Book Review Volume 39:4

L'utilisation médicale et la commercialisation du corps humain par Susan Gascon

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BOOK REVIEW
CHRONIQUE BIBLIOGRAPHIQUE

Suzanne Gascon, L’utilisation midicale et la commercialisation du corps
humain, Cowansville (Qu6.), Yvon Blais, 1993. Pp. 166 [35,00$]. Comment6
par Gr6goire Loiseau*

1. Personne ou chose ? Le corps humain, en tous les cas, 6branle la summa
divisio et avec elle bien des certitudes de nos contemporains. Pris dans la tour-
mente des sciences biologiques et m6dicales, le corps en est venu A faire douter
de ce qu’il est’. Sans doute est-il banal de s’en inqui6ter et aussi peu original de
relever le d6sarroi des juristes face aux questions nouvelles qui, tout en les exi-
geant, se prtent rarement aux r~ponses rigoureuses du droit. I1 est moins com-
mun, en revanche, de faire 6tat de la difficult6 de la tache. C’est qu’A la v6rit6,
le droit n’aime pas atre boulevers6. Et les principes, en la mati~re, ont trop sou-
vent l’apparence d’une sagesse ancienne pour que l’on songe
les abandonner
vraiment, tout en sachant pourtant ds l’6nonc6, qu’ils sont inadapt6s lorsqu’il
s’agit de les appliquer. Ne dit-on pas encore fr6quemment que le corps humain
est hors du commerce juridique, indisponible, avant d’analyser aussi pieusement
les nombreux actes de disposition reconnus et r6glement6s par le droit ? Prison-
nier de ses craintes d’affirmer, A l’inverse, que le corps est dans le commerce,
le juriste cherche plut6t
composer, sans avoir toujours la rectitude que l’on
peut lui souhaiter.

Pourtant, il serait faux de croire que le droit ait abdiqu6 devant l’ambition
de la tdche. Progressivement, il dicte des solutions, des cadres juridiques sus-
ceptibles de servir de modules, et fait 6merger des r~gles qui, en s’affermissant,
t6moignent assur6ment d’une recomposition de la mati~re autour de pivots
solides et durables. k cet 6gard, l’ouvrage de Suzanne Gascon2 permet tr~s clai-
rement d’en rendre compte et constitue, en abordant le problme de l’utilisation
m6dicale et la commercialisation du corps humain, un expos6 pr6cieux sur le
sujet.

* Ancien Boulton Visiting Research Professor A la Facult6 de droit de l’Universit6 McGill.

Revue de droit de McGill
McGill Law Journal 1994
Mode de r~f6rence: (1994) 39 R.D. McGill 248
To be cited as: (1994) 39 McGill L.J. 248
1A ceux qui disent: <[Le corps humain n'est pas une chose; c'est la personne mime>> (G.
Cornu, Droit civil : Introduction, les personnes, les biens, 6′ 6d., Paris, Montchrestien, 1993 A la
p. 165), d’autres rdtorquent: > (J.-P. Baud, L’affaire de la main
volie : Une histoire juridique d corps, Paris, Seuil, 1993 A ]a p. 83).

2L’utilisation mdicale et la commercialisation d corps humain, Cowansville (Qu6.), Yvon

Blais, 1993.

1994]

BOOK REVIEW

L’objet de cet ouvrage n’6tant cependant pas de faire un examen exhaustif
du droit traitant peu ou prou du corps humain, ‘auteure exclut d’embl~e cer-
taines questions, sans pr6juger pour cela de leur importance. Limitant ddjt son
analyse au corps de la personne vivante, elle n’envisage pas ce qu’iI advient du
corps apr~s la mort3 . Par ailleurs, de tous les actes juridiques touchant A la per-
sonne, elle choisit de n’6tudier que certains d’entre eux, laissant par exemple de
c~t6 la question du traitement m6dical et son corollaire, le refus de traitement.
Cette pr6cision faite, l’auteure a voulu en r6alit6 exposer la reaction du droit
face aux utilisations du corps qui sont sans doute les plus discutables, celles sans
b6n6fice direct pour celui qui en est l’objet et qui r6alisent de la sorte, avec l’ac-
cord de la personne, une v~ritable mise disposition du corps humain. Divisant
son 6tude en deux parties, l’auteure s’est tout d’abord int6ress6e aux actes de
disposition conclus par la personne sur son propre corps, avant d’envisager,
dans une seconde partie, le pouvoir de disposer du corps d’autrui.

2. Dans la premiere partie, l’auteure consacre un expos6 liminaire aux prin-
cipes autour desquels s’ordonne la reconnaissance juridique du corps humain. Elle
examine ainsi le principe d’inviolabilit6 de la personne humaine et le droit corr6-
latif A l’int6grit6 du corps. Elle porte ensuite son attention sur la libert6 dont jouit
l’individu pour prendre les d6cisions relatives ‘ son propre corps, ce qui revient
t parler du principe d’autod~termination. Pour ordonner et combiner ces deux prin-
cipes, il est courant d’associer au premier l’exigence, en cas d’atteinte A l’integrit6
physique, d’un consentement libre et 6clair6, et de faire gouvemer par le second
la port6e de ce pouvoir d~cisionnel de l’individu vis-A-vis de son corps. Mais la
conciliation n’est pas toujours aisle et, comme le souligne l’auteure, lorsqu’il
s’agit d’interventions consenties, les principes d’inviolabilit6 et d’autod6termina-
tion entrent souvent en concurrence. D’un c6t6, en effet, il faut bien reconnaitre
que chacun, dans une large mesure, est maitre de son corps et b6n~ficie en cela
d’un certain pouvoir de disposition sur lui-m6me. De l’autre, cependant, il est stir
que le principe d’inviolabilit6 commande aussi de mesurer ce pouvoir de la per-
sonne, car la volont6 ne saurait 6tre compl~tement souveraine : l’ordre public doit
conduire
protdger l’individu contre les maux qu’il s’infligerait lui-m~me ou
accepterait qu’ils lui soient infligs. I y a donc bien ainsi confrontation entre la
revendication l6gitime t disposer de son propre corps et la protection imperative
de celui-ci. Et dans cette concurrence, il faut admettre avec l’auteure qu’il n’y a
pas de solution toute faite. Pour s’en convaincre, il suffirait de rappeler que Platon
condamnait le suicide, que les Ath~niens punissaient le suicid6 apr~s sa mort,
cependant que Sn6que affimait : < 4.

Cela dit, il est significatif que Mine Gascon ait d6but6 son analyse par la
formulation du principe de la libert6 de disposer de son propre corps et non,
comme les 6tudes classiques en sont plutt coutumi~res, par l’affirmation du
principe d’indisponibilit6 et de la protection autoritaire du corps humain, quitte
pr6ciser ensuite les limites de celui-ci. Cette approche t6moigne en fait d’une

3Sur cette question, on peut voir l’analyse tr~s complte de X. Labb6e, Condition juridique du
corps hunmain avant la naissance et apr& la mort, France, Presses Universitaires de Lille, 1990.

4Livre VI, Lettre 58 6t Lucilius, t. 2, Paris, Bud6, 1949.

REVUE DE DROIT DE McGILL

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inversion des valeurs et de la pr6pond6rance que prend aujourd’hui la libert6
revendiqu6e sur la protection impos6e du corps humain. On ne saurait du reste
s’en 6tonner: ofi le gouvemement des corps relevait surtout hier d’un statut
d’ordre public, on est forc6 de constater que la marge d’autonomie de la per-
sonne est d6sormais croissante5.
’16volution des sciences y est naturellement
pour beaucoup. On ne peut en effet 6chapper A l’ide que ce sont les d6couvertes
m6dicales et les progr~s des biotechnologies qui ont en quelque sorte r6v616 le
corps h la personne, de la plus convaincante et de la pire mani6re qui soit : en
mettant l’accent sur son utilit6. Corps exquis pour la communaut6 scientifique
qui y trouve h la fois mati~re pour pr6lever des organes et un champ d’inves-
tigations exp6rimentales ! Corps exquis pour l’individu lui-meme h qui s’ou-
vrent d’6tonnantes possibilit6s pour reproduire l’esp~ce ! A partir de lA en tout
cas, il n’est pas surprenant que la personne ait voulu (re)prendre possession de
son corps et qu’elle le fasse en affirmant le pouvoir de sa volont6 sur les emplois
qui sont ou peuvent en 8tre faits.

3. C’est parce que l’interrogation est alors 16gitime qu’elle doit 6tre formu-

l6e :

A une 6poque o6i les libert6s individuelles occupent une place importante dans ]a
soci6t6, l’homme veut maitriser les decisions relatives h son propre corps.

Quelles sont les limites de cette libert6 lorsque ces decisions visent, non plus
le bien-8tre physique du sujet concem, mais plut6t celui d’un tiers, l’int6r&t de la
science m~dicale ou rev~tent simplement un inter&t p~cuniaire 6 ?

Pour y r6pondre, Mine Gascon consacre son second chapitre A l’exercice
de la libert6 de disposer de son propre corps en commengant par cette illustra-
tion manifeste de la disposition de l’ensemble du corps que constitue l’exp6ri-
mentation sur la personne humaine. On ne reviendra pas avec l’auteure sur l’uti-
lit6 d’une telle pratique et la n6cessit6, pour la recherche, de pratiquer des essais
sans fmalit6 th~rapeutique directe, seuls en cause ici. Celles-ci sont 6videntes ;
mais cette observation n’est selon nous nullement d6cisive pour le juriste, car
il faut reconnaitre que >7. Ce qui est essentiel, en revanche, c’est de rep6rer les prin-
cipes qui encadrent, dans le droit contemporain, la pratique de l’exp6rimentation
sur un sujet qui n’en attend personnellement rien8. Mme Gascon en d~nombre

5Voir G. Loiseau, Le r6le de la volont6 dans le rdgime de protection de la personne et de son

1992 h la p. 109.

corps>> (1992) 37 R.D. McGill 965.
6Gascon, supra note 2 A la p.19.
7P. Malaurie et L. Ayn~s, Les personnes, les incapacitis, 2′ dd. par P. Malaurie, Paris, Cujas,
8A l’instar du droit qu~b~cois, le droit francais s’est pourvu d’une rdglementation de l’exp6ri-
mentation qui fait l’objet de la Loi n- 88-1138 d 20 dicembre 1988 relative d la protection des
personnes qui se pr~tent di des recherches biomidicales, J.O., 22 d6cembre 1988, 16032, J.C.P.
1988.1II.62199 [ci-apr~s Loi diu 20 d~cembre 19881, introduisant les articles L. 209-1 A L. 209-23
du Code de la santipublique. Sur ce texte, voir J. Borricand, XCommentaire de la loi n 88-1138
du 20 d6cembre 1988 relative A ]a protection des personnes qui se pr~tent A des recherches biomd-
dicales>> D.1989.Chron.167 ; J.-M. Auby, > J.C.P. 1989.1.3384; G. Viala et A. Vian-
dier, La loi du 20 d6cembre 1988 relative A. ]a protection des personnes qui se pretent a des
recherches biom6dicales et ses consdquences sur les essais en mnati~re d’innovation th~rapeutique

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CHRONIQUE BIBLIOGRAPHIQUE

trois : le consentement de la personne, le rapport entre les risques et les avan-
tages, enfin le refus d’une exploitation prcuniaire de leur corps par ceux qui
deviendraient ainsi des > humains.

Le consentement de celui qui se soumet A l’exprrimentation est en toute
hypoth~se la condition 6lmentaire de sa lic6it6. Rien, comme le souligne l’au-
teure, ne permet de s’en dispenser. Bien plus, il doit s’agir d’un consentement
6clair6, donn6 par 6crit apr~s information sur la recherche et toujours revocable,
m~me verbalement9. Les r~gles, de ce point de vue, ne different d’ailleurs pas
entre le droit qu~brcois et le droit frangais. Est 6galement commune l’exigence
d’un consentement parfaitement libre et l’exclusion du champ exp6rimental,
ce titre, de certaines categories de personnes en situation de drpendance, comme
les d6tenus. S’agissant de ceux-ci, l’auteure fait, il est vrai, mention de la posi-
tion contraire du droit amrricain et de certains auteurs ; mais on ne peut que
drplorer qu’elle se contente alors d’6crire, sans autre commentaire, que pour
ces demiers, exclure les prisonniers constitue une mesure discriminatoire qui les
emp~che de se revaloriser socialement>>0 . Une telle conception de l’6galit6,
devant l’exprrimentation, pourrait A la vdrit6 en faire frmir plus d’un”.

Cela 6tant, l’auteure observe encore que le consentement de l’intrress6,
m~me lorsqu’il peut etre valablement requ, ne peut etre A lui seul satisfaisant.
I1 n’est pas en effet une garantie suffisante dans une entreprise off, sans en avoir
toujours pleinement conscience, la persone se transforme en veritable cobaye
humain dans l’unique int~rt de la science. Aussi le droit qu6bcois, dont les
r~gles ont leur pendant en droit frangais, subordonne toute recherche A un crit~re
de proportionnalit6 et exige que le risque couru ne soit pas hors de proportion
avec le bienfait que l’on peut raisonnablement escompter 2.

Enfin, et c’est sans doute 1 le principe qui pr&e le plus h discussion, l’ex-
prrimentation ne doit pas se transformer, pour celui qui s’y pr&e, en une entre-

m~dicamenteuse>> Gaz. Pal. 2 sem. 1989.Doctr.493 ; L. Dubouis, <> [1989] Rev. dr. sanit. soc. 155 ; G. M~meteau, <> D.1990.Chron.165 ; B. Edelman, La
recherche biomdicale dans l’6conomie de march> D.1991.Chron.203; S. Gromb, Le droit de
‘expirinzentation sur l’homme, droit frangais, r~gles supranationales, Paris, Litec, 1992.
9Cette r6vocabilit6 du consentement donn6, sans que ‘intdress6 n’encoure jamais de responsa-
bilit6, conduit au demeurant a douter de la qualification de contrat souvent donn~e
l’accord pass6
entre l’exprrimentateur et le sujet de l’exprrimentation, dans la mesure oji une telle qualification
est en principe r6serv~e aux accords pourvus d’une force juridique obligatoire.

‘Gascon, supra note 2 a la p. 28.
1Quoique ce genre de rapprochement soit toujours arbitraire, on ne peut irrrsistiblement man-
quer d’6voquer les experiences auxquelles se sont livr6s, pendant la Seconde Guerre mondiale, les
mddecins allemands dans les prisons ou dans les camps de concentration (sur ces pratiques, voir
F. Bayle, Croix ganmnze contre caducie, les expdriences humaines pendant la Seconde Guerre
niondiale, Neustadt, Imprimerie nationale, 1950-54).
‘ 2C’est ce qu’un rapport du Conseil d’ttat fran~ais a appel6 le bilan risques-avantages (France,
Conseil d’ttat (Section du rapport et des 6tudes), Sciences de la vie : De l’ithique au droit, 2’ dd.
(Notes et 6tudes documentaires n 4855), Paris, Documentation frangaise, 1988
la p. 28) et qui
est aujourd’hui impos6 en droit frangais par l’art. L. 209-2 du Code de la sant6 publique :

Aucune recherche biomddicale ne peut 8tre effecture sur l’etre humain : […]
si le risque
prrvisible encouru par les personnes qui se prtent 4 la recherche est hors de proportion
avec le brndfice escompt6 pour ces personnes ou l’intrr& de cette recherche.

McGILL LAW JOURNAL

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prise d’exploitation lucrative du corps humain. Sur ce point, on acceptera avec
l’auteure que l’incitation financi~re est certainement un mal nrcessaire sans
lequel il serait illusoire de recruter des sujets volontaires qui n’attendent person-
nellement rien de la recherche. On reconnaitra 6galement volontiers, h l’inverse,
qu’une r6tribution trop importante empirterait sur la libert6 de choix des per-
sonnes et conduirait surtout h admettre une professionnalisation dans l’essai
dont les cobayes de choix seraient inrvitablement les personnes les plus d6mu-
nies. C’est du reste, comme le souligne alors Mine Gascon, pour 6viter qu’un
tel professionnalisme ne voit le jour que le droit qurbrcois comme le droit fran-
gais, tout en admettant le principe du versement d’une indemnitV3, ont entendu
limiter celle-ci h la compensation des contraintes subies 14, la loi frangaise pr6-
voyant de surcrolt un plafonnement de la r~munrration perque par les volon-
takes au cours d’une meme annie”5. On ne peut toutefois se garder du sentiment
d’une certaine hypocrisie lorsque, a propos de la qualification de cette indem-
nit6, l’auteure estime que <<[l]e terme rrmunrration est souvent utilis6 alors que le terme compensation serait plus adrquat>>’6. Cette opinion participe en effet
largement h ce qu’un auteur a fort justement appel6 le mythe indemnitaire”7 et
qui consiste h justifier par l’ide d’une simple compensation l’existence d’une
r6mun6ration dans des domaines qui rrpugnent par excellence At toute consid6-
ration financi6re. En l’occurrence, dire qu’un individu regoit une compensation
pour les contraintes subies h l’occasion d’une experimentation est infiniment
plus respectable que d’avouer qu’une personne puisse faire commerce de son
corps en l’utilisant des fins exprrimentales moyennant une r6mun6ration. Les
propositions, en pratique, sont pourtant strictement 6quivalentes.

4. Avec l’exemple de la gestation pour autrui, l’auteure retient une autre
manifestation importante de la libert6 (ou du moins de sa revendication) de la
personne h disposer de son propre corps. Mine Gascon observe en effet que le
contrat dit de <> implique la mise A disposition par une femme de
ses facultds reproductrices et conduit au surplus, lors de son execution, a dispo-
ser de l’enfant ainsi con9u s. Un pas est-il franchi par rapport h l’exprimenta-
tion sur la personne ? I1 est stir, en tout cas, qu’examinant cette pratique de plus
pros, dans une approche qu’elle qualifie d’6thique”9 , l’auteure expose davantage
les craintes qu’elle lui inspire que la faveur qu’elle suscite : elle entrevoit ainsi
le risque d’une drpersonnalisation de ]a maternit6, la possibilit6 de troubles psy-
chologiques et sociaux chez 1’enfant et enfin le spectre bien reel d’une exploi-
tation policre des femmes 6conomiquement drfavorisres 0 . Devant pareils
motifs d’hostilit6, reconnaissons qu’il serait vain d’arguer l’existence d’un pr6-

13La loi frangaise limite le versement de cette indemnit6 aux seuls volontaires sains alors que
‘art. 25 C.c.Q. ne semble pas imposer cette restriction.
14Ce qui laisse au demeurant une large place

l’apprdciation subjective et A l’instauration d’une

v~ritable rdmunrration du sujet.

15Code de la santi publique, art. L. 209-15.
16Gascon, supra note 2 A la p. 31, n. 130.
7Baud, supra notel A ]a p. 209.
‘SSupra note 2 A la p. 36.
19Nous dira-t-on un jour ce qu’est l’6thique, sinon une version modeme ou modemisde de ]a
20Gascon, supra note 2 aux pp. 39-40.

morale ?

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BOOK REVIEW

tendu <>2 pour justifier par cela seul le recours h cette technique
de procreation. Tranchant d’ailleurs avec la franche permissivit6 qu’elle relevait
A l’6gard de l’exp6rimentation sur la personne, l’auteure montre que le droit
qu6b6cois s’est engag6 dans la voie de la condamnation pure et simple de la ges-
tation pour autrui, depuis que l’article 541 du nouveau Code civil du Qudbec
d6clare nulles de nullitd absolue les conventions y aff6rentes.

A ce point de l’analyse, on peut cependant regretter que l’auteure ne se soit
pas interrog6e plus avant sur les fondements de cette prohibition. En l’inscrivant
seulement en faux par rapport au principe de la libert6 de disposer de son corps,
elle passe totalement sous silence les r~gles d’ordre public qui, d’un autre c6t6,
organisent traditionnellement la protection imperative du corps humain. Or
parmi elles, le principe d’indisponibilit6, m~me s’il ne domine plus la mati~re,
reste certainement encore l’une des techniques mises au service de la d6fmition
de ce statut d’ordre public du corps. Pour nourrir la r6flexion, l’analyse compa-
r~e du droit frangais n’efit d’ailleurs pas 6t6 inutile: s’il condamne en effet t
l’identique les conventions de m~re porteuse, il fonde expressdment cette solu-
tion sur le principe d’indisponibilit6 du corps humain. L’arrt de principe rendu
par l’Assembl6e pl6nire de la Cour de cassation le 31 mai 1991 6tait ouverte-
ment en ce sens22. De meme, le projet de r6forme du Code civil frangais, en date
du 25 mars 19922, consacre le principe d’indisponibilit6 du corps24 avant d’en
faire application en prohibant h son tour les conventions de procr6ation ou de
gestation pour le compte d’autrui25. Cette justification, naturellement, n’est pas
sans poser de question puisque l’indisponibilit6 du corps humain devient ainsi
l’instrument d’une politique de prohibition de certaines conventions alors
qu’elle a par ailleurs perdu, en d6pit de la g6n6ralit6 apparente du principe, toute
valeur contraignante s’agissant d’autres conventions comme celles relatives A

21Voir P. Raynaud, <> Les Petites Affiches (6 septembre 1993) n 107 (1″ partie), Les
Petites Affiches (13 septembre 1993) n 110 (suite et fin).
23Le Gouvemement frangais a d~pos6 en 1992 devant le Parlement deux importants projets de
loi relatifs 4 Ta bio~thique, l’un relatif au corps humain et modifiant le Code civil (Doc. Ass. nat.
1991/92, n 2599, 25 mars 1992) [ci-apr~s Code civil en projet), l’autre relatif au don et A l’utili-
sation des 6lments et produits du corps humain et A la procr6ation m~dicalement assist6e et modi-
fiant le Code de la santgpublique (Doc. Ass. nat. 1991/92, n 2600, 25 mars 1992) [ci-apr~s Code
de la santg publique en projet]. Adopt~s en premiere lecture par l’Assemble nationale le 21
novembre 1992, leur discussion avait W interrompue par le changement de 1dgislature, mais elle
vient de reprendre devant le S6nat, le 13 janvier 1994, sans grands changements sur les points
essentiels. Voir pour une presentation de ces textes, Comu, supra note 1 aux pp. 175-78 ; C. Nei-
rinck, > Les Petites Affiches (22
juin 1992) n 75.

24Code civil en projet, ibid., art. 17, al. 2: <.

25Code civil en projet, ibid., art. 23.

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l’exp~rimentation. Aussi bien, il eut 6t6 intrressant d’entamer la discussion au
regard du droit qurb6cois dont les solutions se recommandent 6galement de ]a
libert6 de disposer de son corps mais manifestent, d’autres fois, une r6surgence
de l’assujettissement du corps des principes d’ordre public classiques.

Un important passage sur les implications de la nullit6 du contrat de mere
porteuse fait ressortir, en revanche, toute l’ambivalence de la solution d’autorit6.
Si cette nullit6 sanctionne en effet le respect d’une certaine conception de l’or-
dre public, l’auteure montre cependant combien sa mise en oeuvre peut avoir
d’effets pervers : il y a ainsi le risque que, la pratique subsistant, la more por-
teuse monnaye la remise de l’enfant
laquelle elle ne peut 6tre contrainte, et
que celui-ci devienne ainsi l’objet de surench~res scabreuses ; il y a aussi le dan-
ger que le couple demandeur argue de la nullit6 du contrat pour laisser A la more
porteuse un enfant dont celle-ci ne veut pas. Au total, comme le fait observer
l’auteure, <[1]e grand perdant dans toute cette aventure risque fort d'etre l'enfant [...]>>26. Le souci de tenir compte de la rdalit6 pratique au-delA de la sanction
symbolique transparait d’ailleurs dans certaines decisions de tribunaux frangais
qui, saisis d’une demande d’adoption d’un enfant conqu en exrcution d’une
convention de mere porteuse, ont consid6r6 qu’ils n’avaient pas A tenir compte
de l’illicrit6 de celle-ci pour prononcer celle-lA dans l’int6r& de l’enfant2 ; ce
qui revient, au bout du compte, A admettre l’efficacit6 juridique de la conven-
tion 8.

5. Le principe de la libert6 de disposer de son corps est 6galement envisag6
dans son application aux composantes du corps. L’6tude est particuli~rement
heureuse, mais l’entreprise complexe lorsque l’on connait l’ampleur du ph6no-
m~ne de du corps humain. Choisissant de suivre la distinction
oprr6e par le Code civil du Bas-Canada, l’auteure oppose ici l’ali6nation de par-
ties du corps non susceptibles de r6grnrration et la disposition de celles qui se
reconstituent, avant d’aborder le regime plus particulier des r6sidus du corps.
La premiere catrgorie d’actes, montre Mme Gascon, ob6it A trois r~gles
fondamentales. Premi~rement, le principe de l’inviolabilit6 du corps humain
conduit A exiger le consentement prralable, libre, 6clair6 et en tout temps revo-
cable, du donneur. Ensuite, la protection imp6rative du corps, limitant la libert6
de chacun d’en disposer, postule au nom de l’ordre public une proportionnalit6
entre les risques et les bienfaits. Du point de vue des risques, la protection
se manifeste ainsi par l’interdiction du pr~lvement de tout organe indispen-
sable A la survie du donneur. Du point de vue du bienfait, qui ne peut etre que
psychologique pour le donneur 9, elle amine le plus souvent A renfermer le don
d’organe entre proches parents 0 . Par un curieux detour de la notion de bienfait,

26Gascon, supra note 2 A ]a p. 43.
27Voir par ex. Pau, 19 frvrier 1991, D.1992.Somm.59 (obs. F Dekeuwer-Defossez) ; Poitiers, 22

janvier 1992, D.1993.Somm.119 (obs. J. Vassaux-Vanoverschelde).

28La Cour de cassation, dans son arr& de principe du 31 mai 1991 (supra note 22), avait pourtant
clairement jug6 au contraire que l’indivisibilit6 entre l’adoption et ]a convention qui l’a prdcd~e
entramait un drtoumement de l’institution de l’adoption et en interdisait le prononc.

29Gascon, supra note 2 A la p. 53.
30L’auteure observe ainsi (ibid. A ]a p. 52) que <[1]es dons entre vifs d'organes non rrgdndrables sont, la plupart du temps, Iimitrs aux personnes lides gdndtiquement>. En France, le projet de

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CHRONIQUE BIBLIOGRAPHIQUE

l’6change entre vifs d’un organe du corps devient ainsi un privilege du sang !
Enfin, troisi~me r~gle essentielle, le droit impose en tous les cas la gratuit6 de
l’acte31 . Au-deli du. corps, l’ordre public protege ici la dignit6 de la personne qui
r6pugne au commerce d’organes humains.

S’agissant de l’ali6nation entre vifs d’une partie du corps susceptible de
r6g6n6ration, ce qui vise essentiellement les dons de sang, de sperme, de moelle
osseuse, de lait et de cheveux32, les contraintes li6es t la protection imp6rative
du corps sont sans doute moins manifestes car, comme le note Mme Gascon, le
pr6lvement se fait alors sans atteinte A la conservation de la personne33. La
question cruciale est surtout ici celle de la gratuit6 ou de la r6tribution de l’acte.
L’auteure observe i ce sujet qu’alors que ce type d’ali6nation faisait jusqu’h pr6-
sent exception au principe de la gratuit6, le nouveau Code civil du Qudbec a
modifiM cette solution en imposant, de mani~re g6n6rale, la gratuit6 de toute
ali6nation portant sur une partie ou des produits du corps humain. Le droit fran-
gais s’est 6galement engag6 dans cette voie. Ainsi, pour le sang, la Loi d 4 jan-
vier 19933′ r6affirme avec 6nergie le principe de gratuit6, sous la menace de
sanctions p6nales35. La Loi du 31 dicembre 199136 en avait fait de m~me s’agis-
sant du sperme. De fagon plus g6n6rale, le projet de r6forme du Code civil fran-
gais pr6voit frapper de nullit6 les conventions 4 titre on6reux portant sur les pro-
duits du corps, sauf si la loi ou l’usage en d6cide autrement37. On le voit, apr~s
une p6tition de principe, le droit r6serve donc toujours des exceptions d’usage>>
qui, comme le souligne Mme Gascon, concement surtout en pratique les ventes
de cheveux ou de lait. Allant plus loin, on ne peut manquer de constater qu’il
s’6tablit une sorte de hi6rarchie parmi les produits du corps humain. D’un c6t6,
il y aurait ceux qui ont un caract~re presque sacr6 et qui, m~me d6tach6s du
corps, conservent trop de son humanit6 pour 8tre de simples marchandises : le
sang, le sperme n’ont ainsi pas de prix, du moins pour le donneur. De l’autre,
on trouverait tous les produits humains qui n’entrent pas dans la repr6sentation
que l’on se fait de la sacralit6 corporelle et dont la v6nalit6 est en cons6quence
parfaitement admise. Au crit~re physiologico-6conomique de ce qui est plus ou

r6forme du Code de la santi publique pr6voit d’ent6riner cette restriction et de n’admettre le don
d’organe entre vifs qu’en faveur d’un pore, d’une more, d’un fils, d’une flle, d’un fr~re ou d’une
sceur (Code de la santa publique en projet, supra note 23, art. L. 667-3).

31La gratuit6 de l’acte doit 8tre entendue au sens large, comme 1’interdiction de toute compen-
l’ali6nation d’une partie du corps. A une dpoque de r6cession 6conomique, certaines per-
sation
sonnes n’h6sitent pas, en effet, aujourd’hui h un organe non pas moyennant une r6tribution
p6cuniaire directe, mais en dchange de la foumiture d’un emploi (voir 1’exemple rapport6 en
France par le quotidien Libiration : <
Libdation (25 octobre 1993) 25.

32Gascon, supra note 2 a la p. 56.
331bid.
34Loi n 93-5 d 4 janvier 1993 relative a la sicuritg en matidre de transfusion sanguine et de
35Code de la santg publique, art. L. 666-3, al. 2 (nouveau) : .

mdicanzent, J.O., 5 janvier 1993, 237.

36Loi n- 91-1406 du 31 dicembre 1991 portant diverses dispositions d’ordre social, J.O., 4 jan-

vier 1992, 178, J.C.P. 1992.111.65301, art. 13(1I).

37Code civil en projet, supra note 23, art. 21. Voir Comu, supra note 1 aux pp. 173, 177.

McGILL LAW JOURNAL

[Vol. 39

moins r6g6n6rable s’ajouterait donc ainsi un crit~re psychologique tir6 de la
valeur d’humanit6 associ6e au produit du corps et qui permet de d6finir ce qui,
en quelque sorte, est digne de ne pas 8tre v6nal3″.

L’observation pourrait d’ailleurs etre prolong6e en ce qui conceme les r6si-
dus du corps humain que l’auteure envisage en demi~re analyse. Est-il digne de
vendre du placenta, de l’urine ou bien encore des d6chets op6ratoires ? Et si ces
616ments ne rec~lent en eux-m~mes aucune valeur, l’individu ne doit-il pas
n6anmoins profiter des b6n6fices 6conomiques que leur exploitation m~dicale
ou le fruit des recherches dont ils sont l’objet sont susceptibles de g6n6rer ? La
c6l6bre affaire Moore39 est naturellement 6voqu6e par l’auteure. Mais Mme Gas-
con pose surtout ici le probl~me de l’appropriation de ces r6sidus pour leur
retraitement industriel ou leur emploi a des fins de recherche. La question se
pose en effet de savoir si l’on doit pr6sumer l’abandon par la personne des pro-
duits de son corps, recueillis A l’occasion d’une intervention chirurgicale ou
d’un pr6l vement aux fins de diagnostique, ou si le cofsentement expr~s du
sujet A leur utilisation est n6cessaireo. A ce sujet, Mme Gascon relve que le
nouveau Code civil du Quibec a tranch6 en faveur du consentement expr~s du
patient. I est cependant permis de regretter qu’elle s’en tienne lA et ne s’inter-
roge pas sur la port6e de cette exigence. En effet, si la n6cessit6 du consente-
ment de la personne pour le pr6lvement de ces produits r6pond incontestable-
ment h l’application du principe de l’inviolabilit6 du corps humain, une autre
chose est d’exiger, en’outre, le consentement du patient a leur utilisation puis-
qu’il s’agit alors de reconnaitre un droit du sujet sur les 616ments d6tach6s de
son corps. Ces 616ments, de toute 6vidence, ne sont plus la personne elle-meme
ni meme des <> de personne 4t , mais ressortissent radicalement au
domaine des choses. Aussi, on peut consid6rer qu’en exigeant le consentement
de la personne A toute utilisation de produits pr6lev6s en son corps, le droit con-
vient par IA meme de l’existence d’un droit de propri6t6 du sujet sur ces >42. L’affirmation de ce droit, A notre avis, ne pr6juge au
demeurant en rien de la reconnaissance que certains pr6nent plus radicalement
d’un droit de propri6t6 de l’individu sur le corps lui-m~me43. De meme, elle ne
nous semble pas incompatible avec les consid6rations d’ordre public qui
peuvent conduire A imposer la non v6nalit6, pour le sujet, des 616ments d6tach~s
de son corps.

6. Pour clore la discussion sur les diff6rentes manifestations de la libert6
de la personne de disposer de son corps, l’auteure examine en demier lieu la

partie 249 Cal. Rptr. 494 (Ct. App. 1988).

272 et s. ; Couturier, supra note 22 A la p. 9.

38Voir Baud, supra note I A ]a p. 203 et s.
39Moore c. Regents of the University of California, 793 P.2d 479 (Sup. Ct. 1990), infirmant en
40La solution est incertaine en droit frangais. Voir sur ]a question, Labbde, supra note 3 a la p.
41Selon la lumineuse formule d’un auteur, nul doute que si l’on coupe un individu en deux on
42Voir d6jA en ce sens, Labb6e (ibid. A la p. 272) qui estime que >.

n’obtient pas deux sujets de droit (Labb6e, ibid. A la p. 275).

corps humain : Propri6t de l’ttat ou propri6t6 de soi ?> (1991) 13 Rev. fr. th~orie jur. 111.

1994]

BOOK REVIEW

question de l’utilisation des tissus fetaux. On puisera dans son ouvrage de pr6-
cieux enseignements sur les int6r~ts scientifiques et th6rapeutiques d’une telle
utilisation, notamment pour le traitement d’affections cong6nitales ou d6g6n6ra-
tives. D’un point de vue pol6mique, l’auteure situe cependant surtout le d6bat
sur la question de la provenance des fcetus, ce qui renvoit h la probl6matique
plus large de l’interruption de grossesse. S’agissant en effet de foetus provenant
d’un avortement involontaire, Mme Gascon n’6met aucune r6serve sur l’utilisa-
tion de leurs tissus : il suffit de faire application des dispositions l6gales impo-
sant de recueillir le consentement de l’int6ress6e avant d’utiliser, h des fins de
recherches, les tissus pr6lev6s dans le cadre de l’intervention m6dicale4 .
Lorsque le fetus provient en revanche d’un avortement volontaire, l’auteure
estime que la pratique ne serait plus i l’abri de certaines d6rives. Parmi les
craintes 6voqu6es, elle insiste en particulier sur le risque que la destination uti-
litaire des tissus fmtaux n’en vienne a influencer la d6cision d’une femme de se
faire avorter ou pis, la d6termine a concevoir dans le seul but d’avorter et de
c6der les tissus fcmtaux. Dans une approche purement manich6enne, l’utilit6 des
tissus fmtaux inciterait ainsi h leur production volontaire par la personne, faisant
de la conception, paradoxe supreme, un mode de production du non-vivant.
Faut-il d~s lors condamner radicalem6nt l’utilisation des tissus fcetaux lorsqu’ils
sont obtenus it la suite d’une interruption volontaire de grossesse ? Etonnam-
ment, l’auteure ne prend pas parti et se contente d’envisager les conditions
auxquelles cette utilisation devrait en’tout cas 6tre subordonme. A ce titre, elle
pose en principe l’exigence du consentement de la m~re, et de la m~re seule,
dans la mesure, dit-elle, oi <>45. Elle estime par ailleurs que cette d6ci-
quant
sion de la mere devrait etre nettement dissocife, lors de sa sollicitation, de celle
d’avorter. De mani~re g6n6rale, elle recommande d’ailleurs de dissocier com-
pl~tement les deux op6rations afin, notamment, que la technique d’avortement
utilis6e ou le moment pour y proc6der ne soient nullement influenc6s par l’in-
t6rt de pr6server au mieux la qualit6 des tissus fketaux..Ces propositions, A la
v6rit6, nous semblent raisonnables 46.

I1 n’en demeure pas moins que, dans l’ensemble, l’analyse de l’auteure
tdmoigne d’un parti pris sur le statut du fcetus avort6. Ne serait-ce que parce
qu’elle situe d’embl6e la question au sein des manifestations de la disposition

44Supra note 2 A Ia p. 72.
45 Ibid. aux pp. 77-78.
46Notons qu’en droit frangais, la plus totale incertitude r~gne sur cette question de l’utilisation
des tissus foetaux a des fins th&apeutiques ou scientifiques. Plusieurs avis ont 6td rendus ce sujet
par le Comit6 consultatif national d’dthique d’oii il ressort qu’une telle utilisation peut 6tre 16gitime
mais At des conditions tr~s strictes. En particulier, dans son avis sur les pr61vements de tissus d’em-
bryons ou de fetus humainsrnorts des fins th~rapeutiques, diagnostiques et scientifiques, du 22
mai 1984, le Comit6 a pr6conis6 d’interdire le maintien artificiel de ]a vie de l’embryon ou du
foetus en vue de la recherche ou de pr6l16vements
des fins th6rapeutiques. Voir sur cet avis, G.
Mdmeteau, Le premier avis du Comit6 consultatif national d’6thique > J.C.P. 1985.1.3191. Voir
la p. 281 et s. ; G. M6meteau, < [1983] Rev. dr. pen. et crim. 519 ; C. Jacquinot, Gaz. Pal. 1′ sem. 1983.Doctr.140 ; G. Mdmeteau, Le pr6l16vement
fins th~rapeutiques sur le fetus de legeferenda > Gaz. Pal. 2′ sem. 1983.Doctr.322.

REVUE DE DROIT DE McGILL

(Vol. 39

de son propre corps par la personne, Mne Gascon consid~re par l4 meme, a
priori, que le fcetus est une fraction du corps de la femme, ce qu’un auteur, 6ga-
lement favorable h cette conception, a appel6 une pars mtlieris47 . En cela, il
6tait certes logique de consid6rer que la femme a seule pouvoir de disposer du
corps du fcetus comme elle a seule le pouvoir de disposer de son propre corps”.
Mais la discussion restait n6anmoins ouverte, car l’on a pu consid6rer, A l’in-
verse, que si le fetus n’est pas une personne au sens juridique du terme49, c’est
cependant d6jh autrui”. Expuls6 du corps de la m~re, il ne serait donc pas un
616ment d6tach6 de celui-ci mais un cadavre. Dans cette perspective, on pourrait
alors envisager, par assimilation aux r~gles gouvernant les pr6lvements sur le
cadavre d’un incapable51, que le consentement de l’un ou l’autre des deux
auteurs, et non n6cessairement de la m~re, soit exig652. A tout le moins, il eft
6t6 int6ressant de d6voiler cet aspect du probl~me.

7. Changeant son analyse d’orientation, Mme Gascon consacre, dans la
seconde partie de son ouvrage, une attention m6rit6e aux actes de disposition
qui portent non plus sur le corps de la personne qui prend la decision d’y pro-
c6der, mais sur le corps de celui ou de celle qui est pr~cis~ment inapte A prendre
cette d6cision. On perqoit bien imm6diatement l’importance du probl~me et la
circonspection qu’il faut pour en d6battre. Une chose est en effet de disposer de
son propre corps, une autre, autrement plus grave, de pr6tendre disposer t sa
place du corps d’autrui, surtout s’agissant d’actes dont il ne retirera personnel-
lement aucun b6n6fice. N’y a-t’il pas alors, en perspective, la question de l’exis-
tence d’un droit sur le corps d’autrui, qui est sans doute l’une des questions les
plus intol6rables qui soit ?

Pr6f6rant s’en tenir aux principes, l’auteure constate qu’ils s’inscrivent
dans deux directions. D’un c6t6, elle note que le droit positif estime 16gitime de
consentir pour autrui h un acte portant atteinte h son int6grit6 physique des fins
non th6rapeutiques. Elle montre qu’une place particuli~re est faite, A cet effet,
A l’autorit6 du repr6sentant 16gal,
qui revient de droit le pouvoir de disposer
du corps de l’incapable ; mais elle insiste 6galement sur l’existence en droit qu6-
b~cois d’un contr6le judiciaire ou administratif 3. Quant A la mise en ceuvre de
ce pouvoir consid6rable, elle relive que, dans leur tache, le repr6sentant 16gal

la p. 256,

4 7Voir dgalement en faveur de cette analyse, Labb6e, ibid.
4 8Voir 6galement en ce sens, ibid. A la p. 257.
4 9La discussion du statut du foetus et de l’embryon donne lieu en France A une litt6rature abon-
dante. Voir notamment G. Raymond, Le statut juridique de l’embryon humain> Gaz. Pal. I’ sem.
1993.Doctr.524 ; R Pdrot, > D.1989.Chron.193 ; R. Th6ry, La condition juridique de l’embryon et du fotus>>
D.1982.Chron.232.

5 0Voir en ce sens, Cornu, supra note 1 A la p. 179 ; R.L. Andomo, > [1992] Rev. rech. jur., dr. prosp. 13 A ]a p. 16.

51Art. 43, 44 C.c.Q.
5 2Le Comit6 consultatif national d’6thique frangais, dans son avis du 22 mai 1984, a d’ailleurs
prconis6 que les pr06vements de tissus embryonnaires [puissent] etre interdits par le p~re ou ]a
mare, qui disposent de la facult6 de s’y opposer> (voir M~meteau, >, supra note 46, annexe).
53L’autorisation du tribunal, en sus de celle du repr~sentant idgal, est ainsi exigde pour les ali6-
nations entre vifs d’une partie du corps de la personne prot6gde. Elle a en revanche 6t6 supprim~e

19941

CHRONIQUE BIBLIOGRAPI-[QUE

et, le cas 6chrant, le tribunal doivent tenir compte de l’int~rt de la personne
protrgre, directive dont on mesurera le cynisme lorsqu’il s’agit prrcisrment
d’actes sans b6nrfice thrrapeutique pour l’incapable.

D’un autre crt6, l’accent est mis sur les limites qu’il est indispensable
d’6tablir pour garantir, s’il peut encore en 8tre question, la protection de la per-
sonne. A cette occasion, Mine Gascon souligne l’importance de la prise en con-
sidrration de la volont6 de l’incapable chaque fois qu’il est habile h l’exprimer,
tout en manifestant cependant son regret que les nouvelles dispositions du Code
civil du Qudbec soient sur ce point nettement en retrait par rapport h celles du
Code civil d Bas-Canada. Selon les nouveaux textes en effet, la capacit6 de
discemement de l’incapable n’est plus une condition pour proc6der h un pr6l-
vement ou h une exp6rimentation sur son corps, mais seulement un 6tat l’auto-
risant a s’opposer h un tel acte’. La voie est done tr~s largement ouverte a des
pr6l~vements ou des exp6rimentations sur le corps d’un enfant en bas age ou
d’un majeur dont l’altdration des facult6s est telle qu’il n’est pas en mesure de
comprendre la nature et les effets de l’intervention. Reste, il est vrai, une autre
condition garantissant un minimum de protection de l’incapable: l’absence de
risque s6rieux pour celui-ci55, dont on apprrciera cependant la souplesse d’inter-
prrtation qu’elle autorise.

Que ressort-il de tout cela ? Davantage l’impression que le droit c~de irr6-
sistiblement, plus encore ici qu’ailleurs, aux exigences de la recherche et aux
nrcessitrs de la mrdecine. Ce qui, en effet, peut 6tre acceptable lorsque la per-
sonne assume en propre la decision de disposer de son corps au profit d’autrui
ou de la science l’est beaucoup moins lorsque la d6cision est prise pour elle.
Sans doute l’int6r& de la science ou de malades est-il digne de considration;
mais l’est-il r~ellement au point de sacrifier l’int~rt d’une personne qui est pr6-
cisrment inapte h le drfendre ? Le corps est autre chose qu’un amas de cellules,
et garde le droit de ne servir que la mddicocratie>>. Avec ce que cette solution
a d’excessive, nous serions done d’avis de condamner tout acte de disposition
a des fins non thrrapeutiques portant sur le corps d’un 8tre inapte h y consentir
personnellement. La proposition de l’auteure56 d’un contrrle de ces actes par un
tiers indrpendant nous parait en revanche insuffisante, d’autant qu’il resterait a
designer ce tiers indrpendant>>. Au reste, nous ne pouvons ainsi qu’applaudir
Sl’orientation du nouveau Code civil du Qudbec lorsqu’il exclut implicitement
l’alirnation d’une partie du corps de l’incapable non susceptible de rrg6nrra-
tion, comme h celle du projet de rrforme du Code de la santg publique frangais,
interdisant tout prrl~vement d’organe sur un majeur protrg6 et sur un mineur-
a l’exclusion il est vrai, pour ce demier, du prrl~vement de moelle osseuse au
brnrfice d’un frre ou d’une sceur57. Mais l’admission, tant en droit qurb6cois

par le nouveau Code civil du Quebec en ce qui concerne 1’exprrimentation non th~rapeutique, qui
est seulement soumise un contrrle administratif (Gascon, supra note 2 aux pp. 86-87).

541bid. aux pp. 90-91.
55Cette condition a W expressrment posre en droit frangais par la Loi du 20 dicembre 1988
(supra note 8), s’agissant des recherches effectues sur des mineurs ou des majeurs protrgds (Code
de la sant publique, art. L. 209-6).
56Gascon, supra note 2 A la p. 95.
57 Code de la santd publique en projet, supra note 23, art. 667-4, 667-5.

McGILL LAW JOURNAL

[Vol. 39

qu’en droit frangais, des exprrirnentations sur les incapables montre qu’il reste
encore beaucoup A faire.

8. Dans un dernier chapitre, Mine Gascon soul6ve le probl~me sp6cifique
de
‘utilisation des organes et des tissus pr6lev~s sur les nouveau-nrs anenc&
phales. On sait l’actualit6 de la question en Am6rique du nord et on ne peut que
s’6tonner du peu d’6cho qu’elle connait en France58.

L’auteure introduit son 6tude par un compte rendu tr~s complet sur le dia-
gnostic de l’anencdphalie et l’utilit6 aux fins de transplantation des organes des
enfants qui sont victimes de cette malformation, expos6 auquel il ne peut 6tre
que conseill6 de se r6frrer pour aborder cette d6licate question59. On regrettera
seulement l’aspect purement clinique qui prend souvent le pas dans l’analyse,
par exemple lorsqu’il est observ6 que les anencrphales peuvent devenir une
source d’organes intrressante>>. Ce jugement montre A la vdrit6 pleinement le
risque de drapage du discours medical, souvent tent6 de voir dans le corps
humain moins le substrat de la personne qu’un bien utilitaire. Mine Gascon,
d’ailleurs, n’en est pas dupe puisqu’elle rel~ve plus loin que la principale pr6oc-
cupation 6thique porte justement sur l’utilisation des anencrphales comme un
simple moyen d’arriver h des fins61. Le danger d’une derive est au reste bien re’el
lorsque l’auteure montre comment, At partir du constat clinique de la d6t6riora-
tion rapide des organes de l’enfant, certains mrdecins en sont venus aujourd’hui
h prrner leur pr6l~vement sur l’anencrphale le plus trt possible apr~s la nais-
sance, sans 6gard A la declaration de mort c6rbrale. Pour asseoir cette position,
ils n’hrsitent pas prcisdment h ddshumaniser l’anencrphale au >. Enfin, on sera reconnaissant
l’auteure d’avoir consacr6 de prd-
cieux d6veloppements au pouvoir de disposer du corps d’autrui qui pose, h notre
avis, le probl~me essentiel du sacrifice de l’int6r& d’une personne a celui d’un
tiers ou de la collectivit6, et par lt mme, de la 16gitimit6 du droit d’en d6cider
h sa place.

Au-delh de cet apport et de l’important travail qui le sous-tend, il faut
cependant reconnaitre que l’ouvrage de Mme Gascon n’a la richesse que des
opinions qu’il relate. Trop descriptif, il manque incontestablement aux propos
de l’auteure ces prises de position ou ces propositions qui donneraient
son
6tude l’6toffe d’un ouvrage de rdflexion. Dans un souci louable de pr6cision,
Mme Gascon a expos6 les solutions du droit positif lorsqu’il en existait; mais
par un exc~s de temp6rance, elle ne s’est pas r6solue h prendre elle-m~me parti
lorsqu’un d6bat 6tait ouvert. Dans cette perspective, on peut en outre regretter
l’importance accord6e aux consid6rations des scientifiques au d6triment d’une
r6flexion attendue sur les r~gles juridiques h 6tablir. II est vrai que, pour Mme
Gascon, <[1]'encadrement juridique des actes de disposition du corps humain ne doit pas 6touffer l'6volution de la science m6dicale [... ]>63. Mais qu’il nous soit
cependant permis de consid6rer qu’il faut absolument abandonner cette id6e,
d’ailleurs largement r6pandue, selon laquelle les 61aborations des juristes mena-
ceraient les progr~s de la m6decine et des biotechnologies. C’est au contraire
dans un cadre juridique certain qu’ils pourront s’accomplir le plus sereinement.
Et si au bout du compte, dans une approche purement utilitariste, certains ne
voient que peu d’inconv6nients h ce qu’un individu puisse vendre son corps,
n’est-il pas raisonnable de penser qu’il appartient ultimement au droit de prot6-
ger la dignit6 de la personne contre une corrosion qui la rapproche chaque fois
un peu plus du monde des choses ?

63Ibid. A a p. 124.

Canadian Electoral Boundaries and the Courts: Practices, Principles and Problems in this issue

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