C. 1984, c. 22.
“Voir Berg, supra note 47, motifs du juge en chef Lamer pour une majorit6 de huitjuges.
Lejuge Major dtait dissident. 11 estimait que l’interpr6tation retenue par la majorit6 faisait en sorte
qu’il n’y aurait en fait aucun service qui ne serait pas vis6 par l’expression ,services habituellement
offerts au public>. Voir Berg, supra note 47
la p. 395. Son opinion permet de souligner quel point
l’interpr6tation retenue par la majorit6 est large et lib6rale.
S Dans Howard c. University of British Columbia (1993), 18 C.H.R.R. D/353 (B.C. Human Rights
Council) [ci-apr s Howard], le Tribunal s’est appuy6 sur la d6cision de la Cour supreme dans I’affaire
Berg, ibid., pour en arriver A la conclusion que l’enseignement universitaire constitue un service offert
au public au sens de la loi sur les droits et libert~s de la Colombie-Britannique. Dans Commission des
droits de la personne du Qudbec c. Bar La Divergence, [1994] RJ.Q. 847 (T.D.P.Q.), le tribunal juge
que, malgr6 son apparente neutralitd, la politique appliqu6e par un bar-discotheque d’exclure tous les
chiens quels qu’ils soient a pour effet indirect d’emp~cher la plaignante, une personne atteinte de c6-
cit6, d’avoir acc s en toute 6galitd A un lieu public sans distinction ou exclusion fond6e sur
340
MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROITDE MCGILL
[Vol. 43
que d’autres pourront 6tablir des relations privies qui ne seront pas assujetties A la loi.
En appliquant ces principes aux faits de la cause, le juge en chef Lamer est arriv6 i la
conclusion que, du fait qu’elle avait franchi l’tape du processus d’admission s6lec-
tive, Mme Berg n’avait pas cess6 de faire partie du
nissait ses installations et ses services 6ducatifs. La c16 et le formulaire d’6valuation
6taient accessoires A cette relation publique entre l’universit6 et ses 6tudiants 2.
Dans l’affaire Gould c. Yukon Order of Pioneer 3, la Cour supreme a eu
l’occasion de pr~ciser les critres du concept de relations publiques>> en interpr6tant
l’article 8(a) de la Loi sur les droits de la personne du Yukon ” qui prohibe la discrimi-
nation dans l’offre ou la fourniture au public de services, de biens ou d’installations.
Au nom de la majorit6, le juge La Forest s’est exprim6 ainsi :
Pour vrifier si le service donne lieu A une ,relation publiqueo, les critres sui-
vants seront tous pertinents, sans 6tre exhaustifs, savoir la s6lectivit6 dans la
prestation du service, la diversit6 du public A qui il est destin6, la participation
de non-membres, son caract~re commercial ou non, sa nature intime et son
objet. Je tiens
souligner qu’aucun de ces crit~res n’est d6terminant ; par
exemple, le simple fait qu’une organisation offre ou fournisse son service de
fagon exclusive ne met pas n.cessairement ce service a l’abri des lois antidis-
criminatoires.
En appliquant ces crit~res aux faits de la cause, le juge La Forest est arriv6 h la
conclusion que l’alin6a 8(a) de la loi s’appliquait A la fourniture au public de docu-
ments historiques par un ordre fraterneb> se consacrant
la conserva-
tion de documents concernant l’histoire du Yukon. Par contre, en tenant compte du
fait qu’une autre disposition de
l’alin6a 8(c), visait sp6cifiquement
l’appartenance A un syndicat, A un corps de m6tier ou A une association commerciale
ou professionnelle>>, il a 6galement conclu que l’alin6a 8(a) devait 6tre interpr6t6
comme ne visant pas l’appartenance
l’association en question. II a cependant recon-
nu que l’appartenance
une association pouvait, dans certaines circonstances, cons-
tituer un service offert au public. Ce n’6tait toutefois pas le cas en l’esp~ce.
la collecte et
la
loi,
l’utilisation d’un moyen pour pallier son handicap ; ce faisant, la corporation d~fenderesse a exerc6
envers la plaignante de la discrimination contrairement aux prescriptions des articles 10 et 15 de la
Charte quibdcoise, supra note 3 ; le tribunal s’exprime notamment ainsi
la p. 854 : o[clette conclu-
sion d6coule 6galement d’un arret r6cent de la Cour supreme [voir Berg, ibid.], selon laquelle [sic]
l’interdiction de la discrimination visant les “services habituellement offerts au public” ne se limite
pas qu’I l’accs A de tels services ou installations, mais s’dtend 6galement h la discrimination cxerc6e
une fois obtenu l’accs a ces dernierss> [note omise].
-2 Voir Berg, supra note 47 i ia p. 393, juge en chef Lamer.
5 [1996] 1 R.C.S. 571, 133 D.L.R. (4″) 449 [ci-apr~s Gould avec renvois aux R.C.S.].
LR.Y. 1986 (supp.), c. 11.
Gould, supra note 53 aux pp. 611-12.
‘ Selon la juge McLachlin, dissidente, l’association en cause s’6tant donn6 un profil 6minemment
public et fournissant 4 ses membres des avantages importants, il fallait en conclure que la possibilit6
‘art. 8(a) : voir Gould, ibid.
d’en devenir membre constituait en soi un service au public au sens de
aux pp. 656-57 ; quant A la juge L’Heureux-Dub6, dissidente sur un autre point, il n’6tait pas ndces-
saire qu’elle s’exprime sur cette question ; elle a ndanmoins indiqu6 qu’il lui semblait quo
1998]
J. WOEHRLING – ACCOMMODEMENTETDIVERSITE-RELIGIEUSE
341
On constate donc l’6tendue considerable du domaine de l’acc~s aux biens et ser-
raisonnable est susceptible
l’obligation d’accommodement
vices dans
d’apparaitre.
lequel
C. Les moyens de d~fense
d’accommodement raisonnable
opposables
A
I’obligation
Pour se d~fendre avec succ~s contre une plainte de discrimination indirecte, un
employeur doit d6montrer, d’une part, que la condition d’emploi indirectement dis-
criminatoire a un lien rationnel avec l’emploi en cause et, d’autre part, qu’il s’est ef-
force6 d’accommoder les employ~s victimes dans ]a mesure oii cela n’entrainerait pas
de contrainte excessive pour lui. Les decisions pertinentes de la Cour supreme, qui a
repris la jurisprudence des tribunaux des droits de la personne, portent presque toutes
sur des problmes de relations d’emploi7 , mais il est possible, parfois avec certaines
difficult6s il est vrai, de transposer les principes 6nonc6s au domaine de fourniture de
biens et de services”. Nous examinerons done successivement les trois 6l6ments qui
savoir le caract~re rationnel de la politique, de la r~gle
viennent d’6tre mentionn6s,
ou de la norme contest6e, l’effort d’accommodement et le caract~re excessif de ]a
contrainte d6coulant de l’accommodement.
II faut rappeler auparavant que la Charte quibicoise ne pr6voit aucune d6fense
expresse de <
dans le domaine de la fourniture de biens et de services, contrairement d’autres ins-
truments similaires de protection des droits et libert6s”. II ne faudrait cependant pas
conclure qu’aucune d6fense n’est possible, du moins en cas de discrimination indi-
I’appartenance Ai I’ordre devait 8tre consid6r6e comme un service foumi au public: voir Gould, ibid
la p. 648 et s.
17 Voir supra note 40.
” Dans Rosin, supra note 46 aux pp. 408-09, la Cour f6drale d’appel a jug6 que la defense de
<
services et pr6vue dans l’article 15(g) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, supra note
42, 6tait A toutes fins pratiques identique a la d6fense d’exigences professionnelles justifi~es (bona
fide occupational requirement) applicable dans le domaine des relations d’emploi et pr6vue dans
‘article 15(a) de la m~me loi. Dans Youth Bowling Council of Ontario c. McLeod (1989), 32 O.A.C.
286, 10 C.H.R.R. D/6125 (C. div.), le juge applique par analogie, au domaine de I’accZs aux services,
les crit res de la qualification professionnelle exig6e de bonne foi. Par ailleurs, les tribunaux souli-
gnent frquemment qu’il est parfois difficile d’emprunter les crit~res 61abor6s dans des affaires relati-
ves A I’emploi et de les appliquer dans les cas de discrimination
l’occasion de la fourniture d’un ser-
vice.
” Voir par ex. I’art. 15(g) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, supra note 42, qui
6nonce:
15. Ne constituent pas des actes discriminatoires:
I[…]I
g) le fait qu’un fournisseur de biens, de services, d’installations ou de moyens
d’hdbergement destin s au public, ou de locaux commerciaux ou de logements en
prive un individu ou le dffavorise lors de leur fourniture pour un motif de distinction
illicite, s’il a un motifjustiflable de le faire [nos italiques].
MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE MCGILL
[Vol. 43
recte. En effet, le fondement juridique de l’obligation d’accommodement raisonnable
se trouve
l’article 10 de la Charte qudbdcoise. Cette obligation contient forc~ment sa
propre limite, en quelque sorte intrins~que, qui est pr~cis6ment le caract~re excessif
de la contrainte impos~e par l’accommodementr.
1. Le caractbre rationnel de la politique, de la r~gle ou de la norme
contest6e
Si l’on peut d~montrer que la norme qui entrane une discrimination indirecte h
cause d’un motif illicite n’est pas raisonnablement li6e A l’exercice des fonctions, en
mati~re de relations de travail, ou
]a fourniture du bien ou du service, la sanction ne
sera pas l’accommodement raisonnable, mais plut6t l’invalidation de la norme en
cause. Par exemple, une exigence de taille minimale pour devenir pilote d’avion
s’applique de fagon neutre A tous et ne comporte aucune discrimination visible fond6e
sur le sexe ou la race. A l’usage, il apparait cependant qu’une telle exigence a pour ef-
fet d’6carter, de fagon disproportionn6e, les femmes et les hommes de race orientale,
qui sont g6n6ralement d’une taille inf~rieure i celle exig~e. I1 y a donc discrimination
indirecte. Si l’exigence de taille minimale devait 6tre consid6r6e comme raisonnable-
ment i~e
. remploi en cause, la sanction de la discrimination serait une obligation
d’accommodement raisonnable. S’il fallait plut6t conclure que cette exigence n’a pas
de
la sanction devrait atre
l’invalidation de la r~gle. C’est A ce dernier r6sultat qu’est arriv6 un tribunal des droits
de la personne dans l’affaire Chapdelaine c. Air Canada”, en jugeant discriminatoire
une exigence de taille minimale qui n’avait pas 6t6 d6montr6e comme essentielle h la
s6curit6 des op6rations. Dans le meme ordre d’id6es, dans l’affaire Compagnie des
chemins defer nationaux du Canada c. Canada (C.C.D.P)2 , ]a Cour supreme a jug6
qu’une exigence professionnelle requ~rant la capacit6 de soulever un poids de trente
kilos 6tait indirectement discriminatoire h l’6gard des femmes et, en outre, n’6tait pas
lice h l’emploi en cause. La preuve d6montrait qu’en pratique celui-ci n’exigeait pas
ce genre d’aptitude physique.
lien raisonnable avec l’ex6cution des fonctions,
Bref, celui qui tente d’6chapper
une obligation d’accommodement raisonnable
doit commencer par d6montrer que l’exigence professionnelle a un lien rationnel avec
l’emploi ou que les modalit6s d’offre du bien ou du service sont raisonnablement li6es
aux conditions inh6rentes A la fourniture efficace et 6conomique du bien ou du ser-
vice, ce que nous appellerons les imp6ratifs de la gestion pour plus de concision, en
nous inspirant du concept am6ricain de business necessity.
‘ En outre, comme l’indique Bosset, supra note 4 A lap. 130, le fait que ]a notion de discrimination
indirecte soit 6tendue des domaines o6 l’exception de l’article 20, al. 1 de la Charte qudbdcoise, su-
pra note 3, (qui ne porte que sur les relations d’emploi) n’est pas applicable (tels le logement ou
l’acc s aux lieux publics) entranera, si nkcessaire, l’apparition d’une exception jurisprudentlielle
analogue a celle de la business necessity en droit am6ricain et propre au contexte de la discrimination
indirecte.
61 (1987), 9 C.H.R.R. D/4449, 87 C.LL.C. 17,037 [ci-apr s Chapdelaine avec renvois aux
C.H.R.R.].
[1987] 1 R.C.S. 1114,40 D.LR. (4) 193 [ci-apr~s Action Travail des Femmes].
1998]
J. WOEHRLING – ACCOMMODEMENTET DIVERSIT- RELIGIEUSE
343
Dans l’arr~t Central Alberta Dairy Pool, la juge Wilson a recours
I’opinion du
juge McIntyre dans l’affaire O’MalleyP pour d6crire l’exigence de lien rationnel :
une condition d’emploi adopt6e honn~tement pour de bonnes raisons 6conomiques
ou d’affaires, 6galement applicable i tous ceux qu’elle vise>>.
La plupart des commentateurs ont soulign6 qu’il s’agit la d’un crit~re g6n6rale-
ment peu exigeant pour l’employeur ou le fournisseur de biens ou de services”. En
fait, il suffit que celui-ci prouve qu’il 6tait de bonne foi lorsqu’il a 6tabli ]a r~gle ou la
politique en cause, c’est-a-dire qu’iI n’avait pas l’intention d’6carter les membres des
groupes protdg6s de l’acc~s aux emplois ou aux biens et services en question. Ceci
revient h d6montrer que la r~gle ou la politique existe pour atteindre des objectifs de
rendement et d’6conomie, d’efficacit6, de protection de la sant6 ou de la s6curit6 pu-
blique. Comme le dit le professeur Proulx,
il faut donc s’attendre ‘ ce que ce premier
616ment de la d6fense d’accommodement soit en r~gle g6n6rale une pure formalit6
sans grand intr&’>M.
A l’occasion, ce crit~re de rationalit6 pourra n6anmoins 8tre fatal A une norme in-
directement discriminatoire si elle n’est manifestement pas raisonnable. C’est ce que
d6montrent, en mati~re de relations d’emploi, les affaires Chapdelaine et Action Tra-
vail des Femmes et, dans le domaine de la fourniture de biens ou de services, l’affaire
Singh c. Ligion royale canadienne, Jasper Place (Alberta), Branche n” 255.
D’autres exemples de normes susceptibles d’8tre consid6r6es non rationnelles
sont 6galement imaginables. La politique d’une commission ou d’un 6tablissement
scolaire consistant i interdire aux 6lves le port de tout signe distinctif religieux pour-
rait s’avdrer vuln6rable A l’application du critbre de rationalit6. I1 n’est pas 6vident
qu’une telle prohibition soit raisonnablement lie au bon fonctionnement de
l’enseignement public. Le fait que certains 6tablissements permettent le port de tels
signes distinctifs, sans qu’apparemment leur bonne marche ne soit mise en p6ril,
0 Supra note 5.
6’Supra note 19
‘ Voir par ex. W.S. Tarnopolsky et W. Pentney, Discrimination and the Law, Don Mills (Ont.), De
lap. 520.
Boo, 1985 au 7 supp., p. 36; Proulx, supra note 4 aux pp. 71-73 ; Bosset, supra note 4 A lap. 115.
Proulx, ibid
la p. 72. Le professeur Proulx deplore le peu de s6v6rit6 du crit~re de rationalit6
utilis6 en mati~re de discrimination indirecte et consid~re que les tribunaux devraient appliquer le
m~me crit~re de nicessiti- plus rigoureux – qu’en mati~re de discrimination directe (voir ibid aux
pp. 113-16). Cette opinion est 6galement partag~e par Watkin, supra note 14 A la p. 103 : <4[i]f the
neutral rule does not have a sufficiently important objective, or is not rationally connected to that ob-
jective, then [it] should not be allowed to remain in force. It may be that a more carefully designed
law will remove or limit the adverse effect that it might have on individuals or groups,.
67 (1990), 11 C.H.R.R. D/357 (Alta. Board of Inquiry). Dans cette affaire, M. Singh, qui est sikh et
dont la femme travaille a la Lgion, est informs des r~glements de la L gion qui interdisent d'avoir la
tte couverte dans ses locaux. En cons&luence, il doit annuler sa participation
la ffte de Noel orga-
nis6e par les collgues de sa femme. II saisit Ia Commission des droits de la personne d'une plainte de
discrimination fond~e sur la religion. Apr s avoir d6cid6 qu'il y avait violation des droits du plaignant,
la ffte de Nodl correspondant un service offert au public, le Tribunal en arrive A la conclusion que
les rbglements de la Lgion exigeant d'avoir la tite d6couverte dans ses locaux ne sont pas raisonna-
bles etjustifies. II ordonne donc notamment h Ia Igion de modifier ses r~glements en consdquence.
MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE MCGILL
[Vol. 43
pourrait servir A d~montrer qu'une politique prohibitive n'est pas ndcessaire et repose
sur des impressions non v6rifides et des gdn6ralisations abusives plut6t que sur des
faits rdels ' . Par contre, il sera beaucoup plus facile de d6montrer que la prohibition du
port d'armes par les 616ves, dans les 6tablissements scolaires, constitue une exigence
raisonnablement lie au bon fonctionnement de l'enseignement public. Dans ce cas, la
politique pourra 6tre maintenue, quitte A ce qu'il y ait accommodement raisonnable
pour ceux dont la religion exige qu'ils portent toujours un poignard rituel'.
2.
'effort d'accommodement
Si la r~gle qui entraine une discrimination indirecte est raisonnablement lie aux
ndcessit6s de l'emploi ou aux imp6ratifs de bonne gestion du service, elle pourra etre
maintenue. L'obligation qui s'impose alors au fournisseur de biens ou de services ou h
l'employeur consiste A s'efforcer de s'entendre avec les personnes p6nalisdes par la
rfgle afin de trouver un arrangement tenant compte de leurs besoins 16gitimes.
Selon la jurisprudence et la doctrine, l'obligation d'accommodement, et par con-
sequent le fardeau de la preuve, reposent initialement sur l'employeur ou sur le four-
nisseur de biens ou de services . C'est ce dernier qui connait le mieux son entreprise
et sait donc ce qu'il est possible de faire pour accommoder les victimes de discrimi-
nation. Comme le devoir d'accommodement est une obligation de moyens plut6t que
de r6sultats, il est important que l'employeur ou le fournisseur de biens ou de services
faciliter
puisse ddmontrer qu'il
l'accommodement ou l'adaptation ou, si l'on pr6fbre, qu'il a rempli convenablement
son obligation de n6gocier avec les personnes concern6es7 .
les efforts ndcessaires pour
tous
a
fait
63 Dans Proulx, supra note 4 A la p. 73, le professeur Prouix mentionne une dccision inddite (Singh
c. Security and Investigations Services (Commission d'enqu~te Ont.)) qu'il r6sume de la fagon
suivante:
la politique de la compagnie de gardiens de sdcurit6 exigeant le port de tous les 616-
ments de I'uniforme, y compris la casquette, et le rasage de ia barbe au d6triment des
membres de la religion sikh, futjugde non rationnelle par le Pr Cumming parce qu'clle
reposait non pas sur des faits objectifs, mais sur le prdjugd que pour imposer le respect
et la crainte aux citoyens, un gardien de s6curit6 ou un policier doit s'abstenir de porter
ia barbe et doit endosser I'uniforme classique et connu pour ce genre d'emploi, sans
aucune possibilitd de la moindre modification.
De la m~me fagon, ne pourrait-on pas dire que l'interdiction de tout signe distinctif religieux "i l'dcole
n'est pas rationnelle parce qu'elle ne repose pas sur des faits objectifs, mais sur le prdjug6 que pour
former de bons citoyens et apprendre aux enfants le respect mutuel, il faut supprimer les signes
d'appartenance religieuse ?
' Voir par ex. Pandori, supra note 30.
7o Voir Proulx, supra note 4 A la p. 75 (pour la jurisprudence, voir la note 245 du texte) ; Lepofsky,
supra note 4
la p. 11 et s.
" C'est ainsi que, dans I'affaire O'Malley, supra note 5, la compagnie Sears a perdu parce qu'elle
n'avait pas rdussi i prouver qu'elle avait fait des efforts s6rieux pour trouver une solution acceptable
pour l'employ6e qui ne pouvait plus travailler le samedi A cause de ses convictions religicuses ;
'affaire CentralAlberta Dairy Pool, supra note
l'employeur a 6chou6 pour les memes raisons dans
1998]
J. WOEHRLING - ACCOMMODEMENT ET DIVERSITE RELIGIEUSE
345
Par ailleurs, l'obligation de n6gocier de bonne foi est r6ciproque dans la mesure
oil elle s'impose non seulement aux employeurs et aux fournisseurs de biens ou de
services, mais 6galement aux demandeurs d'accommodement. Ces derniers doivent
coop6rer et accepter tout arrangement raisonnable propos6, meme s'il n'est pas par-
fait. C'est ce que le juge McIntyre affirmait dans l'arrt O'Malley, dans le contexte
d'une situation de relations d'emploi :
L'employeur doit [...] prendre des mesures raisonnables qui seront susceptibles
ou non de r6aliser le plein accommodement. Cependant, lorsque ces mesures
ne permettent pas d'atteindre compltement le but souhait6, le plaignant, en
I'absence de concessions de sa propre part, comme I'acceptation en l'espbce
d'un emploi A temps partiel, doit sacrifier soit ses principes religieux, soit son
emploi -.
3. Le caractbre excessif de la contrainte
Le caract~re excessif de la contrainte constitue I'616ment central de la d6fense en
mati~re d'accommodement raisonnable. Le titulaire de l'obligation doit, s'il veut
l'carter, d6montrer que l'accommodement recherch6 lui causerait une contrainte ex-
cessive.
Avant d'examiner les facteurs susceptibles d'6tre invoqu6s, trois remarques pr6-
liminaires s'imposent et concernent le fardeau de la preuve, le degr6 de s6v6rit6 du
crit~re de la contrainte excessive et la nature des moyens de preuve qui doivent atre
pr6sent6s.
Rappelons tout d'abord que, depuis l'arr~t O'Malley'3, il ne fait plus de doute
qu'il revient au titulaire de l'obligation d'accommodement de d6montrer que
l'accommodement entrainerait pour lui une contrainte excessive. Cette solution rela-
tive au fardeau de la preuve se justifie par les positions respectives de l'employeur et
de l'employ6, ou encore du fournisseur et de l'usager de biens ou de services. Con-
cr~tement, seul le propri6taire ou l'exploitant d'une entreprise ou d'un service est en
19. Voir 6galement WK. Winler et P.J. Thorup, <
[w]hen an accommodation issue does arise, it is imperative that the employer thor-
oughly investigate and document its actions in determining whether a particular indi-
vidual or group can be accommodated to the standard demanded by the governing leg-
islation. […] If the employee cannot be accommodated, the extent to which an em-
ployer can bring forward well-documented, objective and empirical evidence relating
to the efforts undertaken and the factors involved will greatly influence the success of
being able to establish undue hardship.
Supra note 5
la p. 555. Ce point a 6t6 confirm6 par le juge Sopinka, pour la Cour, dans Central
Alberta Dairy Pool, supra note 19 A la p. 994. Dans Howard, supra note 51 A la p. D/362, oa il a 6t6
un 6tudiant sourd en tant qu’accommodement
d6cid6 que l’universit6 devait fournir un interprte
raisonnable, le Commissaire a notamment indiqu6 que
deur d’accommodement, voir 6galement Bosset, supra note 4 aux pp. 105-07.
7 Supra note 5
lap. 559.
MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROITDE MCGILL
[Vol. 43
mesure de juger de la contrainte, l’employ6 ou l’usager 6tant rarement, sinon jamais,
en mesure de d~montrer l’absence de contrainte ‘.
En second lieu, concernant ]a s6v6rit6 du crit~re de la contrainte excessive, il faut
souligner que les tribunaux canadiens ont clairement rejet6 le crit~re de minimis rete-
nu par la Cour supreme des Etats-Unis dans l’arr~t Hardison c. Trans World Airlines’ ,
selon lequel il y a contrainte excessive d~s qu’une mesure d’accommodement entralne
des cofits plus que minimes pour l’employeur ou le fournisseur de biens ou de servi-
ces. Un tel crit~re, dans la mesure o6 il est fort peu exigeant, constituerait 6videmment
une limite s6rieuse
l’obligation d’accommodement, voire une n6gation pure et sim-
ple de celle-ci. Au Canada, la jurisprudence considbre plutbt qu’un employeur ou un
fournisseur de biens ou de services ne peut pas faire valoir ]a contrainte excessive A
moins d’6tre en mesure de d~montrer qu’il devra prendre des mesures comportant des
difficult6s importantes ou n6cessitant des frais importants, soit un fardeau nettement
excessif sur les plans 6conomique ou administratif. Cela signifie notamment que le
caract~re excessif de la contrainte devra 8tre d6termin6 non pas en termes absolus,
mais en tenant compte de toutes les circonstances pertinentes, notamment la taille et
les ressources de l’entreprise ou du fournisseur de services ainsi que l’importance des
enjeux en cause pour le demandeur. Dans l’arr~t Bergevin’ , qui portait sur un pro-
bl~me de relations d’emploi, le juge Cory, parlant pour la Cour, 6carta clairement
rapplication du crit~re de minimis”. Et d6j dans l’arrt Renaud, 6galement rendu
dans
le juge Sopinka avait affirm6 que
[l’utilisation de l’adjectif (excessive>> suppose qu’une certaine contrainte est ac-
ceptable>>”.
le contexte des relations d’emploi,
Enfin, la jurisprudence et la doctrine soutiennent que celui qui veut 6carter une
obligation d’accommodement en invoquant la contrainte excessive doit d6montrer les
cofits et les autres cons6quences ind6sirables de l’accommodement sur la base de
preuves factuelles, et non t partir de simples hypothbses ou de sp6culations th6ori-
ques T’. Ainsi, lorsque remployeur auquel un employ6 r6clame un cong6 pour des rai-
sons religieuses refuse cet accommodement en disant craindre une avalanche de de-
mandes semblables, il doit prouver que cet effet boule de neige > s’est concr~tement
produit et il ne peut se contenter d’affirmer qu’il pourrait 6ventuellement se produire.
Dans l’affaire Kurvits c. Canada (Conseil du Trdsor)”, dans laquelle un employ6
d’Environnement Canada, membre de l’Eglise Unie du Canada, ne voulait pas verser
7′ Voir Bosset, supra note 4 a lap. 108.
‘-‘432 U.S. 63
” Supra note 9.
la p. 84 (1977).
Voir ibid. a la p. 543.
, Supra note 22 a la p. 984. Lepofsky, supra note 4 aux pp. 18-19, rtsume bien la jurisprudence sur
ce point : <(the "undue hardship" standard presupposes in explicit terms that an employer, landlord or
service provider is clearly expected to bear some hardships when fulfilling the duty to accommodate.
This duty does not stop when hardships are encountered. It only stops when such hardships, once en-
countered, reach the onerous standard of "undue" severity>>.
7′ Voir Winler et Thorup, supra note 71 a la p. 236 ; Proulx, supra note 4 A la p. 84 ; Lepofsky, ibid.
alap. 11.
“‘ (1991), 14 C.H.R.R. D/469, 91 C.LL.C. 17,024 (T.C.D.P.) [ci-apr s Kurvits].
1998]
J. WOEHRLING – ACCOMMODEMENTET DIVERSITE RELIGIEUSE
347
les cotisations syndicales obligatoires en raison de sa religion, l’employeur avait pr6-
cis6ment soulev6 cette objection. Le Tribunal conclut que :
[s]elon la preuve, il n’existe pas un nombre d6mesur~ment 61ev6 de personne[s]
se trouvant dans la m~me situation que le plaignant de mani~re obliger les in-
tim6s
engager des frais d6raisonnables pour composer avec les convictions
religieuses du plaignant ou celles d’autres personnes se trouvant dans la m~me
situation”‘.
Examinons pr6sent les facteurs de contrainte excessive susceptibles d’etre invo-
qu6s. Ils ont 6t6 6num6r6s par la Cour supreme, en ce qui concerne la situation d’un
employeur, dans les arr~ts O’Malley'” et Central Alberta Dairy Poor. Dans l’affaire
Renaud”, la Cour s’est pench6e davantage sur les facteurs de contrainte excessive sus-
ceptibles d’6tre invoqu6s par un syndicatC.
D’apr6s la Cour supreme, dans l’arr~t O’Malley, les deux principaux facteurs de
contrainte excessive qui ont 6t6 identifi6s sont, d’une part, les cofits entraines par
l’accommodement recherch6 et, d’autre part, l’entrave indue
l’exploitation de
l’entreprise 86. S’y ajouteront par la suite, dans les affaires CentralAlberta Dairy Pool
et Renaud, de fagon non exhaustive, l’interchangeabilit6 et le <
LJ. 703 ; D. Proulx, (
Pelletier, dir., Actes du colloque : Relation d’emploi et droits de la personne : 6volution et tensions!,
Cowansville (Qu6.), Yvon Blais, 1994, 181.
“Voir supra note 5 A la p. 555.
R’Voir CentralAlberta Dairy Pool, supra note 19 k la p. 521 ; Renaud, supra note 22 “A la p. 984.
mVoir Lepofsky, supra note 4 A lap. 13.
348
McGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE MCGILL
[Vol. 43
du nombre des demandeurs d’accommodement ainsi que de toutes les autres circons-
tances pertinentes. Comme le dit le juge Cory pour la Cour dans l’affaire Bergevin,
<<[c]e qui peut 6tre parfaitement raisonnable en p6riode de prospdrit6 est susceptible
d'imposer
un employeur un fardeau financier d6raisonnable en p6riode de restric-
tions budg6taires ou de rdcession> ‘. Quant
l’effet cumulatif d’un grand nombre de
demandes d’accommodement semblables (ou effet boule de neige), il peut avoir pour
cons6quence de rendre le cofit excessif”‘ ou, au contraire, plus raisonnable, s’il s’agit
d’un am6nagement qui, une fois mis en place, peut servir un grand nombre de per-
sonnes dans la m~me situation (par exemple, l’am6nagement d’un endroit de pri~re
sur les lieux du travail).
Dans le cas d’une entreprise ou d’un service public qui n’est pas soumis
l’imp6ratif de la rentabilit6 et dont le financement repose directement ou indirecte-
ment sur les fonds publics, l’argument du coft semble requ avec moins de sympathie
par les tribunaux que dans le cas d’une entreprise priv6e, dont le fonctionnement ob6it
l ]a logique du profit. En effet, il est relativement facile pour les tribunaux, dans le cas
d’un organisme financ6 par le gouvernement, d’en arriver t ]a conclusion que ]a d6-
pense suppl6mentaire exigde par l’accommodement ne constitue qu’une fraction mi-
nime du budget total de l’organisme concern6, voire du budget de l’ltat. En outre, une
telle attitude se justifie ais6ment suivant l’argument que les cofits suppl6mentaires se-
ront r6partis sur la grande masse des contribuables et n’entraineront, pour chacun
d’eux, qu’une d6pense minime et, de toute fagon, invisible. Cette tendance h consid6-
rer les d6penses publiques comme extensibles rend 6videmment beaucoup plus diffi-
cile la d6fense de contrainte excessive fond6e sur les cofits de l’accommodement r6-
clam6 ‘.
Supra note 9
la p. 546.
‘0 Voir Re Chrysler Canada Ltd and UAWLoc. 444 (1986), 23 L.A.C. (3′) 366 (arbitrage) : le refus
de rfarranger les quarts de travail constitue un manquement
l’obligation d’accommodement dans la
mesure oi) le probl~me semble circonscrit au demandeur; l’arbitre declare cependant que le problme
se poserait diff6remment si de nombreux employds faisaient la m~me demande.
9’ La fagon dont le Tribunal canadien des droits de la personne traite de l’argument des coots dans
l’affaire Fklections Canada, supra note 46, parait bien traduire cet 6tat d’esprit. Dans cette affaire, les
plaintes avaient 6t6 d6pos~es par des personnes souffrant de d6ficiences physiques les contraignant “t
se d6placer en fauteuil roulant. Elles all6guaient qu’en raison de I’absence de bureaux de vote offrant
i’acc~s de plain-pied, eles n’avaient pu se rendre aux bureaux de vote lors d’une 6lection fdd6rale gd-
n6rale. L’avocat des intim6s tentait de prouver que le refus ou la distinction, dans chacun des cas, 6tait
justifi6, parce qu’il dtait impossible pour les presidents d’61ection de chacune des circonscriptions
6lectorales en question de foumir un acc s de plain-pied. Concernant cette defense de contrainte ex-
cessive, le Tribunal a commencd par d6clarer ce qui suit:
les intim6s devraient d6montrer que le refus d’accis 6tait raisonnablement ndcessaire
pour assurer le d6roulement efficace et 6conomique de l’i1ection. Cependant, il me
semble qu’il ne convient pas d’accorder trop d’importance h desfacteurs dconomiques
pour ddlterminer si le refits d’accas a un tablissement non commercial est vraiment
justifid. De plus, une norme 6levde de prudence sera requise, en raison de i’importance
du droit apparemment viol6 (au para. 30) [nos italiques].
Le Tribunal a ensuite rendu une ordonnance aux termes de laquelle, entre autres, (<[Ile droit h un trai-
tement dgal des 61ecteurs du Canada qui souffrent d'une d6ficience physique comprend le droit de
1998]
J. WOEHRLING - ACCOMMODEMENT ET DIVERSITE RELIGIEUSE
349
II faut 6galement souligner que la raisonnabilit6 de l'accommodement r~clam6 et
le caract~re excessif de ses inconv~nients constituent des questions de fait qui sont d6-
ciddes par les tribunaux des droits de la personne souvent sympathiques aux plai-
gnants. Leur d6termination n'est normalement pas remise en cause par les tribunaux
sidgeant en appel ou en r6vision judiciaire.
On peut se demander si les demandeurs d'accommodement ne devraient pas as-
sumer en tout ou en partie les cofits supplmentaires occasionnds par les arrangements
particuliers qu'ils rdclament. On constate que les organismes spdcialis6s dans la mise
en oeuvre des droits de la personne ne rejettent pas complbtement cette idde, mais
l'6gard du demandeur
qu'ils ont tendance A se montrer assez peu exigeants
d'accommodement et i considdrer que, dans ]a mesure du raisonnable, le surcofit de-
vrait 8tre rdparti sur l'ensemble des contribuables ou des usagers du service public en
cause. Ainsi, dans l'affaire Janssen c. Ontario (Milk Marketing Board)", le plaignant,
un producteur de lait ontarien, membre de la Free Presbyterian Church of Scotland,
faisait partie de ceux qui refusaient de pr6parer le lait pour la livraison du dimanche
en raison de leurs croyances religieuses (les <
la Commission ontarienne de commercialisation du lait organisait une collecte laitibre
spdciale entrainant un surcofit afin de respecter la r~gle de livraison aux deux jours
(soit un dimanche sur deux), pour garantir la fraicheur du lait. Elle voulait imposer
des frais suppldmentaires aux no Sunday shippers et argumentait que la forcer h r6-
partir le surcofit sur tous les producteurs laitiers aurait pour rdsultat de demander aux
autres membres de subventionner leurs principes religieux. La Commission d’enqute
d6cida que de r6partir le surcofit sur toute la collectivit6 des producteurs de lait cons-
tituait un accommodement raisonnable qui n’entranait pas une contrainte excessive
pour ]a Commission de commercialisation du lait:
The prospect of making an order which will increase the expenses of dairy
farmers who ship on the regular schedule is obviously something which must
be done with great caution. However the Ontario Human Rights Code is meant
to foster a society which will allow diversity to flourish. It is designed to protect
and accommodate the needs and interests of those who differ from the domi-
nant majority group. Although the Code does not require that any individual or
group accommodate others to the point of undue hardship, severe suffering, or
disproportionate privation, it does conceive of inconvenience, and some degree
of disruption and expense. Insofar as we want to make space within our com-
munities for the comfortable co-existence of those who differ by religion, sex,
tous les autres bureaux de scrutin, sauf si cette exi-
chaque dlecteur [ … ] l’accs de plein-pied [sic]
(@ la p. D/376). Dans
gence emp~che l’6tablissement d’un bureau de scrutin dans une region […]>
l’affaire Eldridge, supra note 24 aux pp. 686-87, le juge La Forest, pour la Cour, ” soulign6 que le
cofit estimatif des services d’interpr~tes gestuels pour les personnes atteintes de surdit6 . I1 a
ajout6 que le refus de ddpenser cette somme <,relativement peu importante,, pour ces services ne sau-
rait 8tre consid6r6 comme une atteinte minimale aux droits garantis aux requrants par la Charte ca-
nadienne.
9- Voir par ex. i'affaire Berg, supra note 47 aux pp. 368-70, juge en chef Lamer.
q3(1990), 13 C.H.R.R. D/397 (Commission d'enqu~te Ont.) [ci-apr sJanssen].
350
MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE MCGILL
[Vol. 43
sexual orientation, race, disability, and family grouping, there will be commen-
surate costs to be borne by all of us .
I1 convient de mentionner ici le document de la Commission des droits de la per-
sonne du Qu6bec dans lequel on a conclu qu'en vertu de la Charte qudbdcoise,
I'administration carc6rale a l'obligation de fournir A un d6tenu de religion juive, dans
la mesure du possible, un r6gime alimentaire qui soit conforme h ses croyances reli-
gieuses5. Selon la Commission, il s'agit d'un corollaire de la libert6 de religion et du
droit du d6tenu d'6tre trait6 avec humanit6 et respect. La Commission ajoute que
l'obligation de fournir un tel r6gime existe tous les jours de l'ann6e et pas uniquement
lors des grandes fetes juives. Le document pr6cise enfin que les autorit6s correction-
nelles ont, sur le plan juridique, la responsabilit6 d'assumer tous les frais suppl6men-
taires que peut entrainer la fourniture d'un r6gime casher aux d6tenus qui en font la
demande ' .
b. L'entrave indue & I'exploitation de I'entreprise ou au bon fonc-
tionnement du service
En mati~re de relations d'emploi, le deuxi~me grand facteur de contrainte exces-
sive est l'entrave A l'exploitation sure et 6conomique de l'entreprise. Dans le domaine
des biens ou services, on parlera plut6t d'entrave au fonctionnement efficace et 6co-
nomique du service. La r~gle qui entraine 1'effet discriminatoire doit 8tre n6cessaire
au fonctionnement efficace et 6conomique du service.
Comme le dit le professeur Proulx, la simple commodit6 administrative [...] ne
saurait 6tre un argument valable pour refuser un accommodement [...]. Une adminis-
tration un peu plus complexe n'est pas n6cessairement une contrainte excessive>) ‘ . En
revanche, la Cour supreme a rejet6, dans l’arrt Zurich Insurance Co. c. Ontario
(Commission des droits de la personne),
la thbse selon laquelle le fournisseur de
biens ou de services doit non seulement d6montrer que ses politiques sont raisonna-
blement n6cessaires au fonctionnement efficace et 6conomique de l’entreprise, mais
encore que
Ibid. h lap. D/401 aux para. 30-31.
9S Voir Le rdgime alimentaire des ddtenus defois hdbraYque, supra note 34.
Voir ibid
9Supra note 4 A lap. 91.
[1992] 2 R.C.S. 321, 93 D.L.R. (4′) 346 [ci-apr s Zurich Insurance avec renvois aux R.C.S.I. En
l’esp6ce, il s’agissait de discrimination directe plut6t qu’indirecte, puisque la compagnie d’assurance
intim~e modulait ses primes en fonction du sexe, de i’fige et du statut matrimonial. Cependant,
comme on I’a soulign6 pr6cemment, de nombreux auteurs, ainsi qu’un courant jurisprudentiel, con-
sid~rent qu’en pratique les moyens de d6fense invocables et les sanctions applicables sont les m8mes
qu’il s’agisse de discrimination directe ou de discrimination indirecte ; voir notes 14-15 et le texte
correspondant.
lap. 350, juge Sopinka ; voir 6galement les propos de ]a juge UHeureux-Dub6, ibid. A lap.
Ibid.
369.
1998]
J. WOEHRLING – ACCOMMODEMENTET DIVERSITE RELIGIEUSE
351
les abandonner ou les modifier. Notons que cette derni~re th’se fut parfois retenue
dans la jurisprudence des tribunaux des droits de la personne”.
Le demandeur d’accommodement pourra d6montrer l’absence de contrainte ex-
cessive s’il 6tablit que
pour 6viter la discrimination, tout en permettant l’exploitation de l’entreprise ou le
fonctionnement du service de faon efficace et 6conomique”‘ . Rappelons que le titu-
laire de l’obligation d’accommodement a le fardeau de d6montrer que toute modifi-
cation de ses politiques est impossible, car trop complexe ou trop cofiteuse.
c. Les droits d’autrui
En mati~re de relations d’emploi, le troisi~me grand facteur de contrainte exces-
sive concerne les effets de l’accommodement recherch6 sur les droits des autres em-
ploy6s. Dans le domaine de la fourniture de biens ou de services ou d’acc~s aux lieux
publics, on parlera plut6t des effets de cet accommodement sur les droits des autres
clients de l’entreprise ou du service, ou encore sur les droits de la population en g6n6-
ral. Comme l’affirme le juge Sopinka dans l’affaire Renaud, l’employeur pourra h bon
droit refuser un accommodement s’il peut d6montrer qu’il entrainera une atteinte
r6elle, non pas anodine mais importante, aux droits d’autres employ~s>””.
Ainsi, pour reprendre, en le modifiant un peu, un exemple mentionn6 dans l’avis
du Conseil des communaut6s culturelles et de l’immigration de juillet 1993″, si des
parents s’appuyaient sur une interpretation fondamentaliste de la Bible et en invo-
quaient certains passages (4[t]u le frappes [l’enfant] avec les verges, mais tu sauves
son ame de l’enfer>>t’ ) pour r6clamer, au nom de leur libert6 de religion, le droit
d’infliger i leurs enfants des sanctions corporelles prohib6es par les lois qu6b6coises
“i’ Par exemple, dans I’affaire Howard, supra note 51 A la p. D/361 au para. 50, le Tribunal 6crit :
[t]he respondent did not adduce any evidence to suggest that the operations of the University would
be seriously affected if it provided the complainant with an interpreter. There is no evidence to sug-
gest the nature of its operation would fundamentally change or that it would cease to operate)>.
‘”‘Zurid Insurance, supra note 98 ‘ la p. 341, juge Sopinka.
“”Voir Proulx, supra note 4 a la p. 55.
‘” Renaud, supra note 22 aux pp. 984-85, 991-92 ; voir aussi Smart, supra note 81 ‘ la p. 16 du
texte int6gral ; R. c. Big M Drug Mart, [1985] 1 R.S.C. 295 A la p. 346, 18 D.L.R. (4″) 321 [ci-aprs
Big M Drug Mart avec renvois aux R.C.S.], oii la Cour, par la voix du juge en chef Dickson, a souli-
gn6 que la libert6 de religion exige oque chacun soit libre d’avoir et de manifester les croyances et les
opinions que lui dicte sa conscience, a ]a condition notamment que ces manifestations ne lsent pas
ses semblables ou leur propre droit d’avoir et de manifester leurs croyances et opinions personnelles)).
Voir 6galement Janssen, supra note 93 o6 la Commission d’enqu~te a conclu que la r6partition, sur
l’ensemble des producteurs de lait, du surcoflt occasionn6 par i’accommodement consenti aux no
Sunday shippers ne constituait pas une atteinte suffisamment grave aux droits des autres producteurs
pour entraner une contrainte excessive.
‘ ‘Voir La gestion des conflits de normes, supra note 36 ‘ la p. 2.
Proverbes, chapitre 13, verset 12; v.a. Hdbreux, chapitre 12, verset 6.
352
MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROITDE MCGILL
[Vol. 43
de protection de la jeunesse, un tel accommodement devrait 8tre refus6 car portant
manifestement atteinte aux droits des enfants.
Dans le m~me avis, on donne 6galement l’exemple d’un accommodement relatif
aux modalit6s d’utilisation des piscines municipales par des groupes d’usagers mu-
sulmans”‘
. Ces groupes demandaient que leurs jeunes aient un accs r~serv6 A une
piscine municipale, puissent se baigner dans un costume sp6cial et que les sexes
soient s6par6s durant la p6riode totale r6serv6e au groupe. De plus, le sauveteur sur-
veillant chaque groupe devait 6tre du meme sexe que les usagers. La solution adopt6e
a 6t6 de r6server la piscine aux groupes musulmans pour une dur6e de trois heures par
semaine, pendant laquelle les autres usagers 6taient exclus, ce qui constituait une dis-
crimination directe, fond6e sur la religion,
courte durde de la p6riode r6serv6e, l’effet discriminatoire n’6tait pas assez important
pour justifier le refus de l’accommodement. Par ailleurs, le fait que les sauveteurs em-
ploy6s durant cette p6riode soient choisis en fonction do leur sexe entraine une so-
conde forme de discrimination directe. I1 est vrai qu’ils se partagent 6galement la p6-
riode de trois heures, ce qui signifie qu’ils travaillent pendant une heure et demie cha-
cun. II n’en reste pas moins que si deux hommes ou deux femmes se pr6sentaient
pour l’emploi, il faudrait n6cessairement refuser l’un d’eux sur la base de son sexe. I1
y aurait donc discrimination selon la Charte quibdcoise, qu’on pourrait tenter de jus-
tifier en invoquant l’article 2007 (distinctions fond6es sur les aptitudes ou qualit6s re-
quises par un emploi”‘).
leur 6gard. Cependant, 6tant donn6 la
Les demandes d’accommodement fond6es sur la libert6 de religion pour refuser
des traitements m6dicaux pour des enfants, par exemple la transfusion sanguine ou la
vaccination obligatoire, entreront 6videmment en conflit avec le droit de ces derniers
” Voir La gestion des conflits de normes, supra note 36 A la p. 63. En l’occurence, cette demande a
fait l’objet d’une n6gociation a I’amiable. On ne sait done pas si un tribunal en serait arriv6 “i la con-
clusion que le fait, pour la municipalit6, d’ouvrir la piscine aux deux sexes sans distinction constitue
de la discrimination indirecte fond6e sur la religion.
‘ 7Supra note 3.
“”Dans Stanley c. Gendarmerie Royale du Canada (1987), 8 C.H.R.R. D13799 (.C.D.P), la politi-
que d’exclusion des femmes du poste de gardien de prison fut jugde justifi6e au sens de la Loi cana-
dienne sur les droits de la personne, supra note 42, parce qu’il n’6tait pas possible d’am6nager les
cellules de mani~re a respecter l’intimit6 des d6tenus masculins. Par contre, dans Weatherall c. Cana-
da (PG.) (1990), [1991] 1 C.E 85, 112 N.R. 379 (C.A.), conf. par [1993] 2 R.C.S. 872, 105 D.L.R.
(4’) 210, ob l’on invoquait l’article 15 de la Charte canadienne, supra note 2, l’exclusion des femmes
a 6t6 jug6e excessive dans la mesure oii il 6tait possible d’am6nager les lieux de mani~re A ce que le
droit h l’intimit6 des individus surveill6s soit respect6. La jurisprudence am6ricaine offre 6galement
des exemples int6ressants. Dans Bollenbach c. Monroe-Woodbury Cent. School Dist., 659 F. Supp.
1450 (S.D. N.Y. 1987), on a jug6 que la d6cision de la Commission scolaire d’exclure les femmes
comme chauffeurs d’autobus pour les circuits d6servant les &:oliers masculins juifs hassidiques 6tait
contraire au Premier Amendement ainsi qu’au Civil Rights Act de 1964 (Ia d6cision avait 6t6 prise
pour accommoder l’exigence de s6paration stricte des deux sexes faisant partie des r gles hassidi-
ques) ; dans Parents’Association of PS. 16 c. Quinones, 803 R 2d 1235 (2d Cir. 1986), un projet de la
municipalit6 de mettre A la disposition des 6colires juives hassidiques des locaux physiquement dis-
l’int6rieur d’une 6cole publique, et un corps professoral uniquement fdminin, a aussi 6t6 jug6
tincts,
contraire au Premier Amendement.
1998]
J. WOEHRLING – ACCOMMODEMENTET DIVERSITE RELIGIEUSE
353
la vie et A la sant6 ainsi qu’avec l’imp~ratif de protection de la sant6 publique dans le
cas de la vaccination. Etant donn6 l’importance des int6rts en cause, de tels accom-
modements seront g6n6ralement refus6s”.
Le droit fondamental avec lequel les demandes d’accommodement fond6es sur la
religion risquent le plus d’entrer en conflit est celui de l’galit6 des femmes. En effet,
de nombreuses religions contiennent des principes concernant par exemple la vie fa-
miliale, les successions, le statut des personnes ou le code vestimentaire qui sont in-
compatibles avec l’6galit6 des sexes dans la mesure o6 its confinent la femme i un
statut subordonn6. Lorsqu’une collectivit6 religieuse exige des adaptations i la 16gis-
lation civile ou aux politiques d’organismes priv6s ou publics pour faire respecter ces
pratiques et repr6sentations discriminatoires, l’accommodement recherch6 entrera en
conflit avec le droit
l’6galit6 des femmes. La solution h ce conflit de droits ddpendra
de diff6rents facteurs dont l’importance accord6e i la pratique religieuse en cause, la
gravit6 de la violation au droit A l’6galit6 et aux autres droits 6ventuellement atteints,
l’existence d’un consentement 6clair6 de la part des personnes dont les droits sont mis
en cause et, enfin, l’effet de la solution adopt6e sur la socidt6 dans son ensemble.
A l’une des extr6mit6s du spectre, les pratiques religieuses exigeant par exemple
la mutilation des femmes sont clairement inacceptables et ne sauraient faire l’objet
d’aucun accommodement. Quelle que soit l’importance religieuse d’une telle pratique
pour ses adh6rents, la gravit6 de la violation qu’elle entrane au droit
l’6galit6 et au
droit i la s6curit6 des femmes est telle qu’elle ne doit pas 8tre tol6r6e et I’apparent
consentement des victimes irait
l’encontre de l’ordre public. En effet, pour autant
qu’on puisse consid6rer qu’il y a de leur part renonciation aux droits en cause, celle-ci
devrait 6tre jug~e invalide”.
A l’autre extr6mit6 du spectre, les r~gles concernant le port du voile islamique
entrainent une violation du droit
l’6galit6 qui reste bien moins grave que la pr6c6-
dente. En outre, il est parfaitement concevable que des femmes acceptent en toute li-
bert6 de se soumettre une telle pratique et en retirent des avantages personnels im-
portants de nature psychologique et spirituelle. It est cependant vraisemblable qu’un
grand nombre de femmes appartenant aux collectivit6s
religieuses en cause
n’accepteront une telle pratique que sous la pression –
de leur
famille et de leur environnement social. Enfin, on pourrait consid6rer que la recon-
directe ou diffuse –
’09 Voir, par ex., B.(R.) c. Children’s Aid Society of Metropolitan Toronto, [19951 1 R.C.S. 315, 26
C.R.R. (2) 202 [ci-apr~s Children’s Aid Society avec renvois aux R.C.S.] ; pour d’autres d6cisions
dans le domaine du refus des traitements m6dicaux et une intdressante discussion, voir Horwitz, supra
note 14 aux pp. 43-47.
“0 D’autres accommodements mettant en cause les droits des femmes et fondfs sur les pratiques
culturelles plut6t que sur la religion ont d6jh
t6 propos6s. Par exemple, l’accommodement consistant
i prdvoir une exception aux lois fixant l’fige minimum pour le mariage afin de permettre i unejeune
fille enceinte de se marier en deo de cet Age si elle appartient i une collectivitd dans laquelle un tel
comportement est considdr6 comme normal ; raccommodement consistant modifier la r~gle selon
laquelle la police doit toujours porter des accusations en cas de violence conjugale et qui serait justifi6
par le fait que les femmes immigrantes et les femmes des minorit6s visibles appartiennent i des col-
lectivitds oii la violence conjugale est traditionnellement davantage tolfrde.
MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROITDE MCGILL
[Vol. 43
naissance civile d’un code vestimentaire religieux qui inf6riorise les femmes a des ef-
fets n6gatifs non seulement sur les personnes directement concern6es, mais sur
leur en-
l’ensemble des femmes en maintenant et en renforgant les pr~jug6s sociaux
contre. La pond6ration de toutes ces consid6rations, dans ]a mesure oii elle est extr8-
r6aliser, entrainera in~vitablement des r6sultats imparfaits qui pro-
mement difficile
voqueront l’insatisfaction de certaines, voire de toutes, les parties concern6es. En ou-
tre, une telle pond~ration peut difficilement 6tre r6alis6e dans l’abstrait ; elle devra
plut6t tenir compte de toutes les variables des situations factuelles dans lesquelles le
probl~me surgira.
On peut faire remarquer que, d’un point de vue tactique et rh6torique, celui qui
veut 6carter une demande d’accommodement fond6e sur ]a libert6 de religion aura
fait que
vraisemblablement plus de chances de succes en
l’accommodement recherch6 l6serait les droits d’autrui qu’en s’appuyant sur son coot
l’exploitation de l’entreprise ou au bon
excessif ou sur l’entrave qu’il entrainerait
fonctionnement du service consid6r6. De m~me, pour justifier ]a limitation de la li-
bert6 de religion, il vaut mieux invoquer ]a n6cessit6 de prot6ger les droits d’autrui
que la s6curit6, la sant6 ou l’ordre publics. En effet, les tribunaux qui sont investis de
]a mission de prot6ger les droits et libert~s accepteront plus facilement la limitation
des droits des uns par ceux des autres que par des consid6rations d’int6rt g6n6ral.
invoquant
le
Si les mesures d’accommodement accord6es a certaines personnes ne doivent pas
avoir d’effet discriminatoire d6raisonnable sur d’autres, le simple fait de pr6voir un
traitement particulier pour les demandeurs d’accommodement ne constitue pas de la
rebours>, si cette mesure est n~cessaire pour 6viter que ceux-ci ne
Yom Kippour serait <
“‘ Dans l’affaire Eldridge, supra note 24 aux pp. 687-88, le procureur g6n6ral avait invoqu6
I’argument de l’effet boule de neige en prdtendant que, si on obligeait les h6pitaux A fournir des inter-
prates aux personnes atteintes de surdit6, ils devraient 6galement en fournir aux personnes qui ne
parlent pas l’une ou I’autre des langues officielles du Canada, augmentant ainsi de fagon marqu6e le
cofit du programme. Le juge La Forest, pour la Cour, a rejet6 cet argument en soulignant qu’il relevait
MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE MCGILL
[Vol. 43
Une variante de l’argument boule de neige consiste h pr~tendre que, si on accorde
un accommodement limit6 h certains, par exemple si
‘on permet aux enseignants juifs
de s’absenter un jour par an pour le Yom Kippour, d’autres risquent de s’appuyer sur
ce pr6c6dent pour r6clamer des arrangements plus consid6rables, comme le droit de
s’absenter un jour par semaine. Ds lors, le principe d’6galit6 emp6chera qu’on refuse
aux uns ce qu’on a reconnu aux autres. Un tel argument avait 6 retenu par les juges
majoritaires de la Cour d’appel du Qu6bec dans l’affaire Bergevin”‘. La Cour supreme
par la voix du juge Cory a cependant 6cart6 ce motif de la fagon suivante :
[]e reconnais que, dans d’autres cas, il pourra exister des circonstances oit
l’accommodement raisonnable serait impossible. Par exemple, si un enseignant
devait, A cause de ses croyances religieuses, s’absenter tous les vendredis de
l’ann6e, il pourrait bien alors 8tre impossible pour l’employeur de composer
raisonnablement avec les croyances et les exigences religieuses de cet
enseignant'”.
Autrement dit, les limites de l’obligation d’accommodement d~coulent du concept
mgme d’accommodement raisonnable : si les musulmans demandaient un jour de
cong6 par semaine, plut6t qu’un jour par an comme les juifs, cela ne serait pas raison-
nable et n’entraInerait done pas d’obligation correspondante pour l’employeur. En
mati~re de r6arrangement des horaires de travail, l’accumulation des demandes par
divers groupes religieux pourrait rendre I’accommodement impossible; le ph6nom~ne
produirait done ses propres limites.
Comme les exemples pr6c6dents le d6montrent, le concept d’accommodement
raisonnable et les crit~res d6gag~s pour sa mise en ceuvre, bien qu’ils puissent atre ex-
pos6s et g6n6ralis6s sur un plan th6orique, font I’objet d’une application qui d6pend
6troitement des faits propres A chaque affaire ainsi que du d6roulement concret de la
n6gociation qui a eu lieu. Par cons6quent, les r6sultats dans un cas particulier sont dif-
ficilement prdvisibles si on ne connait pas tous les faits de fagon d6taill6e. Meme s’ils
sont connus, le pronostic reste ardu, car il est presque impossible de pr6voir
l’importance que l’autorit6 d6cisionnelle attachera h chacun des faits pertinents. C’est
ce que la Cour supreme reconnait dans l’affaire Renaud, oil le juge Sopinka affirme
que <[c]e qui constitue des mesures raisonnables est une question de fait qui variera
selon les circonstances de l'affaire>>” . De m~me, dans l’affaire Gohm c. Domlar Inc.,
la Commission d’enqu~te a d6clar6: <[t]his duty [to accommodate] defies generaliza-
tion, because each case will involve unique circumstances>>'”.
Soulignons pour terminer que ]a preuve du caract~re raisonnable d’un accommo-
dement sera d’autant plus facile h faire que l’accommodement recherch6 aura d6ji 6t6
accord6 auparavant soit au plaignant, soit A d’autres personnes dans la meme situa-
,enti~rement de la sp6culation,> et que le procureur gfndral n’avait produit aucun 6l6ment de preuve
sur le cofit 6ventuel de I’extension des services d’interprdtation A certaines cat6gories d’entendants.
” Supra note 9.
“”Ibid. la p. 551.
“‘Supra note 22 A lap. 984.
(1990), 12 C.H.R.R. D/161
la p. D/175, para. 96, 90 C.LL.C. 17,027 (Commission d’enquate
Ont.), conf. par (1992), 8 O.R. (3’ 65, 89 D.L.R. (4) 305 (C. div. Ont.).
1998]
J. WOEHRLING – ACCOMMODEMENTET DIVERSITE RELIGIEUSE
357
tion. Ainsi, comme on l’a vu, dans l’affaire Bergevin, la Cour supreme du Canada a
beaucoup insist6 sur le fait que l’observance d’une fete religieuse par les enseignants
t6, par le pass6, consid6r6e comme un motif valable
de religion juive avait d6j
d’absence, pour en arriver A la conclusion qu’il s’agissait d’une solution raisonnable,
n’entranant pas de contrainte excessive, et que, par cons6quent, le m~me accommo-
dement devrait leur 6tre conc6d6 l’avenir par leur Commission scolaire”‘.
En somme, un employeur, un fournisseur de biens ou de services susceptible de
devenir titulaire d’une obligation d’accommodement dolt etre conscient du fait qu’en
accordant un accommodement, il cr6e un pr6cfdent qui pourra ensuite 6tre invoque
contre lui.
II. L’obligation d’accommodement fond6e sur le droit & I’dgalitd
et la libert6 de religion dans le cadre de la Charte canadienne
des droits et libert6s et de la Charte des droits et libert6 de la
personne du Qu6bec
Dans le cadre de ]a Charte canadienne et de la Charte qudbicoise, l’obligation
d’accommodement raisonnable en mati~re religieuse peut 6tre fond6e soit sur le droit
l’6galit6, soit sur la libert6 de religion. Cependant, la transposition d’un concept n6
et 61abor6 dans le domaine des relations de travail et de la fourniture de biens ou de
services celui de l’activit6 16gislative et rdglementaire pose certains probl~mes. Nous
commencerons par les examiner. Puis, nous verrons le parall6lisme qui existe entre la
libert6 de religion et le droit h l’6galit6 sans discrimination fond6e sur la religion, et
nous analyserons l’obligation d’accommodement comme 616ment constitutif de la li-
bert6 de religion. Enfin, nous nous pencherons sur les conditions necessaires pour in-
voquer la libert6 de religion afin d’obtenir un accommodement.
A. La transposition de I’obligation d’accommodement dans le do-
maine de I’activitW legislative et r6glementaire
1. Iinvalidation ou la reformulation judiciaire des normes qui cr6ent
une discrimination religieuse indirecte
lorsqu’une
La question de l’accommodement ou de l’adaptation peut se soulever dans le do-
loi, tout en 6tant raisonnable et
maine 16gislatif et r6glementaire
d’application neutre, entraine une discrimination indirecte fond6e sur un motif illicite
l’obligation
ou une atteinte
d’accommodement d6velopp6es dans le domaine de l’emploi ou de la fourniture de
biens et de services ne pourront que difficilement 8tre transpos6es dans le domaine
des normes 16gislatives. Par exemple, dans ces deux premiers domaines, la mise en
eeuvre de l’accommodement demande tr~s souvent des mesures individualis6es,
taill6es sur mesure pour une personne en particulier. Une telle approche est beaucoup
la libert6 de religion. Cependant, les r~gles relatives
‘2’ Voir supra note 9
lap. 550, juge Cory.
MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE MCGILL
[Vol. 43
plus difficile i mettre oeuvre dans le cas d’un texte 16gislatif qui, par d6finition,
s’applique i un nombre ind6termin6 de situations particuli~res. De meme, dans le
domaine des relations de travail et de la fourniture de biens et de services, un 616ment
essentiel de l’accommodement est l’obligation mutuelle de n6gociation qui s’impose
aux protagonistes. Dans le cas d’un texte 16gislatif, on voit mal entre qui et selon
lieu. En outre,
quelles modalit~s une
l’accommodement, dans la mesure oii il supposerait une modification de certaines
dispositions de la loi pour en exempter les int6ress6s ou en changer la teneur h leur
6gard, exigerait l’adoption d’une nouvelle loi remplagant l’ancienne, ce qui constitue-
rait un processus extr~mement lourd, surtout si les demandeurs d’accommodement ne
sont pas nombreux. II faut donc d6couvrir d’autres modalit6s d’accommodement pro-
pres au domaine 16gislatif.
telle n6gociation pourrait
avoir
Une premiere modalit6, qui est celle de l’intervention dans le processus politique,
ne nous int6resse gu~re ici, dans la mesure oiI elle ne soul~ve pas de probl~mes juridi-
ques particuliers. Si les demandeurs d’accommodement r6ussissent, en exergant des
pressions politiques, A convaincre les autorit6s gouvernementales de modifier la loi en
leur faveur, la question se r6glera sans entrainer de contentieux. Comme on l’a vu
prdc~demment, la Commission qu6b6coise des droits de la personne peut intervenir
en 6mettant une opinion qui soutient les demandeurs d’accommodement, ce qui leur
donnera des arguments et cr6era une pression sur les d6cideurs politiques.
Si les demandeurs d’accommodement n’obtiennent pas satisfaction par le biais du
processus politique, ils s’adresseront aux tribunaux. Si ces derniers en arrivent A la
conclusion que la loi entraine une discrimination indirecte, ils auront le choix entre
deux grandes solutions. La premiere option consiste A invalider purement et simple-
1’6gard de tous,
ment la loi en cause. L’inconv6nient est que la norme sera annul~e
alors que, par hypoth~se, elle est raisonnable et justifi6e et n’entraine d’effets discri-
minatoires qu’A l’6gard d’un petit nombre de personnes. L’avantage, par contre, sera
que le l~gislateur pourra reformuler ]a norme comme il l’entend, tout en prdvoyant les
exceptions, exemptions ou modifications n~cessaires pour en faire disparaltre l’effet
discriminatoire. Cependant, la multiplication de cas de ce genre pourrait surcharger
engager le processus 16-
l’agenda l6gislatif ; en outre, il y a quelque disproportion
gislatif pour r6gler des probl~mes qui, dans certains cas, n’affectent que tr~s peu de
personnes.
La deuxi~me solution, qui tente de pallier les inconv6nients de la pr6c6dente, con-
siste en une reformulation judiciaire de la norme contest6e, pour r6tablir sa conformit6
aux Chartes sans devoir faire appel au processus l6gislatif. Cette reformulation judi-
claire peut prendre diff6rentes formes, qui sont bien connues en droit constitution-
nel”‘. Ainsi, l’interpr6tation att6nu6e ou conciliatrice (reading down) consiste h r6-
duire par interpr6tation la port6e de la r~gle contest6e pour en 6liminer les effets in-
constitutionnels. Par exemple, un r~glement municipal interdisant de fagon g6n6rale la
122 Sur cette question, voir R. Tass6 et L Tass6, <(Application de la Charte canadienne des droits el
libertds (articles 30-31-32-33 et 52)>> dans G.-A. Beaudoin et E.P. Mendes, dir., Charte canadienne
des droits et libertds, 3T ed., Montr6al, Wilson & Lafleur, 1996, 27 A lap. 83 et s.
1998]
J. WOEHRLING – ACCOMMODEMENTETDIVERSITERELIGIEUSE
359
distribution de brochures sur la voie publique pourrait 8tre interpr~t6 comme
s’appliquant ou non aux t6moins de Jdhovah ; la deuxi~me solution aurait pour effet
de maintenir la validit6 du r~glement, tout en soustrayant les membres de cette Eglise
A son application, respectant ainsi leur libert6 de religion.
La distinction des effets (reading out) consiste
limiter la d6claration d’invalidit6
aux seuls effets inconstitutionnels de la mesure contest6e. Cette modalit6 peut aboutir
? la cr6ation d’une
n’est inconstitutionnelle qu’
cr6er, par voie jurisprudentielle, une exception A l’application de la loi en faveur de ce
groupe'”. C’est ce qu’a reconnu le juge en chef Dickson dans l’affaire Edwards
BooksI’24.
l’6gard d’un groupe particulier ; cela revient alors
Enfin, l’interpr6tation large ou bonificatrice (reading in) consiste A 61argir la por-
t6e de la r~gle contest6e pour r6tablir sa compatibilit6 avec la Constitution ; elle re-
vient A ajouter par voie d’interpr6tation, dans la disposition contest6e, des mots qui
n’y figurent pas, mais qui r6tabliraient sa conformit6 avec la Constitution. Cette tech-
nique permet, par exemple, d’6tendre le b6n6fice d’une prestation lorsque celle-ci,
pour des raisons tenant k un motif illicite (comme la religion), ne b6n6ficie pas A tou-
tes les personnes qui devraient y avoir droit. Dans l’affaire Schachter c. Canada, la
Cour supreme a indiqu6 quelles conditions doivent 8tre respect6es pour que cette
forme de reconstruction judiciaire soit permise’.
Toutes ces techniques permettent donc une reformulation ou reconstruction judi-
ciaire de la norme contest6e afin d’en 61iminer les aspects inconstitutionnels,
l’avantage 6tant que la norme pourra 8tre maintenue une fois corrig6e. II devient donc
inutile de d6ranger les autorit6s l6gislatives pour parvenir au r6sultat recherch6.
Sur le plan des principes constitutionnels, ces techniques sont cependant difficiles
A concilier avec la s6paration des pouvoirs puisqu’elles am~nent les tribunaux A exer-
cer un v6ritable r6le de co-16gislateurs. Pour att6nuer ce probl~me, les juges doivent
faire preuve de retenue judiciaire : le texte contest6, une fois reformul6 par la Cour,
doit demeurer suffisamment semblable au texte original pour qu’on puisse penser que
le l6gislateur l’aurait quand m~me adopt6.
” Au Canada, voir par ex. l’affaire Videoflicks, supra note 33.
’24Supra note 33 aux pp. 752,780 ; voir aussi Big M Drug Mart, supra note 103 A lap. 337, juge en
chef Dickson.
‘2. [1992] 2 R.C.S. 679, 93 D.L.R. (4’) 1. En premier lieu, il faut pouvoir ddterminer avec suffisam-
ment de prdcision dans quelle mesure I’dlargissement de la port6e d’une loi est ndcessaire pour la ren-
dre compatible avec la Constitution. En second lieu, l’dilargissement ne doit pas avoir pour cons6-
quence de modifier la nature du r6gime 16gislatif en question (notamment du point de vue financier).
Lorsqu’il s’agit d’dlargir le cercle des b6n6ficiaires d’une prestation, la question tournera autour de la
taille relative des deux groupes pertinents (le groupe inclus et le groupe A inclure) : l’61argissement se-
ra d’autant plus facile que le groupe <4 ajouter>> sera num6riquement moins important que le groupe
initial des b6n6ficiaires (mais sans que l’on puisse en faire un crit~re automatique et absolu).
360
MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE MCGILL
[Vol. 43
2. Les limites de I’obligation d’accommodement : I’application des
clauses limitatives des deux Chartes
Lorsque l’obligation d’accommodement s’impose au l6gislateur, ses limites d6-
couleront de l’application des clauses limitatives des deux Chartes, a savoir l’article 1
de la Charte canadienne” et
‘article 9.1 de la Charte qudbdcoise’.
a. L’article 1 de la Charte canadienne
Celui qui veut repousser l’obligation d’accommodement doit d6montrer que
l’application int6grale de la norme, sans les exceptions r6clam6es par le demandeur,
est n6cessaire pour atteindre un objectif 16gislatif 16gitime et important. Plus pr6cis6-
ment, sous l’empire de l’article 1 de la Charte canadienne'”, en appliquant le test de
l’arrt R. c. Oakes'”, il faudra d6montrer successivement que l’application enti~re de
la norme constitue un moyen rationnel d’atteindre l’objectif 16gislatif ; qu’il n’existe
pas de moyens d’y parvenir qui soient moins attentatoires aux droits en cause (critre
de l’atteinte minimale) ; enfin, qu’il y a proportionnalit6 entre les effets b6n6fiques de
la mesure et ses effets restrictifs'”‘. En fait, le crit6re de l’atteinte minimale, qui est au
coeur du test de l’article 1, correspond en grande partie, pour ce qui est des concepts,
a
la d6fense de contrainte excessive qui permet de s’opposer a l’obligation
d’accommodement raisonnable dans le cadre des lois sur les droits de la personne.
C’est ce qui ressort du jugement de la Cour supreme dans l’affaire Edwards Books, oil
l’application du crit~re de l’atteinte minimale amine la Cour h se demander si le 16-
gislateur ontarien, en interdisant l’ouverture des magasins le dimanche et en pr6-
voyant certaines exceptions pour ceux qui ferment d6ja le samedi, a suffisamment fait
d’efforts pour accommoder les commergants qui, pour des raisons religieuses, doivent
respecter un jour de repos autre que le dimanche’32 .
[1986] 1 R.C.S. 103
la p. 139,26 D.L.R. (4) 200 [ci-apr s Oakes avec renvois aux R.C.S.].
” Supra note 2.
,7 Supra note 3.
‘.,Supra note 2.
‘” Pour une analyse de ce test et de son 6volution, en particulier dans l’arr~t Edwards Books, supra
note 33, voir J. Woehrling,
d’une interdiction absolue d’adopter des distinctions fond6es sur l’un des treize autres
crit~res prohib6s, autrement dit, la question est de savoir si une loi contenant une telle
distinction n’est en aucun cas susceptible de justification.
La doctrine est divis6e sur cette question d6licate et les reponses apport~es jus-
qu’h pr6sent par la Cour supreme ne sont pas d~nu6es d’ambiguit6. En fait, le pro-
blme se pose diff6remment selon que l’article 10 est appliqu6 en conjonction avec un
droit soumis A une disposition limitative sp6cifique”‘ , ou A l’article 9.1, ou avec un
droit qui n’est soumis A aucune disposition limitative’37 .
naux appliquent, lorsqu’ils ont “i juger de la justification d’une restriction .i la libert6 de religion ou
d’une discrimination fond6e sur la religion, le m~me crit~re de l’atteinte minimale que celui de
i’affaire Oakes (,least restrictive means of achieving a compelling governmental objective >) ; sur ce
point, voir notamment W.C. Durham Jr., <(Freedom of Religion: The United States Model
(1994) 42
Am. J. Comp. L. 617 a lap. 624.
1. Charte qudbdcoise, supra note 3.
233 [1988] 2 R.C.S. 712 aux pp. 770-71, 54 D.L.R. (4') 577 [ci-apr~s Ford avec renvois aux R.C.S.].
Voir ibid. a lap. 781.
'3 Charte qudbdcoise, supra note 3, art. 10.
Mise part la disposition limitative de l'article 9.1, les droits ou libertds garantis dans une dou-
zaine d'articles de la Charte qudbdcoise, ibid., sont assortis de limites particuli~res. Ces dispositions
limitatives spfcifiques se rangent en deux cat6gories, selon qu'elles conferent au Igislateur une auto-
rit6 discrdtionnaire pour restreindre les droits et libert6s ou qu'elles 6noncent un standard limitatif
demandant "i 8tre appliqu6 par les tribunaux. Dans la premi~re catfgorie, on peut par exemple ranger
l'article 6, qui garantit le droit
mesure prvue par la loi,, ou l'article 9, en vertu duquel une ,disposition expresse de la loi, peut au-
toriser les personnes tenues au secret professionnel "i divulguer les renseignements confidentiels qui
la jouissance paisible et a la libre disposition des biens,
l’objet de saisies, perquisitions ou fouilles vabusives>. Dans ces deux cas, le caract~re raisonnable de
la restriction au droit ou
la libert6 en cause devra 8tre appr6ci6 par les tribunaux.
” L’article 10 de la Charte qudbicoise, ibid., contrairement A l’article 15 de la Charte canadienne,
supra note 2, ne garantit pas le droit a l’6galit6 en tant que tel, c’est-4-dire ind~pendamment des autres
droits et libertds. Une discrimination, pour 8tre illicite, doit pouvoir 8tre rattach6e ” l’exercice d’un
droit ou d’une libert6 garantis ailleurs qu”i l’article 10, en roccurrence les libert6s et droits fonda-
mentaux du chapitre I, les droits politiques du chapitre II, les droits judiciaires du chapitre II ou les
droits
.conomiques et sociaux du chapitre IV. Cependant, lorsque le deuxi~me alinda do Particle 10
dit qu’il y a discrimination quand une distinction fond6e sur un des motifs prohib~s a pour effet do
compromettre ,,ce droito, il ne pout s’agir d’autre chose que du droit 4 l’galit6. En renvoyant au droit
A l’6galit6 dans l’exercice des autres droits et libert~s, cot alinda n’exige pas qu’une distinction ait
pour effet de violer un autre droit ou une autre libert6, mais bien qu’elle compromette ou ditruise le
droit A l’6galit6 lui-m~me, en relation avec l’exercice d’un autre droit ou d’une autre libert6. Par con-
s&tuent, le deuxi~me alin~a de ‘article 10 exige seulement que la distinction incrimin~e se produise
dans le champ d’exercice d’un droit ou d’une autre libertd. Cependant, si l’article 10 ne garantit pas
un droit A l’6galit
indipendant des autres droits et libertYs, cela ne signifie pas qu’il est d~pourvu do
contenu autonome. Ainsi, par exemple, si le 16gislateur enfreint un des droits dconomiques et sociaux
contenus au chapitre IV (art.s 39 Ai 48) de la Charte qudbdcoise, les victimes ne pourront pas invoquer
la Charte car les droits 6conomiques et sociaux ne font l’objet d’aucune primaut6 sur la I6gislation
ordinaire, dans la mesure oii l’article 52 (la clause de primaut6) ne s’applique qu’aux articles 1 Ai 38.
Par consdquent, les droits 6conomiques et sociaux ne sont pas habituellement sanctionnabls par les
tribunaux
l’encontre du l6gislateur; d’ailleurs, bon nombre d’entre eux ne sont express6ment garan-
tis que
122, 1394-1 ai la p. 141 : o[wlhile the guarantee in section 2(a) is written in the form of a “freedom”,
which implies a focus on individual liberty from government interference, there is inevitably a strong
equality concern in the jurisprudence under section 2(a) as well, which emerged in the early Supreme
Court cases>.
“, Cette disposition n’est devenue applicable qu’avec trois ans de retard sur les autres dispositions
de la Charte canadienne, c’est-a-dire le 17 avril 1985. D’une certaine fagon, l’invocation du principe
d’6galit6, tant que l’article 15 n’6tait pas encore rentr6 en vigueur, pouvait dgalement se justifier par le
l’article 27, qui contient le principe du multiculturalisme. En effet, ce concept connote une
recours
certaine 6galit6 entre les cultures (la culture incluant la religion). C’est ce qu’a reconnu le juge en chef
Dickson dans l’affaire Big M Drug Mart, supra note 103 aux pp. 337-38 : <
… Voir ibid. A la p. 337: [I]a libert6 au sens large comporte l’absence de coercition et de contrainte
et le droit de manifester ses croyances et pratiques. La libert6 signifie que, sous r6serve des restric-
tions qui sont n6cessaires pour preserver la s6curit6, l’ordre, la sant6 ou les moeurs publics ou les Ii-
bert~s et droits fondamentaux d’autrui, nul ne peut 8tre forc6 d’agir contrairement A ses croyances ou
sa conscience>>.
” S Voir ibid. A la p. 336 : <,[ulne soci~t6 libre vise assurer A tous l'6galit6 quant A la jouissance des
libertds fondamentales et j'affirme cela sans m'appuyer sur l'art. 15 de la Charte>> [nos italiques] ;
voir aussi Ai lap. 337 : ,,[e]n retenant les prescriptions de la foi chr6tienne, la Loi cr6e un climat hostile
leur dgard. […] Or, prot6ger une reli-
aux Canadiens non chr6tiens et parait en outre discriminatoire
gion sans accorder la m~me protection aux autres religions a pour effet de cr6er une in6galit6 destruc-
trice de la libert6 de religion dans la socidt& .
MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE MCGILL
[Vol. 43
la libert6 de religion, au d6triment de celui de l’6galit6, r6servant ce dernier pour
l’application de
‘article 15. Dans l’affaire Adler, certains membres de la Cour su-
preme ont examin6 cette question du parall6lisme entre libert6 de religion et interdic-
tion de la discrimination religieuse. Les requ6rants s’appuyaient sur la Charte cana-
dienne, en invoquant la libert6 de religion et le droit h l’6galit6 sans discrimination
fond6e sur la religion, pour demander un jugement d6eclarant que le refus de financer
les 6coles juives et certaines 6coles chr6tiennes ind6pendantes en Ontario 6tait in-
constitutionnel. Cette province finance h la fois les 6coles publiques la’ques et les
6coles publiques catholiques, ces derni~res en raison d’une obligation constitution-
nelle decoulant de l’article 93 de la Loi constitutionnelle de 1867″‘. Par contre, elle re-
fuse de financer les 6coles religieuses privdes.
En s’appuyant sur la d6cision de la Cour supreme dans le Renvoi relatif au projet
de Loi 30, les neuf membres de la Cour ont 6t6 unanimes A consid6rer que la distinc-
tion de traitement entre les 6coles catholiques et les autres 6coles religieuses ne saurait
6tre attaqu6e en vertu de la Charte canadienne puisqu’une telle distinction est claire-
ment autoris6e par l’article 93 de la Loi constitutionnelle de 1867.
Par ailleurs, cinq des neuf membres de la Cour'” sont all6s plus loin en jugeant
que la distinction de traitement entre les 6coles publiques la’ques et les dcoles reli-
gieuses non catholiques 6tait elle aussi immunis6e contre toute attaque fond6e sur la
Charte canadienne par l’effet de l’article 93 de la Loi constitutionnelle de 1867. Selon
eux, <(les 6coles publiques sont implicitement mais n6anmoins clairement vis6es par le
r6gime 6tabli A l'art. 93>>’ et sont donc prot6g6es contre toute contestation fond6e sur
la Charte canadienne. Autrement dit, ces cinq juges raisonnent comme si la recon-
naissance du droit des 6coles religieuses autres que catholiques h un certain finance-
ment public 6quivalait h leur appliquer l’article 93, alors qu’en fait, il s’agirait de faire
decouler A leur profit des droits similaires, mais differents, de la libert6 de religion et
du droit h l’6galit6 garantis par la Charte canadienne. Cette opinion entrane des effets
paradoxaux : en reconnaissant, h une 6poque de l’histoire, des droits sp6cifiques ,t
certaines minorit6s nationales, les r6dacteurs de la Constitution auraient voulu inter-
dire pour l’avenir toute interpr6tation des droits fondamentaux et du droit i l’6galit6
qui en ferait d6couler des droits non pas identiques, mais similaires, pour d’autres mi-
norit6s plus r6cemment install6es.
Dans l’affaire Adler, les quatre autres membres de la Cour supreme ont rejet6
l’idee que larticle 93 de la Loi constitutionnelle de 1867 empechait d’invoquer les
droits garantis par la Charte pour contester le refus de l’Ontario de subventionner les
6coles religieuses autres que catholiques”. Cependant, ils sont tous arriv6s A la con-
‘3 Supra note 25. Voir les notes 25-27 et le texte correspondant.
I1 s’agit du juge en chef Lamer et des juges La Forest, Gonthier, Cory et lacobucci (motifs du
juge lacobucci).
‘Adler, supra note 131 A lap. 646, juge lacobucci.
‘* 11 s’agit des juges Sopinka, Major, McLachlin et L’Heureux-Dub6 qui ont, h juste titre scion
nous, consid&6r que ce n’6tait pas parce qu’ils sont pertinents pour d6terminer les droits ct privitges
des 6coles catholiques que les droits et privileges des 6coles publiques de la majorit6 b6n6fieient, par
le fait m~me, de la protection de ‘article 93 de la Loi constitutionnelle de 1867. Les droits ct privilY-
1998]
J. WOEHRLING – ACCOMMODEMENT ET DIVERSITE RELIGIEUSE
367
clusion qu’il n’y avait aucune violation de la libert6 de religion, m6me si le non-
financement des 6coles confessionnelles autres que catholiques cr6e un d6savantage
6conomique pour ceux que leurs convictions am~nent
y envoyer leurs enfants par
rapport aux parents qui envoient leurs enfants t l’6cole publique laIque, financ6e par
le gouvernement. Cette conclusion est cependant difficile h r6concilier avec les d6ci-
sions ant6rieures de la Cour supreme dans les arr~ts Big M Drug Mart et Edwards
Books oii celle-ci avait jug6 que deux lois sur les jours f6rids, I’une f6d6rale et l’autre
ontarienne, qui ordonnaient la fermeture des commerces le dimanche, restreignaient la
libert6 de religion de ceux qui fermaient leur commerce le samedi pour des raisons
religieuses parce qu’elles leur imposaient un d6savantage 6conomique par rapport A
leurs concurrents qui, pour des raisons religieuses, fermaient le dimanche (et pour qui,
par cons6quent, l’obligation civile et l’obligation religieuse de repos hebdomadaire
co’incidaient). Pour distinguer les deux affaires, les quatre juges ont soulign6 le fait
que la loi ontarienne n’obligeait pas les parents h faire 6duquer leurs enfants h l’6cole
publique, mais les autorisait i les envoyer t l’6cole privde ou
les 6duquer h la mai-
son. Peut-8tre voulaient-ils dire par li que la libert6 d’dduquer leurs enfants A ]a mai-
son, ce qui permet d’6viter les cofits de l’6cole priv~e, donne aux parents la possibilit6
de choisir une option qui n’entraine aucun cofit 6conomique, ce qui ne crie donc au-
cune discrimination ou violation de la libert6 de religion. Un tel raisonnement semble
cependant plut6t artificiel car, en pratique, le seul choix de l’immense majorit6 des pa-
rents est d’envoyer leurs enfants soit dans une 6cole priv6e, soit it l’6cole publique. Si,
pour des raisons religieuses, ils ont le sentiment de devoir les envoyer h l’6cole priv6e
non subventionn~e, ils devront assumer une d6pense suppl6mentaire. D~s lors, logi-
quement, Ia Cour aurait dfi appliquer le principe 6nonc6 dans les affaires Big M Drug
Mart et Edwards Books, ou alors reconnaitre qu’elle s’6tait trompee en jugeant qu’une
loi qui prescrit une m~me obligation pour tous viole la libert6 de religion si son res-
pect entrane une d6pense ou un manque A gagner pour un groupe religieux du fait
d’un conflit avec une obligation religieuse.
Deux des quatre juges qui ont examin6 les arguments fond6s sur la Charte cana-
dienne sont ensuite parvenus ii la conclusion qu’il n’existait aucune discrimination re-
ligieuse dans le fait de r6server le financement gouvernemental aux seules 6coles pu-
bliques. I1 s’agit des juges Sopinka et Major pour qui la distinction de traitement
existait entre les 6coles publiques et les dcoles priv6es, et non pas entre les 6coles laY-
ques et les 6coles religieuses, dans la mesure oit ce financement 6tait refus6 A toutes
les 6coles priv6es, religieuses ou laiques”‘. Par ailleurs, les juges Sopinka et Major
soulign~rent le chevauchement des revendications fonddes sur l’article 2(a) de la
Charte canadienne et de celles fond6es sur l’article 15, ajoutant que [p]endant les
ges des dcoles publiques ne constituent que des points de rep~re pour d6terminer les droits et privil6-
ges des dcoles s~pardes.
“. VoirAdler, supra note 131 aux pp. 708-09, juge Sopinka. Le fait que la discrimination repose sur
le caract~re priv6 ou public des &6oles, plut6t que sur leur caract~re laique ou religieux, est d6termi-
nant car la Cour supreme interprte l’article 15(1) de la Charte canadienne, supra note 2, comme ne
pouvant 8tre invoqu6 que contre les distinctions fonddes, soit sur un motif expressdment mentionn6 4
‘article (comme la religion), soit sur un motif analogue. Or le caract~re public ou privd des 6coles
n’est ni un motif expressdment mentionn6 ni un motif analogue.
368
MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE MCGILL
[Vol. 43
plaidoiries, il est devenu de plus en plus difficile de d6terminer si un argument donn6
appuyait une revendication fond6e sur l’al. 2a) ou une revendication fond~e sur l’art.
15> ‘
Les deux derniers membres de la minorit6, les juges McLachlin et L’Heureux-
Dub6, ont par contre conclu A l’existence d’une discrimination indirecte fond6e sur la
religion dans la mesure oit la loi ontarienne avait pour effet de refuser un avantage aux
personnes dont la religion ne leur permettait pas d’envoyer leurs enfants A, l’6cole pu-
blique laique. Madame la juge McLachlin est cependant arrivde , la conclusion que
cette discrimination 6tait raisonnable, et doncjustifie, en application de la disposition
limitative contenue dans l’article I de la Charte canadienne’0 . Par contre, Madame la
juge L’Heureux-Dub6 a consid6r6 que, m~me si la loi ontarienne avait comme objectif
lgitime de favoriser le plus possible la frequentation de l’6cole publique laYque, le re-
fus de tout financement des 6coles religieuses allait au-delA de ce qui 6tait requis pour
atteindre cet objectif et ne constituait donc pas une atteinte minimale. La dispense que
la loi ontarienne pr.voyait en autorisant les parents A envoyer leurs enfants A l’6cole
priv6e ou
l’aspect potentiellement
coercitif de l’enseignement laYque obligatoire et permettait donc A la loi attaqu6e de
satisfaire aux exigences de l’article 2(a). Par contre, cette dispense ne constituait pas
un accommodement suffisant en vertu de l’article 15, qui garantit le droit t l’6galit6.
Dans un cas d’in6galit6 de b6n6fice, l’accommodement d6coulant de l’article 15 em-
porte l’6tablissement de mesures permettant aux parents appartenant A une religion
particuli6re de b6n6ficier d’un acc6s i l’ducation sans discrimination indirecte fon-
d6e sur leur religion. Pour la juge L’Heureux-Dub6, c’est le fait d’accorder un finan-
cement partiel aux 6coles religieuses privdes qui constituerait l’accommodement re-
quis en vertu de l’article 15; une telle solution permettrait d’accorder une certaine re-
connaissance aux minorit6s religieuses et de les aider survivre, sans compromettre le
caract~re g6n6ralement laique et universel du syst~me d’6coles publiques”.
les 6duquer A la maison r6pondait uniquement
C’est dans le contexte de cette discussion sur
les variations du droit “i
l’accommodement, selon qu’il d6coule de la libert6 de religion ou du droit A l’6galit6,
que la juge L’Heureux-Dub6 propose une certaine m6thodologie du recours combin6
aux articles 2(a) et 15, de faqon A clarifier la port6e et le r6le de chacun dans les affai-
res de libert6 de religion et d’6galit6 religieuse :
‘”Adler, ibid. “i lap. 698, juge Sopinka. Les motifs se poursuivent ainsi:
[cle chevauchement peut 8tre dfi A la fagon dont notre Cour a abord6 ia question do la
libert de religion dans I’arr~t R. c. Edwards Books and Art Ltd. […]. Dans cet arrft,
notre Cour a statu6 qu’une loi de fermeture le dimanche contrevenait
I’al. 2a) parce
qu’elle imposait un fardeau dconomique
ceux qui observent le samedi notamment,
mais non A ceux qui observent le dimanche. L’analyse comportait une comparaison
entre l’incidence de la loi en cause sur diffdrents groupes religieux et sur les gens qui
n’observent aucun jour de repos hebdomadaire. Pourtant, dans l’arr~t Edwards Books,
notre Cour a explicitement refus6 d’examiner la question sous l’angle de l’art. 15 parce
quo cette disposition n’dtait pas en vigueur A I’dpoque oil les appelants ont 6t6 accus6s
d’avoir enfreint la loi de fermeture le dimanche (ibid.).
” Charte canadienne, supra note 2. Voir ibid. A lap. 717 et s., juge McLachlin.
“Voir ibid. aux pp. 658-59, juge L’Heureux-Dub6.
1998]
J. WOEHRLING – ACCOMMODEMENT ET DIVERSITE RELIGIEUSE
369
une possibilit6 d’ing6rence coercitive de l’ttat dans le ,
8 L.R.Cn 1970, c. L,13.
“9 Supra note 163.
1998]
J. WOEHRLING – ACCOMMODEMENTETDIVERSITERELIGIEUSE
371
preserver la s6curit6, l’ordre, la sant6 ou les mceurs publics ou les libert~s et
droits fondamentaux d’autrui, nul ne peut 8tre forc6 d’agir contrairement a ses
croyances ou a sa conscience.
Une majorit6 religieuse, ou l’ttat sa demande, ne peut, pour des motifs reli-
gieux, imposer sa propre conception de ce qui est bon et vrai aux citoyens qui
ne partagent pas le m~me point de vue. La Charte protege les minorit6s reli-
gieuses contre la menace de
Dans la mesure oil elle astreint l’ensemble de la population a un idal sectaire
chr6tien, la Loi sur le dimanche exerce une forme de coercition contraire A
l’esprit de la Charte et a la dignit6 de tous les non-chrdtiens. En retenant les
prescriptions de la foi chr6tienne, la Loi cr6e un climat hostile aux Canadiens
non chr6tiens et parait en outre discriminatoire a leur 6gard. Elle fait appel a
des valeurs religieuses enracin6es dans la moralit6 chr6tienne et les transforme,
grAce au pouvoir de l’Etat, en droit positif applicable aux croyants comme aux
incroyants. Le contenu thdologique de la Loi est un rappel subtil et constant
aux minoritds religieuses canadiennes des diff6rences qui les s6parent de la
culture religieuse dominante.
Pour des motifs religieux, on interdit aux non-chr6tiens d’exercer des activit6s
par ailleurs 16gales, morales et normales. L’Etat exige de tous qu’ils se sou-
viennent du jour du Seigneur des chr6tiens et qu’ils le sanctifient. Or, prot6ger
une religion sans accorder la m~me protection aux autres religions a pour effet
de crder une indgalit6 destructrice de la libert6 de religion dans la socidt6 ‘7 .
Cette d6finition donne
la libert6 de religion deux composantes. En premier lieu,
on constate une libert6 positive et n6gative d’exercice de la religion (ou dibre exer-
cicero) ; le contenu positif correspond
la libert6 d’avoir des croyances religieuses, de
les professer ouvertement et de les manifester par leur mise en pratique, par le culte et
par leur enseignement et leur propagation; le contenu n6gatif correspond au droit de
ne pas 6tre force, directement ou indirectement, d’embrasser une conception reli-
gieuse ou d’agir contrairement a ses croyances ou a sa conscience” ‘.
En second lieu, la libert6 de religion impose une obligation de neutralit6
l’Etat
en mati~re religieuse qui l’emp~che de privildgier ou de d6favoriser une religion par
rapport aux autres ; c’est manifestement ce que veut dire le juge Dickson lorsqu’il af-
firme que
[…] prot~ger une religion sans accorder la m~me protection aux autres re-
ligions a pour effet de cr6er une in6galit6 destructrice de la libert6 de religion dans la
soci6t&'”. On a d6jh soulign6 qu’au moment de l’arr&t Big M Drug Mart, l’article 15
de la Charte canadienne garantissant le droit A l’6galit6 sans discrimination fondde
sur la religion n’6tait pas encore en vigueur, si bien que l’in6galit6 naissant de
l’absence de neutralit6 de l’ttat dans cette affaire devait 6tre consid6r6e comme 6tant
incompatible avec la libert6 de religion elle-m6me plut6t qu’avec.le droit h l’6galit6′”.
“”Big M Drug Mart, supra note 103 aux pp. 336-37, juge en chef Dickson.
” Quelques pages plus loin, le juge en chef Dickson ajoutera : [Ila m~me protection s’applique,
pour les mdmes motifs, aux expressions et manifestations d’incroyance et au refus d’observer les pra-
tiques religieuses> (ibid. a la p. 347).
‘7-Ibid a la p. 337.
” Cependan4 voirsupra note 150.
372
MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE MCGILL
[Vol. 43
Les deux composantes de la libert6 de religion mentionn6es par le juge Dickson
en sont pour ainsi dire les 616ments constitutifs naturels, en ce sens qu’ils d6coulent
logiquement et in6vitablement de l’objet de cette libert6. Pour ie libre exercice, cela
est si 6vident qu’aucune d6monstration n’est n6cessaire. Pour ce qui est de l’exigence
de neutralit6 de ‘IEtat, sa n6cessit6 provient de ce qu’une intervention 6tatique volon-
taire en faveur d’une religion cr6e une pression incompatible avec ]a libert6 de reli-
gion de ceux dont la religion n’est pas favoris6e. On comprend donc que l’obligation
de neutralit6 d6coule d’une certaine manire du droit au libre exercice, puisque le fait
pour l’ltat d’endosser une religion particulire a pour effet de limiter le contenu n6-
gatif de la libert6 d’exercice de ceux qui n’en sont pas les fid’les. Le caract~re inh6-
rent de ces deux composantes est 6galement attest6 par le fait qu’on les retrouve dans
les syst~mes juridiques et constitutionnels d’autres d6mocraties lib6rales, avec, pour
ce qui est du principe de neutralit6, une formulation variable et un contenu qui pr6-
sente certains 616ments constants, mais varie quant au reste d’un pays h l’autre en
fonction de 1’exp6rience historique de chacun et de la situation concr~te des diverses
religions qu’on y trouve. Ainsi, aux Etats-Unis, le premier Amendement de la Cons-
titution 6nonce la libert6 de religion sous la double forme d’une clause de libre exer-
cice (free exercise clause) et d’une clause de non-6tablissement (establishment
clause), cette dernire jouant, avec certaines diff6rences, le r6le que joue au Canada le
principe de neutralit6 6nonc6 par le juge Dickson’7″. De m~me, en France, la libert6 de
religion contient le principe de lalcit6, qui constitue la forme frangaise du principe de
neutralit6, et celui de la libert6 des cultes, qui correspond au libre exercice de la reli-
gion’7 .
Dans l’affaire Big M Drug Mart, le procureur g6n6ral du Canada, dans le but de
d6fendre la validit6 de ]a Loi sur le dimanche, soulignait le fait qu’h la diff6rence du
premier Amendement am6ricain, Particle 2(a) de la Charte canadienne ne contient
pas de clause de non-6tablissement>> expresse et pr6tendait qu’il fallait en conclure
que la protection de la libert6 de religion, au Canada, ne vise que le libre exercice. Le
juge Dickson lui r6pondit de la fagon suivante :
Selon moi, la libert6 de conscience et de religion garantie par la Charte ne d6-
pend nullement de la pr6sence ou de l’absence dans la Constitution canadienne
d’un <(principe de non-6tablissement d'une religion>> qui ne peut qu’obscurcir
davantage un domaine d6j compliqu6 du droit. Quant A l’acceptabilit6 d’une
loi ou d’une mesure gouvernementale qui pourrait tre qualifi6e de contribution
‘7’ U.S. Const. amend. I :
‘- Sur la libert6 de religion en France, voir notamment J. Robert et J. Duffar, Droits de l’1omme et
libertdsfondamentales, Paris, Montchrestien, 1993 a lap. 508 et s.
1998]
J. WOEHRLING – ACCOMMODEMENT ETDIVERSITE RELIGIEUSE
373
de l’ltat en faveur de la religion ou des activit6s religieuses, cette question de-
vra 8tre tranch6e en fonction de chaque cas particulier’76 .
Comme on le constate,
le juge Dickson 6vite de r6pondre directement a
l’argument. 11 se contente d’affirmer que le principe de neutralit6, dans ]a mesure oi il
est reconnu, ne saurait 6tre consid6r6 comme absolu, pas plus d’ailleurs que n’importe
quel autre principe en mati~re de droits de la personne. Et de fait, ce relativisme est
encore plus accentu6 dans le cadre de la Constitution canadienne, en raison notam-
ment de
‘article 93 de la Loi constitutionnelle de 1867 qui consacre certains droits
confessionnaux aux catholiques et aux protestants en mati6re d’6ducation. Le prin-
cipe de neutralit6 est donc forc6ment moins rigoureux au Canada qu’aux Etats-Unis1″.
I1 est vrai que la port6e de l’arr&t Big M Drug Mart est limit6e puisqu’il signifie es-
sentiellement que l’ltat ne peut contraindre a la pratique d’un culte par des mesures
p6nales'”‘. Cependant, deux d6cisions post6rieures de la Cour d’appel de l’Ontario
montrent que l’obligation de neutralit6 a 6galement des cons6quences plus larges.
Dans Zylberberg c. Sudbury Board of Education”‘, la Cour d’appel d’Ontario a
jug6 inconstitutionnel, car incompatible avec
‘article 2(a) de la Charte canadienne,
un r~glement scolaire pr6voyant la r6citation de pri~res chr6tiennes A l’cole publique
non confessionnelle, et ceci malgr6 la possibilit6 pour les parents qui le d6siraient
d’obtenir une exemption pour leurs enfants. La Cour a consid6r que le r~glement
exergait une forme de pression indirecte sur les parents et les 616ves en les poussant i
se conformer au comportement religieux majoritaire ce qui, en pratique, les ferait h6-
siter a r6clamer le b6n6fice de l’exemption.
‘7 Big M Drug Mart, supra note 103 h la p. 341.
‘”Voir les notes 25-27 et le texte correspondant.
‘7’ Dans le m~me sens, voir Brun et Tremblay, supra note 144 aux pp. 1009-11. Ces auteurs parlent,
propos de l’obligation de neutralit, de l’ltat en matire religieuse, de principe de ola s6paration de
l’glise et de I’ttato. Cette terminologie leur est, jusqu’A pr6sent, rest6e propre et ne se retrouve nulle
part ailleurs, ni en doctrine ni en jurisprudence canadienne ou qu6b6coise. Un autre auteur, le profes-
seur Black, souligne que, m~me s’il fallait conclure qu’aucune obligation de neutralit6 en mati~re re-
ligieuse ne d6coule de l’article 2(a) de la Charte, une telle obligation s’imposerait par ailleurs en vertu
de l’article 15, qui prohibe les distinctions discriminatoires fond6es sur la religion. Voir W.W. Black,
vReligion and the Right of Equality> dans A.F. Bayefsky et M. Eberts, dir., Equality Rights and the
Canadian Charter of Rights and Freedoms, Toronto, Carswell, 1985, 131
la p. 170. Dans le m~me
ordre d’id6es, l’obligation de neutralit6 de l’ttat en mati~re religicuse d6coule 6galement, outre les
articles 2(a) et 15 de la Charte, de P’article 27 sur le multiculturalisme. En effet, dans la mesure oi la
religion fait partie de la culture, le respect du multiculturalisme est incompatible avec le fait de favori-
ser certaines religions par rapport d’autres. C’est ce qu’a reconnu le juge en chef Dickson dans
l’affaire Big M Drug Mart, supra note 103 aux pp. 337-38.
‘ Voir Big M Drug Mart, ibid. lap. 347, juge en chef Dickson.
(1988), 65 O.R. (2′) 641, 52 D.L.R. (4′) 577 (C.A. Ont.) [ci-apr s Zylberberg], suivi dans Russow
c. Colombie-Britannique (PG.) (1989), 35 B.C.L.R. (2′) 29, 62 D.L.R. (4′) 98 (C.S. C.-B.) [ci-apr~s
Russow] et dans Manitoba Association for Rights and Liberties Inc. c. Manitoba (1992), 94 D.L.R.
(4’) 678 (B.R. Man.).
MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROITDE MCGILL
[Vol. 43
Dans l’affaire Canadian Civil Liberties Association c. Ontario (Minister of Edu-
cation)”‘, la Cour d’appel de l’Ontario ajug6 contraire h l’article 2(a) de la Charte ca-
nadienne un r~glement adopt6 en vertu de la loi scolaire de l’Ontario, voulant que les
61ves reroivent un enseignement religieux dans les 6coles publiques, moins que les
parents ne demandent une exemption. La Cour a consid6r6 que les dispositions con-
cernant l’exemption n’6taient pas de nature
pression du conformisme pourrait dissuader certains parents de s’en pr6valoir par
.peur d’un stigmate social. La Cour a soulignd la diff6rence qu’il y avait entre, d’une
part, une 6ducation religieuse, qui vise un endoctrinement dans une religion donn6e et
qui viole la libert6 de religion et, d’autre part, l’enseignement pluraliste des religions
qui est constitutionnellement permise
sauver le r~glement, 6tant donn6 que la
l’6cole publique”‘.
I1 faut souligner, avant d’aller plus loin, que ces deux d6ecisions ne visent 6vi-
demment ni les 6coles priv6es'”, ni
les 6coles publiques confessionnelles dont
l’existence est prot6g6e par l’article 93 de la Loi constitutionnelle de 1867′”. Ces deux
catdgories d’6coles peuvent bien stir instaurer des exercices religieux et fournir une
instruction religieuse.
Le raisonnement de la Cour dans ces deux affaires montre que, pour imposer a
l’ttat une obligation de neutralit6 en mati~re religieuse, les tribunaux peuvent soit se
fonder sur un principe de neutralit6 reconnu en tant que tel, soit invoquer le droit au
libre exercice de la religion sous sa forme n6gative'”. Dans le premier cas, toute forme
tre consid6r6e comme interdite ;
d’appui significatif de l’ttat une religion pourrait
,, (1990), 71 O.R. (2’) 341, 65 D.L.R. (4) 1 (C.A. Ont.) [ci-aprbs Canadian Civil Liberties Asso-
ciation].
‘ Pour d’autres decisions faisant appel au principe de neutralit6 de l’ttat en mati~re religicuse (par-
fois sous le nom de principe de lalcitd), voir notamment Reed c. Canada, [1989] 3 C.E 259,2 C.T.C.
192 (C.F. (1′ inst.)), autorisation de pourvoi devant la Cour supreme refus6e [1990] 2 R.C.S. x ;
O’Sullivan c. M.R.N., [1992] 1 C.E 522, 84 D.L.R. (4) 124 (C.F. (1′ inst.)) ; Roach c. Canada (Mi-
nistre d’etat (Multiculturalisme et Citoyennetd)), [1992] 2 C.E 173, 88 D.LR. (4) 225 (C.F. (I’
inst.)) ; Ouaknine c. Elbilia (1981), C.S. 32.
‘” Dans
‘affaire R. c. Jones, [1986] 2 R.C.S. 284, 31 D.L.R. (4’) 569 [ci-aprbs Jones avec renvois
aux R.C.S.], la Cour supreme, de fagon implicite, a fait d6couler de l’article 2(a) de la Charte cana-
dienne le droit des parents de ne pas envoyer leurs enfants A I’Hcole publique et de leur donner un en-
seignement religieux dans une dcole priv~e ou Ai la maison, h condition qu’il ffit ,appropri6o. Quant a
la Charte qudbdcoise elle contient un article 42 qui se lit ainsi : 4,[I]es
parents ou les personnes qui en
tiennent lieu ont le droit de choisir pour leurs enfants des 6tablissements d’enseignement priv~s, pour-
vu que ces 6tablissements se conforment aux normes prescrites ou approuves en vertu de la loin. I!
s’agit donc d’un droit qui est assujetti aux normes pr6vues par la loi.
‘”Supra note 25. Voir supra notes 25-27 et le texte correspondant.
M~me aux Etats-Unis, oii le premier Amendement contient une clause expresse de non-
dtablissement que les tribunaux invoquent pour fonder l’obligation de neutralit6 de I’ttat en mati~re
religieuse, certains auteurs consid~rent qu’ils pourraient 6galement faire d~couler cette mame obliga-
tion de la clause de libre exercice ; voir P.W. logg, Constitutional Law of Canada, 5′ 6d., Scarbo-
rough, Carswell, 1997 A la p. 810. De fagon plus g~n6rale, la doctrine et la jurisprudence amdricaine
admettent qu’il existe certains chevauchements entre la clause de libre exercice et la clause de non-
6tablissement, certaines consdquences juridiques pouvant 8tre considres comme d~coulant ii la fois
de l’une et de I’autre.
1998]
J. WOEHRLING – ACCOMMODEMENT ET DIVERSIT- RELIGIEUSE
375
par consequent, l’obligation de neutralit6 fond6e sur une norme constitutionnelle sp6-
8tre rigoureuse, comme le d6montre l’exemple am6ricain. Au con-
cifique tendra
traire, dans le deuxi~me cas, si l’on fait d6couler l’obligation de neutralit6 du droit au
libre exercice de la religion, il sera n6cessaire de d6montrer, pour contester un appui
quelconque apport6 par l’Etat ii une religion, qu’il a pour effet de cr6er une pression
sociale qui limite de faon significative la libert6 d’exercice n6gative de ceux qui
n’adh~rent pas i cette religion. Or, toutes les formes d’appui 6tatique h une religion
n’ont pas cet effet. Par cons6quent, l’obligation de neutralit6 qui trouve sa source dans
le libre exercice sera moins rigoureuse que celle fond6e sur un principe autonome de
neutralit6.
La diff6rence entre le caract~re strict du principe de non-6tablissement qui existe
aux Etats-Unis et le caract~re plus relatif de l’obligation de neutralit6 religieuse qui
d6coule de la libert6 de conscience et de religion au Canada est illustrde de la fagon
suivante par le professeur Hogg. Aux Etats-Unis, la clause de non-6tablissement est
consid6r~e comme interdisant toute aide financi~re directe de l’ttat aux 6coles con-
fessionnelles. Au Canada, les 6coles confessionnelles prot6g6es par l’article 93 de la
Loi constitutionnelle de 1867’ ont, au contraire, un droit constitutionnel au finance-
ment public. Quant aux 6coles confessionnelles non visees par cette disposition, le
principe de neutralit6 religieuse d6coulant de la libert6 de conscience et de religion
i condition qu’il le fasse sans
n’interdirait pas h l’ttat de les aider financi~rement,
privil6gier ni d6favoriser aucune religion par rapport aux autres'”. Selon ce point de
vue, le principe strict de non-6tablissement, tel qu’il s’applique aux ttats-Unis, prohi-
berait toute aide 6tatique i la religion, m~me dispens6e de faqon dgalitaire, alors que
le principe de neutralit6 d6coulant du libre exercice ne prohiberait que les formes
d’aide h une ou plusieurs religions qui entraineraient une contrainte directe ou indi-
recte sur ceux qui n’y adherent pas.
2.
‘obligation d’accommodement ou d’adaptation comme 616ment
constitutif du droit au libre exercice
Dans les arr~ts Big M Drug Mart” et Edwards Books”‘, la Cour supreme a recon-
nu, en obiter, que lorsqu’une loi qui poursuit un objectif s6culier valide entraine
n6anmoins des effets restrictifs sur la libert6 de religion de certaines personnes, celles-
ci ont le droit d’obtenir des accommodements A condition qu’ils soient compatibles
avec l’int6r~t public. L’accommodement sera refus6 si le gouvernement r~ussit h d6-
montrer qu’il est n6cessaire que la r~gle de droit en cause s’applique sans exception
“‘Supra note 25. Voir supra notes 25-27 et le texte correspondant.
“”Voir Hogg, supra note 185 aux pp. 810-11 ; dans Big M Drug Mart, supra note 103 aux pp. 340-
41, lejuge en chef Dickson laisse express6ment ouverte la question de savoir si la Charte canadienne
I’tat de soutenir financi~rement des institutions religieuses autres que celles vis~es par
permet
l’article 93 de Ia Loi constitutionnelle de 1867, ibid. ; la question n’a pas davantage 6t tranch6e dans
Adler, supra note 131, oil ia Cour supreme a par contre d~cid6 que la Charte canadienne n’obligeait
pas l’ttat A fournir un tel soutien financier.
“”Supra note 103.
” Supra note 33.
376
MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE MCGILL
[Vol. 43
ou, comme dans l’affaire Edwards Books, sans exception suppl6mentaire i celles d6jh
pr6vues par le 16gislateur.
Dans l’affaire Edwards Books, on contestait la validit6 de ]a Loi sur lesjoursfj-
ris dans le commerce de ditail'”‘ de l’Ontario, qui prohibait l’ouverture des commer-
ces le dimanche. Les exemptions pr6vues dans la loi visaient uniquement les com-
merces de petite taille fermant le samedi. Saisie de la mime question avant la Cour
supreme, la Cour d’appel de l’Ontario, dans l’arr~t Videoflicks, 6tait arriv6e A la con-
clusion que la loi restreignait la libert6 de religion des propri6taires de commerce de
foi juive qui ne pouvaient se pr6valoir des exceptions prdvues dans la loi et qui, pour
se conformer sinc~rement aux pr6ceptes de leur religion, n’ouvraient pas leur com-
merce le samedi. La Cour avait doncjug6 que la loi 6tait inop6rante en ce qui les con-
cernait, ce qui revenait a accorder a ces personnes une exemption constitutionnelle ?
l’6gard de l’application de ]a loi, dans la mesure oil celle-ci violait leur libert6 de reli-
gion.
Cette d6cision de la Cour d’appel de l’Ontario a 6t6 renvers6e par la Cour su-
prome dans l’arrt Edwards Books. A la majorit6, ]a juge Wilson dissidente sur ce
point, la Cour a jug6 ]a loi valide sans ajouter d’exemptions A celles pr6vues par le 16-
gislateur. La Cour commenga par reconnaitre que l’objectif s6culier de la loi –
pro-
curer un jour de repos hebdomadaire commun a tous les travailleurs –
6tait valide.
Cependant, par ses effets, la loi restreignait la libert6 de religion de ceux qui obser-
vaient le sabbat en leur imposant un fardeau financier suppl6mentaire puisqu’ils de-
vaient fermer leur commerce un jour de plus que ceux qui observaient le dimanche
comme jour religieux. Ensuite, tout en reconnaissant que le 16gislateur ontarien 6tait
tenu d’accommoder, dans ]a mesure du possible, ceux dont la religion les obligeait A
fermer un autre jour que le dimanche, le juge en chef Dickson et les juges Chouinard
et Le Dain estim~rent que les exemptions d6ja pr6vues dans la loi constituaient un ac-
commodement suffisant et que l’addition d’exemptions suppl6mentaires mettrait en
danger 1’efficacit6 des mesures 16gislatives en cause (le juge La Forest consid6rant
quant A lui que la loi serait valide m~me si elle ne contenait aucune exemption). Au
contraire, la Cour d’appel et la juge Wilson ont jug6 que le 16gislateur n’6tait pas al16
assez loin dans la voie de l’accommodement et qu’il aurait di accorder l’exemption
tous les commergants qui ferment le samedi pour des raisons religieuses, quelle que
soit la taille de leur commerce. Notons que, par la suite, le 16gislateur ontarien a, de sa
propre initiative, modifi6 la loi pour 6tendre l’exemption sabbatique a tous les com-
merces, quelle que soit leur taille, fermant un autre jour que le dimanche pour des rai-
sons religieuses”‘.
Dans l’affaire Adler, lajuge L’Heureux-Dub6 a conclu, en s’appuyant notamment
sur les motifs du juge Dickson dans l’arr~t Edwards Books, qu’un droit ai
l’accommodement en mati~re religieuse d6coulait autant de l’article 2(a) de la Charte
‘o LR.O. 1980, c. 453.
“‘ La loi ainsi modifife fut a nouveau contestde, mais ddclarde valide par la Cour d’appel do
I’Ontario dans Peel (Regional Municipality) c. Great Atlantic & Pacific Co. of Canada (1991), 2 O.R.
(3′) 65,78 D.L.R. (4′) 333 (C.A.) [ci-apr6s Peel].
1998]
J. WOEHRLING – ACCOMMODEMENTET DIVERSITE RELIGIEUSE
377
canadienne’- que de ‘article 15 ; la nature de l’accommodement 6tait cependant dif-
f6rente dans les deux cas 3 .
En outre, la plupart des auteurs s’accordent A analyser l’arrt Edwards Books
comme 6tablissant que l’article 2(a) de la Charte canadienne entraine une obligation
d’accommodement raisonnable A la charge de l’ttat en faveur des personnes dont la
libert6 de religion est restreinte par les effets d’une loi dont l’objectif est s6culier et
valide. Ainsi, le professeur Hogg s’exprime comme suit:
The […] Sunday-closing cases […] establish that there is a constitutional obli-
gation under s. 2a) to accommodate those persons whose religion calls for ob-
servance of a sabbath other than Sunday. […] However, there are many other
practices that have a religious compulsion for a minority religion […] such as
(to take examples from pre-Charter cases), refusing to salute the flag or sing the
national anthem, distributing proselytizing tracts, chanting a mantra, or holding
land communally. Such practices could, and therefore should, be tolerated by
the majority. Where there is no compelling governmental interest to the con-
trary, s. 2a) of the Charter would require the law to accommodate minority re-
ligions by according exemptions for their practices”. [notes omises]
Les professeurs Brun et Tremblay appellent objection de conscience>> le droit de
il ana-
r6clamer un accommodement ou une adaptation pour des raisons religieuses,
lysent cette notion de la fagon suivante :
L’objection de conscience fait penser a priori la possibilit6 de se soustraire au
service militaire. Elle est toutefois bien plus que cela. Elle est en fait rangle
sous lequel la libert6 de religion a aujourd’hui le plus de port~e.
L’objection de conscience est la possibilit6 de se soustraire
la loi ou une r6-
gle de r6gie interne pour des raisons de religion […]. Le droit constitutionnel
canadien reconnait qu’une r~gle neutre puisse effectivement ne pas s’appliquer
une ou quelques personnes parce qu’elle engendre des effets n6gatifs sur la
religion ou conscience de ces personnes [
l’appui, les auteurs mentionnent
notamment les affaires Big M Drug Mart et Edwards Books]. Cette institution,
que les d6cisions de la Cour supreme appellent
porte aussi le nom d’objection de conscience “‘ .
A notre connaissance, il n’existe pas de d6cisions sugg6rant qu’un droit
l’accommodement en mati~re religieuse d6coule de l’article 3 de la Charte quibi-
coise, mais il n’y a aucune raison de penser que tel n’est pas le cas, 6tant donn6 que
les dispositions reconnaissant la libert6 de religion y sont 6nonc6es en termes sembla-
bles A ceux de l’article 2(a) de la Charte canadienne et que les principes
d’interpr6tation applicables aux deux dispositions sont les mames. Par ailleurs,
‘”Supra note 2.
‘9 3VoirAdler, supra note 131 aux pp. 658-59, juge L’Heureux-Dub6.
‘1 Hogg, supra note 185 A lap. 806.
” Brun et Tremblay, supra note 144 A la p. 1011 ; pour une prdsentation plus d6velopp6e de la
m~me notion, voir H. Brun,
378
MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE MCGILL
[Vol. 43
comme nous l’avons vu auparavant, il existe de nombreuses d6cisions h l’effet qu’une
obligation d’accommodement d6coule de l’article 10 de la Charte qudbdcoise, garan-
tissant le droit t l’6galit6, notamment dans le cas d’une discrimination indirecte fon-
d6e sur la religion” .
3. Les contradictions susceptibles de surgir entre
d’accommodement et I’obligation de neutralit6
l’obligation
L’obligation d’accommodement amine celui h qui elle s’impose, qu’il s’agisse de
l’ttat ou d’une personne privde, A devoir modifier des normes pour tenir compte de
certaines pratiques religieuses. Dans le cas de l’Etat, pareille adaptation des normes
ou des politiques publiques aux exigences d’une religion revient a faciliter, et donc a
favoriser, l’exercice de celle-ci, ce qui peut logiquement 6tre consid6r6 comme con-
traire au principe de neutralit6. I1 existe ainsi une contradiction potentielle entre
l’obligation d’accommodement et celle de neutralit 6″. Cette difficult6 est abord6e par
les auteurs am6ricains qui traitent de la libert6 de religion et qui soulignent
l’antagonisme naturel (natural antagonism) qui existe, dans le cadre du premier
Amendement, entre la clause de libre exercice et la clause de non-6tablissement”‘.
” Voir Bergevin, supra note 9 oil la Cour supreme du Canada a jug6 qu’une obligation
d’accommodement d coule de l’article 10 de la Charte qudbdcoise en cas de discrimination indirecte
fond6e sur la religion ; voir 6galement Smart, supra note 81. Cependant, il faut noter que, dans ces
deux affaires, robligation d’accommodement est mise A la charge d’employeurs publics ou privds
plut6t que du l6gislateur iui-m~me, comme c’6tait le cas dans l’affaire Edwards Books, supra note 33.
Rappelons 6galement que la Commission des droits de la personne du Qu6bec, dans un document
adopt6 en 1991 et portant sur les obligations des autoritds carcdrales relativement au rdgime alimen-
taire des d6tenus de foi h6bra’que, supra note 34, affirme qu’une obligation d’accommodement d6-
coule de la libert6 de religion garantie par l’article 3 de ia Charte qudbdcoise, supra note 3.
“? On pourrait 6galement pr6tendre que les accommodements consentis en faveur d’un groupe reli-
gieux, comme par exemple l’exemption d’application d’une loi prohibant l’ouverture des commerces
le dimanche au b~ndfice des commergants juifs (voir Videoflicks, supra note 33), sont contraires au
droit A l’6galit6 puisqu’ils cr~ent un ,,privilege>> fond6 sur la religion. La r6ponse h cet argument est
que 1’6galit6 rdelle exige tr s souvent une diffdrence de traitement et que, dans bien des cas, c’est
l’identit6 de traitement qui entraine l’in6galit6 lorsque la m~me rfgle est appliqude a la minorit6 et h la
majorit ou, plus g6n6ralement, A deux cat6gorics de personnes qui sont dans une situation diff6rente.
Le concept de discrimination indirecte vise pr6cis6ment ces cas et la solution r6side alors, lorsque ia
loi est justifiable et raisonnable, dans l’adoption d’un accommodement raisonnable pour ceux h
l’gard desquels elle entrane une discrimination indirecte. Dans l’arrt Big M Drug Mart, supra note
103 a la p. 347, le juge en chef Dickson s’exprime de la fagon suivante sur ce sujet : [I]’6galit6 n6-
cessaire pour soutenir la libert6 de religion n’exige pas que toutes les religions regoivent un traitement
identique. En fait, la v&itable 6galit6 peut fort bien exiger qu’elles soient trait6es diff6remment-.
‘” Voir Tribe, supra note 174 h la p. 1157 qui 6crit: […] serious tension has often surfaced between
the two clauses. […] A pervasive difficulty in the constitutional jurisprudence of the religion clauses
has accordingly been the struggle “to find a neutral course between the two Religion Clauses, both of
which are cast in absolute terms, and either of which, if expanded to a logical extreme, would tend to
clash with the other”>> [citant Walz c. Tax Commission of the City of New York, 397 U.S. 664 aux para.
668-69 (1970)]. Voir aussi Nowak, Rotunda et Young, supra note 174 A la p. 1029:
1998]
J. WOEHRLING – ACCOMMODEMENTET DIVERSIT- RELIGIEUSE
379
Ainsi, les deux principes constitutifs de Ia libert6 de religion –
libre exercice et
neutralit6 de l’Etat – doivent 6tre consid6r6s comme mutuellement limitatifs, puisque
l’un entrainerait fatalement la n6gation de
le fait de donner une amplitude maximale
l’autre. L’obligation de neutralit6 de l’ltat en mati~re religieuse doit 8tre limit6e par
l’obligation d’accommodement, laquelle justifie certaines formes d’assistance 6tati-
que aux religions. Inversement, l’obligation d’accommodement doit atre circonscrite
par celle de neutralit6, si l’on veut 6viter que les adaptations consenties au profit d’une
religion n’aillentjusqu’ constituer une aide 6tatique indue en sa faveur.
D’un point de vue tactique et rh6torique, un tel raisonnement serait fort utile pour
certaines formes d’accommodement, par exemple au
celui qui voudrait s’opposer
port des signes religieux dans certains espaces publics comme les 6coles publiques.
En effet, le refus de telles pratiques pourrait alors se faire au nom de la libert6 de reli-
gion elle-m~me, comprise comme exigeant la neutralit6 de l’ltat en mati~re reli-
gieuse, plut6t qu’en invoquant des consid6rations moins sympathiques comme les n6-
cessit6s de la discipline scolaire ou du maintien de l’ordre public.
I1 faut cependant 6tre prudent dans ce genre de d6marche, car en droit canadien
comme en droit am6ricain et en droit frangais, dans les cas oil les deux composantes
de ]a libert6 de religion s’opposent, il semble que l’on tende a donner la primaut6 au
libre exercice sur le principe de neutralit6. Le professeur Tribe analyse de la faqon
suivante la situation aux Etats-Unis :
In attempting to distinguish between situations where accommodation of pro-
grams to religious needs has been held excessive and those where it has been
held permissible or even mandatory, it is helpful to posit a dichotomy between
governmental actions arguably (even if not beyond doubt) compelled by the
free exercise clause, and governmental actions supportive of religion in a way
clearly not mandated by free exercise. Actions <(arguably compelled by free
exercise are not forbidden by the establishment clause' .
La m~me opinion est exprim6e par un autre sp6cialiste am6ricain de la libert6 de reli-
gion, le professeur Durham :
The focal point [...] is the extent to which the state can accommodate religious
practices. The stricter separationists tend to view virtually any form of accom-
modation of religion, except those that are required by the free exercise clause,
as an impermissible establishment of religion. The difficulty is that with the
growth of the affirmative, regulatory state since the Great Depression, state ac-
There is a natural antagonism between a command not to establish religion and a
command not to inhibit its practice. This tension between the clauses often leaves the
Court with having to chose between competing values in religion cases. The general
guide here is the concept of <
ment act to achieve only secular goals and that it achieve them in a religiously neutral
manner. Unfortunately, situations arise where government may have no choice but to
incidentally help or hinder religious groups or practices. […J insistence on avoiding in-
cidental aid to religion is likely to inhibit its free exercice. Similarly, requiring a great
degree of government accommodation of religious practices might result in impermis-
sible aid to religion.
‘ Tribe, supra note 174 A lap. 1168.
380
MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE MCGILL
[Vol. 43
tion or influence is increasingly pervasive. Wooden interpretations of church-
state separation that find violations of the establishment clause in any overlap
of religion and state action, or in efforts to exempt religion from otherwise ap-
plicable regulations, have the effect of confining religion in an ever narrower
portion of social space. The heightened density of state influence in social life
thus appears to support the argument for a more accommodationist approach to
establishment clause interpretation. If this adjustment in the interpretation of
the establishment clause is not made, religious freedom is progressively nar-
rowed as a result of the sheer proliferation of state activity ‘.
Si Pon estime, en droit am6ricain, que le principe de non-6tablissement ne devrait
pas s’opposer aux accommodements justifi6s par le droit au libre exercice, la mame
position devrait s’imposer avec encore plus de force au Canada i cause du caract~re
non explicite du principe de neutralit6, de l’article 93 de Ia Loi constitutionnelle de
1867″‘ et de l’historique des rapports entre l’ttat et les tglises ‘ . Par cons6quent, pour
reprendre 1’exemple donn6 pr6c6demment, si l’autorisation de certains signes reli-
gieux dans les 6coles publiques 6tait r6clam6 ? titre d’accommodement justifi6 par la
libert6 de religion, on ne pourrait que difficilement s’y opposer en se fondant sur le
principe de la neutralit6 de l’ttat en mati~re religieuse ‘ .
On arrive a la meme conclusion si l’on se fie a l’exemple du droit frangais. En ef-
fet, la fagon dont a 6t6 trait6e en France la question du hijab au cours des derni~res
ann6es montre que le principe de la’fcit6 n’est pas consid6r6 par les juristes frangais
comme justifiant l’interdiction de ce genre de signes religieux. C’est ainsi que, dans
un avis du 27 novembre 1989’
, l’Assembl6e g6n6rale du Conseil d’ttat a 6t6 amen6e
Durham, supra note 131 aux pp. 630-31.
Voir supra notes 25-27 et le texte correspondant.
Brun et Tremblay, supra note 144 A la p. 1010 ; Hogg, supra note 185 i la p. 811 ; Black, supra
note 178 a la p. 165 ; et I. Cotler,
dir., supra note 122, 165 A la p. 201 insistent tous pour dire que le principe de neutralit6, dans la me-
sure oil il est reconnu au Canada, doit 8tre consid6r6 comme moins rigoureux que le principe de non-
6tablissement aux Etats-Unis. Voir 6galement Horwitz, supra note 14 aux pp. 60-61 :
aid to religion should be constrained by only two considerations. It must not create an
“element of religious compulsion” on the part of any believers or non-believers in a
given faith. Also, while government aid may properly create the impression that the
state is as supportive of religion as it is of other mediating institutions, it should not
create the impression that it has singled out a particular faith, or religiosity over non-
religiosity, for endorsement. Endorsement, even if it does not compel behaviour on the
part of the minority, defeats the pluralism and multicultural ism that are a central part of
religion’s value to society [notes omises].
2,3 On pourrait par contre tenter de le faire, avec plus de chances de succzs, en invoquant la n6cessit6
de combattre les stdr6otypes et les attitudes sexistes.
Voir Cons. d’tat, 27 novembre 1989, Le principe de larcitd et les signes d’appartenance a tine
communautd religieuse dans les dcoles (1991) 3 R.U.D.H. 152 [ci-aprs Ddcision du Conseil d’ltat].
Pour un commentaire, voir J. Rivero,
Enfin, le Conseil d’ttat a 6nonc6 de la fagon suivante les limites qui s’imposent
la libert6 des 616ves de manifester,
l’6cole, leur appartenance une religion:
[s]on exercice peut 8tre limit6 dans la mesure o6i
il ferait obstacle A
l’accomplissement des missions d6volues par le 16gislateur au service public de
l’ducation, lequel doit notamment, outre permettre l’acquisition par I’enfant
d’une culture et sa pr6paration “i la vie professionnelle et A ses responsabilit6s
d’homme et de citoyen, contribuer au d6veloppement de sa personnalit6, lui in-
2 En f ait, pour dviter de s’exposer au grief de discrimination A I’dgard de l’islam, le ministre de
tous (des signes d’appartenance A une communaut6 re-
I’tAucation nationale avait 61argi la question
ligieuse >, bien que le probl~me ne se soit concr~tement soulev6 qu’
I’dgard du foulard islamique.
“” Ddcision du Conseil d’Etat, supra note 204.
20Ibid h la p. 153.
2 ‘ Ibid.
2yIbkI
382
MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROITDE MCGILL
[Vol. 43
culquer le respect de l’individu, de ses origines et de ses differences, garantir ct
favoriser l’6galitd entre les hommes et les femmes2 ‘.
Concernant plus sp6cialement le droit des 61ves d’afficher des signes manifestant
leur appartenance religieuse, le Conseil d’ttat pr6cise ensuite les limites qui peuvent y
6tre apport6es :
libert6 ne saurait permettre aux 61ves d’arborer des signes
cette
d’appartenance religieuse qui, par leur nature, par les conditions dans lesquel-
les ils seraient port6s, individuellement ou collectivement, ou par leur caract~re
ostentatoire ou revendicatif, constitueraient un acte de pression, de provocation,
de prosdlytisme ou de propagande, porteraient atteinte A la dignit6 ou
bert6 de l’61ve ou d’autres membres de la communaut6 6ducative, compro-
mettraient leur sant6 ou leur s6curit6, perturberaient le d6roulement des activi-
t~s d’enseignement et le r6le 6ducatif des enseignants, enfin troubleraient
l’ordre dans l’6tablissement ou le fonctionnement normal du service public2 ” .
la li-
Comme on le voit, le Conseil mentionne un grand nombre de justifications qui pour-
ront 8tre invoqu6es pour 16gitimer la limitation de la libert6 des 61ves de manifester
leurs croyances par le port de signes religieux. ttant donn6 leur caract~re vague, la
marge d’appr6ciation laiss6e aux autorit6s charg6es d’appliquer ces crit~res sera in-
6vitablement fort large, d’autant plus qu’il faudra tenir compte des circonstances pro-
pres a chaque situation. Ainsi, s’agissant des caract~res du signe lui-m~me, le simple
foulard sur les cheveux devrait plus difficilement 8tre consid6r6 comme ostentatoire
ou revendicatif que le tchador iranien ou le voile couvrant le visage jusqu’aux yeux
qui, au demeurant, pourraient perturber le d6roulement de i’enseignement en rendant
plus difficile l’identification des 616ves. S’agissant des conditions dans lesquelles les
signes sont port6s, le port collectif, qui ne semble pas constituer l’expression d’une
conviction personnelle, pourrait davantage passer pour
gu~re constituer un acte de pros6lytisme; le deviendrait-il s’il 6tait accompagn6 de
propos par lesquels le porteur invite ses camarades h suivre son exemple ? Enfin,
l’interdiction fond6e sur les r6actions hostiles que peut susciter, de la part des autres
616ves, le port d’un signe ne devrait 6tre consid6r6e qu’avec beaucoup de pr6cautions,
de peur de cautionner, voire d’encourager, des comportements discriminatoires ‘ .
Ce bref examen du droit frangais et am6ricain d6montre que, dans ces deux pays,
les juristes tendent nettement h hi6rarchiser la libert6 de conscience et de religion et le
principe de neutralit6 de l’Etat en mati~re religieuse pour faire pr6valoir la premiere
sur le second. I1 nous semble qu’en droit canadien et qu6b6cois 6galement, l’inverse
serait difficilement d6fendable, tant sur le plan juridique que sur le plan politique et
21(l Ibid.
211 Ibd
212 La question du port des signes religieux
I’6cole publique et, plus g6n6ralement, de la la’cit6
scolaire, a connu depuis 1989 d’autres p6rip~ties en France ; pour des articles faisant le point sur la
question, voir notamment D. Le Toumeau, < La La'cit6 a l'dpreuve de I'lslam : le cas du port du
"foulard islamique" dans l'dcole publique en Franceo (1997) 28 R.G.D. 275 ; C. Wiener,
Conseil d’Etat et l’dcole : d6mocrate ou r6publicain ?o (1997) 99 Petites Affiches 9.
1998]
J. WOEHRLING – ACCOMMODEMENT ET DIVERSITE RELIGIEUSE
383
moral. Cependant, comme le d6montre l’avis du Conseil d’Etat de 1989, le fait de re-
connaitre que la libert6 de conscience et de religion comprend le droit de manifester
ses convictions individuellement ou collectivement, dans l’espace public ou dans la
sphere privde, n’emp8che nullement de fixer certaines limites i ce droit. Ces limites
devront 6tre justifi6es en vertu des crit~res analys6s prdc6demment dans le cadre de la
d6fense de contrainte excessive et celui de la clause limitative des articles 1 de la
Charte canadienne et 9.1 de la Charte qudbicoise.
Si, par cons6quent, l’adaptation de normes publiques aux exigences d’une reli-
gion ne s’oppose pas
la neutralit6 de l’ttat en mati~re religieuse, cette derni~re peut
cependant justifier une pr6f6rence pour les accommodements ou exemptions libell6s
de fagon religieusement neutre, c’est–dire n’exigeant pas que ceux qui veulent en
b6n6ficier d6montrent la sinc6rit6 ou l’orthodoxie de leurs croyances. Par exemple,
une exemption sabbatique applicable aux commergants qui ferment boutique le same-
di, comme celle pr6vue dans la loi ontarienne contest6e dans l’affaire Edwards Books,
avait manifestement 6t adopt6e pour accommoder principalement les Juifs et les Ad-
ventistes du Septi~me Jour. Mais cette exemption pouvait 6tre invoqu~e par tout
commergant, quelle que soit sa religion (ou son irr6ligion), A condition qu’il ferme
son commerce le samedi. Dans Edwards Books, le juge en chef Dickson, au nom de la
majorit6, a indiqu6 qu’il pr6f6rait une exemption de ce genre A celle qui avait 6t6 rete-
nue dans la m~me affaire par la Cour d’appel de l’Ontario et qui supposait que soit
v6rifi6e, dans chaque cas, la sinc6rit6 des convictions religieuses de ceux qui en r6-
clameraient le b6n6fice ” .Le juge en chef Dickson a cependant admis que, dans cer-
tains cas, une v6rification de la sinc6rit6 religieuse des b6n6ficiaires potentiels serait
indvitable pour mettre en ceuvre une exemption ou un accommodement fond6 sur la
libert6 de religion :
[lies enqutes judiciaires portant sur des croyances religieuses sont la plupart
du temps in6vitables si l’on veut que les libertds garanties par l’al. 2a) de ia
11 y aura tou-
Constitution puissent 6tre revendiqu~es devant les tribunaux. […]
tefois des occasions oii l’on peut arriver une large mesure de libert6 religieuse
sans qu’il y ait n6cessairement une enqute de l’Etat sur des convictions reli-
gieuses personnelles et les Idgislateurs devraient 9tre encouragds & suivre cette
voie, si on veut atteindre un juste 6quilibre [nos italiques]’3.
Le fait de libeller une exemption en termes neutres du point de vue de la religion
peut cependant entrainer d’autres difficult6s et n’avoir pour effet que de d6placer le
223 Voir Edwards Books, supra note 33 A la p. 779, juge en chef Dickson. Le juge ajoute : <<[I]'avantage
frappant de la loi ontarienne est qu'elle permet au petit et au moyen d6taillant de b6n6ficier d'une
exemption sans avoir a se plier 4 une enquite semblable, [c'est--dire la vrification de la sincdritd des
croyances de celui qui veut b6n6ficier de l'exemption].>> Dans ‘affaire Peel, supra note 191, la Cour
d’appel de l’Ontario a jug6 que la loi ontarienne sur les jours fdri6s ne porte pas atteinte A la libert6 de
religion garantie par la Charte canadienne en pr6voyant qu’un commer~znt qui invoque r’exemption
peut 6tre invitd A justifier que sa conduite est fond~e sur des motifs religieux (ibid. aux pp. 77-78, juge
en chef Dubin). Cette loi avait td d6clarde valide dans Edwards Books mais avait n6anmoins 6t6 par
la suite modifide pour permettre
semaine pour des raisons religieuses.
tout commerce d’ouvrir le dimanche s’il ferme un autre jour de la
2 Edwards Books, ibid. A la p. 780, juge en chef Dickson.
384
MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROITDE MCGILL
[Vol. 43
probl~me. La portde d’une telle exemption sera forc6ment plus large, puisqu’elle b6-
n6ficiera
tous et non seulement aux membres de la minorit6 religieuse consid6r6e, si
bien que l’efficacit6 de la r~gle ou de la politique
laquelle elle permet de d6roger
risque d’6tre consid6rablement diminu6e. Si l’on permet A tous les commergants qui
ont ferm6 le samedi d’ouvrir le dimanche, l’objectif d’assurer un repos hebdomadaire
commun t tous les employ6s ne pourra plus 6tre atteint de fagon satisfaisante. C’est
pourquoi, A. l’origine, le l6gislateur ontarien avait limit6 l’exemption sabbatique aux
commerces inf6rieurs une certaine taille. Cependant, cette limitation avait pour effet
d’exclure les commergants juifs ou adventistes propri6taires d’une entreprise d6pas-
sant les normes pr6vues, meme s’ils avaient ferm6 leur commerce le samedi pour des
raisons religieuses sinc~res. De fagon paradoxale, la neutralit6 de l’exemption entrai-
nait une discrimination, fond6e sur la taille des commerces, A l’int6rieur meme des
groupes religieux pour lesquels cette exemption avait pourtant 6t6 congue au d6part.
Cette cons6quence n’a pas emp~ch6 les juges majoritaires, dans Edwards Books, de
consid6rer ce r6gime 16gislatif comme valide. Par contre, la juge Wilson, dissidente
sur ce point, 6tait d’avis qu’il y avait IA une violation non justifiable du droit i l’6galit6
et de la libert6 de religion -5 . Le l6gislateur ontarien a subs~quemment modifiS la loi
pour supprimer la restriction relative A la taille des commerces et pour 6tendre
l’exemption sabbatique A tous les commerces fermant un autre jour que le dimanche
pour des raisons religieuses “. On peut cependant se demander si ce nouveau syst~me
permet encore d’atteindre efficacement l’objectif initial de la loi qui 6tait de faire en
sorte que tous les employds aient cong6 le m~me jour dans la semaine. Cet exemple
laisse entrevoir que le fait de consentir un premier accommodement A port6e limit6e
pour emp~cher une discrimination indirecte fond6e sur la religion, peut cr6er d’autres
types de discrimination et que, si l’on veut les 61iminer i leur tour, on risque d’8tre
entrain6 vers un 61argissement progressif de l’accommodement qui finira par enlever
sa raison d’8tre et son efficacit6 A la r~gle initiale.
D. Les conditions h remplir pour invoquer la libertM de religion atin
d’obtenir un accommodement
1. La nature des convictions, croyances et pratiques prot6gdes
Dans la mesure oi les Chartes canadienne et qu~b~coise consacrent la libert6 de
conscience et celle de religion en les jumelant, il faut conclure qu’elles protgent au-
tant les convictions morales laYques, de nature 6thique, humanitaire ou philosophique,
que les croyances religieuses. En th6orie, on pourrait donc penser que le probl6me du
caract~re proprement religieux d’une croyance, et celui de la d6finition de la notion de
religion, ne pr6sentent que peu d’int6rt. En fait, cela n’est pas tout h fait vrai, car les
convictions morales, comme elles sont plus souvent individuelles que les croyances
religieuses –
sont plus mal-
aisles Ai prouver que ces derni~res. I1 est donc plus facile pour un requ6rant d’invoquer
lesquelles sont g6n6ralement le fait d’une collectivit6 –
2 Voir ibid. aux pp. 808-09, juge Wilson.
2 6 Voir supra note 191 et le texte correspondant.
1998]
J. WOEHRLING – ACCOMMODEMENT ETDIVERSITE RELIGIEUSE
385
la libert6 de religion que celle de conscience, surtout quand il se r~clame d’une reli-
gion bien 6tablie. En outre, la jurisprudence a tendance a d6finir les convictions mo-
rales laIques prot6g6es au titre de la libert6 de conscience comme 6tant celles qui
remplissent la m~me fonction, pour celui qui les invoque, que les croyances religieu-
ses. Les d6cisions judiciaires invoquant l’article 2(a) de la Charte canadienne ou
l’article 3 de la Charte quibdcoise portent pratiquement toutes sur la libertd de reli-
gion “7 ; nous constaterons cependant qu’elles semblent insister davantage sur l’aspect
subjectif de la sinc6rit6 personnelle du croyant que sur l’aspect objectif de la confor-
mit6 des croyances en cause ii une doctrine 6tablie.
Par ailleurs, il est n~cessaire de distinguer les convictions morales et religieuses,
prot6g6es au titre de la libert6 de conscience et de religion, des simples opinions poli-
tiques, philosophiques ou sociales, lesquelles sont vis6es par la libert6 d’opinion et
d’expression. L’importance de la distinction est que seule la libert6 de conscience et
de religion entraTine un droit a l’adaptation ou
l’accommodement. La libert6
d’opinion et d’expression, si elle est restreinte de fagon non justifiable, n’entraine pas
une adaptation de la norme contest~e, mais son invalidation a l’6gard de tous.
Les convictions morales et religieuses sont celles qui mettent en jeu des principes
de vie fondamentaux, des valeurs spirituelles permanentes et universelles, par opposi-
tion aux simples opinions ou ides portant sur des choix sociaux, politiques, 6cono-
miques ou esth6tiques. Selon le professeur Brun:
[i]l ne fait done pas de doute, i notre avis, que l’objection de conscience des
articles 2 et 3 des Chartes canadienne et qu6b6coise ait pour objet tant la mo-
rale humaine que la morale religieuse. […] Ce qui fait que les pr6ceptes d’une
telle morale humaine peuvent 8tre consid6r~s comme des croyances et non pas
comme de simples opinions, ce sont leur g6n6ralit6, universalit6 et pdrennit6
aux yeux de celui qui les invoque ” .
Une approche similaire a 6t6 adopt6e par le juge en chef Dickson dans l’affaire
Edwards Books:
L’alin~a 2a) [de la Charte canadienne] a pour objet d’assurer que la socidt6 ne
s’ingdrera pas dans les croyances intimes profondes qui r6gissent la perception
qu’on a de soi, de l’humanit6, de la nature et, dans certains cas, d’un 8tre sup6-
rieur ou diff6rent. Ces croyances, i leur tour, r6gissent notre comportement et
nos pratiques’ .
217 k la Cour supreme du Canada, seul la juge Wilson semble avoir invoqu6 la libert6 de conscience,
dans Morgentaler c. R., [1988] 1 R.C.S. 30 aux pp. 175-76, 44 D.L.R. (4′) 385 [ci-apr s Morgenta-
ler], pour fonder l’existence d’un droit A l’avortement pour convenances personnelles sur l’article 2(a)
de la Charte canadienne.
2 1 Supra note 195 a la p. 191 ; voir aussi Black, supra note 178 a la p. 137 et s.; Patenaude, supra
note 195 h lap. 338 et s.
21 Supra note 133 a la p. 759, juge en chef Dickson. Voir aussi Big M Drug Mart, supra note 103 i
la p. 346, juge en chef Dickson. Aux Etats-Unis, ob seule la libert6 de religion est expressdment ga-
rantie dans le premier Amendement, sans mention de la libert6 de conscience, la Cour supreme a jugd
que la protection de la libert6 de religion incluait les croyances qui occupent (United States c. Seeger, 380 U.S.
386
MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROITDE MCGILL
[Vol. 43
Comme le dit le professeur Cotler :
2′ [1993] 4 R.C.S. 3, 108 D.LR. (4) 193. Dans cette affaire, il s’agissait notamment de savoir si les
dispositions de la Loi sur le divorce, LR.C. 1985 (2 supp.), c. 3, qui prdvoient que les decisions judi-
ciaires en mati~re de garde et de droit d’accks doivent (tenir compte de l’intdr~t de l’enfant>, portent
atteinte Ai Ta libert6 de religion d’un parent Tmoin de J6hovah auquel le droit d’acc s avait t6 accor-
d6 sous reserve de certaines restrictions relatives a Ia pratique de sa religion. Une majorit6 de la Cour
a jug6 qu’une ordonnance de garde ou d’accbs dmise dans le meilleur int6rdt de l’enfant ne pouvait
porter atteinte A la libert6 de religion, celle-ci comportant des limites intemes et ne prot6geant aucune
activit6 qui pourrait 8tre nuisible 4 autrui : [a]insi, la libert6 de religion est intrins~quement limit~e
par un certain nombre de consid6rations, dont les droits et les libert6s d’autrui. Bien que les parents
soient libres de se livrer h des pratiques religieuses, ces activit6s peuvent etre limit6es lorsqu’elles nui-
sent A l’int6rdt de l’enfant, sans pour autant enfreindre la libert6 de religion des parents>> (h la p. 94,
juge L’Heureux-Dub6, avec la concurrence des juges La Forest et Gonthier) ; [i]l est dtabli que la ga-
rantie de libert6 de religion ne s’6tend pas ‘a des activit s religieuses causant un pr6judice A autrui, (A
388
MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE MCGILL
[Vol. 43
ble majorit6 (cinq juges contre quatre) s’est ralli6e h l’opinion selon laquelle m~me les
comportements dangereux pour autrui, s’ils sont motiv6s par des raisons religieuses,
sont a priori prot6g6s par la libert6 de religion. Finalement, dans I’affaire Ross c.
Conseil scolaire du district n” 15 du Nouveau-Brunswick3 , h l’unanimit6 cette fois, la
Cour supreme a jug6 que des d6clarations racistes et discriminatoires contre les Juifs,
faites, selon leur auteur, au nom de convictions religieuses, 6taient prot6g6es par ]a li-
bert6 de religion”‘.
2.
‘existence des pr6ceptes invoqu6s et la sinc6rit6 de la personne
qui les invoque
La personne qui invoque un pr~cepte moral ou religieux pour obtenir une adapta-
tion devrait d’abord prouver 1’existence de celui-ci. Cela revient ‘ imposer au requ6-
rant une sorte de crit~re objectif. A cette v6rification objective de l’existence du pr6-
cepte invoqu6 devrait ensuite s’ajouter celle, subjective, de la sinc6rit6 de celui qui
s’en r6clame 2 -.
Cependant, on constate que les tribunaux canadiens, h l’instar de ceux des ttats-
Unis, sont portfs h 6viter la formulation d’une d6finition objective de ]a religion ou de
se prononcer quant A la nature des croyances ou convictions invoqu6es. Ils tendent
donc h recourir au crit~re subjectif de la sinc6rit6 de ceux qui veulent obtenir un ac-
commodement. Autrement dit, le crit~re de la sinc6rit6 se substitue parfois h celui de
l’existence des croyances ou des convictions. La question se pose quelque peu diff6-
remment selon que le pr6cepte invoqu6 fait partie des enseignements d’une religion
traditionnelle et bien 6tablie ou de ceux d’une religion nouvelle et peu connue, ou en-
core qu’il n’appartient a aucune religion existante, mais est propre h la personne qui
s’en r6clame.
ia p. 121, juge McLachlin, avec la concurrence des juges Cory et lacobucci). Dans P(D.) c. S.(C.),
[199314 R.C.S. 141, 108 D.L.R. (4) 287, les mames opinions ont prdvalu.
– Supra note 109. Dans cette d6cision, la Cour suprame a jug6 quo le fait pour un parent de refuser,
pour des raisons religieuses, des traitements m6dicaux n6cessaires pour sauver ia vie de son enfant,
constitue un comportement prot6g6 par la libert6 de religion (les juges La Forest, L’Heureux-Dub6,
Sopinka, Gonthier et McLachlin). Par cons6quent, une ordonnance judiciaire accordant une tutelle
provisoire pour permettre une intervention m6dicale contre la volont6 des parents viole la libert6 dc
religion de ceux-ci. Les juges majoritaires ont ensuite conclu qu’en l’occurrence, cette atteinte 6tait
justifi6e au sens de l’article 1 de la Charte canadienne. Pour les juges dissidents sur cc point, il n’y
avait pas d’atteinte a la libert6 do religion, celle-ci n’autorisant pas un parent
imposer A son enfant
des pratiques religieuses qui menacent sa vie ou sa sant6 (le juge en chef Lamer et les juges Cory, la-
cobucci et Major).
[1996] 1 R.C.S. 825, 133 D.L.R. (4’) 1.
” La Cour a ensuite d6termin6 que la d6cision d’une commission d’enquate d’affecter le plaignant
un poste de non-enseignant constituait une restriction de sa libert6 de religion justifiable en vertu do
‘article 1 de la Charte canadienne, supra note 2, mais qu’il n’en allait pas do m8me do la decision do
mettre fin A son emploi au cas oil il continuerait A produire ou publier des 6crits antis6mites, celle-ci
ne satisfaisant pas au volet de l’atteinte minimale de l’analyse fond~e sur l’article 1.
232 Voir Brun, supra note 195
la p. 195. Si les tribunaux doivent v6rifier l’existence d’une croyance
invoqude par un requdrant et la sinc~rit6 do celui-ci, ils no peuvent cependant pas s’interroger sur la
validit6 ou la v.rit6 de cette croyance. Celle-ci, par definition, n’estjamais vdrifiable.
1998]
J. WOEHRLING – ACCOMMODEMENTETDIVERSITERELIGIEUSE
389
Lorsque le pr6cepte invoqu6 fait partie des enseignements d’une religion tradi-
tionnelle, la preuve de son existence ne soul~ve pas de difficult6s particuli~res, A
moins que le requ6rant n’en donne une interpr6tation personnelle s’6cartant de la con-
ception g6n6rale qui pr6vaut. Dans ces cas, les tribunaux canadiens tendent
appli-
quer le crit~re subjectif de la sinc6rit6 de la croyance chez le requ6rant. Ainsi, dans
l’affaire Funk c. Manitoba Labour Board”3, bien que la croyance invoqu6e par le re-
qu6rant, un Mennonite, s’6cartait des pr~ceptes officiels de son Eglise, la cour consi-
d6ra que sa sinc6rit6 6tait suffisante pour lui permettre d’obtenir l’accommodement
r6clam6. Le requ6rant demandait d’6tre exempt6 de l’obligation d’appartenance
un
syndicat:
It is of course possible that the religious beliefs of an individual may coincide
exactly with the beliefs or tenets of the church to which he belongs. But this is
not always the case. […] An inquiry by the Labour Board into the beliefs or
tenets of a church can only be relevant to the extent that it throws light upon or
helps to identify the religious beliefs of the particular person concerned. […]
The Board asked itself the wrong question –
not, what are the religious beliefs
of Funk concerning the joining of a union, but what are the religious beliefs of
the Mennonite Brethren Church concerning that matter z?
La libert6 de religion et le principe d’6galit6, combin6s aux articles 27 de la
Charte canadienne et 43 de la Charte qudbdcoise, nous emp~chent de refuser la qua-
lit de religion une croyance simplement en raison du petit nombre de ses adeptes,
de sa nouveaut6 ou de sa r6cente apparition dans un pays (les h6r6sies et les r~formes,
dans l’histoire de la chr6tient6, attestent de l’apparition instantan6e de nouvelles con-
fessions), ou encore de sa pr~tendue excentricit6 (toutes les grandes religions tradi-
tionnelles comportent des croyances et des pratiques qui paraissent excentriques aux
non-croyants)”‘.
II faut 6galement souligner l’opinion du Comit6 des droits de l’Homme des Na-
tions Unies h ce sujet, dans son observation sur l’article 18 du Pacte international sur
les droits civils et politiques :
[l]’article 18 n’est pas limit6, dans son application, aux religions traditionnelles
ou aux religions et croyances comportant des caract~ristiques ou des pratiques
institutionnelles analogues A celles des religions traditionnelles. Le Comit6 est
l’encontre
done pr6occup6 par toute tendance “i faire preuve de discrimination
(1976), 66 D.L.R. (3′) 35, [1976] 3 W.W.R. 209 (C.A. Man.) [ci-apr~s Funk avec renvois aux
D.L.R.].
2 Ibid. aux pp. 37-38. Dans le m~me sens, voir Barker et Teamster’s Union, section locale 938,
[1986] D.L.Q. 447 (C.C.R.T.). Le fait que l’on fasse primer ia sinc~rit6 des convictions religieuses
personnelles du requ~rant sur leur conformit6 avec les pr6ceptes officiels de l’tglise h laquelle il ap-
partient n’emp~che 6videmment pas de consulter les autorit6s de celle-ci pour 6tablir l’existence d’un
pr6cepte, comme l’a fait le tribunal dans l’affaire Smart, supra note 81. Si la croyance invoqu6e par le
requ6rant est confirmde par les autorit6s religieuses, la preuve en sera d’autant facilit6e ; par contre,
dans les cas oii elle diverge de l’interpr6tation donn6e par ces demi~res, la tendance des tribunaux ca-
nadiens, comme le montre par exemple l’affaire Funk, ibid., est d’accepter malgr6 tout le caract~re
religieux de la croyance si le requ6rant y adh~re sinc~rement.
2″ Voir Robert et Duffar, supra note 175
lap. 520.
MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROITDE MCGILL
[Vol. 43
d’une religion ou d’une conviction quelconque pour quelque raison que ce soit,
notamment parce qu’elle est nouvellement 6tablie ou qu’elle reprdsente des
minorit~s religieuses susceptibles d’6tre en butte h i’hostilitd d’une commu-
naut6 religieuse dominante”.
Aux ttats-Unis, la Cour supreme, dans l’affaire Seegert, a jug6
l’unanimit6 que
les tribunaux ne sont pas libres de refuser de consid6rer une croyance comme 6tant
religieuse simplement parce qu’ils la trouvent bizarre ou incompr6hensible ; lt en-
core, le crit~re d6cisif est celui de la sinc6rit6 du requ6rant. La Cour s’exprime comme
suit :
Their task is to decide whether the beliefs […] are sincerely held and whether
they are, in his own scheme of things, religious. […] [W]hile the “truth” of a
belief is not open to question, there remains the significant question whether it
is “truly held:’ This is the threshold question of sincerity which must be re-
solved in every case. It is, of course, a question of fact –
a prime consideration
to the validity of every claim for exemption as a conscientious objector” .
Dans l’affaire Wisconsin c. Yodert
, la Cour devait d6terminer si le refus de pa-
rents appartenant a la communaut6 amish d’envoyer leurs enfants h l’6cole 6tait justi-
fi6 par des convictions religieuses plut6t que par ]a simple pr6f6rence pour un style de
vie traditionnel. I1 faut rappeler qu’aux ttats-Unis, le premier Amendement ne garan-
tit que la libert6 de religion, contrairement aux Chartes canadienne et qu6b6coise qui
garantissent 6galement la libert6 de conscience. En concluant qu’il s’agissait bien
d’un motif religieux, la Cour s’est fond6e principalement sur quatre consid6rations :
(i) il s’agit d’une croyance partag6e par les membres d’un groupe organis6 plut~t que
d’une simple conviction personnelle des requ6rants ; (ii) la croyance est reli~e A des
principes th6ocratiques et a l’interpr6tation de textes religieux ; (iii) le syst~me de
pens~e auquel appartient ]a croyance r6git la vie quotidienne des requ6rants ; (iv) le
syst~me de pens6e et le style de vie qui en d6coule ont 6t6 en vigueur pour une p6-
riode de temps significative ’44. Cependant, la Cour supreme n’a pas indiqu6 qu’il
s’agissait 1M de crit6res obligatoires.
Dans Thomas c. Review Board”, la Cour devait d6cider si un t6moin de JMhovah,
qui avait quitt6 son emploi lorsque l’employeur l’avait mut6 d’un atelier de fonderie hx
un atelier de fabrication d’armement militaire, avait d6missionn6 pour des raisons re-
ligieuses ou pour des raisons philosophiques personnelles et si le refus de la commis-
sion d’assurance-ch6mage de lui octroyer des prestations 6tait contraire au droit au li-
bre exercice de la religion. La majorit6 n’eut aucune difficult6 h r6pondre dans
l’affirmative, seul le juge Rehnquist 6tant dissident. Relativement au contr6le que les
Observation g6ndrale if’ 22 relative A I’article 18 du Pacte, CCPR/C/21/Rev. l/add. 4, 20 juillet
1993 au para. 4.
27 Supra note 219.
2Ibid.
lap. 185.
2 406 U.S. 205 (1972).
24′ Pour ‘analyse de cette decision, voir notamment Nowak, Rotunda et Young, supra note 182 i la
21 450 U.S. 707 aux pp. 7 13- 16 (1981) [ci-apres Thomas].
p. 1059 et s.
1998]
J. WoEHRLING – ACCOMMODEMENTETDIVERSITE RELIGIEUSE
391
tribunaux doivent exercer sur le caract~re religieux d’une croyance invoqu~e par un
requ6rant, la Cour s’est exprim6e de cette fagon :
Courts should not undertake to dissect religious beliefs because the believer
admits that he is “struggling” with his position or because his beliefs are not
articulated with the clarity and precision that a more sophisticated person might
employ. […] One can, of course, imagine an asserted claim so bizarre, so
clearly nonreligious in motivation, as not to be entitled to protection under the
Free Exercise Clause ; but that is not the case here, and the guarantee of free
exercise is not limited to beliefs which are shared by all of the members of a
religious sect 42.
Comme le dit le professeur Tribe, an intrusive government inquiry into the nature of
a claimant’s beliefs would in itself threaten the values of religious liberty 2-3 .
Enfin, les probl~mes les plus difficiles, en mati~re de v6rification judiciaire de
l’existence d’un pr6cepte et de la sinc6rit6 de celui qui l’invoque, se posent lorsque la
conviction invoqu6e est propre au seul requ6rant et ne fait partie d’aucune religion, si
nouvelle et si marginale soit-elle, ni d’aucun code moral connu. On a d6j soulign6
qu’en th6orie rien ne devrait empecher que des croyances morales ou religieuses pro-
pres
un seul individu puissent 8tre prot6g6es en vertu de la libert6 de conscience et
de religion, pourvu qu’elles relvent d’une adh6sion h des valeurs spirituelles fonda-
mentales. Comme le dit le professeur Brun, <[c]haque 6tre humain peut avoir sa reli-
gion propre ou son livre d'6thique fondamentale bien h lui 2
1". Cependant, en pratique,
il sera tr~s difficile pour un requ6rant de prouver que des croyances auxquelles il est le
seul h adh6rer constituent plus que de simples opinions; il pourra cependant y parve-
nir dans certains cas en produisant, par exemple, ses propres 6crits ant6rieurs sur le
sujet ou des t6moignages sur son mode de vie. Aux Etats-Unis, la Cour supreme a ac-
cept6 de consid6rer comme religieuse l'opinion de personnes qui pensaient que le fait
pour l'administration d'utiliser le num6ro d'assurance sociale de leurs enfants risquait
de nuire h l'esprit ou h l'Ame de ceux-ci, bien qu'une telle croyance ne semblait atre
partag6e par aucun groupe religieux organis62"- .
Au Canada, la position de la Cour supreme sur l'importance respective du con-
tr6le de l'existence et de la sinc6rit6 des convictions invoqu6es en mati~re de libert6
de conscience et de religion ne semble pas encore tr~s bien 6tablie. Dans l'affaire
Jones2' , un pasteur d'une tglise fondamentaliste qui voulait 6duquer lui-meme ses
enfants plut6t que de les envoyer A l'6cole pr6tendait que l'obligation de demander h
242 Ibid. aux pp. 715-16.
243 Supra note 174 A la p. 1244. Le professeur Tribe souligne le d6veloppement progressif d'une
double d6finition de la notion de religion, tr s extensive pour la clause de libre exercice (d'oii d6coule
le droit A i'accommodement), plus limitde pour la clause de non-6tablissement: <
2 “Supra note 195 “i lap. 196.
4 Voir Bowen c. Roy, 106 U.S. 2147 A la p. 2150 (1986). Cependant, la Cour a jugd que l’effet de
cette pratique administrative sur les requ6rants dtait trop indirect pour entrainer une violation de leur
libertd religieuse.
246Supra note 183.
392
MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROITDE MCGILL
[Vol. 43
cette fin une autorisation au ministre portait atteinte
ses convictions religieuses. Le
juge La Forest semble s’en remettre A la croyance sincere du requ6rant en l’existence
d’un pr6cepte lui dictant sa conduite et souligne que <
qui d6note un contrOle de 1’existence objective de la croyance.
Dans Edwards Book ‘ , le juge en chef Dickson exprime l’id~e que celui qui se
r6clame d’un pr~cepte religieux pour obtenir un accommodement doit 6tablir une
l’existence objective de ce pr6cepte ‘ “. En outre, tout en expri-
preuve forte> quant
mant sa pr6f6rence pour des mesures l~gislatives r6dig6es de fagon A rendre inutile la
v6rification de la sinc6rit6 des croyances de ceux qui invoquent une exemption sabba-
tique, il admet n6anmoins que
[li]es enqu~tes judiciaires portant sur des croyances
religieuses sont la plupart du temps in6vitables si l’on veut que les libert6s garanties
par l’al. 2a) de la Constitution puissent 6tre revendiqu6es devant les tribunaux>>”. Si
l’on se fie aux pr6c6dents am6ricains, ces enqu~tes devraient cependant 8tre le plus
limit~es possible car, comme le dit le professeur Tribe en r~sumant l’esprit de la juris-
prudence dans ce domaine,
SIbid. A lap. 780, juge en chef Dickson.
-‘ Supra note 174 aux pp. 1246-47. I1 donne i’exemple d’une d6cision refusant le bdndfice d’une
exemption sabbatique “i un commergant pour le dispenser de se pr6senter en cour un samedi.II 6tait
prouv6 qu’il ouvrait r6gulirement son magasin ce jour-lM.
2’2 [198512 R.C.S. 332, en ligne: QL (ACS) [ci-aprsJack et Charlie].
2 R.S.B.C. 1979, c. 433.
1998]
J. WOEHRLING – ACCOMMODEMENTETDIVERSIT-RELIGIEUSE
393
congel~e. La Cour supreme a donc rejet6 l’argument fond6 sur la libert6 de religion.
Cependant, 6tant donn6 qu’il y avait de la part des int6ress6s une simple erreur ou une
mauvaise interpr6tation d’un pr6cepte dont l’existence 6tait par ailleurs 6tablie, la
Cour aurait pu s’en remettre h leur croyance sincere comme l’avaient fait la Cour
d’appel du Manitoba dans l’affaire Funk’ et la Cour supreme des Etats-Unis dans
l’affaire Thomas”. Le professeur Brun critique ainsi la position adopt~e par la Cour
dans Jack et Charlie:
[tioutefois, comme l’objection de conscience 6tait revendiqu6e en faveur
d’6vdnements pass6s, ii nous semble que la Cour aurait da alors s’en remettre a
la croyance sinc~re des objecteurs dans le fait que leur religion les obligeait
tuer hors saison. II nous semble en effet qu’une distinction doit 6tre faite A ce
propos entre les faits pass6s et les faits futurs. L’erreur honn~te dans
l’appriciation du pr6cepte ne devrait pas, dans le premier cas, rendre
l’objection de conscience impossible, malgr6 1’existence d’un dcart vraisem-
blable entre le pr6cepte et l’id6e qu’on s’en est fait[e]. Uobligation de prouver
l’existence du pr6cepte ne devrait pas allerjusque-l’a [italiques dans le texte]r.
Bien qu’en g6n6ral, les tribunaux canadiens pr6ferent nettement s’en remettre au
crit~re de la sinc6rit6 pour 6viter d’avoir
se prononcer sur le contenu et la nature des
croyances religieuses prot6g6es, leur jurisprudence n’est pas constante et on trouve
6galement des d6cisions allant en sens inverse’-. Ainsi, dans l’affaire Tuli c. St. Albert
Protestant Board of Educatione, la preuve de la sinc6rit6 de la foi du plaignant 6tait
faite, mais non celle de l’obligation religieuse de porter le kirpan dans la situation
particulire du plaignant. Comme il n’6tait pas encore baptis6 selon la religion sikh, le
port du kirpan n’6tait pas pour lui un commandement religieux, mais plut6t un choix
personnel, contrairement A la p6riode post6rieure au bapt~me. Dans ces circonstances,
la Commission a conclu que l’interdiction du port du kirpan t l’6cole n’avait pas port6
atteinte h la libert6 de religion du requ~rant. On pourrait critiquer cette d6cision de la
m~me faqon que pr6c6demment la d6cision de la Cour supreme dans l’affaire Jack et
Charlie”, ii savoir qu’en cas d’erreur sincere d’appr6ciation d’un pr6cepte par le re-
qu6rant, on devrait ndanmoins consid6rer qu’il a agi pour un motif religieux.
Au Qu6bec, le Tribunal des droits de la personne, dans l’affaire Quibec (Commis-
sion des droits de la personne) c. Autobus Legault Inc.2′ ‘, a adopt6 la position favora-
ble aux plaignants et s’en remet
la sinc6rit6 de leurs croyances plut6t que de cher-
cher i v6rifier leur degr6 de conformit6 aux dogmes prescrits par la religion h laquelle
ils adherent.
2″‘ Voir supra note 233.
– Voir supra note 241.
Supra note 252 aux pp. 195-96. Le professeur Black critique lui aussi cette d6cision ; il aurait t6
d’avis de d6clarer la prohibition de la chasse inapplicable aux Indiens pour respecter leur libertd de
religion, voir supra note 178 a lap. 175.
” Pour une analyse de la jurisprudence, voir Tarnopolsky & Pentney, supra note 65 4 la p. 68 et s.
2 8 (1987), 8 C.H.R.R. D/3736 (Alta. Board of Inquiry).
2 Supra note 252.
‘[1994] RJ.Q. 3027
la p. 3040 (T.D.P.Q.), juge Rivet [ci-apr~s Autobus Legault].
MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROITDE MCGILL
[Vol. 43
II faut enfin souligner que la sinc~rit6 des croyances religieuses est une question
de fait qui doit 6tre appr6ci6e selon les circonstances propres
chaque affaire, la cr6-
dibilit6 personnelle du requ6rant ayant une importance d6cisive puisque son t6moi-
gnage constituera toujours l’616ment de preuve principal. Le Tribunal des relations de
travail dans ]a fonction publique de l’Ontario, dans une d6cision de 1974, a ainsi d6-
crit les consid6rations dont il y a lieu de tenir compte dans l’enquate sur ]a sinc6rit6 de
celui qui invoque ses croyances religieuses pour 8tre dispens6 de verser une cotisation
syndicale :
In assessing the sincerity of the applicant, the Tribunal should consider such
matters as (1) the demeanour of the witness while testifying ; (2) the nature of
the applicant’s beliefs –
their relationship to a divine being and the moral di-
mensions of such beliefs; (3) the previous religious experience of the applicant
; (4) the relationship between that religious experience and the belief currently
held by the applicant ; (5) the directness of the connection between the relig-
ious belief and the objection to paying dues to an employee organization ; and
(6) the extent to which the religious belief is appliede’.
Concernant la pratique religieuse ant6rieure du requ6rant, la Commission des
droits de ]a personne du Qu6bec, dans son avis de 1991 sur le r6gime alimentaire des
d6tenus de foi h6bra’fque–, reconnaft qu’elle constitue une indication de la sinc6rit6
des croyances du requ6rant et qu’elle peut au besoin 6tre 6tablie apr~s contact avec la
communaut6 religieuse concern6e. La Commission ajoute cependant qu’elle ne sau-
rait constituer l’unique crit~re.
3. Leffet de la norme ou de la pratique contest~e sur les croyances
Rappelons que la Cour supreme a jug6, dans Big M Drug Marl’, qu’une loi dont
l’objectif est d’imposer ou d’interdire une croyance ou une pratique religieuse res-
treint la libert6 de religion d’une fagon qui ne saurait jamais 8tre justifi6e. I1 n’est donc
pas n6cessaire d’examiner, dans un tel cas, la nature ou la dimension des effets de la
loi sur la libert6 de religion. Par contre, lorsqu’une loi poursuit des objectifs s6culiers,
il est n6anmoins possible qu’elle ait des effets entranant, directement ou indirecte-
ment, une atteinte A la libert6 de conscience ou de religion ; c’est alors qu’un examen
de la nature et de la gravit6 de ces effets devient n6cessaire’>.
lap. 343, 60 D.L.R. (3′) 397 (C. div. Ont.).
“‘ Cit dans Re Civil Service Association of Ontario (Inc.) and Anderson (1976), 9 O.R. (2’) 341 “i
62 Voir Le rgimne alimentaire des ditenus defoi h6braque, supra note 34.
‘a Voir ibid aux pp. 9-10: <<[Ile critre fondamental doit en somme, de l'avis de la Commission,
6tre celui de l'intention et du ddsir sdrieux du d6tenu de suivre le rdgime cascher, ]a pratique religieuse
antdrieure.n'6tant qu'un moyen parmi d'autres de d6montrer cette intention>>.
Supra note 103.
Voir ibid. aux pp. 333-34, juge en chef Dickson:
[sli l’objet reconnu de la Loi sur le dimandie, 4 savoir rendre obligatoire l’observancc
du sabbat, porte atteinte A la libert6 de religion, il n’est pas n~cessaire alors d’examiner
les r6percussions rdelles de la fermeture le dimanche sur la libert6 de religion. Meme si
ces effets 6taientjug6s inoffensifs, […]
cela ne pourrait permettre de sauver une loi dont
1998]
J. WOEHRLING – ACCOMMODEMENT ET DIVERSIT- RELIGIEUSE
395
L’examen de la jurisprudence montre que, pour prouver qu’une norme restreint sa
libert6 de conscience ou de religion, le plaignant doit d6montrer qu’elle l’oblige i
faire ce que ses croyances lui interdisent ou l’emp~che de respecter un pr6cepte im-
portant de son code moral ou encore, sans l’en emp~cher, entraine pour lui des diffi-
cult6s importantes
le faire ou lui impose des inconv6nients financiers r6sultant de
cofits additionnels ou de la perte d’un avantage.
Une premiere distinction doit done
tre faite entre, d’une part, les cas oii la r~gle
de droit emp~che ou rend plus difficile de faire ce que la croyance prescrit ou encore
oblige i faire ce que la croyance interdit, et, d’autre part, les cas oii la r~gle de droit
emp~che de faire ce que la croyance permet. Seules les deux premieres situations de-
vraient 6tre consid~r6es comme entranant une restriction de la libert6 de religion.
Dans la derni~re situation, comme le pr6cepte religieux est purement permissif, il
n’entre pas en conflit avec la r~gle de droit qui prohibe ce qu’il autorise. Ainsi, le fait
qu’une religion permette l’avortement ne la met pas en conflit avec une disposition du
Code criminel qui prohibe l’interruption de grossesse’
; le fait qu’une religion auto-
rise la polygamie ne la rend pas incompatible avec une loi qui l’interdit.
Cela nous amne i pr6ciser qu’ notre avis, seules des normes coercitives, qui
obligent ii faire ou i ne pas faire, peuvent contrarier la libert6 de conscience et de reli-
gion ; par contre, une norme permissive, qui autorise un comportement, ne saurait en-
trainer une limitation de cette libert6. Pour reprendre un exemple utilis6 pr6c6dem-
ment, le r~glement qui donne accs aux piscines municipales aux personnes des deux
sexes dans les m~mes conditions et aux m~mes heures ne saurait 6tre consid6r6
comme limitant la libert6 de religion de celles dont les pr~ceptes emp~chent les deux
sexes de se baigner ensemble ; ici, l’empachement de se baigner provient de la reli-
gion elle-m~me. Par contre, comme on la mentionn6 pr6c6demment, on pourrait con-
sid6rer que le r~glement en cause entraine une discrimination indirecte fond6e sur la
religion.
Se pose ensuite la question du lien de causalit6 qui doit exister entre la r~gle de
droit contest6e et la restriction de la libert6 de religion. A ce sujet, le juge en chef
Dickson s’est exprim6 comme suit dans l’arr~t Edwards Books:
fi]e crois qu’il est sans importance que la coercition soit directe ou indirecte,
d61ib~rde ou involontaire, pr6visible ou impr6visible. Toute entrave coercitive A
l’exercice de croyances religieuses relve potentiellement de I’al. 2a) 7.
La Cour a done jug6 qu’une loi obligeant tous les commergants i fermer leur
commerce le dimanche restreint la libert6 de religion des d6taillants et consommateurs
on a conclu que l’objet viole les garanties de la Charte. […] [S]i, de par ses r6percus-
sions, une loi qui a un objet valable porte atteinte des droits et libert~s, il serait encore
possible A un plaideur de tirer argument de ses effets pour la faire d6clarer inapplicable,
voire m~me invalide.
Voir 6galement Edwards Books, supra note 33
lap. 752, juge en chef Dickson.
En ce sens, voir R. c. Morgentaler (1986), 52 O.R. (2′) 353, 22 D.L.R. (4′) 641 (C.A. Ont.) ; voir
6galement Quibec (PG.) c. Eglise de scientologie du Qudbec, [19951 RJ.Q. 2526 (C.Q.).
27Supra note 33 aux pp. 758-59.
MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE MCGILL
[Vol. 43
qui observent un jour de repos hebdomadaire autre que le dimanche, en ce qu’elle
rend plus onfreuse ou plus difficile pour ces personnes la mise en pratique de leurs
pr6ceptes religieux. La loi exerce sur ces personnes une pression indirecte sous la
forme d’un d6savantage d’ordre concurrentiel et, pour les consommateurs, de possi-
bilit~s r~duites de magasinage ‘
. La majorit6 a cependant conclu que la restriction
6tait justifiable au sens de l’article 1 de la Charte canadienne.
Les juges Beetz et McIntyre sont dissidents dans I’affaire Edwards Books, car iis
estiment que le pr6judice 6conomique subi par ceux qui observent un jour de repos
autre que le dimanche est ind6pendant de la loi contest6e et d6coule seulement des
imp6ratifs de leur religion ainsi que du choix d6lib6r6 d’un commergant qui d6cide
de faire primer les principes de sa religion sur ses profits financiers>>” ‘. Un raisonne-
ment similaire a t6 adopt6 par deux des membres de la Cour dans l’arrt Adler. Les
juges Sopinka et Major consid6raient que le fardeau additionnel impos6 aux parents
qui envoient leurs enfants
l’cole religieuse priv~e non-subventionn6e ne dfcoule
pas de la d6cision de non-subventionnement prise par les autorit6s provinciales, mais
tion, Montrdal, Harmattan, 1996, 25 [ci-apr s Pluralism4 citoyennetd et dducation] ; J. Carens, Im-
migration et dfmocratie libdrale>>, dans Pluralisme, citoyennetd et dducation, ibid., 95 A la p. 95 ;
D.M. Weinstock, “Droits collectifs et libfralisme : une synth~se ? dans Pluralisne, citoyennetd et
dducation, ibid. ; R. Howse, (Liberal Accommodation> (1996) 46 U.T. L.J. 311.
1998]
J. WOEHRLING – ACCOMMODEMENTETDIVERSITE RELIGIEUSE
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toute pr6ferable que les jeunes musulmanes fr6quentent l’6cole publique en portant le
voile plut6t que de rester enferm6es chez elles ou d’6tre envoy6es dans une 6cole reli-
gieuse priv~e. En suscitant chez une collectivit6 minoritaire la crainte de perdre son
identit6, on augmente les risques de la voir succomber A la tentation du fondamenta-
lisme et de l’int6grisme pour se d6fendre contre ce qu’elle percevra alors comme une
pression assimilationniste. II vaut sans doute mieux accepter les pratiques tradition-
nelles, du moins celles qui ne sont pas dangereuses pour l’int6grit physique et psy-
chologique des personnes, en esp6rant qu’elles permettront aux membres des minori-
t6s, tout en conservant le support de leur milieu d’origine, d’amorcer leur int6gration
dans le milieu plus large de la soci6t6 d’accueil. Par ailleurs, dans le contexte canadien
et qu6b6cois, pour revendiquer des accommodements de type communautaire, les mi-
norit6s doivent employer une rh6torique qui fait appel aux droits individuels et univer-
sels, comme le droit A l’6galit6 et la libert6 de religion. Cela les amine done A utiliser
–
les valeurs individualistes, rationalistes et s6-
culi~res de la soci6t6 lib6rale. Autrement dit, en faisant appel aux Chartes canadienne
et qu6b6coise pour obtenir des accommodements, les minorit6s culturelles et religieu-
ses, qu’elles en soient on non conscientes, tiennent un discours qui les engage dans le
processus de modernisation.
et A int6rioriser progressivement –