Article Volume 30:2

Pour Une Nouvelle Constitution Du Québec

Table of Contents

McGILL LAW JOURNAL

REVUE DE DROIT DE McGILL

Montreal

Volume 30

1985

No 2

Pour une nouvelle Constitution du Quebec

McGill Law Journal Lecture

Conference de la Revue de droit de McGill

Jacques-Yvan Morin*

Le Quebec est d~pourvu de constitution enten-
due au sens formel. Composfe de lois, conven-
tions, coutumes et arr~ts judiciaires d’origine
britannique, canadienne ou qurbrcoise, la
Constitution actuelle est 8parse et informe. Les
lois du Quebec qui en font partie sont des lois
ordinaires ne disposant d’aucune suprioritE par
rapport i l’ensemble de Ia 16gislation. Or l’au-
tonomie du Quebec s’6tend A ]a modification de
sa Constitution. L’auteur 6tudie le cadre juri-
dique dans lequel pourrait s’inscrire une nou-
velle loi fondamentale, dot~e des attributs habituels
de semblables instruments (suprrmatie, mode
d’amendement sp~cial) et discute de l’oppor-
tunit6 de l’adopter. Dans la premiere partie sont
exposes la nature juridique et les objectifs fon-
dam entaux des constitutions, en particulier chez
les Etats membres de federations comme les Etaq-
Unis et la R~publique fedfrale d’Allemagne. A
partir des sources du droit constitutionnel exis-
tant, lesquelles font l’objet de la deuxieme par-
tie, et A la lumiere du droit public compar6 ainsi
que du droit international, l’auteur 6tudie la
possibilit6 de (( constitutionnaliser > le statut et
le5 pouvoirs des institutions fondamentales de
l’Etat qufbtcois, les droits et libertfs des per-
sonnes, les droits socio-konomiques et les r&Jgles
relatives i l’application de la coutume et des
accords internationaux. La derni~re partie est
consacree A la protection de la Constitution grfice
au mode d’amendement qui y serait pr6vu. La
question classique du pouvoir d’un parlement
de se lier pour l’avenir est expos~e, de meme
que les conditions du recours au r6ferendum et
au droit d’initiative des citoyens. L’importance
du r~le de l’Assemblfe nationale dans la d6-
marche constituante est soulignfe. Divers ar-
guments favorables et dffavorables A Padoption
d’une constitution formelle sont scrut~s, de mme
que la question de savoir si la constitution << non ecrite >> n’est pas preferable. Ce ne sont point la,
estime l’auteur, des choix de nature purement
juridique.

Quebec lacks a comprehensive, formal constitution.
The present Constitution, consisting of statutes,
conventions, customary law and British, Canadian
and Quebec case law, is scattered and shapeless. The
Quebec statutes which make up, in part, this Con-
stitution are ordinary laws and consequently do not
enjoy supremacy over other legislation. The auton-
omy of Quebec extends to include the power to
amend its own Constitution. The author examines
the legal setting into which a new fundamental law
a law endowed with tradi-
could be introduced –
tional characteristics found in similar documents
(supremacy, specific amending formula) –
and
considers the advisability of its adoption. The first
part of the article deals with the legal nature and
basic objectives of constitutions, with particular ref-
erence to member-states of federations, including
the United States and the Federal Republic of Ger-
many. From the perspective of comparative public
law and international law, the author discusses the
sources of existing constitutional law in the second
part of the article. He goes on to consider the pos-
sibility of constitutionally entrenching the follow-
ing: the status and power of Quebees fundamental
institutions; human rights and freedoms; socio-eco-
nomic rights; and the rules regarding the application
of customary international law and treaty law. The
final section of the article is devoted to the protec-
tion of the Constitution by means of the amending
formula which it would include. The classical prob-
lem concerning the power of a parliament to bind
itself for the future is examined, as well as the con-
ditions under which a referendum might be held
and the initiative of citizens recognised in the leg-
islative process. The importance of the role of the
National Assembly in constitutional development
is emphasised. The author canvasses the various
arguments for and against the adoption of a con-
stitution, and addresses the question as to whether
an unwritten constitution might not be preferable.
These choices are not, according to the author; solely
legal in nature.

*Professeur de droit international public a Ia Facult6 de droit de l’Universit6 de Montral,
ancien Vice-premier ministre du Quebec et rrdacteur en chef du volume I du McGill Law
Journal Premiere Conference de la Revue de droit de McGill, prononcre le 29 octobre 1984.

@Revue de droit de McGill
McGill Law Journal 1985

REVUE DE DROIT DE McGILL

[Vol. 30

Sommaire

Introduction
1.

– Objectifs fondamentaux des constitutions
1.
2.
3.

– Le module britannique
– Constitution descriptive et constitution normative
– Objectifs des constitutions d’Etats fidiris
II. – Sources de la Constitution actuelle du Quebec

1.
2.
3.
4.
5.

– Les cadres colonial etfddiral, leparlementarisme et la monarchie
– Lois ordinaires 4 portte constitutionnelle
– Conventions constitutionnelles
– Rggles coutumigres
– Arrits judiciaires

III. – Opportunit6 et contenu possible d’une constitution formelle

1.
2.
3.

4.

Institutions fondamentales

– Le principe de la suprimatie
– Concision on prolixitg ?
– Contenu possible
A.
B.
C.
D.
E.
– Rgles d’interpritation


– Droits et libert~s
– Droits socio-6conomiques
– Droits collectifs
– Application du droit international

IV. – Protection de la nouvelle Constitution

1.
2.
3.
4.
5.

– Flexibiliti et rigiditg
– Le Parlement peut-il se lier pour l’avenir ?
– Consultation par voie de r9frendum
– Droit d’initiative des citoyens
RMle de l’Assemblie nationale

Conclusion

*

*

*

1985] POUR UNE NOUVELLE CONSTITUTION DU QUEBEC

173

Bien que maintes fois dict6e de l’ext6rieur et infl6chie par les contre-
coups de l’histoire coloniale frangaise et anglaise, la Constitution du Quebec
est anterieure de plus de deux siecles A la Constitution canadienne. 1 Con-
trairement a celle-ci, cependant, le droit fondamental quebecois, compose
semblablement d’elements tres divers –
lois britanniques, federales ou que-
becoises, conventions constitutionnelles, coutumes et arrets des tribunaux
– n’a jamais te etabli formellement, ni codifie, et son existence passe pour
ains dire inapergue, A 1’exception de la Charte des droits et libert~s de la
personne et de la Charte de la langue frangaise,2 qui pourtant sont toutes
deux des lois < ordinaires >, pouvant 8tre modifies A la majorit6 simple
des voix de l’Assemblee nationale.

Parmi les ides issues de la mutation et des revendications politiques

commun6ment appel~e la Revolution tranquille –

des annees soixante –
se trouvaient celles d’une constitution, entendue au sens formel, et d’une
Charte des droits et libertts, adoptees par les Quebecois et protegees par un
mode d’amendement special.3 Ces projets compterent parmi les rares qui
purent rallier toutes les formations politiques de l’epoque. Daniel Johnson,
tant comme chef de l’Opposition qu’en tant que Premier ministre, y fit
allusion A plusieurs reprises, soutenant que le Quebec n’avait pas A attendre

‘Sous le regime frangais, l’Acte pour l’tablissement de la Compagnie des Cent Associes pour
le commerce du Canada (29 avril 1627), et l’tdit de creation du Conseil souverain de Quebec
(Conseil sup~rieur) (avril 1663), peuvent etre consid~r~s comme les premieres sources 6crites
de la Constitution du Quebec. Voir tdits, Ordonnances royaux, Declarations et Arrts du
Conseil d’Etat du Roi concernant le Canada (1854) aux pp. 5 et 37. Sous le regime britannique,
]a premiere Constitution 6crite fut Ia Proclamation royale de 1763, S.R.C. 1970, app. II, re-
produite dans Y. Renaud & J.-L. Baudouin, Ed., La Constitution canadienne: recueil de lois
(1977) A la p. 7 (version frangaise non officielle) et A lap. 220 (version anglaise), et ]a deuxi~me
fut l’Acte de Quebec de 1774: An Actfor Making More Effectual Provisionfor the Government
of the Province of Quebec in North America (R.-U.), 1774, 14 Geo. III, c. 83, S.R.C. 1970, app.
II. Voir A. Morel, Histoire du droit, 7e Ed. (1982) (polycopi6) aux pp. 88 et 96. Sur le passage
du droit frangais au droit britannique, voir A. Tremblay, Precis de droit constitutionnel (1982)
A lap. 17 et s. ; R.A. Forest, <(Les prerogatives de ]a Couronne au Quebec : quelques problmes de definition et de sources > dans Cahier de la 5e Conference des avocats et notaires de la
fonction publique (10 et 11 mars 1983) atelier no 3 aux pp. 10 et 13. Sur les constitutions
anciennes des provinces canadiennes et du Quebec, voir J.E. Read, (1948) 26 Can. Bar Rev. 621 aux pp. 630-2.
2Charte des droits et liberts de la personne, L.Q. 1975, c. 6, L.R.Q., c. C-12 telle que modifi~e
par L.Q. 1982, c. 61 [ci-apr~s: Charte des droits et liberts]; Charte de la languefranqaise,
L.Q. 1977, c. 5, L.R.Q., c. C-I1.

3J.-C. Bonenfant, (La Constitution du Quebec

, LAction [de Quebec] (25 fevrier 1965) 4;
J.-Y. Morin Une Charte des droits de l’homme pour le Quebec >> (1963) 9 McGill L. J. 273
A la p. 303.

McGILL LA W JOURNAL

[Vol. 30

la r~forme de la Constitution canadienne pour o refaire sa propre Consti-
tution et y int6grer une charte des droits de ‘homme >> ;4 il songeait m~me
A la convocation 6ventuelle d’une assemble constituante.5 Au Comit6 de
la constitution, 6tabli par le Premier ministre Jean Lesage en 1963, il en fut
question A diverses reprises, notamment aux seances de novembre 1968 et
d’aofit 1969, alors qu’il 6tait devenu chef de l’Opposition. 6 Avec une rare
unanimit6, les parlementaires se prononcrent en faveur de l’adoption par
le Qu6bec de sa propre Constitution, allant jusqu’A discuter de l’exprrience
des Cantons suisses ou des ttats de l’Union amrricaine et A s’interroger sur
le contenu possible d’une constitution autonome, ainsi que sur 1’exercice
du pouvoir constituant par voie de r~ferendum. 7 Le d~put6 Jrome Cho-
quette, qui fit plus tard le parrain de la Charte des droits et libert~s, estimait
pour sa part qu’il fallait r~diger la loi fondamentale en fonction de << ce que nous, nous pensons 6tre l'id~al d'une constitution interne pour le Quebec >
et non en fonction de la Constitution fed6rale ; on demanderait par la suite
les modifications A l’Acte de l’Am~rique du Nord britannique (B.N.A. Act)
qui deviendraient n6cessaires. 8

La Charte des droits et libert~s de la personne, adopt~e en 1975 et A
laquelle l’Assemble nationale a confer6 en 1982 une sup~riorit6 plus 6ten-
due par rapport aux lois ordinaires, 9 compte parmi les effets indirects des
travaux du Comit6 de la constitution, qui ne connurent gu~re d’autre suite
apr~s 1’1ection de 1970. Cette loi, l’une des plus avanc6es du genre, a eu
de profondes repercussions au Quebec, comme on a pu le constater au
moment de la Commission parlementaire qui s’est pench~e sur sa r6vision,

real] ( 2 mai 1966) 1.

4 L’UN et les droits de l’homme au Quebec >>, Le Devoir [de Montreal] (21 mars 1966) 3.
5J.-V. Dufresne, L’Union nationale d~voile son programme dlectoral >>, Le Devoir [de Mont-
6Quebec, Comit6 de la constitution dans Debats de l’Assemblee legislative du Quebec: Comite
de la constitution [ci-apr~s: Comitg de la constitution] (28 novembre 1968) A ]a p. 545 et (4
dcembre 1968) A lap. 563 ; Quebec, Commission de la Constitution dans Debats de l’Assemble
nationale du Quebec: Commission de la Constitution (14 aofit 1969) 5 la p. 3021 [ci-apr~s:
Commission de la Constitution].
7Comite de la constitution, ibid., (28 novembre 1968) A la p. 545 (J. Lesage), aux pp. 554-5
(J.-J. Bertrand), A ]a p. 555 (J. Choquette); Comite de la constitution, ibid., (4 d~cembre 1968)
A la p. 564 J.-J. Bertrand, J. Lesage, J. Choquette), A la p. 567 (J. Lesage), A la p. 570 (J.-J.
Bertrand), aux pp. 573-4 (P. Laporte), i la p. 574 (A. Maltais), aux pp. 575-6 (J. Lesage);
Commission de la Constitution, ibid., (14 aofit 1969) A la p. 3022 (J.-C. Bonenfant), A la p. 3038
(R. Lvesque), aux pp. 3048-9 (J. Lesage, J.-J. Bertrand).

8Comite de la constitution, supra, note 6 (28 novembre 1968) A ]a p. 556.
9Loi modifiant la Charte des droits et libert~s de la personne, L.Q. 1982, c. 61, art. 16. Certains
articles de la Charte des droits et
ibert~s possddaient ds 1975 une certaine sup~riorit6 par
rapport aux lois post6rieures A son entr~e en vigueur. En 1982, cette sup~riorit6 a
t6 6tendue
A d’autres dispositions de ]a Charte des droits et libertes et s’applique ddsormais tant A l’6gard
des lois ant6rieures A la Charte des droits et liberts qu’A 1’6gard des lois postdrieures (art. 52).

1985] POUR UNE NOUVELLE CONSTITUTION DU QUEBEC

175

en octobre 1981.10 Aussi se trouve-t-il depuis quelque temps des parlemen-
taires quebecois qui souhaiteraient etendre cet effort legislatif A la redaction
d’une constitution formelle et s’interrogent sur l’opportunit6 d’en soumettre
le projet A l’Assembl6e nationale. 11

Ii convient, avant d’entreprendre 1’etude des avantages et des incon-
v6nients, ainsi que des aspects juridiques d’une aussi importante demarche,
de proposer quelques observations pr6liminaires. Nous avons rappel6 au
seuil meme de cet expos6 que le Quebec possede une constitution trois fois
seculaire, dont les premieres pieces maitresses, sous le r6gime britannique,
furent la Proclamation royale de 1763,12 l’Acte de Quebec de 1774,13 et
‘Acte constitutionnel de 1791,14 par lesquels certains droits des < nouveaux sujets > britanniques furent reconnus, sans compter l’introduction des
conventions et coutumes du droit public anglais dans l’ancienne colonie
frangaise.15 Les institutions et les droits ainsi etablis, de meme que les lois
constitutionnelles adoptees par la suite par le Parlement de Westminster A
t6 < naturaliss > par l’Assembl~e
r’intention de la colonie, n’ont pas tous
legislative du Quebec. Lorsqu’ils l’ont t6, comme dans le cas des lois suc-
cessives sur les pouvoirs legislatifs ou executifs et dans celui de la Charte
de la languefrangaise, il s’est agi de lois ordinaires entre lesquelles n’existe
aucune hierarchie –
et qui
peuvent etre modifies de la maniere ordinaire. Certaines institutions et
certains droits echappent d’ailleurs aux competences autonomes du Quebec
puisqu’aussi bien elles rel6vent de la Constitution ou des competences fe-
derales. I1 resulte de tout cela que la Constitution existante du Quebec, que
Jean-Charles Bonenfant appelait <(constitution au sens materiel > et qui

sauf le cas de la Charte des droits et libertes –

‘ODes repr6sentants de tous les secteurs de la vie qu~b~coise se pr6sentrent devant la Com-
mission parlementaire i cette occasion. Voir, Quebec, Assemble nationale, Commission per-
manente de Ia Justice, < Presentation de m~moires en regard des modifications A apporter A la Charte des droits et libertes de la personne> dans Journal des d~bats: Commissions parle-
mentaires (6, 7, 13, 14, 21, et 22 octobre 1981) aux pp. B-1283, B-1375, B-1613, B-1765, B-
1915 et B-1995.

ID. Payne, Pour une constitution du Quebec (2e projet) (janvier 1985) [non publie]; D.
Payne, Que le Quebec se donne une constitution >, Le Devoir [de Montreal] (28 fevrier 1984)
7. Voir le commentaire de J.-L. Roy en 6ditorial, Une constitution qu6b~coise ? >, Le Devoir
[deMontreal] (28 f-evrier 1984)6. Voiri6galementJ.-L. Roy, L. Bissonnette & G. Lesage <(Pierre- Marc Johnson au Devoir >, Le Devoir /de Montrtal] (27 octobre 1984) 11.

12La Proclamation royale de 1763, supra, note 1.
3 L’Acte de Quebec de 1774, supra, note 1.
“‘An Act to Repeal Certain Parts of an Act, Passed in the Fourteenth Year of His Majesty’s
Reign, Intituled, An Actfor MakingMore Effectual Provision for the Government ofthe Province
of Quebec, in North America; and to Make Further Provision for the Government of the Said
Province (R.-U.), 1791, 31 Geo. III, c. 31, S.R.C. 1970, app. II.
15Sur ce dernier point, voir F. Chevrette & H. Marx, Droit constitutionnel (1982) a Ia p. 7;

Tremblay, supra, note 1 A ]a p. 18.

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comprend 1’ensemble des dispositions portant sur l’organisation et le fonc-
tionnement de I’ttat,16 est 6parse et qu’il est malais6 d’en discerner les
contours. C’est l, d’ailleurs, l’hritage du droit constitutionnel non 6crit de
la Grande-Bretagne, que le Qu6bec partage avec les provinces anglophones
du Canada; meme la Colombie-Britannique qui, a la mani~re des Etats
australiens, a voulu se donner un Constitution Act, n’en a fait qu’une loi
ordinaire. 17

On s’est demand6 si un tel syst~me, fortement identifi A la soci~t6
anglaise et inspir6 de ses traditions, convenait au peuple qu6b6cois, 18 fort
different et dont les origines sont de plus en plus diversifi~es, et l’on pourrait
6galement soulever la question de la conformit6 de ce <(laisser-faire consti- tutionnel >>, qui a pour pendant la rigidit6 du cadre fed6ral, avec les int~r~ts
collectifs de la majorit6 francophone. L’adoption de la Charte des droits et
liberts et de la Charte de la languefrancaise tendrait A d6montrer que ces
interrogations ne sont pas vaines et que l’effort constituant est d~jA amorc6
au Quebec. I1 s’agit cependant de decider s’il est opportun de l’6tendre A
rensemble de la constitution informe que nous avons d~crite et d’y ajouter
une dimension < programmatoire >>, comme le font de nombreuses cons-
titutions modernes, sous la forme d’un projet de soci~t6 portant sur les droits
6conomiques et sociaux, lequel viendrait complter les parties purement
descriptives de la Loi fondamentale du Qu6bec.

Deuxi~me consideration pr6liminaire: dans le cadre constitutionnel
d6fini par le B.N.A. Act et la Loi constitutionnelle de 1982, le Quebec possde
la competence voulue pour modifier sa constitution et donc pour en adopter
une nouvelle, sauf en ce qui concerne la << charge >> (the office) de lieutenant-
gouverneur. L’article 45 de la Loi constitutionnelle de 1982, dont les termes
sont presque identiques A ceux de l’article 92(1) de la Loi constitutionnelle
de 1867, nous apprend en effet que, avec cette r6serve, o une l~gislature a
competence exclusive pour modifier la constitution de sa province >. 19

16Bonenfant, supra, note 3.
17Constitution Act, R.S.B.C. 1979, c. 62, tele que modifi~e par S.B.C. 1980, c. 35, art. 3. Les
constitutions des provinces sont r6unies dans C.L. Wiktor & G. Tanguay, Les Constitutions
du Canada : fedrale et provinciales, depuis 1978.
18Voir les propos de J.-C. Bonenfant devant le Comit6 de ]a constitution dans Commission

de la Constitution, supra, note 6 i la p. 3030.

19Art. 45 de la Loi constitutionnelle de 1982, adopte en tant qu’annexe B de la Loi de 1982
sur le Canada (R.-U.), 1982, c. 11, et art. 92 du British North America Act, 1867 (R.-U.), 30
& 31 Vict., c. 3: le titre est devenu Loi constitutionnelle de 1867 en vertu de la Loi constitu-
tionnelle de 1982. Qu’est-ce au juste, au regard de l’article 45, que la <(constitution de la province >> ? La question a
t soulev~e dans l’affaire PG. Quebec c. Blaikie (1979), [1979] 2
R.C.S. 1016, 101 D.L.R. (3d) 394 [ci-apr~s: Blaikie, cite aux R.C.S.] mais la Cour supreme
‘a express~ment laiss~e de c6t. L’interpr~tation restrictive la limiterait sans doute aux dis-
positions intitules ((Provincial Constitutions>> formant ]a Partie V de la Loi constitutionnelle
de 1867, i.e. celles portant sur les organes ex~cutif et 1gislatif provinciaux. Toute autre dis-
position ne ferait pas partie de ]a Constitution du Qu6bec au sens de la Loi constitutionnelle

1985] POUR UNE NOUVELLE CONSTITUTION DU QUEBEC

177

L’autonomie du Quebec s’etend donc, sous l’empire du regime actuel,
A sa propre Constitution, mais ce pouvoir constituant est limite, comme
bien on pouvait s’y attendre, par la disposition < qui, par le
truchement du representant de la Reine, laquelle est le chef d’Etat de la
Federation, nous rappelle la surimposition des normes constitutionnelles
canadiennes au droit quebecois.

D’ofi il suit, en troisieme lieu, que toute Constitution quebecoise, meme
protegee par un mode d’amendement special, ne saurait, du point de vue
strictement juridique, aller A. l’encontre de certaines dispositions de la Cons-
titution federale, qui touchent notamment le partage des comp6tences entre
les deux niveaux de gouvernement et les droits linguistiques d6finis dans
la Charte canadienne.20 Cette importante restriction, que rappelait r6cem-
ment un arret de la Cour supreme du Canada,2′ constitue i bien des egards
une sorte de carcan politique, mais elle fait partie des regles fondamentales
s’imposant au Quebec tant qu’il conservera le meme statut au sein de la
Federation canadienne. Cependant, l’adoption d’une nouvelle constitution
quebecoise pourrait donner l’occasion A l’Assemblee nationale, apres consul-
tation de la population, de reaffirmer les principes qui fondent la partici-
pation du Quebec A la Federation et ses positions traditionnelles i l’gard
des changements constitutionnels propos6s par son gouvernement.22 Les
discussions qui ne manqueraient pas d’accompagner la redaction d’un projet
de constitution formelle pourraient de la sorte preparer de nouvelles ne-
gociations constitutionnelles avec le Canada anglais, dans l’esprit de la re-
forme revendiquee par le Quebec aux Conferences intergouvernementales
de 1968-1971 et de 1978-1979.

de 1982; pourrait-elle alors 8tre modifi~e par le Parlement provincial ? Dans le cas contraire,
de qui rel~verait le pouvoir de modification ? L’interpr~tation plus large de l’article 45 per-
mettrait sans doute d’6luder les r~ponses absurdes que pourraient susciter ces questions, d’au-
tant que cette interpretation parait dict~e par le contexte de ]a Loi constitutionnelle de 1867
et particulirement par les dispositions relatives A Ia r6partition des comptences. Feraient
partie de ]a Constitution du Quebec toutes les dispositions de la Loi constitutionnelle de 1867,
oA qu’elles se trouvent, qui se rapportent A ]a structure ou au fonctionnement des organes de
l’ttat provincial. En outre, au-dela de l’article 45 susmentionn&, l’Assembl~e nationale a le
pouvoir de faire entrer dans la Constitution du Quebec tout ce qui lui parait indiqu6 et qui
relive de sa competence.

20Charte canadienne des droits et liberts, Partie I de l’annexe B de la Loi de 1982 sur le

Canada, ibid. [ci-apr~s: Charte canadienne].

21P.G. Qutbec c. Quebec Association of Protestant School Boards (1984), [1984] 2 R.C.S. 66,

10 D.L.R. (4th) 321, conf. [1983] C.A. 77, (conf. [1982] C.S. 673).

22Qu~bec, Minist~re des Affaires intergouvernementales, Les positions traditionnelles du Qu-
becsur lepartagedespouvoirs 1900-1976 (document d6pos6 A la Conference fedrale-provinciale
des premiers ministres) (30 octobre 1978).

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Le cadre juridique g6n6ral 6tant ainsi d6limit6, y a-t-il quelque avantage
A l’adoption par le Qu6bec d’une constitution plus formelle, dot6e d’une
certaine pr6pond6rance ou sup6riorit6 par rapport aux lois ordinaires, et
quels seraient les inconv6nients d’une telle d6marche ? On ne fait pas les
constitutions pour le simple plaisir de les r6diger – encore qu’un tel exercice
ne soit point sans s6duction pour l’esprit – mais pour mieux ordonner
l’exercice du pouvoir politique et r6pondre aux besoins et aspirations des
citoyens, voire aux probl6mes qui ne peuvent manquer de surgir dans une
soci6t6 en mutation, comme
des questions qui rel6vent A proprement parler du droit, mais plut6t d’un
certain nombre de jugements de valeur sur cette soci6t6, de la conception
qu’on peut se faire de son avenir et de ses probl~mes actuels ainsi que de
l’opportunit6 politique de r6gler ceux-ci par le moyen de normes dotes de
la force qui s’attache aux dispositions constitutionnelles. Toutefois, les
consid6rations d’ordre juridique que nous venons d’esquisser ne sauraient
6tre 6cart6es de la discussion car elles conditionnent A chaque instant l’61a-
boration, 1’agencement et l’efficacit6 des r6gles constitutionnelles et de toutes
celles qui en d6coulent dans la hi6rarchie des lois.

‘est la soci6t6 qu6b6coise. Ce ne sont pas 1M

Aussi convient-il, dans la r6ponse que nous tenterons d’apporter A ces
questions, de nous tenir le plus pr6s possible des cat6gories juridiques, du
moins dans la marche g6n6rale de l’argumentation. C’est ainsi que nous
traiterons en premier lieu des objectifs que les constitutions sont appel6es
A atteindre, particuli6rement chez les 2tats membres d’unions fed6rales.
Deuxi~mement, nous ferons le point sur la Constitution actuelle du Qu6bec
et les 616ments 6pars qui la composent. Nous passerons, en troisi~me lieu,
A la question de l’opportunit6 d’une constitution formelle et 6crite dans le
cas du Quebec et nous nous demanderons quel pourrait 8tre le contenu d’un
tel instrument. Enfin, nous 6tudierons le degr6 de protection qu’il convien-
drait de donner i cette Constitution et le mode d’amendement qui en
d6coulerait.

I. – Objectifs fondamentaux des constitutions

1. – Le modale britannique

Presque tous les P-tats, souverains ou autonomes, possdent une cons-

titution 6crite, laquelle se voit attribuer une force imp6rative sp~ciale –
pr6pond6rance ou sup~riorit6 – par rapport aux lois et aux actes des organes
de l’Etat.23 L’exception majeure est la Grande-Bretagne, dont Albert V.
Dicey disait que le dogme fondamental de son droit constitutionnel 6tait

23P. Bastid, <( Introduction >) dans Corpus constitutionnel (1968) t. 1, fasc. I A la p. 8.

1985] POUR UNE NOUVELLE CONSTITUTION DU QUEBEC

179

la supr~matie lgislative du Parlement.24 De meme, W. Ivor Jennings, qui
pourtant s’6loigna de Dicey sur plus d’un point, affirmait que, strictement
parlant, il n’y avait aucun droit constitutionnel au Royaume-Uni ; << il n'y a que le pouvoir arbitraire du Parlement >. Toutefois, il s’empressait d’ajou-
ter que des r~gles n’en existaient pas moins, mais qu’elles ne pr~sentaient
pas l’aspect formel qui caracterisait les constitutions 6crites. 25

Ce syst~me a d6teint sur les institutions de nombreux anciens Domi-
nions ou possessions et notamment sur les colonies nord-am~ricaines, dont
le B.N.A. Act rappelait, dans son pr~ambule, qu’elles avaient voulu 6tablir
une tederation gouvern~e par une constitution semblable en principe a celle
du Royaume-Uni. 26 Cependant, les exigences du principe federal, notam-
ment la repartition des comptences 1gislatives, ne pouvaient s’accom-
moder que d’une constitution 6crite et cela restreint consid~rablement la
port~e de la souverainet6 du Parlement; elles ont eu plut~t pour effet de
diviser cette competence ou << souverainet6 parlementaire> –
qui est une
notion distincte de la souverainet6 entendue au sens du droit international
et d’en octroyer une partie aux provinces. Les deux niveaux de pouvoir

se restreignent donc mutuellement et les Etats membres exercent, dans les
domaines qui rel~vent de leur comptence, la souverainet6 parlementaire.
Ce principe est l’un des fondements de leur droit constitutionnel et il signifie
que toute loi, qui soit de leur competence, peut 6tre modifi~e par une autre
loi ordinaire.

Quand on s’interroge sur la possibilit6 et l’opportunit6 de doter le Qu-
bec d’une constitution formelle, la question A d6battre est donc essentiel-
lement de savoir s’il convient de s’61oigner, au moins partiellement, du
modle britannique, en vue d’assurer la sup6riorit6 de certaines normes sur
les autres et de prot~ger les lois fondamentales par un mode d’amendement
special, voire par le truchement d’un organe constituant distinct. Une fois
cette question r~solue, il reste A d6terminer le contenu exact de la Consti-
tution : quelles lois, normes ou quels principes se verront << enchfss~s >> de
la sorte et assures d’un rayonnement et d’une protection superieure.

Le droit public compar6 peut ici 8tre de quelque utilit6. I1 nous permet
tout d’abord de mieux comprendre les motifs pour lesquels la plupart des
Etats souverains et des tats membres de fed6rations ont choisi de se donner
une loi fondamentale 6crite, de cerner les objectifs qu’ils s’y sont fix6s, et
d’en analyser les dispositions.

24A.V. Dicey, Introduction to the Study of the Law of the Constitution, 10e Ed. par E.C.S.

Wade (1965) A ]a p. 70; P.W. Hogg, Constitutional Law of Canada (1977) A la p. 197.

25< [...] there is only the arbitrary power of Parliament. > W.I. Jennings, The Law and the

Constitution, 5e Ed. (1959) A la p. 65.

26Loi constitutionnelle de 1867, supra, note 19.

REVUE DE DROIT DE McGILL

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2. – Constitution descriptive et constitution normative

Certaines constitutions se contentent d’8tre le reflet fid61e des institu-
tions existantes de l’ttat et des rapports de pouvoir qui s’6tablissent entre
celles-ci ; d’autres entendent proposer aux gouvernants et aux gouverns des
objectifs sociaux, culturels ou 6conomiques, inspir6s d’une philosophie po-
litique qui sous-tend 1’ensemble et oriente l’avenir du pays. Dans l’intro-
duction qu’il a r6dig6e pour le Corpus constitutionnel, Paul Bastid distingue
de la sorte la constitution descriptive de la normative et montre que la
plupart des lois fondamentales sont A la fois l’une et l’autre, mais a des
degr6s divers.27 Depuis la Constitution des ttats-Unis et la R6volution fran-
gaise, en particulier, on a vu dans ‘adoption de r6gles fondamentales l’oc-
casion de r6former la soci6t6, en pensant parfois faire table rase du pass6.
Pour l’esprit traditionaliste et notamment du point de vue britannique, la
constitution, au contraire, n’est pas le fruit de l’imagination ou des ides,
mais l’oeuvre du temps. Cette conception tire sa 16gitimit6 de la dur6e des
institutions plut6t que des vertus de la raison. Si le Qu6bec entreprend de
se donner une loi fondamentale, doit-il tourner le dos A la tradition qui a
nourri ses institutions depuis que la Grande-Bretagne lui a octroy6 sa pre-
mi6re assembl6e, en 1791, et ce au profit d’une r6forme en profondeur de
son r6gime politique ? Ainsi, convient-il d’abandonner le r6gime parlemen-
taire au profit du pr6sidentiel ou du pr6sidentiel-parlementaire ?

On voit que le projet d’une constitution qu6b6coise peut th6oriquement
etre gros de cons6quences, encore qu’il faille tenir compte du cadre fed6ral,
et que la question entraine des choix tout A fait fondamentaux, avant meme
qu’on en ait 6crit la premi6re ligne. Par ailleurs, la plupart des constitutions
‘autre mod61e de constitution, la descriptive et la
s’inspirent de l’un et
normative, et les choix A effectuer comportent des degr6s. M~me la Cons-
titution non 6crite du Royaume-Uni est empreinte d’une certaine philo-
sophie et la Constitution frangaise est fid61e i la r6alit6 des faits. Le Qu6bec
ne se trouverait pas n6cessairement accul6 A choisir, s’il optait pour une
constitution 6crite, entre l’h6ritage britannique, d’une part, et les traditions
am6ricaine ou frangaise, d’autre part. De toute fagon, ce sont tous I des
h6ritages auxquels il peut pr6tendre sans se renier; entre l’volution insen-
sible et ‘esprit r6formateur, il doit bien exister quelque juste milieu. Ce-
pendant, il n’est pas vain de se rappeler que la r6daction d’une constitution
peut d6clencher A l’occasion des mouvements r6formateurs dont on ne soup-
gonne pas l’aboutissement, parfois contraire A l’objectif recherch6.

D’aucuns voient dans l’adoption d’une constitution la panace aux maux
sociaux ou politiques du moment, voire de l’avenir. On surestime de la
sorte les vertus des r~gles constitutionnelles. Georges Burdeau d6nongait 1A,

27Bastid, supra, note 23 A la p. 3.

1985] POUR UNE NOUVELLE CONSTITUTION DU QUtBEC

181

d’ailleurs, une illusion, k une 6poque ofA l’unit6 du syst6me juridique fond6
sur la constitution 6tait remise en question par la diversification des pou-
voirs de fait; en outre, 6tait-il amen6 A observer, la prolixit6 des grandes
declarations de principes les faisait sombrer dans l’indiference et le r6le
accru de l’ttat entrainait l’assimilation des gouvernants et des gouverns,
ainsi que la d~croissance du r6le des constitutions en tant que statut d6li-
mitation des pouvoirs, de sorte que celles-ci ne pouvaient plus jouer leur
r6le traditionnel. 28 Pourquoi alors cet engouement des ttats, en particulier
des nouveaux, pour l’tablissement d’une constitution ? Sans doute est-il
dfi A ce que toute socit politiquement jeune 6prouve le besoin d’affermir
sa d~marche en d~finissant ses priorit6s et en mobilisant les 6nergies en
consequence. Bastid fait observer avec raison que ce mouvement est sain,
puisqu’il correspond A une volont6 de mise en ordre des rapports sociaux;
m~me dans les Etats ofi les constitutions se sont r~v6l~es fragiles, on continue
de leur reconnaitre une valeur propre. I1 ajoute, cependant, que la consti-
tution n’est pas toute la vie politique d’un pays, qu’elle n’est en r~alit6 qu’une
superstructure :

La constitution n’est pas la source du droit national. Elle n’en est que le cadre
extrieur momentan6. […] Au-dessous des institutions coiffant le commerce
juridique, les courants d6jA 6tablis pour les relations des citoyens continuent
A jouer leur r6le. Celui des constituants demeure au contraire limit6. C’est dire
que les r~dacteurs des textes fondamentaux ne doivent pas s’exagerer l’im-
portance de leur mission et qu’ils sont tenus A la plus grande modestie.29

3. – Objectifs des constitutions d’tats fidgrgs

En Allemagne fed6rale, aux Etats-Unis et en Suisse, ainsi d’ailleurs
qu’en Union sovi6tique, au Mexique et en Argentine, les Etats membres se
sont, pour la plupart, dotes de constitutions formelles. Celles-ci sont g6-
n~ralement bien connues des citoyens de chaque ttat membre, mais le sont
peu A l’ext~rieur; pourtant, il en existe plus de cent cinquante. Les grandes
compilations constitutionnelles ne les comprennent pas, mais quelques ou-
vrages permettent d’avoir acc~s A la majorit6 des textes ;30 aux Etats-Unis,

A la p. 53 et s.

28G. Burdeau, < Une survivance: la notion de constitution > dans MlangesA. Mestre (1956)
29B3astid, supra, note 23 A ]a p. 9.
30Pour la confledration helvtique, voir Armoiries, sceaux, constitutions de la Conftd~ration
et des cantons, 1848-1948 (1948); pour la R6publique fed~rale allemande, voir Deutsche Ver-
fassungen, Grundgesetz und Deutsche Landverfassungen (1959) et B. Mirkine-Guetz~vitch, Les
Constitutions europkennes (1951) t. 1 i Ia p. 219 (Bavi~re) [ci-apr~s: Constitution de l’Etat
libre de Bavire], A la p. 245 (Rh~nanie-Palatinat) [ci-apr~s : Constitution de l’Etat de Rh~nanie-
Palatinat]; pour le Mexique, voir M. de la V. de Helguera, Constituciones vigentes en la
Republica Mexicana con las leyes organicas de los territorios federales y del departemento del
distritofederal (1962) t. 2 a la p. 59 et s. ; pour l’Argentine, voirJ.P. Ramos, Elderechopitblico
de la provincias argentinas, con el texto de las constituciones sancionades entre los ailos 1819

McGILL LAW JOURNAL

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les r~pertoires de lois et de jurisprudence des Etats montrent le r6le im-
portant que tiennent ces constitutions dans la vie de tous les jours.31 I1
n’entre pas dans notre propos de presenter la synth~se d’un Corpus aussi
diversifi6, mais quelques exemples, emprunt~s aux pays qui nous sont les
plus familiers, suffiront A illustrer l’6tendue des preoccupations refltes par
les textes.

Comme dans le cas des ttats souverains, les lois fondamentales des
Lander, des cantons et des 2tats donnent les r~gles essentielles qui encadrent
les activit~s politiques et les principes qui informent le fonctionnement des
institutions. Le titre de la Constitution du Massachusetts contient une ex-
pression bien caract6ristique i cet 6gard : Form of Government >.

S’est jointe A l’organisation contr8l6e du pouvoir l’id~e que la consti-
tution a pour objectif d’instaurer la libert6 et l’6galit6 des citoyens. Dans la
foul~e du Bill of Rights anglais, de la Constitution des ttats-Unis et de la
Dclaration fran~aise des droits de l’homme et du citoyen, les constitutions
de nombreux
tats membres garantissent ces droits fondamentaux. Cela est
vrai de ttats de l’Union am~ricaine, qui s’inspirent abondamment de leur
Constitution fed~rale, et de certains membres des autres federations; nous
y reviendrons par la suite. Parfois sont inclus des aspects des droits et devoirs
qui rel~vent de la compbtence des Etats membres, par exemple, en ce qui
concerne le mariage et la famille, l’6ducation et l’enseignement ainsi que
l’administration autonome des communes ou municipalit6s. 32

Certains Etats fedr6s ont pris conscience de l’importance des droits
6conomiques et sociaux dans les socit~s touch~es par l’industrialisation et

e 1913 (1914) t. 2 et 3. Aux Etats-Unis, la compilation de C. Kettleborough, The State Cons-
titutions and the Federal Constitution and Organic Laws of the Territories and Other Colonial
Dependencies of the United States of America (1918) a beaucoup vieilli ; il existe des mono-
graphies sur la Constitution de quelques ttats, par exemple R.E Karsch & P. Elzea, The Living
Constitution: Missouri (1974); voir aussi les r6pertoires, infra, note 31. Pour les dispositions
constitutionnelles relatives aux droits de l’homme, l’Annuaire des droits de l’homme a 6tabli
le relev6 de la plupart des constitutions d’ttats ‘edtrs: O.N.U., Annuaire des droits de l’homme
pour 1946 (1948.XIV.I) A ]a p. 11 (R6publique fed6rale allemande), A la p. 28 (Argentine), ft
]a p. 65 (R.S.S. de Bidlorussie), A ]a p. 140 (2tats-Unis), a ]a p. 407 (Suisse), A la p. 457 (R.S.S.
d’Ukraine); O.N.U., Annuaire des droits de l’homme pour 1947(1949.XIV.1) A la p. 4 (R.EA.),
a la p. 63 (Br6sil), i Ia p. 218 (Mexique), A ]a p. 347 (U.R.S.S.), A la p. 380 (Yougoslavie);
O.N.U., Annuaire des droits de Phomme pour 1950 (1952.XIV.1) f la p. 28 (R.FA.).

31Constitution of the Commonwealth of Massachusetts dans Massachusetts General Laws
Annotated, vol. 1 et 2 (1976) [ci-apr~s : Constitution of Massachussets] ; Constitution of New
York dans McKinney’s Consolidated Laws of New York Annotated, Book 2 (1982) A la p. 43
[ci-apr~s: Constitution of New York] ; Constitution of the State of California dans West’s An-
notated California Codes, vol. 1, 2 et 3 (1954) [ci-apr8s: Constitution of California].
32Constitution of California, ibid., art. 9, 11, 20(7) et (8); Constitution de l’ltat libre de
Bavi~re, supra, note 30, art. 124-41 ; Constitution de ‘Etat de Rhenanie-Palatinat, supra, note
30, art. 23-40, 49 et 50.

1985] POUR UNE NOUVELLE CONSTITUTION DU QUEBEC

183

l’urbanisation. A l’ecoute des citoyens, dont ils sont plus pres que ne peuvent
l’etre les gouvemements fed6raux, ils se sont faits souvent dispensateurs de
services sociaux et leurs constitutions ont commence A refl6ter les preoc-
cupations et aspirations de la population sous la forme de veritables projets
de societe, surtout en Europe. C’est ainsi que le titre IV de la Constitution
bavaroise est consacre A l’organisation 6conomique, A la propriete et au
travail, tandis que la Constitution rheno-palatine traite des objectifs de l’eco-
nomie ;33 dans les deux cas, il s’agit de droit programmatoire plut6t que de
dispositions imperatives, sauf exception.

Enfin, c’est un principe reconnu de fagon tres generale que les consti-
tutions des Etats membres sont superieures A leurs lois ordinaires et priment
en cas de contradiction. Aux Etats-Unis, cette suprematie est implicite et
fait partie de la common law ;34 ailleurs, en Bavi6re et en Rhenanie-Palatinat,
par exemple, il est prevu expressement que les lois ne sont valides que dans
la mesure ofi elles sont conformes a la Loi fondamentale. 35

L’impression d’ensemble que laisse l’6tude d’un certain nombre de
constitutions d’!Etats membres est de grande diversite, tout comme les cons-
titutions des federations qui les regroupent. Elles refletent souvent, i c6te
des principes generaux qui sont devenus le patrimoine commun des d6-
mocraties, les preoccupations particuli6res qui correspondent aux besoins
et aux aspirations de societes distinctes, exprimant de la sorte leur auto-
nomie plus fermement que les lois ordinaires. Ces constitutions ne sauraient
donc etre r duites A une modele unique et la legon qu’on est en mesure d’en
tirer est que tout droit, aspiration ou besoin social peut etre < constitution- nalis6 >, si les citoyens estiment qu’il est suffisamment important pour etre
tenu hors de pair et inspirer la legislation de l’ttat feder, dans lequel ils
se reconnaissent mieux et dont ils peuvent influencer la loi fondamentale
plus directement qu’ils ne sauraient le faire a l’egard de la constitution
federale.

33Constitution du ‘ittat libre de Bavi~re, supra, note 30, art. 151-77 ; Constitution de ‘tat

de Rh~nanie-Palatinat, supra, note 30, art. 53-73.

34Voir, pour le Massachusetts, In re Opinion of the Justices, 9 N.E.2d 186, 297 Mass. 577
(1937); Ellison c. Treasurer and Receiver General, 98 N.E.2d 621, 327 Mass. 310 (1951);
Opinion of the Justices, 256 N.E.2d 420, 357 Mass. 787 (1970). Pour 1’Etat de New York, voir
Arverne Bay Construction Co. c. Thatcher, 278 N.Y. 222, 15 N.E.2d 587, 117 A.L.R. 1110
(1938) ; Rathbonec. Wirth, 150 N.Y. 459, 45 N.E. 15, 34 L.R.A. 408 (1896) [ci-apr~s : Rathbone,
cit6 aux N.Y.].

35Constitution de ‘Ittat libre du Bavi~re, supra, note 30, art. 65, 76 et 186(2); Constitution

de ‘Ittat de Rh~nanie-Palatinat, supra, note 30, art. 130(1) et (3), 135a) et 137.

REVUE DE DROIT DE McGILL

[Vol. 30

II. – Sources de la Constitution actuelle du Quebec

La principale caract&istique du regime politique qu~b~cois est d’6tre
parlementaire A la manihre britannique et fond sur de nombreuses sources
6crites ou non 6crites, lois constitutionnelles ou ordinaires, conventions,
coutumes parlementaires, auxquelles on doit encore ajouter, pour avoir une
vue complete de sa Constitution, les r~gles de common law reques dans son
droit public, ainsi que les arrts et avis des tribunaux interpr6tant les dis-
positions contenues dans chacune de ces sources.36 Celles-ci demeureraient
au moins partiellement pertinentes m8me dans le cas ofi le Qu6bec, ayant
acc~d6 A l’ind6pendance sous une forme ou sous une autre, voudrait se
donner une constitution d’Etat souverain. A plus forte raison en est-il ainsi
dans l’hypoth~se oii il choisirait d’adopter une constitution formelle dans
le cadre du regime federal, falfit-il y rechercher les accommodements rendus
n~cessaires par les r~gles ou principes affirm6s dans sa nouvelle loi
fondamentale.

Dans la mesure ofi la Constitution qu~b~coise actuelle, en toute hy-
poth~se, est appel~e A servir de substrat i la nouvelle, il n’est pas inutile
d’en dresser rinventaire, au moins de fagon g~n~rale.

1. – Les cadres colonial et fdral, le parlementarisme et la monarchie

La Loi constitutionnelle de 1867 6tablit i la Partie V, intitul~e <(La Constitution des provinces >>, ainsi qu’aux articles 91, 92, 93, 95, 96, 98,
133 et dans quelques autres d’importance moindre, le cadre juridique per-
mettant au gouvernement imp6rial, auquel a succd6 l’organe constituant
de la F~d6ration, 37 de circonscrire les comp~tences et activit~s des provinces.
Certains 6I6ments de ce cadre, comme la rbpartition des comptences et la
<(charge>> de lieutenant-gouverneur, ne peuvent 8tre modifibs que par cet
organe constituant ;38 d’autres, comme les pouvoirs de reserve et de d~saveu
du lieutenant-gouvemeur, seraient tomb~s en d6su6tude, neutralists en quelque
sorte par 1’action des conventions constitutionnelles ;39 d’autres enfin peu-
vent 8tre modifies par les provinces, et le Quebec a utilis6 ce pouvoir A

36Voir W.R. Lederman, Continuing Canadian Constitutional Dilemmas: Essays on the
ConstitutionalHistory, PublicLaw and Federal System of Canada (1981) A lap. 10; Jennings,
supra, note 25 A la p. 66.

37Supra, note 19.
38Depuis 1982, l’organe constituant ne comprend plus le Parlement britannique par I’effet
de ]a Loi de 1982 sur le Canada, supra, note 19, et des conventions constitutionnelles. L’organe
constituant est d6sormais 6tabli par la Loi constitutionnelle de 1982, supra, note 19, art. 38-
49.
39Loi constitutionnelle de 1867, supra, note 19, art. 55, 56 et 90. Sur ]a question de la
d6su6tude, voir Chevrette et Marx, supra, note 15 A la p. 25 ; Tremblay, supra, note 1 fi ]a
p. 107; Hogg, supra, note 24 A la p. 10 n. 38.

1985] POUR UNE NOUVELLE CONSTITUTION DU QUtBEC

185

diverses reprises, par exemple en vue d’abolir le Conseil l6gislatif (ancienne
Chambre haute) en 1968.40

Du preambule de la Loi constitutionnelle de 1867, deji mentionn6, aux
termes duquel rUnion federale est regie par une constitution semblable en
principe A celle du Royaume-Uni, et des dispositions intangibles relatives
au lieutenant-gouverneur, on a conclu que les principes meme du r6gime
parlementaire font partie de la Constitution du Quebec ou, A tout le moins,
du cadre dict6 par les constituants depuis quelque 215 ans. 41 I1 existe en
effet de nombreux arguments en faveur de cette these, dont le moindre n’est
pas que l’article 65 de la Loi constitutionnelle de 1867 n’autorise les pro-
vinces A supprimer ou modifier les << pouvoirs, autorit6 et fonctions o du lieutenant-gouverneur, que dans la mesure ofi ils n'ont pas 6t6 etablis, par une loi du Parlement britannique. Or, precisement, la plupart de ces pou- voirs et fonctions sont definis dans la Loi constitutionnelle de 1867, aux articles 58 et suivants, et r'article 41 de la Loi constitutionnelle de 1982 - autre loi britannique - n'autorise des modifications A la << charge > de lieu-
tenant-gouverneur que du consentement unanime des organes legislatifs
‘on considere le r6le juridique du personnage en
federal et provinciaux. Si
tant que representant du Souverain et chef de l’Executif – m6me s’il n’est
dans la realite, sauf circonstances exceptionnelles, qu’un soliveau –
ainsi
que les conventions constitutionnelles, comme la responsabilite minist-
rielle, l’immutabilit6 du regime parlementaire ne peut qu’en paraitre ren-
forcee. Certains projets d’instauration du regime pr6sidentiel au Quebec,
sur lesquels nous reviendrons, rencontreraient donc plus d’un obstacle. De
meme, tant et aussi longtemps que le Quebec demeure Iftat membre de la
Federation canadienne, la monarchie elle-meme ne se trouve-t-elle pas en-
chfssee dans ses institutions ?42

Se trouvent egalement integres en droit constitutionnel du Quebec plu-
sieurs documents fondamentaux du droit britannique, tels que la Magna
Carta de 1215, la Petition of Rights de 1628, le Bill of Rights de 1689 et
l’ensemble des lois constitutionnelles enumerees A l’annexe de la Loi cons-
titutionnelle de 1982, ainsi que d’autres lois britanniques, dans la mesure

4Loi concernant le Conseil lgislatif, L.Q. 1968, c. 9.
4’Tremblay, supra, note I A la p. 35.
42La ((charge> de Reine, comme celles de gouverneur g~nral et de lieutenant-gouvemeur,
ne peut 8tre modifiee que du consentement unanime des deux chambres du Parlement federal
et des IUgislatures provinciales. Voir Loi constitutionnelle de 1867, supra, note 19, art. 38, 41
et 43.

McGILL LAW JOURNAL

[Vol. 30

ofi elles portent sur le Qu6bec. 43 Certaines de ces lois ne sont pas sans
importance, comme l’Acte de Qu6bec, au chapitre de la sauvegarde du droit
priv6 d’origine frangaise. Mentionnons 6galement que certains trait6s, lois
etjugements imp6riaux demeurent pertinents pour la d6limitation des fron-
ti6res du Qu6bec. 44

La derni6re loi constitutionnelle britannique, le Canada Act de 1982,
contient en outre, sous la forme d’une Charte des droits et libert6s, des
dispositions auxquelles il ne peut 8tre d6rog6, 45 sauf en ce qui concerne les
articles relatifs aux libert6s fondamentales, A certaines garanties juri-
diques > (s6cunit6 de la personne, perquisitions, arrestation, dMtention, em-
prisonnement, etc.) et A l’6galit6 devant la loi.46 On sait que l’Assemble
nationale du Qu6bec, ayant adopt6 sa propre Charte des droits et liberts 47
et protest6 contre les m6thodes adopt6es par le pouvoir fed6ral pour lui
imposer la Loi constitutionnelle de 1982, a d6cid6 de soustraire les lois du
Qu6bec 1 l’application de ces parties de la Charte canadienne.48 En outre,
d’autres dispositions de la Loi constitutionnelle de 1982 subordonnent l’en-
tr6e en vigueur des dispositions sur la langue d’instruction A l’autorisation
de l’Assembl6e ou du gouvernement du Qu6bec ;49 ce consentement a 6t6
refus6 et la l6gislation qu6b6coise pr6voit qu’il ne saurait etre donn6 par le

43R.M. Dawson, The Government of Canada, 5e 6d. par N. Ward (1970) A la p. 62. L’auteur
estime qu’une centaine de lois britanniques s’appliquaient au Canada A cette 6poque. Les lois
applicables au Qu6bec sont moins nombreuses. A ce sujet, voir L. Patenaude, Compilation des
lois qu~bkcoises de nature constitutionnelle (1967), rapport prepare par l’Institut de recherche
en droit public A l’intention du Comit6 de ]a constitution. Voir Comit de la constitution, supra,
note 6 (28 novembre 1968) A ]a p. 545.

“Voir par exemple, Convention as to Boundaries, Suppression ofSlave Trade, and Extradition
(Webster-Ashburton Treaty) du 9 aofit 1842 (United States – Great Britain) dans W.M. Malloy,
Treaties, Conventions, International Acts, Protocols and Agreements Between the United States
of America and Other Powers 1776-1909, vol. 1 (1910) i la p. 650, art. 1 ; An Act for the
Settlement of the Boundaries Between the Provinces of Canada and New Brunswick, 1851 (R.-
U.), 14 & 15 Vict., c. 63 ; An Act to Declare the Boundaries of the Province of Ontario in the
Dominion of Canada, 1889 (R.-U.), 52 & 53 Vict., c. 28 ; Re Labrador Boundary (1927), [1927]
2 D.L.R. 401 (P.C.). Voir J. Brossard et al., Le territoire qu~bcois (1970) aux pp. 18, 25, 33,
116 et 124 ; H. Dorion, Lafrontire Quebec – Terre-Neuve: contribution & l’tude systbmatiqtte
desfronti~res (1963) aux pp. 46, 56, et 60. J.-Y. Morin, < Les eaux territoriales du Canada au regard du droit international> (1963) 1 A.C.D.I. 82 aux pp. 92 et 123. Voir aussi Qu6bec,
Minist~re des terres et for~ts, Rapport de la Commission d’etude sur l’int~grit du territoire du
Quhbec: 2. Lafrontibre Quebec – Ontario (President: H. Dorion) (mars 1970); Qu6bec, Mi-
nist~re des terres et for~ts, Rapport de la Commission d’ltude sur l’integrit du territoire du
Quhbec: 3. Lafrontikre du Labrador (President: H. Dorion) t. I et 2 (aofit 1971).

45Loi de 1982 sur le Canada, supra, note 19, art. 2; Loi constitutionnelle de 1982, supra,
46Loi constitutionnelle de 1982, ibid., art. 2, 7-15 et 33.
47Charte des droits et liberts, supra, note 2.
48Loi concernant la Loi constitutionnelle de 1982, L.Q. 1982, c. 21 art. 1, 2 et 5.
49Loi constitutionnelle de 1982, supra, note 19, art. 23(1)(a) et 59.

note 19, art. 52(1).

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gouvernement sans l’assentiment de l’Assembl~e nationale. 50 Jusqu’a nouvel
ordre, cet ensemble de dispositions
tablit l’aire d’autonomie du Quebec
dans la redaction d’une constitution 6crite qui traiterait des droits de la
personne et de la langue d’enseignement. En mati~re de droits et libert~s,
en particulier, la Charte du Quebec (qui pourrait etre integr~e partiellement
ou compl~tement dans la Constitution) peut traiter des memes sujets que
la Charte canadienne et meme accroitre la protection accord~e par celle-ci

la
Charte canadienne s’applique au Quebec, la Loi constitutionnelle de 1982
lui accorde la primaut6 en cas de conflit,5 1 a moins que la Charte du Quebec
ne soit plus g~nreuse (dans ce cas, celle-ci aurait pr~s~ance en ce qui concerne
le droit qu~b~cois).

elle le fait d’ailleurs i quelques reprises – mais, dans la mesure ofi

2. – Lois ordinaires 4 portge constitutionnelle

Outre les lois britanniques, il existe des lois fed6rales adopt~es en vertu
de comp~tences reconnues dans les lois constitutionnelles, comme la Loi
sur la citoyennet, 2 et la Loi sur la Cour supreme,53 qui, bien que ne faisant
partie ni de la Constitution formelle du Canada, ni de la Constitution du
Quebec, conditionnent n~anmoins l’exercice des pouvoirs et ne sauraient
etre modifi~es par une loi du Quebec. En revanche, de nombreuses lois du
Quebec, qualifi~es parfois d’< organiques >>, pourraient faire partie d’embl~e
d’une telle constitution, du moins pour l’essentiel, comme la Charte des
droits et libert~s de la personne,54 la Charte de la languefranCaise,55 la Loi
sur l’Executif,5 6 la Loi sur l’Assemble nationale,57 et la Loi Nlectorale.58
Outre ces lois, il s’en trouve de moins importantes qui pourraient n~anmoins
comporter quelques 6lments dignes de figurer dans une constitution 6crite;
l’inventaire dress6 par Luce Patenaude en relive un certain nombre.59

3. – Conventions constitutionnelles

De multiples conventions constitutionnelles d’origine britannique, ca-
nadienne ou qu~b~coise font partie de la Constitution non 6crite du Quebec.
Ces normes de conduite, dont certaines sont fort anciennes, entourent et

5OLoi concernant la Loi constitutionnelle de 1982, supra, note 48.
5tLoi constitutionnelle de 1982, supra, note 19, art. 52(1).
52Loi sur la citoyennett, S.C. 1974-75-76, c. 108.
53Loi sur la Cour supreme, S.R.C. 1970, c. S-19. Cependant, la Cour supreme fait ‘objet de
dispositions constitutionnelles sp~eifiques: Loi constitutionnelle de 1982, supra, note 19, art.
41(d) et 42(I)(d).

54Charte des droits et libert&s, supra, note 2.
55Charte de la languefranqaise, L.R.Q., c. C-11.
56Loi sur l’Excutif, L.R.Q., c. E-18.
57Loi sur l’Assemblte nationale, L.Q. 1982, c. 62, L.R.Q., c. A-23.1.
58Loi lectorale, L.R.Q., c. E-3.
59Voir Patenaude, supra, note 43.

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conditionnent ‘exercice du pouvoir ex6cutif en particulier ; comme ‘a 6crit
Jennings, elles fournissent << la chair qui habille les os secs de la loi ).60 Elles sont obligatoires pour leurs destinataires, le monarque et les hommes po- litiques; toutefois, les tribunaux, s'ils peuvent en constater 'existence, ne sont pas en mesure de les faire respecter par des sanctions l6gales.6 1 Elles s'imposent n~anmoins en s'appuyant sur les prdc~dents, la force du principe de 16gitimit6 et de la tradition d~mocratique qu'un auteur italien a appel6 de fagon si heureuse << les G6nies invisibles de la Cit6 >>.62 Telles sont, par
exemple, les r~gles voulant que la Reine (ou son reprdsentant, le lieutenant-
gouverneur) appelle A former le gouvernement le chef du parti majoritaire,
ou que celui-ci n’a le droit de demeurer en place que la mesure oil il a la
confiance de ‘Assembl~e nationale, ou encore que les ministres sont col-
lectivement et individuellement responsables devant l’Assembl~e de la ges-
tion des affaires de l’ttat ou de leur minist~re, selon le cas.

4. – Rgles coutumires

Les r~gles de common law, d’origine judiciaire, constituent 6galement
une source du droit public qu6b6cois, particuli6rement pour ce qui touche
les libert6s fondamentales 63 et ‘exercice de la pr6rogative royale. Leur << r6- ception > au Qu6bec remonte aux ann6es 1759 et 1760 en vertu du droit
international et du droit britannique en vigueur A l’6poque.64 Ajoutons que
l’origine de ces r~gles est souvent coutumi6re, certains usages imm6moriaux
et d’application ininterrompue 6tant devenus obligatoires et reconnus comme
tels par les tribunaux. Leur codification est th6oriquement possible, mais
elle exigerait sfirement des recherches approfondies, en vue de d6terminer
leur existence en tant que r6gles, A moins que l’on n’6tudie plut6t –
ou
concurremment –
la possibilit6 d’inclure dans la Constitution 6crite du
Qu6bec certains usages non obligatoires, tels ceux qui ont trait aux condi-
tions dans lesquelles un ministre doit d6missionner, ou au droit de parole
6tendu reconnu au chef de l’Opposition. II n’est pas sfir, cependant, qu’il
soit opportun de codifier les coutumes et usages constitutionnels, car ils
permettent, selon les termes de la Cour supreme, << d'assurer que le cadre 60< [...] the flesh which clothes the dry bones of the law. > Voir Jennings, supra, note 25 A

la p. 81 ; voir aussi aux pp. 83 et 85.

6’Dans l’affaire de la Loi relative di l’expedition des decisions provinciales d’ordre constitu-
tionnel(1981), [1981] I R.C.S. 753 Alap. 880, 125 D.L.R. (3d) 1, 39N.R. 1 [ci-apr~s:D cisions,
cit6 aux R.C.S.].

62G. Ferrero, Pouvoir: les genies invisibles de la Citk (1942).
63Voir par exemple la libert6 de parole: Switzman c. Elbling (1957), [1957] R.C.S. 285 a ]a

p. 306, 7 D.L.R. (2d) 337.

64Tremblay, supra, note I A ]a p. 18. Certains auteurs retiennent plutat ]a date de la Procla-
mation royale du 7 octobre 1763: Chevrette & Marx, supra, note 15 A ]a p. 7; Hogg, supra,
note 24 A la p. 296; mais voir Forest, supra, note 1 aux pp. 10-3.

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juridique de la Constitution fonctionnera selon les principes ou les valeurs
constitutionnelles dominantes de l’6poque >.65

5. – Arrits judiciaires

Enfin, les arrets de principe des tribunaux imp6riaux, fed6raux ou pro-
lois, conventions et cou-
vinciaux, interpr6tant le droit constitutionnel –
tumes – ou d6cidant de la conformit6 A ce droit des actes 16gislatifs, executifs
ou administratifs des deux niveaux de gouvernement, constituent une source
capitale du droit public qu6b6cois. Ces pr6c6dents judiciaires ne font, en
th6orie, qu’interpr6ter le droit, mais ils peuvent, dans les faits, en modifier
le sens ou en infl6chir la port6e. C’est l une matiere abondante, parfois
controvers6e, comme le fut et 1’est encore, au Canada anglais, la jurispru-
dence du Comit6 judiciaire du Conseil priv6 fix6e notamment sous l’6gide
de Lord Watson et de Lord Atkin, laquelle avait interpr6t6 les lois consti-
tutionnelles d’une maniere favorable a l’autonomie des provinces et A celle
du Qu6bec en particulier. Quelques points de rep6re bien connus suffiront
a illustrer ce propos et A marquer l’importance qu’il y aurait A appuyer la
Constitution ecrite et formelle sur une certain nombre de principes fon-
damentaux explicit6s au cours des ann6es par le pouvoir judiciaire.

L’arret Hodge c. The Queen (1883) 6tablit le principe que les pouvoirs
des provinces ne sont pas exerc6s par d66gation du Parlement imp6rial,
mais en vertu d’une autorit6 aussi compl6te et aussi 6tendue, dans les do-
maines de leur comp6tence, que celle que ce Parlement, dans la pl6nitude
de ses attributions, poss6dait et pouvait leur conferer.66 Le meme raison-
nement est pouss6 plus loin dans l’affaire Maritime Bank c. The Receiver
General of New Brunswick (1892), alors qu’il est clairement affirm6 par le
Conseil priv6 qu’une assembl6e 16gislative n’est pas subordonn6e au Par-
lement canadien, mais possede des pouvoirs << exclusifs et souverains > dans
la sphere de ses comp6tences; de m8me, le lieutenant-gouverneur, chef de
l’Ex6cutif provincial, repr6sente tout aussi bien le Roi pour les fins provin-
ciales que le gouverneur g6n6ral le repr6sente pour les fins fed6rales, ce qui
signifie que le pouvoir ex6cutif des provinces n’est en aucune fagon subor-
donn6 au gouvemement fed6ral et qu’il est aussi 6tendu que leur autonomie
16gislative.67 A d6faut de ces arrets, il n’est pas impossible que la conception
centralisatrice de fed6ralisme canadien se ffit donn6e libre cours et que le
Qu6bec n’exercerait- plus aujourd’hui que des comp6tences d66gu6es par le
pouvoir f:ed6ral; celui-ci feint d’ailleurs de les ignorer A l’occasion. De la

65Decisions, supra, note 61, A la p. 880.
66Hodgec. The Queen (1883), 9 A.C. 117 i lap. 132, 50 L.R. 301 (P.C.).
67Maritime Bank c. The Receiver General of New Brunswick (1892), [1892] A.C. 437 A la p.
443 (P.C.) [ci-apr~s: Maritime Bank]. Voir aussi Bonanza Creek Gold Mining Co. c. The King
(1916), [1916] 1 A.C. 566, [1916-17] All E.R. 977 (P.C.).

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m~me fagon, c’est le Conseil priv6 qui, dans l’affaire des Conventions sur
le Travail (1937), a empech
le gouvernement fed~ral de s’appuyer sur la
conclusion d’un trait6 pour autoriser le Parlement A s’immiscer dans les
comp~tences des provinces. 68 Avant que cet arr~t ne soit compl~tement
remis en question par la Cour supreme du Canada,69 il est lgitime de se
demander s’il ne serait pas utile que le Quebec rappelat le prix qu’il attache
A ce precedent judiciaire en lui faisant une place dans sa Constitution 6crite.
Tant s’en faut, d’ailleurs, que la jurisprudence soit toujours aussi favorable
au Quebec et ce ne sont Id que quelques exemples de l’importance de cette
source de droit, sans laquelle les r~gles issues des lois constitutionnelles ou
ordinaires, des conventions et des coutumes, ne seraient ni completes, ni
sfires.

La Constitution actuelle du Quebec comporte donc d6jA de multiples
normes d’origines diverses et ce n’est certes pas l’absence de r~gles qui
inviterait A l’adoption d’une Constitution formelle. Au contraire, dans le
cadre juridique qui est aujourd’hui celui du Quebec, la redaction d’une telle
Loi fondamentale, quelle que soit l’ampleur qu’on veuille lui donner, consis-
terait en partie dans la codification de r~gles existantes et leur mise en ordre,
ainsi que dans l’6tablissement d’une hi~rarchie entre les normes. On peut
se demander, cependant, s’il est opportun d’entreprendre une telle d6marche
et quelles parties de la Constitution existante gagneraient A 8tre o formali-
sees >> de la sorte ou compltes, au besoin, par de nouvelles r~gles.

HI. – Opportunit6 et contenu possible d’une constitution formelle

1. – Le principe de la suprimatie

Dans la plupart des pays, l’ide de constitution entendue au sens formel
est inseparable de la notion de supr~matie ou de sup6riorit6. La constitution,
6crit un auteur beige, est << la loi des lois >.7o Celles-ci et les actes des dd-
tenteurs du pouvoir doivent s’y conformer A peine de nullit6 ou, A tout le
moins, de non-application. Cette r~gle se retrouve explicitement ou impli-
citement dans presque toutes les constitutions modernes. L’V6nonc6 le plus
connu est sans doute celui des Etats-Unis, selon lequel la Constitution est
<< la loi supreme du pays >>.71 Pareille r~gle n’apparait pas dans les consti-
tutions des ttats membres de l’Union am6ricaine –
du moins de celles
que nous avons pu consulter – mais les tribunaux ont prononc6 A maintes

68A.G. Canada c. A.G. Ontario (1937), [1937] A.C. 326 (P.C.) [ci-apr s: Conventions sur le
69VoirMacDonaldc. Vapor Canada Ltd(1976), [1977] 2 R.C.S. 134,7 N.R. 477 et Schneider

Travail].

c. La Reine (1981), [1982] 2 R.C.S. 112, 43 N.R. 91.

70R. Wilkin, Dictionnaire du droit public (1963) A ]a p. 97.
71Constitution of the United States ofAmerica, dans Kettleborough, supra, note 30, art. 6.

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reprises que ces instruments sont fondamentaux et lient tous les organes de
l’ttat, 1gislatif, ex~cutif ou judiciaire. 72 Sans doute ne l’a-t-on mieux ex-
‘tat de New York A propos de
prim6 que dans l’arrgt d’un tribunal de
‘application de la Constitution de cet Etat:

Une constitution 6crite doit 8tre interpr6t6e comme la loi supreme du pays,
selon son esprit et r’intention de ses r~dacteurs, indiqu6s par ses termes. En ce
sens, elle est tout aussi obligatoire pour la l6gislature que pour les autres services
du gouvernement ou les citoyens individuels. 73

Si tel est le cas et si, comme l’6crit Jennings, l’existence d’une consti-
tution 6crite entraine une distinction fondamentale entre le droit consti-
tutionnel et le reste du droit, entre les normes contenues dans la Constitution
et les r~gles adopt~es en vertu de celle-ci, 74 il devient capital, en premier
lieu, d’affirmer clairement le principe de la supr~matie, de preference dans
la Constitution elle-m~me et, en second lieu, de choisir avec soin les normes
existantes qui << m~ritent >> en quelque sorte d’tre enchdss~es, ainsi que
celles qu’il convient d’y ajouter pour en faire un tout coh6rent.

On n’a gu~re l’habitude de ce principe dans les pays ofi le droit public
d6rive des institutions britanniques et de la common law, sauf dans la me-
sure oci le syst~me colonial et le fed6ralisme ont impos6 la hi~rarchie des
normes. Les Eats australiens ont chacun adopt6 leur Constitution Act, mais
i s’agissait de lois ordinaires, modifiables A la majorit6 simple, sauf IA oi
l’application de la legislation imp~riale imposait des limites A ce pouvoir
d’amendement. 75 Quant A la seule province canadienne qui se soit dot~e
nomm~ment d’un Constitution Act, la Colombie-Britannique, elle n’a pas
cru bon d’y inclure une disposition affirmant la sup6riorit6 de cette loi sur
les autres.76

Le Quebec a confer A sa Charte des droits et libertes une certaine
supfriorit, en ce sens qu’aucune loi n’y peut droger, A moins qu’elle n’nonce
express~ment que telle est l’intention du lgislateur.77 C’est IA une forme
mitige de preponderance qui pourrait etre retenue si le l~gislateur estimait

72Voir la jurisprudence, supra, note 34.
73Rathbone, supra, note 34 A la p. 484:

A written constitution must be interpreted as the paramount law of the land
according to its spirit and the intent of its framers, as indicated by its terms. In this
sense it is just as obligatory upon the legislature as upon other departments of the
government or upon individual citizens.

74Jennings, supra, note 25 aux pp. 63-4.
75R.D. Lumb, The Constitutions of the Australian States, 2e 6d. (1965) aux pp. 49, 106 et
108. Voir McCawley c. The King (1920), [1920] A.C. 691, 123 L.R. 177 (P.C.) [ci-apr6s:
McCawley, cit6 aux A.C.].

76Constitution Act, R.S.B.C. 1979, c. 62, telle que modifi6e par S.B.C. 1980, c. 35, art. 3.
77Charte des droits et liberts, supra, note 2.

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inopportun pour l’instant d’adopter dans une nouvelle constitution la su-
pr~matie int~grale. A l’heure actuelle, le seul exemple d’une telle affirmation
dans la 16gislation des provinces est celle qui se trouve A l’article 1(2) du
Human Rights Act de l’Ile-du-Prince-Edouard, aux termes duquel cette loi
< est r~put~e 1'emporter sur toutes les autres lois de cette province )).78 Si le principe en 6tait retenu, on pourrait s'inspirer de la redaction de cet article ou de celle qu'on peut trouver dans les constitutions de divers Etats fedfrts, comme celle du Land rh~no-palatin, selon laquelle toute personne a le droit de contester la constitutionnalit6 d'une loi ou d'un acte administratif, A l'occasion de toute procedure devant les tribunaux, tant ordinaires qu'administratifs. 79 2. - Concision ou prolixiti ? La diversit6 des constitutions d'Etats membres d6montre qu'il n'existe aucune r~gle quant i leur contenu. Jennings, qui a assist6 plus d'un consti- tuant, 6crit qu'elles peuvent contenir autant ou aussi peu qu'on l'estime souhaitable ; l'exp6rience lui avait d'ailleurs enseign6 que le choix des r~gles posait un v6ritable dilemme.80 Et tout d'abord, convient-il que l'instrument soit r&dig6 succinctement, a la frangaise (92 articles), 81 ou de fagon d~taill~e, comme en Inde (395 articles) ?82 Paradoxalement, il arrive qu'une consti- tution d'Etat soit beaucoup plus longue que celle de la Fd6ration dont il est membre: la Constitution de la Californie compte 75 000 mots contre 7 500 pour la Constitution des ttats-Unis !83 La prolixit6 n'est gure compatible avec la vocation 6ducative que l'on peut attendre d'une loi fondamentale. Le dernier article de la Constitution de l'ttat de Bavi~re pr6voit qu'avant la fin de leur scolarit6 obligatoire, ( (tous les &l~ves recevront un exemplaire de la pr~sente Constitution >;
comme il s’agit du dernier et 188e article, peut-etre les r~dacteurs n’ont-ils
pas fait preuve d’un grand sens p6dagogique.

78< [... ] deemed to prevail over all other laws of this province. >> Human Rights Act, S.P.E.I.

1975, c. 72, art. 1(2).

la France (1983) A la p. 277.

79Constitution de l’ttat de Rh~nanie-Palatinat, supra, note 30, art. 130 et 135.
8 0Jennings, supra, note 25 aux pp. 35 et 37.
8’Constitution du 4 octobre 1958, dans C. Debbasch & J.-M. Pontier, Les Constitutions de
82H.M. Seervai, Constitutional Law of India: A Critical Commentary, 3e 6d. (1983) a la
83W.H. Palmer & P.L. Selvin, > et il ajoutait qu’il imaginait volontiers le Quebec dot6 d’institu-
tions politiques diff-rentes de celles du Canada, meme s’il ne le croyait pas
opportun. 88 Au contraire, Ren6 LUvesque, bien que reconnaissant les mrites
du regime pr~sidentiel, n’6tait pas sans percevoir les difficult~s qu’il pouvait
soulever dans le contexte qu6becois et canadien de l’6poque:

[Le President,] qui est i la fois chef du gouvemement et chef d’ttat, […] a le
contr61e de ‘exfcutif. […] [E]st-ce conciliable avec un regime fedral tel que
celui dans lequel nous sommes ? […] [E]st-il concevable que le gouvernement
central ait un r6gime […] pendant qu’une partie aussi importante qu’un 6tat
ou une province […] a un regime institutionnel totalement difrerent? [… ]
[S]i le Qu6bec opte pour [ie regime pr~sidentiel], […] il y a un homme et son
groupe qui repr~sentent, comme personne d’autre, l’ensemble de la population
du Quebec […] en parallle avec un autre regime qui, lui, maintient le par-
lementarisme et dont la reprfsentativit6 est compltement diflfrente [..
.]. Vous
avez vraiment un symbolisme d’une force extraordinaire vis-A-vis d’une re-
pr~sentativit6 compl~tement diffuse.89

On pourrait ajouter que les Qu~b~cois pratiquent le regime parlementaire
depuis 1791, qu’ils 1ont depuis longtemps acdimat, et que ce n’est certes
pas IA l’aspect des syst~mes colonial ou frdral qui les a le plus desservis.
La r~alisation d’une telle r6forme serait facilitfe, de toute 6vidence, par
l’accession du Quebec A la souverainet6, mais, dans ce cas, l’opportunit6 du
passage au regime presidentiel ne saute pas davantage aux yeux, compte
tenu de tous les autres changements fondamentaux qui interviendraient
dans les comp~tences de l’Etat; de toute fagon, ce projet ne devrait pas
constituter une priorit6.

88Voir Commission dela Constitution, supra, note 6 A lap. 3038 ; voir galement aux pp. 3022,

3034, 3044 et 3046.

89Ibid. aux pp. 3037 et 3038.

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B. – Droits et libert6s

Les droits et libert6s des personnes sont << constitutionnalis~s >> dans
bon nombre d’tats membres de fed6rations : ils y jouissent A la fois de la
supr6matie et de la protection du mode d’amendement applicable A l’en-
semble de la constitution. La tradition en est venue de la philosophie hu-
manitaire du dix-huiti~me si~cle et la technique, tr~s t6t des ttats-Unis, oa
certains ttats avaient adopt6 des Bill of Rights avant meme l’adoption de
la Constitution fed6rale; elle a essaim6 en Europe A la faveur du Bill of
Rights de Virginie, qui inspira les r~dacteurs des Dclarations frangaises de
1789 et de 1793,90 celle-ci, A son tour, 6tant imit6e largement dans les d6-
veloppements constitutionnels modernes,91 avant que I’O.N.U. n’adopte ]a
Declaration universelle des droits de l’homme en 1948.

Ds avant la Premiere Guerre mondiale, le r6pertoire des droits et
libert~s 6tait devenu classique dans les Etats europ~ens. II fut 6tendu aux
droits sociaux, auxquels nous reviendrons, apr~s 1918. C’est A cette 6poque
qu’apparaissent dans les lois fondamentales des Ldnder allemands les cha-
pitres consacr~s aux droits et devoirs fondamentaux, qu’on retrouve au-
jourd’hui dans chaque constitution de Land.92 Celle de l’ttat libre de Bavi~re
en constitue un bon exemple : la dignit6 de la personne humaine et la libert6
individuelle sont inviolables et les limitations des droits fondamentaux ne
sont admises que si la morale, la sant6 et la s~curit6 l’exigent imp6rieuse-
ment; la Cour des litiges constitutionnels est tenue de declarer nulle toute
loi qui restreindrait l’un de ces droits a l’encontre de la Constitution. 93 On
s’est demand6 s’il 6tait vraiment utile que les ttats membres adoptent de
telles dispositions constitutionnelles puisqu’aussi bien les constitutions fe-
d6rales garantissent d6jA, pour la plupart, les droits et libert6s des citoyens.
Cependant, outre que les garanties offertes par les ttats fedfr6s sont parfois
ant6rieures aux dispositions fed6rales, ils ont choisi, notamment aux ttats-
Unis, de se donner leur propre charte des droits, les constituants estimant
sans doute qu’une protection suppl6mentaire au niveau de chaque ttat
n’6tait pas superflue. 94 A plus forte raison cet argument vaut-il dans le cas
du Quebec, qui, en tant que soci6t6 distincte, peut souhaiter prot6ger les
droits et libert~s en fonction des besoins ou des aspirations de cette soci6t6.

90Mirkine-Guetz6vitch, supra, note 30 A ]a p. 127.
91G. Vedel, <> du Parlement federal. 96 A la lumi6re des 6v~nements
de 1982, il est heureux que le Quebec ait eu sa propre Charte, d’ailleurs A
plusieurs 6gards plus complete que les dispositions fed~rales: lorsque le
Parlement britannique a adopt6, A la demande des autorit~s canadiennes et
en d~pit de la protestation du Quebec, la Loi constitutionnelle de 1982, celui-
ci a 6t6 A meme de substituer sa propre Charte A certaines garanties de la
Charte canadienne.97

Conviendrait-il d’inclure la Charte du Quebec dans une nouvelle cons-
titution ? Si l’on veut 6viter d’en 6tirer indfiment le texte, on pourrait n’y
retenir que les principes les plus fondamentaux, quitte A renvoyer pour le
reste A la Charte elle-meme. Cela permettrait, le cas 6ch6ant, de mieux
assurer la supr~matie et la protection des grands principes relatifs aux droits
et libert~s, tout en conferant plus de souplesse a leur application dans la
l6gislation. I1 y a IA des choix qui ne sauraient 6tre effectu~s sans qu’on ait
consult6 la population et la Commission des droits d6 la personne, laquelle
justement, est autoris6e par la loi A recevoir les demandes et suggestions
des citoyens au sujet de la loi et A. faire au gouvernement les recomman-
dations qu’elle estime appropries. 98

C. – Droits socio-6conomiques

Les droits socio-6conomiques sont apparus dans les lois fondamentales
europ~ennes apr~s la Premiere Guerre mondiale sous l’influence des idles
socialistes. Sur le plan id~ologique, leur origine est sans doute ant6rieure,
puisqu’on en trouve les premiers lineaments dans la D~claration frangaise
de 1793, laquelle affirmait que la socit6 doit la subsistance aux citoyens
<< soit en leur procurant du travail, soit en assurant les moyens d'exister A ceux qui sont hors d'6tat de travailler >09 I1 faut cependant attendre la
Dclaration de la R~publique fedre de Russie de 1918 et la Constitution
de Weimar de 1919 pour que l’ttat se reconnaisse des obligations formelles
envers ses ressortissants.100 Il arrive meme que les droits ant6rieurement
6tablis au profit de l’invividu doivent ceder le pas aux nouveaux droits, au

95Charte des droits et liberts, supra, note 2.
96Dclaration canadienne des droits, S.R.C. 1970, app. III, art. 5(3) [ci-apr~s: Dclaration].
97Loi concernant la Loi constitutionnelle de 1982, supra, note 48.
98Charte des droits et libertes, supra, note 2, art. 67.
99Constitution du 24juin 1793 dans M. Torelli & R. Baudouin, Les droits de l’homme et les

liberts publiques par les textes (1972) A la p. 13, art. 21.

10OMirkine-Guetz6vitch, supra, note 30 A la p. 127.

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nom de l’intfrtt social. Les constitutions des Lander, par exemple, A c6t6
des droits et libert6s classiques, vont inclure des chapitres sur l’organisation
6conomique, destin~e A 6lever progressivement le niveau de vie de toutes
les couches de la soci6t6, la propri6t6 (consid6r~e d~sormais dans sa fonction
sociale), la protection des terres agricoles, la r6mun6ration du travail, la
protection de la sant6 des travailleurs, voire leur participation A la gestion
des entreprises, la protection de la famille et le droit i l’instruction.101

L’Am6rique de Nord est demeur~e en marge de ce mouvement, du
moins au niveau des lois fondamentales. La Constitution des Etats-Unis et
ses amendements n’en portent pas la trace et les constitutions des ttats
membres ne s’y attardent que rarement, comme dans le cas du quatre-vingt
dix-septi~me amendement A la Constitution du Massachusetts, qui proclame
le droit du peuple A la propret6 de 1’air et de l’eau, aux qualit6s naturelles,
historiques et esth6tiques de leur environnement et i la protection contre
les bruits excessifs.’0 2 Quelques constitutions comportent des dispositions
sur l’instruction publique, l’aide sociale et l’habitation. 10 3 En revanche un
amendement A la Constitution de la Californie, adopt6 par r6f’erendum en
1948 et destin6 a augmenter les prestations sociales vers~es aux personnes
fgees et aux aveugles, ainsi qu’A abaisser l’Age requis pour y 8tre 6ligible, a
6t6 ray6 d~s l’ann~e suivante, 6galement par r~ferendum.10 4 Au Canada, la
D&laration de 1960 et la Loi constitutionnelle de 1982 n’en parlent gu~re,
sauf en ce qui concerne la libert6 d’6tablissement, qui peut sans doute etre
consid6r~e comme un droit 6conomique, ainsi que les engagements tr~s
g~n~raux pris au sujet des paiements de p~r~quation, propres A r~duire les
in~galit6s r~gionales. 105 Pierre Elliott Trudeau 6crivait en 1961 que l’id~e
lib6rale de la propri~t6 avait favoris6 l’6mancipation de la bourgeoisie, mais
qu’elle entravait d6sormais la marche vers la d6mocratie 6conomique; il
fallait donc 61argir les droits de l’homme jusqu’A leur plein d6veloppement,
non seulement en ins6rant les dispositions n~cessaires dans un Bill ofRights,
mais en travaillant A changer les mentalit6s. 10 6 Depuis lors, ces idles n’ont
pu s’61everjusqu’au niveau constitutionnel et les modifications des dernires
ann~es s’en sont tenues aux droits et libert6s classiques, A la mani~re du
dix-huiti~me si~cle.

”Constitution de l’ttat libre de Bavi~re, supra, note 30, art. 124-74; Constitution de l’ttat
102Constitution of Massachusetts, supra, note 31. Cet amendement est de 1972 et remplace

de Rh~nanie-Palatinat, supra, note 30, art. 1-73.

le 49c amendement de 1918 lequel pr6voyait d6jA la conservation des richesses naturelles.

103Constitution of New York; supra, note 31, art. 11, 17 et 18.
104Constitution of California, supra, note 31, art. 25 (1948), tel qu’abrog6 par art. 27 (1949)

dans West’s Annotated California Codes, vol. 3., ibid. aux pp. 495 et 507.

05Loi constitutionnelle de 1982, supra, note 19, art. 6 et 36.
106P.E. Trudeau, <( Economic Rights>> (1962) 8 McGill L.J. 121 A la p. 125.

1985] POUR UNE NOUVELLE CONSTITUTION DU QUtBEC

199

Dans les provinces canadiennes, les droits 6conomiques et sociaux sont
d6finis par les lois ordinaires et ne font Lobjet d’aucun expos6 syst6matique.
Seul le Quebec a tent6, bien modestement, de regrouper certains droits
sociaux au chapitre IV de sa Charte des droits et libert~s: protection de
l’enfance et de la famille, instruction gratuite, vie culturelle des minorit6s,
assistance financi~re aux personnes dans le besoin, conditions de travail
justes, protection des personnes Ag~es ou infirmes.107 Toutefois, ces dis-
positions ne sont pas incluses parmi celles auxquelles L’article 52 de la Charte
des droits et libert~s reconnait une certaine sup6riorit6 ; cette partie relive
donc de la legislation ordinaire, encore que l’article 49 reconnaisse A toute
personne atteinte dans ses droits – y compris ses droits socio-6conomiques
la possibilit6 d’obtenir la cessation et la r6paration du pr6judice qui en

r~sulte.

La nouvelle Constitution du Qu6bec devrait A coup sfir faire une place
plus honorable aux droits socio-6conomiques. C’est A ce chapitre que la
fonction normative des constitutions serait la plus utile, A notre avis. Les
probl~mes de ’emploi et de la s6curit6 sociale, en particulier, devraient faire
l’objet d’obligations de comportement plus pr~cises de la part de l’Etat. Si
l’inspiration venait A manquer, les Conventions adopt6es dans le cadre de
l’Organisation Internationale du Travail, le Pacte international relatif aux
droits 6conomiques, sociaux et culturels de 1966, la Charte sociale euro-
ptenne de 1961, les accords europ~ens concernant les regimes sociaux de
1953, le Code europ~en de stcurit, sociale de 1964 ou la Charte internatio-
nale amricaine des garanties sociales de 1948,108 fourniraient une ample
moisson d’id~es, qu’il faudrait naturellement adapter en fonction des be-
soins et aspirations des Qu6b~cois. En raison des obligations internationales
qu’ils imposent, ces instruments jouent, en quelque sorte, un r6le consti-
tutionnel par rapport A la 16gislation interne des parties signataires.

IL est A pr6voir que le fait social retiendra prioritairement l’attention
des 16gislateurs des pays occidentaux au cours des d~cennies A venir. Ce
sera sfirement le cas au Qu6bec, ofi la 16gislation ordinaire traite d6jA par-
tiellement des probl~mes du travail et de la vie sociale. Le moment n’est-
il pas venu de mettre au point les principes fondamentaux devant guider
l’action socio-6conomique du lgislateur, lesquels seraient d6sormais inscrits
dans la Constitution, A c6t6 des droits et libert~s formulas A la fin du dix-
huiti~me sicle ? La Constitution du Quebec se pr~senterait alors comme
un v6ritable projet de soci6t6, programme d’avenir A r6aliser en tant que
soci6t6 distincte dot6e de ses propres valeurs sociales, 6conomiques, cultu-
relies et politiques.

’07Charte des droits et liberts, supra, note 2, art. 39-48.
’08Tous ces textes sont r6unis dans l’ouvrage de Torelli & Baudouin, supra, note 99 aux

pp. 221, 231, 306, 313, 318 et 326.

REVUE DE DROIT DE McGILL

[Vol. 30

Faut-il, pour atteindre ce but ou par souci de coh6rence, revendiquer
des comptences que la Constitution de la Federation attribue au Parlement
fed6ral ? Le Qu6bec a d6clar6 A diverses reprises depuis 1960 qu’il lui pa-
raissait n6cessaire de rapatrier l’ensemble des pouvoirs dans certains do-
te atteint
maines, comme la s6curit6 sociale. Cet objectif n’a pas encore
quoique le Qu6bec, contrairement aux autres provinces, ait quelque peu
61argi sa sph6re de competence par l’6tablissement du r6gime des rentes et
des allocations familiales. Le fait de mentionner dans sa Constitution des
objectifs socio-6conomiques nouveaux, voire meme des competences qui
ne lui sont pas d6volues – ou pas encore –
ne saurait nuire A ses reven-
dications, encore qu’il n’en faille pas attendre, ex proprio vigore, la modi-
fication de la Constitution canadienne. En revanche, il nous paraitrait peu
indiqu6 de r6p6ter dans une constitution formelle du Qu6bec la liste des
competences contenue dans la Loi constitutionnelle de 1867. I1 convient
plut6t de fonder la Constitution sur le principe que le Qu6bec, en tant que
soci6t6 distincte, exerce toutes les comp6tences que les circonstances n’ont
pas d6volues aux organes fed6raux.

D. – Droits collectifs

Les droits collectifs font d6ja l’objet au Qu6bec de dispositions 16gis-
latives ordinaires, tant en ce qui concerne les droits de la majorit6 qu’A
l’6gard des droits minoritaires. La Charte de la languefranCaise notamment
6nonce de nombreux droits li6s A la langue. II y a lieu 6galement de traiter
des droits des Am6rindiens et des Inuits, ainsi que de ceux des communaut6s
culturelles.

Les droits de la minorit6 anglophone du Qu6bec, particulierement pour
tout ce qui touche la comparution devant le tribunaux, les d6bats de ‘As-
sembl6e nationale, l’6cole, les institutions sociales et les services publics
devraient faire l’objet de garanties constitutionnelles conformes A la Charte
de la languefranqaise. Le droit des citoyens anglophones de recourir A leur
langue devant les tribunaux et devant les autorit6s administratives, dans
leurs propres affaires, et de recevoir leur courrier officiel r6dig6 dans cette
langue pourrait figurer dans la Loi fondamentale, comme c’est le cas, par
exemple, dans la Constitution finlandaise de 1919, en faveur de la minorit6
su6doise.’0 9 De meme, le droit de s’exprimer en anglais dans les d6bats de
la Chambre, qui n’a pas 6t6 restreint par la Charte de la languefranqaise,
pourrait etre inscrit dans la Constitution.1 0

09Mirkine-Guetz6vitch, supra, note 30 A ]a p. 398, art. 14.
‘IlOCe droit est consacr8 par l’article 133 de ]a Loi constitutionnelle de 1867, supra, note 19,

et rien ne s’oppose A sa protection par la Constitution du Qu6bec.

1985] POUR UNE NOUVELLE CONSTITUTION DU QUEBEC

201

Tous ces droits doivent faire l’objet de consultations aupr~s des prin-
cipaux int~ress~s et de discussions publiques, selon une d~marche que nous
tenterons de d~crire en conclusion. C’est ainsi que le droit A l’6ducation en
anglais, pour tous les enfants dont les parents ont requ l’enseignement dans
cette langue au Quebec, pourrait 6tre ench.ss6 sans restriction quant au
nombre d’enfants requis, comme c’est dja la r~gle.’ De m~me pourrait
8tre consacr6 le droit A ‘administration scolaire autonome, 1A ofi le nombre
d’6l6ves le justifie ; la m~me r~gle s’appliquerait aux autres institutions pu-
bliques, comme les h6pitaux. Cependant, le lgislateur constituant pourrait
estimer opportun, tout en continuant de reconnaitre ces droits dans les lois
ordinaires, de ne les consacrer dans la Constitution qu’apr6s l’obtention
d’un traitement 6quivalent par les minorit6s francophones vivant A 1’ext&-
rieur du Quebec, du moins en ce qui concerne l’acc~s A l’6cole pour tous et
l’administration scolaire.

Des groupes autochtones du Quebec ont eu l’occasion d’interroger le
gouvernement au sujet de leurs droits collectifs. 12 Celui-ci a r6pondu, par
la voix du Premier ministre, qu’il reconnait aux peuples aborigines le ca-
ract~re de nations distinctes ayant droit A leur culture, A leur langue, A leurs
coutumes et traditions ainsi que la facult6 d’orienter elles-m~mes le d6ve-
loppement de leur identit6 propre. Dans le cadre des lois qu~b~coises, il
leur reconnait 6galement le droit de posseder et contr6ler elles-m6mes les
terres qui leur sont attribu~es.11 3 D’ofi d~coulent des droits 6tendus sur des
territoires dont elles ont ou auront convenu avec le gouvernement, le Quebec
6tant dispos6 A c6der le droit d’en exploiter les ressources renouvelables et
non renouvelables et i reconnaitre que les nations autochtones puissent s’y
gouverner et se donner, dans le cadre d’ententes i intervenir, les institutions
qui correspondent A leurs besoins en mati&re de culture, de langue, d’6du-
cation, de sant6, de services sociaux et de dveloppement 6conomique. S’il
lgifere dans des domaines qui touchent aux droits fondamentaux reconnus
par lui aux nations autochtones, le Quebec s’engage, en outre, i les consulter
par le moyen de m~canismes A d&erminer avec elles, lesquels pourraient
&re institutionnalis6s.

IICette r~gle, plus g~nreuse que celle de la Charte canadienne, supra, note 20, art. 23(3),
laquelle n’accorde de droits que < IA ofa le nombre lejustifie >, r~sulte de l’application conjugu~e
de laLoisurl’instructionpublique, L.R.Q., c. 1-14, art. 256 (obligation de fr6quentation scolaire)
et des r~gles budg~taires. A notre avis, le droit A l’ducation en anglais devrait 8tre garanti
dans la Constitution du Quebec.
” 2Lettre du Chef B. Diamond au Premier ministre, R. LUvesque (30 novembre 1982). Les
t6 rendues publiques: Winnipeg,
revendications autochtones et les r~ponses du Quebec ont
Runion fed6rale-provinciale de fonctionnaires sur les questions constitutionnelles int6ressant
les autochtones: demandes des autochtones et r6ponses du Qu6bec (18 novembre 1983) 840-
286/003.
113Qu~bec, La Convention de la Baie James et du Nord quebecois (1976) aux ch. 4, 9, 1 lA,
12 et 13. On trouvera A Ta page 5 une carte montrant la repartition des terres selon ]a Convention.

McGILL LAW JOURNAL

[Vol. 30

Au cours des seances de la Commission parlementaire de la presidence
du Conseil et de la Constitution consacrees aux droits des autochtones en
t6 reprises par le Premier ministre
novembre 1983, ces propositions ont
et le ministre des Affaires intergouvernementales devant les interesses. Le
gouvernement a offert d’accorder une protection plus 6tendue A leurs droits
et aux conventions conclues en vue de les mieux assurer. 4 Dans la pers-
pective de l’adoption d’une nouvelle constitution quebecoise, il conviendrait
en effet, si les autochtones donnaient leur assentiment, d’y inserer les prin-
cipes essentiels de leur autonomie, ainsi que les mecanismes de consultation,
de fagon A les garantir pour l’avenir.

E. – Application du droit international

L’intensification des rapports du Quebec avec le monde ext6rieur sou-
leve depuis quelques annees la question de l’application des regles du droit
international dans les domaines qui relevent de sa comptence, tant A l’6gard
du droit coutumier qu’en ce qui concerne les accords internationaux. C’est
ainsi, par exemple, que la presence sur son territoire de nombreux consulats
et du siege de
‘Organisation de l’aviation civile internationale, ainsi que
l’installation d’ambassades, ont amene le gouvernement A prendre en consi-
deration les regles coutumieres relatives aux immunits, tandis que le nombre
croissant de traites destines A s’appliquer aux personnes l’a rendu sensible
au fait que le droit international porte de plus en plus sur des questions qui
relevent de sa compttence legislative.

Les solutions retenues pour regler les problemes qui ne manquent pas
de surgir dans les federations au sujet de l’application de la coutume et de
l’execution des traites varient considerablement de l’une A l’autre.1″ 5 Cer-
tamines solutions tendent a centraliser toutes les competences entre les mains
des organes centraux, des lors qu’un pays etranger ou une organisation
internationale est en cause; d’autres, au contraire, de tendance d6centrali-
satrice, reconnaissent aux Itats membres une certaine capacite lorsque leurs
competences sont en jeu.116 Le Quebec, quant A lui, s’est r6solument inspire,

1 14Quebec, Assemble nationale, Commission permanente de la pr~sidence du Conseil et de
la Constitution, <(Audition de personnes et d'organismes autochtones sur les droits et les besoins fondamentaux des Am&indiens et des Inuits >, dans Journal des debats: Commissions
parlementaires, no 166 (22 novembre 1983) aux pp. B-9226-29 et no 168 (24 novembre 1983)
aux pp. B-9449-50.
“15F. Rigaldies & J. Woehrling, ((Le juge interne canadien et le droit international > (1980)

21 C. de D. 293.

116. Weiser, <(La conclusion d'accords intemationaux par les Etats fedfr s allemands, suisses, et autrichiens >) dans J. Brossard, A. Patry &
. Weiser, 6d., Les pouvoirs exterieurs du Quebec
(1967) 101. A. Patry, La capacit internationale des Etats: l’exercice du jus tractatuum (1983);
J.-Y. Morin, <(La conclusion d'accords internationaux par les provinces canadiennes A ]a lu- mitre du droit compar6 >> (1965) 3 A.C.D.I. 127.

1985] POUR UNE NOUVELLE CONSTITUTION DU QUEBEC

203

depuis une vingtaine d’ann~es, dans le domaine des rapports avec l’6tranger
comme dans la sphere de ses compdtences internes, de la conception d&.
centralisatrice. 11 a soutenu officiellement depuis le discours prononc6 en
1965 par Paul G&in-Lajoie devant le Corps consulaire de Montreal, que
l’ltat competent pour la mise en oeuvre lgislative des trait~s doit 6galement
l’etre pour leur conclusion, dans les domaines qui relvent de sa comp&
tence.’ 17 Tous les gouvernements qui se sont succ~d6 a Qu6bec ont maintenu
cette attitude” 1 8 en s’appuyant sur les avis du Conseil priv6 dans les affaires
de la Maritime Bank 19 et des Conventions sur le Travail,120 d6jA mention-
n~es. Cela n’a pas manqu6 de susciter des reserves de la part du gouver-
nement federal, lequel, oubliant sans doute les moyens auxquels il a lui-
meme eu recours pour affirmer sa personnalit6 juridique par rapport A l’Em-
pire britannique, a soutenu la these de l’indivisibilit6 de la personnalit6
internationale de la Fdration. 121

Quoi qu’il en soit de cette controverse, l’activit6 internationale du Qu&.
bec n’a cess6 de s’6tendre. Le nombre des d~l6gations et bureaux 6tablis A
l’&ranger atteindra bient6t la trentaine 122 et les ententes internationales
d~passent la centaine, dont le quart environ conclues avec la France, et les
autres avec plus de trente Etats souverains et quelque quinze Etats auto-
nomes. 123 Le 16gislateur a dfi, d~s 1974, en assurer la coordination en con-
fiant au ministre des Affaires intergouvernementales, remplace, en mars
1984, par le ministre des Relations internationales, la responsabilit6 de la

117P. Gftin-Lajoie, La personnalit6 internationale du Quebec >, Le Devoir [de Montreal]

(14 et 15 mars 1965) 5.

” 8Qu~bec, Assembl~e lgislative, M~moire sur la question constitutionnelle, Conference
intergouvernementale canadienne, dans < Documents officiels du gouvernement du Quebec, lus ou dapos~s a l'Assemble 16gislative par l'honorable Premier ministre , Debats de l'Assem- be legislative du Quebec, no 22-A (28 mars 1968) A la p. 41. Voir 6galement, supra, note 22 A la p. 61 ; et l'expos6 du ministre des Affaires intergouvernementales du Quebec devant ]a Socit6 qu6b~coise de droit international (28 mars 1983) [non publi6]. "19Supra, note 67. '20Supra, note 68. '21Ottawa, Department of External Affairs, Press release no. 25 (Hon. P. Martin) (23 avril 1965), reproduit dans A.E. Gottlieb, < Canadian Practice in International Law During 1965 as Reflected Mainly in Public Correspondence and Statements of the Department of External Affairs (1966) 4 A.C.D.I. 260 aux pp. 265-6; Ottawa, Fedgralisme et relations internationales, Livre blanc (Hon. P. Martin) (1968). La r~cente allocution du nouveau Premier ministre federal, B. Mulroney, devant le Premier ministre frangais, L. Fabius, le 7 novembre 1984, marque un changement de ton, mais ne donne gu~re d'indication quant A Ia solution retenue en vue de r6soudre les problmes concrets. Voir B. Desc6teaux, Devant Fabius, Mulroney d6clare la fin de la guerre des drapeaux entre Ottawa, Paris et Qu6bec ,>, Le Devoir [de Montrealj (8
novembre 1984) 1.
’22Qu~bec, Minist~re des Affaires intergouvernementales, Rapport annuel 1982-83 aux pp. 16,
20-2, 28, 33 et 49. En 1984 ont W ouverts de nouveaux bureaux A Hong Kong, Singapour,
Stockholm et Bogota.
123Ministre des Communications, Recueil des ententes internationales du Quebec (1984).

REVUE DE DROIT DE McGILL

[Vol. 30

conclusion des ententes, de la representation du Quebec d l’extrieur et,
d’une maniere generale, de l’61laboration de sa politique exterieure, de la
defense des competences du Quebec et de la concertation avec le gouver-
nement federal en matiere de cooperation internationale.124 I1 serait donc
opportun, si le Quebec s’engage dans une demarche constitutionnelle, qu’il
precise dans sa Loi fondamentale la place qu’il reserve au droit international
general et aux traites par rapport A son droit interne.

II existe, i notre avis, une distinction de consequence entre les regles
generales (d’origine coutumiere), dont la primaute devrait etre assur6e au-
tomatiquement en droit interne quebecois, et les regles etablies par trait6,
lesquelles ne sauraient 6tre appliquees au Quebec, dans la sphere de ses
competences, sans son consentement expres.

Certes, en ce qui concerne les regles generales du droit international,,
les tribunaux canadiens les appliquent en se fondant sur l’arret du Conseil
prive dans Chung Chi Cheung c. The King, 25 mais seulement dans la mesure
ofi elles ne sont pas contraires au droit interne, d’origine coutumiere ou
statutaire. 126 Le juge choisit l’interpretation de la loi interne la plus compa-
tible avec le droit international, mais il ne va pas A 1’encontre d’une r gle
interne clairement contraire puisque, selon l’opinion exprimee par Lord
Atkin dans l’arret susmentionn6, le droit international n’a de validite que
dans la mesure ofi ses principes sont acceptes et adopt6s dans le droit interne.
Selon la jurisprudence127 et la doctrine 128 cette regle vaut pour le droit
interne quebecois comme pour le droit federal, meme si un ou deux juristes
soutiennent que les provinces ne sauraient legiferer A l’encontre du droit
international. 29 Dans l’affaire des Ambassades, la Cour supreme, apres avoir
pris soin de preciser qu’il n’etait pas besoin d’examiner les competences
respectives de la Federation et de l’Ontario pour trancher la question sou-
mise, n’en examina pas moins attentivement le droit interne de l’Ontario
avant de conclure qu’il etait compatible avec les immunites reconnues aux

124Loi sur le ministre des Affaires intergouvernementales, L.R.Q., c. M-21, art. 10, 13, 16,
23 et 35. Voir aussi Ie d6cret 517-84, 5 mars 1984, G.O.Q. 1984. I. 1443 et la Loi sur l’excutif,
L.R.Q., c. E-18, art. 9. En d6cembre 1984, le minist~re des Affaires intergouvemementales a
t6 remplac6, en ce qui conceme les relations avec les pays 6trangers, par le minist~re des
Relations internationales: Loi modifiant diverses dispositions l~gislatives, L.Q. 1984, c. 47, art.
58 et s.

125(1938), [1939] A.C. 160, [1938] 4 All E.R. 786 (P.C.) [ci-apr~s: Chung, cit6 aux A.C.].
161n re the Powers ofthe Corporation of the City of Ottawa and the Corporation ofthe Village
of Rockcliffe Park to Levy Rates on Foreign Legations and High Commissioner’s Residences
(1942), [1943] R.C.S. 208, [1943] 2 D.L.R. 181 [ci-apr~s: Foreign Legations, cit6 aux R.C.S.].
Voir aussi Rigaldies & Woehrling, supra, note 115 A la p. 304.

127Chung, supra, note 125 aux pp. 167-8.
128Rigaldies & Woehrling, supra, note 115 A ]a p. 311.
129G.V. LaForest, <(May the Provinces Legislate in Violation of International Law ?)> (1961)

39 Can. Bar Rev. 78.

1985] POUR UNE NOUVELLE CONSTITUTION DU QUE-BEC

205

legations etrangeres par le droit international.1 30 Dans la mesure of elle
permet d’ecarter le droit international coutumier au profit du droit interne
– qu’il s’agisse du droit federal ou du droit des provinces –
cette d6marche
des tribunaux canadiens paralt r6trograde. Aussi Francis Rigaldies et Jos6
Woehrling13′ ont-ils propose d’adopter plut6t la solution de la Constitution
de la Republique federale allemande, selon laquelle les r6gles generales du
droit international font partie integrante du droit allemand.1 32 Le Quebec
s’inspirerait heureusement de cette solution dans sa propre Constitution.
Son autonomie n’en serait pas davantage restreinte par le droit international
que ne l’est la souverainete des Etats.

La solution serait toute dilferente dans le cas des ententes et traites. La
loi quebecoise prevoit d6jA qu’il appartient au gouvernement d’approuver
les ententes ou de se declarer li par les traites ou accords internationaux
conclus par lui-meme ou par le gouvernement federal, lorsque ceux-ci tou-
chent des domaines ressortissant i la comp6tence constitutionnelle du Qu6-
bec. 133 Cette rgle est dictee par le bon sens puisque les accords internationaux,
A la difference de la coutume, ne lient que les parties contractantes ; en
outre, elle d6coule tout naturellement de l’arret du Conseil priv6 dans l’af-
faire des Conventions sur le Travail 134 On pourrait en << constitutionnaliser >>
le principe, en meme temps que celui qui exige l’intervention de l’organe
16gislatif chaque fois que le trait6 a pour effet de modifier le droit interne.
Ce dernier principe est, en effet, plus conforme au r6gime parlementaire
qu6b6cois que ne pourrait l’8tre la r6gle selon laquelle tout accord l’emporte
ipso facto sur la 16gislation.

Les dispositions relatives d l’application du droit international au Qu6-
bec seraient donc inspir6es des conclusions suivantes : 1 * les regles du droit
international g6n6ral font partie int6grante du droit qu6b6cois ; 2* seul l’Etat
qu6b6cois peut conclure une entente ou se d6clarer li6 par un trait6 qui
touche un domaine relevant de sa comp6tence; 30 seule l’Assembl6e natio-
nale a la competence voulue aux fins de mettre en oeuvre une entente ou
un trait6 dont l’effet est de modifier le droit interne du Qu6bec.

4. – Rfgles dinterpritation

L’616vation au rang constitutionnel de lois ordinaires (ou de certaines
dispositions tir6es de ces lois) commande g6n6ralement des r6gles d’inter-
pr6tation plus souples, plus larges, plus << 6volutives >>. Certes, le B.N.A. Act

130Foreign Legations, supra, note 126 a la p. 231.
131Supra, note 115 A lap. 312.
132Mirkine-Guetz6vitch, supra, note 30 A ]a p. 174, art. 25.
133Loi sur le ministbre des Affaires intergouvernementales, L.R.Q., c. M-21, art. 15(1) et 17.
134Supra, note 68.

McGILL LAW JOURNAL

[Vol. 30

n’a pas toujours 6t6 interpret6 de cette fagon, mais cela tenait sans doute
au fait que le style de cette loi britannique l’apparentait plut6t aux < statuts >
soumis i une interpr~tation restrictive ; de surcroit, les dispositions sur la
repartition des comp~tences entre les deux niveaux de gouvernement, source
permanente de conflits, se pr~taient i une interpretation litt~rale et (fixa-
tive > .135 Ce n’est d’ailleurs pas sans apprehension que les tenants de l’au-
tonomie du Quebec voient la Cour supreme du Canada, organisme ftd~ral,
adopter des r~gles plus souples, qui semblent avantager le plus souvent le
pouvoir fed~ral.136

En revanche, le Quebec n’6tant pas une f-deration, il n’est pas n~cessaire
que les r~gles d’interpr~tation de sa nouvelle Constitution s’inspirent de
modes d’interpretation stricts ou rigides. Paradoxalement, on pourrait s’ins-
pirer de la Cour supreme ied~rale qui, dans une affaire int~ressant la Charte
canadienne, a d~cid6 rcemment qu’une disposition constitutionnelle de
cette sorte appelle une interpretation tout A fait difTerente de celle d’une loi:

Une loi d6finit des droits et des obligations actuels. Elle peut 8tre facilement
adoptfe et facilement abrog~e. [..
] Par contre, une constitution est r6dig6e en
prevision de l’avenir. Elle vise A fournir un cadre permanent A 1’exercice 16-
gitime de l’autoritE gouvernmentale et, lorsqu’on y joint une Declaration ou
une Charte des droits, i la protection constante des droits et libert6s individuels.
Une fois adoptfes, ses dispositions ne peuvent pas 8tre facilement abrog6es ou
modifies. Elle doit par consfquent 8tre susceptible d’6voluer avec le temps de
mani6re A r6pondre A de nouvelles r6alit6s sociales, politiques et historiques
que souvent ses auteurs n’ont pas envisag6es. Les tribunaux sont les gardiens
de la constitution et ils doivent tenir compte de ces facteurs lorsqu’ils inter-
pr~tent ses dispositions. 37

I1 serait souhaitable que la Constitution du Quebec tift interpr6t~e selon
des crit~res de cet ordre. Si l’on voulait cependant s’en assurer, la meilleure
fagon ne serait-elle pas d’inclure dans la Constitution meme les r~gles d’in-
terpr~tation qui lui seraient applicables ? On pourrait A cette fin s’inspirer
de l’actuelle Loi d’interprbtation, selon laquelle toute loi doit recevoir une
interpretation large, qui assure raccomplissement de son objet et l’ex~cution
de ses prescriptions <( suivant leurs v~ritables sens, esprit et fin >>. 138

135J. Beetz, ((Les attitudes changeantes du Qu6bec A 1’endroit de la Constitution de 1867 )
dans P.-A. Cr6peau & C.B. Macpherson, 6d., L’avenir dufederalisme canadien (1965) 113 aux
pp. 115-7.
136Voir J. Brossard, La Cour supreme et la Constitution : leforum constitutionnel au Canada
(1968) aux pp. 165, 172, 183 et 204; A. Tremblay, (Les techniques d’interpr6tation des cons-
titutions)> dans 5e Colloque international de droit compare (1968) 40 A la p. 64.

137Hunterc. Southam Inc. (1984), [1984] 2 R.C.S. 145 6 lap. 155, 11 D.L.R. (4th) 641.
138Loi d’interpretation, L.R.Q., c. 1-16, art. 41(2).

1985] POUR UNE NOUVELLE CONSTITUTION DU QUtBEC

207

IV. – Protection de la nouvelle Constitution

1. – Flexibilitg et rigiditi

Si la Constitution du Quebec doit b6n~ficier d’une interpretation souple,
propre A suivre l’6volution sociale, doit-elle pour autant 8tre facile A mo-
difier, voire &re trait~e comme la lgislation ordinaire ? A nos yeux, il n’est
pas douteux que les r~gles d’interpretation et le mode d’amendement sont
des questions distinctes: la souplesse dans les premieres ne s’impose pas
n~cessairement dans le second.

On peut souhaiter que la nouvelle Constitution soit adaptable aux cir-
constances, dans les limites impos~es par le sens des mots et ‘esprit du
texte, sans pour autant allerjusqu’A permettre aux tribunaux de se substituer
aux constituants ; il y a la une question de degr6. En revanche, il peut paraltre
n~cessaire ou opportun de prot6ger soit l’ensemble du texte, soit certaines
parties jug~es particuli~rement importantes, contre des changements irr&
fl~chis proposes au gr6 des majorit~s du moment ou des modes passag~res.
D’autre part, la flexibilit6 dans l’interpr~tation ne va pas normalement jus-
qu’a modifier le regime politique et les institutions elles-m~mes, bien qu’il
puisse devenir n~cessaire d’y proc6der ; mais les changements fondamentaux
ne doivent pas 6tre trop accessibles, sous peine d’instabilit des institutions.
II y a dans les constitutions des principes qui expriment la continuit6 des
soci~t~s, mais chacune veut 6galement assurer, A des degr~s divers, l’adap-
tation aux circonstances mouvantes auxquelles elle est constamment ex-
posse. I1 est sans doute in~vitable, comme on le constate dans maints pays,
qu’il y ait du bois mort dans la constitution, mais la stabilit6 m~me de l’Etat
exige A la fois qu’il ne s’en accumule pas trop et qu’on ne le brile pas trop
rapidement. Ces risques sont probablement plus grands si la loi fondamen-
tale est d~taille et cherche A enchfsser des r~gles qui rel~vent normalement
de la 16gislation ordinaire ; plus une constitution est prolixe, plus elle devrait
etre facile i modifier.

En d’autres termes, il y a un quilibre i rechercher entre la stabilit6
constitutionnelle et << l'adaptabilit6 >> des normes fondamentales. Cet 6qui-
libre ne saurait atre d6termin dans l’abstrait et le mode d’amendement ne
devrait pas 8tre 6tabli d~finitivement avant que le contenu de la Constitution
n’ait W d~fini au moins grosso modo.

Puisqu’il s’agit du Qu6bec, il convient d’observer que le cadre insti-
tutionnel est, dans ce cas, venu de l’ext~rieur et qu’il ne depend pas enti&
rement de ses constituants de le modifier, du moins si l’on fait abstraction
du droit d’autod~termination. Nous avons constat6 plus haut, par exemple,
que le r6le constitutionnel du lieutenant-gouverneur rend fort probl~ma-
tique toute tentative d’instaurer ici le regime pr~sidentiel. En r6alit6, le cadre

REVUE DE DROIT DE McGILL

[Vol. 30

institutionnel est plus rigide que ne peut le rrv~ler un coup d’oeil superficiel,
non seulement en raison des lois constitutionnelles britanniques ou cana-
diennes, mais compte tenu 6galement de leur cortege de conventions et de
r~gles coutumires, beaucoup plus contraignantes qu’il n’y parait. A notre
avis, on ne doit pas, sur ce point, s’en remettre A Lord Bryce, qui opposait
volontiers la constitution non 6crite, <(flexible)> A son point de vue, et
l’instrument 6crit, plus ( rigide >> ; dans son esprit, la norme flexible 6tait
preferable i l’crit rigide. 139 Cette apologie du syst~me britannique serait
s~duisante si elle correspondait invariablement aux faits. Toutefois, n’a-t-
on pas vu des 6crits solennels 6cart~s du revers de la main et, en revanche,
le cadre institutionnel britannique n’est-il pas parmi ceux qui 6voluent le
plus lentement ? I1 en a 6t6 de m~me au Qu6bec depuis 1791 et les 6v6-
nements constitutionnels de 1982 n’ont en rien reldch6 1’emprise du droit
de la F~d6ration sur les institutions qu~b~coises.

Aussi est-il fort probable que l’int~r~t principal d’une nouvelle cons-
titution qu6b~coise, une fois codifi~es et pr~cis~es les r~gles relatives aux
institutions, r6siderait dans le projet de soci6t6 qui 6manerait de l’ensemble
des droits individuels et collectifs que la loi fondamentale serait appel6e A
garantir. Si tel est bien le cas, deux questions se posent: la premiere a trait
au mode d’amendement, la seconde au droit d’initiative et Ala participation
des citoyens. La r~ponse A la premiere est jonch~e de considerations juri-
diques, la seconde est plus politique.

2. – Le Parlement peut-il se lier pour l’avenir ?

Quel que soit l’organe constituant appel6 A r6diger la loi fondamentale
du Quebec, ses conclusions ne sauraient acqu~ir la < juridicit6 >> n6cessaire
sans rintervention de l’Assembl~e nationale. On serait d’autant moths en
mesure de la contourner par l’improvisation de quelque constituante que
le pouvoir de modifier la Constitution du Qu6bec lui est

sp~cifiquement et exclusivement confer6.140 La protection sp~ciale dont on

rappelons-le –

139J. Bryce, Studies in History and Jurisprudence, vol. I (1901) Essay III.
14OLoi constitutionnelle de 1982, supra, note 19, art. 45. S.A. Scott soulve la question de
savoir si le fait que l’article 45 (pouvoir exclusif des provinces de modifier leur constitution)
fasse partie de ]a Partie V de la Lot constitutionnelle de 1982 a pour effet d’inclure les cons-
titutions des provinces dans la Constitution du Canada. Voir S.A. Scott, o The Canadian
Constitutional Amendment Process>> (1982) 45 Law & Contemp. Probs 249 aux pp. 278 et
280; S.A. Scott, < Pussycat, Pussycat, or Patriation and the New Constitutional Amendment Processes >> (1982) 20 U.W.O.L. Rev. 247 aux pp. 275, 302 et 306. L’auteur en tirerait la
conclusion qu’il est possible de modifier ]a constitution des provinces par le moyen des autres
modes pr6vus dans ]a Partie V, notamment les articles 41 (r~gle du consentement unanime)
et 38 (procedure dite < normale >> de modification). Cette argumentation est certes int6ressante,
mais ne porte gu~re A consequence puisque, dans le cas de l’article 41, le consentement du
Qu6bec serait requis et que, dans le cas de l’article 38, le droit de retrait pourrait jouer. En

1985] POUR UNE NOUVELLE CONSTITUTION DU QU2BEC

209

souhaiterait entourer la nouvelle Constitution ne pourrait donc venir que
de l’Assernbl6e elle-meme et la question est de savoir si celle-ci a le pouvoir
de soumettre la modification de l’une de ses propres lois a des conditions
particuli~res en vue de la mettre A l’abri des changements de majorit6 et,
en quelque sorte, de < l'enchfsser >.141 C’est la une question devenue clas-
sique: un parlement peut-il, selon la tradition britannique, se lier pour
l’avenir en s’imposant A lui-m~me une procedure diflerente d’adoption ou
de modification de certaines lois, exigeant, par exemple, une majorit6 ren-
forc~e ou une consultation populaire ?

I1 faut pr~eiser que la question ne se poserait pas de la fagon dont elle
a parfois 6t6 trait~e dans certains pays de l’Empire britannique ou du
Commonwealth. Dans ces cas, il s’agissait de savoir si, par exemple, le
Parlement du Ceylan (devenu depuis 1972, le Sri Lanka) ou le Parlement
de l’Afrique de Sud pouvaient lgiferer en faisant abstraction des procedures
speciales d’adoption des lois prevues dans les lois ou decrets imp~riaux qui
leur donnaient naissance ou fondaient leur competence Mgislative. Dans
l’exemple sud-africain, le Parlement avait-il le pouvoir de modifier le droit
de vote en fonction de la race ou de la couleur de ses ressortissants sans se
conformer aux dispositions du South Africa Act de 1909 –
loi du Parlement
britannique –
voulant qu’une telle modification ne pouvait 8tre acquise
sans le vote favorable de la majorit6 des deux tiers des deux Chambres du
Parlement si~geant ensemble ?142 De son c6t6, le Ceylan avait voulu conferer
des pouvoirs A un tribunal special sans que soit respect~e la procedure
particulire permettant de modifier les d~crets constitutionnels britanniques
intitul6s Ceylon (Constitution) Orders in Council de 1946 et 1947.143 I1 s’agis-
sait donc de modifications obtenues i
‘encontre de r~gles 6manant d’un
organe constituant sup6rieur aux parlements int~ress~s et la Cour d’appel
sud-africaine dans le premier cas, comme le comit6 judiciaire du Conseil
priv6 dans le second, en conclurent que de telles lois ne pouvaient atre
adopt~es que suivant la procedure impos~e par l’organe sup~rieur.
outre, elle fait bon march6 de l’expression <(competence exclusive> (de chaque province) de
Particle 45. La these ne manque pas d’int&r t du point du vue de la protection de ]a langue
anglaise au Quebec. Effectivement, dans l’arrat Blaikie, la Cour supreme du Canada, approuvant
les propos du juge Desch~nes dans le jugement de premiere instance, (1978), [1978] C.S. 37,
85 D.L.R. (3d) 252, emet l’opinion que larticle 133 de ]a Loi constitutionnelle de 1867 ne fait
pas partie de ]a Constitution du Quebec au sens de l’article 82(1), < mais fait partie indivisi- blement de ]a Constitution du Canada et du Quebec >). Blaikie, supra, note 19 A la p. 1025.
Toutefois, il ne s’ensuit pas que les constitutions des provinces fassent partie de la Constitution
du Canada. L’application d’un tel principe a l’ensemble des constitutions des provinces pourrait
aboutir A des r~sultats inattendus entre les mains des tribunaux fed~raux.

14 Le mot < enchfssement >> est sans doute ]a meilleure fagon, dans le contexte du droit, de

rendre l’id~e exprim~e en anglais par le mot entrenchment.

142Harris c. Minister of Interior (1952), [1952] 2. S.A.L.R. (A.D.) 428.
143Bribery Commissioner c. Ranasinghe (1964), [1965] A.C. 172, [1964] All E.R. 785 (P.C.)

[ci-apr~s: Ranasinghe].

McGILL LAW JOURNAL

[Vol. 30

La question qui nous occupe est fort diffrente. II s’agit de savoir si un
parlement de tradition britannique, dans le cadre de ses comp6tences l-
gislatives, peut limiter lui-m~me son pouvoir de decision pour l’avenir, c’est-
a-dire sa propre supr~matie, en s’imposant une procedure particuli~re de
modification des lois. Dans cette hypoth~se, l’organe lgislatif se comporte
A son propre 6gard comme s’il 6tait l’organe constituant de l’Ittat. De telles
limites seraient difficilement acceptables pour ceux qui, A la suite de Dicey,
estiment qu’on ne saurait restreindre d’aucune fagon la supr6matie du Par-
lement. 144 Aussi ne faut-il pas s’6tonner que les juges britanniques n’aient
pas, dans le pass6, accept6 l’id~e que Westminster ait pu se lier les mains
en pr~voyant dans une loi que celle-ci ne pourrait faire l’objet d’une abro-
gation implicite dans une loi subs~quente. 145 Exprimeraient-ils la meme
opinion aujourd’hui, alors que le dogme << diceyen >> et le positivisme de
John Austin, dont il est issu, ont subi l’6rosion des ides nouvelles ? Nous
ne pouvons en 8tre sfirs, m~me si Jennings a d~crit, avec delectation, les
situations absurdes auxquelles aboutit la th~orie de la souverainet6 absolue
du Parlement.14 6

Curieusement, le plus haut tribunal de l’Empire a suivi un tout autre
raisonnement dans le cas des lgislatures des colonies australiennes. D~s
1920, dans l’affaire McCawley,14 7 puis de nouveau en 1932, dans ‘affaire
Trethowan,148 il a opin6 qu’une legislature ne pouvait aller A ‘encontre des
conditions d’exercice de son pouvoir l6gislatif qu’elle s’6tait elle-meme im-
pos~es par une loi. M~me s’il s’agit sans doute, dans le premier cas, d’un
obiter dictum et, dans le second, d’une solution dict6e par l’existence d’une
loi imperiale, le Colonial Laws Validity Act de 1865, selon laquelle la I-
gislature n’6tait en droit de modifier sa constitution qu’A la condition de
respecter la mani~re et la forme prescrites dans ses propres lois, il est permis
de penser que ces precedents seraient d’un grand poids dans toute affaire
semblable int6ressant une assembl6e ou un parlement dont le droit s’inspire
du syst~me britannique,149 y compris l’Assemble nationale du Quebec.

‘”Dicey, supra, note 24 aux pp. 39, 61, 70, 88 et 91.
’45Ejlen Street Estates Ltd c. Minister of Health (1934), [1934] 1 K.B. 590 A la p. 597, [1934]

All E.R. 385 (C.A.).

146Jennings, supra, note 25 aux pp. 166-7.
147McCawley, supra, note 75 aux pp. 713-4.
148A.G. New South Wales c. Trethowan (1932), [1932] A.C. 526 (P.C.), conf. (1931), 44 C.L.R.
394 (H.C. Aust.) [ci-apr~s: Trethowan] et sub. nom. Trethowan c. Peden (1930), 31 S.R. 183
(S.C. N.S.W.).

1Ag cet 6gard, l’arr~t de la High Court d’Australie est de port6e plus large que l’avis du
Conseil priv6 et n’est pas fond6 sur l’argument tir6 du Colonial Laws Validity Act, reproduit
dans (1931), 44 C.L.R. 394 aux pp. 42 6-7. La demonstration en est faite par S.A. Scott, < Consti- tuent Authority and the Canadian Provinces)) (1967) 12 McGill L.J. 528 A la p. 545. 1985] POUR UNE NOUVELLE CONSTITUTION DU QU2BEC 211 Cette opinion est partag~e par plusieurs auteurs,150 dont certains se fondent avant tout sur la logique de l'arr~t Ranasinghe.l5 l Les tribunaux inclineraient sans doute dans le meme sens, mais on ne saurait en etre entirement assur6. Peut-8tre faudra-t-il quelques raffinements de plus dans l'analyse des juges pour que les restrictions qu'un parlement s'impose A lui- m~me soient perques comme fond~es sur la lgitimit6 du pouvoir exerc6 au nom de la socit6, et non sur quelque concept surann6 de la souverainet6 selon lequel le Parlement n'est vraiment souverain que s'il a le pouvoir de se lier pour 'avenir, auquel cas il ne sera plus souverain,15 2 quod absurdum est. En attendant, il n'est pas interdit i l'Assembl~e nationale du Quebec de s'imposer des restrictions A elle-m~me par le moyen de la procedure de modification de sa Constitution, si elle juge A propos de le faire en vue de prot~ger certains droits ou institutions avec un soin particulier. Il serait bien 6tonnant que 'Assemble ne respectift point par la suite cette limitation de ses pouvoirs si le 16gislateur veille a s'assurer de la lgitimit6 du geste pos6 aux yeux de la population. D'ailleurs, l'Assembl~e n'a-t-elle pas d~jh d6- montr6 qu'elle entendait s'en tenir A de telles limites lorsqu'elle a aboli les << comt~s proteges > de ‘article 80 du B.N.A. Act en prenant soin de respecter
A la lettre les exigences de la majorit6 renforc6e requise par la loi ?153 I1 est
permis de penser qu’elle en ferait autant A l’6gard de restrictions qu’elle se
serait elle-meme impos~es. Ce n’est pas vraiment la une question de su-
pr~matie. Comme le disait Lord Pearce dans l’arrt Ranasinghe, << un par- lement ne cesse pas d'8tre souverain parce que ses membres ne peuvent rallier la majorit6 nfcessaire [pour l'adoption] d'une loi ordinaire [...] ou si, s'agissant d'une loi modifiant la Constitution, il ne peut rallier qu'une majorit6 simple alors que celle-ci requiert une autre type de majorit6 >>.154

Cet autre type de majorit6 pourrait atre celle des deux tiers A laquelle
ont quelquefois recours les pays du Commonwealth pour protfger des dis-
positions constitutionnelles particuli~rement d~licates. Peut-on penser se
montrer encore plus exigeant et pr~voir, par exemple, & la manire du Land
rh~no-palatin, que certaines prescriptions < ne sont pas sujettes d r6vision >

15ONotamment Jennings, supra, note 25 aux pp. 154 et 156.
‘ 51Chevrette & Marx, supra, note 15 A ]a p. 93.
5 2Voir H.R. Gray, ((The Sovereignty of Parliament Today ) (1953) 10 U.T.L.J. 54.
1
53Loi concernant les districts tlectoraux, L.Q. 1970, c. 7. Pour se conformer A rarticle 80
du B.N.A. Act, l’Assembl~e nationale dut obtenir le concours de la majorit6 absolue des d6put6s
reprsentant les 17 circonscriptions envisagfes, en plus de la majorit6 habituelle des d~put~s.
Voir Tremblay, supra, note 1 A la p. 246 n. 32; Scott, supra, note 149 A la p. 538.

154<< A Parliament does not cease to be sovereign whenever its component members fail to produce among themselves a requisite majority [for the adoption of] ordinary legislation ... or when in the case of legislation to amend the Constitution there is only a bare majority if the Constitution requires something more. > Ranasinghe, supra, note 143 a la p. 200.

REVUE DE DROIT DE McGILL

[Vol. 30

ou que les propositions de modification touchant les fondements d6mocra-
tiques de l’ttat << sont irrecevables >> ?155 Quelle que soit la sympathie que
puisse susciter l’objectif de maintenir cofite que cofite les principes d6mo-
cratiques (il ne faut pas oublier que cette Constitution fut adopt~e au sortir
d’une p~riode particulirement difficile de l’histoire de l’Allemagne), il n’est
pas du tout sfir qu’un tribunal s’inspirant de la tradition britannique ac-
cepterait de voir abolir par un tel biais le principe m~me du pouvoir lgis-
latif. La rigidit6 du mode d’amendement pourrait fort bien, en effet, servir
A prot6ger indfiment des privileges ou int~rts. Le maintien du statu quo,
fait observer Lumb, peut mener i des abus, I5 6 sans compter, ajouterait
Jennings, que les hommes politiques font en g6n6ral d’assez mauvais pro-
ph~tes.’ 57 Aussi peut-on pr6sumer que toute disposition tendant A rendre
impossible la modification d’une constitution heurterait de front le principe
de la supr~matie parlementaire et, pour cette raison, serait 6cart~e par les
tribunaux.

La majorit6 renforc~e –

par exemple les deux tiers des membres pr6-
sents et votant –
ne semble pas soulever de telles objections de principe,
non plus que l’obligation de consulter la population par voie de rferendum.
Dans l’affaire Trethowan, mentionn~e ci-dessus,’ 5 8 la L gislature d’un Etat
australien avait adopt6 une loi en vertu de laquelle la Chambre haute ne
pouvait 6tre abolie sans ‘approbation d’une majorit6 des 6lecteurs lors d’un
r6ferendum portant sur la question ; la m~me r~gle s’appliquait A la loi elle-
meme, un <( double enchAssement >> prot6geant de la sorte l’institution. La
High Court d’Australie et le comit6 judiciaire du Conseil priv6 ddcid~rent
que la Lgislature devait suivre << la mani~re et la forme >> requises dans sa
propre loi.159

3. – Consultation par voie de rfrendum

Au sujet du r6ferendum, la legislation manitobaine de 1916, par laquelle
les 6lecteurs se voyaient reconnaitre le pouvoir de d~faire les lois de la
Legislature, a fait l’objet d’un avis consultatif des tribunaux mentionn6s
plus haut. 160 Le tendon d’Achille de cette legislation, qui fat d~clar~e in-
valide, consistait en ce que la Legislature avait cr 6 de la sorte un nouveau
processus lgislatif dans lequel le lieutenant-gouverneur, repr6sentant la

de ‘tat de Rh~nanie-Palatinat, supra, note 30, art. 75(1).

‘”5Constitution de l’ttat de Bavi~re, supra, note 30, art. 129. Voir 6galement ]a Constitution
156Lumb, supra, note 75 A la p. 109.
‘”Jennings, supra, note 25 A la p. 170.
158Trethowan, supra, note 148.
159Ibid. Voir Jennings, supra, note 25 A la p. 154.
16 Initiative, supra, note 87.

1985] POUR UNE NOUVELLE CONSTITUTION DU QUEBEC

213

Couronne, ne jouait plus aucun r6le. L’article 11 de la Loi161 6tait r~dig6
de telle sorte que le refus d’approbation par les 6lecteurs 6tait appel6 << abro- gation >> (repeal), semblant ainsi conferer A l’6lectorat des pouvoirs lbgislatifs
exclusifs. Cette description fautive ne pouvait qu’attirer les foudres des
tribunaux, mais, comme l’a fait observer Stephen A. Scott, il n’en existe pas
moins une distinction entre la disposition qui permet aux 6lecteurs d’ap-
prouver ou de rejeter un projet de loi – ou un projet de constitution –
et
l’autre qui donnerait i l’6lectorat le pouvoir d’abroger une loi deja vot~e,
sans que le lieutenant-gouverneur ait un mot A dire. 162 Dans le premier cas,
le consentement populaire constitue une condition pr6alable ou n6cessaire
A l’adoption d’une loi. Or, le Conseil priv6 n’a pas eu l’occasion de considbrer
les choses sous cet angle et, A la lumi6re de l’arrt Trethowan, il est permis
de penser qu’une telle condition serait tenue pour valide, puisqu’aussi bien
elle n’empi~terait d’aucune fagon sur l’autorit6 de la Reine, laquelle conser-
verait toutes ses pr6rogatives l6gales (circonscrites en r~alit6 par les conven-
tions), ni d’ailleurs sur les pouvoirs du Parlement. On ne peut qu’appuyer
Frangois Chevrette et Herbert Marx lorsqu’ils 6crivent que le referendum,
s’il ne saurait constituer une condition suffisante de la validit6 d’une loi,
peut a bon droit, en 6tre une condition ncessaire.163

On peut en conclure que des techniques juridiques existent, en droit
public d’inspiration britannique, permettant de protbger certains lois fon-
damentales, y compris la Constitution formelle que le Quebec voudrait se
donner, a l’encontre de modifications irr~flchies ou intempestives. C’est
d’ailleurs la r~gle que l’on trouve dans la plupart des constitutions d’ttats
membres, notamment aux ttats-Unis et en R~publique fed~rale allemande.
Les ttats ambricains, de leur c6t6, 6tablissent souvent une distinction entre
les amendements et la r6vision complete: les premiers doivent 8tre ap-
prouvbs par la Lgislature et ratifibs par le peuple, la seconde nbcessite la
convocation et l’lection d’une convention de r6vision. 164 En Allemagne,
les rbgles sont trbs variables d’un Land i l’autre, mais on retrouve souvent
la r~gle voulant qu’une loi modificatrice de la Constitution ne puisse
tre
acquise que si la Chambre l’a adopt~e A la majorit6 des deux tiers de son

ofActs of the Legislative Assembly, S.M. 1916, c. 59 (The Initiative and Referendum Act).

6’6 An Act to Enable Electors to Initiate Laws, and Relating to the Submission to the Electors
162Scott, supra, note 149 A Ia p. 545.
163Chevrette & Marx, supra, note 15 A Ia p. 102. Sur le r6ferendum constituant, voir M.
Bouissou, > dans M~langes offerts ei Georges
Burdeau (1977) 25 aux pp. 25 et 30.

164Constitution of New York, supra, note 31, art. 19(l) et (2) ; Constitution of the State of

Missouri dans Karsch & Elsea, supra, note 30, art. 12(2) et (3).

McGILL LA W JOURNAL

[Vol. 30

effectif ou si le peuple l’a approuv6e par r6ferendum A la majorit6 des 6lec-
teurs inscrits. 165 De fait, les modeles de protection et d’enchfssement sont
si nombreux que le Qu6bec aurait l’embarras du choix.

Plus d6licate est la question de savoir A quelles parties de la Constitution
cette protection doit 8tre 6tendue. Aux Etats-Unis et en Allemagne, c’est
l’ensemble de la Constitution de l’ttat federe qui est soumis au mode
d’amendement sp6cial, en raison de traditions qui pr6valent depuis l’origine
de leur droit constitutionnel. II n’est cependant pas n6cessaire qu’il en soit
ainsi et la Constitution qu6b6coise pourrait faire appel A une ou plusieurs
des techniques d6jA mentionn6es, en les appliquant A l’une ou l’autre des
dispositions fondamentales, voire A des articles particuliers, choisis en raison
de leur importance, la seule limite 6tant celle qu’impose la n6cessit6 de faire
en sorte que le citoyen s’y retrouve sans trop de peine. A titre d’exemple,
les institutions et le statut des pouvoirs pourraient 8tre modifi6s soit A la
majorit6 renforcee de l’Assembl6e, soit par referendum; les libert6s fon-
damentales, les droits individuels et les droits collectifs exigeraient la ma-
jorit6 renforc6e et le r6ferendum, celui-ci pouvant A son tour faire appel A
une majorit6 sp6ciale s’il s’agissait des libert6s. Les autres parties seraient
modifiables par l’Assembl6e, mais le mode d’amendement lui-meme ne
serait r6vis6 qu’apr6s consultation populaire. On peut 6galement juger op-
portun de n’appliquer ces techniques de protection qu’apres quelques ann6es
d’essai de la nouvelle Constitution, de fagon A corriger sans trop de peine
les choix qui s’av6reraient moins judicieux qu’on ne l’aurait pens6.

4. – Droit d’initiative des citoyens

Faut-il pr6voir la possibilite de conventions de revision, comme dans
la plupart des Etats de l’Union americaine ? Cette question nous amane, en
terminant ce chapitre, A en traiter une autre, dont elle est souvent inseparable
en pratique: le droit d’initiative. C’est ainsi qu’au Massachusetts, par le
quarante-huitieme amendement, de 1918, le peuple s’est reserve le droit
d’initiative populaire, qui est le pouvoir d’un nombre determin6 d’61ecteurs
de proposer A la population des amendements A la Constitution et des lois,
en vue de leur adoption ou de leur rejet; ne peuvent cependant etre mo-
difies de cette fagon certaines dispositions ayant trait notamment aux li-
bertes et aux juges.1 66 Les p6titions sont soumises A une session commune
des deux Chambres de la Legislature; celles-ci peuvent les modifier A la
majorite des trois quarts des membres votant et l’amendement doit etre
approuve par le quart au moins de tous les membres e1us; s’il 1’est, il est
165Constitution de l’Etat de Rhdnanie-Palatinat, supra, note 30, art. 129. En Bavi~re, la
Constitution exige la majorit6 des deux tiers et le rf~rendum. Constitution de I’ttat libre de
Bavifre, supra, note 30, art. 75.

’66Constitution of Massachusetts, supra, note 31, amendement 48, Part I et Part 11(2).

1985] POUR UNE NOUVELLE CONSTITUTION DU QUEBEC

215

alors renvoy6 au prochain parlement et s’il est de nouveau accept6 de la
meme fagon, il doit 8tre soumis au peuple. De meme, une proposition
d’amendement constitutionnel avancee par un parlementaire de l’une ou
l’autre Chambre sera envoyee au referendum si elle est approuv6 par deux
parlements successifs A la majorit6 de tous les membres 6lus.1 67 Au r6fe-
rendum, l’amendement resultant de l’inititative populaire doit recueillir la
majorit6 des voix exprim6es sur le sujet, representant trente pour cent au
moins du tous les votes d6poses A l’election concomitante; ‘amendement
propose par un parlementaire n’est pas soumis A cette derniere condition.1 68

Un grand nombre d’tats de l’Union americaine ont de la sorte ouvert
le pouvoir legislatif A l’intervention directe des citoyens, par le moyen de
dispositions generalement intitulees ((Initiative and Referendum >. L’un
des exemples les plus typiques se trouve A ‘article 3 de la Constitution du
Missouri, qui reserve au peuple le droit de prendre l’initiative d’une mo-
dification constitutionnelle en reunissant les signatures de huit pour cent
des electeurs inscrits dans chacun des deux tiers au moins des districts
electoraux; pour les propositions de lois, cinq pour cent suffisent.1 69 Les
petitions concernant la Constitution ne peuvent porter que sur un seul article
i la fois et celles proposant une loi, sur un seul sujet. Toutes les propositions
de modification emanant de l’Assemblee ou de l’initiative sont soumises A
la consultation des electeurs.170

Ce systeme est passablement etranger A la d6mocratie parlementaire de
type britannique. Non pas que la p6tition y soit inconnue, au contraire,
mais le principe de la suprematie du Parlement s’accommode mal des me-
thodes de la democratie directe’ 7′ et il parait en effet incongru, dans un pays
oi le Parlement a mene toutes les luttes contre l’absolutisme royal en im-
posant sa propre <( souverainete >, de le voir se faire forcer la main. Meme
le rf-erendum purement consultatif provoqua d’dpres debats en Grande-
Bretagne, notamment lorsque le Parlement decida de consulter la population
sur l’intgration du pays a la Communaute economique europeenne ;172
encore que le resultat de cette consultation n’efit rien de contraignant sur
le plan juridique.

Ces traditions n’ont gu6re impressionn6 les provinces de l’Ouest ca-
nadien dans le pass6 et le droit d’initiative, associ6 au r6ferendum, y a jou6
un r6le, comme nous venons de le voir au sujet de la loi manitobaine,

I671bid., Part IV(1)-(4).
’68Ibid., Part IV(5).
169Karsch & Elzea, supra, note 30, art. 3(50).
’70Ibid., art. 12(2)(b).
T’7 Voir P. Goodhard, Referendum (1971) aux pp. 14, 17, 33, 49 et 63.
172The Referendum Act, 1975 (R.-U.), 1975, c. 33.

REVUE DE DROIT DE McGILL

[Vol. 30

d6clar6e invalide en raison du r6ferendum A caract&re 16gislatif qu’elle ins-
tituait. De son c6t6, la Loi albertaine de 1913, intitul6e The Direct Legis-
lation Act, autorisait un pourcentage des 61ecteurs A obtenir, par voie de
p6tition, que la LUgislature adopte un projet de loi par eux propos6 ou
appuy6.173 Si le projet n’6tait pas accept6 par la LUgislature pendant la session
ofA il 6tait pr6sent6, il devrait 8tre soumis aux 61ecteurs et, dans le cas oft il
6tait approuv6, la LUgislature devait l’adopter A la session suivante sans en
modifier le sens, l’effet ou l’intention.174 Ce droit d’initiative mitig6, qui
impose une obligation A la Lgislature tout en respectant ses pouvoirs du
point de vue formel, fut soumis A l’examen du Conseil priv6 dans The King
c. Nat Bell Liquors Ltd. 75 Lord Summer y constata que la 16gislation contes-
t6e, meme si la Lgislature n’avait eu d’autre choix que de I’adopter, l’avait
6t selon la proc6dure habituelle et soumise i
‘approbation du lieutenant-
gouvemeur; elle 6tait donc valide, puisqu’aussi bien il lui 6tait impossible
de pr~tendre que ce n’6tait pas 1A une loi de la LUgislature. 176

5. –

RMle de l’Assemblie nationale

Si cet arrt du Conseil prv6 nous conduit A nuancer notre conclusion
ant6rieure, selon laquelle le r6ferendum ne saurait constituer une condition
suffisante de la validit6 d’une loi, puisque tel peut atre le cas lorsque la
proc6dure 16gislative formelle est sauve, il ne s’ensuit pas que le constituant
qu6b6cois doive s’inspirer de ‘exemple de l’Alberta, qui a d’ailleurs abrog6
le Direct Legislation Act en 1958.177 L’Assembl6e nationale ne l’a d’ailleurs
pas imit6 lorsqu’elle a adopt6 la Loi sur la consultation populaire de 1978,
en prevision du referendum sur l’avenir politique du Quebec. 178 Ce r6fte-
rendum 6tait purement consultatif et son effet juridique n’allait pas au-delA
du mandat de n6gociation requis par le gouvernement. I1 serait tout A fait
indiqu6, si le constituant souhaitait voir confirmer la nouvelle Constitution
(et ses possibles modifications) par le peuple, d’avoir recours A ce type de
consultation – d’autant que les citoyens en connaissent le fonctionnement

titre de condition n6cessaire, mais non suffisante.

L’exp6rience de quelques ttats am6ricains, notamment de la Californie,
et << l'amendomanie >> qui s’y est manifest6e A l’occasion sont, en effet, de
nature A faire hfsiter le constituant qu6b6cois devant toute forme de r6te-
rendum qui supplanterait l’Assembl6e nationale. En Californie, l’initiative

173An Act to Provide for the Initiation or Approval of Legislation by the Electors, S.A. 1913,
Ire sess., c. 3 [ci-apr~s: The Direct Legislation Act], modifi~e A plusieurs reprises par la suite.
174The Direct Legislation Act, ibid., art. 6, 7 et 24.
’75(1922), [1922] 2 A.C. 128, 65 D.L.R. I (P.C.) [ci-apr6s cit6 aux A.C.].
1761bid. d la p. 135. Voir Scott, supra, note 149 aux pp. 557-61.
177An Act to Repeal Certain Acts of the Legislature, S.A. 1958, c. 72, art. I(e).
178Loi sur la consultation populaire, L.Q. 1978, c. 6, L.R.Q., c. C-64.1.

1985] POUR UNE NOUVELLE CONSTITUTION DU QUEBEC

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d’un amendement peut venir des deux Chambres ou d’un groupe quel-
conque reunissant les signatures d’un nombre d’electeurs egal A huit pour
cent des votes deposes lors de l’lection la plus recente du gouverneur de
l’Etat. 179 Cette procedure qui, contrairement d celle du Massachusetts,180 ne
prevoit aucun contr6le de la Legislature sur les propositions 6manant des
electeurs, ouvre toute grande la porte aux manoeuvres des groupes de pres-
sion et aux demarches contradictoires. C’est ainsi que l’article 25 modifiant
la Constitution et 6tablissant, en 1948, le droit des personnes Agees et des
aveugles de recevoir des pensions augment6es, selon des crit6res d’eligibilite
plus favorables, fiit abrog6 ds l’annee suivante par l’article 27, a l’effet
exactement contraire.181 Le premier et seul effort s6rieux en faveur de l’in-
clusion de droits sociaux dans la Constitution de la Californie s’est donc
sold6 par un 6chec amer en raison de l’extreme facilit6 avec laquelle les
amendements peuvent 6tre propos6s, dans un sens comme dans l’autre.182
La d6mocratie repr6sentative de type britannique jouera non sans peine
son r6le si elle se trouve d6jou6e ou meme ignor6e par des techniques li6es
A un r6gime politique ofi pr6vaut la s6paration des pouvoirs (dans le sens
donn6 A cette expression aux Etats-Unis, par exemple). Tout en utilisant la
technique du r6ferendum, qui peut lui valoir A l’occasion un surcroit de
16gitimit6 dans la d6licate d6marche constituante, et meme le droit d’ini-
tiative, qui ne manquerait pas de la sensibiliser davantage aux besoins et
aux aspirations de la population, la d6mocratie parlementaire doit se trouver
au centre de tout le processus constitutionnel, l’Assembl6e nationale n’h6-
sitant pas A prendre elle-m8me l’initiative du mouvement constituant. Pour
ces motifs, des procedures comme celles qui sont pr6vues au sujet de l’ini-
tiative populaire dans la Constitution du Massachusetts, de type pr6siden-
tiel, s’imposeraient A plus forte raison en r6gime parlementaire ; quant aux
conventions de r6vision des Etats am6ricains, elles ne semblent gu6re da-
vantage compatibles avec la d6mocratie parlementaire telle qu’elle s’est d6-
velopp6e au Qu6bec depuis 1791.

Puisque l’autonomie du Qu6bec s’6tend A l’adoption ou A la modifi-
cation de sa propre Constitution et puisque celle-ci est 6parse ou informe,
y aurait-il quelque avantage, demandions-nous au seuil de cette 6tude, A le
voir adopter une loi fondamentale dot6e des attributs habituels de sem-
blables instruments juridiques, tels la sup6riorit6 par rapport aux lois or-

179Constitution of California, supra, note 31, art. 18(1) et (2).
‘8oSupra, notes 167 et 168.
’81 Constitution of California, supra, note 31.
182Voir Note, o California’s Constitutional Amendomania

p. 281.

(1949) 1 Stan. L.R. 279 i la

McGILL LAW JOURNAL

[Vol. 30

dinaires et une certaine protection A 1’6gard des modifications qu’on voudrait
par la suite y apporter ? L’exp6ience britannique, A laquelle se rattache le
r6gime politique qu6b~cois, et dont s’inspirent largement ses institutions,
aurait pu nous incliner A r6pondre par la n6gative. La Grande-Bretagne n’est-
elle pas d6pourvue de constitution entendue au sens formel ? De fait, elle
n’en a pas connu depuis Cromwell et ne semble pas s’en porter plus mal.
Bien des Etats qui se sont donn6 des lois fondamentales 6crites ne jouissent
ni de sa stabilit6 institutionnelle ni des droits et libert6s qu’on y trouve.
Mais la soci6t6 britannique est bien particuli6re, relativement mieux int6gr6e
que d’autres et, comme l’a fait observer Bastid, la globalit6 des traditions
nationales y tient lieu de constitution ;183 A ce compte, elle constitue un cas
isol6, dont ne s’inspirent gu~re les Etats du monde modeme. Dans les so-
ci6t6s plus jeunes en particulier, ou diversifi6es comme l’6taient les ttats-
Unis d l’origine, il peut 8tre n6cessaire, en tout cas utile, d’dnoncer avec
quelque solennit6 ou formalisme le mode d’exercice des pouvoirs, ainsi que
les libert6s des personnes et les droits des collectivit6s.

Qui d6finit limite, dit-on parfois. Nanmoins, il existe des cas ofI rab-
sence de pr6cisions entrave le d6veloppement des droits et des institutions.
Aucune constitution, si d6taill6e soit-elle, ne saurait suppl6er entirement
les carences des moeurs civiques ou le niveau de culture politique atteint
par chaque peuple, mais l’existence d’une loi fondamentale favorisera le
progr6s sur ce plan, A condition de proposer un projet de soci6t6 qui soit
perqu comme l6gitime par la population et d’6viter le dogmatisme qui ca-
ract6rise nombre de constitutions contemporaines. La seule existence d’une
constitution, si elle r6pond aux besoins et aux aspirations des citoyens, peut
8tre un facteur de << conscientisation >> sociale et de r~flexion politique. Sur
le plan plus vaste de la soci6t6 internationale, ce n’est pas en vain que
l’Organisation des Nations Unies, a tenu, depuis une quarantaine d’ann~es,
A affirmer de fagon solennelle et par 6crit l’existence de droits et devoirs
individuels et collectifs par le moyen de resolutions dont le caract~re non
obligatoire n’en permet pas moins, au besoin par la r~p6tition, d’acclimater
des principes et de pr6parer le terrain au droit nouveau et aux institutions
propres A le mettre en oeuvre. La signature subs~quente de conventions ou
pactes multilat6raux, par lesquels les Etats s’engagent A introduire ces prin-
cipes dans leur 1gislation interne, montre bien le processus didactique par
lequel, en d6pit de mille obstacles et possibilit~s de regression, I’aire du droit
s’61argit. De la Dclaration universelle des droits de l’homme de 1948 au
rapport du Comit6 des droits de I’O.N.U. dans l’affaire Lovelace (1980),184
en passant par le Pacte international relatif aux droits civils et politiques de
1966, personne ne niera qu’il y ait eu progr~s dans la definition des droits

183Bastid, supra, note 23 A la p. 6.
18 4Rapport du Comit6 des droits de l’homme, Doc. N.U. Supp. (No 40) 178-88, Doc. N.U.

A/35/40 (1980).

1985] POUR UNE NOUVELLE CONSTITUTION DU QUEBEC

219

et leur application. Assur6ment, les documents onusiens ne sont pas de
nature constitutionnelle, mais ilsjouent, par rapport aux lois fondamentales
des Ltats, le r6le transcendant que celles-ci doivent remplir envers les lois
ordinaires et les actes des gouvernants.

Au-delA! de la question des limites juridiques imposees au pouvoir
constituant du Qu6bec du fait de son statut d’Etat feder6, dont nous avons
trait6 tout au long de cet expos6, la v6ritable question i laquelle il fallait
repondre 6tait la suivante : l’exercice de l’autorit6 politique sera-t-il, A terme,
rendu plus efficace et plus humain, les droits et libert6s mieux assur6s,
l’activit6 socio-culturelle et le bien-8tre mieux r6partis entre les citoyens, si
le Qu6bec, apres mire r6flexion et debat, se donne une Constitution for-
melle, dotee de la supr6matie et prot6g6e par un mode d’amendement spe-
cial ? Nous sommes enclin a le penser, mais il nous faut reconnaitre que ce
ne sont pas lA des questions de nature purement juridique, auxquelles il
suffirait d’apporter des r6ponses purement techniques. Certes, les techniques
sont importantes et il serait vain de n’en pas tenir compte, mais elles ap-
partiennent A l’ordre des moyens.

Toutes les regles, tous les droits et toutes les libert6s ne sont pas re-
ductibles A des formules juridiques et l’on se demande A juste titre, dans
une socie6t d6mocratique, jusqu’ofi il convient d’aller dans la d6finition
formelle des concepts et des normes. Ce sont lh des interrogations li6es a
la psychologie collective des majorit6s et des minorites et au cheminement
des idees dans une population constamment sollicit6e par des legitimit6s
qui ne sont pas toujours spontan6ment compatibles. Aussi notre propos
n’etait-il pas d’apporter des reponses st6reotyp6es, encore moins de rediger
un avant-projet de Constitution du Qu6bec, mais plut6t de brosser A larges
traits ce qui nous parait constituer le cadre de discussion n6cessaire et d’in-
diquer, chemin faisant, les limites impos6es par le systeme constitutionnel
A l’interieur duquel le Qu6bec affirme son caract6re de soci6t6 distincte et
son autonomie.

Dans la mesure oii ce cadre parait acceptable, il reste A d6finir la d6-
marche, et celle-ci peut egalement faire l’objet de discussions, voire d’un
d6bat. Nous avons dit notre preference, compte tenu des traditions du re-
gime parlementaire qu6becois, pour un processus dont l’initiative revien-
drait A ‘Assemblee nationale. De toute fagon, meme si l’initiative venait
du gouvernement, l’Assembl6e devrait intervenir par l’intermediaire d’une
commission parlementaire, dont la tache consisterait notamment A consulter
la population, et tout projet on avant-projet devrait lui etre soumis. Nous
ne pensons pas qu’il soit opportun de proc6der A la mani&re americaine en
convoquant une convention de r6vision, mais il n’en est pas moins essentiel
que des groupes soient consult6s tout au long de la d6marche. Si l’Assemble
se met d’accord sur un projet, il devrait etre soumis A l’approbation de la

REVUE DE DROIT DE McGILL

[Vol. 30

en simplifiant quelque peu –

peut-etre pr~monitoires –

encore qu’il nous arrive de l’oublier –

population par voie d’un r~f-rendum de type consultatif, avant que le projet
ne soit mis en vigueur selon les r~gles famili~res. D’aucuns estimeront que
l’option en faveur d’une constitution formelle comporte un choix philo-
sophique peu conciliable avec les traditions empiriques chores au parle-
mentarisme d’inspiration anglaise. Les premieres constitutions modernes,
et notamment celle des ttats-Unis, ne sont-elles par h~riti~res du rationa-
lisme du dix-huiti~me, selon lequel –
il
suffisait de penser correctement et de donner des fondements rationnels et
coh~rents au droit pour que la soci6t6 flit bien gouverne ? Nous savons
aujourd’hui que les choses ne sont pas si simples, quoique beaucoup de
pays continuent de croire A la valeur incantatoire des r~gles dogmatiques ;
en d~mocratie, il est certain –
que
la l~gitimit6 des lois, qui fonde leur application effective et leur dur~e, tient
A de nombreux facteurs sociaux et psychologiques. Cette r~alit6 est-elle de
nature A rendre superflu tout projet de constitution 6crite ? Mme en Grande-
Bretagne, on trouverait des traces –
de la vo-
cation normative des lois fondamentales dans la Magna Carta et le Bill of
Rights. Les services que peut rendre un document fondamental hors de pair
sont plus importants, A notre avis, dans une soci6t6 pluraliste que dans une
soci6t6 ancr6e depuis des si~cles dans ses traditions ; de IA les differences
(peut-8tre plus apparentes que r~elles) qui existent entre les institutions des
Etats-Unis et celles de la Grande-Bretagne. II reste, comme nous avons tent6
de le d~montrer, que la d6marche i entreprendre au Quebec devra etre
marquee au coin d’un certain empirisme, qui ne serait, en definitive, qu’une
forme de respect non seulement pour les r~alit~s, mais pour les personnes.
Sans doute le seul fait d’adopter une constitution formelle n’apporte-
t-il aucune garantie de bon gouvernement et de droits 6gaux pour tous.
Fonder quelque espoir sur la pure rationalit6 constitutionnelle relive a coup
sfir de la pens~e magique, dans la mesure off les normes ne sont pas so-
lidement arrim~es aux r~alit~s, aux besoins et aux aspirations. Mais si elles
peuvent l’atre et si les conditions sont r~unies qui permettent de faire de la
loi fondamentale un compendium des valeurs du milieu, instrument p6-
dagogique au service de I’6ducation socio-politique, alors on est en droit
d’esp~rer doter le Qu6bec d’une constitution o vivante >, qui en serait certes
le miroir, mais aussi le portrait ideal.

in this issue Le Droit Et La Psychiatrie Dans Leur Problématique Commune

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