Case Comment Volume 36:4

Protection Constitutionnelle des Droits Ancestraux des Peuples Autochtones et L'arrêt Sparrow, La

Table of Contents

La protection constitutionnelle des droits ancestraux des

peuples autochtones et l’arret Sparrow

S6bastien Grammond”

Sommaire

Introduction
I.

La d6cision Sparrow dans son contexte juridique
A. La ddtermination d’un droit ancestral existant

1. Les origines de la doctrine des droits ancestraux
2.
3.

La nature et le contenu des droits prot6g6s par l’article 35
L’existence d’un droit ancestral

B. L’atteinte i un droit ancestral
C. La justification d’une atteinte t un droit ancestral

Premier critre : la r6gularit6 de l’objectif

1.
2. Deuxi~me crit~re: l’honneur de la Couronne
3.

Autres crit~res

I.

La d6cision Sparrow dans son contexte politique
A. L’effet riel de l’arrt Sparrow et ses fondements juridiques

1. La limitation potentielle de la port6e des droits
2. La force variable du m6canisme de protection

B. L’effet idjologique de la ddcision et ses micanismes rhitoriques

1. La satisfaction des attentes des autochtones
2.
La satisfaction des attentes du gouvernement
3.
L’occultation du rfle politique de la Cour

Conclusion

* ,

* Etudiant A la Facult6 de droit de l’Universit6 de Montr6al et assistant de recherche au Centre

de recherche en droit public.
Revue de droit de McGill
McGill Law Journal 1991

1991]

Introduction

CASE COMMENTS

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Depuis une vingtaine d’ann6es, la question des droits des peuples autoch-
tones prend une place de plus en plus importante sur la sc ne publique cana-
dienne. Non seulement les autochtones formulent-ils des revendications poli-
tiques majeures, mais ils recourent de plus en plus aux tribunaux pour faire
valoir leurs droits. La Cour supreme n’a pas 6t6 a la remorque de cette tendance.
Face a la volont6 quelque peu d6faillante des politiciens, elle a donn6 une nou-
velle direction au droit public relatif aux autochtones. Entre autres, elle a mis
de l’avant le principe de l’interprdtation favorable aux autochtones des lois qui
les concernent’ et elle a confirm6 la validit6 d’un trait6 sign6 en 1752 avec les
Indiens Micmacs2 .

Ces ddveloppements coincident avec l’adoption de la Loi constitutionnelle
de 1982′ qui inclut, a son article 35, une garantie tr~s importante des droits des
autochtones :

35 (1) Les droits existants – ancestraux ou issus de trait~s –
chtones du Canada sont reconnus et confirm6s.

des peuples auto-

(2) Dans la pr~sente loi, peuples autochtones du Canada s’entend notam-

ment des Indiens, des Inuits et des Mdtis du Canada.

(3) I1 est entendu que sont compris parmi les droits issus de trait6s, dont il
est fait mention au paragraphe (1), les droits existants issus d’accords sur des
revendications territoriales ou ceux susceptibles d’6tre ainsi acquis.

(4) Ind~pendamment de toute autre disposition de la pr~sente loi, les droits
ancestraux ou issus de trait6s –
vis6s au paragraphe (1) sont garantis 6ga-


lement aux personnes des deux sexes.

Cet article garantit deux cat6gories de droits : les droits ancestraux et les
droits issus de trait6s. Les droits issus de traitds d~coulent d’accords entre le
gouvemement f6d6ral et les autochtones, par exemple les traitds dits num6rot~s,
datant de la fin du XIXe si~cle et du debut du XXe, en vertu desquels les auto-
chtones c6daient leurs droits sur le territoire en 6change de droits de chasse et
de peche plus precis. Au contraire, les droits ancestraux ne ddpendent pas d’une
reconnaissance 6tatique ni d’un quelconque accord. Ce sont des droits de com-
mon law qui repr~sentent la reconnaissance des traditions juridiques autochto-
nes en droit canadien.

Bien stir, il existe des liens 6troits entre les droits ancestraux et les droits
issus de trait6s. En effet, les traitds visaient g6n6ralement a 6teindre certains
droits ancestraux ou a en confirmer d’autres. I1 est donc n~cessaire de se r~f~rer
la situation antdrieure pour interprdter un trait6 ou pour en combler les

‘Nowegijick c. R., [1983] 1 R.C.S. 29
2Simon c. R., [1985] 2 R.C.S. 387 h ap. 403-406, 24 D.L.R. (4th) 390 [ci-apr~s Simon cit6 aux
3Constituant I’annexe B de Ta Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), 1982, c. 11 [i-apr~s Loi cons-

la p. 36, 144 D.L.R. (3d) 193.

R.C.S.].

titutionnelle de 1982].

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lacunes. Cependant, il faut distinguer ces deux categories de droits car les m6ca-
nismes destin6s s les prot6ger sont diffdrents et, en g6n6ral, plus favorables 4
ceux qui d~coulent de trait~s.

L’adoption de l’article 35 a donn6 lieu A plusieurs d6bats polaris6s autour
de deux questions. Tout d’abord, quele est l’6tendue des droits prot6g6s, et en
particulier la port6e de l’expression droits ancestraux existants >> ? Ensuite,
quelle est la force de la garantie de ces droits ? En effet, l’article 35 ne fait pas
partie de la Charte canadienne des droits et libertjs4 et ne b6n6ficie donc pas
de la garantie explicite contenue dans la premire phrase de l’article 1. Les
droits des autochtones dans l’article 35 sont reconnus et confirm6s >>, mais non
6nonc6s comme << garantis >>. Qu’est-ce que cela veut dire ? Le r6cent arrat de
la Cour supreme dans l’affaire Sparrow’ r6pond h ces deux questions et pose des
principes g6n6raux qui clarifient ce secteur oubli6 du droit constitutionnel. La
Cour dissipe tout doute quant A la force de l’article 35 : il ne s’agit pas d’une
simple d6claration d’intention politique, mais plut6t d’une garantie exdcutoire
qui peut rendre des lois invalides. Elle ne cache pas son pr6jug6 favorable aux
autochtones. L’esprit de la d6cision peut se r6sumer en une phrase:

Qu’il suffise de souligner que ]a reconnaissance et la confirmation [des droits
ancestraux] exigent que le gouvemement, les tribunaux et mame 1’ensemble des
Canadiens soient conscients des droits des peuples autochtones et qu’ils les res-
pectent >>.6
Voici les faits qui sont A l’origine de cette affaire. Ronald Sparrow 6tait un
Indien de la bande Musqueam, dont la r6serve est situ6e dans la ville de Van-
couver. I1 a 6t6 accus6 d’avoir pech avec un filet plus grand que la norme per-
mise, dans des eaux du fleuve Fraser, A quelques kilom~tres de la r6serve.
Aucune preuve directe de l’usage qu’entendait faire Sparrow du poisson n’a 6t6
faite. L’accusation a 6t6 porte en vertu du r~glement f~d6ral sur la p~che7 qui
interdit de p~cher en contravention avec les restrictions inscrites dans un permis.
Au procs, Sparrow a pr6sent6 le t6moignage d’un anthropologue qui a
expos6 le mode de vie traditionnel des Musqueams. Selon cet expert, les Mus-
queams occupent leur territoire actuel, probablement de fagon non-exclusive,
depuis au moins 1500 ans. L’endroit oia Sparrow a 6t6 surpris se trouvait dans
ce territoire. La peche, et particuli~rement celle du saumon, formait une partie
importante de la culture des Musqueams et 6tait n6cessaire A leur survie car ils
ne connaissaient pas l’agriculture. L’expert a aussi 6tabli l’importance du sau-
mon dans les c&6monies Musqueam. Par ailleurs, la d6fense a aussi pr6sent6 le

nada (R.-U.), 1982, c. 11 [ci-apr6s la Charte].

4Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Ca-
5R. c. Sparrow, [1990] 1 R.C.S. 1075, 70 D.L.R. (4th) 385 [ci-apr~s Sparrow cit6 aux R.C.S.].
6Ibid. a la p. 1119.
7Rglement de p~che gingral de la Colombie-Britannique, DORS/84-248, art. 12, adopt6 en

vertu de la Loi sur les p~cheries, L.R.C. 1985, c. F-14.

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t6moignage d’un biologiste expert en conservation du poisson, tendant h
d6montrer que la restriction dont les Musqueams faisaient l’objet n’6tait pas
n6cessaire pour une meilleure conservation du poisson. Entre autres, cette
preuve suggrait que ce sont d’autres groupes, comme les pecheurs sportifs, qui
sont la cause premiere des problmes de conservation du saumon dans le fleuve
Fraser.

Nous allons d’abord examiner le m6canisme que l’arr& Sparrow met en
place pour la protection des droits ancestraux. Nous nous questionnerons
ensuite sur la nature politique de cette d6cision et sur la position de la Cour face
aux divers intervenants dans ce dossier.

I. La decision Sparrow dans son contexte juridique

Lorsqu’on all~gue qu’une loi ou un r~glement viole un droit ancestral pro-
t696, le tribunal doit proc6der en trois 6tapes 6nonc6es dans 1’arr& Sparrow.
Tout d’abord, il faut prouver l’existence d’un tel droit. En effet, l’article 35
garantit les droits ancestraux en g6n6ral. I1 ne pr6cise pas autant que la Charte
le d6tail des droits garantis. On doit donc se demander, h chaque fois, si le droit
qu’on veut faire valoir est bien prot6g6 par l’article 35.

Ensuite, il faut d6montrer que ce droit a t6 viol6. S’il est assez simple de
l’avocat ou le droit h un proc~s dans un d6lai
d6terminer si l’on a viol6 le droit
raisonnable, au contraire, la diversit6 des droits prot6g6s par l’article 35 nous
force

adopter une approche cas par cas.

La derni~re 6tape consiste

se demander si le r~glement ou la loi attaqu~e
est justifi6e. L’originalit6 de l’arr&t Sparrow tient dans le d6veloppement d’un
celui de l’article 1 de la Charte, que doit passer toute loi qui
test, semblable
viole un droit ancestral. Si elle ne le passe pas, elle sera d6clar6e inop6rante,
selon les termes de 1’article 52 de la Loi constitutionnelle de 1982.

Dans le cas de Sparrow, la Cour a d6cid6 qu’il y avait un droit ancestral
existant, prot6g6 par l’article 35 (premiere 6tape). Cependant, elle a renvoy6 en
premiere instance la question de savoir s’il y a eu atteinte A ce droit (deuxi~me
6tape) et si cette atteinte est justifi6e (troisi~me 6tape).

A. La ditennination d’un droit ancestral < existant >

1.

Les origines de la doctrine des droits ancestraux

La doctrine des droits ancestraux s’est principalement d6velopp6e dans des
d6cisions judiciaires qui concemaient les territoires autochtones. I1 est donc
n6cessaire d’explorer quelque peu ce domaine pour se familiariser avec les con-
cepts v6hicul6s dans 1’arr&t Sparrow. Mais auparavant, petite pr6cision de voca-
bulaire: il n’y a aucune diff6rence entre les notions de titre indien, ancestral,

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aborig~ne ou autochtone s. Ce qu’il faut comprendre, c’est que la notion de
titre >> fait r6f6rence h un droit i6 au territoire. La notion de droit >> ancestral
est plus g6n6rale : elle inclut le titre ancestral sans toutefois s’y limiter. I1 est
tout a fait concevable que les autochtones aient d’autres droits, comme l’auto-
nomie gouvernementale ou le maintien de leurs coutumes.

Avant 1’arriv6e des Europ6ens en Am6rique du Nord, les autochtones occu-
paient le territoire actuel du Canada. Ils l’utilisaient pour des activit6s de chasse,
de p~che, mais aussi d’agriculture9. Bien stir, la notion de propri6t6 priv6e sur
ce territoire leur 6tait inconnue : en effet, ils consid6raient la Terre comme leur
v6ritable more. Comment peut-on atre propri6taire de sa more ? Leur relation
avec le territoire s’apparentait plus A la notion de responsabilit6 : ils avaient –
et ont toujours –
le devoir de le pr6server pour les sept g6n6rations h venir.
Cette situation a-t-elle chang6 du seul fait du contact avec les Europ6ens ?
Autrement dit, 1’6tablissement de quelques comptoirs de traite a-t-il fait dispa-
raitre instantan6ment les syst~mes juridiques autochtones ainsi que leur
droits >> quant aux territoires sur lesquels les puissances colonisatrices reven-
diquaient la souverainet6 ? Certains pr6tendent que oui, s’appuyant sur la pr6-
tendue < inf6riorit6 >> des autochtones et sur le pr6jug6 voulant que ceux-ci ne
faisaient que vagabonder sur le territoire. Cependant, une r~gle de common law
coloniale vient contredire ces opinions”. Elle pr6cise que lorsque la Couronne
conquiert un territoire, il faut pr6sumer que la propri6t6 priv6e de ses habitants
n’est pas affect6e”, le droit des autochtones sur leurs terres 6tant cette fin assi-
mil6 A la propri6t6 priv6e. Notons bien qu’il n’est pas ici question de souverai-

SD’ailleurs, le juge Dickson les utilise indistinctement dans l’arr&t Guerin c. R., [1984] 2 R.C.S.

335 a ]a p. 376, 13 D.L.R. (4th) 321 [ci-apr~s Guerin cit6 aux R.C.S.].

9Voir B.G. Trigger, Les Indiens, la fourrure et les Blancs, Montreal, Bor6al, 1990 aux pp.

118-22.

‘0La Couronne britannique avait le pouvoir de modifier les droits priv~s dans une colonie con-
quise. Cependant, si elle ne faisait rien, elle 6tait pr~sum6e avoir accepts et reconnu les droits
d6coulant du syst~me ant6rieur et qui 6taient suffisamment prdcis pour 8tre appliques devant un
tribunal anglais : Amodu lijani c. Secretary, Southern Nigeria, [1921] 2 A.C. 399 (C.P.). Le juge
Dickson accepte cette proposition dans l’arrt Guerin, supra, note 8 a la p. 378. Voir aussi B. Slat-
tery, The Land Rights of Indigenous Canadian peoples, Th6se de doctorat, Oxford, 1979 a la p.
47 et s. [r6imprim~e, University of Saskatchewan Native Law Center, 1979], ainsi que B. Slattery,
Understanding Aboriginal Rights >> (1987) 60 R. du B. Can. 727 [ci-apr~s Understanding Abo-
riginal Rights >>].

I”La situation au Qu6bec est plus complexe. Selon un certain courant jurisprudentiel et doctrinal
qu6b6cois, repr6sent6 par H. Brun, Le territoire du Qugbec, Qu6bec, Presses de l’Universit6 Laval,
1974 h la p. 62-69, il ne subsisterait aucun titre autochtone sur le territoire du Quebec de 1763.
Cette opinion se fonde sur deux pr6misses : premi~rement, ]a Proclamation Royale de 1763, L.R.C.
1985, app. H, no. 1 [ci-apr~s Proclamation Royale], n’accordait des droits aux Indiens qu’h l’extd-
rieur du territoire du Qu6bec de 1’6poque ; deuxi~mement, tout droit ancestral ant6rieur ]a conqute
aurait 6t6 6teint parce que les Frangais ne
‘ont jamais reconnu. Cependant, le fondement de ces
deux pr6misses est tr~s faible, comme le d6montre P Dionne, x Les postulats de ]a Commission
Dorion et le titre aborigine au Qu6bec >> (1991) 51 R. du B. 127.

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net6 au sens international du terme 2 . Le titre ancestral se rapproche plut6t de
notre concept de propridt6, bien qu’il serait tout h fait rdducteur de l’y assimiler
compl~tement.

Une autre r~gle g6nrrale de droit vient appuyer la position des autochtones.
C’est l’adage nemo dat quod non habet, ou << on ne peut pas donner ce que l'on ne poss~de pas >>. En effet, les puissances coloniales ne pouvaient pas concdder
A leurs sujets (ou A un autre ,tat) des terres qui appartenaient A un autre peuple.

Toujours est-il que la Couronne britannique, ayant pris le contrrle de toute
l’Amrrique du Nord-Est en 1760, reconnut les droits des autochtones et leur
accorda une protection 16gale. La Proclamation Royale 3 opera une codifica-
tion 4 de la pratique antdrieure de la Couronne qui consistait A acheter les terres
indiennes et A interdire aux colons de traiter directement avec les autochtones.
Toute transaction avec ceux-ci devait obligatoirement recevoir la sanction de la
Couronne. Une telle politique se justiflait par la nrcessit6, pour les Britanniques,
d’apaiser les craintes des Indiens, qui representaient encore une menace mili-
taire importante, en contr6lant la conduite grnrralement peu scrupuleuse des
colons et des autoritrs locales.

Mais quels 6taient les droits des autochtones sur les territoires qui
n’avaient pas 6t6 ainsi crds ? La Cour supreme des ttats-Unis se prononga sur
le sujet, dans cinq ddcisions rendues au debut du dix-neuvi~me si~cle. 5 Ces
decisions constituent encore aujourd’hui la base de 1’analyse des droits ances-
traux. Elles s’appliquent directement dans le contexte canadien puisqu’elles
trouvent leur source dans la Proclamation Royale” et dans la pratique de la
Couronne britannique, qui concernaient aussi bien le Canada que les treize colo-
nies amdricaines”7 . En plus de ddduire une r~gle de common law coloniale de

12Du moins, en ce qui concerne les tribunaux canadiens : voir Sparrow, supra, note 5 h la p.
1103. Un tribunal international voudra peut-8tre examiner la 16galit6 de la rclamation de souve-
rainet6 de la Couronne britannique sur les territoires autochtones, ainsi que la question de l’appli-
cation aux communautrs autochtones du droit des peuples h disposer d’eux-memes.

13Supra, note 11. Cette Proclamation organisait les gouvernements des nouvelles colonies
anglaises en Am6rique du Nord. Une partie importante de ce document traitait des relations avec
les Indiens, tant dans ces nouvelles colonies que dans les treize anciennese colonies qui allaient
former les ttats-Unis.

14Ceci implique, bien entendu, que les droits ancestraux existaient avant cette Proclamation.

Celle-ci ne faisait que les confirmer. Voir Guerin, supra, note 8 A la p. 377.

15Pour une analyse de ces drcisions, voir J. Hurley, << Aboriginal Rights, the Constitution and the Marshall Court>> (1982-83) 17 R.J.T. 403.

16Fletcherc. Peck, 27 U.S. 308 (1810) ; Johnson c. M’Intosh, 21 U.S. 543 (1823) [ci-apr~s John-
son] ; Cherokee Nation c. Georgia, 30 U.S. 1 (1831) ; Worcester c. Georgia, 31 U.S. 575 (1832) ;
et Mitchel c. United States, 34 U.S. 711 (1836). Pour une analyse de ces decisions, voir J. Hurley,
< Aboriginal Rights, the Constitution and the Marshall Court >> (1982-83) 17 R.J.T. 403.

17La pertinence de ces decisions amrricaines a dt6 reconnue dans St. Catharines Milling & Lum-
ber Co. c. R. (1887), 13 R.C.S. 577 A lap. 610, M. le juge Strong, puis dans Baker Lake (Hamlet)

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la pratique de la Couronne, ces d6ecisions pr6cisent la port6e des effets de la
< d6couverte >. Lorsqu’une puissance europ6enne d6couvrait un nouveau terri-
toire en Am6rique, elle acqu6rait, A 1’exclusion de tout autre pays d’Europe, non
pas un droit de propri6t6, mais plut6t le droit exclusif d’acheter ce droit des
habitants de l’6poque. C’est donc dire que la d6couverte n’est opposable qu’en-
tre les Europ6ens, et non aux autochtones. Ces demiers conservaient la meme
relation avec la terre qu’avant la < d6couverte . La Cour supreme des Ittats-Unis a alors pr6cis6 la nature du droit que les autochtones ont maintenant sur leurs terres ancestrales. On peut le d6crire comme un droit de propri6t6 amput6 de la facult6 de le vendre h des non- autochtones. Cette facult6 manquante constitue le titre sous-jacent de la Cou- ronne 1. En effet, seule la Couronne peut acheter le droit de propri6t6 qu'ont les autochtones sur leurs terres. Lorsqu'elle le fait, elle r6unit leur droit et son titre sous-jacent pour former un titre de propri6t6 absolu. Les tribunaux canadiens ont g6n6ralement reconnu les concepts de titre sous-jacent de la Couronne et de titre indien. En 1888, le Conseil Priv6 en a reconnu l'existence. Cependant, il qualiflait ce demier de personal and usu- fructary right, dependent on the goodwill of the Sovereign >19. Un tel vocabu-
laire porte quelque peu A confusion et laisse croire que les autochtones ne b6n6-
ficient que d’un simple privilege r6vocable par le gouvemement. Dans un arret
subs6quene , le Conseil Priv6 s’est expliqu6: l’6pith~te personal
signifie
tout simplement que le droit est inali6nable sauf A la Couronne. Aucun 6clair-
cissement n’a toutefois 6t6 apport6 quant au terme usufructary ‘>. Plus r6cem-
ment, l’arret Guerin2 de la Cour supreme a pr6cis6 le concept. Selon le juge
Dickson, la confusion proc~de du fait que l’on tente de qualifier le titre indien
par des expressions tir6es du droit des biens, alors qu’il s’agit d’un concept sui
generis’. Aussi, pourrait-on ajouter, la traduction frangaise de termes de com-
mon law, et les diff6rences entre ce syst~me et le droit civil, n’arrangent pas les
choses. Toujours est-il que le juge Dickson a clarifi6 la situation en affirmant
que :

Les Indiens ont le droit, en common law, d’occuper et de poss~der certaines terres
dont le titre de propri6t6 est finalement d6tenu par Sa Majest6. […] Le droit des

c. Ministre des Affaires Indiennes, [1980] 1 C.. 518, 107 D.L.R. (3d) 342 (Ire inst.) [ci-apr~s
Baker Lake cit6 aux C.F.].

18La qualification de underlying title

d~coule du fait qu’en droit anglais, le Roi est th6ori-
quement le propri6taire ultime de toute terre. I1 en 6tait 6galement ainsi dans toute colonie con-
quise. Cependant, la limitation t la vente ne d6coule pas de cette th6orie mais plutOt de l’interdic-
tion contenue dans ]a Proclamation Royale et d’autres documents.

‘ 9St. Catherine’s Milling and Lumber Co. c. R., (1888) 14 A.C. 46 aux pp. 54-55.
20A.G. Quebec c. A.G. Canada, [1921] 1 A.C. 401 h la p. 408 (C.P.). Voir aussi Smith c. R.,
[1983] 1 R.C.S. 554 aux pp. 569-71, 147 D.L.R. (3d) 237, et surtout Canadian Pacific Ltd. c. Paul,
[1988] 2 R.C.S. 654 A la p. 677, 53 D.L.R. (4th) 487.

21Guerin, supra, note 8 aux pp. 378-82.
22Ibid. h la p. 382.

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CHRONIQUE DE JURISPRUDENCE

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Indiens se distingue donc surtout par son inalidnabilit6 gdn6rale et par le fait que
Sa Majest6 est tenue d’administrer les terres pour le compte des Indiens lorsqu’il
y a eu cession de ce droit.23

E est done maintenant clair que ce qu’on qualiflait de << personal and usu- fructary right >> est, sous reserve de la facult d’alienation au profit des non-
Indiens24, un droit de propridt6. I1 est 6galement hors de question qu’il s’agisse
d’un privilfge d~tenu durant bon plaisir. Le juge Dickson, dans l’arr& Guerin,
indique que seule une mesure 16gislative peut 6teindre le titre indienz .I1 indique
6galement, dans l’arr& Sparrow6, que l’extinction du droit doit s’effectuer
d’une fagon claire et expresse.

2.

La nature et le contenu des droits protdgds par 1’article 35

Jusqu’ici, nous n’avons pard que de droits lids au territoire. Cette partie de
la doctrine des droits ancestraux est probablement la plus riche, car c’est la plus
ancienne et c’est sans doute celle qui a l’effet le plus important sur les relations
entre autochtones et non-autochtones. Mais les droits ancestraux ne se limitent
pas au titre ancestral.

Tout d’abord, les droits ancestraux comprennent certains << ddmembre- ments >> du titre ancestral sur le territoire : le droit de chasser et de pecher. Ces
droits dtaient frdquemment rdservds aux autochtones dans les traitds portant ces-
sion de territoire. Les autochtones s’assuraient ainsi de pouvoir perpdtuer leur
mode de vie basd sur la chasse et la peche et le gouvernement pouvait coloniser
les terres A sa guise. C’est un droit de ce genre (bien qu’ind6pendant de tout
trait6) qui a dt6 revendiqud dans 1’affaire Sparrow.

Mais limiter les droits ancestraux au territoire et h ses accessoires, c’est
mdconnaitre la raison d’Ptre de ce concept en droit public canadien. Comme
l’affirme William Pentney, l’objectif de la constitutionnalisation de ces droits
est de permettre aux nations autochtones de contr6ler leur propre 6volution et
de prdserver leur diffdrence27. C’est donc par une telle analyse de leur objet qu’il
faut ddterminer l’dtendue des droits prot6gds par l’article 35. Par exemple, des
droits concernant le membership du groupe, le << droit de la famille >>2, le main-

231bid.
24Mais les autochtones peuvent vendre ce titre d’autres autochtones : < Understanding Aborig- inal Rights, >> supra, note 10 A la p. 742.

25Guerin, supra, note 8 h la p. 377.
2Sparrow, supra, note 5 Al la p. 1099.
27W. Pentney, << The Rights of the Aboriginal Peoples of Canada in the Constitution Act, 1982 - Part 1I - Section 35 : the Substantive Guarantee >> (1988) 22 U.B.C.L. Rev. 207 A la p. 259.
2VoirRe TagornakAdoption Petition (1983), 50 A.R. 237, [1984] 1 C.N.L.R. 185 (N.W.T.S.C.),
oi lejuge considre que le maintien des coutumes inuits en mati~re d’adoption est protdg6 par l’art.
35.

1390

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tien des coutumes29, l’ducation et un certain niveau d’autonomie gouvernemen-
tale3′ sont probablement inclus dans l’expression << droits ancestraux >>.

L’arrt Sparrow nous dclaire peu sur l’6tendue des droits prot6g6s par l’ar-
title 35. Les d6veloppements dans le cadre du droit ancestral concement plut6t
l’extinction 6ventuelle de ce droit. Les juges Dickson et La Forest pr6cisent seu-
lement que la p~che au saumon constituait une activit6 tr~s importante dans la
culture Musqueam31 . Un pen plus loin, ils soulignent 6galement l’importance de
tenir compte des conceptions autochtones du droit revendiqu6:

il est possible et m~me crucial de se montrer ouvert au point de vue des autoch-
tones eux-m~mes quant A la nature des droits en cause.

Cependant, la Cour supreme laisse croire que l’expression << droits ances- traux existants >> pourrait comporter une limite interne. En effet, le mot << exis- tants >> signifierait que les droits seraient << confirm6s dans leur 6tat actuel plut6t que dans leurs simplicit6 et vigueur primitives >>31. Bien str, ceci permet aux
autochtones d’exercer leurs droits d’une mani~re qui n’6tait pas possible il y a
trois ou quatre si~cles et de profiter des d6veloppements technologiques. Cepen-
dant, ceci laisse la porte ouverte h certaines limitations. L’id6e qu’un droit ait
un 6tat actuel par opposition A un 6tat primitif n’exclut pas que ce droit puisse
se modifier sans l’intervention de qui que ce soit, simplement par l’6volution de
l’usage que son titulaire en fait. Autrement dit, l’exercice d’un droit serait essen-
sa reconnaissance actuelle. C’est lM une proposition pour le moins 6trange,
tiel
et en tout cas contraire h l’opinion du juge Lamer dans l’arrt Sioui, qui affirme
que l’utilisation continue d’un trait6 n’est pas n~cessaire A sa validit6. Qu’en
est-il, en effet, d’un droit qui n’a pas 6t6 exerc6 suite une action gouvememen-
tale ill6gale ? Que serait devenu un droit ancestral dont les autochtones auraient
d6laiss6 l’exercice sous la contrainte de la soci6t6 blanche ? L’<< 6tat actuel o voudrait peut-8tre aussi dire que le droit ancestral doit s'exercer dans le contexte << actuel >> de la soci6t6 industrielle. L encore, il s’agit d’une limitation interne,
qui a plut6t sa place dans l’analyse de la justification d’une atteinte A un droit
prot6g6.

29Par exemple, dans l’affaire Six Nations Traditional Hereditary Chiefs c. Canada (Minister of
Indian and Northern Affairs), (20 f~vrier 1991), T-1144-88 (C.F. Ire inst.) [non-publide], le juge
Rouleau semble indiquer que le mode traditionnel de d6signation des chefs pourrait etre prot6g6
par l’art. 35.
30Dans l’arret PG. Canada c. Grand Chief Matthew Coon Come, [1991] R.J.Q. 922 (C.A.), le
juge LeBel va jusqu’A affirmer A lap. 939 que < l'article 35 introduirait une troisi~me composante dans le fonctionnement du f6d~ralisme canadien, qui devrait etre prise en compte dans la rpartition des pouvoirs, entre les l6gislatures provinciales et le Parlement du Canada >>.

31Sparrow, supra, note 5 A ]a p. 1094.
321bid. a la p. 1112.
331bid. a ]a p. 1093.
34R. c. Sioui, [1990] 1 R.C.S. 1025 A lap. 1066, 70 D.L.R. (4th) 427, rendu une semaine avant

Sparrow.

1991]

CASE COMMENTS

L’arrt Sparrow laisse la porte ouverte t un autre genre de limitation aux
droits ancestraux. En effet, les juges ont limits les buts que peuvent poursuivre
les autochtones dans l’exercice de ces droits. Ainsi, ils n’ont reconnu l’existence
d’un droit de p~che qu’ des fins alimentaires et c6r6moniales. Puisqu’aucune
preuve directe n’a td faite de l’usage qu’entendait faire M. Sparrow du poisson
p~ch6, il n’6tait pas n6cessaire de se prononcer sur 1’6pineux probl~me de la
peche t des fins commerciales. Mais restreindre les fins auxquelles un droit
ancestral peut etre exerc6 s’accorde mal avec la th6orie des droits ancestraux
expos6e par Slattery35. De plus, il est presque impossible de d6terminer les buts
actuels du droit en fonction du mode de vie d’il y a quatre si~cles. Entre autres,
il serait erron6 de dire que le commerce n’existait pas avant l’arriv6e des Euro-
p6ens : les diverses tribus s’6changeaient certaines denr6es dont elles avaient
l’exclusivit6 de la production. Toutefois, une telle attitude ne concorde pas avec
celle adopt6e dans 1’arret Guerin, oti le juge Dickson, citant la Cour supreme
des ttats-Unis, indique que les autochtones peuvent utiliser leurs terres < t leur gr6 >>16. On ne peut donc pas 8tre certain si cette qualification du droit dans Spar-
row ne r6sulte que d’une volont6 de retenue judiciaire ou plut6t d’une limitation
r6elle des buts poursuivis dans l’exercice des droits ancestraux37.

Les droits ancestraux pr6sentent une caract6ristique bien particuli~re : ce
sont des droits collectifs”. La simple lecture de l’article 35(1) nous apprend que
les titulaires de ces droits sont les peuples autochtones du Canada39. Ainsi, les
droits ancestraux profitent t une sous-collectivit6 A l’intdrieur de l’ordre juri-
dique 6tabli par la constitution canadienne. Aussi, certains droits ancestraux,
comme la conservation du syst~me juridique autochtone ou la d6termination du
statut de membre, sont collectifs par nature, car ils impliquent une interaction
entre les membres d’une collectivit6 ; ils ne peuvent en aucun cas 8tre exerc6s
par un seul individu. Cette approche est d’ailleurs confirmde par le professeur
Slattery”, qui affirme que les droits ancestraux sont des droits collectifs qui
r6gissent les rapports entre les groupes autochtones et la Couronne, les rapports

35, Understanding Aboriginal Rights, >> supra, note 10 aux pp. 746-47.
36JohlIson, supra, note 16 aux pp. 573-74, cit6 dans Guerin, supra, note 8 h ]a p. 378.
37Ainsi, certains arrfts ont reconnu qu’un droit ancestral de peche pouvait s’exercer h des fins
commerciales: R. c. Commanda, (23 aoflt 1990), DCO 787/89 [non-publi~e] (Ont. Dist. Ct.)
[ci-apr~s Conunanda], bien qu’en g6n~ral l’attitude des tribunaux soit contraire. Voir, par exemple,
les commentaires du juge La Forest dans Mitchell c. Bande indienne Peguis, [1990] 2 R.C.S. 85
aux pp. 138 et 145, 71 D.L.R. (4th) 193 [ci-aprbs Mitchell cit6 aux R.C.S.].

collectif et de son application en mati~re scolaire au Qu6bec >> (1984) 18 R.J.T. 1.

38Notre analyse des droits collectifs est bas~e sur le texte de P. Carignan, De la notion de droit
39Mais, assez curieusement, l’art. 35(4) 6nonce que les droits de 35(1) sont 6galement garantis
aux personnes des deux sexes. Cet article n’en est d’ailleurs pas h une incoherence pros : il dit que
ces droits sont garantis alors que 35(1) dit plut6t qu’ils sont reconnus et confirmis. I1 ne faut pas,
A notre avis, se formaliser de ces differences.

40< Understanding Aboriginal Rights, >> supra, note 10 h la p. 745, et Pentney, supra, note 27

la p. 258.

1392

REVUE DE DRO1T DE McGILL

[Vol. 36

individuels entre les membres du groupe demeurant r6gis par le syst~me juri-
dique autochtone.

Cette caract6risation ne met pas fin A l’enquete. Ii faut se demander si le
droit collectif est attribu6 au groupe en tant que tel, ou plut6t h ses membres i
cause de leur appartenance h ce groupe. Ceci peut sembler acad6mique, mais
cette question en soul~ve deux autres. Premi~rement, un droit attribu6 au groupe
lui-meme doit n6cessairement faire l’objet d’une revendication collective. L’in-
dividu isol6 ne peut s’en pr6valoir. C’est sans doute pour cette raison que la plu-
part des demandes concernant la revendication, au civil, de droits ancestraux
sont pr~sent6es par un grand nombre d’individus appartenant A une bande
indienne4′ ou encore par les membres du conseil de bande, agissant au nom de
la collectivitO42. La seule exception permise A cette r~gle de la revendication col-
lective est celle ota un accus6, dans un proc~s p6nal, invoque en d6fense l’in-
constitutionnalit6 d’une loi ou d’un r~glemen 3, comme c’6tait le cas dans l’af-
faire Sparrow.

Deuxi~mement, si les droits ancestraux sont attribu6s A une collectivit6 en
tant que telle, il faut d6terminer la taille de cette collectivit6. L’article 35(1)
parle de < peuples autochtones >>. Qu’est-ce qu’un peuple ? Une bande indienne
au sens de la Loi sur les Indiens 4 est-elle un peuple competent pour revendiquer
de tels droits ? Si l’on se fie A l’affaire Guerin, la r~ponse semble affirmative.
Cependant, i faut bien se garder de conclure h l’identit6 peuple –
bande.
Maintes situations peuvent survenir oti un peuple autochtone est divis6 en plu-
sieurs bandes.”5 I faudra alors d6terminer l’unit6 appropri~e qui b6n6ficie du
droit.

Un passage de l’arr~t Sparrow nous incite A croire que le titulaire du droit,

c’est le groupe et non l’individu :

Les droits de p~che ne sont pas des droits de proprit6 au sens traditionnel. II s’agit
de droits qui appartiennent L un groupe et qui sont en harmonic avec Ia culture
et le mode de vie de ce groupe (nos italiques). 6
Bien que cette affirmation ne soit pas d6terminante, puisque Sparrow pou-
vait de toute fagon contester individuellement la validit6 du r~glement, ]a Cour

4’Par exemple, Calderc.A.G. British Columbia, [1973] R.C.S. 313,34 D.L.R. (3d) 145 [ci-apr~s

Calder cit6 aux R.C.S.] et Baker Lake, supra, note 17.

42Voir par exemple, l’en-tate de l’affaire Guerin, supra, note 9 t ]a p. 336. Pour une revue de
la jurisprudence relative A l’int&r&t des bandes pour poursuivre, voir Johnson c. Canada, [1990]
1 C.F. 275 [sub. nom. Muchalat Indian Band c. Canada, 30 F.T.R. 120] (Ire inst.).

43R. c. Big M Drug Mart Ltd., [1985] 1 R.C.S. 295 aux pp. 312-16, 18 D.L.R. (4th) 321 [ci-apr~s

Big M Drug Mart cit6 aux R.C.S.].

4Loi sur les Indiens, L.R.C. 1985, c. 1-5.
45Par exemple, le peuple Mohawk comprend notamment les bandes de Kahnawake, Kanesatake
46Sparrow, supra, note 5 A ]a p. 1112.

et Akwesasne.

1991]

CHRONIQUE DE JURISPRUDENCE

1393

indique clairement que le droit appartient au groupe par opposition A ses
membres.

3.

L’existence d’un droit ancestral

Le mot < existants >> dans l’article 35 a donn6 lieu A de nombreux drbats.
Certains pr6tendaiente7 que les droits ancestraux 6taient constitutionnalisrs dans
la mesure precise oh ils 6taient r6glementrs le 17 avril 1982. Selon eux, toutes
les lois qui A cette date limitaient des droits ancestraux sont valides et ce n’est
que si une loi plus s~v~re est adoptde que l’on pourra parler de violation. L’arr~t
cause de la disparit6
Sparrow a rrfut6 cette 6cole de pensre, principalement
de r~glements qui auraient ainsi 6t6 constitutionnalis6s. Les juges Dickson et La
Forest ont plut6t opt6 pour l’avis de certains professeurs4s, qui pr6tendaient que
le mot < existants >> signifiait simplement << qui n'ont pas 6t6 6teints >>.

Ceci nous ram~ne a l’6pineuse question du mode d’extinction d’un droit
ancestral. Depuis l’entrre en vigueur de l’article 35, il est clair que ces droits
ne peuvent plus 8tre abrogrs sans le consentement des autochtones49. Tout le
problhme reside dans l’extinction antrrieure A 1982. Bon nombre d’arrts
avaient drcid6 qu’une telle extinction pouvait 8tre implicite ou se drduire par
implication nrcessaire d’une loi5″. L’arr&t Sparrow a mis fin A la controverse:
<< l'intention du Souverain d'6teindre un droit ancestral doit 6tre claire et expresse >>, et c’est le gouvernement qui a le fardeau de cette preuve. Les juges
ne disent cependant pas si cette intention doit se manifester dans une loi ou si
un r~glement ou un acte de prerogative suffit. Cependant, dans Guerin, le juge
Dickson semblait dire qu’une loi 6tait n~cessaire52.

Dans l’affaire Sparrow, le gouvemement frdrral a tent6 de prouver l’ex-

tinction du droit ancestral par la mise en place d’un << code 16gislatif complet >>
pour r6gir 1’ensemble des pecheries en Colombie-Britannique. L’extinction
devait << nrcessairement s'inf6rer >> de ces lois qui ne laissaient, dit-on, aucune
place A un droit ancestral. Mais la Cour ne l’a pas entendu ainsi. Elle a plutrt
drcid6 qu’il y avait une difference entre rrglementer l’exercice d’un droit et
6teindre (ou exproprier) ce meme droit. Ainsi, elle renverse implicitement l’opi-

47R. c. Eninew (1984), 28 Sask. R. 168, 1 D.L.R. (4th) 595 (Q.B.) A la p. 598, confirms pour

d’autres motifs par (1984), 32 Sask. R. 237, 10 D.L.R. (4th) 137 (C.A.).

48B. Slattery, << The Constitutional Guarantee of Aboriginal and Treaty Rights >> (1983) 8
Queen’s L.J. 232 aux pp. 261-62; K. McNeil, < The Constitutional Rights of the Aboriginal Peo- ples of Canada >> (1982) 4 Sup. Ct. L. Rev. 218.

49Slattery, ibid. aux pp. 255-56.
5 0Calder, supra, note 41 aux pp. 333-34, M. lejuge Judson ; Baker Lake, supra, note 17 aux pp.
565-68, A.G. Ontario c. Bear Island Foundation (1989), 68 O.R. 394, 58 D.L.R. (4th) 117 aux pp.
135-36 (C.A.).

51Sparrow, supra, note 5 A la p. 1099.
52Guerin, supra, note 8 A la p. 377.

1394

McGILL LAW JOURNAL

[Vol. 36

nion du juge Judson qui, dans l’arr&t Calder 3, avait consid6r6 que l’intention de
la province d’assumer un contrrle complet sur le territoire, en 6tablissant un
mrcanisme de concession de terres, 6tait suffisant pour y 6teindre tout droit
ancestral. I1 s’agit donc d’un test extr8mement severe, qui rend donc possible la
subsistance d’un nombre important de droits ancestraux, 6tant donn6 le fait qu’il
est rare que des lois les aient express6ment 6teints.

Quels sont les crit~res relatifs A la preuve de l’existence d’un droit ances-
tral ? La Cour ‘est peu loquace ce sujet. A tout le moins, elle affirme qu’on ne
doit pas tenir compte de la r6glementation actuelle afin de d6terminer l’6tendue
du droit. C’est une cons6quence logique du rejet de la th6orie de la <( r6glemen- tation fig6e >>.

L’arrt Baker Lake’ avait ddfini quatre crit~res A remplir pour prouver
l’existence d’un droit ancestral sur le territoire. On peut sans doute les appli-
quer, en les adaptant, h d’autres types de droits ancestraux. Ce sont : (1) l’exis-
tence d’une socidt6 suffisamment organisre ; (2) l’occupation du territoire pr6-
cis qui fait l’objet de la reclamation ; (3) une occupation exclusive de ce
territoire et (4) une occupation depuis l’6poque oti l’Angleterre est devenue sou-
veraine sur ce territoire55. Sans se prononcer directement sur la validit6 de ces
crit~res, l’arr& Sparrow semble les assouplir quelque peu. En effet, les juges ne
parlent que d’un << exercice ininterrompu suffisant >> au lieu d’utiliser la formule
classique de l’exercice << depuis des temps imm6moriaux >>”6. Ceci tend accrd-
diter la these de Brian Slattery qui pretend qu’une prriode limit~e, peut-6tre
aussi courte que de vingt A cinquante ans, serait suffisante pour 6tablir un droit
ancestral57. En fait, la qualit6 et la permanence de la relation des autochtones
avec le territoire serait plus importante que sa durre.

Aussi, le crit~re de l’occupation exclusive peut 8tre mis en doute puisque
le rapport de l’anthropologue prrsent6 en preuve rrvrlait que l’occupation par
les Musqueams de leur territoire ancestral n’avait jamais 6t6 totalement exclu-
sive. D’autres bandes indiennes venaient y pacher et les Musqueams eux-
m~mes empi6taient sur le territoire des autres bandes. Un critere moms exigeant
se profile donc dans Sparrow : l’utilisation et le contrrle substantiel du terri-
toire 8 .

53CaIder, supra, note 41.
54Baker Lake, supra, note 17.
5 5Ibid. aux pp. 557-58.
56Sparrow, supra, note 5 A ]a p. 1095. D’ailleurs, dans le recent arrt PG. Ontario c. Bear Island
Foundation (15 aofit 1991), no. 21435 (C.S.C.), ]a Cour d~sapprouve I’application, par le juge do
prenire instance, des critres de Baker Lake. Ceci confirme l’assouplissement d6jt apparent dans
Sparrow.

57<< Understanding Aboriginal Rights, >> supra, note 10 aux pp. 758-60.
58D’ailleurs, dans l’affaire Delgamuukiv c. British Columbia, [1991] 3 W.W.R. 97 [ci-apr~s Del-
gamuukiv], lejuge McEachem,
]a page 388, a express~ment mis en doute ]a n~cessit6 de remplir
ce crit~re et a envisag6 Ta possibilit6 que deux communautds aient un titre sur ]a m~me rdgion.

1991]

CASE COMMENTS

1395

Pour r6sumer, les droits ancestraux sont des droits collectifs de common
law59 qui existent ind6pendamment de toute reconnaissance 6tatique. Ils
drcoulent de l’occupation et de l’utilisation du territoire par les autochtones.
Avant 1982, ils ne pouvaient 8tre 6teints que par une 16gislation < claire et expresse >>.

B. L’atteinte a un droit ancestral

En franchissant la premiere 6tape, nous avons constat6 1’existence d’un
droit ancestral protrg6 par l’article 35 et nous en avons tant bien que mal drli-
mit6 les contours. L’tape suivante de l’analyse consiste A se demander si ce
droit a 6t6 viol6.

Signalons qu’il est fort probable que cette 6tape et la suivante soient appli-
cables A la fois aux droits ancestraux et aux droits issus de traitrs. Rien ne dis-
tingue les deux categories, hormis la source du droit garanti. Puisque par ail-
leurs le mrcanisme de protection est le m~me, la logique commande que
I’analyse se d6roule de la m~me mani~re. C’est d’ailleurs ce qu’ont reconnu cer-
tains tribunaux dans des ddcisions postdrieures h Sparrow.60

C’est celui qui revendique un droit ancestral qu’il revient de prouver une
violation h premiere vue6″. Pour ce faire, on doit analyser l’objet et 1’effet de la
mesure 16gislative et de la mesure rrglementaire contestres.

La Cour supreme expose ensuite un crit~re dans des termes assez flous.

Elle indique trois questions pertinentes :

Premi~rement, la restriction est-elle d~raisonnable ? Deuxi~mement, le r~glement
est-il indfiment rigoureux ? Troisi~mement, le r~glement refuse-t-il aux titulaires
du droit le recours

leur moyen prrfr6 de l’exercer ?62

Les juges Dickson et La Forest poursuivent plus loin:

Le crit~re n~cessite plutrt qu’on se demande si, de par son objet on son effet, la
restriction imposre quant A la longueur des filets porte atteinte inutilement aux
int&6rts prot6g6s par le droit de pache.63

On nage en pleine confusion. Tout d’abord, la deuxi~me citation se ram~ne
A ceci : il y a violation d’un droit s’il y a atteinte A ce droit. Bel 6talage de syno-

59Mame s’ils drcoulent de la common law, ces droits s’appliquent dgalement au Quebec, car il
s’agit ici d’un domaine de droit public. Voir (Understanding Aboriginal Rights, >> supra, note 10

a p. 732 et s.
60R. c. Joseph, [1990] 4 C.N.L.R. 59 (B.C.S.C.) ; R. c. McIntyre, [1991] 2 C.N.L.R. 146 (Sask.
Prov. Ct.).
6’Sparrow, supra, note 5
621bid.
631bid. aux pp. 1112-13.

la p. 1112.

1396

REVUE DE DROIT DE McGILL

[Vol. 36

nymes. Malgr6 cela, les commentaires de juges laissent croire que le test est
souple et qu’une d6monstration rigoureuse des effets n6fastes n’est pas n6ces-
saire. Mais les deux passages cit6s semblent 6galement inclure une mesure de
justification d~s l’6tape de l’examen de la violation du droit. Si un r~glement qui
<< porte atteinte inutilement aux int6rts prot6g6s >> viole le droit, qu’en est-il
d’un r~glement qui y porte atteinte, mais utilement cette fois ? Par rapport A
quoi mesure-t-on cette utilit6 ? Les juges 6valuent donc d6jh l’opportunit6 de
l’atteinte. L’examen des deux premieres questions du premier extrait cit6
ci-dessus aboutit au meme r6sultat: le caract6re d6raisonnable ou indflment
rigoureux d’un r~glement n’est-il pas typique d’une analyse justificative ? Par
analogie, on peut rappeler que la Cour supreme, dans l’analyse de l’article 15
de la Charte, interdisant la discrimination, a bien pr6cis6 que la victime n’a pas
A prouver que la distinction op6r6e contre elle est d6raisonnable. Toute tentative
de justification doit 6tre faite par le minist~re public et se fonde sur l’article pre-
mier,.

Nous croyons qu’il faut faire abstraction de toute question de justification
lorsqu’on se demande si un droit garanti a
td viol6. Procder autrement risque-
rait d’exiger un d6but de preuve de justification de la part des autochtones, alors
qu’en th6orie, c’est le gouvernement qui assume ce fardeau dans ce qui cons-
time une troisi~me 6tape distincte. I nous semble que la preuve de la violation
d’un droit n’a besoin d’aucun << crit~re >>. Une violation demeure une violation
mgme si certains la jugent raisonnable ou utile.

C. La justification d’une atteinte & un droit ancestral

Une fois prouv6e la violation d’un droit, la Couronne doit d6montrer que
cette violation est justifi6e si elle veut 6viter que la loi soit d6clar6e inop6rante
en vertu de ‘article 52 de la Constitution.

Le test d6velopp6 dans Sparrow conceme les lois et les mesures r6glemen-
takes. Ceci laisse en plan la question des violations par la conduite d’un agent
de l’Etat non autoris6e par une loi, des violations commises par une partie pri-
v6e, ou d’autres violations qui ne d6couleraient pas d’une r~gle de droit. Par
exemple, l’ttat peut avoir occup6 des terres grevdes d’un titre ancestral sans
avoir 16galement 6teint celui-ci. On peut penser que, tout comme dans le cas de
la Charte, une telle violation donne imm6diatement ouverture h r6paration, sans
qu’on ait A se demander si elle 6tait justifi6e. Mais il faudra alors trouver un
m6canisme appropri6, car l’article 24 de la Charte, qui pr6voit qu’un tribunal
comp6tent peut accorder une r6paration convenable en cas de violation d’un

64Andrevs c. Law Society of British Columbia, [1989] 1 R.C.S. 143 Ai lap. 182, 56 D.L.R. (4th)
1. 65Sur le fardeau de la preuve, voir Sparrow, supra, note 5 h ]a p. 1110.

1991]

CHRONIQUE DE JURISPRUDENCE

1397

droit garanti, ne s’applique pas A l’article 35. Peut-6tre que les juges ne verront
pas M~ un obstacle: comme on le verra, ils ont bien appliqu6, sans trop le dire,
le test de l’article 1 un droit qui ne fait pas partie de la Charte.

La Cour, dans une curieuse allusion66, a laiss6 entendre que le test ne s’ap-
pliquerait qu’aux lois f6d6rales. Les autochtones b6n6ficieraient d’une protec-
tion encore plus grande face aux lois provinciales. A notre avis, ceci n’a rien a
voir avec l’article 35. On salt que les provinces n’ont pas la comp6tence cons-
la << quiddit6 indienne >67, ni 16gif6rer direc-
titutionnelle pour porter atteinte
tement en rapport avec les Indiens ou les terres qui leur sont r6serv6es. Cepen-
dant, l’article 88 de la Loi sur les Indiens68 incorpore dans le droit f6d6ral les
lois provinciales d’application g6n&ale touchant les Indiens, A certaines condi-
tions. C’est donc en tant que lois f6d6rales que ces lois passeront le test de l’ar-
ticle 35. Si certaines lois provinciales ne s’appliquent pas aux autochtones, c’est
simplement parce qu’elles sont invalides au regard du partage des comp6tences
et ne remplissent pas les conditions de l’article 88 pour 6tre introduites dans le
droit fdd6ral.

1.

Premier crit~re: la r6gularit6 de l’objectif

Les juges examinent d’abord l’objectif poursuivi par la loi et par le r~gle-
ment pour d6terminer s’il est < r6gulier > . Le terme << objectif r6gulier >> est un
fant6me tout droit sorti de la jurisprudence relative A la Diclaration canadienne
des droits69 . I1 signifiait A peu pros un objectif constitutionnellement valide au
regard du partage des comp6tences. Cela avait pour effet d’emp~cher l’invali-
dation des lois f6d6rales, car la vaste majorit6 d’entre elles ont 6t6 adopt6es dans
la poursuite d’un objectif qui relive du champ de comp6tence du Parlement
f6d6ral. Mais dans ce cas-ci, le test semble plus s6v~re. Les juges semblent faire
le lien entre l’importance de l’objectif et sa r6gularit60 . Ils parlent aussi d’ob-
jectifs < imprieux et rdels > 71.

Pour mieux nous 6clairer sur ce que peut 6tre un objectif r6gulier, la Cour
nous donne des exemples. Tout d’abord, la conservation et la gestion des res-
sources sont reconnues comme des objectifs r6guliers. Aussi, la pr6servation
d’autres droits ancestraux dont l’exercice serait menac6, ainsi que la protection
physique des autochtones et du public en g6n6ral seraient des objectifs r6guliers.
Pour ce qui est du dernier cas, les juges ont sans doute A l’esprit la r6glemen-

66bid. ? la p. 1105.
67Dick c. R., [1985] 2 R.C.S. 309, 23 D.L.R. (4th) 33.
68Loi sur les Indiens, supra, note 44.
69Dclaration canadienne des droits, L.R.C. 1985, app. 1II.
70Sparroiv, supra, note 5 A la p. 1114.
71Ibid. it lap. 1113.

1398

McGILL LAW JOURNAL

[Vol. 36

tation des armes A feu qui vise la protection du public, m~me si elle pourrait vio-
ler un droit ancestral de chasse’.

Par contre, l’int6rt public en g6n6ral, tel que retenu par la Cour d’appel,
ne constitue pas un objectif suffisamment pr6cis pour justifier une atteinte At un
droit ancestral. On peut donc penser que l’application de ce crit~re sera s6v~re
et que les juges devront se demander, tout comme pour le test de l’article 1 de
la Charte73 , si l’objectif all6gu6 est suffisamment important pour justifier la res-
triction d’un droit reconnu et confirm6. D’ailleurs, plus loin dans l’arr&t, les
juges laissent entendre que les objectifs < cach6s >> seront 6valu6s. Ainsi, si on
d6couvre qu’une loi a 6t6 adopt6e dans le but de porter atteinte t un droit ances-
tral, on ne pourra pas consid6rer qu’elle a un objectif r6gulier. Un exemple pos-
sible de cette situation est une restriction sur la longueur des filets justifi6e non
pas par la conservation du poisson, mais plut6t par le d6sir d’emp~cher les auto-
chtones de vendre leur poisson74. Ceci sugg~re donc qu’il faille d6montrer non
seulement un objectif r6gulier, mais aussi un lien rationnel entre la mesure
adopt6e et cet objectif.

I1 convient de signaler que dans les quelques arr~ts qui ont appliqu6 le test
de Sparrow, les juges s’int6ressent non seulement A l’objectif de la loi ou du
r~glement attaqu6s, mais aussi A la pratique gouvernementale et t l’attitude
r6elle de l’administration face aux autochtones75.

2.

Deuxi~me crit~re: l’honneur de la Couronne

La seconde partie du test porte un titre plut6t 6trange pour le juriste pen
familier avec la jurisprudence relative aux droits ancestraux. Les juges
l’6noncent ainsi :

76

La fagon de r6aliser un objectif 16gislatif doit pr6server
‘honneur de Sa Majest6
et doit etre conforme aux rapports contemporains uniques, fondus sur l’histoire et
les politiques, qui existent entre la Couronne et les peuples autochtones du
Canada.
Les rapports sp6ciaux de fiduciaire et la responsabilit6 du gouvemement envers les
autochtones doivent etre le premier facteur examiner en d6terminant si ]a mesure
16gislative ou l’action en cause est justifiable.77

72Par exemple, dans Simon, supra, note 2 A la p. 414, le juge Dickson prdcise que le droit de
chasse de Simon comprend le droit de transporter une carabine, pour autant que cela se fasse de
fagon s6curitaire.

73Big M Drug Mart, supra, note 43 h la p. 352.
74Voir R. c. Richardson and Wilson, (aoflt 90), (B.C.P.C.) [non-publide], citd dans R. c. Nikal,

[1991] 51 B.C.L.R. (2d) 247, [1991] 1 C.N.L.R. 162 (B.C.S.C.) [ci-apr~s Nikal].

75Voir entre autres R. c. Joseph, (7 f6vrier 1991), 89-02802 (Y.T.C.) [non-publie] [ci-apr~s
Joseph] et Nikal, ibid.
76Sparrow, supra, note 5 h la p. 1110.
771bid. lap. 1114.

1991]

CASE COMMENTS

1399

La notion d’obligation de fiduciaire est centrale

ce raisonnement. Au
debut, cette notion d~coulait des rapports tuteur-pupille que la Loi sur les
Indiens? semblait mettre en oeuvre entre le gouvemement f~dral et les autoch-
tones79. Ainsi, un tuteur est tenu, en common law, d’agir dans l’int6ret de son
pupille. Une action gouvernementale qui brimait les int6rts des autochtones
pouvait done donner lieu une action en dommages. On a maintenant trouv6
une origine plus modeme –
cette
obligation. Selon l’arr~t Guerin, elle d~coulerait de l’engagement historique de
la Couronne A prot~ger les droits des autochtones . Cet engagement s’est tra-
l’ali6nabilit6 des terres indiennes, qui visait
duit, entre autres, par la restriction
i prot6ger les autochtones des colons avides de profit. I1 s’est aussi traduit par
les nombreux trait6s par lesquels les autochtones se mettaient sous la protection
de la Couronne britannique et renongaient

et plus respectueuse des autochtones –

la guerre.

I s’ensuit que le gouvemement doit toujours agir avec une attitude de res-
pect envers les autochtones. En particulier, le l~gislateur ne pourra plus simple-
ment ignorer la situation particuli~re des autochtones lorsqu’il 6dicte une loi.
Ceci signifie qu’il doit accorder un traitement sp6cial aux autochtones et tenir
compte de leurs besoins particuliers. I1 s’agit done d’un veritable droit
la dif-
ference: le gouvemement ne peut pas 6dicter de r6gles qui pr~sument que les
droits ancestraux n’existent pas”. Une r~gle de droit qui affecte un droit ances-
tral pour la seule raison qu’elle s’applique uniformment A tous les citoyens
serait ainsi invalide.

Dans le cas particulier de l’allocation d’une ressource rare, la Cour
supreme a conclu qu’une th~orie de la priorit6 constitutionnelle ddcoulait de
l’obligation de fiduciaire’. Cette priorit6 est l’expression de l’attention particu-
li~re que le l~gislateur a l’obligation de porter aux droits ancestraux, en leur
. Cette th~orie, d’abord
donnant un statut plus 6lev6 qu’aux droits << ordinaires mise de l'avant par le juge Dickson dans l'arr& Jack3 , a 6t6 reprise par la Cour d'appel de la Nouvelle-Ecosse dans l'arr~t Denny'. En la faisant sienne, la Cour supreme a 6tabli l'ordre de priorit6 suivant : en premier lieu, les mesures de con- servation ; ensuite, la peche par les autochtones A desfins d'alimentation ; apr~s cela, la p~che par les autres groupes (p~cheurs sportifs et commerciaux). Les des fins commerciales. juges ne parlent pas de la peche par les autochtones 78Loi sur les Indiens, supra, note 44. 79St. Ann's Island Shooting and Fishing Club Ltd. c. R., [1950] R.C.S. 211 h la p. 219, 2 D.L.R. 225, M. le juge Rand: ( these aborigenes are, in effect, wards of the State, whose care and welfare are a political trust of the highest obligation >.

80Guerin, supra, note 8 a la p. 383. Voir 6galement Mitchell, supra, note 37 h la p. 130.
81Joseph, supra, note 75.
82Sparrow, supra, note 5 aux pp. 1115-17.
83Jack et Charlie c. R., [1980] 1 R.C.S. 294 A lap. 313, 100 D.L.R. (3d) 193, M. lejuge Dickson.
84Denny, Paul et Silliboy c. R., (1990) 55 C.C.C. (3d) 322 a la p. 339-41, 2 C.N.L.R. 115

(N.S.C.A.).

1400

REVUE DE DROIT DE McGILL

(Vol. 36

On peut croire qu’ils ne sont pas pr&s
lui accorder une priorit6 sup6rieure i
celle des autres groupes. Mais ceci laisse un grave probl~me non r6solu : com-
ment d6terminer la classe de droits ancestraux qui m6ritent une priorit6 consti-
tutionnelle ? Comment justifier que d’autres droits puissent faire l’objet d’une
r6glementation comme s’ils n’6taient pas prot6g6s ? Si la Cour persiste dans
l’application s6lective de la th6orie de la priorit6 constitutionnelle, elle devra
in6vitablement hi6rarchiser les droits ancestraux. Sur quelle base le fera-t-elle ?
La d6finition large des droits ancestraux risque ici d’en prendre pour son rhume,
et de c6der la place aux droits << prioritaires >>, beaucoup moins nombreux.

Qu’arrivera-t-il au crit~re de l’honneur de Sa Majest6 lorsqu’il sera inter-
pr6t6 par les tribunaux inf6rieurs ? II est fort probable que ceux-ci y verront une
copie d6guis6e du crit~re de proportionnalit6 utilis6 dans le test de l’article 1 de
la Charte canadienne”. La tentation sera forte de s’en remettre h une m6thode
6prouv6e, car la ressemblance est grande entre les deux tests. En effet, tous deux
se divisent en deux crit~res, soit l’importance de l’objectif et la justification des
moyens. De plus, le respect de l’obligation de fiduciaire n’est pas en soi un cri-
tore tr~s 6clairant pour d6terminer si une disposition qui viole un droit prot6g6
est justifiable.

3.

Autres crit~res

La Cour supreme pr6cise que les deux crit~res dont on vient de traiter ne
sont pas exhaustifs. Elle mentionne trois autres questions qu’on doit se poser
<< selon les circonstances >>6

En premier lieu, un autre relent du test de l’article 1 de la Charte : l’atteinte
minimale. Ce crit~re exige que l’on se demande s’il existe d’autres moyens d’at-
teindre l’objectif d6clar6, moyens qui minimisent la violation du droit ancestral.
Mais ce n’est pas un crit~re univoque. En effet, la Cour supreme l’a appliqu6
avec une s6v6rit6 variant selon l’importance du droit revendiqu6 par rapport aux
valeurs sous-jacentes, selon qu’il s’agit d’une affaire de droit criminel ou de
politique sociale et selon les r6percussions politiques de la cause”7 . De plus, la
formulation par le juge de l’objectif l6gislatif pr6d6termine sa d6cision quant it
l’atteinte minimale8 .

Les juges indiquent ensuite qu’il faut examiner la justesse de la compen-
sation en cas d’expropriation. Cet 6nonc6 soul~ve une question fort importante :

85Voir par exemple Nikal, supra, note 74, ofa M. le juge Millward insiste sur l’absence de lien
rationnel entre la mesure adopt6e et l’objectif de conservation recherch6 et sur la possibilit6 d’uti-
liser d’autres moyens pour atteindre cet objectif.

86Sparroiv, supra, note 5 at ]a p. 1119.
87A. Lajoie et H. Quillinan, Emerging Constitutional Norms : Continuous Judicial Amendment

of the Constitution >> (1991) J. of L. and Contemp. Probs. [A paraitre].

88P.W. Hogg, Section I Revisited >> (1991) 1 Nat. J. Const. L. 1 A ]a p. 5.

1991]

CHRONIQUE DE JURISPRUDENCE

1401

1’expropriation d’un droit ancestral est-elle contraire a 1’article 35 ou est-elle
permise ? Fait-on plut6t r6fdrence a des expropriations qui ont eu lieu avant
1982 ? On peut soutenir que le test de justification ne devrait pas s’appliquer h
une expropriation. En effet, dans l’affaire Quebec Protestant School Boards”9 ,
la Cour supreme a d6cid6 qu’une nigation totale d’un droit garanti par la Charte
ne donne pas lieu h l’application de 1’article premier, celui-ci ne pouvant justi-
fier que de simples restrictions. Or, il est difficile de qualifier une expropriation
de simple restriction h un droit. I1 s’agit sans doute du meilleur exemple de
n6gation. La meilleure mani~re d’interpr6ter ce passage, selon nous, est de con-
clure que les expropriations 6taient valides avant 1982, mais que des droits
ancestraux pourraient subsister si aucune compensation n’a 6t6 pay6e.

Le crit6re suppl6mentaire le plus int6ressant est sans doute celui de la con-
sultation. En effet, a cause de leur relation traditionnelle avec la terre et ses res-
sources, les autochtones ont leur mot A dire dans l’61aboration des r~glements
qui les concement. Ce crit~re exige done que les discussions entre l’administra-
tion et les groupes autochtones ne d6g6n~rent pas en dialogue de sourds oii c’est
le gouvernement qui a toujours le demier mot9 .

La Cour supreme ne s’est done pas trop 6loign6e des sentiers battus dans
l’61aboration du test destin6 a justifier les violations des droits reconnus par 1’ar-
ticle 35. On y rencontre de vieilles connaissances : objectif important, atteinte
minimale. Le seul 616ment original est l’honneur de la Couronne : l’]tat a
1’obligation de tenir compte des droits des autochtones dans l’61aboration de ses
lois.

II. La decision Sparrow dans son contexte politique

La d6ecision de la Cour supreme dans l’affaire Sparrow est 6minemment
politique. Comment pourrait-il en 8tre autrement ? En 1982, puis en 1983, le
constituant a int6gr6 la notion extremement floue de droits ancestraux dans la
loi fondamentale du pays. On peut interpr6ter ce geste de deux fagons : soit Far-
ticle 35 est une d6claration d’intention constitutionnelle dont le contenu r6el
devait 6tre pr&eis6 plus tard, soit il s’agit d’une garantie op6ratoire en elle-
meme. Dans la premiere hypoth~se, la Cour s’est arrog6 un pouvoir que les
r6dacteurs de la constitution n’entendaient pas lui conf6rer : il s’agit done d’un
choix d6lib6r6 des valeurs qui m6ritent une protection supral6gislative. Quoi de
plus politique ? Dans le second cas, la Cour ne s’est pas donn6 une fonction

89P.G. Qudbec c. Quebec Association of Protestant School Boards, [1984] 2 R.C.S. 66 A lap. 86,
10 D.L.R. (4th) 321. Mais voir la critique de P. Monahan, Politics and the Constitution: The Char-
ter Federalism and the Supreme Court of Canada, Agincourt, Ont., Carswell, 1987 a lap. 63, qui
affirme avec raison que dans Ta plupart des cas, la limite entre la restriction et la n6gation est
ind6finissable.

9Ce crit~re a dt6 appliqu6 dans Nikal, supra, note 74, et dans Joseph, supra, note 75.

1402

McGILL LAW JOURNAL

[Vol. 36

politique, mais elle se l’est fait attribuer par le constituant. En effet, l’utilisation
d’une phrase de deux lignes pour structurer un domaine aussi complexe du droit
ne peut que constituer une << d66gation > de pouvoir politique : on laisse i la
Cour le soin de d6terminer quels droits il est opportun de prot6ger, ainsi que la
mani~re appropri6e de les prot6ger. I1 serait bien illusoire de pr6tendre que, ce
faisant, la Cour ne porte pas de jugement de valeur.

Mais puisque la Cour assume une fonction politique, il est normal qu’elle
tente de se 16gitimer en faisant accepter sa d6cision par le plus grand auditoire
possible. L’analyse rh6torique est une m6thode qui cherche h faire apparaitre les
moyens qu’utilise le juge afin de mieux convaincre, de susciter une plus grande
adh6sion h sa d6cision. Dans le domaine juridique, elle a 6t6 61abor6e, entre
autres, par Marc Gold, qui l’a appliqu6e aux premieres d6cisions de la Cour
supreme concernant la Charte91 . Nous tenterons de nous inspirer de cette
m6thode afin de d6couvrir certains aspects obscurs de l’arret Sparrow et de
comparer l’effet r6el de cette d6cision avec son effet apparent, l’effet que les
juges voudraient bien que l’on retienne.

A. L’effet rjel de l’arrt Sparrow et ses fondements juridiques

Certains entrevoient le risque que la d6cision Sparrow 61argisse exag6r6-

ment l’6tendue des droits prot6g6s par
‘article 35, ce qui forcerait la Cour Ai
rendre moins efficace le m6canisme de protection92. Constitutionnaliser trop de
droits risque de les banaliser. Un processus semblable peut 8tre d6cel6 quant aux
droits garantis dans la Charte : l’6norme 6tendue de ceux-ci contraste avec l’af-
faiblissement graduel du test de l’article 1.

Cependant, une analyse minutieuse de Sparrow d6montre que ]a Cour
supreme se garde toutes les portes ouvertes afin de limiter h la fois l’6tendue des
droits prot6g6s et l’efficacit6 de leur protection. Elle d6sire conserver une
importante marge de manoeuvre 6tant donn6 les consequences incalculables
qu’auraient des affirmations trop g6n6rales en ce domaine.

1.

La limitation potentielle de la port6e des droits

La principale restriction traditionnellement apport6e aux droits des autoch-
tones concerne les buts que poursuivent les autochtones en les exergant. Lors de
la signature des trait6s entre le gouvemement f6d6ral et les autochtones au si~cle
demier, il 6tait de pratique courante de r6server h ceux-ci un droit de chasse et
de peche sur les territoires qu’ils c6daient h la Couronne. En g6n6ral, aucune
limitation n’6tait apport~e h l’exercice de ces droits. Tout au plus, on pr6voyait

91M. Gold, La rh6torique des droits constitutionnels
92W.I.C. Binnie, The Sparrow Doctrine: Beginning of the End or End of the Beginning ? >

(1988) 22 R.J.T. 1.

(1990) 15 Queen’s L.J. 217.

1991]

CASE COMMENTS

1403

qu’ils seraient exercds < comme t 1'habitude >>. Cependant, lors de l’adoption de
une restriction
la Loi constitutionnelle de 193093, ces droits furent soumis
importante : les autochtones ne pouvaient maintenant chasser que >9. Les tribunaux ont interprdt6 ce bout de phrase d’une mani~re assez
stricte. Toute forme d’6change, m~me isol6, est interdite95. Par la suite, lorsque
la Loi sur les pcheries96 a reconnu aux Indiens un droit de pecher, ce fut A des
fins d’alimentation seulement.

Meme si la Cour supreme dit qu’il faut aborder la question des droits
ancestraux sans faire rdfdrence aux concepts traditionnels et en tenant compte
du point de vue des autochtones97 , elle refuse de se prononcer sur 1’existence
d’un droit ancestral de pache A des fins commerciales : elle limite la portde de
ses motifs A un droit ancestral ne visant que des fins d’alimentation et de cdr-
monies religieuses.

Ceci montre bien que la Cour semble rdticente h accorder une aussi grande
protection A la peche commerciale qu’A la peche A des fins d’alimentation. Une
telle situation risque 6galement de survenir chaque fois que les autochtones
revendiqueront des droits qu’on associe mal t leur prdtendu mode de vie tra-
ditionnel > : par exemple, des droits A 1’exploitation des ressources naturelles ou
des droits de possession exclusive du territoire98 . Nous allons donc relever les
possibilitds de limitation qu’offre l’arr~t Sparrow.

La premiere possibilit6 de restriction rdside dans une modification de la
thdorie des droits ancestraux afin de limiter 1’exercice des droits ancestraux
reconnus aux fins auxquelles ils servaient A une certaine 6poque prise comme
(date de rdfdrence >19. Cette fagon de procdder comporte plusieurs ddsavan-
tages. Premi~rement, elle est contraire h un 6nonc6 de principe de la Cour
supreme dans l’affaire Guerin” , ainsi qu’A la majeure partie de la doctrine trai-
tant des droits ancestraux. Deuxi~mement, sur quelle base doit-on ddterminer la
date qui sert de rdfdrence quant aux objectifs 16gitimes lis aux droits ances-
traux ? Est-ce le moment oti l’Angleterre a acquis la souverainet6 sur le terri-
toire en question ? Est-ce la date du premier contact entre autochtones et
blancs ? Est-ce plut6t l’6poque oa les autochtones ont abandonn6 leur mode

93Loi constitutionnelle de 1930, L.R.C. 1985, app. II, no 26.
94Ibid., annexe 1, art. 13.
95R. c. Horseman, [1990] 1 R.C.S. 901 A la p. 936, 5 W.W.R. 97.
96Loi sur les pcheries, supra, note 7.
97Sparrow, supra, note 5 A ]a p. 1112.
98 Voir les motifs du juge La Forest dans Mitchell, supra, note 37 aux pp. 138 et 145, un arrt

rendu quelques semaines aprbs Sparrow.

99C’est essentiellement ce raisonnement qu’a adopt6 le juge McEachern dans l’affaire Delga-

nuukw, supra, note 59.

‘Guerin, supra, note 8 A la p. 378.

1404

REVUE DE DROIT DE McGILL

[Vol. 36

de vie traditionnel >> ? Le choix d’une telle date serait fondamentalement arbi-
traire. Troisihmement, l’identification des fins poursuivies par les autochtones
h l’6poque de r6ftrence est une tache extramement difficile. Non seulement
exige-t-elle des recherches consid&ables, mais elle pose aussi le probl~me de la
caract6risation, en termes modernes, des activitts de l’6poque. L’6change de
denrtes entre des membres de la m~me tribu, ou entre des membres de tribus
diff6rentes, constitue-t-il une activit6 commerciale assimilable, A notre 6poque,
A la vente de poisson h des non-autochtones ? De plus, c’est 1M imposer un far-
deau de preuve 6norme aux groupes autochtones”‘. Quatri~mement, une telle
mtthode consid~re implicitement les autochtones comme une civilisation sta-
gnante et figte. Or, c’est tout le contraire : de nombreuses recherches anthropo-
logiques ont d6montr6 que ces peuples, avant l’arrivde des blancs, 6voluaient de
fagon constante’02.

Un autre moyen pour limiter la portde des droits ancestraux serait d’inter-
pr~ter le mot < existants >> de l’article 35 comme signifiant que ces droits
doivent 8tre exercts dans le contexte de la socitt6 industrielle contemporaine.
Les juges, dans Sparrow, semblent accr6diter cette hypothhse, en affirmant que
les droits sont < confirmts dans leur 6tat actuel plutft que dans leurs simplicit6 et vigueur primitives >>’03. Selon nous, cette m6thode ne doit pas etre retenue, car
elle constitue un test de justification dtguis6, imposant peut-6tre m~me le far-
deau de la preuve aux autochtones. De plus, si la Cour emprunte cette voie, elle
devra ntcessairement d6velopper une mtthode d’analyse pour determiner ce
qu’est 1′<< 6tat actuel >> d’un droit ancestral. Ceci fera apparaitre au grand jour les
motifs qui incitent les juges A restreindre la port6e des droits, minant ainsi la
confiance que les autochtones accordent actuellement
la Cour supreme. On
peut parier que cela n’est pas dans l’intention des juges.

La possibilit6 de restriction qui risque, selon nous, d’8tre favoris~e par les
juges est la suivante : le test de justification de l’atteinte serait plus facile 4 pas-
ser dans le cas de droits < 6conomiques >>. Ainsi, la Cour pourrait reconnaitre,
en apparence, l’existence du droit ancestral. Si celui-ci n’est pas effectif, ce
serait uniquement
cause d’un objectif social d’importance majeure. Ce serait
done une sorte de prix de consolation pour les autochtones vis6s. C’est du reste
cette approche qui a 6t6 implicitement adoptde quant aux droits garantis par la
Charte. En effet, dans l’arr&t Irwin Toy” , la Cour fait preuve de retenue face
aux choix 16gislatifs dans des domaines < polycentriques >> oh de nombreux

0’0 Rappelons que c’est celui qui soutient l’existence d’un droit ancestral qui doit ]a prouver. Le
fardeau n’est renvers6 que lorsque l’on traite de 1’extinction 6ventuelle de ce droit par un acte
gouvememental.

10 2Trigger, supra, note 9.
‘0 3Sparrow, supra, note 5 a la p. 1093.
14Invin Toy Ltd. c. PG. Quebec, [1989] 1 R.C.S. 927, 58 D.L.R. (4th) 577 [ci-aprhs Invin Toy

cit6 aux R.C.S.].

1991]

CHRONIQUE DE JURISPRUDENCE

1405

int6r&ts s’affrontent 05. Elle insiste sur la diff6rence entre ces probl~mes et les
litiges criminels opposant directement l’Ittat L un seul individu. Dans ce dernier
cas, l’6valuation par la Cour de la justification de la mesure est facile: les
juristes connaissent bien le fonctionnement du syst~me de justice criminelle et
sont A l’aise avec le contenu des garanties juridiques pertinentes. Mais dans le
cas contraire, les juges ne disposent d’aucune expertise particuli~re qui leur per-
mette d’6valuer l’effet de leur decision sur l’organisation sociale. Ceci explique
qu’ils soient r6ticents A d6clarer une loi inop6rante en dehors du cadre criminel.
On peut sans doute dire que 1’affaire Sparrow se range dans la cat6gorie des
litiges criminels, des litiges << faciles >>. C’est pourquoi, h la suite de ce jugement
de la Cour supreme, les tribunaux de premiere instance n’ont pas h6sit6 d6cla-
rer inop6rantes des restrictions semblables au droit de peche des fins d’alimen-
tation'”. Lorsque des causes plus complexes se pr6senteront devant les tribu-
naux, on peut croire que ces derniers h6siteront avant d’invalider des lois ou des
r~glements. On assistera donc
la cr6ation de deux cat6gories de droits ances-
traux, diff6renci6es par le niveau de protection dont ces droits b6n6ficient’07.

L’ application de la th6orie de la priorit6 constitutionnelle est un exemple
potentiel de cette distinction. Si 1’on reconnalt la priorit6 aux autochtones pour
ce qui est de la peche A des fins d’alimentation, il est loin d’etre stir qu’il en sera
de m~me dans le cas de la peche commerciale. Ce qui est inqui6tant, c’est que
cette diff&enciation entre les droits risque d’6tre occult6e par une application
plus ou moins m6canique du test de justification. Le droit existe mais il n’est
pas prot6g6 parce que, dira-t-on, le gouvernement a d6montr6 que son objectif
6tait r6gulier et que la mesure respectait l’honneur de Sa Majest6. La vraie rai-
son, c’est que le juge aura d6cid6 que le droit ancestral en cause ne m6rite pas
une protection de nature constitutionnelle dans le contexte de notre soci6t6. Les
valeurs sur lesquelles il se sera fond6 auront 6t6 compl~tement 6vacu6es du
processus.

2.

La force variable du m6canisme de protection

L’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 ne fait pas partie de la
Charte. I est plut6t inclus dans la partie I de cette Loi, intitul6e << Droits des peuples autochtones du Canada >.

105Ibid aux pp. 993-94. Voir aussi McKinney c. University of Guelph (1991), [1990] 3 R.C.S.

229, 76 D.L.R. (4th) 545 [ci-aprbs McKinney cit6 aux D.L.R.].

16Voir Nikal, supra, note 74, Joseph, supra, note 75, et Commanda, supra, note 37.
107D’ailleurs, l’arrt R. c. Collins, [1987] 1 R.C.S. 265 4 lap. 284, 38 D.L.R. (4th) 508 [ci-apr~s
Collins cit6 aux R.C.S.], indique qu’il faut tenir compte de la nature du droit viol6 lorsqu’on se
demande si on doit exclure (en vertu de l’artiele 24(2)) la preuve obtenue en violation d’un droit
garanti dans Ta Charte. Ceci implique que certains droits, comme le droit h l’avocat, sont plus
importants que d’autres.

1406

McGILL LAW JOURNAL

[Vol. 36

Cette exclusion a pour cons6quence d’empecher l’application a l’article 35
de plusieurs m~canismes mis en place par la Charte. On peut penser, en premier
lieu, a l’article 2408, qui pr6voit un recours en cas de violation d’un droit
garanti. Aucun 6quivalent n’est pr6vu dans le cas des droits ancestraux. Les
autochtones devront donc se rabattre sur les moyens proc6duraux habituels –
et les rem~des disponibles –
de la province oti ils r6sident. L’exclusion de la
preuve dans une poursuite p6nale, en vertu de 1’article 24(2), ne sera pas non
plus possible.

Cependant, les droits reconnus A l’article 35 ne sont pas soumis a l’article
33 de la Charte'”, qui pr6voit des d6rogations expresses par les l6gislatures et
le Parlement. Le seul moyen de d6roger A de tels droits est donc l’amendement
constitutionnel. De plus, l’article 32, qui pr6voit que la Charte s’applique aux
parlements et aux gouvernements provinciaux et f6d6raux, ne s’6tend pas a l’ar-
ticle 35. On peut donc croire que celui-ci lie aussi bien les parties priv6es que
l’ttat.

Mais l’effet le plus important est sans contredit l’exclusion de l’article 1 de
la Charte. Cet article 6nonce deux choses : que les droits 6nonc6s dans la Charte
sont garantis, et qu’ils peuvent faire l’objet de restrictions raisonnables. Tel une
6p6e A deux tranchants, il 6nonce A la fois la force de la protection et ses limites.
C’est pourquoi on peut qualifier les droits inscrits dans la Charte de droits rela-
tifs. Ceci signifie que ces droits peuvent toujours 8tre limit6s, mais selon des
conditions pr6cises qui assurent que les restrictions apport6es sont exception-
nelles et justifi6es. Au contraire, les droits absolus ne souffrent aucune limita-
tion; toute loi incompatible est automatiquement invalid6e. Dans la Charte,
l’article 28, garantissant l’6galit6 entre les sexes dans la jouissance des droits

10sL’art. 24 de ]a Charte:

24

(1) Toute personne, victime de violation ou de n6gation des droits ou liber-
t6s qui lui sont garantis par la prdsente charte, peut s’adresser Ak un tri-
bunal comp6tent pour obtenir ]a reparation que le tribunal estime con-
venable et juste eu 6gard aux circonstances.

(2) Lorsque, dans une instance vis6e an paragraphe (1), le tribunal a conclu
que des 61ments de preuve ont 6t6 obtenus dans des conditions qui
portent atteinte aux droits ou libert6s garantis par la pr~sente charte,
ces 616ments de preuve sont 6cart6s s’il est 6tabli, eu 6gard aux circons-
tances, que leur utilisation est susceptible de d~consid~rer l’administra-
tion de la justice.

19L’art. 33 de ]a Charte:

33

(1) Le Parlement ou la 16gislature d’une province peut adopter une loi obk
il est express~ment d~clar6 que celle-ci ou une de ses dispositions a
effet ind~pendamment d’une disposition donn6e de l’article 2 ou des
articles 7 h 15 de la prdsente charte […].

1991]

CASE COMMENTS

1407

fondamentaux, pourrait 8tre le seul exemple de droit 6nonc6 comme apparem-
ment absolu” .

Si (et seulement si) un droit est qualifi6 de relatif, il est n6cessaire de d6ve-
lopper des crit~res permettant de circonscrire les restrictions acceptables. C’est
ce processus de d6finition qui, en bout de ligne, r6v6lera la port6e r6elle du droit
garanti. Dans le cas de la Charte, la Cour supreme a pos6 ces balises dans les
arr&s Oakes.. et Collins’2 .

On peut tirer deux conclusions oppos6es du fait que 1’article 35 ne soit pas
soumis h l’article 1. Ou bien les droits ancestraux ne sont pas garantis avec la
meme force que ceux de la Charte : ils ne sont que reconnus et confirm6s >>,
ce qui pourrait 8tre une forme moins efficace de protection. Ou bien ces droits
ne sont pas soumis A des restrictions justifiables : ils sont –
dans la mesure o~i
ils existent –

absolus.

La Cour supreme 6vite ces deux conclusions. Elle met en place une
m6thode d’analyse du droit identique h celle utilis6e dans le cas de la Charte,
puis elle 6nonce un test de justification qui pr6sente une parent6 mal dissimul6e
avec le test de l’arr& Oakes. Ainsi, des droits qu’on aurait pu croire absolus ne
sont en fait que relatifs. Pourquoi ?

Les juges sont sans doute tr~s r6ticents h qualifier d’absolus les droits
ancestraux. En effet, cela leur conf6rerait une protection plus grande que celle
des droits garantis par la Charte. Cela serait particuli~rement 6tonnant, puisque
la Constitution, et en particulier la Charte, est pr6sumfe contenir les valeurs les
plus fondamentales de la soci6t6 canadienne” 3. Si l’on reconnait que les droits
ancestraux sont mieux prot6g6s que les droits de la Charte, ces derniers ne
seraient plus aussi fondamentaux, car il existerait une cat~gorie < sup6rieure >>
de droits. De plus, un des droits ancestraux les plus importants est le titre ances-
tral, qu’on peut comparer h un droit de propri&6t. Or, la propri6t6 n’est pas un
droit garanti par la Charte. La Cour voit peut-6tre d’un mauvais oeil la protec-
tion absolue d’un droit de quasi-propri6t6 par une autre disposition de la
Constitution.

L’adoption d’une m~thode d’analyse semblable A celle des droits garantis
dans la Charte, y compris le test de justification, tient peut-6tre aussi au fait que

IIEn effet, les mots << ind6pendamment des autres dispositions de ]a pr~sente charte > referent
l’art. 1, ce qui emp~cherait d’apporter des limites raisonnables au droit b 1’6galit
manifestement
entre les sexes garanti par l’art. 15. Voir Weatherall c. PG. Canada, [1988] 1 C.F. 369 A lap. 412,
(1991) 73 D.L.R. (4th) 57, 65 C.R. (3d)
11 F.T.R. 279 (Ire inst.) infirm6 pour d’autres motifs
27 (C.A.F.), [1991] 1 C.F. 85 (C.A.F.).

11R. c. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103, 26 D.L.R. (4th) 200.
” 2 Colihs, supra, note 107.
113Renvoi relatif aux droits linguistiques au Manitoba, [1985] 1 R.C.S. 721 A la p. 745, 19

D.L.R. (4th) 1.

1408

REVUE DE DROIT DE McGILL

[Vol. 36

les juges d6sirent uniformiser le m~canisme de protection des divers droits
garantis dans la constitution. En effet, le d6veloppement de m6thodes diff6-
rentes pour des droits diffrents risque de causer une incertitude importante,
puisque la Cour supreme ne pent pas se prononcer sur chaque situation.

Mais la raison majeure qui milite en faveur de la caract6risation relative
des droits ancestraux est leur immense 6tendue potentielle. La notion m~me de
droits ancestraux n’a pas 6t6 d6finie et on n’en connait pas vraiment les limites.
Uniquement en ce qui a trait au titre ancestral, les tribunaux pourraient se voir
submerg6s par des revendications territoriales qui pourraient couvrir les impor-
tantes portions du Canada oia aucune cession de territoire n’ajamais 6t6 conclue
avec les autochtones” 4. II 6tait donc tout h fait pr6visible que la Cour insiste
pour se m6nager des possibilit~s de restriction A des droits qui pourraient d6pas-
ser toute mesure. Elle l’affine d’ailleurs explicitement:

Bien qu’elle ne constitue pas une promesse d’immunit6 contre la r~glementation
gouvemementale dans une socijtj qui, aux XXe sicle, devient de phs en phs
complexe et interdipendante et oh il est nicessaire de protiger et de girer les res-
sources ipuisables, cette reconnaissance repr~sente un engagement important de
la part de la Couronne’1 5 [nos italiques].
La n6cessit6 sociale empeche donc d’accorder des droits absolus At un
groupe de personnes. Cela serait trop exigeant pour le reste de la soci6t6, pour
la majorit6 non-autochtone. Les juges adoptent ici une attitude semblable t celle
du juge Lamer dans l’arrt Sioui”. Dans cette affaire, le juge interpr~te un trait6
de fagon concilier les int6rts des Hurons et des Britanniques, en mettant l’ac-
cent sur l’usage du territoire qui pouvait 6tre fait par les colonisateurs. L’appro-
che adopt6e consiste A permettre aux Hurons d’exercer leurs coutumes partout
ofi cela n’est pas incompatible avec l’utilisation du territoire. Ainsi, la protec-
tion du droit ancestral est d6finie en fonction des besoins des non-autochtones.
Curieux r6sultat … L’arrat Sparrow ne fait pas la m~me chose, car il ne traite
que de droits de peche A des fins alimentaires, ce qui ne d6range pas vraiment
la << soci&6t du XXe si~cle >>. Mais lorsque les droits revendiqu6s auront un
impact consid6rable sur le syst~me politique et 6conomique non-autochtone, on
peut s’attendre t voir le concept de la n6cessit6 sociale revenir au galop.

Ceci d6montre 6galement le malaise croissant de la Cour lorsqu’elle est
appel6e A trancher des litiges aux implications sociales et politiques impor-
tantes. En effet, les revendications autochtones, m~me si elles sont examin6es
sous l’angle des droits, n’en rev~tent pas moins un caract~re politique primor-
dial. Le but ultime des revendications autochtones est l’auto-d6termination,

1

4Voir, par exemple, l’affaire Delgamuukv, supra, note 58, oh les terres revendiqu6es couvraient

une superficie de 57 000 km2.

“5Sparrow, supra, note 5
ll6Sioui, supra, note 34 aux pp. 1066-72.

]a p. 1110.

1991]

CHRONIQUE DE JURISPRUDENCE

1409

c’est-h-dire la non-ing~rence de l’ttat (f6d6ral ou provincial) dans leurs affaires
internes. Si la Cour, dans les ann6es 1985 i 1988, a affirm6 sa volont6 de con-
tr6ler strictement toute mesure gouvernementale qui enfreignait la Charte, elle
a r6cemment adouci sa position A mesure que l’importance politique et 6cono-
mique de ses decisions allait croissant” 7 .

B. L’effet idjologique de la decision et ses micanismes rh~toriques

Dans l’arret Sparrow, la Cour supreme devait s’attaquer h la difficile tache
de trancher entre deux 6coles de pens6e, l’une voulant que l’article 35 accorde
aux droits ancestraux une protection au moins aussi forte que celle des droits
garantis dans la Charte, l’autre ne laissant A cet article qu’un simple r6le de
d6claration politique.

Nous allons donc 6tudier, au moyen de 1’analyse rh6torique, quels sont les
m6canismes que la Cour utilise afin d’entrainer chaque partie t accepter sa d6ci-
sion et, finalement, comment elle masque son r6le politique.

I1 faut d’abord, pour mener h bien une analyse rh6torique, d6terminer Fau-
ditoire de la Cour. En effet, au-delh des parties au litige, 1’arr~t Sparrow
s’adresse h plusieurs cat6gories de personnes qu’il convient d’identifier si l’on
veut bien comprendre la’ r6daction et la structure du jugement.

Les juges parlent en premier lieu aux autochtones du Canada. C’est suite
aux revendications de ces derniers que l’article 35 a 6t6 ins6r6 dans la Consti-
tution. I n’est donc que normal qu’ils s’int6ressent an plus haut point A son
interpr6tation et qu’ils s’attendent A ce que cet article devienne une base impor-
tante pour la protection de leurs droits. Ces attentes sont renforc6es par 1’attitude
favorable que la Cour supreme a manifest6e face aux autochtones pendant la
d6cennie 1980-1989″‘. En fait, on peut placer le d6but de 1’<< 6re modeme > des
droits ancestraux h la Cour supreme en 1973, date du jugement de cette Cour
dans l’affaire Calder”‘9 .

Mais les objectifs des autochtones ne se limitent pas aux droits ancestraux
de chasse et de peche en cause dans l’arret Sparrow. Leurs revendications
actuelles se rapportent principalement aux droits territoriaux et surtout A l’auto-
nomie gouvemementale. Ils chercheront donc rapidement h appliquer h ces
situations les principes que Sparrow a 6nonc6s. Les juges, lorsqu’ils r6digent
leurs motifs, sont sfrement tr~s conscients de cela.

T7L’exemple le plus frappant de cette tendance est sans doute l’affaire McKinney, supra, note
‘art. 1, la validit6 de lois provinciales auto-

105, oh la Cour supreme a maintenu, aux termes de
risant ]a retraite obligatoire A l’hge de 65 ans.

“sVoir les arr~ts cit6s dans l’introduction de ce texte, supra, notes 1 et 2, ainsi que Guerin,

supra, note 8.

1t 9 Calder, supra, note 41. En effet, cet arrt reconnaissait sans 6quivoque l’existence en common

law des droits ancestraux.

1410

McGILL LAW JOURNAL

[Vol. 36

Les intellectuels et les professeurs de droit int6ress6s aux questions de
libert~s publiques forment un groupe aux attentes semblables h celles des auto-
chtones. En effet, la plupart des articles publi6s dans les revues juridiques
depuis 1982 font preuve d’une sympathie plus ou moins marquee pour le point
de vue autochtone.

Un autre groupe tout aussi important est constitu6 des p~cheurs commer-
ciaux non-autochtones qui sont en comp6tition avec les p~cheurs autochtones et,
plus g6n6ralement, toutes les entreprises d’exploitation des ressources naturelles
qui pourraient etre affect6es par les principes mis de l’avant dans l’arrt Spar-
row. Ces personnes sont 6videmment r6fractaires A tout 6largissement des droits
des autochtones. Elles d6sirent continuer
exploiter leur entreprise sans devoir
tenir compte des ces droits. En effet, interpr6t6s de la fagon la plus large pos-
sible, les droits ancestraux risquent d’invalider bon nombre de concessions
foresti~res et de rendre plus difficile l’obtention de permis de peche. Les
pecheurs pergoivent souvent la question sous l’angle du droit
l’6galit6. Ils se
demandent pourquoi les autochtones pourraient s’adonner it la peche commer-
ciale sans 8tre assujettis A la r6glementation alors qu’eux doivent d6frayer le
cofit (parfois exorbitant) d’un permis de peche commerciale. Ils voient les auto-
chtones comme un groupe privil6gi6
l’int6rieur de Ia soci6t6 canadienne et
s’interrogent sur la source des ces privileges.

L’arr&t Sparrow s’adresse aussi, bien stir, aux gouvernements. Ceux-ci sont
tout d’abord int&ess6s h sauvegarder leur pouvoir de r6glementation et t res-
treindre au minimum les balises constitutionnelles auxquelles ce pouvoir est
sounis. De plus, une reconnaissance trop large des droits ancestraux pourrait
miner s6rieusement leur droit de propri6t6 sur les terres de la Couronne. Cela
risque d’entraver s6rieusement les projets de construction de barrages hydro-
6lectriques de plusieurs gouvemements provinciaux 20 , et aussi de leur imposer
de lourdes obligations financi~res par rapport aux terres qui ont 6t6 ill6galement
retir6es aux autochtones.

Enfin, les praticiens du droit en g6n6ral (les avocats et les juges de pre-
mitre instance) porteront un certain int6r&t A l’affaire Sparrow. I1 est ici plus dif-
ficile d’identifier une attitude coh6rente face A la question des droits ancestraux.
Cependant, si l’on parcourt les quelques d6cisions qu6b6coises r~centes traitant
, on s’apergoit que les juges semblent principalement int6ress6s h 6ta-
du sujet
blir l’autorit6 de l’ttat sur la conduite des autochtones. On peut sans doute inter-
pr6ter ceci comme une tendance it l’application uniforme de la loi et une r6ti-

en Alberta.

I2Le projet Grande Baleine an Quebec ; Rafferty Alameda en Saskatchewan ; et Oldman River
’21Par exemple: R. c. C6tj, [1988] R.J.Q. 1969 (C.P.); Ross c. R., J.E. 89-209, [1989] 1
C.N.L.R. 140 (C.S.) ; Decontie c. R., [19891 R.J.Q. 1893 (C.S.). Voir 6galement Siod c. PG. Qu1-
bec, J.E. 85-947 (C.S.).

1991]

CASE COMMENTS

cence h accorder des privileges h un groupe de personnes dont les juges n’ont
pas n6cessairement une opinion tr~s favorable.

1.

La satisfaction des attentes des autochtones

Dans l’ensemble, l’arr& Sparrow est favorable aux autochtones. Mais,
comme nous l’avons vu, la Cour refuse de s’aventurer trop loin et d’assurer h
ceux-ci une garantie complete de leurs droits ancestraux. Elle ne donne m~me
pas de d6finition precise de ce que sont les droits ancestraux. Comment s’y
prend-elle pour faire croire aux autochtones que la ddcision leur est plus favo-
rable qu’elle ne l’est r6ellement ?

Apr~s avoir rappel6 l’historique des relations entre le gouvemement et les
autochtones, ainsi que le contexte de l’adoption de l’article 35, les juges Dick-
son et La Forest 6noncent trois principes qui doivent guider l’interprdtation de
l’article 35. Ce sont : (1) l’interpr6tation large et lib6rale des textes constitution-
nels, (2) l’interpr6tation favorable aux autochtones des lois et trait6s qui les con-
cement et (3) l’obligation du gouvemement d’agir en tant que fiduciaire des
droits des autochtones2 z.

Pourquoi avoir 6nonc6 de tels principes g6n6raux ? Nous renseignent-ils
vraiment sur l’effet de ‘article 35 ? Un principe comme 1’<< interpr6tation large et lib~rale >> signifie peu de choses par rapport une disposition aussi vague que
l’article 35. Tout au plus affirme-t-il l’intention de la Cour de ne pas le consi-
d6rer comme lettre morte. A notre avis, ce passage a une fonction beaucoup plus
rh6torique que juridique.

En effet, il est 6vident que ces principes comblent les attentes des autoch-
tones. Ils constituent une affirmation importante de la force de la garantie de
l’article 35 et rassurent les autochtones, t l’int6rieur d’un passage court et faci-
lement compr6hensible, quant au s6rieux de la Cour face h leurs droits ances-
traux. Ainsi, la Cour veut faire oublier le fait que, quelques pages plus loin, elle
restreint ces droits et reconnait que des lois qui leur portent atteinte peuvent
quand meme 6tre consid6r6es valides. Elle met donc en place un message clair,
concis, facile t reproduirel”, mais tronqu6.

On peut donc dire que la Cour pr6sente comme un gain ce qui est une perte
r6elle. Les juges utilisent aussi cette m6thode lorsqu’ils expliquent le fondement

12Sparrow, supra, note 5 aux pp. 1106-08.
l23Ainsi, dans les articles de journaux parus le ler juin 1990, au sujet de I’arr&t Sparrow, dans
la Gazette et le Globe and Mail, les journalistes citent le principe de l’interpr~tation g~n~reuse et
lib~rale des lois relatives aux Indiens et de l’article 35 : Natives hail aboriginal rights ruling >>
[Montreal] Gazette (1 juin 1991) BI ; R. Mackie et D. Wilson, << Provinces must respect native rights, judges rule >> The [Toronto] Globe and Mail (I juin 1991) Al. Assez curieusement, les jour-
naux francophones (Ia Presse, le Devoir, le Soleil et le Droit) ne mentionnent pas le jugement de
la Cour supreme.

1412

REVUE DE DROIT DE McGILL

[Vol. 36

du test de justification des atteintes i un droit reconnu. Ils soutiennent que
l’obligation de fiduciaire qui incombe au gouvemement, un des trois principes
d’interpr6tation de l’article 35, implique une < certaine restriction h l'exercice du pouvoir souverain >124. Mais n’est-il pas normal qu’une disposition constitu-
tionnelle restreigne, et pas l6g~rement, le pouvoir souverain du Parlement ? La
Cour donne ici l’impression d’interpr6ter l’article 35 comme s’il s’agissait
d’une loi ordinaire, tout en reconnaissant que certains principes d’interpr6tation
justifient qu’on lui accorde une < certaine >> valeur supral6gislative. Voil. donc
un moyen de faire croire aux autochtones qu’on leur a fait une importante con-
cession, alors qu’en r6alit6, il s’agit d’un gain pour le gouvemement.

La structure du jugement est 6galement mise h contribution. Les juges
commencent par 6tablir, en termes clairs et simples, que les droits prot6g6s ne
sont pas d6limit6s par la r6glementation en vigueur en 1982, puis que l’extinc-
tion de ces droits doit se faire de fagon claire et expresse'”. La Cour dispose ici
de questions qui avaient auparavant fait l’objet de nombreuses discussions par
les tribunaux ; seules les r6ponses d6finitives manquaient. Elles sont favorables
aux autochtones. Ce n’est que plus loin que les restrictions apparaissent. Ainsi,
lorsque le lecteur arrive A l’6nonc6 du test de justification, il a d6jh en tete la
position tr~s lib6rale adopt6e dans la premire partie du jugement. La Cour
esp~re peut-etre ainsi dissimuler l’effet potentiel des restrictions apport6es aux
droits ancestraux.

2.

La satisfaction des attentes du gouvemement

On se rappelle que la Cour a r6serv6 sa d6cision quant h l’inclusion de la
peche commerciale dans les droits ancestraux. Elle s’engage ensuite dans un
obiter dictum”‘ qui peut s’interprdter de bien des faqons. D’une part, elle
affirme que les r~glements qui restreignaient l’exercice du droit ne sont pas
determinants quant h sa port6e r6elle. Ceci laisse croire aux autochtones que le
droit de peche commerciale est bel et bien prot6g6. Mais n’arretons pas ici la
lecture: dans la phrase suivante, la Cour souligne que ce droit peut faire l’objet
d’une r6glementation qui passerait le test de l’article 35, test qui n’est pas
d~taill6
ce stade du jugement. L’expert gouvememental b6n6ficie donc d’une
porte de sortie qui lui permet de croire que Sparrow ne lui fait pas perdre trop
de plumes …

Aussi, lorsque les juges r6ferent A la n6cessit6 sociale comme limite ai
l’exercice des droits ancestraux, ils confirment implicitement l’arrt Irwin

124Sparrow, supra, note 5 A la p. 1109.
125IbiaL aux pp. 1091 et 1099.
’21bid. A la p. 1101.
1271nvin Toy, supra, note 104.

1991]

CHRONIQUE DE JURISPRUDENCE

1413

Toy”, qui a amorc6 une dpoque de respect des tribunaux face aux choix du
l6gislateur dans les domaines de politique sociale.

Ce n’est donc que par des messages subtils et peu nombreux que la Cour
supreme tente de r~conforter le gouvemement. Peut-8tre est-ce 1I un signe que
les avocats du gouvemement estimeront suffisante l’existence d’un test de jus-
tification des atteintes aux droits ancestraux.

3.

L’occultation du r6le politique de la Cour

Mais ‘essentiel des mdcanismes rhdtoriques a pour fonction d’occulter le
r6le politique de la Cour dans l’affaire Sparrow. En effet, si la Cour avouait
qu’elle exerce une telle fonction, elle perdrait sa ldgitimit6. Sa decision n’appa-
raitrait plus comme la bonne r6ponse a une question de droit, mais comme un
choix parmi tant d’autres, bas6 sur des valeurs connues des seuls juges.

Revenons aux principes d’interprdtation applicables a l’article 35.
L’6nonc6 de ces principes est structur6 pour r6pondre aux attentes des juristes
en g~ndral. En effet, chaque principe est tir6 d’un arret antdrieur. Ceci a un
double r6le. D’abord, on prdsente au juriste un mode de raisonnement qui lui
est familier. I1 est plus facile de faire accepter un principe s’il est tir6 de la juris-
prudence que s’il est justifi6 par des arguments philosophiques ou clairement
politiques. Ensuite, la Cour occulte son r6le actif en se cachant derriere des rdf6-
rences jurisprudentielles en apparence neutres. Le lecteur est donc port6 t croire
que la Cour n’a rien inventd, ce qui l’incite a ne pas se poser de questions sur
la 16gitimit6 des principes qu’elle dnonce.

Lorsque les juges s’attaquent h l’dpineux problbme de la peche commer-
ciale, ils s’61oignent substantiellement du point de vue autochtone. Ils utilisent
alors un style qui rappelle un procbs traditionnel oti chaque partie pr6sente ses
arguments et oti le juge est neutre, occultant ainsi le r6le trbs important jou6 par
la Cour dans la d6finition des droits ancestraux. Mais au lieu de trancher,
comme le juge traditionnel, la Cour ne fait que << reconnaitre l'existence de ce conflit ainsi que la probabilit6 qu'il s'aggrave >>1. On a rarement vu un aussi
bel exemple de retenue judiciaire ! Non seulement la Cour r6ussit a ne pas se
prononcer sur une question importante, mais elle supprime cette question en la
rabaissant au niveau d’une dispute privde entre les parties.

Les arguments utilisds pour faire accepter un test de justification, alors que
le texte de l’article 35 n’en pr6voit pas, recblent aussi des m6canismes d’occul-
tation. Premier exemple : la Cour dvoque le conflit entre les pouvoirs fdddraux,
tel que celui de ldgifdrer par rapport aux Indiens, et l’obligation de fiduciaire du
gouvemement fdddral, qui ddcoule de l’article 35. Elle constate ce conflit et

12 71nvin Toy, supra, note 104.
128Sparrow, supra, note 5 aux pp. 1100-01.

1414

McGILL LAW JOURNAL

[Vol. 36

d6cide que la meilleure fagon de le r6soudre, c’est d’exiger la justification des
lois qui portent atteinte aux droits reconnus, h la mani~re de l’article 1 de la
Charte. Cet argument s’adresse sfirement aux juristes, qui s’attendent 6videm-
ment a ce que l’int6grit6 des parties de la Constitution qui portent sur le partage
des comp6tences soit maintenue. De plus, l’argument du conflit entre deux
droits est un refrain connu qui permet aux juges de choisir, sans que cela
paraisse trop, le droit auquel ils accorderont la priorit6. Mais l’argument ne tient
quand m~me pas. En effet, ce n’est pas 1’existence des pouvoirs du Parlement
et des legislatures qui a amen6 la Cour d6velopper le test de l’arr~t Oakes.
Lorsque la Cour a dfi examiner un droit constitutionnel ant6rieur t la Charte,
elle n’a pas d6duit un test de justification du conflit entre ce droit et les pouvoirs
provinciaux ou f6d6raux’29 . C’est plut6t la presence dans la Charte d’un texte
pr6voyant que les droits peuvent etre restreints dans des limites raisonnables. Et,
au pire, c’est la peur de voir des droits absolus venir d6molir tout l’6difice juri-
dique canadien.

Deuxi~me exemple d’occultation: le test de justification est 6galement
prdsent6 comme un < juste milieu >> entre deux positions extremes
. Plus pre-
cis6ment, il s’agirait d’un compromis entre une d6finition des droits en fonction
de la r6glementation en vigueur le 17 avril 1982 et une caract6risation absolue
de ces m~mes droits. Mais attention : le sens du mot < absolu vient de glisser. Les deux extremes dont il est question ont trait a la d6finition du droit ancestral, alors que le compromis que l'on recherche se situe au niveau de la m6thode de protection de ce droit. Dans le premier cas, < absolu veut dire que tous les droits sont prot6g6s, alors que dans le deuxi~me, c'est la protection des droits - qui est < absolue > au lieu d’8tre relative. L’argument
ne nous explique donc pas pourquoi la protection doit 8tre relative et non abso-
lue. Tout au plus nous fait-il prendre conscience de l’6quilibre A atteindre entre
l’6tendue des droits prot6g6s et la force de leur protection. I1 faut d’ailleurs con-
venir qu’en mati~re de d6finition des droits, la Cour a adopt6 une attitude
presque extreme, rejetant les th6ories de l’extinction implicite et de la d6finition
par la < r6glementation fig~e >>. I est donc paradoxal qu’elle pr6tende ensuite
choisir le juste milieu

.Elle veut sans doute se donner l’image d’un sage

quels qu’ils soient –

’29L’article 133 de ]a Loi constitutionnelle de 1867 (R.-U.), 30 & 31 Vict., c. 3 a servi A invalider
une loi provinciale dans l’affaire PG. Quibec c. Blaikie, [1979] 2 R.C.S. 1016, 101 D.L.R. (3d)
394. La Cour a alors donn6 plein effet A ‘art. 133. Elle n’a jamais laiss6 entendre que les droits
confr6s par cet article devaient 8tre relativis6s A cause de l’existence de pouvoirs provinciaux
commne, par exemple, celui sur l’administration de lajustice, pr~vu a l’art. 92(14) de la meme loi.
De meme, dans l’arr& Moosehunter c. R., [1981] 1 R.C.S. 282, A ]a p. 292, 123 D.L.R. (3d) 95,
le juge Dickson affirme, au sujet des droits garantis par la Loi constitutionnelle de 1930, supra,
note 93 : < Ainsi, toute tentative de la part de la province de limiter le droit de chasse des Indiens pour se nourrir h des pdriodes prcises de l'annde serait une d6rogation directe aux termes de In Convention de 1930 (nos italiques). 1991] CASE COMMENTS 1415 qui, face A deux adversaires qui se disputent, << tranche la poire en deux >>. De
cette fagon, elle donne 1’apparence de se retirer du d6bat politique.

Conclusion

I1 est ind6niable que la Cour supreme assume une fonction politique lors-
qu’elle d6finit le m6canisme de protection des droits ancestraux reconnus dans
la Constitution. Cependant, elle s’efforce de cacher le plus possible ce c6t6 poli-
tique pour se donner une image de d6cideur impartial qui tranche entre les pre-
tentions de deux adversaires. C’est ce que nous a appris ‘analyse rh6torique des
motifs de l’arr& Sparrow.

En d6crivant les grandes lignes de la m6thode d’analyse des conflits entre
une loi et l’article 35, la Cour s’est gard6 deux possibilit6s de restriction aux
droits ancestraux. Premi~rement, l’6tendue du concept de << droit ancestral >>
n’est pas d6finie. I1 sera donc possible, lorsque les autochtones revendiqueront
un droit que la Cour ne veut pas reconnaitre, de dire que celui-ci n’entre pas
dans la categorie des droits ancestraux existants. Deuxi6mement, et c’est 1h le
plus grand risque pour les autochtones, le m6canisme de protection inclut un test
de justification des atteintes qui peut s’interpr6ter de bien des fagons. En sou-
pesant les int6rts des autochtones et ceux de la soci6t6 en g6n6ral, les juges
auront toute la libert6 voulue pour choisir les droits qui m6ritent une protection
constitutionnelle et ceux qui n’en m6ritent pas, tout en occultant les valeurs qui
seront A la base de ce choix. Cependant, la Cour tente, t 1’aide de divers m6ca-
nismes rh6toriques, de cacher ces restrictions potentielles et de faire croire aux
autochtones que la d6cision Sparrow constitue pour eux une victoire sans
r6serve.

On peut d6jA entrevoir l’attitude g6n&ale des tribunaux envers les droits
ancestraux. Lorsque ceux-ci seront << 16gers >>, comme dans Sparrow, ils seront
constitutionnellement prot6g6s contre la plupart des atteintes l6gislatives.
Cependant, la revendication de droits plus substantiels, comme les droits sur le
territoire et l’autonomie gouvernementale, risque d’6chouer. On peut interpr6ter
cette attitude de deux fagons : soit, ce qui parait invraisemblable, les juges sont
d6favorables aux autochtones et ne d6sirent que leur donner quelques miettes
pour les calmer ; soit, ce qui est plus probable, ils ne d6sirent pas intervenir dans
un traitement judiciaire. Ii resterait
des dossiers qu’ils estiment inappropri6s
donc encore des d6cisions qui ne peuvent 6tre prises que par les politiciens…