Pluralisme conjugal ou hi6rarchie
des sexualit6s : la reconnaissance
juridique des couples homosexuels
dans I’Union europ6enne
Daniel Borrillo”
Le rdgime europmen des droits de l’homme, s’il pro-
tage doi-navant rindividu homosexuel contre certaines
formes de discrimination, dLe les pays membres rdgle-
menter les unions homosexuelles. L’Vexamen des rdgimes
juridiques concemant la reconnaissance des couples homo-
sexuels dans divers pays de l’Union europdenne permet
d’identifier trois modoles prineipaux. Le premier, inspird
par le droit des pays scandinaves, instaure un r6gime rser-
v6 aux homosexuels et distinct 4 la fois de l’union da fait Ct
du marage; le second, en vigueur sulement aux Pays-
Bas, reconnait le mariage civil pour les couples homo-
sexuels, et Ie troisi~me rdserve le mariage aux couples h&-
rosexuels mais permet aux couples homosexuels de bnfi-
cier des regles relatives an concubinage ou a une forme of-
ficielle de cohabitation reconnue par la loi At tons les cou-
ples.
L’auteur suggre que, loin encore de garantir l’galitd
aux couples homosexuels, ces r6gimes, 5, l’exception de la
loi n6erlandaise, instituent plut6t une hidarchie des rela-
tions de couple reconnues par la loL Au sommet de cee
hidrarchie se situe le mariage traditionnel, qui comporte la
plus large gamme de droits et d’obligations patrimoniales
et fhmlliales. Les autres formes de cohabitation reconnues
sous diverses formes par les lois natioales consacrent pour
leur part le statut juridique et social infdrieur des unions
homosexuelles, en ce qu’elles ne comportent pas les m2-
mes droits et obligations et que les circonstances de leur
adoption rlvNent souvent une intention de prdserver la supd-
riorit6 du mariage. L’auteur avance que l’importance crois-
santo des fgles antidiscriminatoires en Europe rendra de plus
en plus difficile Ie maintien do cette hiftarchie, et que la
solution devta 6ventuellement Wre l’ouvertumre du maniage
aux couples homosexuels.
While the European regime of human ights nw
protects individual gays and lesbians against cerain foms
of discriminati,
it leaves the MNeler Sttes to regult
same-sex unions. An examination of the legal regim s con-
cerning recognition of sae-stx coup!es in different coun-
tries of the European Union reveals three prinzipal models.
The first, inspired by the law of the Scandinavian countfri,,
institutes a regime distinct from d facto unions md mar-
riage. The second, implemented only in the Nethrl:nd,,
recognizes civil marriage for sane-x coup!:. Th- third
reserves marriage for heteru-sxual caup!es, bat pamuit
same-sex couples to benefit from concubinag e or a legally
recognized form of cohabitation availUa!b to all coup!es.
The author suggests that, far from guaran
ing
equality to same-sex coup!,- thee regim,
exccpt for the
law in the Netherlands, implement in-iead a hierarchy of
legally recognized intimate rdations. Tritmonil marage
sits at the top of this hierarchy. %vith the largest array of
rights and familial and patrimonial obligations. ‘TI other
diverse forms of cohabitation recognized by national laws
entrench the inferior legal and social aus of sm-.ex
unions, in that such unions do not bear the sam rights and
obligations. Indeed,.
the contexts in v.hih such regime
were adopted often reveal an intention to preserve the supe-
riority of mariage. The author argues that the gro.ving im-
portnce of anti-discri-iation rules in Europe
ill nake the
maintenance of this hierarchy inreasingly difficuIL and tha
the solution will eventually be the extension of marriage to
same-se.x coup!es
Juriste, Universit6 de Paris X ; chercheur associ6 au CNRS (CERSA).
Revue de droit de McGill 2001
McGill Law Journal 2001
Mode de rf6rfence: (2001) 46 RtD. McGil 875
To be cited as: (2001) 46 McGill L. 875
MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROITDE MCGILL
[Vol. 46
Introduction
I. Uindividu homosexuel et la Convention europ6enne des droits de
rhomme
I1. Le couple de m~me sexe et les Igislations nationales
A. Le mod~le scandinave
B. Le cas n6erlandais
C. La timide solution beige
D. Le Pacte civil de solidarit6 (PaCS) :une sp~cificit6 frangaise?
E Les lois r6gionales espagnoles
III. Uordre europ6en des conjugalit6s
IV. La supr~matie du mariage h6t6rosexuel
V. Ordre conjugal et hi~rarchie des sexualitds
VI. Libert6 matrimoniale et 6galit6 des sexualitds
VII. Les fissures juridiques de la pyramide conjugale
Conclusion
2001]
D. BORRILLO – HIERARCHIE DES SEXUALITS ?
Introduction
La question de la reconnaissance des unions de meme sexe en Europe est 6troite-
ment lide celle, plus g~n~rale, concemant le traitement juridique de l’homosexualit’.
C’est dans ce contexte, et au sein de ‘histoire politique des mentalit6s, que j’aborderai
l’6tude des nouveaux dispositifs 16gaux relatifs aux unions de meme sexe. Loin de re-
presenter un ph6nom~ne isol6, fruit uniquement de l’activisme politique d’une mino-
rit6, l’61argissement de la notion de couple aux unions homosexuelles est, avant tout,
le r6sultat d’une progressive la’cisation du sacrement matrimonial au profit d’une
conception lib6rale de type contractualiste. La lutte politique des homosexuels a cer-
tes jou6 un r~le central en la mati~re, au point qu’il serait aussi absurde qu’injuste de
la minimiser; cependant, cette lutte d~passe largement la revendication gay. En effet,
celle-ci vient radicaliser l’volution des repr.sentations du couple, en bouleversant
l’image classique cristallis.e dans le droit par
pr6sent6e comme essentielle h l’union.
L’abandon des pr6suppos6s th~ologiques ainsi que la progressive dissociation en-
tre alliance et filiation ont permis 1’6mergence d’un nouveau paradigme au sein du-
quel seule la volont6 individuelle fonde la l6gitmit6 du lien’. Autrement dit, ]a dimen-
sion spirituelle ainsi que la finalit6 reproductive cessent d’etre les conditions sine qua
non du mariage, pour devenir de simples possibilitFs ddpendantes du libre choix des
partenaires.
Dans les pays oi ‘Ittat ne jouit pas du monopole juridique en la matire, les Egli-
ses doivent partager la gestion maritale avec la puissance publique. C’est donc ai
‘Voir D. Borillo, <_'oiientation sexuele en Europe: esquisse d'une politique publique antidiscri-
minatoire>> Les Temps Moderntes n0 609 (juin-aoft 2000) 263. Pour une analyse comparce des r~gi-
mes europ~ens, voir le remarquable article de C. Forder,
concemant le droit au mariage pour les couples de meme sexe, je ne fais pas rfdrence ici aux publi-
cations am6ricaines bien connues du public canadien. Je privil6gie donc les sources europennes.
2V Xoir D. Bon-illo, <
et D. Lecourt, dir, La sexualitd a-t-elle wi avenir ?, Paris, Presses universitaires de France, 1999, 39.
‘ Pour une analyse de 1’6volution de la famille et des r~gles qui la gouvement, voir notamment J.
Commaille, L’esprit sociologique des lois, Paris, Presses universitaires de France, 1994; J. Com-
maille et C. Martin, Les enjeuxpoliiques de lafamille, Paris, Bayard, 1998 ; E de Singly, Sociologie
de lafamille contemporaine, Paris, Nathan, 1993.
4En Europe, le mariage civil est, selon les pays, obligatoire ou optionnel. Le premier de ces rgimes
fuit instaur6 par la R6volution franpaise, alors que les pays de tradition protestante, ayant gardS des
relations officielles avec leurs Eglises, optrent pour le choix entre le mariage civil ou le mariage reli-
gieux. Voir A. Dittgen, 4.es manages civils en Europe: histoires, contextes, chiffres> (1997) 36-37
Droit et soci6t6 309.
MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE MCGILL
[Vol. 46
l’ombre de la morale laYque et au sein d’une progressive individualisation des liens
familiaux et sociaux que l’homosexualit6 est non seulement toldr6e en tant que com-
portement individuel, mais 6galement accept6e comme mode de relation affective.
La s~cularisation progressive du m6nage (aussi bien dans ses origines et son
6volution que dans sa dissolution), la dissociation entre union et procr6ation (r6sultat
de la l6gitimation des moyens contraceptifs et abortifs), ainsi que la progressive ac-
ceptation des pratiques homosexuelles (sous condition qu’elles demeurent confin6es h
l’int~rieur de la sphere privde), constituent les variables qui ponctueront les transfor-
mations des conjugalitds en g6n6raP et de celles relatives aux unions de meme sexe en
particulier.
Dans un premier temps, j’analyserai l’6volution de l’homosexualit6 en tant que
manifestation individuelle, partir de l’6tude des sources juridiques europ6ennes tant
au niveau de la grande Europe (Conseil de l’Europe, t quarante et un membres) qu’il
celui de l’Europe des quinze (Union europ~enne). Allant au delt de la simple mani-
festation de la vie privde, cette premiere partie prendra 6galement compte des prises
de position des autorit~s europ6ennes concernant la vie du couple homosexuel et des
families homoparentales. Dans un deuxi~me temps, mon 6tude portera sur les l6gisla-
tions nationales de ‘Union europ6enne ayant reconnu une forme sp6cifique de parte-
nariat rserv6 –
aux unions de meme sexe’. Enfin, dans
une troisi~me partie, je mettrai en parall6le ces formes de 16gitimation des unions ho-
mosexuelles avec le mariage civil, en fonction duquel, directement ou indirectement,
toutes ces I6gislations furent conques, soit pour produire certains de ses effets juridi-
ques, soit pour les contourner. Plut6t que d’une comparaison technique avec
l’institution matrimoniale, je tenterai de comprendre dans quelle mesure ]a multipli-
cation d’instruments juridiques tendant i reconnaitre la vie du couple homosexuel
(partenariat enregistr6, cohabitation 16gale, pacte civil de solidarit6, couples stable de
ou tout au moins 6largi –
‘ Sur cette 6volution g6nrale et pour une analyse critique, je renvoie le lecteur au numro special
La famille dans tous ses 6tats> Actes de la Recherche en Sciences Sociales no 113 (juin 1996).
6 Pour une analyse compar~e de la situation europenne et de celle des ttats-Unis et du Canada,
voir R. W’mtemute, Sexual Orientation and Human Rights. The United States Constitution, the Euro-
pean Convention, and the Canadian Charter, New York, Clarendon Press, 1995 ; K. Waaldijk et A.
Claphan, Homosexuality, a European Community issue. Essays on lesbian and gay rights in Euro-
pean law andpolicy, Dordrecht, Martinus Nijhoff, 1993.
‘ Je n’aborderai pas dans cet article les propositions de loi actuellenent en discussion dans les au-
tres pays de l’Union europ~enne. En Italie, plusieurs projets et propositions ont 6t6 d6pos6s au Sdnat
et
la Chambre des d~put6s, sans discussion formelle pour l’instant. Pour une analyse de ]a situation
italienne dans le cadre europden, voir F. Brmnetta d’Usseaux et A. D’Angelo, Matrinonio, inatrimo-
nii, Milan, Giuffr , 2000. En Espagne, le gouvemement s’est engag6 4t voter une loi nationale concer-
nant l’union civile de deux personnes. En Belgique, sur proposition du ministre de ]a Justice, un
avant-projet de loi propose maintenant l’ouverture du mariage aux couples de meme sexe.
2001]
D. BORRILLO – HIERARCHIE DES SEXUALITS ?
fait, etc.) constitue un signe de pluralit6 des conjugalitds ou si, en revanche, cette pro-
lifdration ldgislative ne vient pas conforter un ordre hi&archique des sexualitds dans
lequel l’h6t~rosexualit6 garderait, grace au monopole matrimonial, sa position prd-
6minente. C’est cet ordre qui m6rite d’Etre interrog6, non seulement en tant que pro-
c6dure r6glant la r6partition des diffdrentes places dans l’ensemble des conjugalitds,
mais 6galement comme dispositif d’agencement des sexualits.
I. L’individu homosexuel et la Convention europ~enne des droits
de I’homme
Nous chercherions en vain une quelconque rfrence i l’homosexualit6 dans les
instruments juridiques protecteurs des droits fondamentaux. Ni les conventions a ca-
ract-re international comme la Ddclaration tiverselle des droits de l’hommel de
1948, ni celles ii porte r6gionale, telle la Convention europienne de sauregarde des
droits de l’honne et des libertdsfondwentales de 1950, n’ont accordd une protec-
tion spdcifique aux gays et lesbiennes. Bien au contraire, les figures gdndrales de ]a
<
longtemps refusdes. La premiere requete prdsentde par un gay at la Commission euro-
p~enne des droits de l’homme , 1’un des organes garant de l’application de la Con-
vention”, remonte au 17 octobre 1955. I1 s’agissait d’un ressortissant allemand qui
contestait la compatibilit6 de la idgislation de son pays avec la Convention. Le requ6-
rant avait 6t6 condamn6 sur la base de l’article 175 du Code p6nal allemand alors en
vigueur. Cet article, qui rprimait svrement les relations homosexuelles entre adul-
tes consentants, avait 6t6 considdrablement renforc par les nazis et demeura en vi-
gueur jusqu’en 1969. Plusieurs requetes suivirent, dont l’une concemait le ces d’un
citoyen allemand qui se plaignait de la pers6cution dont il avait dt6 victime du seul fait
de son homosexualit6. ]1 avait d6ji purg6 une premire peine de presque deux ans
d’emprisonnement, laquelle fut suivie d’une seconde peine de deux ans et demi avec
de surcroit une <
<
‘Rs. AG 217(m), Doc. off. AG NU, 3’ sess., supp. n 13, Doe. NU A/810 (1948) 71.
” 4 novembre 1950, 213 R.T.N.U. 221, S.T.E. 5 [ci-aprbs la Con’ention europeenne des droits de
l’homne ou la Convention].
Voir X c. R.FA (1955), 104/55, 1 YB. Eun Cony. H.R. 228.
“Jusqu’au V novembre 1998, la Commission repr&entait la premire instance do la proc dure, et
admissible, la d~marche continuait aupr~s do la Cour qui randait le ju-
‘oiganisaionjuridictionnelle est unifide autour d’une seule Cour
si la requite 6tait consid&6r
gement ddfinitif. Depuis cette date,
divis6e en plusieurs Comitds, Chambres et une Grande Chambre.
12.X c. R.FA. (1960), 530159, 2 Rec. Comm. Eu D.H. 1, 3 Y.B. Eu Cong H.R. 185.
880
MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE MCGILL
[Vol. 46
Pendant vingt-deux ans, la Commission refusera syst6matiquement toute p6tition
provenant d’homosexuels victimes des l6gislations p6nales europ6ennes. Meme les
survivants des camps de concentrations (toujours pers6cut6s par l’ttat allemand sur la
base de la l6gislation nazie’3) ne parvinrent pas A faire changer la position des autorit~s
judiciaires europ6ennes. La criminalisation de l’homosexualit6 par plusieurs ttats eu-
rop6ens n’6tait pas consid6r6e comme contraire
la Convention europienne des droits
de l’homme par les juges europ6ens. En effet, bien que la vie sexuelle relve du do-
maine de la vie priv6e au sens de l’article 8 de la Convention”, les ing6rences des
lttats consistant en la p~nalisation de l’homosexualit6 entre adultes consentants furent
justifi6es par des motifs consid6r6s comme 16gitimes, tels la protection de la sant6 et
de la morale>> ou la
Commission soulignait syst6matiquement que la Convention permet h un lttat con-
tractant de punir ‘homosexualit6, le droit au respect de la vie priv6e pouvant faire
l’objet, dans une soci&6t d6mocratique, d’une ingdrence pr6vue par la loi pour la pro-
tection de la sant6 et de la morale>>”. I1 a fallu attendre le 7 juillet 1977 pour que la
” C’est pmprio motu que I’Allemagne modifiera l’art. 175 du Code pnal, mettant ainsi fin au
ocrime d’homosexualit&>. Les relations entre un adulte majeur de dix-huit ans et son partenaire du
mame sexe mineur de vingt et un ans seront consid6res comme une infraction pnale. La Commis-
sion justifiait ce traitement discriminatoire par ]a n~cessit6 d’<6viter que des experiences homo-
sexuelles avec des adultes n'aient une influence n6faste sur le d6veloppement des tendances h~tdro-
sexuelles des mineurs [...] et que le mineur engag6 dans des relations homosexuelles avec un adulte
soit en fait retranch6 de la socit6 et profond~ment affect6 dans son 6panouissement psychologique>:
X. c. R.FA. (1976), 593572,3 Comm. Eur. D.H. D.R. 46,19 YB. Eur. Cony. H.R. 277.
‘ Convention europienne des droits de I’homme, supra note 9, art. 8:
1. Toute personne a droit au respect de sa vie priv6e et familiale, de son domicile et do
sa correspondance.
2. 11 ne pout y avoir ing~rence d’une autorit6 publique dans 1’exercice de ce droit que
pour autant que cette ing6rence est pr6vue par ]a loi et qu’elle constitue une mesure
qui, dans une soci~t6 d~mocratique, est n~cessaire h la s~curit6 nationale, t In sl0ret6
publique, au bien-8tre 6conomique du pays, A ]a d6fense de l’ordre et A la prdven-
tion des infractions p6nales, A la protection de ]a sant6 ou de ]a morale, ou h la pro-
tection des droits et libert6s d’autrui.
Voir notamment les requtes X. c. R.SA. (1955), supra note 10; X. c. R.FA. (1956), 167/56, 1
YB. Eur. Cony. H.R. 235; X. c. R.F.A. (1957), 261/57, 1 YB. Eur. Cony. H,R. 255; X. c. R.FA.
(1960), supra note 12; X c. R.F.A. (1960), 704/60, 3 Rec. Comm. Eur. D.H. 1 ; X. c. R.FA. (1962),
1307/61, 5 YB. Eur. Cony. H.R. 231 ;X. c.Autriche (1963), 1138/61, 11 Rec. Comm. Eur. D.H. 9 ;X.
c. R.FA. (1967), 2566/65, 22 Rec. Comm. Eur. D.H. 35; X. c. R.FA. (1969), 3566/68, 31 Rec.
Comm. Eur. D.H. 31.
” Pour une analyse approfondie de 1’6volution de cette jurisprudence, voir l’article de C.-A. Meyer,
Ul’homosexualit6 dans le jurisprudence de la Cour et de la Commission europ6ennes des droits do
l’homme> dans D. Borrillo, dir., Homosexualitis et droit. De la tolrance sociale 4 la reconnaissance
juridique, 2’ 6d., Paris, Presses universitaires de France, 1998, 153 [ci-aprbs Honosexualitds et droit],
2001]
D. BORRILLO – HI-RARCHIE DES SEXUALITS ?
Commission d6clare recevable une p6tition qui contestait la compatibilit6 de la loi an-
glaise sur la sodomie” avec l’article 8 de la Convention”. Mais ce n’est qu’avec la d6-
cision de la Cour dans
‘affaire Dudgeon c. Royawne-Unia du 22 octobre 1981 que
l’interdiction des actes homosexuels effectu6s en priv6 entre adultes consentants sera
d6finitivement considd6re contraire
la Convention europdenne des droits de
l’howmme.
La persuasion politique du Conseil de l’Europe a sans doute accc16r6 1’6volution
de la Cour. Le 9 octobre 1979, un comit6 dirig6 par M. Voogd prdsenta une proposi-
tion de recommandation qui avait pour objectif 4la protection, morale etjuridique, des
homosexuels>> et la <
position fut adopt6e par le Conseil et un rapport sur la discrimination contre les ho-
mosexuels fut remis le 8 juillet 1981. Outre la recommandation, ce rapport aboutit au
vote d’une r6solution invitant I’O.M.S. bL supprimer l’homosexualit6 de sa classifica-
tion des maladies mentales2′. La perspective libmrale du document tendait .i al’dgalit6
des 8tres humains et [ ] la d6fense des droits de ‘homme)>, en respectant les choix
sexuels de l’individu. Le Conseil de ‘Europe proposait de renoncer ai tout type de dd-
ainsi que celui de R. Wimtemute, Liberts et droits fondamentaux des personnes gays, lesbiennes et
bisexuelles en Europe>> dans ibid, 180.
” Ce terme 6tait entendu en particulier dans la loi anglaise comme d6signant les relations sexuelles
entre hommes.
‘s VoirX c. Royaune-Uni (1977), 721575, 11 Comm. Eur DIL D.R. 36,21 Y.B. Eur. Cony. HILR.
355.
“, (1981), 45 Cour Eun D.H. (S&c A) 1, 4 E.IL1.I. 149. La Cour confirmera sa jurisprudence dans
deux autres arrPts: Norris c. Irlande (1988), 142 Cour Eur. D.HL (Sdr. A) 1 ; Modinos c. Chypre
(1993), 259 Cour Eun D.H. (S&r A) 1, 16 E.II.R. 485. Dans ces decisions, la d6pnalisation de
fut limit6e aux relations entre deux adultes consentants dam ]a spher priv&e. Cc
l’homosexualit
n’est que trs r~cemment que la Cour a 6galement admis la protection de rarticle 8 de la Convention
pour les relations homosexuelles engageant plus de deux personnes majeures ct consentantes: voir
A.D.T c. Royawne-Uni (31 juillet 2000), en ligne: Cour europenne des droits de
‘homme
jorit6 sexuelle homosexuelle et h6tulsexuelle a 0t6justifi~e par les juges europ~ensjusqu’au 1Vjuillet
1997, date L laquelle la Commission a consid~r6 que le maintien d’un fige diffdent pour le consente-
ment aux relations sexuelles (respectivement dix-huit as et seize ams) n’estjustitid par aucun motif
objectif et raisonnable: Sutherland c. Royawne-Uni (1997), 24 E..RLIL C.D. 23 (Comm. Eur. D.H.)
[ci-apres Sutherlandl. Cette affaire a 6t suspendue devant ]a Cour suite a un rfglement
‘amiable en
1997, qui a men6 le 30 novembre 2000 at l’uniformisation de 1′.ge du consentement en Grande-
Bretagne.
Conseil de l’Europe, A.P., Proposition de reconunandation relative a la protection des homo-
sexuels, Documents, voL 7, Doc. 4436 (1979).
“! Voir Conseil de l’Europe, A.P, 33′ sess., partie 2, Rdsolution 756 (1931) relative a la discrimina-
tion a l’gard des hwmosexuels, Textes adoptds, voL 11 (1981).
882
MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE MCGILL
[Vol. 46
finition m6dicale ou psychiatrique et de parler tout simplement de pr6frence
sexuelle’. Par la suite, la Reconmandation 924 reprit 6galement en partie les proposi-
tions avanc6es dans le rapport, mettant l’accent sur la d~p6nalisation et la d6m6dicali-
sation de l’homosexualit6V.
Meme dans des domaines aussi sensibles que l’arrne ou ]a famile,
l’homosexualit6 ne constitue plus une entrave A l’exercice de la vie privde et familiale.
Dans l’affaire Smith et Grady c. Royaume-Uni4 du 27 septembre 1999, la Cour a es-
tin6 que la r6vocation des homosexuels des forces arm6es constitue une violation de
l’article 8 de la Convention. Le 21 d6cembre de la meme annie, dans l’affaire Sal-
gueiro da Silva Mouta c. Portugal, la Cour a condamn6 l’tat portugais pour avoir
priv6 un homme de l’autorit6 parentale sur sa fille, du seul fait de son homnosexualit6.
L’interpr6tation univoque de la Cour, lorsqu’elle consid~re que la notion d’orientation
sexuelle est couverte, ? n’en pas douter, par l’article 14 de la Convention>, n’a pas
empech6 l’Assembl6e parlementaire du Conseil de
‘Europe de recomnimander
l’introduction explicite de cette notion dans la liste des situations pr6vues par le prin-
cipe de non-discrimination consacr6 dans l’article en question26.
” Le rapport initial concluait sur un certain nombre de suggestions ; voir Conseil de l’Europe, A.P.,
Rapport sur la discrimination a l’4gard des homosexuels, Documents, vol. 3, Doc. 4755 (1981): a) In
modification de l’article 14 de la Convention europdenne des droits de l’homme en ajoutant Ia notion
de “penchant sexuel” ; b) la destruction des fichiers de police sur les homosexuels ; c) l’6galit6 do
traitement des homosexuels en mati~re d’emploi, de rmun6ation et de s~curit6 du travail;
d) l’intermption de toute activit6 ou recherche m&licale obligatoire destin~e a modifier les penchants
sexuels des adultes; e) la suppression de toute discrimination contre les parents homosexuels on cc
qui conceme la garde, le droit de visite et l’hbergement de leurs enfants ; f) ]a rparation pour les
homosexuels qui ont souffert dans des camps de concentration ; g) d’inviter les directeurs do prison et
d’autres autorit6s publiques A faire preuve de vigilance pour 6viter que les homosexuels no fassent
l’objet de viols et d’actes de violence dans les prisons.
‘ Voir Conseil de l’Europe, A.P., 33’ sess., partie 2, Recommandation 924 (1981) relative t) la dis-
crimination a l’gard des homosexuels, Textes adopt~s, vol. H (1981).
‘ (27 septembre 1999), en ligne: Cour europenne des droits de l’homme, supra note 19; dans
I’affaire Lustig-Prean et Beckett c. Royaume-Uni (27 septembre 1999), en ligne: Cour europenne
des droits de l’homme, ibid, la Cour arrive t la meme conclusion.
Salgueiro da Silva Mouta c. Portugal (21 d6cembre 1999), en ligne : Cour europdenne des droits
de l’homme, ibid au para. 28 [ci-aprbs Salgueiro].
Cot avis est le fruit du travail de l’ILGA-Europe (International Lesbian and Gay Association), qui
depuis 1990 demande ]a rdaction d’un protocole additionnel A ]a Convention. Les modifications pro-
pos6es par l’Assemblhe parlementaire du Conseil de l’Europe tentaient de completer ]’article 14 do Ia
fagon suivante :
1. Les hommes et les femmes sont 6gaux devant la loi;
2. La jouissance de l’un quelconque des droits reconnus par ]a loi doit etre assurde,
sans discrimination aucune, fond6e notaniment sur le sexe, l’orientation sexuelle, Ia
2001]
D. BORRILLO – HItRARCHIE DES SEXUALIT88 ?
883
Malgr6 cette nette 6volution, la Cour continue a scinder la vie pdvde des homo-
sexuels de leur vie familiale. Si la premiere est effectivement reconnue, la seconde est
toujours ni~e . Tout se passe encore comme si 1’homosexualit6 constituait un com-
portement suspect, susceptible d’Etre accept6 uniquement dans un espace confin6 “t
l’intimMi de l’individu. La reconnaissance de la vie priv~e de l’homosexuel est enten-
due comme l’abstention de l’intervention 6tatique dans une sphbre intime et non pas
comme protection active de l’ttat des choix vitaux de l’individu, tels notanment
l’61ection de son partenaire et la construction de sa propre famille. Cette conception
empechera la Cour de Strasbourg de sortir du registre de la tol6rance.
II. Le couple de m~me sexe et les l6gislations nationales
Aussi bien les autorit6s judiciaires du Conseil de l’Europe que celles de l’Union
Europ~enne ont donc consacr6 une protection sans ambiguYt6 de la vie pdv6e des
gays, des lesbiennes et des bisexuels’. En revanche, s’agissant de leur vie familiale, la
situation demeure encore prcaire. En effet, et en d~pit de quelques engagements li-
mits, le traitement juridique des unions de meme sexe” et des families homoparen-
race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opi-
nions, l’origine nationale ou sociale, l’appartenance a une minoritd nationale, la
fortune, la naissance ou toute autre situation;
3. Nul ne peut faire l’objet d’une discrimination de la part de toute autorit6 publique,
fond~e notamment sur les motifs mentionnis au paragraphe 2 (Conseil de l’Europfe,
A.P., 51 sess., Projet de protocole h* 12 t la Convention europeenne des droits de
l’hormne, en ligne: Assemble parlementaire
Le Comit6 des ministres du Conseil de l’Europe a rejet6 l’avis de l’Assemblde.
2 Prdcisons que l’affhire Salgueiro, supra note 25, protege la vie familiale d’un homosexuel ayant
un pass6 hdtdrosexueL Aucune d6cision n’a consid&r6 qu’un individu ou un couple gay ou lesbien
puisse acc&Ier L la construction d’une famille ex nihilo par le biais du mariage, de l’adoption ou de
proerdations m&licalement assistdes.
2′ Pour une analyse approfondie des limites de la toldrance ainsi que de son fondement moral, voir
l’excellent article de 0. De Schutter, <
plinaire d’tudes juridiques 83.
Voir E. Spiry, <,Homosexualit6 et Droit international des droits de l'homme - Vers une nouvelle
donne en Europe ?>> (1996) 25 R.T.D.H. 45 ; voir aussi n.. West, vHomosexualitd et contr6le social,
dans Conseil de l’Europe, tudes relatives a la recherdie crininologique, vol. 21, Strasbourg, Comitd
europ~en pour les problimes criminels, 1984, 139.
” Et ceci malgr6 une certaine 6volution de la logique argumentative de la Cour. Pour une analyse
plus approfondie de cette question, voir D. Borrillo,
31 Pour une analyse compare de cette question, voir R. Wintemute et M. Andenxs, din, Legal Re-
cognition ofSame-Sex Partnerships, Oxford, Hart Publishing, 2001 [a paraitre].
MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROITDE MCGILL
[Vol. 46
tales a 6t6 davantage le r~sultat du travail des assembl6es nationales et de la pression
politique du Parlement de l’Europe. Si le juge europ6en a jou6 un r6le majeur dans la
protection des homosexuels en tant qu’individus, ce sont les parlementaires qui ont
ouvert le d6bat sur la question du couple.
A plusieurs reprises, aussi bien la Commission que la Cour ont estim6 que des
relations homosexuelles durables ne rel~vent pas du droit au respect de la vie fami-
liale prot6g6 par l’article 8>’>. Ainsi, les couples homosexuels se voient refuser de
nombreux droits qui d6coulent de cette notion, tels par exemple l’autorit6 parentale
pour la compagne d’une lesbienne, m6re d’un enfant issu d’une ins6mination artifi-
cielle ‘, le droit au sjour sur le sol europ~en pour le partenaire homosexuel d’un ci-
toyen de l’Europe’, ou encore le droit de reprise du bail de location au profit du par-
tenaire survivane.
Bien que le droit au mariage constitue une libert6 fondamentale consacrde par ]a
Convention, les homosexuels sont 6cart~s d’une telle prdrogative. Dans son arrt Rees
c. Royaume-Uni du 17 octobre 1986, la Cour d6clare que <4'article 12 [...] vise le ma-
riage traditionnel entre deux personnes de sexe biologique difffrent>. Post6rieure-
ment, h deux reprises, la Commission et la Cour eurent l’occasion de confirmer cette
jurisprudence. Ainsi, dans les affaires C. et LM. c. Royaume-Uni du 9 octobre 1989 et
Cossey c. Royaume-Uni du 27 septembre 1990′”, la Cour rappelle que le droit au ma-
riage ainsi que la facult6 de fonder une famille sont r6serv6s aux seuls couples h6t6ro-
sexuels.
Au niveau de l’Union Europ~enne, la situation n’est gu~re plus satisfaisante. En
effet, la Cour de Justice des Communaut6s europ6ennes (CJCE), autorit6 judiciaire
qui veille an respect des trait6s constitutifs de l’Union, estime que l’absence de droits
sp6cifiques vis-a-vis de la compagne d’une travailleuse lesbienne <
m~me Cour de conclure:
32 X. et Y c. Royaume-Uni (1983), 9369/81, 32 Comm. Eur. D.H. D.R. 220 h la p. 223 ; voir aussi S.
c. Royaume-Uni (1986), 11716/85,47 Comm. Eur. D.H. D.R. 274.
33 Voir Kerkhoven, Hinke et Hinke c. Pays-Bas (19 mai 1992), 15666/89, en ligne : Cour eurol~enne
des droits de l’homme, supra note 19.
m Voir X et Y c. Royaume-Uni, supra note 32; B. c. Royaume-Uni (1990), 16106/90, 64 Comm.
Eur. D.H. D.R. 278; C. et LM. c. Royaume-Uni (1989), 14753/89, en ligne: Cour europ6enne des
droits de l’homme, ibid.
3 Voir S. c. Royaume-Uni, supra note 32 ; Rddsli c. Allenagne (1996), 28318/95, 85B Comm. Eur.
D.H. D.R. 149.
(S~r. A) 1.
‘ (1986), 106 Cour Eur. D.H. (S6r. A) 1 A la p. 19.
17 C. et LM. c. Royaume-Uni, supra note 34; Cossey c. Royaume-Uni (1990), 184 Cour Eut, D.H.
2001]
D. BORRILLO – HleWRARCHIE DES SEXUALITs ?
En l’6tat actuel du droit au sein de la Communaut6, les relations stables entre
deux personnes du m~me sexe ne sont pas assimilables aux relations entre p-r-
sonnes marides ou aux relations stables hors mariage entre personnes de sexe
oppos6. Par consequent un employeur n’est pas tenu par ]e droit communau-
taire d’assimiler la situation d’une personne qui est dans une relation stable
avec un partenaire du meme sexe t celle d’une personne qui est maride ou qui a
une relation stable hors mariage avec un partenaire de sexe opposd7.
Le juge communautaire de premiere instance suit fidlement la jurisprudence de
la CJCE, mame dans un cas oa la discrimination directe semblait d’autant plus frap-
pante qu’il s’agissait d’un fonctionnaire communautaire de nationalit6 suddoise vivant
avec son partenaire (reconnu officiellement comme tel par ]a Suede) et qui se plai-
gnait de ne pas b6n6ficier des m~mes avantages dont pouvait jouir n’importe quel
fonctionnaire hdtdrosexue’.
L’extr~me prudence du juge communautaire ob6it, outre les questions politiques,
a ‘absence de juridiction en la mati~re, le droit de la famille constituant encore un
domaine rdserv6 aux ttats membresg’ . Au niveau national, malgr6 la recommandation
du Parlement europ~ene, seuls les Pays-Bas accordent l’6galit6 aux couples de meme
sexe’ . Six autres Etats, sur les quinze qui constituent l’Union, n’ont inscrit que tr~s
rdcemment dans leur 16gislation une acceptation timide des unions homosexuellesP.
En 1989, le Danemark devient le premier pays en Europe et au monde t consacrerju-
Grant c. South-West Trains Ltd, C-249/96, [1998] Rec. CE 1-621 i Ia p. 1-622.
‘9 D. et SuMe c. Conseil (1997), T-264/97, en ligne: Cour de justice et tribunal de premihe instance
mai 2001 : C-122/99, en ligne : Cour de justice et tribunal de premiere instance, ibid
43Voir C. Tobler, <
tion of Saune-Sex Partnerships in Europe, Zurich, 4 novembre 2000 [non publide]. 11 est ndanmoins
necessaire de signaler que malgr6 ‘absence de juridiction g6ndrale en droit de ha famille, la question
des couples homosexuels peut relever des domaines communautaires classiques tel ‘cmploi, h libre
circulation ou la fonction publique europ~enne.
” Le Parlement europ~en a demand6 qu’il soit possible aux couples de meme sexe de
nosexuels et des lesbiennes dans la ConununautJ europenne, A3.0028194, [1994] J.O. C. 61140 au
para. 14 [ci-apr.s Rdrolution sur l’galiteg.
4′ Les Pays-Bas avaient reconnu le partenariat homosexuel depuis 1997 (Loi du 5 juillet 1997, cn-
tre en vigueur le 1janvier 1998) mais ils ont trbs rtcemment dlargi le mariage civil aux unions do
meme sexe: voir infra note 69 et le texte correspondant.
‘ En dehors de l’Union europienne et des pays scandinaves citds, le seul
tat membre du Conseil
de l’Europe L reconnaitre le concubinage entre personnes du meme sexe est la Hongrie. En effet, Ia
Cour constitutionnelle ouvrait le concubinage aux unions homosexuelles le S mars 1995 un an plus
tard, le 21 mai 1996, le Parlement hongrois votait une loi dans ce meme sens.
MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE MCGILL
[Vol. 46
ridiquement les unions de m~me sexe”. Viendront ensuite la Norv~g&’ en 1993 (hors
UE), la Suede” en 1994, l’Islande (hors UE) en 1996′ 7, puis la Belgique” en 1998. Les
r6gions espagnoles de Catalogne, Aragon et Navarre ont respectivement 16gif6r6 en
1998 et 1999″9. La meme annie, ]a France deviendra le premier pays de tradition ca-
tholique A consacrer le partenariat ainsi que le concubinage pour les gays et les les-
biennes . Le Bundestag a adopt6 le 10 novembre 2000 une loi sur le partenariat enre-
gistr6. Le Bundesrat, chambre haute du parlement allemand, vient d’approuver, le I”
d~cembre 2000, le deuxi~me volet de la loi qui permettra aux couples de meme sexe
d’officialiser leur union A partir de 1’6t6 prochain1 . Le Portugal repr6sente enfin le
demier pays europ~en h reconnaitre le concubinage entre personnes du meme sexe.
En effet, une loi du 15 mai 2001 vient de modifier la loi 135/99 du 28 aoflt 1999 <(re-
lative aux unions de fait et
l'6conomie communeo en 6largissant ses dispositifs aux
couples de fait de plus de deux ans, ind~pendamment du sexe des partenaires.
44Voir Registreret partnerskab, Loi n0 372 du 7 juin 1989, entrde en vigueur le 1" octobre 1989 et
modifi~e le 2juin 1999 (avenant n 360) [ci-aprbs Loi sur lepartenariat enregistri (Danemark)].
" Lov om registrertpartnerskap, Loi n* 40 du 30 avril 1993, entree en vigueur le 1" aoflt 1993 [ci-
aprbs Loi sur le partenariat enregistrd (Norv~ge)].
"Lag om registrerat partnerskap, S.FS. 1994:1117 (23 juin 1994), entree en vigueur le 1" janvier
1995 [ci-aprs Loi sur le partenariat enregistr6 (Sumde)].
" Lov om registreretpartnerskap, Loi n' 87 du 12 juin 1996, entree en vigueur le 27 juin 1996 [ci-
aprbs Loi sur le partenariat enregistri (Islande)].
4' Loi instaurant la cohabitation ligale, Loi du 23 novembre 1998, entree en vigueur le 1" janvier
2000, M.B., 12janvier 1997.
41 Voir Llei d'unions estables de parella, D.O.C.G, 1998, 2687 ; Ley relativa a Parejas estables no
casadas, B.O.A., 1999, 39 ; Leyforal para la igualdadjurfdica de las parejas estables, Loi n 6/2000
du 3 juillet 2000, en ligne: Comunidad foral de Navarra
Loi n0 99-944 du 15 novembre 1999 relative au Pacte civil de solidarite, J.O., 16 novembre 1999,
16959 [ci-aprs le Pacte civil de solidarit*6 ou le PaCS].
” Pour des raisons de stratdgie politique, le texte a 6t6 scind6 en deux volets, d’une part un texte de
principe qui ne requiert pas le vote du Bundesrat (chambre haute) et, d’autre part, 1’ensemble des dis-
positions fiscales et sociales. Le projet a dfl faire face A une forte opposition des partis chrtiens
(CDU/CSU) qui, majoritaires au Bundesrat, ont partiellement vid
le projet de son contenu. Ainsi,
l’ensemble des dispositifs concernant l’alignement du droit fiscal sur celui des couples mari6s en cc
qui concerne l’imp6t sur le revenu a 6t6 rejet6. De meme, la chambre haute a refus6 le registre civil
comme lieu d’inscription obligatoire, laissant aux autoritds rgionales (chargdes de c6l brer les ma-
riages) le choix d’opter pour un autre endroit d’enregistrement. La loi crie un contrat r~serv6 aux
couples de mame sexe, qui donne des droits similaires A ceux du mariage A l’exception de In filiation,
la fiscalit6 et l’enregistrement. Soutenue par le Pard social-d~mocrate et le Parti vert, le contrat de vie
commune se d~marque du maiage protug6 par l’art. 6 de la Constitution (Gnindgesetz) qui 6tablit:
2001]
D. BORRILLO – HItRARCHIE DES SEXUALITS ?
887
A. Le moddle scandinave
C’est autour de l’expdrience scandinave, et en suivant son exemple, que s’est arti-
cul6 le d6bat europden. Bien que les pays de l’Europe m&liane et m6ridionale, sous
l’influence de la R6volution frangaise, aient manifest6 une plus grande tolerance juri-
dique i l’6gard de l’homosexualit6, c’est dans l’Europe du nord que le mouvement
gay a pris une dimension v6itablement politique7. Les revendications militantes des
homosexuels se sont davantage d6veloppes dans les pays oi la Idgislation criminali-
salt les actes sexuels entre hommes- . Cependant, seuls les pays scandinaves ont r6ussi
ii mettre en place et a mener t bien une vritable politique d’int6gration, voire parfois
de normalisation, des gays et des lesbiennes?. Suivant cette logique assimilationniste,
il est surprenant de constater que les pays scandinaves aient &artd a priori la voie du
droit commun (le mariage) au profit d’un syst~me d’exception (le partenariat enregis-
tr6), r6serv6 aux unions homosexuelles. Cette situation paradoxale trouverait un dEbut
d’explication dans les rapports politiques 6troits qu’entretiennent ces pays avec
l’tglise luthrienne. En effet, dans un contexte juridique oti le pouvoir religietix con-
serve encore un r~le considerable a l’intrieur de l’organisation matrimoniale, aussi
bien du point de vue administratif que symbolique,
il semble coherent que ]a creation
d’une forme de conjugalit6 spdcifique aux homosexuels apparaisse comme un com-
promis politique acceptable. En revanche, le cas frangais paralt moins comprehensible
car, tout en se d6gageant des contraintes religieuses et se revendiquant comme le pre-
mier pays modeme it fonder son ordre juridique sur une morale la’que, la France a
sciemment esquiv6 la question du droit au mariage pour les homosexuels ” .
Les pays engagEs dans le d6bat sur la reconnaissance des unions de meme sexe
ont 6t6 directement influencs par l’entreprise juridique et politique de l’Europe du
‘ Voir F Tamagne, Histoire de l’lomosexualit6 en Eumpe Berlin, Londres, Pads, 1919-1939, Paris,
Seuil, 2000.
Alors que la d~p~nalisation de l’homosexualit6 aura lieu en France en 1791, il faudra attendre les
ann6es 1930 pour qu’elle disparaisse du Code pnal danois, 1967 en Angleterre et 1969 en Allemagnz.
‘ Le taux de sdparation des couples homosexuels (10% entre hommes) est infdriaur a celui des
unions ht&rosexuelles (14%): M. Jones, Lessons from Gay Marriages> Psydcology Today 30″3
(May-June 1997) 22.
Voir Dittgen, supra note 4.
Ceci malgr6 la demande unanime des principales associations de dtfense des droits des gays et
des lesbiennes et des associations de lutte contre le sida. Voir le manifesto Pour l’dgalit6 sexualle) Le
Monde (26 juin 1999) 17, sign6, entre autres, par Aides, Act-Up, Sida info-service, SOS Homopho-
bie, le Centre gai et lesbiean, etc. Par ailleurs, je demeure en France le saul juriste universitaire a avoir
demand6 publiquement 1’6largissement du mariage et de la filiation pour les unions do mame sexa. E.
Fassin a t6 ‘un des premiers intellectuels frangais .t revendiquer publiquement le mariage homo-
sexuel; voir son article <
Monde Diplomatique nd 531 (6juin 1998) 22.
MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROITDE MCGILL
[Vol. 46
Nord. Entre le mariage et le concubinage, la formule du partenariat enregistrg 11 la
scandinave va jouir pendant dix ans d’un v6ritable monopole juridique au sein de la
d6lib6ration europ6enne . Si le module nordique semble perdre de son h6g6monie,
surtout depuis l’ouverture n6erlandaise vers le mariage civil pour les gays et les les-
biennes8, il demeure n6anmnoins la c6 herm6neutique permettant de comprendre
l’6volution europ6enne.
La structure, le contenu et la strat6gie politique v6hicul6s par la loi danoise furent
repris par l’ensemble des pays scandinaves. Les dispositions sur le partenariat enre-
gistr6 en Norvge5>, en Suede et en Islande, ainsi que le projet de loi finlandais’0
s’adressent exclusivement aux couples de meme sexe ayant atteint la majorit6 civile. 11
s’agit de textes courts qui renvoient aux dispositions g6n6rales relatives au maiage, ii
1’exception des r~gles relatives A la filiation. Les techniques d’assistance m6dicale
la
procr6ation ainsi que l’adoption conjointe par les couples de meme sexe ont 6t6, dans
un premier temps, formellement interdites, mais la situation commence h 6voluer. Une
r6cente modification de la loi danoise en 1999 a permis au partenaire homosexuel
l’adoption de l’enfant de son compagnon, a condition que cet enfant ne soit pas issu
d’une adoption dans un pays 6tranger.
L’Islande fut le premier pays
reconnaitre des droits aux families homoparentales
en octroyant au partenaire d’un parent homosexuel la garde conjointe de l’enfantC. En
-” Voir C. Forder et S. Lombardo, dir., Civil Law Aspects of Emerging Forms of Registered Partner-
ships, Amsterdam, Minist~re de la Justice des Pays-Bas, 1999.
53Voir infra note 69 et le texte correspondant.
M. Roth, The Norwegian Act on Registered Partnership for Homosexual Couples > (1996-97) 35
U. Louisville J. Fam. L. 467.
‘0 Hors de l’Union europ6enne, je me consacrerai exclusivement A l’analyse de la loi norvdgienne.
Les exemples de l’Islande ou de la Fimlande me serviront n6anmoins pour des illustrations ponctuel-
les.
6 Les dispositions de l’ordre juridique danois concemant un mariage ou concemant les conjoints
doivent 6tre appliqu6es par analogie au partenariat enregistrd et aux partenaires enregistrds> : Loi sur
le partenariat enregistri (Danemark), supra note 44, art. 3(2) ; <
sur le partenariat enregistr6 (Su~de), supra note 46, c. 3, art. 1(1) ; oLa reconnaissance de ]a cohabi-
tation a les memes effets juridiques que la conclusion du mariage, sous reserve de l’article 6. Les dis-
positions 1Igales sur le mariage et les conjoints s’appliquent par analogie A ]a cohabitation reconnue et
aux personnes dont la cohabitation a 6t6 reconnue> : Loi sur le partenariat enregistrd (Islande), supra
note 47, art. 5 [nos traductions].
62En vertu du Bornelov (Loi concemant les enfants), Loin0 20 du 22 mai 1992, art. 29(6), lorsqu’un
partenaire de meme sexe vit en concubinage (ou en partenariat enregistr6 depuis 1996), il peut,
comme c’est le cas pour le mariage, b6n6ficier des prerogatives propres au beau-parent.
2001]
D. BORRILLO – HIERARCHIE DES SEXUALS ?
889
cas de d6cs du partenaire parent, le partenaire survivant peut dgalement continuer ai
exercer les droits de garde ou de visite. En cas de d6saccord avec
‘autre parent survi-
vant, c’est au juge de r6gler le contentieux dans l’int&rat sup6ieur de ‘enfant. Ces r&
gles n’instaurent donc pas de vWitables droits de filiation pour les conjoints homo-
sexuels, mais am6nagent simplement l’administration domestique de la vie des en-
fants. Par consdquent, les Pays-Bas demeurent le seul Itat “a avoir institud des liens fi-
liaux en ouvrant 1’adoption conjointe, ‘accbs aux procrdations m6dicalement assist6es
ainsi que le droit A l’autorit6 parentale conjointe aux couples homosexuels.
Afin de b6n6ficier des pr&ogatives propres au partenariat enregistr6, il est ncessaire
qu’au moins un des partenaires jouisse de la nationait6 du pays d’enregistrement et y
soit r6sident permanent. Le Danemark autorise galement l’inscription des citoyens nor-
v6giens, su&iois et islandais, ainsi que celle des partenaires 6trangers ayant rsid6 16-
galement sur le territoire danois pendant au moins deux ans. Les enregistrements ef-
fectu6s dans ‘un des pays mentionn6s b6n6ficient automatiquement de ]a reconnais-
sance dans ces autres pays. Les droits personnels, y compris ceux relatifs ai la natio-
nalit6, ainsi que les droits patrimoniaux sont r6gis par les memes rfgles que le ma-
riage. Les partenaires enregistr6s peuvent opter pour le nom du conjoint, et bdn6fi-
cient 6galement de 1’ensemble des dispositifs sociaux existant pour les personnes ma-
ri6es, ainsi que de la pension de veuvage. Le partenariat est formellement enregistrd
aupres des m~mes administrations de 1’6tat civil et les regles qui gouvement la rupture
sont identiques a celles du mariage dans les pays respectifs.
La Su&le est le seul ttat scandinave :k reconnaltre, par la vole 16gale, outre le
partenariat enregistr6, le concubinage entre personnes du meme sexe. En effet, depuis
le 1 janvier 1988, la loi sudoise!> octroie des droits sociaux et patrimoniaux limitds
aux couples vivant ensemble depuis au moins cinq anse. k la diffdrence des couples
h6t6rosexuels, les unions de meme sexe ne peuvent pas acc6der a r’adoption, aux
techniques d’assistance m6dicale 4 la procrdation, ou .i l’autorit6 parentale conjointe – .
Bien que les Pays-Bas aient reconnu avant la Suede la qualit6 de concubins pour les
partenaires homosexuels stables, cette reconnaissance ne provenait pas de ]a loi mais
d’une cr6ationjurisprudentielle.
Lag om sambors gemenswmna lzen (sambolagen), S.F.S. 1987:232 (14 mai 1987).
VoirM. Fawcett,
consulter 6galement le site du Mdiiateur contre les discriminations fondes sur l’orientation sexuelle,
en ligne:
Voir
La. Civil Lznv aspects of Emerging Forms of Non-Marital Cohabitation and Registered Partnerships,
La Haye, Acad6mie de droit international, 1999.
MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE MCGILL
[Vol. 46
B. Le cas n6erlandais
A l’heure actuelle, les Pays-Bas demeurent le seul ttat h avoir instaur6 l’6galit6
pour les unions de m~me sexe. Depuis les ann~es 1970, le concubinage homosexuel
est reconnu dans les memes conditions et produit les m~me effets que ceux existant
entre personnes de sexe oppos6. Un d6lai de cinq ans de vie commune est exig6 afin
de b6n6ficier des droits successoraux, et trois ans doivent s’6couler pour que le parte-
naire 6tranger non-communautaire puisse demander la nationalit6 n’erlandaise. La
preuve de six mois de vie commune permet cependant d’obtenir un permis de s6jour 1 .
Une vingtaine d’ann6es plus tard, les Pays-Bas ont 6galement institu6 le partena-
riat enregistr6 pour 1’ensemble des couples non maris du meme sexe ou de sexe op-
pos6, devenant ainsi le premier pays A 6tablir un syst~me formel de reconnaissance
des unions hors mariage pour les couples h6tdrosexuels. A la diff6rence des lois scan-
dinaves, la loi n6erlandaise ne renvoie pas aux dispositions relatives au mariage, mais
ajoute un titre nouveau au Code civil et modifie 6galement certaines autres disposi-
tions juridiques’. Les conditions et les effets du partenariat enregistr6 sont identiques
ii celles du mariage. Comme pour celui-ci, l’acte doit
tre enregistr dans le registre
civil. Les partenaires b6n6ficient des memes droits et sont redevables des memes obli-
gations que les conjoints unis par le mariage. Le partenariat enregistr6 ne modifie pas
les r~gles relatives A la filiation, A une exception pr s, soit la possibilit6 pour les parte-
naires de demander au juge la garde conjointe de l’enfant de l’un d’eux. On peut met-
tre fin au partenariat enregistr6 dans les m~mes conditions que pour un mariage, c’est-
a-dire par commun accord et de mani~re extrajudiciaire. Les effets de la rupture
s’6tablissent 6galement par accord commun, inscrit dans le registre civil. Si les parte-
naires ne parviennent pas h s’entendre, la justice intervient sur demande de l’une ou
l’autre des parties.
En plus du concubinage et du partenariat enregistr6, les Pays-Bas prdvoient per-
mettre aux couples de m~me sexe d’acc6der au mariage>. La question fut pos6e pour
la premiere fois en 1990, lorsque la Cour supreme dut se prononcer sur la constitu-
tionnalit6 du refus du mariage h un couple homosexuel. Invoquant comme argument
Voir P Vlaardingerbroek,
(1995) 29 Faro. L.Q. 635.
67 Voir RUkswet op het Nederlanderschap (Loi sur la citoyennet6 n6erlandaise), Loi du 19 d6cembre
1984, entr e en vigueur le ljanvier 1985.
Voir Y Scherf, Registered Partnership in the Netherlands. A Quick Scan, Amsterdam, Van Dijk,
Van Someren en Partners, 1999.
6 Le 19 d cembre 2000, les Pays-Bas devinrent le premier l~tat au monde A reconnaltre le droit au
manage pour les couples de m~me sexe. Sign~es par la reine Batrix, les lois 26672 relative au ma-
riage et 26673 concemant l’adoption entreront en vigueur en avril 2001 ; les deux textes sont publids
A 2001 Stb. no 9 et 10 (11 janvier 2001).
2001]
D. BORRILLO – HI/1ARCHIE DES SEXUALITES ?
principal limpossibilit6 d’6tablir la presomption de paternitd pour des raisons biolo-
giques 6videntes, la Cour avait conclu qu’il n’y avait pas de manquement au principe
d’6galitPi. Suite k une suggestion gouvernementale et afin de sortir de Primpasse cr&e
par la jurisprudence, la chambre des d~put~s a approuv6 en avril 1996 une rdsolution
proposant la mise en place d’une commission parlementaire chargde d’examiner
l’attribution du droit au mariage pour les unions de meme sexe. En octobre 1997, le
rapport Opening Civil Marriage to Same-Sew Couples proposa r’largissement aux
couples de meme sexe non seulement du droit A l’union matrimoniale mais 6galement
.la filiation”.
C. La timide solution beige
Si le droit nerlandais reprsente le stade le plus avanc6 en matire de reconnais-
sance de l’union homosexueUe, le 16gislateur beige, en revanche, a optd pour une so-
lution minimaliste . En effet, elle permet 4 deux personnes vivant ensemble, ou tout
au moins ayant dtclar6 un domicile commun, de b~ndficier de ]a qualitd de cohabi-
tants, h laquelle sont attaches un certain nombre de droits civils et sociaux. La Loi
instaurant la cohabitation ldgale, entrde en vigueur le 1′ janvier 2000, vise 4 garantir
aux partenaires non-mari6s une stcurit6 mat6rielle modique. A la diffdrence des lois
scandinaves, la loi belge ne renvoie nullement aux effets juridiques du mariage. La vo-
lont6 de d6marquer celui-ci de la cohabitation apparalt clairement par 1emplacement
des dispositifs l6gaux. Ceux-ci ne se trouvent pas dans le livre I du Code civil concer-
nant
voir C. Meary et E Leroy-Forgeot, Le PACS, 2! 6d., Paris, Presses universitaires de France, 2000 ; A.
Aoun, Le PACS. Ibs droits en cent questions rnponses, Paris, Dalloz, 2000; F Leroy-Forgcot, Les
enfants du PACS. Rdalitis de l’homoparentalite, Paris, L’Atelier de l’Archer, 1999 ; S. Thouret, vLe
PACS : techniques de r&laction et esquisse de contrat Les Petites Affidies if 50 (10 mars 2000) 4.
Concemant les aspects politiques, se rapporter ak D. Borrillo, E. Fassin et M. Lacub, dir., At-defi) du
PaCS. L’expertisefaniliale & l’dpreuve de l’iontosexualitd, Paris, Presses universitaires de France,
1999 ; C. Fourest et E Venner, Les Anti-PaCS ou la dernire croisade hoinophobe, Paris, ProChoix,
1999; C. Terras et M. Dufourt, dir., Le PACS en question, Paris, Golias, 1999. Voir aussi les dossiers
suivants:
1998); <
enjeux politiques de la vie privie> Mouveinents nd 8 (2000) ;
n Le Pacte civil de solidarit, supra note 50, a &6 compldtd par cinq drets d’application: Dkcret
n 99-1089 du 21 dcembre 1999, 10., 24 d~cembre 1999, 19216 ; Dscret n* 99-1090 dii 21 decem-
bre 1999, J.0., 24 d6cembre 1999, 19217 ; Dgcret n 99-1091 du 21 dcemnbre 1999, J.O., 24 d&cem-
bre 1999, 19219 ; Dicretn’2000-97 du 3fdvrier2000, J.O., 5 fdvrier 2000, 1888; Decret n 2000-9 8
du 3fdvrier 2000, 1.0., 5 f6vrier 2000, 1889, ainsi que par la Circulaire d’application de la 1oi et des
dcrets relatifs au Pacte civil de solidaritg du 11 octobre 2000, Paris, Ministbre de la Justice, Dmc. a’
0012 JUS C 00 200 66C [non publie].
‘ Concemant les bien meubles meublants, les partenaires peuvent ddroger du principo de
Findivision dans la convention accompagnant le PaCS; pour les autres biens, la loi pr~sume
l’indivision par moiti6, sauf si l’acte d’acquisition ou de souscription en dispose autrement.
894
MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE MCGILL
[Vol. 46
pas droit
la pension de r6version, h la pension de veuvage ou ,a l’indemnisation <
ni 1’adoption, ni l’acc s aux techniques de procr6ation m6dicalement assist6e.
L’autorit6 parentale conjointe ainsi que le droit de visite ne sont pas pr6vus par le texte
franqais.
Le PaCS ne r6sout pas la question du regroupement familial et ne permet pas non
plus au partenaire 6tranger d’acc6der A la nationalit6 frangaise. La d6livrance d’une
carte de s6jour est soumise h un d6lai de vie commune de trois ans sur le sol frangais
pour le partenaire 6tranger non ressortissant de l’Union europ6enne” . Le PaCS no
modifiant pas l’6tat civil des personnes, les pacs6s sont toujours consid6r6s comme
c6libataires, avec les effets juridiques que ceci entraine. Le r6gime ne confbre pas non
plus de droits extrapatrimoniaux tels que la repr6sentation du partenaire en justice ou
Sl’h6pital. L’abattement fiscal pour les conjoints est de 500 000 francs, alors que pour
le pacs6s, il est de 375 000 francs. Enfin, alors que les conjoints peuvent effectuer des
donations imm6diatement apr6s la c6l6bration du mariage, le PaCS soumet l’exercice
do ce droit A deux ans de vie commune ‘.
Toute modification du pacte devra faire l’objet d’une d6claration conjointe auprbs
du Tribunal d’instance. En cas de cessation, les partenaires proc6deront eux-memes il
la liquidation des droits et obligations ; A d6faut d’accord, le juge statuera sur les con-
s6quences patrimoniales de la rupture.
E. Les lois r~gionales espagnoles
Actuellement, et malgr6 un long d6bat sur la question , seules trois r6gions do
l’Espagne ont l6gif6r6 t l’6gard des couples homosexuels”‘. La l6gislation la plus ac-
” France, Ministre de l’Intrieur, Circulaire du 10 decembre 1999 relative o l’application de
‘article 12 bis 7’ de l’ordonnance n* 45-2658 du 2 novembre 1945 modifie aux partenaires d’un
pacte civil de solidaritd (PACS), en ligne : Minist&e de l’Interieur
s” Pour une analyse plus approfondie des lacunes du PaCS, voir Rapport de l’observatoire dt PaCS,
en ligne : Observatoire du PaCS
Plusieurs propositions de loi furent d6pos~es et d6battues au sein du parlement national espagnol;
voir notamment Proposici6n de ley por la que se reconocen determinados efectos jurldicos a las
uniones de hecho, B.O.C.G., 1996, 61-1. Cette proposition fut refusde par 173 voix contro 162 et
deux abstentions. Voir aussi Proposicidn de ley de igualdad jurdica de las parejas de hecho,
B.O.C.G., 1997, 88-1 ; Proposicidn de ley de reconocimiento de efectos jurfdicos a las parejas de
hecho estables, B.O.C.G. 1997, 90-1, prdsent6e par le groupe parlementaire de Coalici6n Canaria;
Proposicidn de Ley Orgdnica de contrato de unidn civil, B.O.C.G., 1997, 117-1. Au vu do ]a compo-
sition politique du parlement espagnol, la seule proposition qui semble pouvoir 8tre adopt~e est cee
dernire qui, comme la loi beige, ne fait pas allusion au couple mais simplement ht deux personnes qui
s’entendent pour vivre ensemble et se prater une aide rdciproque.
2001]
D. BORRILLO – HIERARCHIE DES SEXUALTS ?
895
complie est celle de Navarre, qui reconnait non seulement l’union mais dgalement ]a
filiation adoptive pldni6re et conjointe”. Bien que cette loi soit en vigueur depuis le 3
juillet 2000, son application est compromise. Le Pard populaire (gouvernement natio-
nal) a presentti un recours d’inconstitutionnalit6 contre ]a loi. Les ddputds conserva-
teurs consid~rent que le mariage et la filiation sont des domaines de comp6tence ex-
clusive du pouvoir central et non des parlements r6gionaux7.
Le 15 juillet 1998, l’ensemble des partis de gauche d’un autre parlement rgional
ainsi que le puissant groupe nationaliste catalan, Convergencia y Union, ont approuvd
L la quasi unanimit6 (cent voix pour et douze contre) une loi sur les unions stables”.
Sur l’initiative des socialistes et avec le soutien des forces rgionales, Aragon devint
ainsi la deuxi~me r6gion du Royaume i adopter une loi sur les couples de fait dlargie
aux unions homosexuelles.
Alors que la loi aragonaise ne fait pas de distinction entre les couples, qu’ils
soient du m~me sexe ou de sexe diffcrent, la loi catalane, suivant dans cet aspect le
modhle scandinave, cr6e un statut sp~cifique pour les unions homosexuelles. Le 16-
gislateur d’Aragon n’a pas souhait6 6tablir un traitement diffdrenciM en signalant que
mais sans pour autant allerjusqu’au mariage.
De son c6t6, ‘expos6 des motifs de la loi catalanejustifie le traitement diffdrencid
qu’elle rserve aux homosexuels pr~cisdment par l’impossibilit6 d’acc~s au mariage
pour les couples de meme sexed et par leur incapacit6 d’engendrer biologiquementf.
Sur la situation g~nrale en Espagne, se rapporter i N. Pdrez-Canovas, Honoserualidad, homo-
sexuales y wiones homosexuales en deredzo espailol, Granada, Comares, 1996. Du m~Eme auteur,
voir 6galement
para el reconocimnientojurldico de las uniones homnose-tuales: propuestas de regulacidn en Epafia,
Madrid, Dykinson, 1999. Voir aussi E Jaurena, La ilei d’unions estables de parella a trards del Dret
Civil catalhi i Constitutional, Barcelone, Libres de l’Index, 2000.
‘ Leyforal, supra note 49, art. 6: <
La future rdsolution du Tribunal constitutionnel aura une incidence directe, non seulement sur la
loi de Navarre, mais sur ‘ensemble des legislations analogues.
Voir llei d’unions estables de parella, supra note 49.
Voir Ley relativa a Parejas estables no casadas, supra note 49.
VoirLlei d’unions estables de parella, supra note 49, pranibule: val marge del natrimoni, la so-
cietat catalana d’avui presenta altres formes d’uni6 convivancia de caraeter estable, les unes fornades
per parelles heterosexuals que, tot i que poden contreure matrimoni, s’abstenen de fer-ho, i les altres
MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE MCGILL
[Vol. 46
Par un double jeu du culturel et du naturel, la loi ent6rine la situation d’in6galit6 des
couples. En effet, le mariage, rappelle l’expos6 des motifs, est un droit constitutionnel
r6serv6 un homme et une femme, et l’impossibilit6 biologique de procrder prive les
couples de m~me sexe de tout droit A la filiation, y compris celle issue de l’adoption.
Apr~s avoir trait6, dans un premier chapitre, de l’union stable h6t6rosexuelle, la
loi envisage l’union homosexuelle dans le second. Les conditions d’acc6s sont 6ta-
blies par l’article 20, qui interdit l’union pour les mineurs, les personnes mari6es, cel-
les d6j
li6es en vertu de cette loi, les ascendants, descendants ou collat6raux en ligne
directe (jusqu’au deuxi~me degr6) ; au moins l’un des membres doit avoir son domi-
cile (vecindad civil) en Catalogne. Par convention notarize, les couples homosexuels
peuvent d6terminer librement les cons6quences des relations personnelles et patrimo-
niales propres A la vie commune. A d6faut de convention, les partenaires contribuent
aux d6penses communes en proportion de leurs biens et de leurs revenus. Chaque
membre du couple conserve la propri6t6, la jouissance et l’administration des biens
propres. A la diff6rence de la loi beige et de la loi frangaise, la loi catalane, comme ses
6quivalentes scandinaves, autorise la tutelle dans le cas o l’un des membres du cou-
ple serait d6clar6 incapable. La loi instaure 6galement une obligation alimentaire entre
les partenaires. Concemant les fonctionnaires, des b6n6fices de cong6s sp6cifiques et
des r6ductions des journ6es de travail, en cas notamment d’incapacit6 du partenaire,
sont pr6vus par la loi.
Les r~gles propres au logement commun sont contenues dans l’article 28 et, en
cas de rupture de l’union par commun accord, par volont6 unilat6rale notifie t l’autre
partie, par d6c~s ou par s6paration de fait de plus d’un an, un d6lai de six mois est
obligatoire avant de formaliser une autre union stable. Face aux injustices 6conomi-
ques survenues apr s la rupture, la loi 6tablit des r~gles obligatoires de solidarit6 ainsi
que, le cas 6ch6ant, une pension alimentaire pour la partie la plus faible. A la suite de
la disparition de l’un des partenaires, la loi pr6voit une succession des biens meubles
meublants en faveur du survivant, le transfert du bail d’habitation, ainsi que le droit au
maintien dans le logement pendant un an dans la residence commune. A la diff6rence
du PaCS, le survivant jouit 6galement des droits successoraux ab intestat en concur-
integrades per persones del mateix sexe, que constitucionalment tenen barnat el pas a aquesta intitu-
ci6>>.
‘9 Ibid : <
2001]
D. BORRILLO – HIAfRARCHIE DES SEXUAItS ?
rence avec les autres h6itiers. Des dispositions relatives au testament sont dgalement
pr6vues par la loi.
La loi d’Aragon produit ses effets pour rensemble des couples, soit immidiate-
ment apr~s la signature de ‘acte notad6, soit aprbs deux ann~es ininterrompues de vie
commune, dont la preuve est rapport~e par tous moyens ‘. Les partenaires sont oblig6s
de contribuer aux d6penses de la vie commune en proportion de leurs revenus et ils
sont 6galement solidaires des dettes du m6nage. Sauf pacte contraire, chacun des
membres conserve la propdt6 de ses biens. En cas de declaration judiciaire
‘autre le repr6sente et peut devenir
d’absence de run des membres du couple,
radministrateur de ses biens. De meme, et toujours par decision du juge, le partenaire
‘obligation ali-
peut avoir la qualit6 de tuteur. Les membres du couple sont soumis a
mentaire dans les mames conditions que celles 6tablies par les articles 142 4 153 du
Code civil espagnol relatifs au mariage. En ce qui conceme les droits successoraux, la
loi d’Aragon renvoie aux rigles applicables au manage. Le dicbs de l’un des partenai-
res, la d6claration unilatdrale, la s6paration de fait pendant au moins un an ainsi que le
manage sont des causes d’extinction du pacte. Dans ce dernier cas, la loi introduit une
nouveaut6 par rapport aux r6gimes existants. En effet, lorsque les partenaires dfcident
de contracter manage, les conventions c6l6br6es dans le cadre de la loi subsistent en
tant que conventions matrimoniales rgies par les articles 1325 a 1335 du Code civil.
Certaines consdquences de la rupture sont 6galement pr6vues; ainsi, en cas de d6s-
6quilibre patrimonial, la partie la plus faible peut demander une compensation lors-
‘amdlioration de biens communs ou de biens
qu’elle a particip6 h racquisition ou h
propres de ‘autre partie, ou lorsqu’elle s’est consacr~e i 1’entretien de la maison, a
1’6ducation des enfants communs ou propres a ‘un des membres, ou quand elle a tra-
vail6 pour l’autre partie.
Enfin, si la loi ouvre la possibilit6 de ‘adoption conjointe pour les partenaires,
celle-ci est possible t condition qu’ils soient de sexe oppos6. Malgr.- rdvolution rd-
gionale, la situation nationale semble plus compromise car le gouvemement conser-
vateur ne fait pas de cette question une priorit6 politique.
Ill. L’ordre europ6en des conjugalitfs
la lecture des dispositions l6gales europ~ennes relatives aux diffdrentes formes
d’union, compte tenu de la quantit6 de droits et de leur teneur, nous pouvons 6tablir
La loi catalane n’octroie pas de droits successoraux aux unions hUtro-xuellcs. Cepandant cel-
les-ci ne se trouvent pas en situation d’lngalit car eUes peuvent toujours acc&!er au statut matrimo-
niaL
9 D’apres rart. 1215 C.C. (Espagne), peuvent etre des moyens de preuve les &rits, la confession.
rinspection personnelle dujuge, rintervention des experts, le t6moignage et les prdsomptions.
898
MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE MCGILL
[Vol. 46
un syst~me de conjugalit6s allant du mariage h la cohabitation (amicale ou familiale
sans connotation sexuelle), en passant par les diff&ents degr6s de concubinage. Ainsi,
la jouissance de droits, plus ou moins parfaits, est directement li6e, d’une part, i la
qualit6 de couple>> dont l’union peut se pr6valoir et, d’autre part, Ai la nature h~t6ro-
sexuelle de cette union. Plus la cohabitation de deux personnes participe aux caractd-
ristiques de la vie de couple, plus elle bdn6ficie d’une reconnaissance juridique en tant
que telle. Plus la vie de couple a un caract~re h6t6rosexuel, monogamique et stable,
plus elle profite de droits 6tendus . En repr6sentant ce syst~me sous une forme pyra-
midale, nous trouverions A sa base les diff6rentes lois qui gouvement les cohabitations
non-affectives d6pourvues d’un caract~re sexuel, au-dessus, les dispositions qui r6-
gulent les cohabitations concubinaires informees93, plus haut encore les lois relatives
au concubinage reconnu comme tel et formalis6 par un acte juridique enregistr6 et en-
fin, au sommet de la pyramide, rayonnerait le couple institu6 par le mariage. La co-
existence dans les pays europ6ens de plusieurs de ces r6gimes montre bien que cha-
cun r6pond A une situation diff6rente m6ritant un traitement politique distinct et une
r6gulation juridique sp6cifique’.
La loi norv6gienne de 1991 illustre parfaitement la base de cette pyramide”. Elle
accorde une protection juridique limit6e h deux ou plusieurs personnes vivant ensem-
ble sous le m~me toit pendant au moins deux ans. Par exemple, un groupe d’6tudiants
d6cidant de partager un appartement pendant leurs ann6es d’6tudes, peuvent b6n6fi-
cier des dispositions de la loi. Ses effets sont limit6s A l’organisation mat6rielle de la
vie quotidienne, concemant notamment l’utilisation des meubles communs et la fa-
cult6 de se substituer dans les droits d’habitation en cas de rupture ou de mort de l’un
des cohabitants.
Voir K. Waaldijk, La libre circulation des partenaires de m~me sexe en Europe>> dans Homo-
sexualiis et droit, supra note 16,205.
93 Avant la promulgation de lois reconnaissant une forme d’union 61argie aux couples homosexuels,
diverses dispositions prot6geaient indirectement le concubin de meme sexe. Par exemple, en France,
le partenaire pouvait depuis 1993 b~n6ficier de la s~curit6 sociale s’il prouvait qu’il se trouvait A la
charge totale et permanente de l’assurd. Ce n’6tait pas cependant en vertu de la qualit6 de
n’est plus d’actualit6, elle d~crit n6anmoins assez bien la difficult6 du droit at accorder
des pr6rogatives aux concubins”. Et, meme si l’union libre constitue certainement la
copie imparfaite du mariage, pendant longtemps celle-ci a 6t6 cat6goriquement refu-
s6e aux compagnons de meme sexe. Ainsi, la Cour de cassation frangaise a-t-elle re-
jet6 i trois reprises toute possibilit6, non seulement de reconnaissance, mais aussi do
constatation de l’union homosexuelle’04 . Selon la juridiction supreme, le concubinage
une vie commune prsentant un caract&e de stabilit6 et de continuit6, entre deux personnes, do sexe
diff6rent ou de m~me sexe, qui vivent en couple>.
” Le droit romain 6tablissait que seuls les citoyens romains pouvaient contracter iustum matritno-
nium ; les esclaves avaient n6anmoins la possibilit6 de vivre en concubinage.
‘ Cite, entre autres, par De Schutter et Weyembergh, supra note 72 A lap. 93.
La jurisprudence a di faire preuve d’imagination pour accorder aux concubins hdt6rosexucls des
droits. La th6orie de l’apparence, la notion de soci6t6 de fait ou encore le rgime des obligations natu-
relles ont servi debase t la construction jurisprudentielle.
,’ Le Tribunal d’instance de Paris 4′, dans un jugement du 5 aoflt 1993, avait consid~r6 que le trans-
fert du bail 6tait possible car (
publif]. Mais l’apprciation du juge va plus loin puisqu’il estime que <<'6volution de mccurs a d6sor-
mais donn6 au terme concubinage le sens de cohabitation de couple, et n'y attache plus, comme aupa-
ravant, la n6cessit6 d'une diff&ence de sexe entre les partenaires . L'autre partie ddcida de faire appel
de cette d6cision et, contrairement A la preniure instance, ]a Cour d'appel de Paris a consid&6 que la
loi du 6 juillet 1989 qui autorise
2001]
D. BORRILLO- HIRARCHIE DES sExuAurTS ?
6tant calqu6 sur le mariage, celui-ci ne pouvait s’appliquer exclusivement qu’aux
couples h6t6rosexuels”. Cette obstination de la Cour de cassation a conduit a
l’ouverture du d6bat frangais sur la question, d6bat grace auquel non seulement ]a qua-
lit6 informelle de concubin fut reconnue aux unions gays, mais aussi celle de couple
formel li6 par un PaCS.
Toujours au niveau du concubinage informel, trente ans avant ]a France, les tribu-
naux n6erlandais avaient d6j constat6 le lien homosexuel en lui attachant des effets
juridiques. Or, malgr6 la constatation de la qualit6 de concubins pour les membres
d’un couple homosexuel, le l6gislateur n6erlandais, pour ne prendre que cet exemple,
a estim6 n6cessaire de cr6er un cadre juridique de reconnaissance formelle des unions
en question. Ceci explique pourquoi, d6sormais, le rgime du concubinage coexiste
pacifiquement avec celui du partenariat enregistr6.
Uensemble des pays faisant ‘objet de mon analyse, y compris ceux qui ont re-
connu certaines formes de cohabitation concubinaire, ne se sont pas contentd
‘amnagement
d’attendre ‘6volution de lajurisprudence ou de r6gler ponctuellement
de certains droits patrimonaux et sociaux. uIs ont dgalement cru opportun de mettre
en place un cadre juridique global permettant la reconnaissance formelle d’un type de
concubinage 6galement 6largi aux homosexuels. Or, aucune de ces dispositions n’a
jamais 6t6 congue conme susceptible de concurrencer le mariage ou comme se subs-
tituant au concubinage'”, ce qui a pour cons&luence la cr6ation d’un niveau interm6-
diaire.
C’est ainsi que le Conseil constitutionnel frangais, lors du contr~le de constitu-
tionnalit6 du PaCS, a clairement 6tabli que celui-ci ne portait pas atteinte au mariage
r6publicain car en instituant une “nouvelle communaut6 de vie”, les dispositions re-
latives au pacte civil de solidarit6 ne mettent en cause aucune des rfgles relatives au
par cons&luent l’expulsion fut ordonn~e : Paris, 22 mars 1995, J.C.P. 1995.[V.1421. Uaffaire arrive en
cassation qui finit par confirmer l’interprtation de la Cour d’appal en rappelant qua
PaCS et le concubinage en signalant que
contrairement aux personnes vivant en concubinage, les partenaires d’un tel
pacte sont assujettis A certaines obligations ; qu’ils se doivent, en particulier,
“une aide mutuelle et matrielle” ; que cette diffdrence de situation justifie, au
regard de l’objet de la loi, la diff6rence de traitement critiqu~e entre personnes
vivant en concubinage et personnes liMes par un pacte civil de solidait6 ,.
L’existence de ce niveau interm6diaire ressort 6galement des divers textes relatifs
au partenariat enregistr6 ainsi que du PaCS. ils r~servent en effet aux partenaires un
traitement plus favorable que celui octroy6 par le concubinage, tout au moins en cc
qui conceme 1’alliance”. Dans certains pays, comme la Belgique ou les rdgions espa-
gnoles 6tudiOes, les nouvelles lois ont elles aussi introduit une hi~rarchie hi l’int~rieur
du concubinage. Lorsque celui-ci est constitu6 par un acte formel, les partenaires b6-
n~ficient automatiquement d’un certain nombre de droits refus6s aux concubins in-
formels. La loi frangaise semble A ce sujet bien plus prudente car, tout en d6finissant
le concubinage, elle entend le prot~ger ind6pendamment du PaCS.
Contemplant notre pyramide, nous sommes h meme de constater que les indivi-
dus se trouvant A la base jouissent essentiellement de droits patrimoniaux”‘ . Ceux qui
’07 Conseil constitutionnel, 9 novembre 1999, Loi relative all Pacte civil de solidarte, Rec.
1999.116, J.O., 16 novembre 1999, 16962,99-419 DC [renvois au J.0.].
‘ Ibid. a lap. 16965.
’09 Et exclusivement l’alliance, car les couples h6t&osexuels, meme s’ils ne sont pas mari6s, conti-
nuent Ajouir du monopole des droits de la filiation.
“‘ Une solution propos e par l’ancien gouvemement de droite en France, sans mention de la nature
h~trosexuelle ou homosexuelle de la relation, fut articul~e par le professeur J. Hauser. En conformit6
avec 1’esprit conservateur qui animait la demande, le Pacte d’intr~t commun (PIC) dvacuait totale-
ment la dimension affective en plagant la question sur la dimension purement patrimoniale. L’nuteur
proposait de situer le PIC dans le Code civil entre le titre consacr h ]a soci6t6 et celui de l’indivision ;
le PIC s’adressait ainsi aux couples et aux non-couples et avait pour vocation de r6gler les aspects
6conomiques de la vie de deux personnes en leur octroyant de plus quelques droits sociaux et fiscaux
limit6s. Le projet r&luisait ainsi les relations amoureuses des hommes entre eux ou des femmes entre
elles aux simples aspects patrimoniaux, et son auteur de signaler que le droit :
rcompense ceux dont ‘ramour suppos6 ou la communaut6 de vie prsentent un int&rt
social […] Si l’int&rft social classique de l’ordre politique, de la procreation, de
l’&lucation des enfants justifie que les communaut6s de vie qui y reposent jouissent
d’une reconnaissance g~nrale, automatique et complete de la part du droit, pour les
autres, dont l’int& t public 6tait jug6 nul ant&ieurement, ils nous semble que la r6-
ponse doit 8tre d6sormais diff~rente.
La conclusion du professeur Hauser est claire : <
2001]
D. BORRILLO – HIERARCHIE DES SEXUAUTS ?
903
choisissent la vie de couple peuvent de surcroit b~n6ficier de droits personnels plus ou
moins parfaits selon le type d’union (partenariat, uniones estables, PaCS). En levant
davantage le regard, flanqu6 au sommet, on trouve les droits famillaux r~serv~s au
seul couple h6t~rosexuel mar”‘.
S’il est important de proposer un choix clair aux partenaires parmi les diff&entes
formes d’union, ce syst~me ne pourra atre consid&r comme effectivement pluriel que
le jour oi l’ensemble des couples, ind6pendamment du sexe des partenaires, pourra
choisir librement entre tous les r6gimes disponibles (concubinage, partenariat, ma-
riage). Or, l’impossible acces au mariage pour une cat6gorie de couples interdit de
parler de multiplicit ou de diversit6 des unions, en ce sens que ]a pluraliut
implique
necessairement l’6galit6 ; autrement i n’est possible de parler que de hirarchie.
IV. La supr6matie du mariage h6t~rosexuel
La coexistence pacifique des diffdrents r6gimes et les divers degnls de reconnais-
sance qui en d~coulent montrent bien que, loin de constituer une multiplicit6 inno-
cente, align6e de fagon horizontale, l’ensemble des dispositifs instituant la qualitd de
couple pour les unions de meme sexe s’ordonne ai l’int~rieur d’un syst~me hi6rarchi-
que au sommet duquel rayonne le mariage.
L’expos6 des motifs de la loi norv6gienne sur le partenariat enregistr6 est, a cet
6gard, tr~s parlant :
La loi n’octroie pas aux partenariats homosexuels le misme statut qu’au ma-
riage. Le mariage demeure l’unitd sociale fondamentale et le cadre naturel pour
elever les enfants. Le statut du mariage est unique et aucune mention n’est faite
concemant le mariage des homosmxuels. La loi emploie les expressions tregis-
tre>> on
riage hitnrosexuel et a son statut id~ologique et religieux […] Le mariage est
une institution sociale fondamentale, il est une relation entre un homme et une
femme. La monogamie durable est l’id&-d auquel aspirent ]a plupart des indivi-
dus. Le divorce, ainsi que la g~niralisation du concubinage, ont certes rt’duit
l’importance du mariage en tant qu’institution familiale dominante [..]. Une
“‘Ou, tout an moins, au couple parental htrosexueL Uune des expertes du gouvemement fmngais
s’6tait prononce dans ces termes: E Dekeuwer-D~fossez,
certains droits et, surtout, d’Etre reconnu comme ((couple parentab>.
904
MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROITDE MCGILL
[Vol. 46
relation homosexuelle ne pourra jamais atre ]a meme chose qu’un mariage, ni
socialement ni religieusement. 11 [le partenariat enregistr6] ne remplace ni ne
concurrence le manage h6t6rosexuel [notre traduction]”‘.
Dans le m~me sens, le pr6ambule de la loi catalane 6tablit que souls les couples de
sexe oppos6 ont droit au mariage et que c’est bien
d’autres formes d’union stables existent et doivent exister. L’expression <
les unions autres que le mariage doivent demeurer loin du centre dessin6 par celui-ci,
leur qualit6 6tant accessoire et secondaire. Si, concernant l’h6t6rosexualit6, cette na-
ture marginale ne renvoie A aucune signification (en ce sens que les couples de sexe
diff&ent peuvent choisir leur marginalit6), en revanche, pour ses homologues homo-
sexuels, cette qualit6 op~re une 6vocation
]a nature mome de
l’homosexualit6, consid6r6e ainsi n6cessairement comme marginale.
institute de
En France, tout au long du d6bat sur le PaCS, l’ordre conjugal permettait d’dtablir
les limites des revendications possibles. La droite et la gauche furent d’accord pour
consid6rer que le mariage devait 6tre pr6serv6 en 1’6tat, c’est- -dire par essence h~t6-
rosexuel'”. La supr6matie matrimoniale ainsi que sa n6cessit6 symbolique ont fait lar-
Loi sur lepartenariat enregistrd (Norv~ge), supra note 45, pr~anbule.
11 VoirLlei d’unions estables deparella, supra note 49.
“4 Ibid
,.5 F Dekeuwer-D6ffosez est non seulement contre le droit au mariage pour les couples de mime
sexe, mais aussi contre le concubinage. Avant le vote de la loi sur le PaCS, ]a juriste affirmait, dans
lap. 297:
Ces demandes 6manent, par hypoth~se, surtout de personnes qui ne peuvent pas se ma-
rier, au premier rang desquels les couples homosexuels. Le choix du module utils6
pour cr6er le cadre propice A la satisfaction de leurs revendications est infiniment dli-
cat. Les projets d6jA pr~sent6s sont tellement model6s sur le mariage […] qu’ils se sont
attir6s des critiques justifi~es : si l’on englobe le couple homosexuel dans une notion
g6n6rique de concubinage calqu6e sur le mariage, on lui reconnalt implicitement la
qualit6juridique de couple>> ou de famile>>, et l’on ouvre ]a voie 4t des revendications
relatives aux PMA et A l’adoption.
Convoqu~e en tant qu’experte dans les questions familiales, I. Thry affirmait: <[1]a raison pour
laquelle le couple homosexuel n'a pas acc~s au mariage est que celui-ci est l'institution qui inscrit Ia
diffdrence des sexes dans l'ordre symbolique, en liant couple et filiation> : oLe contrat d’union sociale
en question> Esprit n 236 (octobre 1997) 159 ; cet article a dt6 publi6 en meme temps comme Note
de la Fondation Saint-Simon. Le mot CUS a 6t6 l’une des d6nominations ant6ieures donndes au
PaCS. Les juristes de droite invoquait directement ou indirectement le droit canonique ; ainsi, B. Bei-
gnier consid~re que <[1]e canon 1096 du Code [canonique] de 1983 le dit bien mieux que le Code ci-
vil : "le manage est une communaut6 permanente entre l'homme et la femme, ordonne 4 Ia procrea-
tion des enfants par quelque coop6ration sexuelle"
:
la R6publique lui-meme est intervenu dans le d6bat en signalant: ([i]l ne faut pas prendre le risque do
2001]
D. BoRRILLO – HI-RARCHIE DES SEXUALITS ?
gement consensus dans le monde politique. Les points de d~saccord se trouvaient,
non pas dans le PaCS lui-meme, mais plutt dans les derives que cette loi pouvait en-
traner. Lorsque la droite accusait la gauche de vouloir ouvrir le mariage aux couples
de meme sexe, cette demitre rassurait ses opposants en mettant
‘accent sur la diffd-
rence entre le mariage et le PaCS. <.Le PaCS est un contrab>, expliquait la ministre de
lajustice t lisabeth Guigou:
11 apporte une r~ponse pragmatique et 6quilibrce, qui ne bouleverse pas l’ordre
juridique et social […]. Le Pacs n’est ni un mariage bis ni un quasi mariage, car
rien ne vaudra le statut du conjoint pour ceux qui recherchent le maximum do
sdcurit6 juridique et de stabilitM […]. Le Pacs est radicalement diffdrent du ma-
riage parce qu’il n’est pas question, ni aujourd’hui ni demain, que deux pr-
sonnes physiques quel que soit leur saxe puissent se marier”6.
Et la ministre de nous rappeler: cde mariage, c’est l’union entre un homme et une
femme; c’est l’institution qui articule la difference de sexes>. La defense du mariage
hMt~rosexuel devient son cheval de bataille :
Comme je l’ai tr-s clairement affir6 a diverses reprises, i ne saurait atre
question de dcalquer le mariage, car co serait lui porter atteinte […] et
l’institution que reprlsente le mariage –
i nous faut 6videmment le pr&server
car il est le fondement meme de notre socidt6 […]. Tels sont les traits caractd-
ristiques du pacte civil de solidarit6 qui, comme vous le constatez, diverge pro-
fondoment du mariage et n’interf’re en aucune mani~re avec le droit de la fa-
mille”‘.
>, afftrme le rapport parlementaire a l’origine de ]a loi. oRien ne vaudra le
statut de conjoints pour ceux qui recherchent un maximum de scurit6 juridique> “.
D’apr~s les d6fenseurs de la loi, cette absence de concurrence avec le marinage est
d’abord et surtout le produit d’une difference de nature. Au rapporteur de nous expli-
quer que le mariage est un engagement institu6, liant le couple h la filiation par la pr6-
“6 Cit6 par S. Huet,
“, Intervention de Mine Guigou, Ministre de la Justice, A la sdance du 17 mars 1999 au Sdnat, en li-
gne: Sdnat
‘ Rapport dirig6 par le d6put6 J.-P Michel pour l’Assemblde Nationale, Rapport no 1097 (23 sep-
tembre 1998) t la p. 9, en ligne: Assembl~e nationale
906
MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE MCGILL
[Vol, 46
somption de patemit6″‘. Durant le d6bat, le gouvemement et le groupe socialiste se
sont efforc6s de d6montrer que le PaCS ne mettait nullement en danger l’institution
du mariage, laquelle conserve et doit conserver sa qualit6 et son utilit6 sociale : [l]e
PACS ne modifie pas le droit de la famille […. I constitue avant tout un encourage-
ment A la stabilit6 des couples en ce qu’il implique un engagement absent de l’union
libre, sans pour autant se substituer au mariage> “. Le PACS et le mariage ne doivent
pas &re confondus>>, a r6p6t6 avec insistance la seule d6putde de droite favorable h la
10121.
loi, .
Mais la rhdtorique n’a pas sembI6 suffire. Face aux soupgons de la droite, le gou-
vemement s’est adonn6
une v6ritable entreprise de d6matrimonialisation>> du
PaCS. I fallait modifier ou faire disparaitre tous les 616ments le rapprochant de
l’institution matrimoniale: la mairie fut remplac6e par le tribunal d’instance comme
lieu d’enregistrement du contrat ; la r6f&rence A l’autorit6 parentale partag6e, pr6sente
dans les premieres propositions, fut retir6e ; des d61ais sp~cifiques inexistants pour le
mariage ont 6t6 introduits dans le PaCS ; l’absence des droits extrapatrimoniaux ainsi
que la diff6rence de la somme d’abattement fiscale sont 6galement des ph6nombnes
extr~mement significatifs. Qui plus est,
trois jours du d6bat parlementaire, le groupe
socialiste vota un amendement, sans lendemain, en faveur de 1’extension du PaCS aux
fr~res et seurs”. Une fois que le PaCS se sera ddtach6 du complexe matrimonial,
lorsqu’il se tiendra clairement A distance du mariage, il cessera d’etre un concurrent
pour devenir son meilleur complice car il ne fera que le renforcero>'”.
Pour mieux illustrer mon propos, prenons encore l’exemple d’un autre pays de
l’Union. Ainsi, l’expos6 de motifs de la proposition de loi pr6sent6e par le groupe so-
cialiste espagnol le 10 avril 1997 (et refus6 peu de temps apr~s) montrait bien que,
119 Le d~put6 J.-P. Michel emprunte la formule A 1. I.Thy, une experte du gouvemement, qui avait
propos6 dans un rapport officiel la reconnaissance des concubins homosexuels tout en leur refusant la
qualit6 de conjoints. Le d6put6 se r6dfre A ce rapport de ]a fagon suivante : <<[a]bordant les rnformes h
apporter au droit, elle [I. Thiy] considre qu'il importe de "respecter aussi bien ]a nature propre du
mariage (engagement institu6, liant le couple A la filiation par ]a prdsomption de patemit6) quo celle
du concubinage (pacte priv6 d'un couple, n'impliquant en tant que tel aucun lien A la filiation)" Votre
rapporteur se reconnait pleinement dans cette approche>> : ibid.
‘ibid. a ]ap. 38.
‘1 Mme R. Bachelot-Narquin d6fendait 6galement l’id o que le PaCS devait etre ouvert <4aux frres
et sceurs et aux membres d'une meme famille afin de satisfaire aux situations du troisieme type do
public>: Avis n* 1102, Assemble Nationale, rapp. . Bloche (1 octobre 1998) A la p. 37, en ligne:
Assembl6e nationale
122 Cette ide fit finalement rapidement abandonn~e.
” Un des principaux opposants du droit au mariage pour les homosexuels, J. Hauser, s’est ainsi
manifest6 dans un reportage: <
1998) 14.
2001]
D. BORRILLO – HItRARCHIE DES SEXUALIts ?
pour les socialistes, le lieu de la discrimination n’est pas celui du mariage mais celui
du concubinage :
Partant de la thse qu’il ne peut pas avoir identit6 d’effets entre mariage et
union libre, car il s’agit des institutions diff6rentes qui oblissent at des options
et des projets personnels divers, il est necessaire de respecter cette diffrence
aussi bien sur le plan social que juridique. I1 est dvident que l’enracinement
croissant de l’union libre […] xige l’adoption d’une s&ie de mesures rendant
effective cette protection en 6liminant les discriminations dont peuvent faire
objet lesdites unions ainsi que ses membres [notre traduction]f.
Voici comment, en d~plagant la discrimination du mariage vers le concubinage, celle-
ci estjustifiee.
Le tr s conservateur Parti populaire espagnol, bien qu’extr~mement proche de
l’]glise catholique, ne s’est jamais oppos6 bt une certaine reconnaissance des unions
homosexuelles, allant jusqu’a d6poser une proposition de loi. Trs proche de la loi
belge, la proposition de la droite espagnole tente de rsoudre la question par
1’intermdiaire de la th~orie des contrats, sans modifier en rien les dispositions du
droit matrimonial ou du droit de la famille. L’idologie hi6rarchique de la proposition
s’est cependant irahie trs rapidement. En effet, dans son article I, la proposition de loi
6tablit:
projets, propositions et lois europ~ennes. Elle montre bien ]a puissance accord6e at
l’institution matrimoniale. En effet, elle ne se trouve affect~e en rien lorsqu’on la con-
fronte au partenariat homosexuel, en revanche, celui-ci cesse d’exister automatique-
ment face au mariage.
Depuis longtemps, les pays scandinaves se sont retrouv6s avec le mEme type de
problhmes et ont dfi 6galement faire face aux limites imposdes par l’ordre des conju-
galit.s. En 1968, le Parti socialiste populaire du Danemark avait dj4i proposd une
modification de la loi relative au mariage en introduisant un statut Idgal pour les cou-
ples homosexuels. L’organisation danoise pour les droits des gays et des lesbiennes
(LBL) avait tr~s rapidement plac6 le d6bat au sein d’une politique globale d’6galit6, en
revendiquant, dans un premier temps, soit l’ouverture du mariage pour les couples
homosexuels, soit son abolition pour tout le monde!:”. Cette revendication at double vi-
sage permettait de r6pondre aux critiques des opposants au mariage gay provenant
aussi bien des secteurs conservateurs que des groupes libertaires.
‘2’ Proposiciln de ley por la que se reconocen detenninados efectes jurdicas a las parejas de
hecho, B.O.C.G., 1997, 87-1.
SProposic~n de Ley Orgdnica de contrato de tuidn civil, supra note 82.
‘=Voir Merin, supra note 94.
908
MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE MCGILL
[Vol. 46
L’tglise luthdrienne 6tait vivement oppos~e A cette revendication, en se montrant
toutefois tr~s sensible aux discriminations dont les couples de m6me sexe 6taient en-
core les victimes. L’61aboration du partenariat enregistr6 est le r6sultat d’un compro-
mis politique du gouvemement avec l’tglise et l’opposition conservatrice. Et, bien
que la loi renvoie aux effets du mariage pour l’administration de la vie du couple
(sans pour autant toucher i l’institution matrimoniale et t la famille), elle propose une
forme juridique spdcifique bien distincte de celui-ci. L’glise va meme jusqu’h b6nir
officiellement les unions de meme sexe, sous condition que cette c6r~monie ne soit
nullement confondue avec la cons6cration religieuse dont doivent b6n6ficier les con-
joints.
L’tglise norv6gienne s’est aussi fermement oppos6e t la cr6ation d’un statut for-
mel pour les couples de meme sexe, non tant par volont6 de laisser ces unions en de-
hors du droit, mais plut6t par crainte que ce nouveau statut ne vienne fragiliser
l’institution du mariage. Plusieurs 6vques considraient qu’il fallait prot6ger les ho-
mosexuels mais, selon eux, il suffisait de renforcer le concubinage sans aller jusqu’il
crier une loi sp~cifique. Le minist~re norv6gien de l’Enfant et des Affaires familiales
a bien mis raccent sur le fait que la nouvelle loi ne modiflait en rien la pr66minence
du mariage ni ne d6rogeait t son importance historique. Ainsi, la distance du mariage
a constitu6 le gage symbolique et la base du compromis politique permettant la sanc-
tion de la nouvelle loi’27.
L’attitude des autorit~s religieuses montre bien la logique sous-jacente a la politi-
que eccldsiastique vis-h-vis des gays et des lesbiennes’28 . C’est bien de charit6 chr6-
tienne dont il est question”. Le cas des Pays-Bas est h cet 6gard tr~s significatif. En
effet, si la dialectique de l’6galit6 a fini par s’imposer, c’est principalement parce que,
pour la premiere fois en dix-huit ans, le gouvemement n6erlandais gouverne sans les
d6mocrates chrtiens et seulement 5% des si6ges parlementaires appartiennent A des
partis chr6tiens'”. La laYcit6 n’est cependant pas un gage de neutralit6 6thique de
l’l tat.
Voir P. Lodrup,
of Family Law 1994, The Hague, Martinus Nijhoff, 1996, 387.
12S Voir G. Nilsson, <
129 La Communion anglicane A sa conf&ence de Lambeth, rdunissant huit cent 6veques du monde
entier, a condamn6 A une crasante majorit6 la bn&liction des couples homosexuels, en rappelant quo
les pratiques homosexuelles sont <
Communion anglicane condamne la bn~liction des couples homosexuels>> Le Monde (8 noOt 1998) 3.
.. Voir L. Hosek, Special Report on Same-Sex Marriage>> Honolulu Star Bulletin (22 janvier
1997) 16-18, en ligne:
2001]
D. BoRRILLO – HIRARCHIE DES SEXUALItES ?
909
Que les gardiens de l’ordre conjugal soient les Aglises ou que cette tiche revienne
aux pouvoirs publics, ceci ne modifie en rien ]a symbolique v~hiculCe. Si nous pre-
nons l’exemple de la France, ce ne furent pas tellement les secteurs religieux qui ont
ceuvr6 le plus efficacement en faveur du regime conjugal 6tabli ; bien que fortement
mobiliss’1 , ils ne r6ussirent pas t structurer une vdritable opposition au PaCS en tant
que tel. Le texte fat d6nonc6 d’abord et surtout parce qu’il repr6sentait une premiere
6tape vers la pleine reconnaissance sociale de l’homosexualit6, vers l’quivalence de
celle-ci avec l’h6trosexualit6, enfin vers la disparition de l’ordre sexuel garanti par le
mariage’ -2 . Et, face aux arguments rassurants du gouvemement et de ]a majorit par-
lementaire, les secteurs conservateurs soupqonnaient les autorit s d’agir d’une faqon
masqu~e sans avouer ouvertement leurs vdritables intentions. Ils consid6raient qu’il
s’agissait tout simplement d’hypocrisie et que ]a d6fense du mariage, et le privilege
h&tdrosexuel qu’il comporte, ne r~pondait pas A une conviction profonde de ]a gauche
mais
l’opportunisme politique. Et pourtant les socialistes n’ont pas cess6 de donner
des preuves incontestables de leur defense de l’ordre conjugal, ordre qu’ils ne pr~ten-
daient nullement importuner”‘. En effet, le gouvemement a systdmatiquement refus6
de devenir le moteur du projet, et a clairement diffdrenci6 les questions soulevdes par
le PaCS de celles relevant du droit de la famille’ s. II s’est bien assur- que les trois rap-
‘”‘ Le 31 janvier 1999, les opposants au PaCS organisent une marche a Paris. Sous la d6nomination
<
tions familiales catholiques, des reprcsentants des tglises protestantes et des autoritds juives et mu-
sulmanes.
“3 Le 16 septembre 1998, le Conseil permanent de l’tpiscopat de ]a confIrence des dv&Cques de
France adopta une rsolution tr;s hostile au PaCS. Tout en se manifestant sensible aux probl~mes ren-
contres par les couples homosexuels, l’tglise juge le PaCS comme cun mariage bis>, comme une
sorte de contre-modle; c’estjustement pour cola qu’il est si fortement attaqud : Conf&ence des dv-
ques de France, <
contrats d’union
’33L. Joffrin, ditorialiste de Libfration (qui a 6t6 le journal le plus proche du gouvemement lots des
debats sur le PaCS) 6crivait :
C’est 4 des fins purement pol~miques que les adversaires du Pacte Civil de Solidaritd
l’ont assimil6 A un mariage homosexuel. Pour m~riter cette qualit6, it lui manque deux
choses: il n’est pas un mariage, et il est loin de concemner les seuls homosexuels […]
Une partie des associations homosexuelles estiment, en corollaire, qu’on est restd trop
timides, qu’il faut progresser vers un statut de la famille monosaxe. Vaste d~bat, plus
complexe qu’il n’y parait. Mais surtout debat que le Pacs, contrat materiel plus que mo-
ral, ne pretend pas trancher (
mariage”6 . <<[C]e sont les fondements m~me de la famille qui risquent d'etre boulever-
s6s. Le mariage lui-m~me n'est-il pas 6branl6 ? Entre cette institution [...] et un con-
trat qui peut 8tre rompu unilat&alement [...] la concurrence n'est-elle pas d6loyale U
se demandait l'6ditorial d'un num6ro sp6cial consacr6 au PaCS dans la plus renom-
m6e des publications en droit de la famille'. C'est pour les memes raisons politiques
qu'un an auparavant, pros de vingt mille maires de France se sont mobilis6s en faveur
du <
1998, les maires signataires s’opposent de fagon cat6gorique It ce que la loi accorde
aux couples homosexuels les droits r6serv6s jusqu’h present I la famille’ 8.
V. Ordre conjugal et hi6rarchie des sexualit6s
L’ordre conjugal, qui 6rige le mariage au sommet de la hi6rarchie juridique des
couples, implique l’existence d’une logique qui, tout en lui 6tant parall~le, fonctionne
en meme temps comme sa justification politique. L’ensemble des arguments oppos6s
h la pleine reconnaissance des unions de meme sexe se fonde sur une ide commune
qui consiste I diff6rencier les sexualit~s (homo et h~t~ro) et It en tirer des cons6quen-
ces politiques. La distinction entre union des sexes opposes et couple de meme sexe
renvoie 6galement aux pratiques sexuelles propres t chacune de ces unions. De meme
qu’il est impossible de d6signer le couple non-mari6 sans faire r6f6rence au maiage,
‘ 10 J. Hauser, Le Pacte d’intdrt commun, Paris, Minist&e de ]a Justice, 1998, en ligne: France
Queer Resources Directory
f~rence a deux personnes sans pour autant les consid~rer comme un couple) ; 2 1. Thry, Couple, fi.
liation et parent aujourd’hui. Le droit face aux mutations de la famille et de la vie privee, Paris,
Odile Jacob et La documentation frangaise, 1998 [ci-apr~s Couple, filiation et parente aujourd’hud]
(dans ce rapport, l’auteur explique les raisons pour lesquels il est impossible, sauf A porter un danger h
la civilisation, d’ouvrir le mariage aux unions de m~me sexe) ; 30 Rinover le droit de lafainille, ibid.
(ce rapport s’inscrit dans la continuit6 de celui de I. Thry : il renforce le couple parental et refuse aux
unions homosexuelles de fonder une famille reconnue comme telle par le droit).
“6 Voir D. Borrillo, < 'homophobie dans le discours des juristes>> dans L.-G. Tin et G. Pastre, dir.,
Honosexualitis: expression/ripression, Paris, Stock, 2000, 156.
‘7 Voir le hors-sdrie
… Voir M. Pinton, <,Le mariage r~publicain>>, en ligne : France catholique
2001]
D. BORRILLO – HItRARCHIE DES SEXUALItES ?
on ne peut se r6f~rer 4 l’ordre conjugal sans prendre en compte le phnom~ne capital
auquel il renvoie : la sexualit6.
Si l’institution du mariage doit etre r~servde aux seuls couples de sexe oppos6,
c’est parce qu’ils sont suppos6s entretenir un certain type de rapports sexuels. Ainsi,
parall~lement i l’ordre conjugal, se dessine un ordre des sexualitWs qui, par le biais du
mariage, place l’h6tdrosexualit6 au rang de module, de canon en fonction duquel tou-
tes les sexualit6s doivent s’interpr6ter. Lorsque l’ordre des conjugalitds place le ma-
riage 4 la tate de sa hidrarchie, il ne fait qu’dnoncer la supr~matie du coit hdtdro-
sexuel’ – . Au cours du d6bat relatif au PaCS, le pratre psychanalyste Tony Anatrella
avait pos6 directement et ouvertement des questions fort significatives: 4[qlu’est-ce
done que l’homosexualit6 pour lui accorder une place de plus en plus importante dans
les repr6sentations sociales ? La socidt6 doit-elle la 16gitimer, lui offrir un cadre juri-
dique pour l’organiser, la financer par les imp6ts, en faire une norme)> ? Et de se rd-
pondre: <[1]'inqui6tude qu'inspire l'homosexualit6, au-dela du respect des individus,
est un sain r6flexe de survie quand elle apparait comme la n6gation du sens de rautre,
de 'amour objectal et de la filiation. Inscrire dans la loi le droit 4 la confusion des
sexes est une folie dont les gdndrations futures auront 4 assumer les constquences > .
A la meme 6poque, un autre psychanalyste d6nonce d’6conomie globale du PAC,
qui, d’apr~s lui, <&n'a d'autre but que d'avaliser 1'&luivalence quasi absolue des cou-
ples homosexuels et des couples h6t~rosexuels>‘”. En effet, si la loi ddrange, ce n’est
pas tant pour ce qu’elle est mais plut6t pour ce qu’elle pourrait devenir, a savoir
l’an6antissement de la diffrence homo/h6tdro.
Or, le privilege h6trosexuel est loin d’etre aboli. L’ordre conjugal n’est nullement
remis en question par les diffdrentes lois sur le partenariat que nous venons
d’analyser. Loin d’en finir avec l’in6galit6, elles ne font que l’ent6riner. Respectueux
de l’ordre symbolique hdtdrosexiste, r’ensemble des dispositifs relatifs aux couples
gays instituent sans complexe l’infdriord sociale de l’homosexualitd. Et, bien que ces
lois permettent de r6gler des situations devenues particulirement dramatiques a
l’6poque du sida!”, elles n’impliquent pas un progr~s moral. De meme que ]a doctrine
.. La supriorit6 morale et physique des rapport h~trosexuels vaginaux a &t dfendue par J. Finis
dars son ce1bre article
que. Actes du colloque du 11 mars 2000, Pads, LUgue de Droits de rHomme, 2000,21.
912
MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROITDE MCGILL
[Vol. 46
du separate but equal de la Cour supreme des ttats-Unis”‘ permit de conceder aux
Noirs le b6n6fice de certains droits, il n’en reste pas moins qu’elle fut ]a base du s6-
gr6gationnisme. Les arguments avanc6s aujourd’hui contre le mariage homosexuel
v6hiculent les memes peurs et les m~mes pr6jug6s que ceux utilis6s aux Etats-Unis
pour interdire le mariage inter-racial'”.
Qui plus est, la morale sociale qui soutient aujourd’hui l’ordre juridique ne sem-
ble pas prte A 61argir le droit au mariage pour 1’ensemble des citoyens. Cette d6mar-
che impliquerait en effet de reconnaitre l’homosexualit6 comme toute aussi valable et
l6gitime que l’h6t6rosexualit6. Le standard du raisonnable en Europe (h 1’exception
des Pays-Bas) semble bien &re la tol6rance de l’homosexualit6 en tant que manifesta-
tion de la vie priv6e et l’acceptation sociale des unions homosexuelles cantonn6es 11
un statut p6riph6rique, mis en sc~ne juridiquement sous les habits du opartenariat en-
registri, de la cohabitation 16gale>> ou du pacte civil de solidarit&Y>.
Malgr6 la diversit6 des r6gimes juridiques europ6ens relatifs aux unions de meme
sexe, l’ensemble est caract6ris6 par un trait commun fond6 sur une m~me base mo-
rale: la tol6rance. Si les d6mocraties europ6ennes ont pu effectivement d6passer le
stade de la p6nalisation, elles n’arrivent cependant pas A abandonner ]a dialectique de
“‘ Rappelons que cette dialectique naquit A l’occasion du contr6le de ]a loi de l’ltat de Louisiane
qui obligeait la compagnie locale de trains A pourvoir des places osdpar~es mais 6gales pour les
Blancs et les Noirs. La Cour d~cida qu’une telle loi ne violait pas la Constitution des ttats-Unis, en cc
sens que l’existence des lois s6grgationnistes, ([did] not necessarily imply the inferiority of either
race to the other . La Cour expliqua que le standard du raisonnable est d~termin6 (with reference to
the etablished usages, customs, and traditions of the people>> : Plessy c. Ferguson, 163 U.S. 537
(1896) aux pp. 544,550.
‘” Afin de justifier l’application d’une loi interdisant le manage entre personnes de race diffdrente,
le Circuit Court du comt6 de Caroline (Vuginie) consid6rait en 1966 que Almighty God created the
races white, black, yellow, malay and red, and he placed them on separate continents. And but for the
interference with his arrangement, there would be no cause for such marriages. The fact that he sepa-
rated the races shows that he did not intend for the races to mix>> (cit6 par la Cour supreme des ltats-
Unis dans son jugement en appel : Loving c. Virginia, 388 U.S. 1, 87 S. Ct. 1817 (1967)). En 1967, la
Cour supreme f&16rale trouva cette loi contraire A ]a Constitution am~ricaine : Loving c. Virginia, ibid.
Vimgt-six ans plus tard, la Cour supreme de l’ttat de HawaY consid6re, dans l’affaire Baelir c. Lewin,
74 Haw. 530, 852 P.2d 44 (1993), que le refus du droit de se marier pour un couple d’hommes cons-
titue une discrimination contraire A la Constitution. Aux arguments consistant A dire qu’il n’existe pas
de discrimination parce que le mariage entre personnes de meme sexe ne s’applique pour aucun
homme ni aucune femme, la Cour de HawaY rdpond que ces memes arguments avaient
t6 refus6s par
Ia Cour suprme lorsqu’ils avaient 6t6 invoqu~s pour ]a question raciale. En effet, jusqu’ cette dtci-
sion, aucun Noir ne pouvait 6pouser une Blanche ni une Noire un Blanc. Une situation semblable
existait en France jusqu’A l’abrogation des rglements coloniaux en 1833 : voir J. Carbonnier, Droit
civil: lafamille, t. 2, 16′ &., Paris, Presses universitaires de France, 1993 A la p. 60. Jusqu’% rcem-
ment, le r6gime d’apartheid de l’Afrique du Sud interdisait non seulement le manage mais aussi les
relations sexuelles entre Blancs et M6tis, Noirs ou indig~nes.
2001]
D. BORRILLO – HI-RARCHIE DES SEXUALIIS ?
913
la tol6rance et h articuler une v6ritable politique d’dgalit6. Un sentiment d’indulgence
semble ainsi s’installer sans opposition dans l’ensemble des syst~mes lgaux. On
n’approuve pas l’homosexualit6, on ‘admet tout simplement, et parfois meme 4 con-
trecceur. Dans cette logique, afin de nous rappeler cette hidrarchie des sexualitds, le
mariage demeure et doit demeurer en 1’dtat, c’est-t-dire n~cessairement hdt~ro-
sexuel’ 5.
Le pluralisme moral qui fonde la soci6t6 d~mocratique implique l’absence
d’interference dans les choix individuels 5 . En refusant le droit au marage 4 certains
individus en raison de leur homosexualit6, 1ttat manque a son obligation 6thique
principale. En effet, la neutralit6 du r6gime ddmocratique signifie qu’il n’a pas a en-
courager une sexualit6 au d6triment des autres”. Le maintien du privilfge hMtdro-
sexuel est non seulement contraire h la morale lib~ral&” mais, de plus, elle constitue
une ing6rence ililgitime 4 l’dgard de la double libert6 individuelle de choisir l’dtat de
personne marine (par opposition h celui de cdlibataire, concubin, partenaire enregistrd
ou pacs6) et de choisir le conjoint avec qui se marier.
VI. Libert6 matrimoniale et 6galitW des sexualit6s
Comme
le signale Jean-Claude Bologne,
La critique conservatrice et celle postmodeme s’accordent pour donner au maxiage une place capitale
et une extraordinaire capacit6 i modifier les comportements humains. La premibre soutient qu’en ou-
‘institution se d6naturalise et les fondements nme de la
vrant le mariage aux couples de meme sexe,
soci6t6 risquent de se trouver 6branls ; la seconde considre de son cat6 que l’ouverture du mariage
aux homosexuels finira par les domestiquer et les uniformiser au reste de la population. Ces appro-
ches relevant souvent plus du fantasme que d’une analyse stricte des arguments, je refuse de me con-
sacrer 5 une sorte de science-fiction en pronostiquant uan quelconque consdquence apocalyptique ou
massificatrice de l’61argissement du mariage aux homosexuels.
,’4 Voir notamment J. Rawls, Political Liberalism, New York, Columbia University Press, 1993 ; R.
Dworkin, Taking Rights Seriously, Cambridge QMass.), Harvard University Press, 1977; B.A. Ack-
erman, Social Justice in the Liberal State, New Haven (Conn.), Yale University Press, 1980.
” Nbir C. Feldblum, The Limitations of Liberal Neutrality Arguments in Favor of Same-Sex Mar-
riage>> dans Wintemute et Andenzs, supra note 31.
” La situation aux ttats-Unis peut faire 1objet de critiques plus sdvres. En effet, le droit fonda-
mental au mariage est refus6 aux unions homosexuelles ; praventivemenv>, le mariage a tE ddfini
comme exclusivement hMt~rosexuel par le Defense of Marriage Act, Pub. L No. 104-199, 3(a), 110
Stat. 2419 (1996).
914
MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE MCGILL
[Vol. 46
dentaleo>” 9. De 1’alliance tribale A la domination des femmes en passant par les nom-
breux arrangements interfamiliaux, le mariage contemporain se fonde exclusivement
dans la volont6 individuelle et la libert6 des conjoints. Si pendant tr~s longtemps il
demeura indisponible pour les individus (le mariage se contractait h vie), 1’ensemble
des pays europ~ens ont int6gr6 dans leur l6gislation le droit au divorce, faisant ainsi de
l’institution matrimoniale un contrat sui generis soumis A l’intention des 6poux. D6ta-
ch6 donc de sa nature statutaire, le mariage modeme est conqu aujourd’hui comme un
droit fondamental au service de l’individu’ . En ce sens, il est prot6g6 par la plupart
des constitutions europ6ennes ainsi que par la Convention europienne des droits de
l’homme5t .
Au fil des ans, la libert6 individuelle est devenue l’axe autour duquel se structure
l’&lifice matrimonial. Ni la caste (qui, en droit romain, organisait jadis l’acc~s aux
diff~rents degrs de conjugalit~s, allant du iustum matrimonium, r6serv6 aux citoyens
romains, au contubernium pour les esclaves), ni la religion (qui, en droit canonique
empechait notamment les Juifs et les Protestants d’acc6der au sacrement), ni encore la
politique raciale (qui, dans les syst~mes stgr~gationnistes, interdisait aux individus de
race diff~rente de s’unir) ne conditionnent plus 1’exercice de ce droit. Ce n’est pas non
plus une quelconque finalit6 re2roductive qui commande l’accs au mariage. Aussi
bien les couples sttriles que ceux qui choisissent volontairement l’usage de techni-
ques contraceptives ne voient leur libert6 matrimoniale affect6e d’aucune mani&e ‘”2 .
De surcroit, les nouvelles m6thodes procratrices permettent de dissocier totalement
sexualit6 et reproduction. C’est donc la volont6 individuelle –
engag6e dans un pro-
jet affectif –
et seulement elle qui fonde le mariage.
Comment se fait-il dis lors que, dans des soci6ts au sein desquelles l’autonomie
de 1’individu est mise de l’avant et mame c6l6brde, l’exercice d’un droit fondamental
soit encore si farouchement refus6 A des personnes en raison de leur orientation
sexuelle ? Autrement dit, pour quelles raisons et en vue de quelles fins notre droit
s’acharne-t-il encore A faire de la difference des sexes une conditio sine qua non ma-
trimonii ?
149 J.-C. Bologne, Histoire du maniage en Occident, Paris, Jean-Claude Latts, 1995, couverture ver-
so.
“o Voir A. Btnabent, ,La libert6 individuelle et le mariage>> (1973) 71 R.T.D. civ. 440.
“‘ Voir notanment Constitution espagnole, art. 32; Constitution italienne, art. 29; Loifondainen-
tale allemande, art. 6 ; Constitution frangaise, prambule ; Convention europ6enne des droits tie
l’homine, supra note 9, art. 12.
“‘ Si la relation matrimoniale 6tait 6valute en fonction de la procreation pluttt que de la relation in-
time entre deux personnes, si ]a filiation occupait une place aussi centrale dans la nature de l’acte ma-
trimonial, cette situation devrait se refltter aussi bien dans ]a th~orie des nullit6s que dans les causes
de divorce. Or, l’impossibilit6 de procrder ou l’absence de projet parental ne constituent pas un emp8-
chement h l’union ou un motif de rupture du lien.
2001]
D. BoRRILLo – HIRARCHIE DES SEXUALITES ?
915
Si le mariage a cess6 d’etre le moyen de l6gitimer l’activit essentiellement p6-
cheresse qu’6tait la sexualit6, laquelle, par le biais du sacrement chrdtien, se voyait
purg6e du mal qu’elle contenait; si la reproduction n’est ni une finalit6 ni une condi-
tion du maniage, ou encore, si l’institution matrimoniale ne fonde plus le couple ou la
famille; s’il n’instaure pas non plus la prtsomption de paternitd (devenue simple
moyen de preuve et non plus rgle de fond) et si meme la filiation unisexu6e peut do-
r6navant 8tre institu6e par le biais de 1’adoption pl~nire par un clibataire”‘, quelle est
donc encore la fonction politique du mariage, en tant que rgime r~servd a des indivi-
dus de sexe diff6rent ?
L’ensemble des arguments d6ployds, aussi bien par les tats que par les institu-
tions europ6ennes, contre l’61argissement du mariage aux unions homosexuelles nous
donne d6jh un premier aperqu de la rponse. Le mariage doit etre conqu et compris
comme une institution sociale v6hiculant une politique des sexualitis. D’une fagon
plus ou moins euph6mis~e, rev&ue du langage th6ologique ou prenant les habits de ]a
psychanalyse ou de l’anthropologie'”, cette politique consiste en l’encouragement de
l’ht6rosexualit6 en tant que module dont l’ttat doit se faire le promoteur. Ce n’est
pas autour de la p6nalisation de l’homosexualit6 qu’elle s’organise, mais en fonction
du contr6le d’acc6s aux ressources disponibles dans l’univers des conjugalit~s. Au-
trement dit, ce n’est plus la loi p~nale qui fonctionne comme instrument de mise 4
l’6cart des homosexuels, mais la loi civile. En rservant le mariage aux seuls couples
de sexe diffdrent, le droit civil institue la pratique h~t~rosexuelle comme la seule ca-
pable de constituer une r6f&ence sociale. Ainsi, en tant que coutume drotique suppo-
see r6actualiser la diffdrence des sexes, l’htrosexualit est prsent6e non seulement
comme naturelle, mais aussi comme culturellement n6cessaire, c’est-t-dire indispen-
sable h la survie de la civilisation ” -.
‘MArt. 343-1 C. civ.
1 Pour une critique de l’usage abusif de l’anthropologie, voir ‘article d’E. Fassin, oillusion an-
thropologique: homosexuali6 et fillation> Tmoin n* 12 (mai-juin 1998) 43.
“‘ Les deux rapports rendus au gouvemement franpais concemant une future rnforme du droit do la
fanille (Couple filiation et parent aujourd’hui, supra note 135 ; Rsnorer le droit de lafamille, supra
note 134) s’accordent sur la consid6ation que seuls les couples parentaux ct les conjoints peuvent
constituer une famille. Les unions homosexuelles sont formellement exclues car ls reconnaitre
comme 6tant une famille mettrait en danger les principes memes de ‘organisation s)nbolique do la
soci6t6 et la strcturation psychique de ‘individu. Dons le meme sens, C. Labrusse-Riou, dans tin on-
tretien pour Le Monde de l’dducation n 264 (novembre 1998) 43 aux pp. 43-44, affirme :
La structure du mariage en Occident remonte ii plus de 2000 ans. I1 n’est done pas plus
facile de rompre l’hiitage institutionnel que d’imaginer les cons&juences qui peuvent
en rdsulter dans les reprcsentations que nous en avons […] Mais le mariage qui, en
l’6tat, implique la diffdrence des sexes, n’est pas fait pour eux [les homosoxuels] car le
statut matrimonial est dgalement construit en fonction des enfants et pour eux. […]
916
MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE MCGILL
[Vol, 46
VII. Les fissures juridiques de la pyramide conjugale
Bien qu’en 1’6tat actuel le mafiage continue A fonctionner en tant que m~canique
justificatrice du droit d’exception, operant ainsi une discrimination directe h l’6gard
des gays et des lesbiennes, un certain nombre des d6cisions judiciaires et de r6solu-
tions politiques commencent A mettre en 6vidence les contradictions du syst~me et,
par 1M m~me,
l’6roder dans ses fondements. La d6mocratisation des rapports so-
ciaux, la lutte contre les exclusions et la mise en place d’actions antidiscriminatoires
constituant aujourd’hui les combats politiques majeurs de l’Union europ6enne, il de-
vient de plus en plus difficile de justifier le maintien du droit au mariage en tant que
pr6rogative rserv6e aux unions h6t&osexuelles.
Dans l’atmosph~re laYque qui baigne l’Europe, impr~gn6e d’une progressive indi-
vidualisation du social, 41]a famille est moins une institution qui vaudrait par elle-
m~me qu’un instrument offert 4 chacun pour l’6panouissement de sa personnalit6.
Que s’estompe le droit de la famille>>, s’exclamait le doyen Carbonnier, <
et la laYcit6 qui sous-tendent le droit europ6en, de nombreuses requetes ont 6t6 rejet6es
par la Commission au motif qu’ [e]n dpit de l’6volution contemporaine des menta-
lit6s vis- -vis de l’homosexualit6, [des relations homosexuelles durables] ne rel~vent
pas du droit au respect de la vie familiale prot6g6 par l’article 8>>”‘.
Malgr6 cette
sons internes au fonctionnement de la logique des droits de l’homme et de ]a philoso-
phie qui l’anime. Tout d’abord, rappelons que la Convention europdenne des droits de
I’homme est consid6r6e par la Cour comme un instrument vivant h interpr6ter […] A
la lumire des conditions de vie actuelles>>”‘. L’interpr6tation sociologique a 6t6 sys-
t6matiquement utilis6e par la Cour en consid6rant que la philosophie des droits de
l’homme ne peut nullement etre cristallis6e dans un canon immuable, celle-ci 6tant
une d6claration de principe susceptible d’6voluer. La Convention doit donc 6tre inter-
pr6t6e
la lumire des conceptions pr6valant de nos jours dans les soci6t~s d6mocra-
Peut-on faire courir aux enfants les risques d’une d6structuration du syst~me de parent6
ou d’une mise en question de leur identit6 g6n~alogique qui, ,a terme, s’inscrit dans ]a
demande de certains homosexuels ?
Le juriste P. Legendre va plus loin en affirmant:
t]outes les g6nfrations ont leurs impostures.
L’homosexualisme en est une. […] Garantir la non-discrimination sociale des citoyens en raison d’unc
position subjective quant au sexe est une chose. Casser les montages anthropologiques au nom do In
d~mocratie et des droits de l’homme en est une autre : L.,”essuie-mis&es”% Le Monde (It,
i’dducation n 254 (d&cembre 1997) 35
lap. 37.
*
56 J Carbonnier, Essais sur les lois, Paris, Rdpertoire du notariat Defr6nois, 1979 aux pp. 171-72.
“7X. et Y c. Royaume-Uni, supra note 32 A lap. 223.
‘ Tyrerc. Royaume-Uni (1978), 26 Cour. Eur. D.H. (Sr, A) 1 A lap. 15,2 E.H.R.R. 1.
2001]
D. BORRILLO – HIERARCHIE DES SEXUALItS ?
tiques’ 9, caractdrises par
sens, 1’6volution hermtneutique de la notion de
ficacement les rapports homosexuels entre adultes consentants. II n’existe pas de rai-
son pour qu’un d6veloppement similaire ne se produise pas “1 propos de la notion de
<
La <
a-dire indtpendamment de la qualification que les ttats font des liens interpersonnels.
En d’autres termes, il importe peu qu’une relation soit consid&r e comme une fanille
par les ttats membres, la Cour se r6servant la libert6 de l’appr~eier au cas par cas et
de d6cider en fonction de crit~res qui lui sont propres, sans tenir ntcessairement
compte du droit national. Ainsi, la stabilit6 de la relation, la contribution ” l’entretien
du foyer, la dur~e du lien ou la volont6 des parties, peuvent atre des Cl6ments suffi-
sants pour qualifier une situation sp~cifique comme constituant une vie familiale.
Concemant la reconnaissance des familles homoparentales, un arr& de ]a Cour
ainsi qu’une ddcision de la Commissionjoueront un rle dtcisif dans l’avenir. I s’agit
de l’affaire X, Y, Z c. Royawne-Uni”1 du 22 avril 1997 et de la d6ecision Sutherland’
du l’juillet 1997. Dans la premire affaire, X 6tait un transsexuel femne-homme, Y,
sa compagne, une femme h~tosexuelle, et Z, leur fille issue d’une insemination arti-
ficielle avec donneur. X demanda aux autorit~s britanniques de l’inscrire en tant que
pre de Z. Uttat refusa la demande en signalant que, du fait qu’il n’y pas de change-
ment d’6tat civil, X est toujours consid&6 comme une femme et qu’il ne pouvait done
se rclamer de la patemit6 de Z: une femme ne peut pas atre un pere. La famille en
question a fait appel A la Cour europtenne, qui nota que
[p]our dterminer si une relation s’analyse en une “vie familiale”, i peut so r-
v’ler utile de tenir compte d’un certain nombre d’di1ments, comma to fait do
savoir si les membres du couple vivent ensemble et depuis combien de temps,
et s’ils ont eu des enfants ensemble, de manire naturelle ou autre, preuve do
leur engagement
‘un envers l’autre’ 3 ;
en somme, tout 61ment susceptible d’informer de la rdalit6 familiale factuelle. La
Cour a ainsi reconnu qu’il existe une famille defacto de type embryonnaire entre une
femme, un transsexuel et leur enfant issu d’une instmination artificielle avee donneur.
Dans l’affaire Sutherland, il s’agissait d’un gargon qui avait saisi la Cour, se plai-
gnant d’une ingdrence illdgitime de l’Etat ainsi que d’un traitement discriminatoire du
fait qu’en tant qu’homosexuel de seize ans, il ne pouvait s’engager dans une relation
VoirMarckx c. Belgique (1979), 31 Cour. Eur D.H. (Sdr. A) 1, 2 E.H.R.R 330.
‘” Handyside c. Royawne-Uni (1976), 24 Cour Eur. D.H. (S. A) 1 “t lap. 23, 1 EH.R.R. 737.
“6 (1997-1) 35 Cour Etm D.H. 619,24 E.H.R.R 143 [renvois Ai Cour. Eur. D.H.].
‘6 Supra note 19.
3X, Y Z, c. Royawne-Uni, supra note 161 t lap. 630.
918
MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE MCGILL
[Vol. 46
sexuelle avec une personne de son sexe et de son age, ]a loi anglaise dtablissant In
majorit6 sexuelle pour les gays A dix-huit ans, alors que pour les h6t6rosexuels elle
6tait fix6e A seize ans. Au regard de la protection de Ia vie priv6e, ]a Commission a
considr6 qu’il existait une discrimination fond6e sur l’orientation sexuelle. Partant de
l’interpr6tation faite par la Commission, il est difficile d’imaginer que s’agissant de Ia
vie familiale (valeur juridique plus importante qu’une simple relation sexuelle), Ia
Cour puisse continuer h refuser aux familles homoparentales la protection de l’article
8. En effet, peut-on estimer qu’il y a discrimination basee sur la sexualit6 lorsqu’il
s’agit de la vie priv6e et ignorer une telle discrimination lorsqu’il est question de In
vie familiale ? Cela d’autant plus que cette m~me Cour, dans l’arret Salgueiro” ,
6nonce que le refus d’attribuer l’autorit6 parentale h un p~re en raison de son homo-
sexualit6 constitue une violation de 1’article 8 combin6 avec l’article 14 de la Conven-
tion europiienne des droits de I’homme, c’est-A-dire une discrimination fond6e sur
l’orientation sexuelle.
Le but de l’article 8 n’est pas tant de protdger la famille au sens classique, mais
plut6t l’exercice du droit subjectif h la vie familiale. La Convention assure le respect
de la dignitd humaine en garantissant aux individus la libert6 d’organiser leur vie pri-
v6e et leur vie familiale comme ils l’entendent. La Cour a elle-meme signal6 que
d’article 8 comprend le droit de crier et ddvelopper des relations avec d’autres indi-
vidus>. Au nom de quel principe cette m~me Cour pourra-t-elle continuer de refuser
la qualification de <
d6cident de fonder une relation sur la base de leur affection rciproque ? I est difficile
d’imaginer que la relation entre deux personnes du meme sexe et leurs enfants issus
d’une filiation adoptive, biologique, d’une procr6ation m6dicalement assistee ou de
tout autre technique reproductive, puisse demeurer en dehors de la protection de
l’article 8. La Cour pourra-t-elle maintenir longtemps sa jurisprudence en l’6tat et
considerer que l’article 12 de la Convention europienne de droits de l’homme vise le
mariage traditionnel entre deux personnes de sexe biologiquement oppos6 ?
La philosophie diffdrentialiste ainsi que Ia hierarchie des sexualit6s qu’elle v6hi-
cule seront de plus en plus difficile h dtfendre. Deux assemblees ce sont dejh formel-
lement prononc~es pour l’6galit6 dans le mariage. Aussi bien le Parlement europ6en>’
(par le biais de sa Resolution du 8 fevrier 1994) que le Parlement des Pays-Bas ont
,64 Cette d&cision est d’une importance capitale car, pour la premiere fois, Ia Cour considtre quo
l’orientation sexuelle est ccouverte, h n’en pas douter, par l’article 14 de ]a Convention : supra note
25 au para. 28.
‘0 Voir Risolution sur ‘6galiti, supra note 41.
2001]
D. BORRILLO – HIERARCHIE DES SEXUAUTS ?
boulevers6 l’ordre conjugal classique, mettant ainsi fin au privilfge multis6culaire de
l’h6t6rosexualit6′”.
Suite un rapport du 26 janvier 1994 dans lequel la d6putde dcologiste allemande
Claudia Roth d6nongait les discriminations dont sont encore victimes les homo-
sexuels, le Parlement europ~en a adopt6 une rdsolution demandant a la Commission
europ6enne de presenter un projet de recommandation sur l’Ngalit des droits des ho-
mosexuels et des lesbiennes qui tendrait t mettre un terme, entre autres,
l’interdiction faite aux couples homosexuels de se narier ou de bndficier do
dispositions juridiques &luivalentes: la recommandation devrait garantir
1’ensemble des droits et des avantages du mariage, ainsi qu’autoriser
‘enregistrement des partenariats. A toute restriction au droit des lesbiennes ou
des homosexuels d’etre parents ou bien d’adopter ou d’dlever des enfants ‘.
Bien que les r6solutions du Parlement ne disposent d’aucune force contraignante,
la valeur symbolique de celle-ci pourrait peser significativement dans les prochains
debats relatif A l’6galit6 des gays et des lesbiennes en Europe. Deux ans plus tard, le 9
mai 1996, une autre femme, la d6put6e Ren(e Wagener, allant dans le sens de la r6-
solution europ6enne, d6posa au parlement luxembourgeois une proposition de loi sur
la r6forme du mariage dont l’article premier pr~voit que
Le 16 avril 1996, le parlement n6erlandais vota une motion en faveur du manage
entre personnes du meme sexe et sur l’accs a l’adoption. Suite a” cette motion, le
gouvernement annonga la creation d’une commission ayant pour mission l’tude de
l’6ventuelle ouvertune du mariage aux couples de meme sexe. Dirig6e par le profes-
seur Kortmann, la commission a rendu ses conclusions”‘- en octobre 1997. Divis6s sur
la question de l’acc s au mariage (cinq 6taient pour et trois contre), les huit membres
de la commission dtaient tous d’accord pour interdire 1’application de la pr~somption
de patemit6 a sein des couples homosexuels. Le partenaire d’un parent homosexuel
ne peut pas 6tre automatiquement considr6 comme
‘autre parent de renfant. La
” Mes propos doivent tout de suite Etre nuanc.s car meme Ia 1oi n’elandaise, la plus dgalitaire ”
‘heure actuelle, n’accorde pas 1’6galit6 parfaite en ce sens qu’il n’y a pas institution automatique dz- la
paternit6 au sein du couple homosexuel ainsi que de lien de filiation adoptive conjointe pour les en-
fants issus de pays tiers.
“‘Risolution sur l’6galiti, supra note 41.
Chambre des Dputs, Sess. ordinaire 1995-96, Proposition de loi stir la rfonre du mariage, n
4162 (21 mai 1996). Sans faire r~fdrence a Ia resolution du PF, l’exposd de motif do la proposition
montre bien que le seul 6l6ment qui ratache encore le mariage t son passe canonique est la condition
de la diff6rence des sexes, autrement dit sa nature h6t&osexuelle. 0,1 convent do d6gager ‘institution
du madage de son carcan religieux afin de lui donner une acceptation plus utilitaire, signale ]a toxte.
“6 Voir supra note 71.
920
MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE MCGILL
[Vol. 46
commission conseilla 6galement de mettre fin i l’institution du partenariat enregistr6
une fois que le mariage aura 6t6 61argi aux unions homosexuelles.
La loi d6pos6e par le gouvemement et vot6e tr~s majoritairement par la chambre
des d6put6s (109 pour et 33 contre) suit les conseils de la commission Kortmann, ou-
vrant ainsi le droit au mariage pour les gays et les lesbiennes. La loi sur la filiation
adoptive est 6galement modifi6e, permettant ainsi aux couples de meme sexe
d’accder a l’adoption des enfants (i 1’exception de ceux provenant de pays 6tran-
gers)7 .
Par ailleurs, avec la signature du Traitj d’Amsterdam par 1’ensemble des pays de
l’Union, la lutte contre les discriminations est devenue un enjeu majeur de la politique
europ6enne. Uarticle 13 6tablit:
Sans pr6judice des autres dispositions du pr6sent trait6 et dans les limites des
comp6tences que celui-ci confere A la Communaut6, le Conseil, statuant ht
l’unaninit sur proposition de la Commission et aprts consultation du Parle-
ment europwen, peut prendre les mesures ncessaires en vue de combattre toute
discrimination fond6e sur le sexe, la race ou l’origine ethnique, Ia religion ou
les convictions, un handicap, l’fge on l’orientation sexueUe'”.
Malgr6 le fait que le droit de la famille demeure un domaine r6serv6 aux Etats, la
valeur politique de cette disposition antidiscriminatoire pourrait jouer un r~le impor-
tant dans la remise en question du monopole matrimonial h6t6rosexuel. Bien que le
domaine professionnel soit le seul a 8tre couvert par les directives”‘ mettant en ceuvre
‘article 13, celui-ci ne perd pas pour autant sa vocation universelle, et den ne
s’oppose A ce que des dispositions antidiscriminatoires futures puissent s’6tendre h
d’autres champs, y compris ceux du couple et de la famille. De meme, la Charte eu-
ropienne des droits fondamentaux” adopt6e par le Traitd de Nice du 10 d~cembre
70 Voir Ia partie ll.B, ci-dessus.
“‘ TraitJ modifiant le traiM sur l’Union europgenne, les traitds instituant les Conlnunauts euro-
pdennes et certains actes connexes, 2 octobre 1997, [1997] J.0. C. 340/1.
‘n Traitj instituant la communautJ europenne, 10 novembre 1997, [1997] J.0. C. 340/3, art. 13
[version refondue], en ligne: Recueil des traitds
‘ Seules les discriminations fond6es sur ]a race sont interdites dans l’ensemble des situations de ]a
vie sociale (emploi, logement, &lucation, services, etc.). En revanche, les autres causes de discrimina-
tions, y compris celles fond.es sur l’orientation sexuelle, sont interdites exclusivement en matire
d’emploi: voir CE, Directive 2000/78/CE du Conseil, du 27 novembre 2000, portant crdation d’un
cadre goniral enfaveur de I’6galitj de traitement en matire d’emploi et de travail, [2000] J.0. L.
303/16.
“‘ [2001] J.0. C. 80/43.
2001]
D. BORRILLO – HItRARCHIE DES SEXUALITS ?
2000 pr6voit dans son article 21 une clause gdn~rale contre toutes les discriminations,
y compris celles fond~es sur 1’orientation sexuell&’.
Dans ce contexte, d6limit6 par ‘ensemble des decisions de la Cour europ6enne
des droits de l’homme, les r6solutions du Parlement europ~en, le mandat antidiscri-
minatoire de l’article 13 et 1’exp6ience 6galitaire des Pays-Bas, i devient de plus en
plus difficile de justifier l’exclusion des gays et des lesbiennes du droit fondamental ai
se marier et
fonder une famile. Tant que ces situations ne sont pas r6solues, plut6t
que d’un syst;me pluriel, nous devons parler de r6gime s6gr6gationniste, certes eu-
ph6mis6 mais produisant les mames effets d’exclusion juridique que ses prcedents.
S’il est 6vident que l’Union europ~enne demeure ‘espace le plus protecteur a l’6gard
des couples de meme sexe, cette 6vidence ne doit pas cependant nous faire oublier
que la situation est encore pr6caire et que l’exigence de ‘IEtat de droit implique la
stricte application du principe d’6galit6 et de non-discrimination. Toute politique gra-
dualiste qui n’est pas accompagn6e d’un rappel constant des in6galit6s actuelles ris-
que de faire du provisoire une situation d6finitive.
Conclusion
Si la condition de la diffdrence des sexes a dt6 pendant longtemps pr6sent~e
comma consubstantielle au manage, la revendication des couples gays et lesbiens
oblige la socit6
r6viser les cat6gories juridiques existantes, toujours fonddes sur
cette 6vidence.
Tout au long de mon 6tude, j’ai d6lib~r~ment refus6 de porter un jugement de va-
lur sur l’institution matrimoniale. II ne s’agit en effet ni de la d6fendre ni de
s’opposer L elle. Mon approche consiste l la traiter, d’une part, comnme un droit sub-
jectif et, d’autre part, comme une institution politique. En tant que droit subjectif, le
mariage pent etre analys6 comme un r6vdlateur du degr6 de d6mocratisation des liens
priv6s et des rapports sociaux. I1 accompagne ‘6volution de notre civilisation. II re-
produit dans la vie domestique ce que r!ttat dicte pour la vie publique. En d’autres
termes, la fonction symbolique du mariage reflte un ordre plus g6n6ral qui a ses ra-
gles, ses proc~dures, ses statuts et ses outils de domination: lorsqu’il 6cartait les es-
claves et les vaincus ou lorsque l’origine nationale ou ethnique organisait les crit~res
d’acc~s au contrat social et an contrat familial, le mariage ne faisait que reproduire ]a
75 Cet article demeure une d~claration de principe, car la Charte n’a pas encore t6 incorporde dans
les traitds constitutifs de l’Union. Mais une fois incorpor~e, elle ne serira pas Li r soudre les question
relatives au droit de la famille. Conme pour ‘art. 13, cete question demeure de compltnce natio-
nale. RI faut n~anmoins mettre de l’avant sa valeur symbolique et ne pas n6gliger les plrtes qua cet
nouveau art. 21 est susceptible d’ouvrir, notanment dans les domaines de ’emploi, da la libre circu-
lation et du traitement des fonctionnaires communautaires.
MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE MCGILL
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m6canique d’exclusion des appareils de l’ttat esclavagiste ou colonialiste. De meme,
la naissance au sein du mariage ou en dehors de celui-ci d6terminait la qualit6
d’enfant 16gitime ou ill6gitime; ou bien encore, le gouvemement exclusif du man
dans la vie domestique durant des si~cles, refl6tait l’ide selon laquelle la fenme, en
raison de sa nature, devait &re assujettie A la tutelle de l’homme.
Le mariage n’a cess6 de refl6ter les changements sociaux. L’abolition des lois s6-
gr6gationnistes et la fin des empires coloniaux ont fait disparaitre les interdits qui, en
mati~re raciale, empechaient la pleine participation des individus Ai l’institution ma-
trimoniale. L’av~nement de la laIcit6, ainsi que la plus grande tol6rance [t l’6gard des
confessions autres que le catholicisme, ont permis aux minorit6s religieuses de parti-
ciper au mariage civil dans les memes conditions et de b6n6ficier de droits identiques.
De meme, l’6galit6 politique des fernmes a rendu possible la codirection du m6nage et
le partage de la responsabilit6. C’est pourquoi, de nos jours, ni la race, ni la nationali-
t6, ni la religion, ni meme le genre ne constituent des crit~res permettant de contrOler
l’institution matrimoniale. L’appartenance A la meme ethnie, la communion
l’acc~s
spirituelle ou la subordination des femmes ne sont plus des conditions pour l’exercice
du droit au maiage. En revanche, les personnes de meme sexe, qu’elles soient hom-
mes ou femmes, juives, ath~es ou catholiques, blanches ou noires, ne sont pas recon-
nues en tant que couples jouissant des memes droits que ceux formds par des person-
nes de sexe diff6rent. Comme jadis, le mariage perp6tne une in6galit6. Celle-ci n’est
plus d6sormais lie aux motifs pr6c6demment rappel6s. Elle se rapporte exclusive-
ment A un type de sexualit6: l’homosexualit6. La capacit6 du manage l classer les
personnes et A hi6rarchiser les pratiques sexuelles demeure. L’ensemble des dispositifs
europ~ens qui gouvement la vie du couple de meme sexe en t6moigne. I1 ne met pas
fin A l’in6galit6. Bien au contraire, i la conforte en assignant aux couples homo-
sexuels une position inf6rieure”.
L’ouverture du droit au mariage pour les gays et les lesbiennes repr6senterait dbs
lors le pas suivant dans le processus de d6mocratisation de la vie priv6e et pourrait
constituer dans l’avenir, et suivant l’exemple n6erlandais, la base d’un v6ritable plura-
lisme familial.
76 Pour une analyse critique de la reconnaissance des couples de meme sexe, voir l’articlo dc E. Pi-
sier,
ces>> La Revue de Deux Mondes (novembre-d~cembre 1999) 153.