Article Volume 32:3

Mesures d'exception et règle de droit : Les conditions d'application de la loi martiale au Québec lors des rebellions de 1837-1838

Table of Contents

Mesures d’exception et r~gle de droit:

Les conditions d’application de la loi martiale au Qu6bec

lors des r6bellions de 1837-1838

J.-M. Fecteau*

Au dix-neuvi~me sicle, le statutjuridique de
la loi martiale, en droit anglais, demeure re-
lativement flou. Alors que toute une 6cole de
pens6e conteste son existence m~me, se d6-
veloppe dans les colonies de l’Empire britan-
nique une pratique d’intervention militaire
se fondant sur cette m~me notion. Ce texte
analyse les modalit6s d’application de ce type
de mesure d’exception lors des rdbellions de
1837 et 1838 au Bas-Canada. I1 s’attache A
d6montrer que l’imposition de la loi martiale,
dans Ia conjoncture bas-canadienne de
‘6poque, sert moins A r~primer l’insurrection
militaire qu’A pallier les insuffisances graves
de l’appareil civil de maintien de l’ordre. Les
contradictions sp~cifiques du syst6me ad-
ministratif et 16gal britannique dans les co-
lonies obligent en effet A recourir A
l’intervention militaire, ce qui ouvre la voie
un arbitraire 16gal qui apparalt comme l’en-
vers implicite du formalisme strict de la r~gle
de droit. Uexemple bas-canadien nous aide
donc i saisir dans toute leur ampleur les li-
mites politiques et 16gales du syst~me anglais
de maintien de l’ordre dans les colonies, et
ce au moment de Ia transition au capitalisme
industriel.

In the nineteenth century, the juridical status
of martial law in Britain was unsettled. While
in the metropolis an entire school of thought
denied its very existence, martial law came
to justify military intervention in the colo-
nies. This paper studies the implementation
of this type of exceptional measure in the
context of the 1837 and 1838 rebellions in
Lower Canada. The paper aims to show that
in the circumstances prevalent in Lower Can-
ada dt that time, the imposition of martial
law served less to repress military insurrec-
tion than to make up for the serious defi-
ciencies in the civil system for maintaining
order. Specific contradictions in the colonial
administrative and legal systems left no al-
ternative but recourse to military interven-
tion, thereby opening the door to legal
arbitrariness and revealing the hidden face of
the strict formalism of the rule of law. The
Lower Canadian example enables us to mea-
sure in full the political and legal limits of
the British system of maintaining order in the
colonies, in a time of transition toward in-
dustrial capitalism.

*Du Dpartement d’histoire, Universit6 du Qu6bec A Montral. Uid6e initiale de cette 6rude
est issue d’une conversation impromptue avec mon coll~gue Jean-Paul Bernard, A qui je dois
donc, indirectement, ces quelques mois pass6s A la fragile fronti~re qui s6pare le droit de
l’arbitraire. Qu’il en soit remerci6.

McGILL LAW JOURNAL

[Vol. 32

Sommaire
Introduction
I.

Loi martiale et maintien de l’ordre dans le droit britannique du
dix-neuvi~me sikcle
A. Le syst~me traditionnel
B. Le statut de la loi martiale
C. Le contexte colonial

II. De l’arbitraire legal A la caution legislative: la loi martiale an

Bas-Canada, 1837-1838
A. La question du maintien de l’ordre au Bas-Canada et la stratgie

insurrectionnelle

B. Le soulavement de 1837
C. Le soulvement de 1838

Conclusion
Epilogue…

Introduction

[M]artial law, when applied to the civilian, is no law at all, but a shadowy,
uncertain, precarious something, depending entirely on the conscience, or
rather on the despotic and arbitrary will, of those who administer it.’

Dans l’historiographie des r6bellions de 1837 et 1838 au Bas-Canada,
l’imposition de la loi martiale occupe une place mineure. Elle m6rite tout
au plus, chez les principaux historiens des r6bellions, 2 une mention rapide,
comme si l’adoption de mesures d’exception 6tait, dans le contexte de

‘R. c. Nelson and Brand (1867), Cockburn’s Charge A la p. 26, M. le juge Cockburn, juge en
chef d’Angleterre. Voir aussi W.S. Holdsworth, (c Martial Law Historically Considered)> (1902)
18 L.Q. Rev. 117 aux pp. 127-28.
2Voir L.O. David, Les patriotes de 1837-1838, Montr6al, Beauchemin, 1884; G. Filteau,
Histoire des patriotes, Montreal, Aurore, 1975 ; E Ouellet, Le Bas-Canada 1791-1840: Chan-
gements structuraux et crise, Ottawa, Universit6 d’Ottawa, 1976 aux pp. 421-88; et J.-P. Ber-
nard, Les rebellions de 1837-1838, Montr6al, Bor6al Express, 1983.

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LES RRBELLIONS DE 1837-1838

l’6poque, la consequence oblig~e et non probl6matique de l’tat
d’insurrection. 3

Pourtant, le recours A la loi martiale et i tout un ensemble de mesures
d’exception constitue un ph~nom~ne d’envergure dont l’6tude nous permet
de mettre en lumi~re les conditions d’op~ration, en situation d’urgence, du
mod~le anglais de maintien de l’ordre. Plus encore, l’analyse des caract6-
ristiques d’application de ces mesures d’exception nous r~v~le, en filigrane,
l’ampleur du probl~me pos6 par ‘exercice legal de l’autorit6 politique dans
le syst~me britannique. La loi martiale est, en somme, un cas limite, le
moment rare et dramatique ofa le discours de l’ordre trahit son arbitraire,
ofi la r~gle de droit d~voile la force brutale qu’elle a normalement pour
mission de nier en la r~gulant. C’est pourquoi l’6tude des modalit~s d’ap-
plication de la loi martiale au Bas-Canada nous renvoie au pr~alable A la
logique op~ratoire du syst~me britannique.

I. Loi martiale et maintien de l’ordre dans le droit britannique du

dix-neuvi~me sidce

Le syst~me de maintien de l’ordre dans l’Angleterre de la premiere
moiti6 du dix-neuvi~me si~cle subit une mutation radicale sous l’impact
des bouleversements majeurs accompagnant la transition au capitalisme
industriel. 4 La dissolution rapide des rapports sociaux traditionnels dans
les campagnes et chez les communaut~s artisanes, ainsi que le d~veloppe-
ment d’un prol6tariat urbain,5 6branlent profond6ment les subtils r6seaux
d’autorit6 qui 6taient au fondement du syst~me traditionnel de maintien de
l’ordre.

3Voir cependant l’intressant article de EM. Greenwood, LUinsurrection apprfhend~e et
l’administration de la justice au Canada> (1980) 34 Rev. d’hist. de l’Am&rique frangaise 57.
A notre connaissance, Greenwood est le seul historien A s’8tre interrog6 s~rieusement sur les
conditions lfgales de l’imposition de la loi martiale; il analyse bri~vement Ia procedure de ]a
Cour martiale institufe A la suite du soulvement de 1838.

4Sur ce point, qu’il nous est impossible de d~velopper ici, on pourra consulter, au sein d’une
importante production historiographique, L. Radzinowicz, A History of English Criminal Law
and its Administration From 1750, t. 4, London, Stevens & Sons, 1968 aux pp. 105-57 et 232-
51 ; E Munger, o Suppression of Popular Gatherings in England, 1800-1830)) (1981) 25 Am.
J. Leg. Hist. 111 ; et D. Philips, <(A New Engine of Power and Authority: The Institutiona- lization of Law-Enforcement in England 1780-1830 >) dans V.A.C. Gatrell et aL, Crime and the
Law: The Social History of Crime in Western Europe since 1500, London, Europa, 1980, 155.
5 Voir E. Hobsbawm et G. Rude, Captain Swing: A Social History of the Great English
Agricultural Uprising of 1830, New York, Norton, 1975 ; E.P. Thompson, The Making of the
English Working Class, New York, Vintage, 1964; et C. Calhoun, The Question of Class
Struggle: Social Foundations of Popular Radicalism during the Industrial Revolution, Chicago,
University of Chicago Press, 1982.

REVUE DE DROIT DE McGILL

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A. Le systme traditionnel

Au cours des si~cles, l’Angleterre avait en effet d6velopp6 A un point
remarquable un syst6me de d6centralisation de l’autorit6 publique reposant
essentiellement sur la personne du juge de paix, repr6sentant du roi dont
les multiples attributions en faisaient le point nodal de l’administration
judiciaire au niveau local. Les lois du Parlement et la jurisprudence avaient
fait de ces notables locaux les principaux responsables du respect de l’ordre
public. Assist6s de ‘constables nomm6s annuellement, habilit6s A solliciter
l’aide de la population en cas d’urgence (le hue and cry anglais), les juges
de paix pouvaient 6galement requ6rir l’intervention de l’arm6e r6gulire en
cas d’6meute. 6 Au delA des aspects quotidiens de l’administration de la
justice, la sanction des infractions 6tait confi6e A un appareil judiciaire fi-
nement hi6rarchis6 et rigoureusement encadr6 par le strict formalisme du
common law et du droit criminel. De plus, au long de l’histoire mouve-
ment6e des rapports entre la monarchie anglaise et la gentry, une s6rie de
compromis institutionnels, de la Magna Carta A la << Glorieuse r6volution >>
de 1688, avaient restreint l’exercice de la pr6rogative royale en assurant aux
sujets britanniques une protection constitutionnelle etjuridique contre l’ar-
bitraire royal (au moyen, par exemple, du due process, du verdict par jury
ou des r6gles strictes de proc6dure lors des poursuites).

Ainsi, le contr6le des populations repose-t-il, dans la premiere moiti6
du dix-neuvi6me si6cle, sur les capacit6s de mobilisation d’un ensemble
complexe d’institutions locales relay6es, en cas d’urgence, par la milice ou
l’arm6e. Le libre citoyen anglais est donc, en derni6re instance, le principal
responsable du respect collectif de l’ordre public, sous la direction et l’au-
torit6 du juge de paix. En cas d’6meute, ce dernier peut faire intervenir les
constables alors en fonction, nommer d’office parmi la population des
< constables sp6ciaux >>, faire appel A des corps volontaires de cavalerie (yeo-
manry) ou solliciter l’assistance des autorit6s militaires. Une fois l’6meute
r6prim6e, les personnes 6ventuellement arr~t6es sont d6fer6es A lajuridiction
ordinaire des tribunaux royaux, soit le King’s Bench ou les Quarter Sessions
of the Peace. Ce syst~me, mis en oeuvre A d’innombrables occasions au dix-
huiti~me si6cle, traverse une crise profonde dans les premi6res d6cennies
du dix-neuvi~me si~cle. 7

D’abord, les modifications structurelles des rapports sociaux lors de la
transition au capitalisme industriel rendent rapidement obsol6te un syst6me
6A ce sujet, voir notamment R. Williams, << The King's Peace: Riot Law in Historical Pers- pective >> (1971) Utah L. Rev. 240; W.E Finlason, A Review of the Authorities as to the Re-
pression of Riot and Rebellion, London, Stevens & Sons, 1868 aux pp. 1-48.
7Voir W.F Shelton, English Hunger and Industrial Disorders, London, Macmillan, 1973 ; J.
Brewer et J. Styles, 6d., An Ungovernable People: The English and their Law in the 17th and
18th Centuries, New Brunswick, N.J., Rutgers University Press, 1980.

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LES RtBELLIONS DE 1837-1838

bas6 sur l’intervention ad hoc de citoyens sans veritable expertise profes-
sionnelle. Le recours de plus en plus frequent A l’armee reguliere pour la
suppression des 6meutes 8 temoigne de ce debordement des instruments d’in-
tervention civile.

Ensuite, la revolution fran~aise de 1789 et l’agitation des jacobins, puis
des radicaux anglais, provoquent une polarisation des conflits qui debouche
sur la contestation de la legitimit6 politique du systeme anglais. D’une part,
le juge de paix apparait de plus en plus comme un instrument docile au
service de l’oligarchie monarchique; d’autre part, la revendication demo-
cratique menace de subvertir les equilibres d6licats qui fondent la monarchie
parlementaire anglaise et, partant, les compromis constitutionnels au fon-
dement de l’ordre politique. 9

C’est dans ce contexte institutionnel, politique et juridique qu’il faut

replacer la question de la loi martiale.

B. Le statut de la loi martiale

Deux facteurs ont contribu6 ; donner au droit anglais en matiere d’in-

surrection un caractere tout ; fait particulier10

1.- En premier lieu, les concessions arrachees naguere par l’oligarchie an-
glaise i la monarchie ont confer6 au Parlement britannique des pouvoirs
constitutionnels restreignant severement la prerogative du souverain envers
ses sujets. Ainsi, la Petition of Right de 1628 assure que >I” Cette derniere nie de plus au souverain tout
pouvoir d’imposer la loi martiale en temps de paix sur le territoire anglais.12
En 1689, le Bill of Rights stipule que the pretended power of suspending

8Voir Radzinowicz, supra, note 4 aux pp. 115-57. Les 6meutes de Bristol, en 1831, sont

particuli~rement symptomatiques de ce phrnom~ne.

9An Act to Amend the Representation of the People in England and Wales (R.-U.), 1832, 2-
3 Will. 4, c. 45, constitue en ce sens un moment critique de cette crise politique fondamentale.
Sur cette question cruciale, voir P. Corrigan et D. Sayer, 6d., The Great Arch: English State
Formation as Cultural Revolution, New York, Basil Blackwell, 1985 aux pp. 114-65.
I0Au sujet du statut de la loi martiale, voir Finlason, supra, note 6 aux pp. 49-88 ; J.E Stephen,
A History of the Criminal Law of England, t. 1, London, Macmillan, 1883 aux pp. 207-16;
Holdsworth, supra, note 1 ; EB. Wiener, Civilians under Military Justice, Chicago, University
of Chicago Press, 1967; H.E. Richards, < Martial Law) (1902) 18 L.Q. Rev. 133; C. Towns- hend, Martial Law: Legal and Administrative Problems of Civil Emergency in Britain and the Empire, 1800-1940 >) (1982) 25 Historical J. 167.

11Cit6 par Finlason, ibid. A la p. 52.
12Le < temps de paix)) y est drfini comme le temps ofi les cours royales sont en mesure de singer. McGILL LAW JOURNAL [Vol. 32 of laws, or the execution of laws, by regal authority, without consent of parliament, is illegal >>,13 tout en soumettant au contr6le parlementaire le
maintien d’une arm6e permanente sur le territoire national. Cet ensemble
de contraintes contribue A d6velopper une 16gislation sp6cifique aux forces
arm6es, inaugur6e par le premier Mutiny Act de 168814 et la r6glementation
militaire qui en d6coule (Articles of War). Cons6quemment, ds la fin du
dix-septi~me sicle, le monarque anglaisjouit de pr6rogatives beaucoup plus
limit6es que celles des autres souverains europ6ens en matire d’interven-
tion en cas d’insurrection civile.

2.- En second lieu, le caractre coutumier et non 6crit des arrangements
constitutionnels britanniques a contribu6 A maintenir dans un certain flou
juridique les pouvoirs r6els de la Couronne. Ainsi, en matibre d’insurrection,
l’interpr6tation de l’extension de la pr6rogative royale a donn8 lieu, au dix-
neuvi~me sibcle, i une importante controverse juridique.15

D’un c6t6, certains juristes16 attribuaient A la Couronne le pouvoir,
inh6rent i sa pr6rogative, de proclamer la loi martiale en cas de danger
grave menaqant les institutions du pays. La loi martiale 6tait ainsi interpr6t6e
comme l’exercice de la pr6rogative royale visant A suppl6er, en cas d’urgence,
aux d6ficiences du common law et de la 16gislation.17 Le maintien de cette
pr6rogative, malgr6 la Petition of Right et le Bill of Rights, apparaissait

‘3An Actfor Declaring the Rights and Liberties of the Subject, and Settling the Succession of

the Crown (R.-U.), 1688, 1 Will. & Mary 2, c. 2, art. I(1).

14An Act for Punishing Officers and Soldiers who Shall Mutiny or Desert their Majesties
Service, to Continue till November, 1689, and no Longer (R.-U.), 1688, 1 Will. & Mary 1, c. 5.
‘5Sur le continent, inscription dans la constitution de pouvoirs d’urgence d6volus A l’ex6cutif
160n trouvera un expos6 classique de cette interpretation dans Finlason, supra, note 6 aux
‘7Voir ibid. A la p. 47:

a permis d’6viter ces controverses et a donn6 A la loi martiale une assise l6gale ferme.

pp. 8-88.

Finlason ajoute (A Ia p. 63):

Thus, the common law is deficient in the two powers necessary to subdue a re-
bellion: full power of attack and speedy power of punishment. Those two defi-
ciencies of the common law, as to suppression of rebellion, indicate the scope of
the martial law, which, as already mentioned, comprises both these branches.

As to men who have taken up arms against the Crown, the prerogative power, as
it before existed, without the restraints imposed by statute, but very properly guided
by these provisions, as far as they are applicable by analogy, is, it is conceived, still
in force. So that all that in the Mutiny Act and Articles of War can be done as
regards the soldiers of the Crown, and more, can be done to the rebels by prerogative
power.

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d’ailleurs confirm6 par certaines dispositions 1gislatives.’ 8 Ce type de rai-
sonnement juridique conduisait donc i reconnaitre un droit sp~cifique des
urgences sociales, un droit dont la promulgation et les modalit6s d’appli-
cation 6taient laiss~es A la libre d6termination du pouvoir ex6eutif. Dans
ce lieu incertain et flou entre la r~gle de droit et la force arbitraire, l’appel
A la prerogative royale trahissait clairement ‘angoisse de certains juristes
devant la monte des revendications d~mocratiques et ses effets sur le sys-
tame judiciaire traditionnel.19

Pourtant, de son c8t6, l’interpr~tation liberale, qui nie A la loi martiale
toute forme d’existence en dehors de la juridiction proprement militaire,
ne tarde pas A s’imposer. Elle repose sur une stricte adh6rence A la r gle de
droit, dans la grande tradition des Coke, Hale et Blackstone. Au dix-neu-
vi~me si~cle, <[ [t]he whole drift of English legal thinking [is] towards ba- nishing martial law from the confines of law properly understood - to say, in effect, as the Duke of Wellington had said, that it [is] 'no law at all.' >20
Cette interpretation, soutenue avec force par Stephen et Holdsworth no-
tamment,21 implique que le d6clenchement de troubles sociaux importants,
allant m~me jusqu’A l’insurrection, ne justifie nullement un droit d’excep-

IsVoir notamment An Act for the Suppression of the Rebellion which still Unhappily Exists
within this Kingdom, and for the Protection of the Persons and Properties of His Majesty’s
Faithful Subjects within the Same (Ir.), 1799, 39 Geo. 3, c. 11, art. 6 [ci-apr s An Act for the
Suppression of the Rebellion] ; An Act for the Suppression of Rebellion in Ireland, and for the
Protection of the Persons and Property of His Majesty’s Faithful Subjects there (R.-U.), 1803,
43 Geo. 3, c. 117, art. 5 ; An Act for the More Effectual Suppression of Local Disturbances and
Dangerous Associations in Ireland (R.-U.), 1833, 3 & 4 Will. 4, c. 40, art. 40: < Provided,...] that nothing in this Act contained shall be construed to take away, abridge, or diminish [...] the undoubted prerogative of His Majesty, for the Public Safety, to resort to the Exercise of Martial Law against open Enemies or Traitors [...]. >

‘9 Ce sentiment est tr~s net chez Finlason, supra, note 6 aux pp. 5-6:

It is obvious that one of the perils we incur as the price we pay for free constitution,
is the constant insecurity of those who have the courage to act in defence of law
and order on occasion of riot or insurrection. It is true that in theory, at all events,
the law is plain and clear; upon paper it is so, but in practice it is perilous, as these
and subsequent events show. For, in the first place, our system of criminal prose-
cution is essentially popular, it is the grand jury who, at common law, present or
indict, and though they are composed of a superior class of the people, still they
are of the people, and likely, more or less, to share any strong popular excitement.
In the next place, anybody may present an indictment for murder and crime against
anybody; and there is no proceedings known to our law by which it can be prevented.

2 0Townshend, supra, note 10 A la p. 172. Dans ce contexte, on peut aussi citer la fameuse
remarque de A.V. Dicey, Introduction to the Study oftheLaw ofthe Constitution, 8e 6d., London,
Macmillan, 1915 A la p. 283: <('Martial law', in the proper sense of that term, in which it means the suspension of ordinary law and the temporary government of a country or parts of it by military tribunals, is unknown to the law of England. >>

2 tStephen, supra, note 10 aux pp. 214-16; Holdsworth, supra, note 1 aux pp. 127-28. Voir

aussi Wiener, supra, note 10 aux pp. 219-21.

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tion: le droit de repousser la force par la force, fond en common law,
apparait amplement suffisant pour justifier toute action repressive, dans la
mesure oii les cours de justice peuvent, apras coup, sanctionner les abus de
pouvoir et tous autres actes arbitraires et non justifies par les circonstances,
commis lors de la suppression d’une insurrection. Cette vision < n~o-clas- sique > est bien r~sum6e par Stephen:

1. Martial law is the assumption by officers of the Crown of absolute power,
exercised by military force, for the suppression of an insurrection, and the
restoration of order and lawful authority.

2. The officers of the Crown are justified in any exertion of physical force
extending to the destruction of life and property to any extent, and in any
manner that may be required for the purpose. They are not justified in the use
of cruel and excessive means, but are liable civilly or criminally for such excess.
They are not justified in inflicting punishment after resistance is suppressed,
and after the ordinary courts of justice can be reopened. 22

Cette vision du droit applicable en cas d’insurrection civile a 6galement une
consequence implicite: devant l’insuffisance de la prerogative royale, seul
le Parlement est en mesure d’avaliser l’adoption de dispositions d’urgence,
telles la suspension de l’habeas corpus, la proclamation de la loi martiale
ou la mise en place de cours martiales aptes A juger les rebelles. 23

Cette trop brave incursion dans les theories juridiques en matiare de
loi martiale au dix-neuvi~me siacle nous permet cependant un double
constat.

.- En premier lieu, le statut de la loi martiale est loin d’8tre fix6 dans les
annfes 1830.24 S’agit-il d’une loi d’exception baste sur la prerogative royale ?
De la forme extreme du common law en situation d’insurrection ? D’une

22Stephen, ibid. A la p. 215.
23An Actfor the More Effectual Suppression ofLocal Disturbances and DangerousAssociations
in Ireland, supra, note 18, est l’exemple classique. De ]a m~me mani~re, A ‘absence de toute
legislation cautionnant au pr6alable les mesures d’urgence prises, il deviendra courant de pro-
t~ger les autorit6s charg6es de r6primer les troubles par une loi d’immunit6 A effet r~troactif.
Ce fut le cas, notamment, pour rIrlande: voir An Act for the Suppression of the Rebellion,
supra, note 18. Sur ce point, C. Fairman, The Law of Martial Rule, Chicago, Callaghan, 1930
[cit6 par Wiener, supra, note 10 A la p. 221] remarque: <(In the British Empire, 'martial law' followed by an act of indemnity has been a device whereby servile and native uprisings have been stamped out, often with more celerity than decorum. >>
24En cette mati6re, il faudra en fait attendre la deuxi~me guerre mondiale en Angleterre:
voir Emergency Powers (Defense) Act, 1939 (R.-U.), 2 & 3 Geo. 6, c. 62; Emergency Powers
(Defense) Act, 1940 (R.-U.), 3 & 4 Geo. 6, c. 20. Il est d remarquer qu’aux Etats-Unis, le pouvoir
de l’ex~cutif en ce domaine est reconnu d~s 1861. Sur r 6volution de ce droit aux Etats-Unis,
voir D.E. Engdahl, o Soldiers, Riots and Revolution: The Law and History of Military Troops
in Civil Disorders> (1971) 57 Iowa L. Rev. 1; et G.M. Dennison, <(Martial Law: The De- velopment of a Theory of Emergency Powers, 1776-1861 o (1974) 18 American J. Leg. Hist. 52. 1987] LES RtBELLIONS DE 1837-1838 creature de l'autorit6 legislative en situation d'urgence ? I'incertitude juri- dique ainsi cree reflfte bien la difficile adaptation du droit anglais aux contraintes nouvelles pos~es par la d6mocratisation des institutions et par l'industrialisation. En consequence, en Angleterre m~me, on 6vitera soigneusement d'avoir recours A des mesures d'exception trop mal fondees en droit. Si l'on excepte la suspension de l'habeas corpus en 1817,25 les troubles politiques et sociaux des ann~es 1780-1850 purent 8tre r6prim6s sans que les autorit~s civiles et judiciaires aient dfi tre supplantees par le pouvoir militaire.26 En fait, c'est par la modification du droit criminel, la cr6ation d'un r6seau p6nitentiaire et la mise sur pied d'un nouveau syst~me policier,27 c'est-A-dire par la r6- forme legislative de tout l'appareil civil de maintien de l'ordre, que se sont effectu6s les ajustements n6cessaires, sans que la panoplie douteuse des in- terventions militaires en mati~re civile soit envisag6e s6rieusement. Le pou- voir anglais a ainsi pu faire 1'6conomie, malgr6 les efforts de certainsjuristes, d'une version britannique des procedures continentales en mati~re d'6tat de sifge. 2.- En second lieu, on assiste, parallement, A une syst6matisation des proc~d6s extra-judiciaires dans les dpendances et colonies anglaises. Le contraste est frappant entre la prudence cauteleuse des autorites sur le ter- ritoire national et la gestion souvent brutale des d6sordres civils dans les contres sous domination britannique. LIlande, formellement unie A l'An- gleterre en 1800, a ici valeur de symbole. On aura remarqu6 qu'une bonne partie des arguments justifiant l'existence de la loi martiale s'appuie sur des precedents applicables A ce territoire. A partir de la grande insurrection de 1798, l'histoire de l'administration anglaise en Irlande est en effet tissue de 25Voir An Act to Empower His Majesty to Secure and Detain such Persons as His Majesty Shall Suspect are Conspiring against His Person and Government (R.-U.), 1817, 57 Geo. 3, c. 3 ; An Act to Continue an Act to Empower His Majesty to Secure and Detain such Persons as His Majesty shall Suspect are Conspiring against His Person and Government (R.-U.), 1817, 57 Geo. 3, c. 55. 26 0n trouvera un bel exemple de la prudente application des mesures civiles de r6pression lors des troubles chartistes de la fin des ann6es 1830 et des ann6es 1840. I1 est int6ressant de comparer la proc6dure suivie en Angleterre A cette occasion avec celle qui eut cours au Bas- Canada, tout a fait au m~me moment. A ce sujet, voir L. Radzinowicz, <(New Departures in Maintaining Public Order in the Face of Chartist Disturbances > [ 1960] Cambridge L.J. 51.

27Sur ces differents points, la bibliographie est 6norme. On consultera avec profit J.J. Tobias,
Crime and Police in England, 1700-1900, London, Gill & Macmillan, 1979 aux pp. 117-84;
R. McGowen, <(The Image of Justice and Reform of the Criminal Law in Early 19th-Century England >> (1983) 32 Buffalo L. Rev. 89; et M. Ignatieff, A Just Measure of Pain: The Peni-
tentiary in the Industrial Revolution, 1750-1850, New York, Pantheon Books, 1978.

McGILL LAW JOURNAL

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multiples mesures de r6pression brutale cautionn6es par toute une 16gislation
d’exception. 28

En fait, dans les colonies en g6n6ral, la mise en vigueur de la loi martiale
devient, A partir du d6but du dix-neuvi6me si~cle, une forme famili6re de
gestion des troubles civils. Ainsi, la loi martiale est impos6e A la Barbade
en 1805 et 1816, A la Guyane (Demerara) en 1823, au Haut et au Bas-
Canada de 1837 i 1839, au Ceylan en 1848, A la C6phalonie (Iles Ioniennes)
en 1849, A la colonie du Cap en 1835, 1849-51 et 1859, A ile Saint-Vincent
en 1863 et A la Jamaique en 1831-1832 et en 1865. Ce recensement ne tient
dvidemment pas compte du recours encore plus fr6quent A d’autres mesures
d’exception de moindre sv~rit6, telle la suspension de l’habeas corpus. Le
territoire de l’Empire est en fait un terrain fertile pour l’analyse de ce mo-
ment critique pour la 16galit6 britannique qu’est l’adoption de la loi martiale.
C’est pourquoi on doit s’interroger bri6vement sur le contexte colonial
d’op6ration du droit anglais.

C. Le contexte colonial

Dans les ann~es 1830, l’empire colonial britannique est compos6 d’une
mosalque de territoires disperses sur les cinq continents. Selon leurs con-
ditions d’acquisition et de peuplement, ces d~pendances coloniales jouissent
de statuts juridiques fort diversifies, allant du simple protectorat (Iles Io-
niennes) aux colonies de peuplement jouissant d’une autonomie partielle
(Haut- et Bas-Canada), en passant par les plantations contr6les par des
minorit~s blanches (Jamaique), les colonies de la Couronne (Ceylan, Le Cap)
et les colonies p~nitentiaires (Van Diemen).29 Cependant, malgr6 cette di-
versit6, un probl~me central grave l’administration de cet empire : comment
maintenir l’ordre dans les colonies, tout en respectant les contraintes lgales
et constitutionnelles du droit anglais, et en r~primant les tendances auto-
nomistes des populations coloniales. Ce dilemme, crucial pour la politique
imp~riale de l’Angleterre, prend une particuli~re acuit dans les ann~es 1830,
alors que la d~mocratisation des institutions en Angleterre m~me et la pres-
sion des radicaux anglais mettent en lumi~re le paradoxe entre la lib~rali-
sation en cours sur le territoire national et la suj~tion plus ou moins brutale
des soci6t~s coloniales i la Couronne anglaise. Sous l’impact de cette con-
tradiction, une c~sure fondamentale tend A se produire dans la pens6e im-
p~iale. Une distinction de plus en plus nette apparait entre, d’une part, les

28Voir, notamment, G. Broeker, Rural Disorder and Police Reform in Ireland, 1812-1836,
London, Routledge and Kegan Paul, 1970. En fait, ‘exp6rience irlandaise a inspir6 A ]a fois la
r6forme de la police anglaise et, on verra, les mesures d’exception appliqu~es au Bas-Canada
en 1838.

29Voir J.M. Ward, Colonial Self-Government: The British Experience, 1759-1856, Toronto,

University of Toronto Press, 1976.

1987]

LES RtBELLIONS DE 1837-1838

int6rts pratiques, en termes de colonisation et de commerce, en cause dans
la possession des colonies et, d’autre part, le maintien d’un contr6le politique
6troit sur des populations de plus en plus rticentes A la domination im-
p6riale. La campagne en faveur de l’6mancipation des colonies, entreprise
par certains groupes radicaux proches de Bentham,30 et le mouvement en
faveur du libre 6change, sont des moments sympt6matiques de cette tension
croissante entre le module traditionnel d’autorit6 imp~riale et les enjeux
socio-6conomiques du d6veloppement industriel.

Le probl~me revat une gravit6 particulire dans le cas des colonies
auxquelles a
t6 attribute une autonomie partielle, ent~rinfe par charte ou
legislation particuli~re, et concr~tis~e par la mise en place d’institutions
repr6sentatives sp6cifiques. Dans cette conjoncture, le dilemme soumission/
ind~pendance est encore aggrav6 par le fait que les coloniaux, en vue d’6lar-
gir leur espace d’autonomie, utilisent syst~matiquement les pouvoirs consti-
tutionnels qui leur sont confers.

De plus, a cette faiblesse structurelle des rapports entre centre imperial
et p~riph~rie coloniale se greffe un autre probl~me majeur: celui de la rup-
ture tendancielle des relations d’autorit6, au sein m~me des soci~t~s colo-
niales, entre le reprfsentant de la Couronne et les populations dependantes.
Quand il s’agit de colonies oii le pouvoir imperial anglais est perqu comme
occupation 6trang&re, la difficult6 apparait 6vidente, comme en Inde par
exemple. Mais elle se pr~sente aussi, sous des formes plus subtiles, dans le
cas des colonies de peuplement. Ici, la coupure entre les autorit~s coloniales
et la population prend la forme d’un conflit plus ou moins larv6 entre une
oligarchie coloniale, souvent alli6e A une bourgeoisie marchande de type
compradore, et les institutions representatives populaires. La logique du
syst~me de pouvoir anglais, axle sur la decentralisation des prles d’autorit6
et le maintien de liens 6troits de d~pendance entre la population et les 6lites
locales, d~voile, dans ce contexte sp6cifique, son extreme fragilit6. La con-
tradiction potentielle entre les int6r~ts locaux et les politiques imp~riales
peut ici s’appuyer sur la faiblesse structurelle de la hierarchie des pouvoirs
et d~boucher sur le contr6le des institutions locales par les populations
dissidentes.

La situation des colonies am~ricaines apr~s la Guerre de Sept Ans est,
en ce sens, exemplaire :31 la prise en main par les 6lments autonomistes

30Voir G.W. Martin, (Anti-Imperialism in Mid-19th Century and the Nature of the British
Empire, 1820-1870 ) dans R. Hyam et G.W. Martin, Ed., Reappraisals in British Imperial
History, London, Macmillan, 1975, 88.

3 1Voir les remarquables travaux de J.P. Reid sur ce point: ((In a Defensive Rage: The Use
of the Mob, the Justification in Law, and the Coming of the American Revolution)> (1974) 49
N.Y.U. L. Rev. 1043; et In a Defiant Stance: The Conditions of Law in Massachusetts Bay,
the Irish Comparison, and the Coming of the American Revolution, University Park, Penn-
sylvania State University Press, 1977.

REVUE DE DROIT DE McGILL

[Vol. 32

des institutions locales, civiles et judiciaires, a amen6 un blocage complet
des institutions de relai de l’autorit6 publique, blocage que le pouvoir im-
prrial s’est rMv16 impuissant A franchir autrement que par la force, avec les
consequences que Pon connait.

A partir de la fin du dix-huitirme sircle, le contre-exemple am~ricain
aidant, les autoritrs coloniales britanniques se montrent de plus en plus
disposres A recourir A des mesures d’exception permettant de supplanter ou
de contourner les institutions civiles etjudiciaires traditionnelles. C’est ainsi
que la mise en vigueur de la loi martiale et la suspension de l’habeas corpus
deviennent rapidement des armes familirres dans ‘arsenal rrpressif des
gouverneurs anglais.

ttant donn6 ce drveloppement, il n’est pas 6tonnant de constater i quel
point l’expansion des procedures d’exception, dans les colonies, a valeur
d’exemple pour les juristes britanniques partisans de la prerogative royale
en matirre de loi martiale. Ici, la r~gle << nrcessit6 fait loi >> prend une di-
mension particulirre, surtout dans les cas, frdquents en situation coloniale,
ott s’ajoute au conflit politique une dimension ethnique:

The important point to be observed is, that the more the Common Law
is supposed to be extended to a colony in right of English blood and descent,
the more it must be considered to be in favor of and for the protection of those
subjects of English descent, whose birthright it is presumed peculiarly to be.
So that this theory, which has lately been proclaimed upon such high authority,
only makes all the clearer the power of a governor to proclaim martial law for
the protection of the subjects of English descent whenever really required for
their protection; as in cases of a really dangerous rebellion of those ofa different,
perhaps hostile, race. And this, although a legal argument, goes to the root of
the whole question as to the application of martial law in a colony, because it
shows how entirely fallacious it is to liken it to a case of martial law as between
at all events
those of British blood and descent, which can scarcely occur –
in these times, and especially in a colony – where they form a class and race
mutually bound together by common ties of blood, not at all likely to come
into collision or conflict among themselves. 32

Dans les colonies, la limite fragile entre la rrgle de droit et les mesures
d’exception est donc susceptible d’etre franchie allrgrement en cas de
troubles majeurs. Le cas du Bas-Canada, que nous abordons maintenant,
nous permettra de voir plus concrrtement ce processus de substitution de
la force au droit.

32Finlason, supra, note 6 aux pp. 120-21. Sans pousser trop loin ‘analogie, on ne peut
s’emp8cher de tirer un parallale entre ce type de raisonnement et l’importance d’une argu-
mentation fondre sur les difttrences ethniques, dans la justification politique des mesures prises
lors des R6bellions de 1837-1838 au Bas-Canada (vide Durham).

1987]

LES R2BELLIONS DE 1837-1838

II. De l’arbitraire l6gal A la caution 16gislative: la loi martiale au

Bas-Canada, 1837-1838

Au Bas-Canada, le regime de la loi martiale a W proclam6, dans le
district de Montr6al, du 5 d6cembre 1837 au 24 avril 1838, et du 4 novembre
1838 au 24 aofit 1839. 33 Le district de Saint-Frangois a vcu sous le meme
regime du 16 novembre 1838 au 16 avril 1839. Une aussi longue p~riode
pourrait laisser croire, conform6ment aux diverses theories juridiques exa-
minees plus haut, que la colonie a v~cu en 6tat d’insurrection pendant de
nombreux mois. En fait, la r6bellion arm~e elle-meme ne s’est 6tendue que
sur quelques jours, soit du 16 novembre au 13 d~cembre 1837, et du 3 au
8 novembre 1838. I1 faut donc en conclure que l’utilisation de la loi martiale
sur une p~riode de quinze mois r~pondait A d’autres fins que la simple
repression militaire d’un soulvement arm6. Lanalyse des conditions d’ap-
plication des mesures d’exception pourra nous r~v~ler ce qu’il en est.

A. La question du maintien de l’ordre au Bas-Canada et la stratigie

insurrectionnelle

Dans la colonie bas-canadienne, l’implantation du syst~me britannique
de maintien de ‘ordre n’ajamais donn6 les resultats escompt6s. 34 Ds 1800,
le lieutenant-gouverneur Milnes fait un diagnostic fort pessimiste des dif-
ficult6s d’extension de l’influence gouvernementale dans la population.35 Le
blocage des institutions lgislatives, provoqu6 notamment par le conflit entre
la Chambre d’assemble et le Conseil l6gislatif, aggrave la situation en ren-
dant impossible l’adoption des r~formes n~cessaires. Plus encore, le Parti
patriote, dominant A l’Assemble, se donne les moyens organisationnels
permettant d’encadrer l’activit6 politique des 6lecteurs. 36

330n notera dans Filteau, supra, note 2 A la p. 439, une erreur fr6quemment commise dans
l’historiographie, A savoir que la dissolution de ]a Cour martiale le 6 mai 1839 a coIncid6 avee
le rappel de la loi martiale. En fait, cette dernire ne fut abrogfe, pour le district de Montreal,
que par ]a proclamation de Colborne en date du 24 aofit 1839: voir la lettre du gouverneur
J. Colborne au Marquis de Normanby, 10 septembre 1839 dans British Parliamentary Papers:
Colonies Canada (1840), t. 13, partie 1, 95.

34A ce sujet, voir J.-M. Fecteau, La pauvret6, le crime, l’Etat: Essai sur l’6conomie politique
du contrOle social au Quebec, 1791-1840, these de doctorat en histoire, Universit6 de Paris
VII, 1983 [non publi~e].
35Voir Ia lettre de R.S. Milnes au Duc de Portland, ler novembre 1800 dans T. Chapais,
Cours d’histoire du Canada, t. 2, Quebec, Librairie Garneau, 1921, 297 A la p. 300 [traduction]:

Les habitans [sic] canadiens sont, je le crois r6ellement, un peuple industrieux,
paisible, bien dispose, mais, A raison de leur manque d’Education et leur extreme
simplicit6, ils sont exposes A 8tre induits en erreur par des hommes artificieux et
ing6nieux; et s’ils se rendaient compte une fois de leur propre independance, les
pires consequences pourraient s’en suivre.

36Voir S.D. Clark, Movements of Political Protest in Canada, 1640-1840, Toronto, University

of Toronto Press, 1959 A lap. 268.

McGILL L W JOURNAL

[Vol. 32

Ainsi lorsque, apr~s une session de quelques jours, l’assemblde lgis-
lative est prorogde le 26 aofit 1837, une dynamique sp~cifique de subversion
lgale est enclench~e. Ce que le professeur Ouellet appelle fort malencon-
treusement << la revolution sous le masque de la lgalit6 >>37 est en fait un
processus en deux temps d’investissement des institutions civiles de la
province.

Dans un premier temps, les Patriotes entreprennent de mobiliser la
population par de grandes assembl~es politiques. 38 Apr~s la prorogation de
la session parlementaire du mois d’aofit 1837 et la demotion, par le gou-
verneur Gosford, des officiers civils ayant particip6 aux assemblies popu-
laires, 39 la strat~gie patriote se radicalise. En plus de harceler les magistrats
rest~s fiddles A l’exdcutif, les Patriotes tentent de mettre sur pied une struc-
ture parall~le d’administration de la justice. Au debut d’octobre, le gouver-
neur, alert6, d~crit ainsi les resolutions du comit6 central patriote:

[H]aving for their object the superseding of the ordinary administration of
justice, by the establishment of a species of tribunal over which magistrates
elected by the people are to preside, for the adjustment of differences and the
trial of causes, and the organization of volunteer companies of militia, under
the command of officers elected by militia men, who are to be drilled in the
management of fire-arms, which, with the other accoutrements, the permanent

37Ouellet, supra, note 2 A Ia p. 432.
3BEn fait, les Patriotes, suivant ‘exemple des Am~ricains avant la guerre d’Ind~pendance,
ne faisaient en cel, qu’utiliser fort habilement ]a marge de libert6 politique laiss~e par les droits
constitutionnels d6volus A tout sujet britannique. Ajoutons que cette strat6gie d’action collective
est utilis~e au meme moment en Angleterre par les chartistes eux-memes.
39Pendant l’automne 1837, plus de 40 des officiers civils (juges de paix, officiers de milice
et commissaires aux petites causes) sont d6mis de leurs fonctions dans le seul district de
Montreal. Je dois ce renseignement A Jean-Paul Bernard, qui poursuit d’importantes recherches
sur ce point. De favon A 6clairer l’expos6, il apparait utile de faire un brefrelev6 des principaux
acteurs politiques. Ainsi, Lord Gosford est gouverneur en titre du Bas-Canada jusquA la fin
mai 1838. Cependant, apr~s son depart de ]a colonie, le 27 fevrier 1838, le lieutenant-g~n~ral
John Colborne, commandant militaire de la colonie, le remplace A titre d’administrateur. I1
assure ainsi l’int~rim du pouvoir jusqu’A l’aniv~e du nouveau gouverneur g~ndral, Lord Du-
rham, le 27 mai 1838. Ce dernier sera gouvemeur jusqu’en janvier 1839, mais lui aussi quitte
la colonic prdmatur~ment, le 3 novembre 1839, laissant de nouveau A Colborne l’administration
temporaire de ]a colonie. Le gouvernement recompense Colborne de ses services en le nommant
enfin gouverneur le 17 janvier 1839, titre qu’il conservera jusqu’au 19 octobre 1839, alors qu’il
sera remplac6 par Sir Poulett Thomson. Quant aux ministres coloniaux, trois titulaires se
succ~deront A cette fonction au cours de la p~riode qui nous intdresse, soit Lord Glenelg
(jusqu’en fevrier 1839), le Marquis de Normanby (de fevrier A septembre 1839) et Lord Russell
(A partir de septembre 1839).

1987]

LES REBELLIONS DE 1837-1838

committee pledges itself to provide for those corps that distinguish themselves
by their good order and discipline.40

Paralllement, le systrme de justice criminelle s’avrre rapidement rduit A
n6ant:

The great difficulty of procuring strict trial evidence for bringing home,
in a court ofjustice, to the parties concerned the charges that might be founded
on the proceedings had at these meetings, added to the questionable policy of
political prosecutions, especially at a time like the present, when the minds of
a portion of the jury summoned to try the offence would probably be poisoned
by the misrepresentations and efforts of the disaffected, have as yet prevented
any resort to the court of law for the punishment of those implicated in such
proceedings.

4’

D~s le 20 octobre 1837, un rapport du Conseil exrcutif fait le constat brutal
de l’impuissance ofi est rrduit le gouvernement devant les manoeuvres pa-
triotes: le syst6me constitutionnel de prise de decision est bloqu6 par le
refus de cooprrer de l’Assembl6e; le gouvernement n’a pas le pouvoir de
suspendre l’habeas corpus; il semble impossible de faire sanctionner les
infractions politiques par les cours de justice; les juges de paix sont inef-
ficaces ou impuissants. 42

En s’attaquant aux institutions civiles, les Patriotes atteignent en effet
le maillon le plus faible de l’administration coloniale, drsorganisant compl6-
tement le fragile 6quilibre hirrarchique sur lequel reposait ce systrme. L’ef-
ficacit6 d’une telle strat6gie ne tarde pas a se manifester et pousse le
gouverneur Gosford A faire part de son drsarroi au ministre colonial, Lord
Glenelg:

I am forced, however reluctantly, to come to the conclusion that the only
practical course now open for conducting the affairs of this province with any
benefit to the inhabitants generally, is at once formally to suspend the consti-
tution, which both parties unite in confessing cannot now be worked, and which
has in fact for the last 12 months been virtually suspended; to increase

40Lettre du gouverneur Gosford au ministre colonial Lord Glenelg, 12 octobre 1837 dans
British Parliamentary Papers: Colonies Canada (1837-1838), t. 9, 71 A lap. 72. Dans la meme
lettre, Gosford dcrivait (A la p. 71):

[T]he majority of the rural population is as yet but little inclined to join in the
views and schemes of the agitators, who, however, by misrepresentation, and by
the instrumentality of fear and intimidation, have so far worked upon their minds
as to produce a degree of inertness in opposing the progress of the movement, and
in aiding the administration of justice and the course of social order, that cannot
fail to afford grounds for serious consideration.

British Parliamentary Papers (1837-1838), ibid., 56.

41Lettre du gouverneur Gosford au ministre colonial Lord Glenelg, 9 septembre 1837 dans
42Voir << Report of a Committee of the Whole Council, 20 octobre 1837 > dans British Par-
liamentary Papers: Colonies Canada (1837-1838), ibid., 91. Le comit6 en arrive ; la conclusion
qu’il est n6cessaire d’rtablir une force de police A Montreal, Quebec et Trois-Rivi~res.

REVUE DE DROIT DE McGILL

[Vol. 32

the military force, and to strengthen the hands of the Executive, now almost
impotent for any good and useful purpose.43

B. Le soul~vement de 1837

Dans son rapport du 6 novembre sur l’tat de la province, Gosford

d~gage les implications du blocage institutionnel existant:

[U]nless some extraordinary powers be immediately placed in the hands of
the local Executive, such as that of suspending the Habeas corpus, and declaring
martial law over the whole or parts of the province, the tide of sedition cannot
be stemmed but by resort to active military operations; an alternative which
I cannot contemplate without the most painful reluctance. The knowledge that
the Executive possesses those powers, would probably produce such an effect
on the minds of the ill-disposed, as to render unnecessary to exert them. In
any event some prompt and decisive measure must be adopted by the Imperial
authorities, to enable the machinery of the local government to perform its
function; it is now nearly at a standstill, and it would be idle to expect that
either the present or a new House of Assembly, if summoned, would in any
way assist in removing the serious difficulties that now exist […].44

La reaction du Colonial Office aux craintes du gouverneur ne tarde pas. Le
6 dcembre, en pr&vision du rappel de Gosford, Lord Glenelg 6met ses
recommandations au lieutenant-g~n~ral Colborne, commandant des forces
militaires. I1 l’informe que les troupes seront renforc~es, et lui recommande
d’enr6ler des volontaires le cas 6ch~ant. Lord Glenelg ne cache pas les con-
ditions juridiques pr~caires dans lesquelles est envisag6 le recours A la loi
martiale :

The first and highest prerogative and duty of the Crown is the protection
of those who maintain their allegiance against the enemies of order and peace.
To repress by arms any insurrection or rebellion to which the civil power cannot
be successfully opposed, is therefore a legitimate exercise of the royal authority ;
and, in the attainment of this object, the proclamation of martial law may
become indispensable.

It is superfluous to state with what caution and reserve this ultimate re-
source should be resorted to, and that it ought to be confined within the nar-
rowest limit which the necessity of the case would admit. But if unhappily the
case shall arise in any part of Lower Canada, in which the protection of the
loyal and peaceful subjects of the Crown may require the adoption of this
extreme measure, it must not be declined. Reposing the utmost confidence in

43Lettre du gouverneur Gosford au ministre colonial Lord Glenelg, supra, note 40 A la p.

73.

44Lettre du gouverneur Gosford au ministre colonial Lord Glenelg, 6 novembre 1837 dans
British Parliamentary Papers: Colonies Canada (1837-1838), supra, note 40, 102 i la p. 104.
Deux jours auparavant, trois juges de paix de Montreal avaient regu du solliciteur-g~n~ral
O’Sullivan, A leur demande, des informations l~gales sur l’attitude A adopter en cas d’dmeute:
voir la lettre du gouverneur Gosford au ministre colonial Lord Glenelg, 9 novembre 1837 dans
British Parliamentary Papers: Colonies Canada (1837-1838), supra, 110 A la p. 111.

1987]

LES RtBELLIONS DE 1837-1838

your prudence, Her Majesty’s Government are filly prepared to assume to
themselves the responsability of instructing you to employ it, should you be
deliberately convinced that the occasion imperatively demands it. They will,
with confidence look to Parliament for your indemnity and their own.45
En fait, les autorit6s coloniales au Bas-Canada n’attendent pas l’aval
de Lord Glenelg. D~s le 20 novembre, le Conseil ex6cutif recommande de
proclamer la loi martiale dans le district de Montr6al. 46 Les escarmouches
militaires de Saint-Denis et de Saint-Charles, les 23 et 25 novembre, pr6-
cipitent les 6v6nements. Le 27 novembre, la Cour des sessions de la paix
de Montr6al, convoqu6e en session sp6ciale, supplie le gouverneur Gosford
de placer le district sous un r6gime de loi martiale. 47 Trois jours plus tard,
Gosford avise Lord Glenelg qu’il a recrut6 et arm6 1050 volontaires A la
solde du gouvernement, tout en autorisant la formation de corps de volon-
taires b6n6voles. II termine sa missive en avisant le ministre colonial qu’il
envisage de proclamer la loi martiale dans le district de Montr6al.48 Le
gouverneur avait requ le m~me jour l’opinion juridique de C.R. Ogden et
M. O’Sullivan, respectivement procureur g6n6ral et solliciteur g6n6ral de la
province, concernant les droits du gouverneur en mati~re de loi martiale.
Cette opinion est importante, car elle nous permet de d6terminer le syst~me
d’argumentation juridique justifiant le recours a ce moyen extrfme. Les
juristes commencent par citer la Petition of Right de 1628, qui restreint la
loi martiale aux militaires en temps de guerre, c’est-a-dire, dans le cas d’un
conflit sur le territoire national, lorsque les cours ne peuvent sifger. Ogden
et O’Sullivan r6ferent ensuite A l’opinion du premier procureur g6n6ral de
la province apr~s la Conquete, G. Suckling, mettant en doute le droit du
gouverneur de recourir A la loi martiale.49 Cependant, 6cartant cette opinion,

45Lettre du ministre colonial Lord Glenelg au lieutenant-g6n6ral J. Colborne, 6 d6cembre
1837 dans British Parliamentary Papers: Colonies Canada (1837-1838), ibid., 114 A ]a p. 114.
46Voir <(Report of the Executive Council, 20 novembre 1838 ) dans British Parliamentary Papers: Colonies Canada (1837-1838), ibid., 122. Le lendemain, le gouverneur Gosford de- mande au procureur g~n6ral et au solliciteur g6n6ral une opinion juridique en ce sens: voir Archives publiques du Canada, C.O. 42, t. 274, 145. 47o Court of Special Sessions of the Peace, 27 novembre 1837 o dans British Parliamentary Papers: Colonies Canada (1837-1838), ibid., 137. Le juge de paix Denis-Benjamin Viger avait enregistr6 sa dissidence, alors que les juges Guy et Castonguay s'6taient abstenu. 48Lettre du gouverneur Gosford au ministre colonial Lord Glenelg, 30 novembre 1837 dans 49Uopinion de Suckling vaut d'etre cit~e: British Parliamentary Papers: Colonies Canada (1837-1838), ibid., 131 aux pp. 133-34. There is [... ] however after all that has been said a disagreeable kind of obscurity still remaining in the subject which I confess myself unable to remove nor do I think it a matter entirely without doubt that the King can in any case whatever, even in case of an invasion or a rebellion, establish Martial Law by his single authority in England, or delegate power of doing so to his Governor or Governors in Council in the American Colonies, seeing that the prohibition of the issuing of Commissions to exercise Martial Law in the famous Petition of Right above men- tioned is expressed in these very general words which contain no exception whatever, McGILL LAW JOURNAL [Vol. 32 les 16gistes prennent plut6t appui sur deux lois, irlandaise et britannique, la pr6rogative royale est express6ment pr6serv6e. 50 Cette pr6rogative ofi s'6tendant, selon eux, defacto aux gouverneurs des colonies, il s'ensuit que Gosford est en droit de proclamer la loi martiale sans avoir recours k la sanction de l'Assembl6e.51 Le rapport des juristes de la Couronne pr6cise aussi que < so much only of the Civil Law (we speak of the Civil in contradistinction with the Military Law) as extends to open enemies or traitors would pass into the hands of those charged with the execution of Martial Law. >>52 On retrouve cette
confusion, d6nonc6e plus tard par Holdsworth, 53 permettant d’imaginer une
imposition partielle et selective de la loi martiale. En effet, celle-ci semble
bien avoir W impos6e au Bas-Canada non pas tant comme un moyen
extreme de r6primer la r6bellion arme, mais comme solution alternative
et plus exp6ditive pour sanctionner les diverses infractions politiques a la
loi, face A l’impuissance des tribunaux r6guliers. C’est du moins la justifi-
cation donn6e par les juges de paix de Montr6al lorsque, le 5 d6cembre, ils
r6it~rent leur requete au gouverneur en faveur de la loi martiale. 54 Le meme

and that hereafter no Commissions of a like nature may issue forth to any person
or persons whatsoever to be executed as aforesaid lest by colour of them any of
Your Majesty’s subjects be destroyed or put to death contrary to the Laws and
franchises of the land.

Voir la lettre de Ogden et O’Sullivan au secr6taire civil S. Walcott, 30 novembre 1837 dans
Archives publiques du Canada, supra, note 46, 147.
50Voir An Act for the Suppression of the Rebellion which still Exists within this Kingdom,
andfor the Protection of the Persons and Properties of His Majesty’s Faithful Subjects within
the Same, et An Act for the More Effectual Suppression of Local Disturbances and Dangerous
Associations in Ireland, supra, note 18.

51Voir la lettre de Ogden et O’Sullivan au secr6taire civil S. Walcott, supra, note 49 aux pp.
147-53. Notons que les articles des actes imp~riaux cites en appui A leur opinion juridique
sont d~claratoires: ils pr6servent une pr6rogative estim6e d~ji existante. Quant au crit~re
voulant que l’6tat de guerre doive Etre tel que les cours ne puissent si6ger, les deux juristes
l’interpr~tent trs largement (i la p. 153): < The functions of the ordinary legal tribunals may be considered as having virtually ceased. For although the Courts of Justice may sit with perfect security in the city of Montreal, we can hardly name any part of this district in which process of any description could be served or Writs executed by the ministry of Civil Officers >.

521bid. A la p. 153.
53Holdsworth, supra, note 1 A la p. 128.
54Voir, pour la requite des juges de paix au gouverneur, Ia lettre du gouverneur Gosford au
ministre colonial Lord Glenelg, 6 d6cembre 1837 dans British Parliamentary Papers: Colonies
Canada (1837-1838), supra, note 40, 138 A ]a p. 141 :

[I]n the opinion of this meeting, the turbulent and disaffected persons who have
incited the peasantry to rebel against Her Majesty’s Government have been led on
and encouraged in their career of crime by a firm belief that, whatever might be
their political offences, they would not be declared guilty by any jury impannelled
in the ordinary course of law; that the great mass of the population in this district
having been engaged in aiding and abetting the late treasonable attempts, a fair and
impartial verdict cannot be expected from a jury taken indiscriminately from the

19871

LES RtBELLIONS DE 1837-1838

jour, Gosford 6met la proclamation plagant le district de Montreal sous le
regime de la loi martiale.55

Malgr6 la belle assurance des l6gistes de la Couronne, l’administration
du regime de la loi martiale va poser deux problemes majeurs aux autorites.
1.- D’abord se pose un probleme de s~curitb lgale. Le 5 janvier 1838, le
gouverneur Gosford demande A Lord Glenelg << whether whilst legislating for the affairs of the province, it would not be expedient to pass some bill of indemnity to place all recent proceedings beyond the reach of [...] ill- disposed parties. >56 Le 17 mars, c’est au tour du lieutenant-general Col-
borne, le remplagant de Gosford, de manifester son inquietude. Le juge
Rolland, au terme de la session de mars de la Cour du Banc du Roi A
Montreal, 57 emet un bref d’habeas corpus en faveur de Peltier, Cherrier et
Viger, emprisonnes en septembre 1837.58 De plus, Colborne lui-meme fait
arreter, << beyond the law probably >>, les editeurs de la Quotidienne et du
Courrier canadien. Face d ces actions, Colborne se permet d’esperer que
<< Her Majesty's Government will think it right to recommend the adoption of measures to prevent my being prosecuted by the factious party, or by individuals who have been checked in their career of mischief, when the Proclamation authorizing Martial Law is withdrawn. >>59

En fait, les autorites imp6riales n’eurent pas i intervenir directement.
Une loi du Parlement anglais, adoptee en janvier 1838, suspendait la cons-

legally qualified inhabitants, and that, unless measures are adopted to ensure the
equal dispensation ofjustice, few, if any, even of the most guilty among the rebels,
will receive the punishment justly due to their crimes; while the loyal and well-
disposed will continue to be exposed to persecution and outrage from those who
believe themselves beyond the reach of legal retribution.

55Voir << Proclamation issued by the Earl of Gosford, on the 5th December 1837, declaring Martial Law in the District of Montreal, in the Province of Lower Canada >? dans British
Parliamentary Papers: Colonies Canada (1837-1838), ibid., 140. Notons qu’une telle procla-
mation est plut6t un constat de fait qu’un acte legal attribuant un pouvoir sp~cifique au gou-
verneur: voir Holdsworth, supra, note 1 A Ia p. 129.
56Lettre du gouverneur Gosford au ministre colonial Glenelg, 5 janvier 1838, dans Archives
publiques du Canada, C.O. 42, t. 279, 18. On a dejA vu que le ministre des colonies lui-m~me
envisageait la n~cessit6 d’accorder une protection l6gale r&roactive A tous les actes commis
sous ce regime d’exception: voir la lettre du ministre colonial Lord Glenelg au lieutenant-
g~n~ral J. Colborne, supra, note 45.
570n aura remarqu6 que malgr6 le maintien de Ia loi martiale, la Cour si6geait normalement.
SiVoir, pour le r&it des procedures lgales, la lettre de O’Sullivan au secr~taire civil Rowan,
17 mars 1838 dans Archives publiques du Canada, C.O. 42, t. 280, 198 aux pp. 198-99. O’Sul-
livan ajoute (A Ia p. 199): Sur cette affaire, voir aussi Le Canadien
(30 avril 1838).
59Lettre du lieutenant-g6n~ral Colborne au ministre colonial Lord Glenelg, 17 mars 1838

dans Archives publiques du Canada, ibid., 196.

REVUE DE DROIT DE McGILL

[Vol. 32

titution du Bas-Canada et pr6voyait la mise sur pied d’un Conseil sp6cial
nomm6 par le gouverneur.60 C’est donc le Conseil sp6cial lui-meme qui, le
28 avril 1838, adopta une loi garantissant une protection complete contre
toute poursuite affectant les personnes ayant pris part A la r6pression de la
r6bellion depuis le ler octobre 1837.61

Le 27 avril 1838, soit la veille, l’administrateur de la province, Col-

borne, avait r6voqu6 la loi martiale. 62

2.- Un deuxi6me probl6me d’envergure se pose, soit celui du sort r6serv6
aux rebelles prisonniers. Le 5 janvier, Gosford explique la difficult6 A Lord
Glenelg. Estimant que < some examples, selecting the most notorious and prominent characters in the revolt, must be made >, et qu’il est impossible
de compter sur les jurys pour faire condamner les prisonniers, il avoue que
< the only course for effecting this is by trial by Court Martial; I really, at this moment, do not see any other mode by which the ends of justice can be arrived at. >>63 Au m~me moment, Lord Glenelg, de son c6t6, recom-
mande de faire preuve d’une extreme prudence lorsqu’il s’agira d’ex6cuter
toute sentence de mort prononc6e contre des personnes d6clar6es coupables
de crimes politiques >>, tout en donnant son avis sur la composition 6ven-
tuelle des conseils de guerre constitu6s pour juger les coupables >>.64

60An Act to Make Temporary Provision for the Government of Lower Canada (R.-U.), 1838,
1 Vict., c. 9, art. 2.

61Ordonnance pour indemniser les personnes qui depuis le premier jour d’octobre mil huit
cent trente-sept, ont participe t l’apprehension, l’emprisonnement ou la detention des personnes
suspeces de haute-trahison ou de men~es s~ditieuses, ou dtla suppression d’assemblies illegales,
et pour d’autresfins y mentionn~es, O.P.B.-C. 1838 (1re session, Conseil special), I Vict., c.
10. Cette disposition fut rendue permanente par l’Ordonnancepour rendrepermanente certaines
Ordonnances y mentionntes, pour pourvoir 4 l’indemnit6 des personnes qui peuvent avoir par-
ticip6 d la suppression d’assenfblkes illegales ou de menes seditieuses, et pour lejugement des
personnes contre lesquelles des sentences ont pu Otre rendues par des Cours martiales, O.PB.-
C. 1840 (5e session, Conseil special), 3 Vict., c. 10, art. I. Notons que cette immunit6 couvre
une pfriode excedant celle de la mise en vigeur de la Ioi martiale.
62Un incident curieux, d6montrant bien l’extr~me fragilit6 de Ta justification sur laquelle
reposait la loi martiale, mfrite d’etre relev6. En fevrier 1838, le gouverneur Colborne 6met une
proclamation dfcrftant une journfe de remerciement et de pri~res en l’honneur du couron-
t6 mis
nement de la reine Victoria. Ce document mentionnait notamment qu’un terme avait
A la rfbellion. Cette declaration,
dans British Parliamentary Papers: Colonies Canada (1837-1838), supra, note 40, 200.
63Lettre du gouverneur Gosford au ministre colonial Lord Glenelg, 5 janvier 1838 dans

Archives publiques du Canada, supra, note 56, 17.

64Lettre du ministre colonial Lord Glenelg au lieutenant-g~nfral Colborne, 6 janvier 1838
dans Canada, Rapport sur les archives publiques pour l’annee 1931 par A.G. Doughty, Ottawa,
Imprimeur du Roi, 1932, 472 [traduction].

1987]

LES RtBELLIONS DE 1837-1838

Or, malgr6 la tranquille certitude du ministre anglais, et contre toute
attente, les l6gistes de la Couronne au Bas-Canada estiment, dans une opi-
nion donn~e le 24 janvier 1838, que la mise sur pied d’une cour martiale
doit etre consid~re comme illgale, l’tat d’insurrection ayant cess6 et les
cours r~gulires 6tant en mesure de tenir session. Citant une loi irlandaise
de 1799,65 ils affirment que l’intervention de l’assemble 16gislative est n6-
cessaire i cette fin. Comme on ne peut se fier aux jurys canadiens, ajoutent-
ils, et qu’il n’est certes pas question de convoquer les chambres bas-cana-
diennes, l’intervention d’une legislation impfriale devient n~cessaire. 66 Face
A 1incertitude de Colborne devant cette < most embarrassing question > ,67
Lord Glenelg l’informe, le 19 fevrier, de la procedure A suivre:

With regard to the persons who have been apprehended for political of-
fences and are now in confinement, Her Majesty’s Government desire that
such of them as you may not think it right at once to liberate should not be
brought to trial, unless they can be tried by the ordinary tribunals of the country.
In case, therefore, a reference to the ordinary tribunals should not, in your
judgment, be yet advisable, a law ought to be passed for the suspension of the
Habeas Corpus Act, which will enable you to detain such persons in prison till
the arrival of Lord Durham. You will propose to the council this measure, if,
for the reason I have stated, or for any other reason, you may think it expedient.
You will thus be enabled immediately to revoke the proclamation of martial
law in the district of Montreal, if still in force. 68

Cons~quemment, le 21 avril 1838, une ordonnance du Conseil spfcial sus-
pend r’habeas corpus jusqu’au 24 aofit suivant.69

En fin de compte, cinq mois de loi martiale avaient d~montr6 1’efficacite,
mais aussi l’incertitude des mesures d’exception. Mesure extreme du sup-
pression de l’insurrection arm6e, la loi martiale, dans les mains des autorit6s
coloniales, 6tait devenue un simple moyen technique de mise de c6t6 des
tribunaux r6guliers de la colonie. Les 1gistes, tout en maintenant la l6galit
de ce regime d’exception en periode de calme relatif, avaient recul6 devant

65An Act for the Suppression of the Rebellion, supra, note 18.
66Lettre de Ogden et O’Sullivan au capitaine Goldie, 24janvier 1838 dans Archivespubliques

du Canada, supra, note 58, 62.

67Lettre du lieutenant-g~n~ral J. Colborne au gouverneur Gosford, 24 janvier 1838 dans
68Lettre du ministre colonial Lord Glenelg au lieutenant-g~n~ral Colborne, 19 fevrier 1838

Archives publiques du Canada, ibid., 46.

dans British Parliamentary Papers: Colonies Canada (1839), vol. 10, 1 aux pp. 1-2.

690rdonnance pour autoriser l’apprthension et la detention des personnes contre lesquelles iI
existe des charges de haute-trahison, et menes sWditieuses, et pour suspendre, quant d ces
personnes, pendant un temps limit, une certaine Ordonnance, y mentionnge, O.P.B.-C. 1838
(lre session, Conseil special), I Vict., c. 4 [ci-apr~s Ordonnance pour autoriser la detention
des personnes]. II est fA noter que cette ordonnance ne suspend que l’Ordonnance pour la sarete
de la libert6 du sujet dans la province de Quebec, et pour emp~cher les emprisonnemens hors
de cette province, O.RB.-C. 1784, 24 Geo., c. 1, par laquelle on estimait le bref d’habeas corpus
avoir &6 introduit au Bas-Canada.

McGILL LAW JOURNAL

[Vol. 32

la mesure ultime que constituait la formation d’une cour martiale. Enfin,
la cr6ation du Conseil sp6cial avait permis d’octroyer aux responsables de
la r6pression la protection 16gale n6cessaire avant que la loi martiale ne soit
abrog6e. Ainsi lorsque, le 27 mai 1838, Lord Durham d6barqua i Qu6bec
avec les pleins pouvoirs pour d6nouer l’imbroglio colonial, les autorit6s
6taient A l’abri de toute poursuite, mais le sort de 140 dMtenus restait i
r6gler.70 I2Mtude de la mani6re dont Lord Durham entreprit de r6gler ce
dernier probl6me d6passe les limites de cette 6tude.71 Les p6rip6ties de cette
affaire n’en constituent pas moins la s6quelle in6vitable des multiples dif-
ficult6s 16gales encourues par un regime d’exception neutralisant le cours
normal du droit criminel anglais. N6anmoins, quand 6clate la seconde in-
surrection, le soir du 3 novembre 1838, le pouvoir colonial avait l’expertise
et les moyens suffisants pour r6agir avec vigueur.

C. Le soulvement de 1838

Das septembre 1838, l’acquittement de Nicolas et Daunais, poursuivis
A Montreal pour le meurtre de Joseph Armand dit Chartrand lors des r6-
bellions de 1837, avait brutalement rappel6 aux autorit~s l’hostilit6 desjurys
canadiens A l’6gard de toute poursuite pour crime politique. 72 Le 26 octobre
1838, le ministre colonial, Lord Glenelg, conclut A la n~cessit6 d’6riger, de
facon preventive et avant qu’une autre rebellion n’6clate, des tribunaux
sp~ciaux :

Cet 6tatd’ins~eurit6 requiert imp6rieusement un remade. C’est done le
d~sir du gouvernement de Sa Majest6 qu’une ordonnance soit adopt~e par le

70Sous le regime de la loi martiale, 515 suspects avaient

t6 arrts, 340 furent Iib6r6s sous
caution avant le 5 avril, et une trentaine d’autres apr~s cette date: voir Filteau, supra, note 2
A la p. 389.
71L’affaire de ‘Ordonnance qui pourvoit ,i la sarete de la province du Bas-Canada, O.P.B.-C.
1838 (2e session, Conseil spEcial), 2 Vict., c. 1, 6mise le 28 juin 1838 et disavoue par Ie
ministre britannique, miriterait a elle seule tine 6tude particulire. Contentons-nous de pr6-
ciser qu’elle valut A Durham et i ses assistants une loi impiriale d’immunitit: An Act for
Indemnifying Those Who Have Issued or Acted under Certain Parts of a Certain Ordinance
Made under Colour of an Act Passed in the Present Session of Parliament, Intitled An Act to
Make Temporary Provision for the Government of Lower Canada (R.-U.), 1838, 2 Vict., c. 112.
Le dibat A la Chambre des Lords sur cette ordonnance aura des consEquences que nous ana-
lyserons plus loin.
72Sur cette affaire, voir Greenwood, supra, note 3 aux pp. 61-62; Filteau, supra, note 2 aux
pp. 293-94. Le jury n’avait d~libr6 qu’une demi-heure avant de rendre un verdict de non
culpabilit6 bas6, A la grande indignation du procureur giniral, ((upon the grounds (and they
were the only grounds urged in the defence) that pending a rebellion in which they took a part,
the victim had been a spy and enemy to his country, and as such deservedly put to death by
the sentence of his fellow-countrymen)> : voir la lettre de C.R. Ogden au secr~taire en chef C.
Buller, 19 septembre 1938 dans British Parliamentary Papers: Colonies Canada (1839), supra,
note 68, 174.

1987]

LES REBELLIONS DE 1837-1838

Conseil special du Bas-Canada A l’effet de constituer un tribunal pour juger les
cas de meurtre et de trahison.

En ce qui concerne la composition de ce tribunal, on ne veut pas enlever
A Votre Seigneurie un pouvoir discrrtionnaire. Peut-etre de savants juges pour-
raient-ils seuls constituer un tribunal capable d’entendre ces proc~s ; peut-8tre
serait-il preferable d’avoir des tribunaux se modelant davantage sur des conseils
de guerre ou de combiner ces deux genres de tribunaux. Quoi qu’il en soit, il
ne peut 6tre difficile lorsque le jugement par jury a suscit6 le 16gitime mrcon-
tentement et l’indignation du peuple, de constituer des tribunaux plus impar-
tiaux et plus comprtents que les jurrs actuels […]. I1 ne serait pas prudent de
diff’erer la constitution de ces tribunauxjusqu’A ce qu’une nouvelle insurrection
ait 6clat&: les objections qui ont induit le gouvernement de Sa Majest6 A rejeter
la proposition A 1’effet de traduire les prisonniers, accus6s d’avoir pris part A
la rrcente rrvolte, devant de nouveaux tribunaux, constiturs apr~s la perp8-
tration de ces crimes, subsisteraient toujours. On se plaindrait d’etre jug6 en
vertu d’une loi rrtroactive. Par consequent, quoiqu’il soit tout A fait loisible
de recourir, en des circonstances dont Votre Seigneurie connaitra la gravit6, A
un pouvoir de detention et d’emprisonnement sans procrs, c’est nranmoins le
d6sir du gouvernement de Sa Majest6 que vous 61aboriez incessamment et
proposiez au Conseil sprcial une ordonnance A l’effet de constituer des tri-
bunaux devant lesquels seront traduits les futurs rebelles et meurtriers. Ainsi
les chefs des insurgrs et les instigateurs de la rebellion recevront un avertis-
sement; et plus tard ils auront mauvaise grace A se plaindre si leurs drlits les
rendent justifiables de ces tribunaux.73

Pourtant, point n’etait besoin de rappeler A Colborne, de nouveau charg6
de l’administration de la colonie apres le d6part de Durham, l’6tendue de
ses pouvoirs. Avant que la missive de Lord Glenelg n’arrive dans la colonie,
les rassemblements armes qui se produisent du 3 au 8 novembre dans la
campagne montr6alaise persuadent le futur Lord Seaton que le moment de
passer a l’action est venu. I1 a sous la main un instrument docile, le Conseil
special, qu’il convoque ds le 5 novembre. La veille, il avait 6mis une
proclamation decretant la loi martiale dans le district de Montreal. Du 5
au 24 novembre 1838, le Conseil special votera, dans une veritable furie
repressive, une batterie de onze ordonnances abolissant, A toutes fins pra-
tiques, le cours normal du droit criminel dans la colonie. Ces ordonnances

73Lettre du ministre colonial Lord Glenelg A Lord Durham, 26 octobre 1838 dans Rapport
sur les archives publiques pour l’annte 1931, supra, note 64, 519 A Ia p. 521 [traduction].
Quelques jours plus tard, le ministre tient A rassurer Colborne, qui venait de remplacer
Durham:

[Y]ou may rely on the unequivocal sanction and firm support of the ministers of
the Crown, in any further proceedings which, in the exercise of your powers as
administrator of the Government, you may take for defeating intrigues against the
public peace and the royal authority, even though these intrigues should be conduc-
ted in such a manner as not to render the authors of them, amenable to the legal
tribunals in the ordinary course of law.

Voir ace sujet Ia lettre du ministre colonial Lord Glenelg A Colborne, 19 novembre 1838 dans
British Parliamentary Papers: Colonies Canada (1839), ibid., 86.

REVUE DE DROIT DE McGILL

[Vol. 32

6dictent notamment: la saisie des armes et munitions ;74 le pouvoir de
r~primer militairement la rebellion et de constituer des cours martiales pour
juger les insurg~s, nonobstant l’activitm des tribunaux ordinaires ;75 la sus-
pension de l’habeas corpus ;76 la continuation de la loi martiale et la validit6
des cours martiales au gr6 du gouverneur ;77 le droit de nommer des juges
de paix et des magistrats stipendiaires nonobstant les r~gles de qualification
admises ;78 la mort civile (attainder) des prisonniers condamn~s par les cours
martiales ;79 la prohibition des soci~t~s secretes et des serments ill~gaux ;80
et le pouvoir de faire juger les rebelles dans tout district, et de les faire
emprisonner dans toute prison, au choix du gouverneur.81

740rdonnance autorisant la saisie et la detention, pendant un temps limit6, de la poudre, du
plomb, des armes et autres munitions de guerre, O.RB.-C. 1838 (3e session, Conseil spEcial),
2 Vict., c. 2. Cette ordonnance semble s’inspirer de la loi britannique An Act to Authorise
Justices of the Peace, in Certain Disturbed Counties, to Seize and Detain Arms Collected or
Kept for Purposes Dangerous to the Public Peace, to Continue in Force until the Twenty-Fifth
Day of March One Thousand Eight Hundred and Twenty Two (R.-U.), 1819, 60 Geo. 3, c. 2.
750rdonnance pour la suppression de la rebellion qui existe malheureusement dans cette
province du Bas-Canada, et pour la protection des personnes et des proprietes des fideles sujets
de Sa Majest en icelle, O.PB.-C. 1838 (3e session, Conseil spEcial), 2 Vict., c. 3. Cette ordon-
nance est retroactive au ler novembre 1838. Elle s’inspire, en aggravant ses dispositions, de la
loi britannique An Act for the More Effectual Suppression of Local Disturbances and Dangerous
Associations in Ireland, supra, note 18.

760rdonnance pour autoriser la detention des personnes, supra, note 69.
77Ordonnance pour declarer et determiner le temps oft la rebellion qui malheureusement existe
di present dans cette province, sera cens~e avoir cesse, et pour d’autres fins, O.RB.-C. 1838 (3e
session, Conseil special), 2 Vict., c. 5.
780rdonnance pour autoriser le gouverneur ou la personne administrant le gouvernement de
cette province ii nommer des personnes pour juges de paix et magistrats salaries, nonobstant
un acte de la legislature de la province du Bas-Canada, passe dans la sixi~me annee du rigne
defeu Sa Majest le roi Guillaume Quatre, et intitul, ((Acte pour la qualification des juges de
paix)), O.RB.-C. 1838 (3e session, Conseil special), 2 Vict., c. 6.
790rdonnance pour donner leffet d”un attainder aux sentences ou jugements qui seront rendus
par des cours martiales en vertu et sous l’autorite d’une ordonnance passee dans la seconde
annee du r~gne de Sa Majest6, intitulee, ( Ordonnance pour la supression de la rebellion qui
existe malheureusement dans cette province du Bas-Canada, et pour la protection des personnes
et des proprietes des fideles sujets de Sa Majest en icelle;)) et d’une autre ordonnance pass~e
intitule ( Ordonnance pour declarer et
dans la dite seconde annie du rtgne de Sa Majest,
determiner le temps oa la rebellion qui malheureusement existe d present dans cette province,
sera cense avoir cesst, et pour d’autres fins ), O.RB.-C. 1838 (3e session, Conseil special), 2
Vict., c. 7.

80Ordonnance pour empcher plus efficacement de preter des serments illegaux, et pour mieux
pr~venir les pratiques traftresses ou seditieuses, O.RB.-C. 1838 (3e session, Conseil spEcial), 2
Vict., c. 8. Les Francs-mavons sont soustraits A ‘application de cette loi.

83Voir l’Ordonnance pour autoriser l’instruction dans quelque district que ce soit de cette
province, du procs des personnes accusies de certains crimes et offences, O.RB.-C. 1838 (3e
session, Conseil special), 2 Vict., c. 11 ; Ordonnancepour autoriser le gouverneur ou lapersonne
administrant le gouvernement de cette province 6 faire confiner dans aucune des prisons de la
dite province les personnes emprisonnes ou datenues sous accusation de certains crimes, ou
pour d’autresfins, O.P.B.-C. 1838 (3e session, Conseil special), 2 Vict., c. 12.

19871

LES RtBELLIONS DE 1837-1838

La r6troactivit6 de l’ordonnance autorisant le jugement en Cour martiale
apparailt particuli6rement odieux. Colborne croit n6cessaire, le 19 d6cembre,
de s’en expliquer au ministre colonial:

The progress of the insurrection had been rapid and extensive, and as the
prisoners, most of whom had been taken with arms in their hands, were hourly
increasing, it was necessary to legislate not prospectively only, but for the
punishment of offences already committed.

With reference to these considerations, I feel confident that Her Majesty’s
Government will approve of the ordinance which was proposed to the special
council at that particular crisis, for the purpose of holding courts martial for
the trial of offences to which I advert, confirming rather than introducing a
form of trial which, although unusual, is not unknown, and which, without
any abrupt innovation, will provide the only tribunal which, in the deplorable
state of this province, could be relied on to dispense impartial justice between
the Crown and the subject.8 2
A ce’ moment, 753 personnes avaient W arrtes dans le seul district
de Montr6al. D~s le 28 novembre, une cour martiale avait &6 constitu6e.
Elle si~gera jusqu’au 8 mai 1839, avec les r6sultats que l’on connat.8 3 Cette
cour semble avoir voulu suivre, plus ou moins fid61ement, la procedure
criminelle r6guli~re, notamment a l’gard des sentences 6mises.84 En fait, le

82Lettre du gouverneur Colborne au ministre colonial Lord Glenelg, 19 d6cembre 1838 dans
British Parliamentary papers: Colonies Canada (1839), supra, note 69, 273. Le gouverneur en
profite pour justifier l’ex6cution de certains prisonniers (aux pp. 274-75):

It is scarcely necessary for me to mention to your Lordship how painful is the
duty which devolves on me at this moment. Convinced, however, that the safety
of both provinces depends on the firmness and unhesitating decision of the executive
government, and persuaded that the insurgents were in a great degree encouraged
in the second revolt by the recollection of past impunity, and the hope of future
amnesty, and receiving daily proof of the infatuation by which a large portion of
the population have been drawn into a belief in the impotence of justice, I feel that
severe examples have become indispensable and it only remains for me to consider
how the cause of public justice can be vindicated with the least possible sacrifice
of human life.

83Sur l’activit6 de la cour martiale, voir Filteau, supra, note 2 aux pp. 425-43 ; Report of the
State Trials before a General Court Martial Held at Montreal in 1838-9, t. 1, 2, Montreal,
Armour & Ramsay, 1839 [ci-apr~s Report of the State Trials]. Voir aussi les remarques tr~s
pertinentes de Greenwood, supra, note 3 at 78-84.

84A ce sujet, un incident fort r6v6lateur se produisit au d6but d6cembre: les premieres
sentences de la cour martiale pr6voyaient une peine de d6portation a vie. Elles durent 8tre
r6vis6es le 14 d6cembre sur avis du procureur g6n6ral : celui-ci estimait que la Cour ne pouvait
r6duire Ia sentence, le droit commun et la 16gislation pr6voyant la peine de mort pour crime
de haute trahison. En fait, la loi de 1833 qui avait servi plus ou moins de module d la constitution
de cette cour 16galisait les peines de d6portation, ainsi que l’ordonnance, mentionnaient que
ces sentences seraient ((whether of death or otherwise>>: voir An Act for the More Effectual
Suppression of Local Disturbances and Dangerous Associations in Ireland, supra, note 18, art.
18; Ordonnance pour la suppression de la r~bellion qui existe malheureusement dans cette
province du Bas-Canada, et pour la protection des personnes et des propriOt&s des fidles sujets
de Sa Majest6 en icelle, supra, note 75, art. 1.

McGILL LAW JOURNAL

[Vol. 32

statut de la Cour martiale, 6tendant aux civils une juridiction de type mi-
litaire, impliquait un melange hybride de droit militaire et de droit civil qui
n’a pas peu contribu6 i la confusion des procrdures. 85 Le president de la
Cour martiale, le major-g6nrral Clitherow, en transmettant la requ~te des
juges de la Cour pour une rrmunrration, insistait quant At lui sur le caractrre
civil de la juridiction assumre :

The individuals however brought to trial were civilians, consequently not
amenable to the Mutiny Act. The proceedings were conducted as nearly as
circumstances would permit in conformity with the criminal law under the
direction of two eminent counsels […]. The question whether it was a criminal
court or court martial, must I apprehend be decided on the warrant alone, by
which document the court was in fact constituted […]. With regard to the
establishment of a precedent viz that of employing military officers on civil
duties without any remuneration, I shall venture to remark that the late trials
were of sufficient importance to form a precedent and will probably be referred
to on future occasions.8 6

Le flou juridictionnel et le caractrre hatif et bfc16 de certaines mesures
d’urgence 87 furent nranmoins protrgrs contre tout recours ou poursuite
6ventuelle par deux lois d’immunit6 16gale couvrant respectivement les p6-
riodes du ler novembre au 21 drcembre 1838, et du 21 drcembre 1838 au
13 avril 1839.88

Canada, C.O. 42, t. 296, 10.

8511 semble bien que le solliciteur grnrral du Bas-Canada, A. Stuart, ait initialement considrr6
ilIgale la constitution de Ia Cour martiale. Cette opinion est cependant contestre par les
conseillers britanniques de la Couronne: voir la lettre de J. Campbell et R.W. Rolfe au ministre
Lord Glenelg, [s.j.] janvier 1839 dans Canada, Rapport sur les archives publiques pour l’annge
1932 par A.G. Doughty, Ottawa, Imprimeur du Roi, 1933, 539 [traduction].
86Lettre de J. Clitherow au secrrtaire militaire, 28 mai 1839 dans Archives publiques du
87Un exemple de la precipitation brutale avec laquelle le Conseil special 6cartait tout obstacle
A la repression est fournie par l’Ordonnance pour declarer que le chapitre second du statut du
parlement d’Angleterre, passe dans la trente-et-unibme annee du r~gne de Charles Second, n’est
pas et n’a jamais t en force dans cette Province, et pour d’autres objets, O.P.B.-C. 1838 (3e
session, Conseil special), 2 Vict., c. 15. Cette ordonnance invalidait les d~crets d’habeas corpus
accord~s par la Cour du Banc du Roi en vertu de An Act for the Better Securing of the Liberty
of the Subject, and for Prevention of Imprisonments Beyond the Seas (R.-U.), 1678, 31 Car. 2,
c. 2. Les conseillers juridiques de la Couronne ont soulign6, en termes polis, que le Conseil
special n’avait pas le pouvoir de refaire l’histoire juridique de la province et lordonnance fut
aussit8t rappel6e: voir l’Ordonnance qui rvoque une certaine ordonnance intitulte, a Ordon-
nance pour declarer que le second chapitre du statut du Parlement d’Angleterre, passe dans la
trente-et-uniame annie du r~gne du Roi Charles Second, n’est pas, ni n’a jamais W en vigueur
en cette province, et pour d’autresfins D O.P.B.-C. 1839 (4e session, Conseil special), 2 Vict., c.
51 ; voir aussi la lettre de J. Campbell et R.W. Rolfe au ministre colonial Lord Glenelg, 6
tevrier 1839 dans Archives publiques du Canada, ibid., 546.

88Ordonnance pour indemniser les personnes qui depuis le premier jour de novembre mil huit
cent trent-huit, ont participg t l’appr~hension, l’emprisonnement ou la detention des personnes
suspecites de haute-trahison ou de menses, s~ditieuses, ou d la suppression d’assemblees illegales,
et pour d’autresfins y mention~es. O.P.B.-C. 1838 (3e session, Conseil special), 2 Vict., c. 14;

1987]

LES REBELLIONS DE 1837-1838

Malgr6 la violence de la repression, la resistance a cette forme d’arbi-
traire 16gal ne tarda pas A se manifester. Le geste le plus celebre fut peut-
etre la p6tition de Louis-Hippolyte LaFontaine et Charles Mondelet, pro-
testant contre les arrestations arbitraires et les mesures d’exception prises
par le Conseil special, presentee par le deput6 Leader aux Communes an-
glaises le 14 Wevrier 1839.89 De meme, Denis-Benjamin Viger, emprisonn6
le 4 novembre en meme temps que LaFontaine et Mondelet, refusa de payer
caution et exigea un proces regulier. Viger demeura en prison jusqu’en mai
1840.90

Les principales victimes des mesures prises par les autorites civiles
6taient cependant les prisonniers passibles de sentences en cour martiale.
Ceux-ci, conseilles par les avocats Drummond et Hart, entreprirent de con-
tester la juridiction de la Cour, insistant sur le fait que <(the offence or offences with which they stand charged, are cognizable only by a jury of the country, and that, by the mode of trial, and the means resorted to upon the present occasion, they are deprived of all constitutional means of de- 19 Cette plainte fut deboutee par les autorites, appuyees en cela par fence. une opinion juridique de J. Campbell et R.W. Rolfe, 16gistes de la Couronne, confirmant la 16galite de l'ordonnance du Conseil special A l'origine de la constitution de la Cour martiale: Nous croyons que le pouvoir du Conseil special de lgiferer en ce qui concerne le droit criminel et le mode de l'administrer dans le Bas-Canada, est supreme comme l'6tait celui de la legislature du Bas-Canada avant qu'elle [ne] fut suspendue. S'il en est ainsi, on ne saurait, en droit, 6tablir une distinction entre une ordonnance modifiant la forme du proc~s de ceux accuses de voies de fait ordinaires et arretant qu'ils seront assujettis f la justice sommaire d'un magistrat, au lieu d'etre traduits devant un jury, et une ordonnance modifiant la forme du proc~s pour les cas de trahison et arrtant que, au lieu de com- Ordonnance pour indemniser les personnes qui depuis le vingt-et-unime jour de decembre mil huit cent trente-huit, ont particip di l'apprehension, l'emprisonnement ou la dtention des per- sonnes suspect es de haute-trahison ou de menees stditieuses, ou ti la suppression d'assembles illgales, et pour d'autresfins y mentiones, O.P.B.-C. 1839 (4e session, Conseil special), 2 Vict., c. 66. 89R.-U., H.L. Parliamentary Debates, 3e s6r., t. 45, col. 353. La petition fut d6posee sans d~bat. 90Sur 1<( Affaire Viger ), voir G. Parizeau, La vie studieuse et obstinte de Denis-Benjamin Viger, Montreal, Fides, 1980 aux pp. 70-78 ; lettre du gouverneur Colborne au ministre colonial Marquis de Normanby, 6 mai 1839 dans British Parliamentary Papers: Colonies Canada (1840), supra, note 33, partie 1, 62 A ]a p. 65; lettre du gouverneur Colborne au ministre colonial Marquis de Normanby, 20 mai 1839 dans British Parliamentary Papers: Colonies Canada (1840), supra, partie 1, 86 aux pp. 86-87 ; lettre du gouverneur Colborne au ministre colonial Lord J. Russell, 18 octobre 1839 dans British Parliamentary Papers: Colonies Canada (1840), supra, partie 1, 153 aux pp. 153-54. 91< Prot& de Joseph Narcisse Cardinal et al., 28 novembre 1838 > dans Report of the State

Trials, t. 1, supra, note 83, 17 A la p. 77.

REVUE DE D.ROIT DE McGILL

[Vol. 32

paraitre devant le jury, ils passeront en conseil de guerre. L’acte de la 1 re de
Victoria, c. 9, ne comporte aucune exception pour les cas de trahison et la
mode d’instruire le procs A cet effet peut 8tre modifi6 tout autant que celui
qu’on entendrait pour tout autre espkce de d6lit. 92

Pourtant, cette question de l’interpr6tation des pouvoirs de l’Act to
Make Temporary Provisions for the Government of Lower Canada93 flit i la
source d’un obstacle autrement menacant pour les autorit6s : < 'insurrection du Banc >>.94 En effet, cette loi imp6riale stipulait :

Nor shall it be lawfull by any such Law or Ordinance to repeal, suspend
or alter any Provision of any Act of the Parliament of Great-Britain, or of the
Parliament of the United Kingdom, or of any Act of the Legislature of Lower
Canada as now constituted, repealing or altering any such Act of Parliament.95

D6jA, en aofit 1838, un virulent d6bat . la Chambre des Lords avait jet6 un
fort doute sur le pouvoir du Conseil sp6cial de modifier le droit criminel,
6tant donn6 la restriction que l’on vient de citer.9 6

Or, le 21 novembre 1838, A Qu6bec, les juges Philippe Panet et Elz6ar
B6dard, de la Cour du Banc de la Reine, 6mettent un bref d’habeas corpus
en faveur de John Teed, soupgonn6 de trahison. Ce geste est en directe
contradiction avec l’Ordonnance pour autoriser la dtention des personnes,
adopt6e le 8 novembre par le Conseil special. 97 Dans leur d6cision, les juges
estiment que le Conseil sp6cial a outrepass6 ses pouvoirs en adoptant cette
ordonnance, 6tant donn6 les dispositions de la loi imp6riale constituant ce
Conseil. 98 Peu apr6s, soit le 6 d6cembre, le juge assistant de Trois-Rivieres,

92Lettre de J. Campbell et R.W. Rolfe au ministre colonial Lord Glenelg, [s.j.] janvier 1839
dans Rapport sur les archives publiques pour l’anne 1932, supra, note 85, 541 aux pp. 541-42
[traduction].

93Supra, note 60.
941Lexpression, employ6e A l’6poque par les partisans de l’autorit6 coloniale, a 6t6 reprise par
Filteau, supra, note 2 i la p. 427. 12interpr6lation par ce dernier auteur de l’argumentation
16gale dans cette affaire est cependant d6ficiente.

95An Act to Make Temporary Provision for the Government of Lower Canada, supra, note
60, art. 3. Cette disposition r6sulte d’un amendement ajout6 lors des d6bats aux Communes,
A l’initiative de Sir W. Follett, d6put6 de l’opposition ; voir R.-U., H.L., Parliamentary Debates,
3e sr., t. 40, col. 476 et s., notamment aux col. 590-96.
96Voir R.-U., H.C., Parliamentary Debates, 3e s6r., t. 44, col. 1019-35, 1056-1102, 1127-46,
1160-66 et 1172-4. Lord Denman, notamment, y exprima ropinion (A la col. 1162) que ‘amen-
dement F0llett rendait inop6rante l’ordonnance de Durham pr6voyant Ia d6portation sans
jugement des prisonniers politiques.

97Supra, note 69.
98Lejugement est publi6 in extenso dans Le Canadien (23 novembre 1838), et ‘argumentation
de I’avocat, dans [Quebec] Gazette (26 novembre 1838). En octobre, le juge Panet, dans une
opinion minoritaire donn6e dans l’affaire Ex parte Firmin Moreau, avait estim6 l’Ordonnance
pour 6tablir un systfme de police effectif danm les villes de Quebec et de Montreal, O.P.B.-C.
1839 (2e session, Conseil spdcial), 2 Vict., c. 2, invalide, et ce, pour les m~mes raisons: voir
British Parliamentary Papers: Colonies Canada (1839), supra, note 68 A la p. 219.

1987]

LES RIftBELLIONS DE 1837-1838

Joseph-R~mi Valli~res de Saint-Real, se fondant sur la m~me interpr6tation,
6met A son tour un bref d’habeas corpus en faveur de C61estin Houde. 99
Cette prise de position des trois juges menace de r~duire A n6ant presque
toutes les mesures d’exception prises par le Conseil spkcial. C’est pourquoi
les autorit~s s’empressent de solliciter l’avis des autres juges et des conseillers
juridiques de la Couronne. A l’unanimit6, les r6ponses affirment la lgalit6
des ordonnances du Conseil, estimant que les trois juges ont m~sinterpr~t6
la restriction 6dict6e par la loi imperiale. 00 Cons6quemment, Panet et B&
dard sont suspendus de leurs fonctions; Valli~res de Saint-R~al subit le
m~me sort le 27 d~cembre. Finalement, le 25 janvier 1839 les juristes im-
p~iaux rendent une opinion qui ent6rine les ordonnances du Conseil en
cette mati~re. 01

La suspension des juges dissidents, qui devait durer jusqu’au 8 aofit
1840, marque certes le moment le plus critique de 1’histoire des mesures
d’exception au Bas-Canada lors des rebellions de 1837-1838. Une fois ce
dernier obstacle 6cart6, Colborne fut en mesure de maintenir la loi martiale
jusqu’au 24 aofit 1839 dans le district de Montreal.102 Cependant, d~s la
reprise du cours normal de la justice, en septembre 1839, le procs Jalbert
vint rappeler aux autorit6s les difficult6s persistantes que rencontrerait toute
tentative pour faire sanctionner par un jury les crimes politiques commis
lors des r~bellions. Cette affaire devait mettre un terme, ‘i toutes fins pra-

99Jugement publi6 dans le Le Canadien (10 d~cembre 1838).
‘Voir les opinions de J. Stuart, juge en chef, M. O’Sullivan, G. Pyke et S. Gale, juges, 7
d~cembre 1838 dans Archives publiques du Canada, C.O. 42, t. 281, 479 ; ropinion de C.R.
Ogden, procureur g~n~ral, 27 d~cembre 1838 dans Archives publiques du Canada, supra, 487 ;
l’opinion de A. Stuart, solliciteurg~n~ral, 23 d~cembre 1838 dansArchivespubliques du Canada,
supra, 489. Seul lejuge Rolland s’abstint de r6pondre fA la requite du gouvernement. Cependant,
il refusa, en janvier 1839, d’acc~der fA une demande de bref d’habeas corpus: voir la lettre du
gouverneur Colborne au ministre colonial Lord Glenelg, 21 janvier 1839 dans Archives publi-
ques du Canada, C.O. 42, t. 293, 86. Enfin, le II fevrier 1839, les juges Stuart et Bowen
r~it~r~rent leur position en d6boutant une autre demande du meme type de la part de J. Teed,
renversant la decision des juges Panet et Bdard: voir le libell6 du jugement dans la [Quebec]
Gazette (18 fevrier 1839).
1 ‘0 Lettre de J. Campbell et R.M. Rolfe au ministre colonial Lord Glenelg, 25 janvier 1839
dans Rapport des archives publiques du Canada pour l’anne 1932, supra, note 64, 539. Le
gouvernement imperial, en maintenant la suspension des juges tout en continuant A leur verser
leur salaire, ntait cependant plac6 devant un dilemme troublant: ((Either they must take the
chance of a Report favorable to the Judges from the Judicial Committee, or they must on the
ground of state necessity or expediency confirm the suspension of the judges by removing them
without further investigation, or rather with the refusal of an investigation.)> Voir la copie
anonyme d’un rapport sur la suspension des juges, dans Archives publiques du Canada, C.O.
42, t. 295, 157. Prcisons que toute dcision des juges de Ia Cour du Banc de la Reine ne
pouvait etre remise en cause que par les tribunaux d’appel r~guliers.
102Dans le district de Saint-Frangois, la loi martiale, impos~e le 16 novembre 1838, fut abrog~e

par proclamation le 16 avril 1839.

McGILL L4W JOURNAL

[Vol. 32

tiques, aux procedures judiciaires intent~es contre les rebelles bas-
canadiens. 0 3

Conclusion

Lhistoire de l’adoption de mesures d’exception au Bas-Canada en 1837-
1838 est r6v6latrice A plusieurs titres. Elle nous renseigne d’abord, indirec-
tement, sur les forces et les faiblesses de la strat6gie patriote lors des r6-
bellions. S’appuyant sur la 16gitimit6 constitutionnelle confer6e par la
structure sp6cifique du droit britannique, les Patriotes ont d’abord entrepris,
avec un succ~s certain, de contrbler ou de neutraliser les structures locales
d’autorit6. Cette tactique, utilis~e ;k profit par les Amricains A la veille de
la guerre d’Ind~pendance, n’6tait cependant pas relay6e, au Bas-Canada, par
une veritable capacit6 de r6sistance militaire. En conjoncture coloniale, une
telle faiblesse allait s’av~rer fatale. La moindre escarmouche militaire pou-
vait fournir aux autorit6s le pr~texte pour recourir A des mesures d’exception,
et briser du m~me coup la guerilla lgale entreprise en septembre 1837.

Nanmoins, l’incertitude du pouvoir colonial face au traitement des
prisonniers politiques montre bien que les Patriotes, en s’attaquant aux
structures locales de l’administration civile et judiciaire, avaient pris de
court les autorites. La creation, par le pouvoir imperial, d’une structure
16gislative subrogatoire et la d6volution de capacit6s exceptionnelles d’in-
tervention A l’ex~cutif colonial donnerent au gouvernement les moyens de
r6agir rapidement A la seconde insurrection de novembre 1838. A cette
occasion, l’impuissance des Patriotes A d6passer la resistance 16gale apparut
dans toute son ampleur.

D’autre part, les mesures prises par les autorites imp6riales et coloniales
te fort bien apprise. Au long des
nous r6velent que la legon de 1775 avait
multiples tensions coloniales v6cues depuis la fin du dix-huitieme siecle, le
gouvernement britannique avait d6veloppe une expertise certaine en mati6re
de r6pression. La rapidite avec laquelle le cours normal du droit anglais
pouvait 8tre interrompu et la mise A l’ecart precipitee des proc6dures r6-
gulieres ont W i la source d’une 6volution legale specifique aux colonies
et d6pendances anglaises: pour la premiere fois depuis la r6volution an-
glaise, la loi martiale recevait un statut specifique dans l’administration des
populations civiles.10 4

103Fan=ois Jalbert, accus6 du meurtre du lieutenant Weir, 6tait emprisonn6 depuis le 12
d~cembre 1837. Le jury ne put s’entendre sur le verdict: voir la lettre du gouverneur Colborne
au Marquis de Normanby, 14 septembre 1839 dans British Parliamentary Papers: Colonies
Canada (1840), supra, note 33, 96 A Ta p. 96 et aux pp. 97-113, pour une reproduction du
d6roulement du proc~s.

14En cc sens, ‘exp6rience irlandaise s’av6ra inestimable, et ce ds le soul6vement de 1798.

LES REBELLIONS DE 1837-1838

Ainsi, dans le contexte colonial, la loi martiale reprit la place qu’elle
occupait nagu~re dans l’arsenal des ressources accessibles a la Couronne en
cas d’insurrection. Plus encore, son usage syst6matique dans les colonies et
d6pendances en fit non seulement un moyen de repression en cas d’urgence,
mais aussi une procedure pratique de neutralisation des juridictions ordi-
naires permettant de prolonger l’arbitraire legal aprs la suppression d’une
insurrection arm~e. I’exp6rience bas-canadienne est un cas exemplaire de
cette procedure de mise a F1’cart de la r~gle de droit au profit d’un regime
d’exception.

Dans cette conjoncture, et a l’ re des revolutions d6mocratiques et na-
tionales, la l6galit6 apparaissait sous son vrai jour: celui d’un syst~me nor-
matif de regulation sociale toujours susceptible de c6der 5 la loi du plus
fort.

Epilogue…

Soixante-quinze ans, presque jour pour jour, apr~s l’abolition d6finitive
de la loi martiale au Bas-Canada, le Parlement canadien adoptait la Loi sur
les mesures de guerre,10 5 conferant ainsi au gouverneur en conseil de larges
pouvoirs d’intervention en p6riode de conflit militaire, d’invasion, ou d’in-
surrection apprhend~e. Le pouvoir ex6cutif recevait donc, de fagon per-
manente cette fois, des armes que la Couronne anglaise n’avait utilis~es
qu’aux limites de l’arbitraire l6gal. Au Quebec, octobre 1970 allait d~montrer
les implications de ce geste.

105S.C. 1914, c. 2 [adopt~e le 22 aofit 1914, tandis que l’abolition de la loi martiale date du
24aofit 1839]. VoirD.E. Smith < Emergency Government in Canada >> (1969) 50 Can. Historical
Rev. 429.

in this issue Réflexions sur la police en Nouvelle-France

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