CASE COMMENTS
CHRONIQUES DE JURISPRUDENCE
R. c. Seaboyer: Au dela’ du droit de la preuve
Anne-Marie Boisvert”
Dans l’arrt Seaboyer, la Cour supreme du
Canada a d6clar6 inop6rant l’article 276 du
Code criminel, qui interdisait la pr6sentation
de preuves relatives au pass6 sexuel de la plai-
gnante dans les affaires d’agression sexuelle.
Apr~s un survol de l’6volution de la common
law et du Code criminel en la mati~re, l’au-
teure r6sume les motifs de la majorit6, selon
laquelle l’article 276 excluait des preuves per-
tinentes. Elle remet alors en question la con-
ception que se fait la majorit6 de la Cour de la
notion de pertinence : la preuve du pass6
sexuel de la plaignante ne saurait 8tre perti-
nente ni pour prouver le consentement de ]a
plaignante ni pour remettre en question sa cr6-
dibilit6 comme t6moin. L’auteure se demande
6galement pourquoi il faut pr6f6rer la concep-
tion que les tribunaux se sont faite de la perti-
nence h celle du 16gislateur. Enfin, vu que, de
l’aveu m~me de la majorit6 de la Cour, l’article
7 de la Charte ne protege pas que les droits de
l’accusd, mais ceux de la soci6t6 tout enti~re,
elle d6plore que le jugement majoritaire
accorde plus de poids aux droits de l’accus6
qu’h ceux de ]a plaignante.
In Seaboyer, the Supreme Court of Canada
struck down section 276 of the Criminal Code,
which declared evidence of the complainant’s
sexual history inadmissible in sexual assault
cases. Following an overview of the evolution
of the common law and of the Criminal Code
provisions on this point, the author summa-
rizes the majority judgment, which held that
section 276 excluded relevant evidence. The
author challenges the majority’s conception of
the notion of relevance, and holds that evi-
dence of the complainant’s sexual history is
irrelevant both as to proving the complainant’s
consent and to attacking her credibility as a
witness. The idea that the courts’ conception
of relevance should be preferred to that of the
legislator is also called into question. Finally,
since, as the majority itself stated, section 7 of
the Charter protects not only the rights of the
accused, but those of society at large, the
author regrets that the majority chose to adopt
a stance which clearly favors the rights of the
accused over those of the complainant.
* Professeure agr6g6e, Facult6 de droit, Universit6 de Montrdal.
Revue de droit de McGill
McGill Law Journal 1992
Mode de citation: (1992) 37 R.D. McGill 1110
To be cited as: (1992) 37 McGill L.J. 1110
1992]
Introduction
CASE COMMENTS
Le 22 mai 1991, la Cour supreme du Canada rendait un jugement impor-
tant dans l’affaire R. c. Seaboyer1. Dans cette ddcision, une majorit6 de la Cour
invalidait l’article 276 du Code criminel, mesure plus connue sous la d6nomi-
nation de << disposition sur la protection des victimes de viol . Selon la majorit6
du plus haut tribunal du pays, cette disposition porte atteinte au droit de l'accus6
de prdsenter une ddfense pleine et enti6re et cette atteinte ne peut se concilier
avec les prrceptes d'une socidt6 libre et ddmocratique. Cette decision, attendue
la
avec impatience, a suscit6 le ddpit chez nombre de femmes et donn6 lieu
cet arr~t, la ministre de la Justice introduisait en Chambre
controverse. Suite
des communes un projet de loi destin6 baliser, dans les limites permises par
la Cour, le contre-interrogatoire des victimes d'agressions sexuelles relative-
leur passd sexuel2. Ce projet de loi reprend essentiellement, en les codi-
ment
fiant, les lignes directrices 61abordes par la Cour en fin de jugement afin de pro-
tdger les plaignantes contre les utilisations illdgitimes de la preuve de leur
comportement sexuel3.
Compte tenu de ce ddveloppement, il peut sembler vain, 'a premiere vue,
de s'6tendre longuement sur les motifs de la Cour et les fondements de sa drci-
sion dans l'arr~t Seaboyer. Puisque, dans un sens, le sort en est jet6, il semblerait
suffisant de se toumer vers l'avenir et de travailler construire, dans les limites
posses par la Cour et reprises dans le projet de loi C-49, un syst~me de justice
qui, tout en respectant le droit de 1'accus6 a une ddfense pleine et enti~re, ten-
l'oprra-
drait a s'affranchir des ides revues qui ont contribu6 trop longtemps
tion discriminatoire de la justice en mati~re de viol et d'agression sexuelle.
Pourtant, a notre avis, ce jugement m6rite qu'on s'y attarde dans la mesure oil,
au delt du rdsultat qu'il a engendr6, il participe d'une tradition et consacre une
vision de la justice qui nous inqui~tent. Cette rdflexion nous apparait d'autant
plus nrcessaire et urgente qu'elle se situe maintenant dans un contexte de ddfi-
nition constitutionnelle de ce que nous entendons par 6quit6 et justice, de ce que
sont, dans notre socidt6, les principes de justice fondamentale. Par ailleurs, le
message lanc6 par la majorit6 de la Cour sur les rrles respectifs des institutions
parlementaires et judiciaires dans la ddfinition de ces principes fondamentaux
mdrite d'6tre 6tudi6 de plus pr~s.
Malgr6 les reserves importantes que nous inspire la ddcision majoritaire de
la Cour, et dont nous ferons largement 6tat dans les pages suivantes, nous
devons reconnaitre que le jugement comporte des aspects positifs. Tout d'abord,
l'ensemble de la Cour y reconnait clairement que la common law, en se fondant
sur des mythes et strr6otypes, a permis que des preuves de comportement sexuel
soient admises et utilis6es h des fins illgitimes pour que le juge des faits en tire
1[1991] 2 R.C.S. 577, 128 N.R. 81, 66 C.C.C. (3d) 321, 7 C.R. (4th) 117 [ci-apr~s Seaboyer cit6
aux R.C.S.].
r~gissent les questions de preuve
avril 1992)).
2P.L. C-49, Loi modifiant le Code criminel (agression sexuelle), 3e sess., 34e Leg., 1991-92.
3( Ces lignes directrices sont, en fait, le pivot des modifications I6gislatives proposdes qui
la p. 9505 (8
(Canada, Ddbats de la Chambre des communes
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REVUE DE DROIT DE McGILL
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des inf6rences illogiques4. Dans la foulre de l'arrt Lavallie5, la Cour admet
encore une fois que le droit criminel canadien traduit le plus souvent une vision
masculine de la justice et que les femmes ont 6t6 trait6es de fagon discrimina-
toire par notre appareil judiciaire. Par ailleurs, les lignes directrices propos6es
en fin de jugement et destinres i assurer une utilisation plus 6quitable de la
preuve relative au comportement sexuel des plaignantes, drmontrent un souci
de faire en sorte que les abus du pass6 ne se rrp~tent plus. Ces aspects positifs
ne nous permettent toutefois pas d'oublier la deception engendrre par la cons6-
cration,
la majorit6 de la Cour, d'une vision i notre avis discutable de la jus-
tice et des principes de justice fondamentale.
Le jugement de la majorit6 dans l'affaire Seaboyer se pr6sente comme un
magistral expos6 du droit de la preuve p6nale et participe d'une logique qui a
toutes les apparences de la n6cessit6. II est, en fait, difficile d'6chapper
cette
logique et un commentaire d'arrt classique supposerait sans doute une incur-
sion i l'intrrieur de cette demi~re afin, au mieux, d'en mettre en lumi~re
quelques faiblesses. Pourtant l'exercice nous apparait prrilleux parce qu'a s'y
vouer, on risque de perdre de vue les 616ments que la logique majoritaire
nrglige, en les ignorant compl~tement ou en ne leur accordant qu'une impor-
tance limit6e. Or, ce sont cette logique elle-m~me et les omissions qui l'accom-
pagnent qui donnent h la decision de la Cour tout son sens et doivent atre dis-
cutres.
En effet, le raisonnement adopt6 par la majorit6 de la Cour ne fonctionne
ni ne produit un r6sultat satisfaisant que dans la mesure oil certaines des pr6-
misses sur lesquelles il s'appuie sont accept6es sans reserve. On ne peut se satis-
faire de ce jugement qu'en acceptant l'idre qu'h tout prendre, les principes de
justice fondamentale accordent une plus large part aux droits des accus6s qu'ii
ceux des victimes. A cet 6gard, la conclusion de la Cour drcoule d'une appr6-
ciation r6ductrice de l'objectif poursuivi par l'adoption de l'article 276 du Code
criminel et d'une qualification inexacte des int6rts en cause. La logique de
l'expos6 de la majorit6 repose sur une analyse restrictive des possibilites d6j
offertes de presenter des preuves par le biais des exceptions pr6vues h l'article
276 et sur l'application d'une notion de pertinence qui n'est pas sans faille. I1
faut, dans une large mesure, accepter de porter un jugement sur l'effort d6ploy6
4 L'objet principal de la loi est d'abolir les anciennes r~gles de common law qui auto-
risaient la presentation de preuves sur le comportement sexuel du plaignant qui avaient
peu de valeur probante et visaient A induire le jury en erreur. En vertu des r~gles de
common law, on pouvait interroger la plaignante sur son comportement sexuel ant6-
rieur, sans avoir A 6tablir la pertinence de cette preuve A l'6gard d'un point en litige.
En effet, des preuves que ]a plaignante avait eu des relations sexuelles avec l'accus6
et d'autres personnes 6taient ordinairement pr~sentdes (et acceptres par les juges et les
jur~s) comme tendant a rendre plus probable le consentement de la plaignante et A dimi-
nuer grnrralement sa cr6dibilit6. Ces inferences 6taient fondres non pas sur des faits
mais sur le mythe selon lequel il est plus probable qu'une femme de moeurs faciles
consente A des rapports sexuels et qu'elle est, de toute fagon, moins digne de foi. Ce
mythe double est maintenant disparu (Seaboyer, supra, note 1 A la p. 604, Mme ]a juge
McLachlin).
5R. c. Lavallie, [1990] 1 R.C.S. 852, 108 N.R. 321, 55 C.C.C. (3d) 97, 76 C.R. (3d) 329.
19921
CHRONIQUES DE JURISPRUDENCE
1113
par le l6gislateur pour d6finir la notion de pertinence en 6vacuant presque tota-
lement le contexte particulier dans lequel elle s'inscrit. I1 faut, finalement,
admettre que les principes de justice fondamentale enchass6s dans la Constitu-
substituer leur d6finition de ce qui est pertinent
tion habilitent les tribunaux
r6primer notre scep-
ticisme face h l'affirmation que, malgr6 leur pi~tre performance s~culaire en
mati~re d'infractions sexuelles, les tribunaux seront, en ce domaine, en meil-
leure posture que le l6gislateur pour d6terminer la pertinence d'une preuve et
tracer la voie menant t l'6quit6 et A une conception fondamentale de la justice.
celle retenue par le 16gislateur. Or, nous avons du mal
I. Le contexte de l'arrt Seaboyer
Une analyse de l'arr~t rendu par la majorit6 de la Cour ne peut atre entre-
prise sans tout d'abord situer le litige dans son v6ritable contexte, celui du trai-
tement l6gislatif et judiciaire particulier qui a longtemps 6t6 r6serv6 aux infrac-
tions sexuelles. La pratique du droit a, dans ce domaine, fait une large part aux
pr6jug6s, aux st6r6otypes et aux croyances discriminatoires. Malgr6 la recon-
laquelle se
naissance initiale de cet 6tat de faits, l'analyse constitutionnelle
livre la majorit6 de la Cour est compl~tement divorc6e du contexte propre aux
infractions sexuelles. Pourtant, comme le fait remarquer avec force la juge
L'Heureux-Dub6 dans ses motifs de dissidence, l'analyse constitutionnelle ne
peut avoir de v6ritable sens que si elle tient compte du cadre politique, histo-
rique et social dans lequel s'est dvelopp6 le droit des infractions sexuelles6 .
L'agression sexuelle se d6marque des autres crimes en ce que, dans la vaste
majorit6 des cas, l'agresseur est un homme alors que la victime est une femme7.
l'effet que 1'agression sexuelle est, de tous les
Par ailleurs, l'affirmation
crimes du Code criminel, celui qui est le moins rapport6, le moins poursuivi et
le moins puni, participe presque du lieu commun . Pourtant, malgr6 un taux de
Ia p. 647.
6Seaboyer, supra, note I
7SeIon une rfcente enqu~te men6e par la section de la recherche du minist~re f6d6ral de la Jus-
tice, plus de 90 % des plaignantes en mati~re d'agressions sexuelles sont des femmes alors que
99 % des suspects sont des hommes (Canada, Minist~re de ]a Justice, La loi sur les agressions
sexuelles au Canada - Une ivaluation : Vue d'ensemble (Rapport n 5), Hull, Approvisionne-
ments et services Canada, 1991 aux pp. 45, 47).
Nous avons 6prouv6, lors de la r6daction de ce commentaire, les m~mes problmes de vocabu-
laire que ceux 6voqu6s par la juge L'Heureux-Dub6 (supra, note 1 aux pp. 647-48). Fallait-il parler
de
droit, il n’est pas permis de parler de victime tant que le crime n’a pas 6t6 prouv6, nous avons opt6
pour le mot < plaignant >. Restait cependant la delicate question du genre. Apr~s more r~flexion,
et malgr6 le fait que les agressions sexuelles peuvent 8tre commises tant a 1’6gard des hommes qu’a
la r~gle grammaticale voulant que < le mas-
1'6gard des femmes, nous avons opt6 pour l'entorse
. I1 nous apparait que ce choix
culin l'emporte sur le f6minin
rend mieux justice A la situation de victimisation tr~s importante des femmes dans le domaine des
agressions sexuelles.
et nous parlerons de plaignantes
8Dans ses notes, la juge L'Heureux-Dub6 rapporte, entre autre, que:
Selon Statistique Canada, en 1973, le taux de d6clarations de culpabilit6 pour tous les
crimes contre la personne a 6t6 de 66,7 pour 100 contre 39,3 pour 100 pour le viol
(supra, note 1
la p. 657).
Des donn6es plus r6centes contenues dans le rapport pr6par6 par ]a section de la recherche du
minist~re f~d6ral de la Justice indiquent qu'alors que le taux de condamnation suite aux poursuites
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McGILL LAW JOURNAL
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d6nonciation anormalement bas, il est d6montr6 que le taux de victimisation des
femmes en mati~re d'agression sexuelle est tr~s 61ev69.
Comme le d6montre la juge L'Heureux-Dub6 dans ses motifs de dissi-
dence, de nombreux mythes et st6r6otypes expliquent la pi~tre performance de
l'appareil r6pressif dans ce domaine a. Apr~s avoir pass6 en revue nombre
d'id6es reques sur la sexualit6 f6minine, sur les femmes et sur l'agression
sexuelle, elle conclut :
Cette liste des conceptions st6r~otyp6es sur les femmes et l'agression sexuelle
n'est nullement exhaustive. Comme la plupart des st6r6otypes, elles sont une
fagon, si imparfaite soit-elle, de comprendre le monde et, comme la plupart de ces
conceptions, op~rent h un niveau de conscience qui les rend difficiles h 61iminer
et h attaquer directement. Cette mythologie influence la police dans sa decision de
classifier une plainte comme << fond~e ou non fond~e , le ministare public dans
sa decision d'intenter on non des poursuites, la perception que le juge ou le jur6
a de la culpabilit6 ou de l'innocence de l'accus6 et de la << bont6 > ou de la
<( m.chancet6 ,> de la victime, et enfin a rdussi i se tailler une place dans les
r~gles de preuve et de fond rdgissant le procs en cette matire [nos italiques].
Ii n’est pas inutile de rappeler bri~vement que le droit de la preuve, qui
nous int6resse plus-particuli~rement ici, a en effet longtemps consid6r6 avec une
suspicion extreme le t6moignage des personnes all6guant avoir 6t6 victimes de
viol ou d’agression sexuelle et s’est d6velopp6 h partir d’id6es pr6congues sur
les femmes, la sexualit6 et le r6le social r6serv6 aux individus”. La r~gle de la
pour les autres infractions contre la personne est de 86 %, celui relatif aux agressions sexuelles
n’est que d’environ 55 % (ibid. aux pp. 3, 53).
Ces donn6es font 6tat du taux de condamnation, une fois l’agression sexuelle ddnonc6e et la
plainte jugie fond6e par la police et le minist~re public. Dans ses notes, la juge L’Heureux-Dub6
fait par ailleurs largement 6tat du faible taux de d6nonciation et du faible taux de poursuite qui
caractdrisent l’agression sexuelle.
9Dans son document de 1985 intitul6 Une politique d’aide auxfemmes violenties, le ministare
des Affaires sociales du gouvemement du Qu6bec affirme que:
– une canadienne sur 17 est viol6e au cours de son existence ; 1 femme sur 5 est vic-
time d’agression sexuelle ;
– toutes les 29 minutes, une femme est viol6e au Canada; toutes les 6 minutes, une
femme subit une agression sexuelle;
– pour la seule ann6e 1979, on a rapport6 3 388 viols h la police au Canada ; les 6tudes
montrent que 1 viol sur 8 seulement est rapport6 A la police ;
– depuis 1969, le nombre de viols rapport6s a augment6 de 125 %.
Dans ses motifs, la juge L’Heureux-Dub6 rapporte des statistiques tout aussi alarmantes (supra,
note 1 A la p. 649). Par ailleurs, elle fait 6tat d’un autre aspect de la victimisation des femmes dont
il est moins souvent fait mention et qui n’est pas comptabilis6, la crainte dans laquelle vivent les
femmes de subir une agression sexuelle (ibid. aux pp. 649, 657-58).
1 Elle dresse Ia liste des pr~jug6s les plus courants aux pp. 651-54. I1 est important de souligner
que ces id6es reques ne sont pas l’apanage exclusif de notre syst~me de justice. Les mythes et st6-
r~otypes vdhicul6s par ce syst6me sont partag~s par une vaste majorit6 de la population. Voir, 5 cet
6gard, les r6sultats des 6tudes cit6es dans ibid. A Ia p. 659 et s.
“Ibid. a Ia p. 654.
12 Modem psychiatrists have amply studied the behavior of errant young girls and women
coming before the courts in all sorts of cases. Their psychic complexes are multifa-
rious, distorted partly by inherent defects, partly by diseased derangements or abnormal
instincts, partly by bad social environment, partly by temporary physiological or emo-
1992]
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plainte spontanre, abrogre depuis peu”3, destinre protrger les hommes contre
la fabrication tant redoutre d’accusations frivoles et mensong~res, en fournit un
exemple 6loquent. Cette r6gle drcoulait du postulat que le d6faut de la victime
la premiere occasion 6tait nfcessairement incompatible avec sa
de se plaindre
drnrgation du consentement
presenter une preuve respectant de strictes exigences d’admissibilit6 afin de ren-
verser une prrsomption d’absence de crrdibilit6 en cas de silence. Contraire-
la r~gle voulant que les declarations d’un t6moin doivent grn6ralement
ment
8tre consid&res comme v6ridiques en l’absence d’un motif particulier de les
exclure, dans le cas des infractions d’ordre sexuel, l’absence de plainte sponta-
n~e forgait le juge des faits A tirer une inference n6gative quant h la cr~dibilit6
de la plaignante 14.
l’acte. La r~gle obligeait donc cette derni6re
Les r~gles de corroboration constituaient elles aussi des exceptions aux
principes traditionnels en mati~re de preuve et traduisaient la m6fiance de l’ap-
pareil judiciaire face A la cr~dibilit6 de la plaignante. La r~gle grnrrale veut en
effet que le tribunal puisse agir et fonder un verdict sur la foi d’un trmoignage
non corrobor615. Cependant, les victimes d’agression sexuelle 6tant consid6r6es
comme peu crrdibles, la corroboration 6tait n6cessaire pour qu’une personne
soit drclarre coupable dans le cas de certaines infractions d’ordre sexuel, alors
que dans d’autres cas, le jury devait 8tre averti du danger de condamner quel-
qu’un en l’absence de toute corroboration. La victime d’agression sexuelle rece-
vait, en fait, le m6me traitement que les trmoins complices et les enfants jugrs
incapables de comprendre la nrcessit6 de dire la v~rit6. I1 n’y a pas si long-
temps, Glanville Williams justifiait candidement la r~gle. Voici comment il
s’exprime :
There is sound reason for this, because sexual cases are particularly subject to the
danger of deliberately false charges, resulting from sexual neurosis, phantasy, jea-
lousy, spite, or simply a girl’s refusal to admit that she consented to an act of which
she is now ashamed’ 6.
Or, comme le fait remarquer la juge L’Heureux-Dub6, ce souci constant de
protrger les accuses contre la fabrication d’allrgations est difficile A comprendre
tional conditions. One form taken by these complexes is that of contriving false charges
of sexual offenses by men (J.H. Wigmore, Evidence in Trials at Common Law, vol. 3A,
6d. r6v. par J.H. Chadbourn, Boston, Little, Brown, 1970 A la p. 736, cit6 dans J.G.
Hoskins, <( The Rise and Fall of the Corroboration Rule in Sexual Offences Cases >>
(1983) 4 Rev. Can. D. Fam. 173
la p. 191).
13Loi modifiant le Code criminel en matiare d’infractions sexuelles et d’autres infractions contre
la personne et apportant des modifications corrdlatives ti d’autres lois, S.C. 1980-81-82-83, c. 125,
art. 19 (modifiant l’art. 246.5 C.cr.) [ci-apr~s Loi modifiant le Code criminel].
14Comme le faisait remarquer le juge Lamer dans l’affaire Timm c. R., [1981] 2 R.C.S. 315 A
la p. 320, 59 C.C.C. (2d) 396:
La jurisprudence relative A Ia preuve de plainte spontanre […] laisse amplement voir
qu’il y a beaucoup d’incertitude dans ce domaine du droit […]. Une bonne partie de ces
divergences et de cette incertitude rsulte, a mon avis, de ce que nous considrons la
recevabilit6 d’une telle preuve comme une exception A une r~gle grnrale d’exclusion,
alors que ce qui est exceptionnel c’est l’attribution d’une valeur probante sprciale au
silence de Ia personne qui se dit victime d’une infraction sexuelle.
15La corroboration est une preuve indrpendante qui a pour effet de confirmer la v~racit6 d’un
trmoignage. Voir J. Fortin, Preuve pdnale, Montreal, Thrmis, 1984 A la p. 231.
16G. Williams, < Corroboration - Sexual Cases >> [1962] Crim. L.R. 662 A la p. 662.
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REVUE DE DROIT DE McGILL
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et A expliquer autrement que par l’adh6sion des ides regues sur la cr6dibilit6
des plaignantes. Les craintes d’abus et les mrcanismes mis en place pour les
contrer reposent sur des pr6misses fondres sur l’imagination beaucoup plus que
sur l’observation empirique 7.
Ii n’est d’ailleurs pas sans int6rt de noter, pour les fins de la discussion
qui va suivre, que l’ancien article 142 du Code criminel, qui imposait au juge
le devoir d’avertir le jury qu’il 6tait risqu6 de condamner l’accus6 sur la simple
preuve non corroborre du trmoignage de la plaignante en mati~re de viol, de
tentative de viol, de rapports sexuels illicites ou d’attentat
la pudeur, a 6t6
abrog6 en 1975 et remplac6 par un nouvel article”s. Cette nouvelle disposition
n’exigeait plus la corroboration en mati~re de viol, et seuls les quelques cas pr6-
vus i l’article 139 n6cessitaient dor6navant la corroboration. Pourtant, malgr6
l’intention manifest6e par le 16gislateur, une r~gle jurisprudentielle s’est d6ve-
loppre
l’effet qu’en mati~re de viol, le juge devait quand m~me inviter le jury
la circonspection dans le cas ofi la condamnation ne reposerait que sur le
trmoignage non corrobor6 de la plaignante 9. Devant cette attitude de la juris-
prudence, le 16gislateur a abrog6 ce nouvel article lors de la rrforme majeure des
infractions d’ordre sexuel dans les ann~es quatre-vingt20 .
La position de la common law relativement A la pertinence de la preuve sur
le comportement sexuel antrieur de la plaignante s’inscrit elle aussi dans ce
contexte de m~fiance face
la crddibilit6 des plaignantes et s’est 6labor6e de
mani~re A conforter nombre de pr6jugrs sur les femmes et la nature des agres-
sions sexuelles.
En common law en effet, la moralit6 sexuelle de la plaignante en mati~re
de viol 6tait consid~re pertinente A un double titre. Tout d’abord, le comporte-
ment sexuel ant6rieur de la plaignante, tant avec l’accus6 qu’avec les tiers, 6tait
jug6 pertinent au litige et utile pour determiner si, en l’esp~ce, la plaignante
avait consenti aux rapports sexuels. Ensuite, la plaignante pouvait atre interro-
gre sur son pass6 sexuel de mani~re h miner sa cr6dibilit6 comme trmoin. En
d’autres termes, on consid6rait que les femmes qui avaient consenti
des rap-
ports sexuels extraconjugaux avaient une double propension : premi~rement,
consentir grnralement aux rapports sexuels et deuxi~mement, A mentir. >>21
7Comme le fait remarquer la juge L’Heureux-Dub6:
1
I1 est difficile de comprendre la pr6occupation du droit A l’gard de ]a crrdibilit6 de ]a
plaignante dans ces cas ainsi que les st&rotypes flagrants selon lesquels ces plai-
gnantes ne sont pas dignes de foi. Comme nous l’avons vu, l’agression sexuelle est,
parmi tous les crimes violents, l’infraction qui donne lieu au moins grand nombre de
plaintes. Mme apr~s le drp6t d’une plainte, la police et la poursuite 6liminent
un nombre important de plaintes selon qu’elles correspondent ou non au mythe et au
st6rdotype entourant le viol. Logiquement, il semblerait y avoir, dans ce contexte,
peu de risques de plaintes non fond~es comparativement A la plupart des crimes. En
fait, il n’existe pas de preuve du contraire [nos italiques] (supra, note 1 4 ]a
p. 669).
18Loi de 1975 modifiant le droit criminel, S.C. 1974-75-76, c. 93, art. 8 [ci-apr~s Loi de 1975].
‘9Voir R. c. Martin (1980), 53 C.C.C. (2d) 250 (C.A. Ont.).
2Loi modifiant le Code criminel, supra, note 13, art. 6.
21Seaboyer, supra, note 1 i la p. 666, Mme la juge L’Heureux-Dub6.
1992]
CHRONIQUES DE JURISPRUDENCE
1117
Les interrogatoires men6s lors des proc~s pour viol, souvent vexatoires 22,
ont W critiqu6s tant pour l’usage abusif qui en 6tait fait que relativement
la
pertinence douteuse des moeurs sexuelles comme barom~tre de la cr6dibilit6P.
C’est dans ce contexte qu’i deux reprises le l6gislateur est intervenu pour cor-
riger la situation.
huis clos destin6e
Tout d’abord, en 1975, le Parlement f6d6ral abrogeait l’ancien article 142
du Code criminel et adoptait un nouveau texte destin6 A freiner les abus. Cet
article pr6voyait que l’interrogatoire de la plaignante sur son comportement
sexuel avec une autre personne devait dor6navant 6tre pr6cd6 d’un avis 6crit
6tablir la valeur de la preuve24. II est
et d’une audition
d6solant de constater que cette mesure, adopt6e pour juguler les probl~mes cau-
s6s par l’examen pratiquement illimit6 du comportement sexuel de la plai-
gnante, s’est vue vid6e de tout son sens et .interpr6t6e par la Cour supreme de
mani~re A placer la plaignante dans une position encore moins avantageuse que
ne le faisait la common law. Une loi destin6e A corriger les iniquit6s et la dis-
crimination auxquelles la common law avait donn6 prise 6tait trait6e par la Cour
comme conf6rant A la poursuite un avantage indu, situation que le plus haut tri-
bunal du pays a cru devoir corriger. Dans l’arrt Forsythe, la Cour d6cidait en
effet que les nouveaux < avantages >> conf6r6s aux plaignantes devaient 8tre
contrebalanc6s par de nouveaux << avantages >> pour la d6fense’. Ainsi, la Cour
22pour un exemple classique de contre-interrogatoire vexatoire, voir G.R. Goodman,
(5) Au present article et h l’article 442, < plaignante > d~signe la victime de la
pr6sum6e infraction (Loi de 1975, supra, note 18).
25Forsythe c. R., [1980] 2 R.C.S. 268, 55 C.C.C. (2d) 225 [ci-apr~s Forsythe]. Pour une int6-
ressante discussion sur l’interpr6tation faite par les tribunaux de la premiere r6forme legislative,
1118
McGILL LAW JOURNAL
[Vol. 37
d6cidait que la plaignante deviendrait dor6navant un t6moin contraignable par
la d6fense lors de l’audition t huis clos. De plus, la Cour d6cidait que, d’une
question incidente au litige, la cr6dibilit6 de la plaignante devenait une question
directement en litige, privant done la plaignante du droit de refuser de r6pondre
aux questions relatives h son inconduite
, comme c’est normalement le cas
quand la cr6dibilit6 d’un t6moin n’est qu’une question accessoire. Par ailleurs,
la d6fense se voyait accorder le droit de pr6senter des preuves destin6es i con-
tredire le t6moignage de la plaignante sur sa conduite sexuelle.
Quoique les objectifs du l~gislateur aient 6t6 louables, l’interprdtation donne .i cet
article par les tribunaux a contrecarr6 les avantages qu’il aurait pu entrainer pour
les plaignantes. En fait, selon cette interpr6tation, cette disposition offrait
]a plai-
gnante moins de protection que la common law, ce qui constitue un r6sultat 6ton-
nant si l’on consid6re ue, en l’adoptant, le l6gislateur avait l’intention de corriger
un probl~me 6vident
.
Pareil r6sultat incitait le 16gislateur h intervenir une deuxi~me fois en 1983
et abroger l’article 142 pour le remplacer par les articles 276 et 277 du Code
criminel, articles dont la validit6 constitutionnelle 6tait contest6e dans l’arr~t
Seaboyer. L’article 277 disposait dor6navant que, lors d’un procs relatif a une
infraction d’ordre sexuel, une preuve de r6putation sexuelle visant attaquer ou
h d6fendre la cr6dibilit6 de la plaignante 6tait inadmissible. Quant au nouvel
article 276, il limitait a certaines situations pr6cises la possibilit6 de faire la
preuve du pass6 sexuel de la plaignante avec une personne autre que l’accus6.
Pareille preuve n’6tait dor6navant permise que (1) pour contredire une preuve
de la poursuite mettant en litige le comportement sexuel de la plaignante (par
exemple la preuve de sa chastet6); (2) pour 6tablir l’identit6 de la personne
ayant eu des rapports sexuels avee la plaignante lors de l’incident faisant l’objet
de l’accusation (par exemple en cas de contestation de b’identit6 de l’accus6) ;
ou enfin (3) si la preuve pr6sent6e portait sur des actes sexuels contemporains
Sl’accusation et pertinents h la croyance de l’accus6 quant au consentement de
la plaignante. Dans ces trois cas, le juge ne pouvait admettre la preuve du pass6
sexuel de la plaignante avec des tiers qu’apr6s une audition huis clos. Notons
enfin que la loi ne restreignait pas l’admissibilit6 de la preuve du comportement
sexuel de la plaignante avec l’accus6, 61argissant de ce fait la traditionnelle r~gle
de common law27.
C’est cet aspect de la r6forme b6gislative qui fut contest6 dans l’affaire Sea-
boyer. Les accuses dans cette affaire plaidaient que b’interdiction totale de faire
la preuve du pass6 sexuel de la plaignante pour attaquer sa cr6dibilit6 et l’admis-
sibilit6 limit6e de cette preuve quant aux questions directement en litige les pri-
vaient indfiment de leur droit a une d6fense pleine et enti~re et ‘ un proces equi-
table, deux droits garantis par les articles 7 et lid) de la Charte canadienne des
voir le commentaire de Christine Boyle, < Section 142 of the Criminal Code: A Trojan Horse? >
(1980-81) 23 Crim. L.Q. 253.
26Seaboyer, supra, note 1 A la p. 671, Mme ]a juge L’Heureux-Dub&
27Voir, A cet 6gard, T.B. Dawson, < Sexual Assault Law and Past Sexual Conduct of the Primary
Witness: The Construction of Relevance
(1987-1988) 2 Rjfd 310 a la p. 318.
1992]
CASE COMMENTS
1119
droits et liberts s. Essentiellement, les accus6s soutenaient que, aussi louable
que ffit l'objectif poursuivi par le 16gislateur lors de la r6forme, les dispositions
adopt6es allaient trop loin en 61iminant en fait des preuves pertinentes qui
devraient 6tre admises, nonobstant leur effet pr6judiciable possible.
II. Le jugement majoritaire
Selon la juge McLachlin, 6crivant pour la majorit6 de la Cour, la v6ritable
question soulev6e par le pourvoi consiste d6terminer si l'atteinte possible h la
libert6 de l'accus6, par l'application des articles 276 et 277 du Code criminel,
survient en conformit6 avec les principes de justice fondamentale29.
D'entr6e de jeu, elle affirme que les principes de justice fondamentale, ces
pr6ceptes fondamentaux de notre syst~me juridique, ne visent pas uniquement
prot6ger les droits de l'accus6, mais protgent des pr6occupations sociales
plus globales30. Le jugement majoritaire reconnait par ailleurs que les objectifs
poursuivis par le 16gislateur, lors de l'adoption des articles 276 et 277, ne
portent pas atteinte A ces principes. L'objectif principal de ces disposition, soit,
selon la majorit6 de la Cour, celui d'abolir les anciennes r~gles de common law
qui autorisaient la pr6sentation de preuves sur le comportement sexuel de la
plaignante ayant peu de valeur probante et induisant le jury en erreur, va de pair
avec la conception que nous nous faisons d'un proces equitable. I1 en va de
mame des objectifs subsidiaires d'encourager le d6p6t de plaintes dans un
domaine ofi elles sont notoirement peu nombreuses ainsi que de prot6ger la vie
priv6e des t6moins, deux objectifs qui sont conformes A notre conception fon-
damentale de la justice. Ce ne sont donc pas ces objectifs louables qui pr6oc-
cupent la Cour mais l'effet des dispositions 16gislatives sur les droits des accu-
ses 31
Afin d'analyser ces effets, la juge McLachlin se livre h une 6tude des prin-
cipes r6gissant le droit de pr6senter une preuve en d6fense. Selon elle en effet,
le principe de la pertinence i la base de toutes nos r~gles de preuve, ce principe
qui permet au juge et au jury de d6couvrir la v6rit6 et de bien trancher le litige,
est l'essence m~me de la justice fondamentale en mati~re d'administration de la
preuve32 .
28Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l'annexe B de la Loi de 1982 sur le
Canada (R.-U.), 1982, c. 11 [ci-apr~s la Charte].
29Seaboyer, supra, note 1 aux pp. 602-03.
30La juge McLachlin s'exprime en effet ainsi:
Les principes de justice fondamentale touchent toute une gamme d'intdrbts qui vont des
droits de l'accus6 a des pr6occupations sociales plus globales. On doit interpr6ter l'art.
7 en tenant compte de ces int6rts et < en regard des principes applicables et des poli-
tiques qui ont anind la pratique ligislative et judiciaire dans le domaine o [nos ita-
liques] (ibid.
Ia p. 603).
Manifestement, nous esp6rons que, malgr6 cette identification des int6rts plus globaux aux poli-
tiques qui ont jusqu'ici anim6 la pratique, il ne faut pas comprendre que la Charte assure aux accu-
s6s le droit au statu quo, et que la discrimination sexuelle qui a caract6ris6 les r~gles de preuve
dans le domaine qui nous int6resse est maintenant 6rig6e en principe constitutionnel!
311bid. a la p. 606.
321bid. i Ia p. 609.
1120
REVUE DE DROIT DE McGILL
[Vol. 37
En r~gle g6n6rale, den ne doit 8tre admis qui ne constitue pas une preuve logique
d'un fait a prouver et tout ce qui est probant dolt 8tre admis, A moins de devoir
6tre exclu pour un autre motif. Une disposition 16gislative qui empeche le juge des
faits de d6couvrir ]a v6rit6 par exclusion d'616ments de preuve pertinents sans
motif clairfondi sur un principe ou une rgle de droit justiflant cette exclusion va
l'encontre de nos conceptions fondamentales de la justice et de ce qui constitue
un procs 6quitable [nos italiques] 33.
Dans la mesure toutefois oii une preuve peut 8tre pertinente 1'6gard d'une
question, mais ne pas l'6tre
l'6gard d'une autre, ou, pire, susceptible d'induire
le juge des faits en erreur sur cette seconde question, le droit de la preuve confie
au juge du procs le soin de d6terminer la valeur probante de la preuve par rap-
port A son effet pr6judiciable possible'. A cet 6gard, la juge McLachlin recon-
nait au juge du procs le pouvoir d'exclure une preuve dans le cas ofi son effet
pr6judiciable l'emporte sensiblement sur sa valeur probante, que cette preuve
6mane de la pr6sentation de la poursuite ou de la d6fense35. Remarquons au pas-
sage que cet 6nonc6 clarifie la position de la common law relativement au pou-
voir du juge d'exclure une preuve pr6sent6e par la d6fense. Comme le fait
remarquer la juge McLachlin, < [l]es tribunaux [...] ont beaucoup h6sit6 h res-
treindre le droit de l'accus6 de pr6senter une preuve
l'appui de sa d6fense
[compte tenu] du principe fondamental [...] selon lequel une personne innocente
ne doit pas 6tre d6clar6e coupable >>6 C’est pourquoi, nous dit-elle, le juge du
procs doit agir avec circonspection lorsque la preuve est pr6sent6e au soutien
d’une d6fense et n’exclure que les preuves dont l’effet pr6judiciable l’emporte
clairement sur leur valeur probante.
C’est donc en fonction de ce dernier crit6re que, selon la majorit6 de la
Cour, doit s’analyser la validit6 constitutionnelle des articles 276 et 277 du
Code criminel.
Dans ce contexte, le cas de l’article 277 est vite r6gl6.
L’article 277 exclut la preuve de r6putation sexuelle visant A attaquer ou A
d6fendre la cr6dibilit6 de la plaignante. L’id6e que la cr6dibilit6 de la plaignante
puisse 8tre touch6e par le fait qu’elle a eu d’autres rapports sexuels est aujourd’hui
universellement rejetde. II n’existe aucun lien logique ou pratique entre ]a r6puta-
tion sexuelle d’une femme et sa cr6dibilit6 en tant que t6moin. La preuve exclue
en vertu de l’art. 277 ne peut donc avoir aucune fin 16gitime au procs. En limitant
l’exclusion d’une preuve A une fin qui est clairement ill6gitime, l’art. 277 ne vise
pas la preuve susceptible d’8tre pr6sent6e
des fins valides et ne viole done pas
le droit A un procs dquitable37.
Ii en va cependant autrement de l’article 276. Selon la juge McLachlin,
cette disposition, contrairement
l’article 277, ne fait pas reposer l’exclusion
sur l’utilisation d’une preuve A une fin ill6gitime, et il est impossible d’affirmer
a priori < que les preuves 6cartes par l'art. 276 auront n~cessairement une
valeur
leur effet pr6judiciable qu'elles
ce point insignifiante par rapport
33Tbid.
341bid.
351bid aux pp. 609-12.
361bid. a la p. 611.
37Ibid. aux pp. 612-13.
1992]
CHRONIQUES DE JURISPRUDENCE
peuvent 6tre 6cart6es en toute 6quit6 >>. I1 est en effet possible, affirme la juge,
d’imaginer une multitude d’exemples oti les preuves de comportement sexuel
de la plaignante exclues par l’article 276 peuvent servir h expliquer les faits
mat6riels sur lesquels le minist~re public fonde l’accusation et oa la preuve
exclue, sans 6tre trompeuse, risque d’8tre fort pertinente et utile.
Somme toute, le principal reproche que la majorit6 de la Cour adresse
l’article 276, c’est d’aller trop loin, compte tenu des objectifs qui ont pr6sid6 h
son adoption.
On peut accepter que des preuves qui d6toument l’attention du juge des faits de
la v6ritable question en litige et diminuent les chances d’un verdict correct
puissent 6tre 6cart6es a bon droit m~me si elles ont une certaine pertinence, mais
le fait demeure qu’une disposition qui exclut cat6goriquement une preuve sans
permettre au juge du proc~s de d6terminer si son effet pr6judiciable l’emporte sur
sa valeur dans le processus de d6couverte de la v6rit6 risque d’avoir une trop
grande port6e39.
Le fait que l’article 276 ne permette pas d’6tablir une distinction entre les
divers objets pour lesquels la preuve peut 8tre pr6sent6e et le fait que la m6thode
utilis6e par le 16gislateur, savoir l’utilisation d’une interdiction totale assortie
d’exceptions, ne laisse pas au tribunal suffisamment de latitude pour d6terminer
correctement la pertinence de la preuve dans un cas donn6, sont fatals.
Si l’on accepte qu’il peut parfois 8tre justifi6 d’exclure des preuves pertinentes
pour des raisons de principe, le fait demeure que ‘art. 276 peut entrainer 1’exclu-
sion d’une preuve dans des cas oh le principe meme qui sous-tend la disposition
indiquerait que cette preuve
–
devrait 6tre admise [nos italiques] 40.
ddcouvrir la vjrit6 et arriver au bon verdict –
Enfin, la majorit6 de la Cour ne retient pas l’argument
l’effet que cer-
taines r~gles de preuve telle l’exclusion de la preuve par oul-dire ou du t6moi-
gnage d’opinion, excluent fr6quemment des 616ments de preuve pertinents pour
la d6fense alors que leur valeur probante ne l’emporte pas sensiblement sur leur
effet pr6judiciable. Dans tous ces cas, affirme la juge McLachlin, contrairement
la situation qui pr6vaut sous le regime mis en place par l’article 276, le juge
du procs jouit d’un pouvoir discr6tionnaire suffisant pour appr6cier les consi-
d6rations pertinentes et admettre la preuve si l’6quit6 l’exige41.
Dans une analyse lapidaire effectu6e dans le cadre de l’article 1 de la
Charte, la juge McLachlin d6cide que les raisons qui font que l’article 276 du
Code criminel viole les articles 7 et lid) de la Charte, soit son caract~re trop
la d6fense de pr6senter une preuve per-
large et le fait qu’il ne permette pas
tinente dont la valeur probante n’est pas clairement surpass6e par son effet pr6-
judiciable, permettent de conclure que cette mesure ne se justifie pas dans le
cadre d’une soci6t6 libre et d6mocratique42.
35Ibid. a la p. 613.
39Ibid. aux pp. 616-17.
40Ibid. a a p. 620.
41Ibid. aux pp. 621-23.
42Ibid. aux pp. 626-27.
1122
McGILL LAW JOURNAL
[Vol. 37
M. Commentaires
A. La pertinence de la preuve de comportement sexuel et Particle 27643
l’effet que
Malgr6 la position initiale de la majorit6
‘article 7 de la
Charte vise garantir une gamme d’int6r~ts divers, ii semblerait qu’ultimement,
le principe de la pertinence i la base de toutes nos r~gles de preuve –
ce prin-
cipe qui permet au juge des faits de d6couvrir la v6rit6 et de bien trancher le
litige –
constitue l’essence m~me de la justice fondamentale en mati~re d’ad-
ministration de la preuve. Ind6pendamment de toute autre consid6ration, l’ex-
clusion par le 16gislateur de preuves que I’appareil judiciaire risque de consid6-
rer pertinentes sera donc faite en contravention des principes de justice
fondamentale. Dans ce contexte, l’id6e que l’on se fait de ce qui est ou n’est pas
pertinent revt une importance cruciale.
On nous dit que le principal obstacle A la validit6 constitutionnelle de l’ar-
ticle 276 r6side dans la possibilit6 qu’il foumit d’exclure de l’examen du juge
des faits des 616ments de preuve pertinents pour la d6fense, sans possibilit6 pour
le juge du proc~s d’exercer quelque discr6tion. On nous dit par ailleurs que ces
preuves pertinentes devront 6tre admises dans certains cas puisqu’il peut arriver
des situations oti leur valeur probante ne sera pas clairement surpass6e par leur
effet pr6judiciable. L’argument est convaincant dans la mesure ott l’on accepte
qu’effectivement, l’article 276 risque d’6carter l’appr6ciation de preuves perti-
nentes. Or, cette conclusion nous semble d6couler d’une interpr6tation restric-
tive des possibilit6s d6ja fournies par l’article 276 d’admettre des preuves de
comportement sexuel autant que d’une appr6ciation de la notion de pertinence
qui est divorc6e du contexte propre aux infractions sexuelles.
Rappelons tout d’abord qu’une preuve sera g6n6ralement consid6r6e
comme pertinente au litige si elle est de nature A rendre la proposition avanc6e
par l’une des parties plus cr6dible aux yeux d’un juge des faits raisonnable
qu’elle ne le serait en l’absence de cette preuve4 . Comme le fait remarquer la
juge L’Heureux-Dub6 dans ses motifs de dissidence, < [q]uel que soit le test,
qu'il soit fond6 sur l'exp6rience, le bon sens ou la logique, c'est lM une d6cision
particuli~rement perm6able aux pr6jug6s >>4.
Le jugement majoritaire le reconnait d’ailleurs en affirmant qu’en common
law, on s’est livr6 i une utilisation ill6gitime et abusive de la preuve de com-
portement sexuel en se fondant sur l’id6e reque qu’une femme qui n’est pas
chaste est plus encline A avoir des relations sexuelles sans discernement et A
mentir46 . On soutient de plus qu’ en 1991 […] la preuve concernant le compor-
43La pertinence du pass6 sexuel des plaignantes dans les proc~s pour infractions sexuellcs a
donn6 lieu A un d6bat chez les auteurs. Voir surtout Dawson, supra, note 27 ; E.A. Sheehy, ‘< Cana-
dian Judges and the Law of Rape: Should the Charter Insulate Bias? > (1989) 21 R.D. Ottawa 741 ;
D.M. Paciocco, < The Charter and the Rape Shield Provisions of the Criminal Code: More About
Relevance and the Constitutional Exemptions Doctrine
(1989) 21 R.D. Ottawa 119; D.H.
Doherty, <('Sparing' the Complainant 'Spoils' the Trial
(1984) 40 C.R. (3d) 55.
44Voir Morris c. R., [1983] 2 R.C.S. 190, 7 C.C.C. (3d) 97.
45Seaboyer, supra, note 1 a la p. 679.
461bid.
la p. 604.
1992]
CASE COMMENTS
1123
tement sexuel et la reputation du plaignant ne peut en soi 6tre considfrde comme
une preuve logique de la cr6dibilit6 ou du consentement du plaignant >>4. Pour-
tant, les exemples avancfs par la majorit6 de la Cour oti la preuve des antfc6-
dents sexuels de la plaignante 6cartfe par
‘article 276 pourrait 6tre pertinente
pour fonder une ddfense de croyance honn~te quant au consentement ou atta-
quer la crddibilit6 de la plaignante, s’appuient ndcessairement sur ces inferences
illogiques.
II est intfressant de souligner au ddpart que, dans l’affaire qui nous occupe
comme dans la vaste majorit6 des autres causes oil la constitutionnalit6 de Far-
ticle 276 a
t6 contestde, la discussion porte sur des cas hypoth6tiques oil une
preuve pertinente risque d’6tre exclue, sans que la cause n’offre de base fac-
tuelle aux hypotheses avancfes. Nous ne contestons pas le fait que, en droit
constitutionnel, on reconnaisse volontiers A un accus6 un intfrt particulier pour
soulever l’invalidit6 constitutionnelle d’une disposition lice au litige qui l’op-
pose au minist~re public. I1 est tout de m~me singulier qu’en mati~re d’agres-
sion sexuelle, la contestation des r~gles de preuve repose syst6matiquement sur
des speculations relativement
des faits et des a priori non v~rifis 4s.
La doctrine et la jurisprudence dans le domaine sont riches d’exemples de suppo-
sees preuves pertinentes exclues par l’art. 276. Toutefois, dans la plupart des cas,
ces preuves << pertinentes >> se r6v~lent, apr~s examen des principes, non perti-
nentes ; toute apparence de pertinence depend en grande partie de l’acceptation de
strfotypes sur les femmes et le viol. […] Un grand nombre de ces scenarios sont
tout
fait irrfels et ne trouvent absolument aucun fondement dans la vie ou l’ex-
perience 49
49
-.
Dans une large mesure, nous sommes tentfe de rapprocher ces situations ima-
ginaires oi la preuve risque d’etre pertinente, aux situations imaginaires oi les
femmes auraient tendance h porter de fausses accusations.
Pour en revenir aux exemples avanc6s, on nous fournit, entre autres, celui
de la defense de croyance sincere au consentement, croyance qui, nous dit-on,
peut valablement se fonder sur le comportement sexuel antrieur de la plai-
gnante quand il est connu de l’accus6.
471bid. A la p. 630.
4SPour des exemples de causes ofi les tribunaux ont imagin6 des situations o4 la preuve risquait
d’6tre pertinente sans que la cause n’offre de base factuelle, voir surtout Wald, supra, note 23 ; R.
c. Oquataq (1985), 18 C.C.C. (3d) 440 [1985] N.W.T.R. 240, 13 C.R.R. 370 (N.W.T.S.C.) [ci-apr~s
Oquataq] ; R. c. Brun (1986), 28 C.C.C. (3d) 396 (Q.B.N.B.).
I1 n’est pas sans intfr~t de comparer cette attitude avec celle adoptfe par le plus haut tribunal
du pays dans le contexte d’une analyse fondfe sur l’art. 12 de la Charte. Dans l’affaire R. c. Goltz
[1991] 3 R.C.S. 485, 67 C.C.C. (3d) 481 [cit6 aux R.C.S.], le juge Gonthier, parlant au nom de
]a majorit6 de la Cour, 6crit:
Si les faits particuliers de l’esp~ce ne justifient pas une conclusion de disproportion
exagfrde, il peut y avoir un autre aspect a examiner, savoir, une contestation fondfe sur
la Charte ou une question constitutionnelle concemant la validit6 d’une disposition
16gislative, fondfe sur la disproportion exagfrfe dfmontrfe par des circonstances hypo-
thdtiques raisonnables, par opposition
des situations invraisemblables ou difficile-
ment imaginables (ibid. aux pp. 505-06).
49Seaboyer, supra, note 1 a la p. 683, Mine la juge L’Heureux-Dub6.
1124
REVUE DE DROIT DE McGILL
[Vol. 37
Dans l’arr~t R. c. Pappajohn, la Cour supreme du Canada reconnaissait en
effet qu’il est possible pour l’accus6 d’invoquer en d6fense une erreur de fait
sincere, m~me d6raisonnable, relativement au consentement de la victime en
mati~re de viol50. Cette possibilit6 d’invoquer une erreur d6raisonnable est
depuis longtemps critiqu6e par nombre d’auteures f6ministes en raison de plu-
sieurs facteurs qu’il n’est pas n6cessaire d’6num6rer ici51. Disons simplement
que, dans le but de freiner la permissivit6 avec laquelle cette d6fense d’erreur
pourrait 6tre reue, l’arrt Pappajohn exigeait que la preuve contienne des 616-
ments pouvant appuyer la d6fense d’erreur et lui donner des airs de vraisem-
blance avant que celle-ci ne soit soumise h l’appr6ciation du jury. Cette exi-
gence visait A 6viter que, dans toutes les affaires de viol, le juge ne soit tenu de
soumettre la d6fense d’erreur au jury sur la simple affirmation de l’accus6 qu’il
a cru au consentemen 2. C’est dans ce contexte que la majorit6 de la Cour
supreme avance maintenant qu’il serait in6quitable, et contraire
l’article 7 de
la Charte, d’interdire
l’accus6 de pr6senter une preuve relative au comporte-
ment sexuel de la plaignante pour appuyer sa d6fense.
Le raisonnement majoritaire de la Cour sur cette question est particuli~re-
ment ambigu. On reconnait d’embl6e qu’il est illogique et d6raisonnable d’in-
f6rer le consentement de la plaignante du fait qu’elle a eu des rapports sexuels
avec quelqu’un d’autre que l’accus6. Pourtant, on nous dit plus loin que les
droits constitutionnels de ce dernier sont atteints parce que l’article 276 ne lui
permet pas de pr6senter une preuve qui tire toute sa valeur de ces inf6rences
illogiques et d6raisonnables pour rendre plus cr6dible aux yeux du juge des faits
sa croyance d6raisonnable et illogique, mais n6anmoins sincere, dans le consen-
tement de la victime.
En d’autres termes, on nous explique que les principes de justice fonda-
mentale exigent que le juge des faits puisse tirer des inf6rences illogiques et
d6raisonnables pour conf6rer h une croyance illogique et d6raisonnable des airs
de vraisemblance. Dans ce contexte, la pertinence du pass6 ou de la r6putation
sexuelle de la plaignante, pour appuyer la d6fense d’erreur, l6gitime le raison-
nement voulant que si la plaignante a d6jh eu des relations sexuelles avec d’au-
tres personnes, il est normal pour l’accus6 d’avoir inf6r6 qu’elle consentirait A
en avoir avec lui.
La conclusion de la majorit6
l’effet qu’est inconstitutionnelle l’exclusion,
par l’article 276, de pareille preuve, s’appuie n6cessairement sur l’id6e regue
50[1980] 2 R.C.S. 120, 52 C.C.C. (2d) 481 [ci-apr~s Pappajohn cit6 aux R.C.S.].
51Voir surtout T. Pickard, < Culpable Mistakes and Rape: Relating Mens Rea to the Crime
(1980) 30 U.T.L.J. 75; < Culpable Mistakes and Rape: Harsh Words on Pappajohn (1980) 30
U.T.L.J. 415. Voir aussi Sheehy, supra, note 42 A la p. 760 et s. ; C.A. MacKinnon, < Feminism,
Marxism, Method, and the State: Toward Feminist Jurisprudence >> (1983) 8 Signs: J. of Women
in Culture and Society 635. Pour un survol de la litt6rature particuli6rement abondante sur cette
question, voir L. Vandervort, Mistake of Law and Sexual Assault: Consent and Mens Rea)
(1987-1988) 2 Rjfd 233 ai la p. 256 et s.
52Supra, note 50 A la p. 133, M. le juge McIntyre:
Pour exiger que soit soumis le moyen de d6fense subsidiaire de croyance erron6e au
consentement, il faut, A mon avis, d’autres preuves que la simple affirmation par l’ap-
pelant d’une croyance au consentement. Cette preuve doit ressortir d’autres sources que
l’appelant, ou s’y appuyer, pour lui donner une apparence de vraisemblance.
1992]
CHRONIQUES DE JURISPRUDENCE
1125
voulant que les femmes, dans les circonstances approprides, et plus particuli6-
rement les << femmes de moeurs faciles > , auront tendance t consentir sans dis-
cernement aux relations sexuelles.
La force de ces arguments est Ii6e A la notion que les femmes consentent t avoir
des rapports sexuels, selon des consid6rations accessoires comme l’endroit, la
race, l’Age ou la profession du pr6tendu agresseur ou d’autres 616ments comme la
nature de l’acte sexuel. Bien qu’il paraisse quelque peu bizarre de devoir 6noncer
explicitement cette roposition, le consentement se rattache a la personne et non
A une circonstance
Or, la possibilit6 de pr6senter une preuve permettant de conclure que la
des rapports sexuels avec l’accusd
plaignante avait la propension
est d6ja ouverte par l’article 276, qui n’interdit nullement la preuve de rapports
sexuels antfrieurs entre la plaignante et ce dernier.
consentir
Poursuivant l’6num6ration des cas ofi l’article 276 risque de forcer l’exclu-
sion ill6gitime d’une preuve pertinente, la majorit6 de la Cour explique qu’une
preuve concernant un mode de comportement habituel peut aussi 6tre fort per-
tinente. Le traditionnel exemple de la prostitu6e qui lance de fausses accusations
pour extorquer de l’argent ou obtenir paiement pour services rendus nous est
alors servi5 4.
II serait en effet permis de pr6senter la preuve d’un < mode de comporte-
ment >> sexuel ant6rieur de la plaignante en vue d’attaquer sa cr6dibilit6. Si l’on
concede que le mode de comportement sexuel de la plaignante ne permet pas
d’inf6rer validement qu’elle a pu consentir aux actes sexuels A l’origine de l’ac-
cusation, on voit mal comment cette m6me preuve peut servir h attaquer sa cr6-
dibilit6 lorsqu’elle affirme ne pas avoir consenti aux actes sexuels reproch6s
l’accus6. Dans ce contexte, la pertinence de la preuve du comportement sexuel
ant6rieur de la plaignante ne se comprend que si l’on partage le pr6jug6 voulant
que les femmes de << moeurs faciles >> sont moins dignes d’6tres crues ou sont
effectivement plus susceptibles d’avoir consenti.
On nous dit qu’il y aurait aussi exclusion d’une preuve pertinente et vio-
lation des principes de justice fondamentale dans le cas oa la preuve du com-
portement sexuel de la plaignante serait pr6sent6e afin d’attaquer sa cr6dibilit6
au motif qu’elle avait un parti pris ou des raisons de fabriquer une preuve. A
cet 6gard, la majorit6 de la Cour cite l’exemple fourni par une cause am6ricaine,
l’affaire State c. Jalo, otj le p~re d’une fillette, accus6 d’avoir eu avec elle des
l’effet qu’il avait d6couvert
rapports sexuels, a cherch6 i pr6senter une preuve
que sa fille entretenait une relation incestueuse avec son fr6re et qu’elle avait
donc des motifs de fabriquer de fausses accusations pour se venger5 . C’est aussi
dans ce contexte qu’on nous fournit le sempiternel exemple de la prostitu6e qui
se livre A l’extorsion. Dans les deux cas, nous n’arrivons pas t voir en quoi l’ar-
ticle 276 doit n6cessairement s’interpr6ter comme interdisant ce genre de preuve
dans les rares cas ofi elle pourrait exister. Pour conclure ainsi, il faut n6cessai-
rement restreindre les possibilit6s d6jh offertes par l’article 276 en qualifiant le
53Seaboyer, supra, note 1 A la p. 685, Mine la juge L’Heureux-Dub6.
54Ibid. aux pp. 615-16.
55557 P.2d 1359 (C.A. Or. 1976).
1126
McGILL LAW JOURNAL
[Vol. 37
d~pit, la mesquinerie ou la malhonn~tet6 de comportement sexuel, ce qui est
pour le moins surprenant. A moins, bien sfir, que l’on n’6pouse encore la crainte
s6culaire que les femmes ne mentent au sujet des agressions sexuelles et
<< qu'elles [n']allfguent souvent la perp6tration d'une agression sexuelle pour se
racheter aux yeux de ceux qui peuvent surveiller de pros leur comportement
sexuel >>56.
I1 semble donc malheureusement que la reconnaissance par la majorit6 de
la Cour du r6le important qu’ont jou6 les mythes et st6r6otypes en mati~re d’in-
fractions sexuelles au moment de d6cider si une preuve est pertinente, n’ait que
fort peu d’incidence r6elle au moment de << reformuler >> la notion de pertinence
et de substituer la d6finition de la Cour A celle avanc6e par le l~gislateur. II est
tentant de rapprocher l’attitude de la Cour de celle que traduisent les propos sui-
vants du juge Marshall dans l’affaire Oquataq au soutien de l’invalidit6 cons-
titutionnelle des articles 276 et 277 du Code:
A mon avis, ce qui offense le plus notre sens de la justice est qu’il est injuste, et
non concluant, d’dtablir un rapport entre le manque de chastet6 et la probabilit6
d’un consentement dans un cas donn6. Ilfaut comprendre toutefois que notre cri-
tre de la viriti judiciaire sefonde sur desprobabilitds, ce qui est h lafoisfaillible
et imparfait. Cela peut aussi faire montre, dans une affiaire donne, d’un prdudice
lid au rang; toutefois, nous l’utilisons quand mdme 7 .
Cette v6rit6 est fond6e sur des pr6jug6s sexistes et injustes envers les
femmes, leur niant dignit6 et autonomie, mais c’est cette v6rit6 que notre sys-
t~me de justice reconnait et choisit de perp6tuer. << Si la seule chose qui rend la
d6termination de la pertinence compr6hensible est le st6rotype sous-jacent, il
semblerait contradictoire alors de conclure que la 'v6rit6' a 06 d6couverte. >>
Enfin, l’id6e qu’il puisse 8tre permis d’admettre la preuve du comporte-
ment sexuel antgrieur de la victime, h supposer qu’elle pr6sente un quelconque
caract~re pertinent, passe sous silence l’effet ravageur de ce genre de preuve sur
le juge des faits. On pr6sume, en fait, qu’il existera des situations oii la perti-
nence de la preuve ne sera pas clairement surpass6e par son effet pr~judiciable
et, donc, oil la preuve devra 8tre admise. Or, il est d6montr6 que la preuve du
comportement sexuel ant6rieur de la plaignante a un effet d6naturant59 .
Cette preuve sert de catalyseur pour invoquer des streotypes au sujet des femmes
et du viol d’une fagon qui d6nature tout le d6roulement du procs et bouleverse
l’6quit6, dans le plein sens du terme6.
B. La notion de pertinence, la d~finition lgislative et celle de l’appareil
judiciaire
L’article 276 6tant d6clar6 contraire A la Charte, la juge McLachlin refuse
de reconnaitre que la disposition puisse 6tre sauvegard6e par l’application de la
juge L’Heureux-Dub6.
la p. 690, Mme la juge L’Heureux-Dub6.
56Seaboyer, supra, note 1
570quataq, supra, note 48 A la p. 450, traduit et cit6 dans Seaboyer, ibid. A ]a p. 680, Mine ]a
58Seaboyer, ibid. A Ta p. 681, Mme la juge L’Heureux-Dub6.
59Voir surtout les 6tudes citdes par Mme la juge L’Heureux-Dub6 dans ibid. aux pp. 661-64.
601bid. a Ia p. 701, Mme la juge L’Heureux-Dub6.
1992]
CASE COMMENTS
1127
doctrine de l’exemption constitutionnelle. Rappelons que dans l’affaire qui nous
occupe, la Cour d’appel de l’Ontario, apr~s avoir constat6 la violation des arti-
cles 7 et 11d) de la Charte, avait refus6 de d6clarer l’article 276 inoprrant au
motif qu’il appartenait au juge du procs de refuser de l’appliquer dans les cas
off en rrsulterait une violation de la Constitution61. Bien qu’admettant que, dans
certaines situations, la doctrine de l’exemption constitutionnelle puisse s’appli-
quer, la majorit6 de la Cour supreme conclut qu’en l’esp~ce pareille application
n’est pas approprire. Confier au juge du procs le soin d’apprrcier si, malgr6
les termes de l’article 276, une preuve de comportement sexuel devrait etre
admise, reviendrait, nous dit la juge McLachlin, A incorporer dans l’article 276
un 616ment de discretion judiciaire que le l6gislateur a sp6cifiquement choisi
d’exclure62 . De plus, l’application de la doctrine de l’exemption constitution-
nelle m~nerait sensiblement an m6me rrsultat qu’une declaration d’inoprrance
l’accus6 le fardeau supplrmentaire d’6tablir dans
en imposant toutefois
chaque cas que la decision d’exclure une preuve est inconstitutionnelle63 . Dans
ces conditions, la majorit6 de la Cour juge prrfrable de declarer l’article 276
inoprrant.
Cette d6cision n’entrane toutefois pas, nous dit lajuge McLachlin, un rrta-
blissement des anciennes r~gles de common law, r~gles qui permettaient, il faut
le reconnaitre, la r6ception lib6rale et souvent inappropriee de preuves sur le
comportement sexuel de la plaignante 4. Les r~gles de common law doivent 6vo-
luer et s’adapter h la situation actuelle. Une 6tude des principes fondamentaux
rrgissant le proc~s et l’utilisation de la preuve pertinente amnent la juge Mc-
Lachlin proposer, en fin de jugement, des lignes directrices susceptibles de
protrger les plaignantes contre les utilisations illrgitimes de la preuve de leur
comportement sexuel et d’6viter que les abus passes ne se perprtuent’.
61(1987), 61 O.R. (2d) 290 (C.A. Ont.).
62Seaboyer, supra, note 1
63Ibid. aux pp. 628-29.
64Ibid.
65Voici comment Mine la juge McLachlin resume elle-m~me les principes applicables:
la p. 630.
la p. 628.
1. Dans un proc~s relatif une infraction d’ordre sexuel, la preuve que, A d’autres
occasions, le plaignant a consenti
des rapports sexuels (y compris des rapports
sexuels antrrieurs avec l’accusd) n’est pas admissible si elle vise uniquement A appuyer
l’inf~rence que le plaignant est de ce fait:
a) plus susceptible d’avoir consenti aux actes sexuels a l’origine du procs;
b) moins digne de foi comme t~moin.
2. La preuve d’un consentement du plaignant a des rapports sexuels peut 6tre admis-
sible a des fins autres qu’une infrence relative au consentement ou a Ta cr~dibilitd du
plaignant si elle poss~de une valeur probante h l’6gard d’un point en litige et si le dan-
ger d’effet prrjudiciable de cette preuve ne l’emporte pas sensiblement sur sa valeur
probante.
A titre d’illustration seulement, voici quelques exemples de preuve admissible:
(A) La preuve d’actes sexuels prrcis tendant a 6tablir qu’une personne autre que
l’accus6 a caus6 les consequences physiques du viol alIIgu6 par la poursuite;
(B) La preuve d’actes sexuels tendant 6tablir l’existence d’un prrjug6 ou d’un
motif de fabrication d’une preuve par le plaignant;
(C) La preuve d’un comportement sexuel ant~rieur, connu de l’accus6 au
moment de l’acte reproch6, tendant h 6tablir que l’accus6 croyait que le plaignant
consentait A l’acte reproch6 (sans fixer de r~gles absolues, on peut s’attendre
ce
1128
REVUE DE DROIT DE McGILL
[Vol. 37
Pour se satisfaire du jugement, il faut donc admettre avec la Cour que, mal-
gr6 leur performance ant6rieure ddsolante dans le domaine des infractions
sexuelles, les principes de justice fondamentale exigent de pr6f6rer l’image que
se font les tribunaux de la pertinence
celle du 16gislateur.
Le principal reproche adress6 au l6gislateur tient en effet
ce que la Cour
diffire d’opinion avec lui sur la d6finition de ce qui est pertinent. La Cour con-
sid~re que la tentative du lggislateur d’61iminer de l’appr6ciation du juge des
faits des 616ments sans pertinence n’est pas parfaite puisqu’on peut imaginer des
cas oii une preuve pertinente pourrait 6tre exclue. Cette imperfection entraine
alors une d6claration d’inconstitutionnalit666. Les r~gles de common law ne sont
pas parfaites non plus, on le reconnait. Mais il semble que 1’6quit6 et les r~gles
de justice fondamentale commandent de pr6f6rer l’imperfection des tribunaux t
celle du 16gislateur.
Les r~gles de common law en mati~re de preuve peuvent ne pas 6tre parfaites.
L’application des r~gles de preuve sur le comportement sexuel que l’art. 276 a
abolies, avait souvent des consdquences in6quitables. Par ailleurs, l’attitude plus
souple que les tribunaux ont r6cemment adopt6e dans des d6cisions en mati~re de
preuve indique qu’ils sont particuli~rement sensibles A la n~cessit6 de recevoir une
preuve d’une valeur probante r6elle en l’absence d’autres considerations domi-
nantes. Leprobldme de ‘art. 276 est qu’ilpeut entralner l’exchsion d’unepreuve
pertinente en l’absence d’autres considgrations susceptibles de l’emporter sur sa
valeurprobante. […] lfaut espdrer que les juges, par exercice responsable et sen-
sible de leur pouvoir discr6tionnaire, r6duiront ou dlimineront les preoccupations
qui ont donn6 naissance des dispositions comme l’art. 276, tout en pr~servant le
droit de I’accus6
un proc~s 6quitable [nos italiques] 67.
qu’il y ait une certaine proximit6 dans le temps entre ]a conduite dont on all~gue
qu’elle a donn6 lieu a une croyance sincere et la conduite reproche) ;
(D) La preuve d’un comportement sexuel ant6rieur qui satisfait aux normes
d’admissibilit6 de ]a preuve d’actes similaires, sous reserve qu’une telle preuve
ne peut 8tre utilis6e ldgitimement a la simple fin de d6montrer que le plaignant
avait donn6 son consentement ou n’est pas un t6moin digne de foi;
(E) La preuve tendant A repousser une preuve pr6alablement pr6sent~e par la
poursuite portant sur le comportement sexuel du plaignant.
3. Avant d’admettre une preuve de consentement de ]a victime A des rapports sexuels,
il faut 6tablir par la tenue d’un voir-dire (qui peut avoir lieu A huis clos) sur affidavits
ou t6moignages de l’accus6 ou de tiers, que l’utilisation projet6e de ]a preuve d’un autre
comportement sexuel est une utilisation valide.
4. Lorsque la preuve que le plaignant a eu des rapports sexuels h d’autres occasions
est admise au cours d’un procs devant jury, le juge doit mettre le jury en garde contre
la deduction de la preuve des rapports eux-m~mes que le plaignant a pu consentir h
l’acte al6gu6 ou qu’il est moins digne de foi.
Plusieurs ont not6 que ces directives laissent en suspens la question de savoir si la plaignante
sera contraignable lors du voir-dire. Dans la foul6e de l’arrt Forsythe, supra, note 25, ]a question
n’est pas sans int6r&t. L’art. 2 du projet de loi C-49, supra, note 2, rdsout la question en pr6cisant
express6ment que la plaignante n’est pas contraignable (projet d’art. 276.2(2)).
66Cette conclusion nous apparat difficile A harmoniser avec les propos suivants du juge Dickson,
rendant jugement pour la majorit6 dans le Renvoi relatif a l’art. 193 et a I’aL 195.1(1)c) du Code
criminel (Man.), [1990] 1 R.C.S. 1123 A la p. 1138, 56 C.C.C. (3d) 65:
Le r6gime 16gislatif finalement mis en oeuvre et maintenant contest6 n’a pas a Otre le
r6gime parfait >> que notre Cour ou que toute autre cour pourrait imaginer. 11 suffit
qu’il soit addquatement et soigneusement adapt6 au contexte du droit qui est viol6.
67Seaboyer, supra, note 1 aux pp. 623, 634, Mme la juge McLachlin.
1992]
CHRONIQUES DE JURISPRUDENCE
1129
Cette proposition de la majorit6 de la Cour et sa confiance dans le fait que
enrayer les situations abusives s’appuient en
ces lignes directrices suffiront
fait sur deux pr6misses. Tout d’abord, elles prennent pour acquis que l’avertis-
sement servi par le plus haut tribunal du pays aux tribunaux inf6rieurs sera suf-
fisant pour que prennent fin les pratiques discriminatoires auxquelles ces tribu-
naux se sont adonn6s. I1 faut de plus partager la confiance de la Cour h l’effet
que les juges appliqueront dor6navant leur jugement d’une mani~re libre de
toute ide reque dans un domaine oi ils ont notoirement 6t6 perm6ables aux pre-
jug6s’. Outre cet enthousiasme que nous ne pouvons partager, nous ne voyons
dis-
pas comment la Constitution exige que soit prise la chance de continuer
criminer en substituant au jugement du 16gislateur celui des tribunaux relative-
ment
l la pertinence de la preuve du pass6 sexuel des plaignantes.
A notre avis, la question fondamentale se pose de savoir si, v6ritablement,
les droits constitutionnels doivent s’entendre de mani~re h enchfisser les r~gles
de preuve 61abor6es par les tribunaux. La Charte pose les r~gles fondamentales
du jeu en mati~re de traitement des accus6s. Nous sommes parfaitement d’ac-
cord avec la majorit6 de la Cour quand elle affirme qu’aucune r~gle ne devrait
permettre qu’un innocent soit condamn669. Cependant, nous ne voyons pas com-
ment la Charte et les r~gles fondamentales qu’elle enchfisse garantissent aux
celui du
accus6s le droit d’inviter les tribunaux
16gislateur au moment de d6terminer quelles sont, dans notre soci6t6, les
la d6termination de l’innocence et les comportements con-
preuves pertinentes
traires h la norme de conduite7 . Comme le fait remarquer Elizabeth Sheehy,
substituer leur jugement
First, the practices of the common law rules of evidence could never have been
framed as rights >>. In fact, the development of the law regarding the admissibi-
lity of a victim’s past sexual experience appears to be less related to rights > and
than to the assertion of judicial authority over a practice of admitting
(< fairness
evidence which Parliament has tried to curtail by legislative structuring of the
exercise of discretion when it first enacted section 142 of the Criminal Code in
19767'.
6SManifestement, la juge L'Heureux-Dub6 ne partage pas non plus cet enthousiasme quand elle
affirme:
Commeje l'ai d6jA dit, la nature du problme avec lequel se trouvait aux prises le 16gis-
lateur f~d6ral ne permettait pas une solution pr6voyant l'exercice d'un pouvoir discr6-
tionnaire par les juges du procs. I'histoire d6montre que c'est l'exercice du pouvoir
discr6tionnaire par les juges du proc~s qui a satur6 de st6r6otypes les r~gles de droit
dans ce domaine. Mon analyse ant6rieure illustre que nous ne sommes pas tout a coup
une soci6t6 d6barrass6e de ces croyances et, par cons6quent, l'exercice d'un pouvoir
discr6tionnaire dans ce contexte est tout A fait a l'opposd de la r6alisation de l'objectif
urgent et r6el du gouvemement (ibid. aux pp. 708-09).
691bid. a Ia p. 606.
70Nous admettons que, dans certains cas, les tribunaux doivent veiller a ce que la d6finition
I6gislative de la norme de conduite par le biais, entre autres, de la cr6ation d'infractions n'entre
pas en conflit avec une des valeurs fondamentales prot6g6e par la Constitution telle, par exemple,
la libert6 d'expression. Cependant, nous ne pouvons voir comment la pr6somption d'innocence
doit n6cessairement 6tre interpr6t~e comme ench~ssant h elle seule une d6finition judiciaire de la
notion de pertinence plut~t qu'une d6finition 16gislative. Autrement, il serait par exemple possible
de pr6tendre que l'abolition l6gislative de la r~gle jurisprudentielle de la plainte spontande viole
la pr6somption d'innocence.
71Sheehy, supra, note 43 A la p. 772.
1130
McGILL LAW JOURNAL
[Vol. 37
La pr6somption d'innocence, sur laquelle doivent jalousement veiller les
tribunaux, ne peut 6tre entendue comme mettant les accus6s A l'abri d'une red6-
finition l6gislative de ce concept flou et particuli6rement perm6able aux pr~ju-
g6s qu'est la notion de pertinence. La caract6risation de pertinence de la preuve
destin6e A d6terminer la culpabilit6 ou l'innocence d'un accus6 est, dans une
large mesure, intimement li6e A la conception que nous nous faisons de l'inno-
cence elle-m~me. Ncessairement, les moyens de d6fense reconnus et les
preuves admises A leur soutien ont un impact direct sur la d6finition meme de
ce qui constitue ou non une agression sexuelle. II nous apparait alors primordial
d'6viter le raisonnement voulant que la pr6somption d'innocence que garantit la
Charte enchasse une conception figfe de la pertinence et, ultimement, de Fin-
nocence, la notion d'innocence 6tant ici entendue en termes de comportement
compatible avec la norme de conduite acceptable dans notre soci6t6".
La decision de la majorit6 de la Cour nous invite enfin A prendre pour
acquis que, m~me A supposer que la d6f'mition judiciaire de la pertinence soit
pr6f6rable
celle avanc6e par le 16gislateur, aucune autre consid6ration d'im-
portance ne pourrait 8tre invoqu6e h l'encontre de l'admission de la preuve.
C. Les principes dejustice fondamentale, les droits des accuses et les droits
des plaignantes
Comme nous l'avons d6jA soulign6, le jugement de la majorit6 pose d~s le
d6part que les principes de justice fondamentale, enchfss6s
l'article 7 de la
Charte, ne visent pas uniquement A prot6ger les droits de l'accus6, mais pro-
t~gent 6galement des preoccupations sociales plus globales. Pourtant, dans le
m~me souffle, la majorit6 nous indique que quels que puissent 8tre ces int6r~ts
plus globaux, d~s que les droits de l'accus6 A une d6fense pleine et enti~re sont
enfreints, il y a violation de l'article 7.
II reste un point A mentionner quant
la port~e de l'art. 7 de la Charte. On pretend
que l'art. 7 vise prot6ger le droit des plaignants, en tant que cat6gorie de per-
sonnes, A la s~curit6 de leur personne et au m8me b6ndfice de la loi aux termes des
art. 15 et 28 de la Charte [...]. Cette perspective est compatible avee le point de
vue selon lequel l'art. 7 vise A prot6ger toute une gamme d'int6r~ts sociaux et indi-
viduels. Cependant, toutes les parties en l'esp~ce conc~dent qu'une mesure privant
l'accus6 du droit de pr6senter une d6fense pleine et 6quitable viole de toute fagon
l'art. 773.
De m~me, dans son analyse effectu6e dans le cadre de l'article 1 de la
Charte, la juge McLachlin conclut que les raisons qui font que l'article 276 du
Code criminel viole les articles 7 et 11d) de la Charte ne permettent pas de pr6-
tendre que cette mesure se justifie dans le cadre d'une soci6t6 libre et d6mocra-
tique puisqu'il n'est pas permis d'accorder le m~me poids aux droits des plai-
gnantes et ii ceux des accus6s 7 .
72Autrement, il serait possible de conclure qu'une nouvelle infraction est contraire A ]a prdsomp-
tion d'innocence dans ]a mesure o3i le comportement dor~navant incrimin6 6tait ant6rieurement
<< innocent >>.
73Seaboyer, supra, note 1 aux pp. 603-04, Mine ]a juge McLachlin.
74Ibid.
la p. 627. Soulignons au passage notre inquietude face i l’identit6 parfaite du raison-
nement de la Cour en vertu de l’analyse de l’art. premier et celle de l’art. 7.
1992]
CASE COMMENTS
1131
Pareille affirmation nous apparait d6concertante. Dans la mesure, il est
vrai, oii l’int6rt des accus6s un pro66s 6quitable se traduit en termes de droit
Sl’introduction de preuves que l’on consid~re pertinentes, oi l’on conclut que
l’introduction de ces preuves doit n6cessairement mener h la d6couverte de la
v6rit675 et oa la d~couverte de cette v6rit6 est identifi~e comme la principale
6ventuellement opposer aux droits des
pr6occupation sociale plus globale
accus6s, cette hi6rarchie a peu de cons6quences. Dans la mesure oii l’on partage
l’id6e que la notion de pertinence mise de l’avant dans le jugement de la majo-
rit6 est universelle, il y a effectivement convergence entre les int6r8ts des accu-
s6s et celui des plaignantes.
I1 semble toutefois que le jugement majoritaire aille plus loin en opposant
supposer que l’article
les droits des accus6s et ceux des plaignantes. En effet,
276 ait eu pour objet de prot6ger les victimes contre la discrimination ou d’as-
surer la s6curit6 personnelle des femmes et leur droit h la m~me protection et
au m~me b6n6fice de la loi, il semblerait que la majorit6 de la Cour affirme
qu’en d6finitive, la Constitution commande d’accorder, dans l’analyse fond6e
tant sur l’article 7 que sur l’article 1, une plus grande importance aux droits des
accus6s.
En l’espce, comme je l’ai d6ji dit, l’objectif de la loi est d’empacher que les
tort que
preuves d’autres actes de comportement sexuel permettent de d6duire
l’acte sexuel en question ou
la plaignante est plus susceptible d’avoir consenti
moins susceptible de dire la v6it6. Subsidiairement, les dispositions attaqu6es
i favoriser l’6quit6 des proc~s, A inciter au d6p6t de plaintes d’infractions
visent
r6duire le plus possible l’atteinte h la vie privde de la plai-
d’ordre sexuel et enfin
gnante. On am6liore ainsi la s6curit6 personnelle des femmes et leur droit A la
mame protection et au meme b6n6fice de la loi. Par contre, ces dispositions ont
pour effet d’exclure des preuves pertinentes pour la difense, dont la valeur l’em-
porte sur leur effet prdjudiciable possible. Comme je l’ai indiqud dans l’analyse
de l’art. 7, toutes les parties reconnaissent qu’une disposition qui dcarte une
preuve de la ddfense, dont la valeur probante n’est pas clairement surpassee par
l’effet prdjudiciable qu’elle peut avoir sur le procs, ne permet pas d’accorder le
nignie poids aux droits des plaignants et d ceux des accusds [nos italiques]76.
Le message de la majorit6 semble clair. Quand on parle de justice fonda-
choisir, ce sont les droits des accus6s qui doivent pr6va-
mentale et d’6quit6,
loir. L’6quit6 du processus p6nal doit prioritairement 6tre jaug6e h l’aune des
effets du droit de la preuve sur les droits des accus6s, sans 6gard aux effets
d6vastateurs qu’il peut avoir sur les droits des pr6tendues victimes. Les prin-
cipes de justice fondamentale semblent donc commander que les objectifs pour-
suivis par le 16gislateur soient mesur6s aux effets produits sur les droits des
accus6s, tandis que les effets de la r~gle sur les droits des plaignantes et du
public en g6n6ral doivent 8tre ignor6s. Dans le contexte de l’analyse constitu-
75Par ailleurs, cette idde que l’admission de la preuve pertinente doit mener a la v6rit6 passe sous
silence l’effet ravageur provoqu6 par l’introduction de preuves relatives au pass6 sexuel de la plai-
gnante chez le juge des faits. Voir h cet dgard, les 6tudes cit6es par Mine la juge L’Heureux-Dub6
dans ibid. aux pp. 659-65 et, plus particuli~rement, K. Catton, <" Evidence Regarding the Prior
Its Effect on the Perceived Guilt of the Accused >
Sexual History of an Alleged Rape Victim –
(1975) 33 U.T. Fac. L. Rev. 165.
76Seaboyer, supra, note 1 h Ia p. 627.
1132
REVUE DE DROIT DE McGILL
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tionnelle men6e tant en vertu de l’article 7 de la Charte que de l’article premier,
l’6vacuation totale des effets des r~gles de preuve sur les droits des plaignantes
consacre une vision r6ductrice de la notion d’6quit6.
Sauf si l’on admet la pr~tention paradoxale qu’un accus6 a droit A un verdict par-
tial ou que les principes de justice fondamentale constitutionnalisent l’application
discriminatoire de la loi, les dispositions ici en cause sont incontestables sur le
plan constitutionnel. A mon avis, interpreter les garanties de ]a Charte d’une fagon
qui emp~che systdmatiquement de considdrer le pr6judice entrain6 par la preuve
que l’accus6 tente de pr6senter peut, paradoxalement, saper et banaliser les notions
d’quit677.
Cette conclusion A l’effet que le droit des accuses A une d6fense pleine et
enti~re et A un proc~s 6quitable doit n6cessairement l’emporter sur le droit
des victimes h leur dignit6, A leur intrgrit6 physique et
un traitement judi-
ciaire libre de toute discrimination, ne peut tenir. En plus de consacrer une
vision rrductrice de ce qu’il faut entendre par justice et 6quit6, elle minimise
l’int6rt protrg6 par le 16gislateur et laisse sans effet les articles 15 et 28 de la
Charte.
L’agression sexuelle diff~re des autres crimes. I1 s’agit d’un ph6nom~ne
rrpandu, mettant en p6ril la s6curit6 et parfois m6me la vie d’un nombre impres-
sionnant de femmes au Canada. II est par ailleurs admis que notre syst~me de
justice a failli A la tache de protrger les femmes d’une mani~re compatible avec
leur dignit6 et leur autonomie. En vertu de l’article 7 de la Charte, les accus6s
ont droit un proc~s 6quitable. En vertu de ce m~me article, les femmes ont
droit h ce que leur vie ou la srcurit6 de leur personne ne soient pas mises en p6ril
sans que les principes de justice fondamentale ne soient respectrs. Or, ces prin-
cipes ne peuvent 6tre entendus comme ench~ssant une notion de pertinence
permeable aux mythes et st~rotypes qui font que depuis si longtemps la loi
op~re de mani~re discriminatoire et faillit h la tache d’assurer aux victimes une
protection ad6quate. Comme le fait remarquer Elizabeth Sheehy,
[t]he accused’s “fairness” argument not only presumes that the evidence is objec-
tively “relevant”, but also that it can be used appropriately to ascertain the truth
of what happened between the accused and the victim. […] Predictably, victim vili-
fication as a defence has had considerable success in cases where the victim his-
tory evidence can be used to invoke negative cultural stereotypes. […] [There is
a] need for a realistic and intelligent effort to understand “fairness” as related to
the concrete realities of the criminal process and the lives of the women and men
implicated, rather than theoretical deprivations of Charter rights7 .
Pendant longtemps, une vision 6triqure des rapports entre les hommes et
les femmes a encourag6 les pratiques discriminatoires. La Charte ne peut 8tre
interpr6tfe comme garantissant le droit au statu quo. L’int6gration d’une vision
nouvelle et plus soucieuse de la dignit6 et de l’autonomie d’une des parties au
proc~s dans la d6termination de ce qui est ou n’est pas pertinent ne peut que ser-
vir l’idral de justice et d’6quit6 enchass6 dans la Charte. L’quit6 et la justice
771bid. aux pp. 701-02, Mine la juge L’Heureux-Dub.
78Sheehy, supra, note 43 aux pp. 774-75.
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CHRONIQUES DE JURISPRUDENCE
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dont il est question dans la Charte ne peuvent s’interpr~ter du seul point de vue
de l’accus’ 79 .
L’article 15 de la Charte pr6voit que tous ont droit
la meme protection
et au meme bMn6fice de la loi, ind6pendamment de toute discrimination fond6e,
entre autres, sur le sexe. L’article 28 6nonce quant h lui qu’ind6pendamment des
autres dispositions de la Charte, les droits et libert6s qui y sont mentionn6s sont
garantis 6galement aux personnes des deux sexes, et devrait empecher que les
principes de justice fondamentale ne soient congus de mani~re
favoriser
ndcessairement les droits des accus6s au d6triment de ceux des victimes.
Comme le faisait remarquer le juge Dickson dans l’arret Keegstra,
Compte tenu de l’engagement envers 1’6galit6 manifest6 dans la Charte et refldt6
l ‘article premier, l’objet vis6 par la disposition 16gislative contest~e prend une
importance accrue dans la mesure oii elle est destin6e A assurer l’dgalit6 de tous
dans la soci~t6 canadiennes .
La conclusion de la majorit6 de la Cour supreme A l’effet que les droits des
accus6s doivent ultimement primer ceux des victimes cadre mal avec cet objec-
tif d’atteindre l’6galit6.
Conclusion
Manifestement, le droit n’est pas neutre. Plus particuli~rement, nous pre-
nons graduellement conscience du fait que certaines notions, longtemps pr6sen-
t6es comme absolument immunes de tout pr6jug6, s’6laborent et 6voluent dans
un contexte id6ologique, culturel, social et sexuel. La notion de pertinence en
est un exemple 6loquent. La conclusion
l’effet qu’une preuve est ou n’est pas
pertinente pour d6couvrir la v6rit6 traduit n6cessairement certaines conceptions,
certaines ides, certaines valeurs, une vision du monde”. Or, dans le domaine
79C’est la position adopt~e par la Cour d’appel de la Colombie-Britannique dans l’affaire R. c.
LeGallant (1986), 54 C.R. (3d) 46
la p. 58, 29 C.C.C. (3d) 291:
In considering the fairness requirements of s. 7 and s. 11(d), a balancing of interests
is still required. In R. v. Corbett (1984), 43 C.R. (3d) 193, 17 C.C.C. (3d) 129, 13
C.R.R. 250 (B.C.C.A.), Craig J. indicated that fairness could not be examined solely
from the point of view of the accused.
Les propos du juge Cory dans l’affaire R. c. Scott, [1990] 3 R.C.S. 979 aux pp. 993-94, 2 C.R.
(4th) 153 laissent par ailleurs voir que le droit de l’accus6 A une defense pleine et enti~re ne peut
se concevoir comme 6tant absolu. Voir, enfin, les propos du juge La Forest dans les arr~ts R. c.
Lyons, [1987] 2 R.C.S. 309 aux pp. 327-29, 61 C.R. (3d) 1 ; R. c. Beare, [1988] 2 R.C.S. 387 aux
pp. 403-07, 45 C.C.C. (3d) 57 ; Thompson Newspapers Ltd c. Canada (Directeur des enqu~tes et
recherches, Commission sur les pratiques restrictives du commerce), [1990] 1 R.C.S. 425 A la p.
539, 76 C.R. (3d) 129.
8 R. c. Keegstra, [1990] 3 R.C.S. 697 A la p. 756, 1 C.R. (4th) 129. Voir aussi les propos de la
juge Wilson dans l’arrt Singh c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration, [1985] 1 R.C.S. 177
la p. 218, 17 D.L.R. (4th) 422.
81 Uinterprdtation est l’essence m~me de la pratique judiciaire. On a pourtant tendance
A oublier qu’elle est rarement neutre ou objective. Elle est politiquement contingente
et id~ologiquement surd6terminde par l’appartenance sexuelle, 6conomique et ethnique
des intervenants. […] Un 6tat de fait est juridiquement qualifi apr~s avoir W interpr6t6
et reconstruit en fonction d’un point de vue ayant prfalablement attribu6 une signifi-
cation au contexte (Andr6e C6t6, La rage au coeur : Rapport de recherche sur le trai-
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McGILL LAW JOURNAL
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particuli~rement sensible des infractions sexuelles, existent manifestement plus
d’une vision du monde. Ii est regrettable que la Charte canadienne des droits
et liberts serve dor6navant d’instrument pour en l6gitimer une au d6triment des
autres.
Dans son allocution prrsent6e le 17 avril 1991 devant la Elizabeth Fry
Society, la juge McLachlin reconnaissait sans ambages que le droit criminel
canadien, par le pass6 et encore aujourd’hui, a trait6 les femmes d’une mani~re
inequitable.
“How has the criminal law treated women?” The answer cannot, in my view, be
avoided: in the past, and to some extent the present, our criminal law has failed
to accord equality to women. It has often placed the burden of social problems on
the backs of women through the so-called “feminine” crimes related to reproduc-
tion and sexuality. It has, at least until recently, failed to recognize the situation in
which many women, such as battered women, find themselves, and the way the
situation impacts on the traditional criminal law defences. And it has, through the
misapplication of invalid stereotypes, often treated female offenders as less than
fully responsible and female victims with cruel insensitivity8 .
Ii serait dommage qu’au moment m~me oa nous sommes enfin pr~ts
reconnaitre ces iniquit~s, ce soit maintenant la Constitution qui l6gitime le fait
de r6gler nos probl6mes sociaux, notamment celui des infractions sexuelles,
sur le dos des femmes > .
tementjudiciaire de l’homicide conjugal au Quibec, f~vrier 1991 [non publi6] aux pp.
85-86 (notes omises)).
Voir aussi R.J. Coombe, << 'Same As It Ever Was': Rethinking the Politics of Legal Interpretation >
(1989) 34 R.D. McGill 603.
82B.M. McLachlin, < Crime and Women - Feminine Equality and the Criminal Law >, Allo-
cution
]a Elizabeth Fry Society, Calgary, 17 avril 1991 A la p. 39.