Article Volume 42:4

Réflexions sur la théorie de l’imprévision en droit québécois

Table of Contents

R6flexions sur la thdorie de I’impr6vision

en droit qudb6cois

Julie B6dard”

La thorie de l’impr6vision n’est pas accept6e en
droit qu6dbcois. Cette thorie veut r~pondre au pro-
blame que pose au d6biteur d’une obligation, ]a surve-
nance impr6visible d’6v6nements qui altarent consid6-
rablement l’6quilibre des prestations tel qu’il a 6 des-
sin6 par les parties au contrat et ce, en rabsence de sti-
pulation contractuelle pr~vue afin de r~soudre ce genre
de difficult6. On se rappellera les demandes pressantes
de M. Brian Tobin, premier ministre de Terre-Neuve,
concemant
ren6gociation du contrat d’achat
d’6lectricit6 de Churchill Falls (Labrador) Corp.

la

temps, de d6finir

L’auteure propose une rdflexion de politique ju-
ridique sur l’interaction des enjeux de l’impr6vision et
des principes fondamentaux du droit civil. Elle tente,
dans un premier
le concept
d’impr~vision et son cheminement h travers l’histoire.
Elle distingue l’impr6vision de la 16sion, de ‘erreur et
de Ia force majeure. Dans un deuxi me temps, elle
analyse les principes philosophiques a la base de la r6-
forme du Code civil ainsi que les principes rejetant on
justifiant ‘acceptation de la th6orie de l’imprdvision en
droit civil.

Les propos de l’auteure sont animds de deux sen-
timents : d’une part, le ddsir de mettre en 6vidence la
confrontation entre
‘application absolutiste de certains
dogmes et la r6alit6 des relations contractuelles et
d’autre part, le regret de constater que les parlementai-
res, lors de la rdforme du Code civil, n’ont pas eu, A
tout le moins, l’occasion de rdfldchir sur les possibilit6s
offertes par la th6orie de l’impr6vision.

The theory of hardship has not been adopted in
Quebec law. This theory comes to the aid of a debtor of
an obligation when, in the absence of a prescient con-
tractual provision, unforeseeable events arise that sig-
nificantly alter the balance of contractual benefits as
foreseen by the parties. One is reminded of the de-
mands of Mr. Brian Tobin, premier of Newfoundland,
relating to the renegotiation of the contract governing
from Churchill Falls
the purchase of electricity
(Labrador) Corp.

The author analyzes, in terms of legal policy, the
interaction between the theory of hardship and the fun-
damental principles of civil law. First, she attempts to
define the concept of hardship and trace its develop-
ment through history; she distinguishes hardship from
lesion, error and force majeure. Second, she analyzes
the philosophical principles underpinning the reform of
the Civil Code, as well as the various bases for reject-
ing or justifying accommodation of the theory of hard-
ship within civil law.

Two feelings permeate the author’s reflections:
the desire to demonstrate the difficult fit of a strict ap-
plication of certain dogmas with the reality of contrac-
tual relations, and the regret in realizing that parliamen-
tarians in Quebec City, at the time of the reform of the
Civil Code, did not even get the chance to consider the
potential of the theory of hardship.

. Stagiaire chez Lavery, de Billy, L.L.B., B.C.L. (McGill). Nous tenons A exprimer notre gratitude
au professeur P.-A. Crdpeau, qui nous a fait l’honneur de nous faire part de judicieuses observations.
Nous remercions 6galement l’Universit6 McGill et la Fondation Wainright pour le prix qui nous a 6t6
attribu6 pour une version antdrieure de ce texte, nous permettant de croire en la r6alisation de cette
premiere publication.

Revue de droit de McGill
McGill Law Journal 1997
Mode de rdf6rence: (1997) 42 R.D. McGill 761
To be cited as: (1997) 42 McGill L.J. 761

762

MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE MCGILL

[Vol. 42

Introduction

I. Probl6matique: d6finition, histoire et distinctions conceptuelles

A. D~finition
B. Cheminement historique du concept
C. Distinctions conceptuelles
1. L6sion et impr6vision

Intensit6 probl6matique de la distinction

a.
b. La r6forme du Code civil du Bas-Canada et le Code civil du

Qu6bec

2.
3.

lmpr6vision et erreur
lmpr6vision et force majeure

I1. Politique juridique: la morale, l’6conomie et le droit

A. De la philosophie g6n6rale du nouveau Code civil du Qu6bec

1. R6sistance au changement malgr6 sa n6cessit6
2. Les politiques juridiques du Code civil du Qudbec

B. Des inqui6tudes des justiciables

1. Des dogmes de I’autonomie de la volont6 et de la libert6 contractuelle

a. D6finition
b. Critique
c. R6conciliation de I’autonomie de la volont6 avec I’imprdvision

2. De la s6curit6 des conventions
a. Description et importance
b. Confrontation avec la r6alit6

3. De la judiciarisation des contrats : des choix l6gislatifs certains

malgr6 des dangers pr6sum6s
a. Dangers
b. Un choixldgislatif certain favoisant la judiciarisation des contrats
4. De [a reconnaissance ponctuelle de l’impr6vision par les l6gislateurs

qu6b6cois et frangais

Conclusion

1997]

J. B-DARD – THEORIE DE L’IMPREVISION EN DROIT QUEBECOIS

<.
Honorg de Balzac, La peau de chagrin

Introduction

La thdorie de l’imprdvision est mdconnue au Qudbec. Le gouvernement qudb6-
cois a malheureusement contribu6
accentuer l’ignorance des juristes et des justicia-
bles en ne leur offrant pas la chance de rdfl6chir sur cette thdorie et d’avancer leur
opinion en commission parlementaire lors de la r6forme du Code civil. Nous propo-
sons ici une r6flexion de politique juridique sur l’interaction des enjeux de
l’impr6vision et des principes fondamentaux de notre droit civil:

sont

intimement

ins6parables car ils sont

[ulne rfgle de droit comporte le plus souvent deux 16ments : l’un politique,
l’autre technique. […] Ces deux 616ments – politique juridique et technique ju-
ridique –
imbriqu6s dans
l’61aboration d’une rfgle juridique. Ils m&itent tous deux un examen appro-
fondi si l’on veut, en bon disciple de Domat, de Montesquieu ou de Portalis, se
pn6trer de l’esprit des lois et comprendre v~ritablement un syst~me juridique,
en d~celer les principes, en retracer les origines, en appr6cier l’environnement
culturel et sociologique, en pressentir l’6volution [notes omises]’.

Nous commencons par ddfinir la notion d’impr6vision, en examinant son chemi-
nement
travers l’histoire afin de la distinguer de certains autres concepts tels que la
ldsion, l’erreur et la force majeure. Dans un deuxi~me temps, nous examinons la phi-
losophie de notre nouveau Code civil et les divers principes li6s
l’acceptation ou au
rejet de la thdorie de l’impr6vision. Notre analyse est animde par le d6sir de confron-
ter les dogmes avec la r6alit6 et de mettre en lumire les possibilitds qu’offre la notion
d’imprdvision en droit qu6bdcois.

‘ P.-A. Crdpeau, Thdorie gingrale de l’obligation juridique : Introduction, Montrdal, Centre de re-
cherche en droit priv6 et compar6 du Qu6bec, 1996 aux pp. 20 et 22 [non publi6 ; ci-apr~s Thdorie
gdndrale].

MCGILL LAW JOURNAL/ REVUE DE DROITDE MCGILL

[Vol. 42

I. Probl6matique: d6finition, histoire et distinctions conceptuelles

A. DWfinition
On consid~re g~n&alement que la th~orie de 1imprevision2 r6pond au problme3
que pose au d6biteur d’une obligation, la survenance impr6visible4 d’6v6nements qui

2 Dans la doctrine qu6b6coise, voir g6n6ralement : J.-L. Baudouin, Les obligations, 4’ dd., Co-
wansville, Yvon Blais, 1993 aux pp. 244-45 [ci-apr~s Les obligations] ; J.-L. Baudouin, <(Theory of Imprevision and Judicial Intervention to Change a Contract>> dans J. Dainow, dir., Essays on the Civil
Law of Obligations, Baton Rouge, Louisiana State University Press, 1969, 151 [ci-apr s <] ; L. Baudouin, Le droit civil de la province de Qudbec : Modle vivant de droit coipa-
ri, Montr6al, Wilson et Lafleur, 1953 aux pp. 729-32 [ci-apr~s Le droit civil] ; J. Pineau, D. Burman
et S. Gaudet, Th7iorie des obligations, 3′ &l., Montr6al, Th6mis, 1996 au nO 285 ; T. Rousseau-Houle,
Les contrats de construction en droit public & privi, Montr6al, Wilson et Lafleur, 1982 a ]a p. 261 et
s. ; M. Tancelin, Sources des obligations: L’actejuridique ligitime, Montrdal, Wilson et Lafleur, 1993
au n* 245 et s. ; A. Boh6mier et F Fox, < (1962) 12 Th6mis 77 ; M. Houde et 0. Dicko, < (1993) 34 C. de D. 599 [ci-apr~s oR6ception
de la th6orie de l’impr6vision>] ; G. Wasserman, Impossibility of Performance in the Civil Law of
Quebec>> (1952) 12 R. du B. 366.

Dans la doctrine frangaise, voir g6n6ralement : J. Carbonnier, Droit civil: Les obligations, t. 4,
16′ &., Paris, Presses universitaires de France, 1992 au n 144 et s. ; A. Colin et H. Capitant, Traitd de
droit civil : Obligations, thiorie gifndrale des droits riels principaux, par J. de la Morandire, t. 2,
Paris, Dalloz, 1959 au n 863 et s. ; R. Demogue, Trait6 des obligations en giniral : Effets des obli-
gations, t. 6, vol. 2, Paris, Rousseau, 1931 au n’ 632 et s. ; J. Flour et J.-L. Aubert, Les obligations :
L’actejuridique, L1, 6 &l., Paris, Armand Colin, 1994 ; J. Ghestin, Trait6 de droit civil : Les effets du
contrat, 2′ 6d., Paris, Librairie G6n6rale de Droit et de jurisprudence, 1994 au n’ 263 et s. ; L. Josse-
rand, Cours de droit civil positiffranfais, t. 2, 3′ d., Paris, Recueil Sirey, 1939 au n’ 404 et s. ; C. Lar-
roumet, Droit civil : Les obligations, le contrat, t. 3, 2′ 6d., Paris, Economica, 1990 ; P. Malaurie et L.
Ayn~s, Cours de droit civil : Les obligations, t. 6, 6′ &t., Paris, Cujas, 1995 au n’ 615 et s. ; P. Malin-
vaud, Droit des obligations: Les zicanismes juridiques des relations gconomiques, 6′ 6d., Paris, Li-
tec, 1992 au n 175 ; G. Marty et P. Raynaud, Droit civil: Les obligations, les sources, t. 1, 2′ 6d., Pa-
ris, Sirey, 1988 au n 249 et s. ; H. Mazeaud et al., Lepons de droit civil: Obligations, thdorie gdnj-
rale, t. 2, vol. 1, 8′ &., Paris, Montchrestien, 1991 au n’ 733 et s. ; G. Ripert et J. Boulanger, Traitd de
droit civil d’aprks le traitS de Planiol : Obligations, droits riels principaux, t. 2, Paris, Libraide G~n6-
rale de Droit et de jurisprudence, 1957 au n 469 et s. ; B. Starck, H. Roland et L. Boyer, Obligations :
Contrat, t. 2, 5′ &l., Paris, Litec, 1995 au n 1214 et s. ; P. Stoffel-Munck, Regards sur la theorie de
l’imprivision : Vers une souplesse contractuelle en droit privi franfais contemporain, Aix-en-
Provence, Presses universitaires d’Aix-Marseille, 1994 ; F. Terr6, P. Simler et Y. Lequette, Droit civil:
Les obligations, 5′ 6d., Paris, Dalloz, 1993 au n* 440 et s. ; Bomsel, La thiorie de l’imprdvision en
droit civil franais, Paris, Jouve, 1922 ; B. Margo, Lsion “a posteriori” et imprivision dans les con-
trats, these de doctorat en droit, Universit6 de Paris, 1949 [non publi6e] ; C.M. Popescu, Essai d’une
thiorie de l’imprivision en droitfranfais et compari, Paris, Librairie G6n~rale de Droit et de juris-
prudence, 1937 ; P Voirin, De l’imprivision dans les rapports de droit privd, th~se de doctorat en
droit, Universit6 de Nancy, 1922 [non publi6e].

Le Dictionnaire de droitprivi, 2′ d., Montreal, Yvon Blais en collaboration avec le Centre de re-
cherche en droit priv6 et compard du Qu6bec, 1991 A la p. 559, d6finit la th6orie de l’impr6vision :

1997]

J. BEDARD – TH’ORIE DE L’IMPREVISION EN DROIT QU-BECOIS

765

alt~rent considrablement l’6quilibre des prestations tel qu’il a 6t6 dessin6 par les par-
ties au contrae. II faut pr6ciser d’emblde que, si les parties se sont exprimees sur ces
changements de circonstances7 , leur volont6 doit 8tre respectee. C’est un silence
contractuel g~nant qui oblige les acteurs juridiques
s’interroger sur le traitement t
r6server a l’imprevision. En effet, le probl~me de la revision qu’on envisage ici sup-
pose pr6cis6ment qu’un effort de prevision n’a pas 6t6 fait ou qu’il se r6v~le inadapt6
h la situation effectivement rencontr6e, de telle sorte qu’aucune issue ne peut etre
trouv~e dans le contrat. II suppose 6galement que les parties ne parviennent pas
trouver un accord h 1′ amiable’0 .

. 6

>, supra note 2 k la p. 629 ; R. van Ommeslaghe, (1980) 57 Rev. D.I. & D.C. 7 A la
lap. 37 ; Voirin, supra note 2 t la p. 39 et aux pp. 172-74 ; S. Martin,
p. 19 ; Popescu, supra note 2
(1992)
94 R. du N. 540 [ci-aprs La prevention contractuelle des litiges ]. Une certaine inspiration pourrait
peut-etre se trouver dans ‘application de la jurisprudence d6veloppde sous l’article 1613 C.c.Q. ou
l’article 1150 Code civil (France) [ci-apr _s Code civ.]. Voir G. Viney, Traits de droit civil : Les obli-
gations, la responsabiliti : effets, Paris, Librairie G6n6rale de Droit et de jurisprudence, 1988 au nd
323.

Au sujet du d6s~quilibre des prestations comme condition d’application de la th~orie de
l’imprvision, voir Ghestin, supra note 2 aux n 301-02 ; Martin, , supra note 3 h lap. 583.
6Voir Houde et Dicko, supra note 2 A lap. 146 et s. ; P. Moisan, <, supra note 4 ; A. Prujiner, > (1992) 37 R.D. McGill 428. Voir plus g6n6ralement, Terr6, supra note
2 au nd 447 et s. ; Malaurie et Aynis, supra note 2 au nd 620 et Ghestin, supra note 2 au n 285 et s.

Ommeslaghe, supra note 4 aux pp. 8-9, recense les conventions dans lesquelles figurent g~n6ra-
lement des clauses de hardship>. Cette liste apparait plus loin dans le pr6sent texte ; voir infra note
189 et texte correspondant.

Dans Sigma Construction Inc. c. levers (27 septembre 1995), Montr6al 500-09-000537-944, J.E.
95-1846 (C.A.)
lap. 12, M. le juge Baudouin a estim6 qu’il n’6tait pas d6raisonnable pour le pre-
mierjuge d’interpr~ter ]a clause de r6siliation comme permettant uniquement ]a r6siliation unilatdrale
dans les cas d’6v6nements impr6visibles ou, du moins, inattendus. I’interprdtation de la volont6 des
parties, quant au contenu prvisible du contrat, joue donc un r6le crucial comme nous le verrons un
peu plus loin.

Voir Boh6mier, supra note 2 A lap. 77.
o Voir Flour et Aubert, supra note 2 au n 412.

MCGILL LAW JOURNAL!REVUE DE DROITDE MCGILL

[Vol. 42

La question qui se pose est de savoir si le contrat doit etre ex6cut6, tel qu’il a 6t6
consenti, au d6triment du d6biteur qui subit le d6s6quilibre impr6vu des prestations
contractuelles”. Voirin d6crit adroitement le probl~me :

[flaut-il laisser se consommer la rmine d’un contractant malheureux, dont le
seul tort est de n’avoir pas pr6vu l’impr6visible? Ou bien au contraire ne doit-
on pas consid6rer que les volont6s
individuelles ne sont gdndratrices
d’obligations qu’t condition de se mouvoir dans le champ ordinaire des prdvi-
sions humaines ; et que, si l’6vnement les d6passe, ayant pour effet de rompre
1’6quilibre qui faisait la probit6 du pacte, le contrat est an6anti, ou du moins que
les relations exclusivement contractuelles des parties font place h un 6tat inor-
ganique dont il appartient A l’interpr~te de stabiliser harmoniquement les 61-
ments en s’inspirant A la fois de l’intr&t g6nral et des besoins de 1’6quit6, con-
form6ment aux exigences m~connues de la rgle de droit 2.

Concr~tement, il est plus ais6 de prendre conscience du bouleversement de
1’6conomie contractuelle en posant l’hypoth~se d’un contrat important qui entralne
une perte correspondante pour le d6biteur, en gardant
1’esprit qu’une p6driode de
temps assez longue peut s’6couler entre le moment de la fixation des obligations et
celui de leur r6alisation. Ommeslaghe souligne que > [italiques de
l’original]’ 3. Deux exemples sont devenus classiques 4. On pense d’abord au pret
d’argent. En cas d’inflation ou de d6valuation de la monnaie, la somme emprunt6e ne
repr6sente plus la valeur r6elle du pret tel qu’iI a 6t6 conclu lors de la formation du
contrat. Dans le cas d’un contrat de vente de marchandises, lors de la livraison des
biens, la valeur de ceux-ci peut avoir consid~rablement chut6 ou augment6 par rapport
au prix assign6 lors de la formation du contrat, entrainant ainsi un alourdissement du
fardeau des obligations de l’acheteur ou du vendeur. Les deux conflits mondiaux, la
d6confiture de Wall Street le 29 octobre 1929, la crise p6troli~re, ainsi que de nom-
breuses crises politiques et conflits arm s ont donn6 naissance A d’innombrables si-
tuations r6clamant l’application de la doctrine de l’impr6vision. II n’est cependant pas
besoin d’imaginer de telles calamit6s, m~me si elles sont fort probantes de
l’impr6vision de certains v6nements”.

Un troisi6me cas de figure, auquel il est moins souvent fait r6f6rence, conceme
l’apparition sur le march6, entre la formation et l’ex~cution du contrat, d’un nouveau

” Voir Ghestin, supra note 2 an n’ 263.
12 Voirin, supra note 2 A lap. 2.
” Ommeslaghe, supra note 4 t la p. 8. Dans l’61aboration d’une 6ventuelle technique consacrant la
thorie de l’impr6vision, le l6gislateur devrait d6cider de son champ d’application et consid~rer
1’exclusion des contrats A execution instantanie. Voir Demogue, supra note 2 aux n 638 et Voirin, su-
pra note 2 A la p. 187. Les probl mes inh6rents aux contrats de longue duroe se posent avec une
acuit6 particulire dans le cadre des dchanges internationaux. Voir Houde et Dicko, supra note 2 At la
p. 137.
1 Voir J.-L. Baudouin, Theory of imprevision>, supra note 2 aux pp. 152-53.
5Voir Houde et Dicko, supra note 2 t lap. 133.

1997]

J. B-DARD – THEORIE DE L’IMPREVISION EN DROIT QUE.BtCOIS

767

proc6d6 de fabrication, ou d’un produit de substitution plus 6conomique ou de
meilleure qualit6d ‘. On peut 6galement faire rdfdrence A une quatri~me 6ventualit6
impliquant, par exemple, un refus de d6livrer une autorisation ou une r6forme 16gisla-
tive17 .

Dans tous les cas, l’6conomie du contrat est boulevers6e : 1’exdcution du contrat
ne reflte plus les pr6visions des parties. La thdorie de l’imprdvision recouvre cepen-
dant deux rdalitds, deux facettes du ddsdquilibre des prestations 8 : l’ex6cution du
contrat rendue excessivement ondreuse pour le d6biteur de l’obligation on devenue
inutile pour le cr6ancier ‘ . Lorsque les juristes d’Unidroit se sont pench6s sur la ques-
tion de l’impr6vision, ils ont choisi, A l’article 6.2.2, de ne pas seulement s’inquidter
du d6biteur en mauvaise posture, consacrant ainsi toute la signification et la porte
lgitime de la th6ofie2 0 : la logique exige qu’A l’imprdvision des pertes corresponde
l’impr6vision des benefices>>

.

21

.

p

Certains auront song6, en lisant ces lignes, aux demandes pressantes de M. Brian
Tobin, premier ministre de Terre-Neuve, concernant la rendgociation du contrat
d’achat d’61ectricit par Hydro-Qu6bece. En 1969, cette dernire a accept6 d’acheter
l’61ectricit6 de Churchill Falls (Labrador) Corp. pendant 60 ans, sans tenir compte de
ses besoins, assumant ainsi certains risques financiers. Toutefois, le prix de
l’6lectricit6 et des autres formes d’6nergie a grimp6 et le contrat d’achat d’61ectricit6
s’est r6v6 intdressant pour les consommateurs qu6b~cois. II est difficile de dire que
l’obligation assumde par Terre-Neuve soit devenue excessivement ondreuse ou que la
crdance d’Hydro-Qu6bec envers elle soit devenue inutile. I1 semble, en effet, que le
rendement sur l’avoir propre de Terre-Neuve ait 6t6 de 11% en moyenne. Un meilleur
contrat eut donc simplement 6t6 plus payant. Cette situation de fait ne permettrait
donc peut-6tre pas de faire jouer le mdcanisme de la thdorie de l’impr6vision. On y
retrouve cependant une intdressante controverse sur l’intention des parties de faire un

6 Voir V. Karim, Les contrats de rialisation d’ensembles industriels et le transfert de technologie,

Collection Minerve, Cowansville, Yvon Blais, 1987 L lap. 219.

“Voir S. Kortmann, <,La s6curit6 des transactions et du crdib> dans Enjeux et valeurs d’un Code

civil moderne, Journdes Maximilien-Caron 1990, Montr6al, Th~mis, 1991, 201 A lap. 208.

Voir J.-L. Baudouin, Theory of imprevision>, supra note 2 t lap. 153.
En d’autres termes, le prejudice rdsultant du d6s&luilibre des prestations peut provenir de deux
sources : I’augmentation du coat de l’exdcution ou la diminution de la valeur de la contrepresta-
tion>. P.-A. Crdpeau et t. M. Charpentier, Les Principes d’Unidroit et le Code civil du Qu6bec : va-
leurs partagges ?, Montr.al, Centre de recherche en droit priv6 et compar6 du Qu6bec, 1997 4 la p.
79 du manuscrit [A paraltre ; ci-apre-s Les Principes d’Unidroit et le Code civil du Qu6bec : valeurs
partagdes ?].

0 Institut international pour l’unification du droit priv6, Principes relatifs aux contrats du commerce
international, Rome, Unidroit, 1994 h la p. 257 [ci-apr s Principes d’Unidroit]. L’alin~a 6.2.2 af-
firme:

[i]l y a hardship lorsque surviennent des 6v6nements qui alt~rent fondamentalement
l’&quilibre des prestations, soit que le cofit de l’ex6cution des obligations ait augmentA,
soit que la valeur de ]a contre-prestation ait diminu6.

2tVoirin, supra note 2 L lap. 24.
2 Voir Terre-Neuve passe A l’attaque>> Le Devoir [de Montrial] (16 octobre 1996) A-i, A-8.

MCGILL LAW JOURNAL/REVUE DE DROITDE McGILL

[Vol. 42

effort de pr6vision et d’am6nagement d’une ren6gociation future du contrat. On se
souviendra, en effet, de cette lettre d’intention dat6e de f~vrier 1984 et sign6e conjoin-
tement par celui qui occupait alors le poste de secr6taire g6n6ral d’Hydro-Qu6hec et
par le pr6sident du conseil d’administration du Newfoundland and Labrador Hydro”.
Cette lettre 6nongait que Terre-Neuve devait tirer des profits justes et 6quitables en
tant que propri6taire de la ressource des chutes Churchill.

Les tribunaux ont dfi r~pondre

la question de savoir si le fait pour Churchill
Falls (Labrador) Corp. d’8tre dans l’impossibilit6 de remplir ses engagements envers
Hydro-Qu6bec conform6ment au contrat d’6nergie, en raison d’une obligation 6ven-
tuelle de r6pondre A une demande d’6nergie de la part du gouvemement de Terre-
Neuve en vertu du contrat de bail 16gislafif consenti par Terre-Neuve t Churchill Falls
(Labrador) Corp., pour l’am6nagement des ressources hydro-6lectriques, constituait
un cas de force majeure. La Cour d’appel, dans un jugement conf’rm6 par la Cour su-
preme, sans se prononcer sur la th6orie de l’impr6vision, retint une interpretation res-
trictive de la clause de force majeure, tenant compte A la fois de l’intention et de la
connaissance des parties au moment de la formation du contrat4 . Si cet exemple a su
illustrer la pertinence de l’6tude juridique de la th~orie de l’impr6vision, l’analyse de
l’6volution historique de ce concept prend alors toute son importance.

B. Cheminement historique du concept
Certains pourraient croire, A la suite d’une 6tude historique superficielle, que seuls
les juristes du XX si~cle se sont pench6s sur les probl~mes caus6s par des circonstan-
ces impr6vues contrariant les intentions des partiese. Or, les jurisconsultes romains,
sans 6laborer une th6orie g6n6rale de l’impr6vision, auraient n6anmoins appliqu6 le
principe dans certains cas . Certains auteurs soutiennent qu’il s’agissait l d’avis par-
ticuliers ne correspondant pas A une doctrine juridique bien 6tablie’7, le droit romain
condamnant la th~orie de 1limprevision6 .

26

23Voir ibid. A lap. A-8.
24 Voir Churchill Falls (Labrador) Corp. Ltd. c. Hydro-Quibec (18 f6vrier 1985), Montreal 500-09-
001448-836, J.E. 85-255 (C.A.), conf. par Hydro-Quibec c. Churchill Falls (Labrador) Corp., [1988]
I R.C.S. 1087, 86 N.R. 3. La Cour d’appel fut d’avis qu’en pleine connaissance de cause, les parties
au contrat d’6nergie n’avaient pas reproduit la clause figurant au bail 16gislatif et que, par consequent,
Churchill Falls (Labrador) Corp. avait d~cid6 d’assumer seule les risques que comportait le bail. Voir
aussi Re Upper Churchill Water Rights Reversion Act, [1984] 1 R.C.S. 297, 8 D.L.R. (4′) 1, concer-
nant la validit6 d’une loi pr6voyant la r6trocession A la province de Terre-Neuve, des droits d’utiliser
les eaux et des droits relatifs a ‘6nergie hydro-01ectrique dcrits dans le bail 16gislatif consenti a
Churchill Falls (Labrador) Corp.

‘ Voir J.-L. Baudouin, >, supra note 2 lap. 153.
16 Voir Popescu, supra note 2 A ]a p. 9 et s. et Stoffel-Munck, supra note 2 au n 8.
27Voir Margo, supra note 2 A lap. 97.
8Voir Ghestin, supra note 2 A lap. 314.

1997]

J. BEDARD – THEORIE DE L’IMPREVlSION EN DROIT QUEB-COIS

769

Aux XIff et XI

si~cles, des canonistes tels que Gratien et Saint-Thomas
d’Aquin29 reprirent le concept de l’impr6vision, qui fut appliqu6 ainsi dans le droit ca-
nonique et devant les tribunaux eccl6siastiques . ls ont imagin6, pour donner A la
th6orie un fondement solide, une clause qu’ils supposaient etre tacitement contenue
dans tous les contrats : la clause rebus sic stantibus, c’est–dire, les choses demeurant
ainsi, telles qu’elles sont3t . Les glossateurs des XI et XIIW si~cles se sont d~sint~res-
s~s de la question, mais les post-glossateurs, deux sicles plus tard, g6n~ralis~rent les
id6es des canonistes32. Alciatus limita l’application de la clause au cas ofa les 6v6ne-
ments ne pouvaient absolument pas 6tre pr~vus par les parties33. Aux XVIf et XVII
si6cles, ‘Europe se divisa quant au traitement A r~server
l’impr6vision. Celle-ci p6-
ntra plus avant en Allemagne et en Italie et dans le Parlement de Grenoble alors
qu’elle fut curieusement abandonn~e par Cujas, Domat puis Pothier, qui ne
l’6voqu~rent m~me pas34. En guise d’explication de la r6action envers la th~orie de
l’impr6vision ou de son d6laissement, les auteurs 6voquent l’av~nement de l’6cole du
droit nature 35, de la r6forme protestante36, puis celui de la philosophie des lumires37
et de l’6conomie lib&ale 8. On comprendra donc ais6ment que l’impr6vision ait 6t6
omise lors des codifications frangaise et qu~b6coise 9. A l’heure actuelle, le concept
40
d’impr6vision, s’il est ignor6 dans certains pays, est bien connu dans d’autres
comme nous le verrons plus loin.

29 Saint-Thomas d’Aquin estimait que celui qui a promis et ne tient pas sa promesse, en raison d’un
changement des condition, ne commet aucune infid~liti, voir Ghestin, ibil a lap. 315.

30 Voir Popescu, supra note 2 t lap. 10.
” Cette expression est tir6e de la formule : <. Voir Margo, supra note 2 a la p. 97 et A. May-
rand, Dictionnaire de maximes et locutions latines utilisies en droit, 3′ &l., Cowansville, Yvon Blais,
1994 t lap. 450.
32 Voir Popescu, supra note 2 L lap. 11 ; Ghestin, supra note 2

lap. 315 et Carbonnier, supra note
2 au n 148. Carbonnier remarque que meme si <[li]es vues favorables A la clause rebus sic stantibus demeur~rent isoles> en France, la monarchie ne se fit pas scrupule d’intervenir dans les contrats,
sp~ialement au XVr sidcle, p6riode d’instabilit6 mon6taire>>.
3 Voir Margo, supra note 2 A la p. 98 et Popescu, ibid a lap. 11.
‘ Voir Ghestin, supra note 2 t lap. 315 et Margo, ibid Pour une 6tude plus d6taill~e, voir Popescu,

ibid aux pp. 10-14.

3 Voir Ghestin, ibid
3 Voir Voirin, supra note 2 A lap. 46.
3 Voir Martin, >, supra note 2 a lap. 606.
38Voir Ghestin, supra note 2 a lap. 315.
39Voir J.-L. Baudouin, Theory of imprevision>>, supra note 2 A lap. 154. Carbonnier, supra note 2
au n 148, estime que le probl~me de l’impr6vision ne pouvait &re ignor6 des codificateurs frangais et
qu’ils ont d~libr6rment exprim6 leur refus de la th6orie dans ‘article 1134 Code Civ.

‘ Voir texte accompagnant la note 170 et s.

MCGILL LAW JOURNAL/REVUE DE DROITDE MCGILL

[Vol. 42

C. Distinctions conceptuelles

1. L6sion et impr6vision

a. Intensit6 probl6matique de la distinction

La ldsion et l’impr6vision ne sont pas des notions identiques. Dans les deux cas,
on constate un d6s6quilibre des prestations contractuelles et une vive opposition a
toute reconnaissance g6ndrale. Toutefois, lorsque ce d6sdquilibre est pr6sent At la for-
mation du contrat (c>4), on parle de ld-
sion. Lorsque l’6quilibre conventionnel initial se trouve d6truit par un 6v6nement im-
pr~visible, l’imprdvision est ‘expression d6signde, meme si certains auteurs lui pr6f’-
42
rent 1’expression ldsion a posteriorIA .

On envisage donc 1’6quivalence des prestations h deux moments diff6rents43 . La
la tentation d’associer trop 6troite-
ressemblance est grande, mais il faut rdsister
ment les deux concepts car 4[p]lacer l’impr6vision sous l’6gide juridique de la 16-
sion, c’est la condamner sans appel>44 . De plus, l’616ment temporel ne constitue pas
la seule distinction. Non seulement l’iniquit6 contractuelle n’apparalt pas au meme
moment, mais elle n’a pas la mgme cause : >46. Si l’on accepte une conception subjective de la 16sion47, le foss6 se creuse da-
vantage. Voirin est d’avis que l’impr6vision ne comporterait pas les deux 616ments
subjectifs de la 16sion, soit l’6ldment de faiblesse de l’une des parties et l’intention
d’exploitation de la part de l’autre48. Par cons6quent, <[e]n d6pit du fondement mo- 45 41 C'est 1 1'expression employde par M' Pienre Labelle, porte-parole de la Chambre de commerce du Qu6bec dans Qudbec, Assemble nationale, Journal des dibats (25 octobre 1988) A la p. sci-8 [ci- apr s Journal des dibats]. 42 Voir Margo, supra note 2 aux pp. 2 et 94. Le moyen Age faisait pr~valoir la justice commutative au jour de la conclusion du pacte (16sion) et lors de son exdcution (imprdvision), voir Ghestin, supra note 2 A la p. 315. Le Comitd du droit des obligations de l'Office de rdvision du Code civil 6nonce dans ses commentaires que ]a 4d6sion protege, aji moment de la formation ; l'imprdvision, au moment de 1'ex6cution de robligationo. Qu6bec, Office de rdvision du Code civil, Comit6 du droit des obliga- tions, Rapport sur les obligations, Montral, 1975 A la p. 118 [non publi6 ; ci-apr s Rapport du Comi- ti du droit des obligations de l'O.R.C.C.]. '" Voir Larroumet, supra note 2 au n 403. 4 Voir Voirin, supra note 2 A la p. 71. Voir aussi Ripert et Boulanger, supra note 2 au n* 471. 1 Voir Starck, Roland et Boyer, supra note 2 au n 1217. 46Voir Carbonnier, supra note 2 au n 144. ' Lors des d6bats sur ravant-projet, ]a Commission des services juridiques 6mit l'opinion selon laquelle la 16sion est un concept hybride comportant A la fois un volet objectif (d6sdquilibre des pres- tations) et un volet subjectif (vice du consentement). Voir Journal des ddbats, supra note 41 At la p. sci-91. 41 Voirin, supra note 2 A Ia p. 71 et s. et voir Margo, supra note 2 ax pp. 26-27 et 139. Voir aussi Journal des dibats, ibiL A la p. sci-105, oi Georges Massol, porte-parole de la Commission des ser- 4 19971 J. BEDARD - THEORIE DE L'IMPR-VISION EN DROIT QUEBECOIS 771 ral et de l'616ment objectif qui leur sont communs, les deux notions sont juridique- ment distinctes>49 .

b. La r6forme du Code civil du Bas-Canada 0 et le Code civil du

Qu6bec

Le concept de 16sion entre majeurs fit introduit de fagon exceptionnelle par
amendement du C.c.B.-C.5 et par l’entr6e en vigueur de ‘article 8 de la Loi sur la
protection du consommateur52 . L’Office de r6vision du Code civil avait propos6
d’introduire un rfgle g6n6rale 53, r~gle ins&r6e dans
‘avant-projet de loi portant r6-
forme au Code civil du Qudbec (article 1449) qui, suite t des d6bats vigoureux54, a
disparu” dans le Projet de loi 125″ .

L’Office de r6vision du Code civil avait 6galement propos6 d’inclure une disposi-
tion permettant
la reconnaissance 16gislative exceptionnelle de la th6orie de
l’impr6vision en droit qu6b6cois. L’article 75 du rapport de l’O.R.C.C”
rappelait
adroitement, dans un premier alin6a, le principe selon lequel la survenance de circons-

vices juridiques, souligne qu’une connotation d’exploitation est pr6sente dans le concept de Ision
alors qu’elle est absente dans la thdorie de l’impr6vision.

49Voirin, ibid. A lap. 76.
50Voir Acte concenant le Code civil du Bas-Canada, L.C. 1865, c. 41 [ci-apr~s C.c.B.-C.].
51 Voir Loi pour proteger les emprunteurs contre certains abus et les pr~teurs contre certains privi-
lMges, L.Q. 1964, c. 67, art. 1, art. 1040(a)-(e) C.c.B.-C. On se rappellera plus particulirement de
l’alin~a 1040(c) C.c.B.-C., maintenant l’article 2332 C.c.Q., permettant la r&luction ou l’annulation
des obligations mon6taires d6coulant d’un pr&t d’argent.

5,L.R.Q. c. P-40.1 [ci-apr~s LP.C.].

Voir Qu6bec, Office de r6vision du Code civil, Rapport sur le Code civil du Quibec, Montr6al,

ltditeur officiel, 1978 aux pp. 338-40 [ci-aprs Rapport sur le Code civil], art. 37:

[l]a 16sion vicie le consentement lorsqu’elle r6sulte de l’exploitation de l’une des par-
ties par l’autre et entralne une disproportion s6rieuse entre les prestations du contrat.
La disproportion s6ieuse fait pr6sumer de l’exploitation.

Voir
dans Journal des ddbats, supra note 41 (8 mars 1988 au 21 juin 1989). Le Barreau du Qu6bec a ex-
prim6 un vif d6saccord quant A la reconnaissance de la 16sion sous la forme d’une r~gle g6n6rale, lui
pr6f6rant une application dans certains cas particuliers. Voir Barreau du Qu6bec, Mimoire de la sous-
commission du Barreau du Qubec sur l’avant-projetportant riforme au Code civil du Quibec (itre
premier: Des obligations en gdndral) prisentJ ii la Commission des institutions, Montr6al, octobre
1988 A lap. xii [non publi ; ci-aprbs Mimoire du Barreau du Quibec sur l’avant-projet].

” Malgr6 1’absence de reconnaissance l6gislative d’un principe gdn6ral de lesion, la Cour du Qu6-
bec a d6jt corrig6 une situation lui paraissant in&iuitable. Voir Devost c. Jacques Couturier Inc. (13
juin 1991), Qu6bec 200-02-009963-903, J.E. 91-1159 (C.Q.).

‘6 Le Barreau n’a pas manqu6 d’exprimer sa satisfaction r6sultant de 4Ia grande am6lioration appor-
t6e par le ministare de la Justice>. Voir Barreau du Qu6bec, Mimoire du Barreau du Quebec sur le
Code civil du Qujbec (projet de loi 125) – Livre V- Des obligations : Thdorie ginerale des obliga-
tions, Montr6al, juillet 1991 A la p. 1 [non publi6 ; ci-apr s Mjmoire du Barreau du Quebec – PL
125].
5 7Rapport sur le Code civil, supra note 53, t. 1 A lap. 345. Voir les commentaires dans le Rapport
sur le Code civil, t. 3, supra note 53 aux pp. 624-25.

MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE MCGILL

[Vol. 42

tances impr6visibles qui rendent 1’ex6cution du contrat plus on6reuse ne lib~re pas le
d6biteur de son obligation, mais offrait ensuite au tribunal, dans un second alin6a,
divers moyens de parer les effets du d~s~quilibre des prestations :

[ia survenance de circonstances impr~visibles qui rendent l’ex6cution du con-
trat plus on~reuse ne liblxre pas le d6biteur de son obligation.
Exceptionnellement, le tribunal peut, nonobstant toute convention contraire, r6-
soudre, r6silier ou r6viser un contrat dont l’excution entralnerait un prejudice
excessif pour l’une des parties, par suite de circonstances impr6visibles qui ne
lui sont pas imputables.

Nous sommes d’avis, contrairement A l’Office de revision du Code civil, que
‘application de la th~orie de l’imprdvision ne saurait etre que suppl6tive et pourrait
donc 8tre 6cart~e par une convention contraire. En effet, cette solution s’impose, lors-
que l’on justifie la reconnaissance 16gislative de la th6orie de l’impr~vision, comme
nous le verrons plus loin, par le constat de l’absence d’expression de volont6 des par-
ties concemant un changement de circonstances affectant de fagon importante
l’ex6cution du contrat, d’une part, et, d’autre part, par la volont6 d’assurer le maintien
des volont6s contractuelles ayant pr~valu lors de la conclusion du contrat.

Myst~rieusement, la proposition de I’O.R.C.C. ne figura meme pas dans 1’avant-
projet, ce document qui devait pourtant permettre aux citoyens d’6changer leurs vues
en commission parlementaire afm d’6clairer le l~gislateur sur la marche a suivre .
Comment expliquer logiquement que le gouvemement ait choisi de permettre le d6bat
sur la 16sion en refusant toute discussion de la th6orie de l’impr6vision, alors que ces
deux notions soul~vent des questions de politiquejuridique semblables ?

D’ailleurs, cela n’a pas emplch6 la notion d’impr6vision d’8tre soulev~e en com-
mission parlementaire : le seul r~sultat semble etre d’avoir induit en erreur plusieurs in-
t6ress6s qui ont 6voqu6 la th6orie de l’imprevision croyant discuter de la 16siond’.

2.

Impr6vision et erreur

L’erreur est appr~ci~e au jour de la conclusion du contrat et conceme les circons-
tances existant lors de la formation du contrat. Ainsi, dans le contrat d’entreprise, les
6v6nements qui conduisent
la r6vision du contrat pour cause d’erreur sont ant~rieurs
A l’ex6cution contractuelle, mais sont inconnus des parties au moment de la conclu-
sion de leur engagementO. Les auteurs sont unanimes et rejettent l’assimilation de

5′ D’apr~s Houde et Dicko, supra note 2 A lap. 137, si quelques doutes devaient subsister quant a la
reconnaissance de l’impr6vision en droit qu6b6cois, le fait que la proposition de l’O.R.C.C. ait 6t6 re-
tire de l’avant-projet permet de clarifier d6finitivement la situation. Cette conclusion nous parait ha-
tive.
“‘ Ainsi, en commission parlementaire, Mf Georges Massol, porte-parole de ]a Commission des
services juridiques, se voit dans l’obligation de faire remarquer A un d6put6 de l’opposition que ce
demier 6voque une situation de fait (a d6valuation) qui relive de l’application de ]a thdorie de
l’imprvision et non de celle de la lesion. Voir Journal des d6bats, supra note 41 A la p. sci-105.

60 Voir Martin, >, supra note 4 A ]a p. 585. Pour des exem-
pies r6cents, voir Sintra Inc. c. Mascouche (ille de) (9 aofit 1995), Montr.al 500-09-001487-909,

1997]

J. Bt-DARD – THL-ORIE DE L’IMPREVISION EN DROIT QUEBCOIS

773

l’erreur t, m~me si certains pourraient imaginer contourner la difficul-
l’impr~vision
t6 en soutenant que les parties se sont engag6es dans la croyance que les circonstances
ne changeraient pas ou que l’6quilibre ne pourrait qu’8tre maintenu 2. II faut cepen-
dant croire que la distinction n’est pas aussi 6vidente qu’elle le paralt. En effet, on
s’explique mal pourquoi une d6cision comme Grant Mills Ltd. c. Pipeline Welding
Ltd’ soit si fr6quemment invoqu6e par la doctrine t l’encontre de la reconnaissance
de la th6orie de l’impr6vision, alors qu’elle concerne une erreur lors de la formation
du contrat. Le jugement de la Cour d’appel dans H. Cardinal Construction Inc. c.
Dollard-des-Ormeaux (Ville de)64 suscite aussi une certaine confusion.

3.

Impr6vision et force majeure

Si la th~orie de l’impr~vision peut ressembler a 1’impossibilit d’ex6cuter pour
cause de force majeure en ce qu’elle comporte un caractre d’impr6visibilit6 et de
non-imputabilit6 6′, elle en differe dans la mesure oiA l’ex6cution n’est pas rendue im-
possible””, mais seulement excessivement on&euse. Les tribunaux67 et la doctrine 6 se

J.E. 95-1615 (C.A.) ; Montrdal (Communautj urbaine de) c. Ciment indipendant Inc. (15 aofit 1988),
Montral 500-09-001457-829, J.E. 88-1127 (C.A.).

61 Voir Voirin, supra note 2 a la p. 97 ; Demogue, supra note 2 au n 634 bis et au n 641 ; Ghestin,

supra note 2 au n 313 et J.-L. Baudouin, >, supra note 2 A lap. 23.

62 Ghestin, ibiL, estime qu’. Si cet argumentation dtait admise, ,la clause rebus sic
stantibus serait directement introduite dans notre droit positifi> [italiques de l’original].

63 [1975] C.S. 1203. Le litige r6sulte de la construction d’un gazoduc sous le lit du fleuve St-Laurent
h Beauhamois. Grant Mills n’a dispos6 que de quelques jours pour pr6parer sa soumission et s’est fi6
A des plans, ne remarquant pas qu’il y avait eu un 16ger changement de site d’un plan a l’autre. Or,
’emplacement du lit du fleuve s’est av6rd bien diff6rent de ce que avait dt6 pr6vu eta n6cessit6 beau-
coup plus de machinerie, de main d’oeuvre et de temps.

(2 septembre 1987), Montr~al 500-09-000815-837,

.E. 87-970 (C.A.) [ci-apr~s H. Cardinal
Construction]. Dans cette affaire, le litige d6coule d’un contrat de construction qui a pour objet
l’excavation d’un lac et ]a construction de deux monticules. L’ex6cution des travaux a dur6 quatre ans
alors que le bordereau de soumission mentionne une priode de 120 jours. L’entrepreneur allfgue que
les changements dans le contrat initial ont rendu celui-ci compltement irr6alisable suivant le devis
original et suivant les documents fournis au moment de l’appel d’offres. La lecture des jugements ne
permet pas de savoir si nous sommes en pr6sence d’impr6vision r6elle (survenance de circonstances
post~rieures
la conclusion du contrat) ou d’une erreur de l’entrepreneur ignorant l’6tendue des tra-
vaux lors de signature du contrat. M. le juge Monet 6voque, de fagon contradictoire, la th6orie de
l’impr6vision et celle de Ia l6sion alors que M. lejuge LeBel 6voque la probl6matique de l’erreur.

6 Voir article 1470 C.c.Q.
6Comme condition d’existence de la force majeure, <4[]'6v6nement doit opposer un obstacle in- surmontable a l'excution de l'obligation>>, il doit 8tre irr6sistible en ce sens qu’il mettrait n’importe
quel d6biteur dans l’impossibilit6 de r6sister. Popescu, supra note 2 aux pp. 24-25.
61 Voir Biron c. Meloche, [1927] C.S. 535 ; Proulx c. Beaudoin, [1948] C.S. 69 ; Rivet c. Corpora-
tion du village de Saint-Joseph, [1932] R.C.S. 1 ; Tremblay c. Bouchard, [1949] R.C.S. 552 ; Otis
Elevator Company c. A. Viglione & Bros. Inc., [1978] C.S. 243 ;Winer & Chazonoff (Ontario) Ltd. c.
Thomas Fuller Construction Co. (1958) Ltd., [1980] C.S. 570 ; Diffusion des mdtiers d’art (Qu~bec)
hzc. c. Cohen, [1981] C.S. 829 et Pipin c. David Lord Limite, [1970] C.S. 378 ; Socit de gdomati-

McGILL LAW JOURNAL! REVUE DE DROITDE MCGILL

[Vol. 42

sont toujours refuses A 61argir la notion de force majeure . Certains auteurs7 souli-
gnentjustement que cet effort serait en partie inutile dans la mesure oa ]a sanction de
la force majeure, exon&ation totale de l’obligation, est par trop radicale pour convenir
aux situations exigeant 1 application de la thdorie de l’imprrvision :

69

7

Dans bien des cas, ‘anrantissement de la convention aurait pour seul effet de
renverser le risque, dont tout le poids retomberait sur celle des parties qui n’en
est pas directement atteinte. […] En outre l’abrogation des contrats bnitalement
prononc~e, sous prdtexte de difficult~s d’ex~cution impr~vues, risque de pro-
voquer I’arr&t complet de beaucoup d’affaires au moment oil il conviendrait
d’en assurer la reprise progressive [notes omises]”.

II. Politique juridique: Ila morale, I’ conomie et le droit

A. De la philosophie g~n6rale du nouveau Code civil du Quebec

1. Resistance au changement malgr6 sa n6cessitW

Le droit des obligations <, il en est la <>73.Cette partie cruciale de la rrforme est marquee par deux ph~nomknes con-

que internationale Inc. c. Placements Soficorp Inc. (9 drcembre 1987), Montrdal 500-05-010027-
876, J.E. 88-199 (C.S.).

“s Voir J.-L. Baudouin, Les obligations, supra note 2 au n 803 ; Colin et Capitant, supra note 2 au d
853 et Ghestin, supra note 2 A lap. 340. Contra, Martin, Reception de la th~orie de l’impr~vision>,
supra note 2 A la p. 626 qui soutient qu’on aurait pu concevoir ]a force majeure sous un angle diff6-
rent, en substituant au critkre de l’impossibilitd mat~rielle celui de l’impossibilit6 dconomique.
69 Certaines decisions mettent toutefois en 6vidence que la rigidit6 des tribunaux peut n’tre
qu’apparente : Portes Overhead Door de Montrial (1965) Lte c. Construction Broccolini Inc. (24
fvrier 1995), Montreal 500-02-011336-885, J.E. 95-684 (C.Q.) ; Mohammed c. Banque de Nouvelle-
tcosse (8 juin 1995), Montral 500-02-007625-903, J.E. 95-1492 (C.Q.). Certains auteurs, comme
Wasserman, supra note 2 A la p. 372, sont optimistes et croient A l’61argissement du concept de force
majeure.
70Voir J.-L. Baudouin, Les obligations, supra note 2 au n 803 et Ghestin, supra note 2 A lap. 340.
7′ Voirin, supra note 2 A lap. 87.
7 Expression employde par MW Gil Rdmillard, ministre de la Justice, dans Gouvemement du Qu6-
bec, Memoire au conseil des ministres, 1988 k lap. 17 [non publi6 ; ci-aprks Mimoire au conseil des
ministres].

” Le porte-parole de ropposition, M. le d~put6 de Taillon, est du meme avis que le gouvemement:
le droit des obligations, vc’est le coeur, c’est le syst6me nerveux, finalement, de notre droit>. Journal
des ddbats, supra note 41 A lap. sci-3. Voir aussi Crrpeau, Thorie gingrale, supra note 1 h lap. 6:

c’est prrcis~ment le droit des obligations qui fournit, au moyen de rfgles juridiques
fondres sur des valeurs morales et culturelles, sur des postulats philosophiques et so-
cio-6conomiques, les principes, les institutions et les techniques permettant, d’une part,
par l’dIaboration d’un code de comportement social, de favoriser le maintien de rela-
tions pacifiques entre les membres de la socirt6 civile, et, d’autre part, par ]a rglemen-
tation des 6changes 6conomiques et du cr~dit, de se procurer les “bienfaits” de ce
monde [notes omises].

1997]

J. BEDARD – THEORIE DE L’IMPREVISlON EN DROIT QUEBECOIS

775

comitants : la rdsistance au remaniement et la n~cessit6 du changement. Meme si cer-
tains organismes regimbent face au modemisme74, cela ne devrait pas empcher le
16gislateur de prendre l’initiative7′ parce que 76.

Cela est d’autant plus vrai que le nouveau Code civil, s’il continue de s’appuyer
sur les memes principes juridiques que le droit actuel, refl~te aussi des preoccupations
contemporaines et se veut une structure d’accueil du droit privi du XXIf sikcle>> [nos
italiques] 7 . En outre, il est essentiel de profiter de l’occasion d’une telle ambition 16-
gislative78 : peut-etre plus de 120 ans s’6couleront avant la prochaine reforme 79 .

2. Les politiques juridiques du Code civil du Qu6bec

C’est en s’appuyant sur les principes fondamentaux de rautonomie de la vo-
lontd, de la libert6 contractuelle, de la force obligatoire du contrat, que nous
avons conqu le nouveau droit des obligations pour 6tablir un &quilibre nouveau
dans les rapports des parties contractantes de fagon t favoriser une meilleure
justice contractuelle.

La r6alisation d’un meilleur 6quilibre dans le commerce juridique>>8′ est une va-
leur qui occupe d~sormais une place de choix. Fixer l’id6ologie contractuelle est un
exercice d6licat de conciliation : on ne peut se contenter de brandir de fagon absolue

7, On constate ais6ment le contraste de la volont6 des parlementaires avec la vision de certaines or-
ganisations comme le Barreau du Quebec qui consid~re que le C.c.B.-C. est fort d’actualit& . Mi-
moire du Barreau du Quibec sur l’avant-projet, supra note 55 A la p. vi et R. Nadeau, Le point de
vue du Barreau du Qu6bec>> (1989) 30 C. de D. 647 A lap. 649.

75 Le porte-parole de l’opposition, M. le d6put6 Flion, ne manque pas de rappeler aux parlementai-
res leur r6le dans ses remarques finales au sujet de ‘avant-projet, Journal des ddbats, supra note 41 A
la p. sci-318.

76 J.-L. Baudouin, > dans Enjeux et valeurs d’un Code civil moderne, Jour-
l, Th6mis, 1991, 219 A lap. 220 [ci-aprs Conf6rence de cl6-
nies Maximilien-Caron 1990, Montr
ture >]. I1 faut aussi se rappeler qu’un code modeme n’est pas un code A la mode ; il se doit de durer,
dans ses solutions d’abord, mais surtout dans son appareil scientifique (notions, classifications, theo-
ies g6n6rales…) qui constituent la vdritable raison d’etre d’une telle entreprise>>, M. Moreau,
L’6galitd sous le Code civil : enjeux et valeurs d’un Code civil modeme>>, dans Enjeux et valeurs
d’un Code civil moderne, Les journies Maximilien-Caron 1990, Montreal, Th6mis, 1991, 37
lap.
40.

n Mimoire au conseil des ministres, supra note 72 A la p. 8. Voir aussi J. Pineau, > (1992) 71 R du B. can. 423 A lap. 427.

78 Le Quebec partage avec quelques autres (dont les Pays-Bas) le m~rite d’avoir eu cette ambition
la

et, mieux encore, une volont6 politique de r6ussir une codification civile . Moreau, supra note 76
p. 39.

7′ Remarque de la Commission des services juridiques lors des d6bats en commission parlemen-

taire, Journal des ddbats, supra note 41 A lap. sci-101.

” Allocution inaugurale de Gil R~millard, ministre de la Justice, Journal des ddbats, ibid.

la

p. sci-2.

” Pineau, supra note 77 A lap. 427.

776

MCGLL LAW JOURNAL / REVUE DE DROITDE MCGILL

[Vol. 42

des principes comme celui de l’autonomie de la volont6, telle < 82, sans r6fl6chir soigneusement 4 la valeur de ces postulats et A leurs cons6quen-
ces”3 qui pourraient parfois donner au dogme <.

B. Des inqui6tudes des justiciables

1. Des dogmes de I’autonomie de la volont6 et de la

contractuelle

libert6

a. D6finition

On doit A Domat la formule classique : les conventions tiennent lieu de loi a ceux
qui lesfont. Ces principes classiques ont pr6sid6 A la codification frangaise86 et A celle
du Bas-Canada 87, qui ont 6t6 conques dans un environnement pr6-industriel” : le 16gis-
lateur se montre fort respectueux des conventions des parties”9. Ainsi, selon l’article
1434 C.c.Q. : <[l]e contrat valablement form6 oblige ceux qui l'ont conclu>. Ce
principe juridique traduit une valeur morale fondamentale,
savoir, le respect de la
parole donn6e?’. Deux cons6quences essentielles en d6coulent, soit que le contrat

82Martin, <, supra note 2 A lap. 602.
83Comme Baudouin le souligne dans , supra note 2 A lap. 73, c[t]he prin-
ciple of the sanctity of contracts should not be a mere pretext to shut one’s eyes to serious injustices in
the performance of contracts>.

, Martin, < , supra note 2 A la p. 603.
Cr6peau, Thiorie ginirale, supra note 1 A lap. 23.

‘6 Voir Carbonnier, supra note 2 A lap. 46.
” Meme si les codificateurs qu6bdcois, contrairement A leurs homologues frangais, n’ont pas cru
bon de reproduire ]a formule de Domat A l’article 1022 C.c.B.-C., les tribunaux en ont consacr6
l’autorit6. Voir Cr6peau, Theorie ginirale, supra note 1 A la p. 16. Voir aussi L. Baudouin, Le droit
civil, supra note 2 A lap. 649.

” Voir PPC. Haanappel, (1960) 71 R. du N. 463 A lap. 467, oii il est dit que

le 16gislateur exerce un r6le passif.

lablement form6 lie ceux qui l’ont conclu>.

“0 Uart. 1.3 in limine des Principes d’Unidroit, supra note 20, est au meme effet: <<[Ije contrat va- 9' Voir Cr6peau, Les Principes d'Unidroit et le Code civil du Qu6bec: valeurs partagges?, supra note 19 A la p. 1. 1997] J. B-DARD - THEORIE DE L'IMPREVISION EN DROIT QU-BECOIS 777 s'impose aux parties, d'une part, et au juge, d'autre part : pacta sunt servanda92. La convention est en principe irr6vocable et les parties doivent ex6cuter leurs presta- tions93. Le juge ne peut qu'interprdter le contrat, il n'a pas le pouvoir de le modifier, A moins que les parties ou la loi ne lui en donnent express6ment le pouvoir94. 92 Gordley prdtend cependant : in fact, these principles were not those of the drafters. They were the principles of French 19th century treatise writers who read them into the Code. The draf- ters subscribed to traditional conceptions of private law that were almost old- fashioned when the Code was enacted 5. Stoffel-Munck souligne que les rdacteurs du Code civil franqais, apr s la p6iode effroyable de la terreur, possdaient une conception plut6t pessimiste de l'Homme qui ne leur permettait pas d'admettre que la volont6 de ce demier soit autonome?' . b. Critique La Cour d'appel du Quebec9 7 et la Cour de cassation frangaise" invoquent le dogme de l'autonomie de la volont6 pour refuser 1'existence de la th6orie de l'impr6vision. Notre Cour d'appel exprime cependant un refus afflig6 d'un manque flagrant de fermet6. M. le juge Monet 6crit dans H. Cardinal Construction que [1]a th6orie de l'impr6vision [...] n'est guare reconnue dans notre droit. I1 seraitplut6t au- dacieux de pritendre que des arr~ts relativement r6cents de notre Cour consacrent cette th6orie. De son c6t6, la doctrine a plutbt tendance t la combattre> [nos itali-
ques]99. La Cour d’appel, de faqon g6n&ale, se d6clare tenue d’appliquer les disposi-
tions contractuelles qui lient les parties sans 6gard aux consequences 6conomiques
conjoncturelles> ‘. Ainsi, dans Hudson’s Bay, les parties 6talent li6es par un bail
contenant une clause d’exclusivit6. Le locataire demanda une injonction afim de faire

2 Voir Colin et Capitant, supra note 2 au n 559.
9’ Ce principe est celui de l’article 1134 Code civ. : [l]es conventions 16galement form6es tiennent
lieu de loi a ceux qui les ont faites> et se reflte a l’article 1439 C.c.Q. : [l]e contrat ne peut atre r6so-
lu, r6sili6, modifi6 ou r6voqu6 que pour les causes reconnues par ]a loi ou de l’accord des parties>.

‘ Voir Pineau, Burman et Gaudet, supra note 2 au n 285 et Colin et Capitant, supra note 2 aux n7

797-98.

J. Gordley, Myths of the French Civil Code (1994) 42 Am. J. Comp. L. 459 A lap. 459.
Stoffel-Munck, supra note 2 A la p. 39 et s.

97Voir H. Cardinal Construction, supra note 64.
” Voir la d6ecision rendue dans la c1lbre affaire du Canal de Craponne, Cass. civ., 6 mars 1876,

D.P.1876.1.193, S.1876.1.161 oA l’on mentionne que la r~gle consacr6e par l’article 1134 Code civ.:

est g6n6rale, absolue, et r6git les contrats dont l’ex6cution s’6tend ii des dpoque
successives de m~me qu’I ceux de toute autre nature ; […] dans aucun cas, il
n’appartient aux tribunaux, quelque 6quitable que puisse leur paraitre leur d6-
cision, de prendre en consid6ration le temps et les circonstances pour modifier
les conventions des parties et substituer des clauses nouvelles A celles qui ont
dt6 librement accept6es par les contractants.

Supra note 64 lap. 14.

778

MCGILL LAW JOURNAL/REVUE DE DROITDE MCGILL

[Vol. 42

respecter cette clause ; la cour se sentit dans l’obligation de la lui accorder malgr6 le
fardeau 6conomique que cela pouvait repr6senter pour le locateur.

Qui se pr6vaut du principe de l’autonomie de la volont6 ? Les opposants t la 16-
sion, qui se seraient sans doute aussi prononces contre l’impr6vision si le l6gislateur
leur en avait donn6 l’occasion ; soit l’Association des banquiers canadiens’01 , la
Chambre de commerce du Qu6bec’o , certaines associations de commergants comme
la Corporation des concessionnaires automobiles du Qu6bec’03 et d’autres organismes
tels que le Barreau du Qu6bec’04 et la Chambre des notaires’o’.

Quels sont les fondements du dogme de l’autonomie de la volont6 ? Ils sont es-
sentiellement de trois ordres’ 6 : philosophique, moral et 6conomique. Le premier
postulat philosophique est celui de Ia libert6 des individus : on ne peut 6tre oblig6 que
parce que l’on a voulu. En second lieu, sur le plan moral, il est consid6r6 que l’on ne
ses int6rts : qui dit contractuel, dit juste, selon la
peut vouloir ce qui est contraire
formule c6lbre de Fouill6e’. Enfin, du point de vue 6conomique, l’autonomie de la
volont6 serait le meilleur moyen d’assurer la prosp6rit6 g6n6rale. L’autonomie de la
volont6 se trouve donc A 8tre , la fois l’explication et la justification du contrat”‘0 .

L’6nonc6 meme de ces fondements les 6branle. On se rappellera que l’autonomie
de la volont6 <>’09. La doctrine ne
manque pas de critiquer am~rement ce principe de ‘autonomie de la volont6 et cer-
tains auteurs soulignent que la volont6 am6nage des rapports d’interd6pendance n6-
cessaire, mais ce, >
[italiques de l’original]” 0 . En outre, personne n’ose plus nier que 4[1]a libert6 sans
frein conduit

‘anarchie dans la production et la distribution des richesses>>

1 Hudsons Bay Co. c. Wise Brothers LD, [1983] C.A. 501 t lap. 505 [ci-apr~s Hudson’s Bay].
‘0’ Voir Journal des ddbats, supra note 41 A lap. sci-15 et sci-18. M. Wilbrod Gauthier qualifie la
lesion d’oune atteinte fatale A la libert6 contractuelle la plus 616mentaire>>, il y trouve meme le debut
d’dlirnination de ]a r~gle de droit.

2 Voir Journal des dibats, supra note 41 bL lap. sci-8.
0 Voir ibid. A lap. sci-81.
’04 Voir Mimoire du Barreau du Quibec sur I’avant-projet, supra note 54 A la p. xii. Voir aussi les
propos de M’ R. Nadeau dans Journal des dfbats, supra note 41 h lap. sci-260.
‘0 5Voir Journal des difbats, supra note 41 t lap. sci-292.
’06 Selon Starck, Roland et Boyer, supra note 2 aux n 6-8. Voir aussi Larroumet, supra note 2 au d

111 ; Marty et Raynaud, supra note 2 aux n’ 35-36.

’07 A. Fouillde, L’ide inoderne du droit en Allemagne, en Angleterre et en France, Paris, Hachette,

1878.

” Voir Marty et Raynaud, supra note 2 aux n ‘ 29-30.
’09 Voir Carbonnier, supra note 2 A la p. 46 et Larroumet, supra note 2 au n 117. Comme Larroumet
le fait remarquer : <(c'est une chose de consid6rer le contrat comme un acte juridique, en ce sens que la situation juridique cr6de par les parties au contrat suppose une manifestation de volont6 de leur part, et c'en est une autre d'admettre que la volont6 de chaque contractant ne doit subir aucune en- trave sinon la volont6 de 'autre partie au contrat*. Ibid. au n* 107. 110 Starck, Roland et Boyer, supra note 2 au n" 19. Voir aussi Marty et Raynaud, supra note 2 au d 38 h la p. 33. 1997] J. Bi-DARD - TH'ORIE DE L'IMPREVISION EN DROIT QUEBECOIS 779 [italiques de l'original]1 I. Enfin, sur le plan moral, 4l'6tude de la socidt6, l'6tude des transactions nous ont d~montr6 que les ides h la base de la prdsomption de justice dans l'autonomie de la volont6 n'dtaient pas tout fait rdalistes>>1 2.

Le 1gislateur a pris conscience de cela et a graduellement reconnu toutes les en-
torses que l’on connait 3 au principe de l’autonomie de la volont6″ 4 : <[p]ar 6tape, le 16gislateur adopte des rem~des pour sauver le consensualisme; il ajoute quelques poids dans l'un des plateaux de la balance afin d'en assurer 1'quilibre parfaibt>
. I,
semble cependant que, jhsqu’A pr6sent, le l~gislateur ait cherch6 A assurer la justice
contractuelle surtout au niveau de lafonnation du contrat plut6t qu’au niveau de son
execution

.

On affirme ainsi que la morale et le droit sont devenus <> 11 : >””.

En conclusion, nous nous rallions a l’opinion de Malaurie quant a la place d6sor-

mais accord~e A l’autonomie de la volont6:

.. Starck, Roland et Boyer, ibiL au n 22.
“‘ G. Massol, porte-parole de la Commission des services juridiques, Journal des dibats, supra
note 41 A lap. sci-91. Voir aussi Starck, Roland et Boyer, ibii. au n 21 : les contractants les plus fai-
bles sont obligs de vouloir ce que les plus forts sont libres de leur imposer [italiques de l’original].
. On notera plus particuli~rement l’article 2332 C.c.Q. (1040(c) C.c.B.-C.) concemant le prat
d’argent 16sionnaire, l’article 1609 C.c.Q. (1040(b) C.c.B.-C.) concemant les transactions obtenues en
relation avec un prejudice corporel ou moral et 1’article 8 LPC., supra note 52. Voir Martin,
R&eption de Ia th6orie de l’imprvision>, supra note 2 A la p. 609.

“‘Coipel saisit bien le ph6nom~ne:

nos d6mocraties occidentales […] ont refus6 de prendre le risque d’attendre en vain
l’av~nement de l’&ten lib6ral et n’ont pu tol&er les d6gats, les souffrances et les injus-
tices inflig6s A la soci~t6 et t certains citoyens moins favorises par le laisser-faire int6-
gral. Confront6s aux contradictions –
entre l’utile et le juste,
nos ttats ont d6velopp des politiques qui consistent non pas A abandonner les princi-
pes libraux mais A les am6nager, A les corriger.

au moins provisoires –

M. Coipel, > dans Ddveloppements rdcents en droit commercial (1992), Cowansville, Yvon Blais,
1992, 117 Atlap. 127.

11 M. Ouellette, L’6galit6 sous le Code civil : La r6alit6 et l’espoir dans Enjeux et valeurs d’un
Code civil moderne, Lesjourn6es Maximilien-Caron 1990, Montr6al, Th6mis, 1991, 13 aux pp. 19-
20. Voir aussi Moreau, supra note 76 A lap. 44. Voir aussi Guy, supra note 89 A lap. 463.

“6Voir Pineau, supra note 77 A lap. 439.
“1 B. McLachlin, Allocution inaugurale : Le droit et la moralit&l dans La morale et le droit des

affaires, Les Journies Maximilien-Caron 1993, Montreal, Tb6mis, 1994, 1 A lap. 5 : Selon moi, les
deux syst~mes de droit canadiens, c’est-A-dire le droit civil et la common law, s’6cartent de l’ancienne
vision qui place aux antipodes le droit et la moralit6 […. Il ne s’agit pas de choisir entre le droit et la
moralitd, mais plut6t entre des conceptions diff&entes de ]a moralitd qui devraient se refl6ter dans le
droit>. Voir aussi Carbonnier, supra note 2 au n’ 17.

“‘ Moreau, supra note 76 A la p. 46 et Stoffel-Munck, supra note 2 A la p. 54 et s.

MCGILL LAW JOURNAL/REVUE DE DROITDE MCGILL

[Vol. 42

on peut maintenir le principe, tout en soulignant son recul. Soit en relevant
qu’il comporte des exceptions, nombreuses et importantes. Soit en admettant
son caract&e fondamental, mais qu’il coexiste avec d’autres principes nou-
veaux, qui en sont ‘antinomie. Ce qui constituerait un pluralismejuridique, qui
est une des marques de notre 6poque [notes omises] “‘ 9.

c. Rdconciliation de I’autonomie de la volont6 avec I’impr6vision
Au lieu de concevoir la th~orie de l’impr6vision comme une entrave A la libert6
contractuelle, nous sommes d’avis que l’on peut l’entendre au contraire comme une
r~gle protectrice de la volont6 des parties 20 . Le concept de l’impr6vision ne contredit
pas 1’adage pacta sunt servanda car le lien de droit ne peut d6passer ce qui a W vou-
lu12t : les 6v6nements anormaux et impr6vus restent en dehors de la volont6 des con-
tractants. Par cons6quent, il se trouve que la volont6 des parties, <> [nos itali-
ques]

122

Cette vision suit le principefavor contractus:

[i]l s’agit, au fond, d’un principe selon lequel on doit, autant que possible,
prendre des mesures destin6es A favoriser la validit6 et l’ex6cution, bref la sur-
vivance, plut6t que la nullit6 ou 1’extinction, d’un contrat. […].
L’application
d’un tel principe semble parfois faire 6chec aux rfgles de logique juridique,
mais on y a recours, en introduisant un 616ment de souplesse”‘.

L’interpr6tation que fait le tribunal du prolongement pr6visible des obligations
contractuelles est cruciale. Ainsi, les tribunaux, dans le cas d’imposition de nouvelles
taxes, ont souvent interpr6t6 des contrats d’entreprise et ont jug6 que la survenance
d’un tel 6v6nement 6tait pr6visible au moment de la formation du contrat’24. La pr6vi-

“9 Malaurie et Ayn~s, supra note 2 au n 609. Voir aussi Carbonnier, supra note 2 au n 16 et Martin,
<(Wception de la thdorie de l'impr6vision>, supra note 2 A ]a p. 619 : <<[d]ans un monde ox les rela- tions commerciales se d6roulent A 1'chelle plandtaire et A ]a vitesse des transmissions dlectroniques et satellisdes, pacta sunt servanda parait statique et anachronique. Le jeu de mots est faible et presque involontaire>. Nous ne suivons cependant pas certains auteurs qui pr6nent l’abandon du principe de
l’autonomie de ]a volont6. Voir Coipel, supra note 114 A lap. 82.

20 Voir L. Baudouin, Le droit civil, supra note 2 A la p. 650, faisait cette remarque au sujet des con-
cepts d’erreur, de fraude et de violence auxquels le 16gislateur attache une attention toute sp~ciale :
<<[o]n a tendance A consid6rer les r~gles pos~es par les deux codes en ces mati~res comme des restric- tions au principe de la ibert6 contractuelle, mais il est plus juste d'y voir des r~gles protectrices de la volont, r~gles inspiries du ddsir d'emp~cherprcisiment une rupture d'dquilibre. Ce sont des rfgles de politique juridique particuli~rement saines mais d61icates A manier> [nos italiques].

32 Voir Demogue, supra note 2 t ]a p. 692.
“2Voirin, supra note 2 A lap. 64.
‘”Crpeau, Les Principes d’Unidroit et le Code civil du Quebec: valeurs partagees ?I supra note 19

aux pp. 7, 23 et 26.

124 Voir Marcel Charest et Fils Inc. c. Rivi~re-du-Loup (Ville de) (17 fMvrier 1993), Quebec 200-09-
000297-926, J.E. 93-443 (C.A.) et Construction G. Di Iorio Inc. c. Pointe-Claire (Ville de) (23 mars
1991), Montr6al 500-05-007974-916, J.E. 91-1527 (C.S.). Dans ces deux affaires, l’entrepreneur avait

1997]

J. B-DARD – THEORIE DE L’IMPREVISION EN DROIT QU-BECOIS

781

sibilit6 est jug6e de fagon objective et il semble que l’on se soucie peu des prvisions
r6elles ou subjectives des parties. Toutefois, dans Madden c. Demers 2,
la Cour
d’appel optant pour la pr6visibilit6 subjective, jugea que les parties ne pouvaient pr6-
voir l’impossibilit6 d’ex~cution du contrat de transport: la prmisse 6tant que le con-
trat ne comprend que les choses sur lesquelles il parait que les parties se sont propo-
sees de contracter”‘6.

Certains auteurs poussent encore plus loin l’argument de l’intention des parties.
Popescu pr&end que les parties, si elles avaient pr6vu un bouleversement de
l’6conomie du contrat, n’auraient pas contract6 : < [nos italiques]’ 27.

Cet argument se rapproche de celui de la technique, frdquemment invoqu~e au
soutien de la th6orie de l’impr6vision et qui appartient au droit international : la clause
implicite rebus sic stantibus’28. Les parties auraient implicitement subordonn6 leurs
engagements au maintien des conditions 6conomiques du temps de la conclusion du
contrat. Le succ~s de cet argument a vari6 au cours des ann6es, mais on remarquera
avec int6r& que l’interpr~tation de l’intention des parties est a la fois A la base de son
acceptation et de son rejet 129 dans la mesure oii les opposants h la technique soutien-
nent que <[]es contractants savent bien que les circonstances changeront. S'ils se lient A l'avance pour un temps assez long, c'est pour se pr~munir contre ces change- ments> 0. II nous semble que la <>. La Cour permet 1’exon6ration sur la base de la force
majeure alors que l’impossibilit6 n’est pas absolue. En fait, le jugement de la Cour repose sur une in-
terpr6tation tr~s stricte de la volont6 des parties. Voir Rousseau-Houle, supra note 2 A lap. 267.

2 Popescu, supra note 2 A lap. 61.
2 Voir Cr6peau, Les Principes d’Unidroit et le Code civil du Quebec: valeurs partagies ?, supra

note 19 k lap. 77.

29 Comme le soulignent tr s justement Malaurie et Aynks, supra note 2 au n 618, <(A une volont6 suppos~e, reconstitute, pr6sum6e, on peut faire dire une chose et son contraire>>. Flour et Aubert, su-
pra note 2 au n 416, se montrent encore plus d6sabus6s : <[1]a v&it6 est que les parties n'ont voulu ni le maintien, ni la r6vision du contrat, puisqu'elles n'ont pas envisag6 la situation - impr6visible, par hypoth~se - qui ferait naitre cette difficult6. On ne peut rien vouloir, dans un sens ou dans l'autre, quant aux cons6quences d'un 6v6nement que l'on ne pr6voit pas>> [italiques de l’original].

‘ Boh6mier, supra note 2 k lap. 82. Voir aussi Margo, supra note 2 A lap. 110. Malaurie et Aynks,
supra note 2 au n 618, ont une opinion plus mod&r e : <4[1]'analyse est artificielle ; le contrat est tou- jours une emprise sur l'avenir ; il est toujours, plus ou moins, al~atoire ; les contractants se lient pour l'avenir, parce qu'ils sp6culent sur lui >. Voir aussi Ripert et Boulanger, supra note 2 au n470.

782

7 MCGILL LAW JOURNAL/REVUEDEDROITDEMCGILL

[Vol. 42

consacr6es>>3 car manifestement, les parties n’ont pu vouloir augmenter a ce point les
difficult6s de 1’ex6cution mame du contrat, ces difficult~s 6tant impr6visibles.

La doctrine de l’impr6vision, seule, peut permettre de redonner au contrat sa si-
gnification, celle que les parties lui ont donn~e lors de sa conclusion. Nous partageons
‘opinion de Martin pour qui, [d]ans bien des cas, le contrat est 1’expression d’une
cooperation relle et sincere>>33. II appartient au l~gislateur de pr6server l’change r6-
sultant de cette coop6ration.

Quand bien mame certains ne pourraient accepter une telle reconciliation des
principes de l’autonomie de la volont6 et de 1’imprevision” 4, la d~marche A suivre
peut amener A admettre une nouvelle exception au dogme pacta sunt servanda.

2. De la s6curit6 des conventions

a. Description et importance

La n~cessit6 de s6curit6 dans les conventions, qui d~coulerait de ]a preservation
farouche du principe de ‘autonomie de la volont6, est l’argument le plus fr6quem-
ment invoqu6 A l’encontre de la th6orie de l’impr6vision 35. Cette s~curit6 des conven-
tions comporte deux aspects : l’orientation et la r6alisation” 6. En premier lieu, le con-
tractant doit savoir A quoi il est tenu et sur quoi il peut compter. En second lieu, le
contractant doit pouvoir r6aliser l’objet du contrat : <[u]n contractant qui connalt ses droits, mais qui ne peut pas contraindre son cocontractant A s'acquitter de ses obliga- tions, est un roi sans royaume>>’37.

II est certain que <[1]es incidences de la r6forme du droit des obligations sur les activit~s 6conomiques ou sur l'ensemble de la 16gislation peuvent atre fort importan- tes, mais elles sont, le plus souvent, indirectes>>38. L’une des consdquences de
l’ins~curit6 contractuelle engendr6e par une acceptation de la thorie de l’impr6vision

13 Flour et Aubert, supra note 2 au n’ 418. Voir aussi Demogue, supra note 2 au a 634 bis.
1 Voir L. Baudouin, Le droit civil, supra note 2 A lap. 729.
3
133 Martin, Rkeption de ]a th6orie de l’impr6vision>>, supra note 2 k la p. 622: 4[q]u’un commer-
gant soit avide de gain ne paralt pas contestable. Mais de 1 A ce qu’il souhaite que ‘avenir lui per-
mette d’exploiter son contractant, il y a un pas que le droit ne devrait pas franchir,.
‘ 3″4Voir Ghestin, supra note 2 A lap. 355, pour qui l’article 1134 Code civ. .

3′ Voir par exemple, J.-L. Baudouin, Theory of Imprevision)>, supra note 2 aux pp. 171-72 ; J.-L.
Baudouin, Les obligations, supra note 2 au nd 425 ; Pineau, Burman et Gaudet, supra note 2 au d
285. Voir plus g~n&alement, sur le r6le &conomique de la certitude, D. Picotte, Les m~canismes
d’encadrement judiciaire des relations commerciales contractuelles et extracontractuelles : 6volution
et tendances>> dans La morale et le droit des affaires, Les journjes Maximilien-Caron 1993, Montreal,
Th6mis, 1994, 387 A lap. 417. Voir aussi Marty et Raynaud, supra note 2 au n 25 1.

’36Voir Kortmann, supra note 17 A lap. 203.
11 Kortmann, ibiL A lap. 204.
‘ Mmoire au conseil des ministres, supra note 72 k lap. 62.

1997]

J. B-DARD – THEORIE DE L’IMPR-VISION EN DROIT QUEB-COIS

783

serait une augmentation sensible des litiges sounis aux tribunaux’39 avec leur cortege
de cofits sociaux’ 4. <>141 s’exclame
le Barreau du Quebec devant la possibilit6 figurant dans ‘avant-projet que la r6duc-
tion des obligations devienne un recours.

Nombreux sont ceux qui redoutent les r6actions en chalne et la ruine de la raison
d’8tre des oeuvres de pr6vision que sont les 6changes contractuels 42 : si les tribunaux
s’arrogent le pouvoir de r6viser les contrats, ils influenceront directement la conjonc-
ture 6conomique 43 et les entreprises se verront dans l’impossibilit6 d’6valuer leurs
comptes t recevoir144 : <. M. Caron, <1L'6galit sous le Code civil : L'incidence des Chartes> dans Enjeux et valeurs d’un Code civil moderne, Les journies
Maximilien-Caron 1991, Montr6al, Th6lmis
“‘Voir Mazeaud, supra note 2 au n 730.
“9 Voir J.-L. Baudouin, T’heory of Imprevision>, supra note 2 aux pp. 171-72 ; Terr6, supra note 2
lap. 691, qui explique:
au n* 445 ; Margo, supra note 2 aux pp. 111-12 et Demogue, supra note 2
[I]es tribunaux ont craint de favoriser la mauvaise foi et de dispenser le d6biteur d’efforts pour

lap. 30.

784

MCGILL LAW JOURNAL!REVUE DE DROIT DE MCGILL

[Vol. 42

dr6e par une intervention judiciaire provoque A son tour une intervention l6gislative
plus importante afin de contrecarrer les effets de l’instabilite econonque’0.

b. Confrontation avec la rdalitO

I1 est peut-&re trop facile d’invoquer le ph~nom~ne des rtactions en chalne pour
refuser la thaorie de l’impr6vision’51 . En effet, on semble oublier que, si la doctrine de
rimpr6vision n’est pas accepte, une r6action en chaine se produit 6galement du c6t6
du dtbiteur. Celui-ci, ruin6 par un seul contrat, ne pourra remplir ses engagements
contractuels vis-A-vis d’innombrables autres cr6anciers. II peut se trouver 6galement
que, dans des circonstances impr~visibles A un niveau regional, national ou interna-
tional, des centaines voire des milliers de d6biteurs soient ruin6s par un seul contrat
qui aurait simplement pu 8tre r6vis6
: l’argument de l’instabilit6 6conomique natio-
nale peut donc 6galement 8tre invoqu6 en faveur de l’acceptation de la th6orie de
l’impr6vision. Autrement dit, un excs de stabilit6 peut avoir un effet contraire A celui
qui est recherch6 si l’on a une vue d’ensemble des liens contractuels.

Les tribunaux administratifs frangais, qui n’6taient pas tenus d’appliquer les r6-
gles du Code civil ‘
, ont compris cela. ttant donn6 la n6cessit6 de continuit6 du ser-
vice public, les tribunaux ont cherch6 avant tout A le pr6server et se sont ex~cut6s par
le biais de la thorie de l’impr6vision’m. La Cour de cassation peut se montrer indiff6-

s’excuter. Leur timidit6 a eu pour but de maintenir l’honnet&>. Au niveau de ]a technique l6gisla-
five, une condition de non-imputabilit6 et d’absence de faute pourrait 8tre incluse. Voir, A ce sujet,
Ghestin, supra note 2 au n 300 ; Martin, Reception de la th~orie de l’imprdvisions), supra note 2 ht la
p. 628 et Onmeslaghe, supra note 4 t lap. 19.

,oVoir J.-L. Baudouin, , ibid A lap. 72.

.

‘. Rousseau-Houle, supra note 2 t la p. 263, distingue : si l’application de la thdorie de
l’impr~vision est favorisde en France par la dualit6 des juridictions, les tribunaux administratifs
n’6tant pas tenus d’appliquer les rigles du Code civil, il ne peut en aller de mme au Quebec oil les
march~s de ‘Administration sont soumis aux tribunaux civils>>. Voir aussi P. Garant, <(Les contrats des autoritEs publiques : 6volution r cente et approches nouvelles>> (1975) 35 R. du B. 275, plus particu-
lirement i la p. 321 : <([d]ans notre Droit, cette notion de pouvoir de modification unilat6rale des contrats relatifs au service public est en principe ignor6e. La rfgle de l'immutabilit6 contractuelle semblea> pr6valoir.

” Voir ]a c6libre affaire dite du Gaz de Bordeaux, S.1916.3.17. Pour des commentaires, voir Mar-
go, supra note 2 A lap. 129 et s. et plus particuitrement A lap. 131 : il convient de noter que le juge
administratif ne r6vise pas, t proprement parler, le contrat. II le laisse subsister tel qu’il avait 6t6 con-
clu, mais le contractant 16s6 ale droit d’exiger de radministration une certaine participation aux per-

1997]

J. BEDARD – THEORIE DE L’IMPR-VISION EN DROIT QUEBECOIS

785

la faillite d’une industrie priv6e ; le Conseil d’ltat, quant a lui, ne saurait se
rente
tout prix.5
d~sintdresser des services publics dont le fonctionnement doit etre assur6
et il a 6labor6 une jurisprudence respectueuse des deux intr&ts en conflit1 6.La diff6-
rence entre les jurisprudences civile et administrative, au niveau du r~sultat 6conomi-
que, est profonde57 .

On peut discuter du particularisme du droit administratif” : il existe des situa-
tions comparables en droit priv6″ 9 comme les contrats pass6es par les grandes entre-
prises industrielles pour la fourniture de leurs mati~res premires’ . Darts la sphere du
droit public, les tribunaux consid~rent que les parties n’ont pas des intr&ts antagonis-
tes. Ceux-ci doivent au contraire concourir A Ia r6alisation de l’int&rt g~ndral. Pour-
‘6 1 . De plus,
tant, <'antagonisme n'est pas le lot in6vitable des contrats de droit priv pourquoi est-ce que la faillite d'un d6biteur ne pr~senterait pas un int6ret d'ordre pu- blic 62, surtout lorsque l'on sait qu'une situation donn6e peut provoquer la faillite de nombreux d6biteurs ? En outre, ‘1’.

Une distinction tr~s importante doit ftre faite b ce stade. La crainte des opposants
de la th6orie de l’impr6vision serait justifi6e si le d6biteur devait systdmatiquement
8tre compltement exon6r6 par les tribunaux. Or, le juge qu6b6cois pourrait disposer
justement d’autres moyens, a savoir, la modification du contrat et le pouvoir
d’imposer la ren6gociation du contrat afrn que celui-ci retrouve son &tuilibre’64.

tes qu’il subit dans son exploitation . Ghestin, supra note 2 au n 283 ajoute que lejuge administratif
invite d’abord les parties A ren6gocier les termes du contrat et que c’est a dffaut d’accord qu’il fixe
une indemnit6. Voir aussi Mazeaud, supra note 2 au n 735.

.. Comme Margo, ibU a la p. 114, I’explique : [lIe particulier qui traite avec elle
[…] Or, si par suite
[l’Administration] assume des obligations particulirement rigoureuses.
d’6v6nements imprdvus, le particulier ne peut ex6cuter le contrat qu’en se ruinant, il est a craindre que
cette ruine se traduise par une interruption de service, ce qui serait nuisible a la collectivit6>.

lap. 11.

116 Voir Voirin, supra note 2
.. Voir Flour et Aubert, supra note 2 au n 415.
,’ Voir Ia discussion de Popescu, supra note 2 b lap. 105 et s. ; Larroumet, supra note 2 au n 423.
“9 Voir Malaurie et Ayn~s, supra note 2 au n 616.
6 0 Exemple donn6 par Carbonnier, supra note 2 au n 149.
161 Stoffel-Munck, supra note 2 au ad 13.
1 Voir Starck, Roland et Boyer, supra note 2 aux d’ 1225-26.
6
63 Voir Stoffel- Munck, supra note 2 au n 15.
1
‘ Voir par exemple, le par. 6.2.3 des Principes d’Unidroit, supra note 20:

1) En cas de hardship, la partie l6s~e peut demander l’ouverture de ren6gociations. La
demande doit 8tre faite sans retard indu et etre motiv6e.
2) La demande ne donne pas par elle-m8me A la partie 16s6e le droit de suspendre
l’ex6cution de ses obligations.
3) Faute d’accord entre les parties dans un d6lai raisonnable, ‘une ou l’autre peut saisir
le tribunal.
4) Le tribunal qui conclut b 1’existence d’un cas de hardship peut, s’il l’estime raison-
nable:

MCGILL LAW JOURNAL! REVUE DE DROITDE MCGILL

[Vol. 42

I nous semble que Flour et Aubert ont identifi6 la confusion fondamentale dans

la comprehension du ph6nom6ne de l’impr~vision:

Une grave &6uivoque doit etre, en effet, dissipe. Ce qui cr~e l’ins~curit6, c’est
le bouleversement des conditions &6onomiques, sp~ialement ]a hausse vertigi-
neuse des prix. Ce fait une fois acquis, on n’y rem&lie pas par l’intangibilitj du
contrat dans une instabiliti gnerale. Un r6ajustement a plus de chances de
contribuer au r~tablissement de la sdcurit6, en cr~ant les conditions d’un nouvel
&quilibre [note omise ; italiques de l’original]’ .

L’application de la th6orie de l’impr6vision n’est donc pas la premi~re cause
d’instabilit6 6conomique : celle-ci existe factuellement avant de recevoir un traitement
juridique.

On remarquera que cette pr6occupation du juriste pour les cons6quences 6cono-
miques du droit’66 n’appartient pas davantage au droit civil qu’elle appartient t la
common law’6 . Elle r~sulte de 1’exp6rience v6cue de chaque pays ‘6 : <41]a th6orie de l'impr6vision ne pr6sente gu~re d'int6rgt en p6riode de stabilit6 6conomique et politi- que; aussi pourrait-on penser qu'elle serait aujourd'hui d'une extreme utilit6> 69.

Le contexte 6conomique actuel est bien 6loign6 de celui qui a pr6sid6 A la cons6-
cration de l’immutabilit6 des conventions du XIXC sibcle, dans la mesure o
l’instabilit6 6conomique et technologique s’est install6e dans la duroe’ . On remarque-

a) mettre fin au contrat A ]a date et aux conditions qu’il fixe ; ou
adapter le contrat en vue de rtablir l’6quilibre des prestations.
b)

Voir, sur les sanctions possibles de l’impr6vision, Carbonnier, supra note 2 au n 150 ; Demogue, su-
pra note 2 au n’ 640 ; Ghestin, supra note 2 A lap. 331 et s. ; Voirin, supra note 2 A lap. 196 et s. ;
Margo, supra note 2 A la p. 131 ; Martin, , supra note 2 ,A la
p. 631 ; Houde et Dicko, supra note 2 A lap. 144.
‘ Flour et Aubert, supra note 2 au n7 418.
‘ Selon Coipel, supra note 114 A lap. 84, A notre 6poque : 4[1]’approche 6conomique du droit des
contrats est rigoureusement incontournable>.

167

[Lie drit des obligations s’appuie sur un ensemble de principes, expression juridique
d’un systame de valeurs ; A la fois incarnation et reflet d’un ordre social, moral et
6conomique, il traduit une forme de civilisation. Ace niveau, les politiques juridiques
qui sous-tendent une rfgle de droit ne sont pas intimement lies At une tradition ju-
ridique particuli~re : elles ne sont ni droit civil ni de common law ; elles n’expriment
que la conception que se font, sur un mode de comportement et At un moment donn6,
les membres d’une soci~t6 civile.

Cr~peau, Theorie ginirale, supra note I A la p. 23. On peut donc dire que les propos de M. le juge La
Forest, exprim~s dans une d6cision de common law, prennent ici toute leur importance : <[c]ertainty in commercial law is, no doubt, an important value, but it is not the only value>. Lac Minerals Ltd. c.
International Corona Resources Ltd, [1989] 2 R.C.S. 574 A lap. 666, 61 D.L.R. (4′) 14.

” J.-L. Baudouin, , supra note 2 A lap. 155, qui fait aussi cette remarque:
4t]here is very little, if any concern at all for revision or impr6vision, in a given country when its cur-
rency is sound and prices stabilized. On the contrary, revision will play an important role where infla-
tion and increases in the cost of living affect the stability of long term contractual obligations .

‘Pineau, Burman et Gaudet, supra note 2 au n 285.
’70Voir Stoffel-Munck, supra note 2 au n 16.

1997]

J. BEDARD – THEORIE DE L’IMPREVISION EN DROIT QUEBECOIS

787

1741

173

l’Italie

, la Pologne

, le Portugual 76, l’Espagne

1, l’Egypte O, la Tunisie “, le Maroc

ra avec int~r& que 1M oti l’instabilit6 6conomique a frapp6, loge souvent une accepta-
la
tion 16gislative ou conventionnelle de l’impr6vision. L’Allemagne
la
Hongrie
, le Br6sil ‘ et l’Argentine ‘ 84, pays de
Suisse 7
droit civil85, reconnaissent la th6orie de l’impr6vision dans des formes passablement
semblables. Oai est le gouffre 6conomique dans lequel l’Allemagne aurait dfi tomber
pour avoir adopt6 la th6orie de l’impr6vision ? L’Allemagne a souffert deux conflits
mondiaux qui ont entrain6 des cons6quences catastrophiques sur sa monnaie et son
6conomie en g6n6ral. Peut-etre que si le Qu6bec connaissait une situation aussi diffi-
cile, le 16gislateur se verrait dans l’obligation de reconnaltre les vertus de la th6orie de
l’impr6vision.

, l’Autriche,
1
, les Pays-Bas’,

177

l’esprit qu’

Les juristes doivent 6galement garder

‘heure des grands march6s
6conomiques, tels que I’ALtNA et l’Union europ6enne, une certaine harmonisation
s’impose naturellement >”‘. Le l6gislateur qu6b6cois doit 8tre con-
scient 6galement qu’il existe un v6dritable march6 16gislatif’
: les parties ont le choix
leur relation contractuelle. Le manque de flexibilit6 du syst~me
de la loi applicable
qu6b~cois, dfI A une peur injustifi~e et irraisonn6e de la menace de l’ins6curt6 des
transactions, pourrait justement priver 1’6conomie qu6b6coise de certains foyers con-
tractuels int6ressants ’88.

171 Voir J.-L. Baudouin, <, supra note 2 aux pp. 155-57 ; Kortmann, supra
la p. 210 ; Margo, supra note 2 A lap. 194 et s. ; Demogue, supra note 2 au n 649 ; Ghestin,

note 17
supra note 2 A la p. 361 et Popescu, supra note 2 A lap. 171 et s.

” Voir Demogue, ibid. au n 645 et Margo, ibid. A lap. 201.
‘7 Voir Margo, ibid
,74 Voir ibid. lap. 202.
,75Voir Margo, ibid. A lap. 191 et s. ; Demogue, supra note 2 au n 646 ; Ghestin, supra note 2 A la
,16 Voir Demogue, ibid au n 647.
“Voir ibid au n 648.
’78Voir Kortmann, supra note 17 bt lap. 211 et Ghestin, supra note 2 lap. 364.
“9Voir J.-L. Baudouin, , supra note 2 aux pp. 155-57 ; Margo, supra note

p. 363 ; Popescu, supra note 2 lap. 157 et s.

2 A lap. 199 et s. ; Demogue, supra note 2 au n 650 et s. et Ghestin, supra note 2 t lap. 362.

, Voir Ghestin, ibid. lap. 364.
V Voir Demogue, ibid au n 651.

,nVoir ibid
InVoir ibid. au n7 652.
” Voir ibid. au n 653.
“>Voir Ghestin, supra note 2 L lap. 363. La Grande-Bretagne reconnaft 6galement lafrustration du

contrat. Voir Margo, supra note 2 A lap. 203.

‘,Ghestin, ibid. au n 317 et voir Stoffel-Munck, supra note 2 au n 17.
‘8 C’est notanment pour r6pondre aux besoins de ce march6 16gislatif que d’dminents juristes ont
form6 Unidroit et se sont pench6s sur la formulation des Principes d’Unidroit, supra note 20, qui, on
se rappellera, consacrent la thorie de l’impr6vision 4 l’article 6.2.

‘” Rien n’empche d’avoir une r~gle claire consacrant ]a th6orie de l’impr6vision :

1 ‘aube ou au
pas du libre-6change, il demeure que nos fronti~res sont de moins en moins rebelles et, donc, comme

. MCGILL LAWJOURNAL/REVUEDEDROITDEMCGILL

[Vol. 42

Ommeslaghe recense les conventions dans lesquelles figurent g6nralement des
clauses de hardship>> 1’89 : les contrats de livraison conclus pour une dur6e d6terminee
ou destin6s A produire leurs effets apr~s un certain temps et, notammment, les contrats
portant sur le p6trole, la gaz naturel, l’acier ou autres produits m6tallurgiques, le coke,
le charbon, des minerais, des produits agricoles ; les contrats tendant
la construction
de grands ensembles industriels, miniers, agricoles ou immobiliers et particulirement
les contrats dits cl6s sur porte>> ; les contrats de travaux publics et priv6s ; les con-
trats d’assistance technique, d’ing6nierie et de savoir-faire ; les contrats de licences de
brevets, marques, droits de propri&t6 intellectuelle et industrielle ; les contrats de ges-
tion pour compte d’autrui portant notanment sur des mines, des entreprises industriel-
les ou agricoles ; les contrats de concession d’exploitation ; les contrats de commer-
cialisation (d’une production agricole ou minire par exemple) ; les contrats d’agence
de distribution, de concession de vente ; les contrats de transport
long terme et parti-
culirement de transport maritime ; les contrats de travail
long terme ; et enfin, les
contrats 6tablis par plusieurs entreprises en vue d’une activit6 conjointe pendant un
certain temps dans le domaine de la recherche, de la commercialisation, de
l’exploitation, de la recherche mini~re. Ommeslaghe cite encore d’autres conventions
mais celles-ci pourraient m6riter un regime particulier : les conventions d’emprunts
interationaux et les conventions relatives aux investissements 6trangers dans un pays
d~termin6 .

L’impr6vision est reconnue de fagon conventionnelle dans les transactions inter-
nationales”‘, l’introduction d’une clause dite de (hardship>> 6tant devenue pratique
courante car n6cessaire : une multitude d’6v6nements peuvent perturber le d6roule-
ment d’une transaction internationale, la pr6vention et la r6partition des risques revet
donc une importance primordiale pour les parties au contrat. Les praticiens ont d6ve-
lopp6 la clause de hardship pour r6pondre h leur besoin de stabilit6 : la clause
d’impr6vision est d’ailleurs souvent appelde clause de sauvegarde>> ‘. Resultant de
la volont6 des parties1 93, la validit6 de ces clauses ne devrait pas 8tre remise en

socit6 nous nous ouvrons davantage a ce qui se passe h l’ext6rieur d’o
l’utilit6 d’avoir des r~gles du
jeu claires pour toute personne qui veut vivre ou faire affaire au Qu6bec>. M. Claude Filion, porte-
parole de l’opposition, Journal des dibats, supra note 41 A la p. sci-271.

“9 Cette expression ne semble pas avoir reru de traduction en frangais, mise A part l’expression
moins color6e de clause d’impr6vision>. Ghestin, supra note 2 au n 286. Hardshipo signifie
<6preuve)> : <[l]'exdcution du contrat devient "6prouvante" pour l'une des parties . Malaurie et Ay- n s, supra note 2 au n 620. '9 Ommeslaghe, supra note 4 aux pp. 8-9. '9' Nous sommes d'avis que la th6orie de l'impr~vision a sa place tant dans les transactions intema- tionales que nationales et locales. II se trouve seulement que les 6changes internationaux, de par leur nature, comportent des contingences plus nombreuses. lap. 221. "' Voir Karim, supra note 16 '9 I1 est heureux que notre lib~ralisme juridique autorise les contractants h se servir A loisir des m canismes susceptibles de preserver l'd-quilibre des consid&ations>. J.-R. Garon et J.-C. Royer,
< (1972) 50 R. du B. can. 389 A lap. 419.

1997]

J. B-DARD – THEORIE DE L’IMPREVlSlON EN DROIT QUEBECOIS

789

cause’94. L’inconv~nient de ces clauses reside dans leur imprecision’ g et leur diversi-
t6: cette pratique appelle donc justement une intervention l6gislative et le d6veloppe-
ment subs6quent d’une jurisprudence dont l’interpr6tation procurera aux parties la
certitude et le support n6cessaires.

Le 16gislateur qu6b6cois doit faire preuve de r6alisme juridique et, pourtant, il re-
fuse la th6orie de rimpr6vision : <<[c]'est pousser loin le conservatisme lib6ral que de fermer les yeux sur les r6alits mon6taires>>’ 9. I1 faut 6viter de se perdre dans des abs-
tractions’ 97 et chercher aveugl6ment a prot6ger’98 certains principes qui n’ont plus leur
raison d’8tre dans un certain contexte’ 99.

Si l’on consid~re que le contrat est une source de pr6vision ou une emprise sur
l’avenir,
la s6curit6 des transactions ne peut qu’6tre au service du maintien de ces
pr6visions>>2 ‘. La stabilit6 des contrats est alors assur6e par leur adaptation. Demogue
d6crit bien la conception du contrat qui devrait pr6valoir notre 6poque : <<[e]n face des circonstances nouvelles, il faut le r6p6ter : le contrat qui est une chose vivante ne peut 6tre absolument rigide. Vivre, c'est se transformer en restant dans une certaine direction g6n6rale. La r6vision du contrat s'impose done>> [note omise]20′. Le respect
absolu du contrat est contraire h son r6le 6conomique.

Bref, la flexibilit6 peut 8tre une politique juridique si l’on consid~re qu’il est n6-
faste qu’une personne soit tenue A des engagements devenus excessivement on6reux
ou qu’une personne soit cr6anci~re d’une obligation devenue sans valeur aucune .
L’enjeu est certainement la s6curit6 des conventions, mais nous estimons que la sta-

” Les clauses de hardship>> sont mises A l’cart dans les r6gimes oai les dispositions 16gislatives
sur l’impr6vision sont imperatives, comme c’est le cas en droit alg6rien et comme le pr6voyait le se-
cond alin~a de 1’article 73 du Rapport du Comitg du droit des obligations de I’O.R.C.C., supra note
42 t lap. 116. Voir Houde et Dicko, supra note 2 A lap. 146 ; Carbonnier, supra note 2 au n 152 et
Colin et Capitant, supra note 2 au n 867.
” Voir Ghestin, supra note 2 au n 286.
‘”6 Tancelin, supra note 2 au n 245. Comme le rappelle Martin, , supra note 2
la p. 602: 1]’inflation et la fluctuation mon6taire ne repr6sentent plus
de simples incidents de parcours. Elles sont d6sormais institutionnalis6es et constituent des leviers
6conomiques. Mais, surtout, elles ne sont qu’une partie des sources de l’instabiit6 contractuelle>.

,’ Comme Cr6peau le souligne dans Thiorie ginirale, supra note 1 : <<[o]n doit [...] 6viter de se perdre dans les abstractions et s'assurer que, dans le respect d'un syst~me juridique, les d6ductions logiques proposent des solutions r~alistes et raisonnables>.

, 99L’attachement de la Cour de cassation t radage pacta sunt servanda parait bien conceptuel lors-
que ‘on constate l’imposante minorit6 des d6cisions des tribunaux inf6ieurs, plus proches des justi-
ciables, qui ont eu tendance, en France, A accepter la th~orie de l’impr6vision. Voir Voirin, supra note
2 hla p. 31.

‘” Coipel, supra note 114 bt lap. 98, dit des obligations : <<[c]ette belle mati~re met en 6vidence de fagon .clatante que le droit est I'art de concilier l'esprit de g6omtrie et l'esprit de finesse ; dejongler avec les concepts abstraits en restant attentif aux r&lit6s vivantes ; de chercher A titons, en une quete jamais aboutie, les solutions &tuilibres et raisonnables>.

“0 Stoffel-Munck, supra note 2 au n 63.
201 Demogue, supra note 2 A la p. 697.
202 4[L]es arguments fond6s sur l’efficacit6 6conomique peuvent eux-m~mes &re pergus comme

dot6s d’un caract&e moral . McLachlin, supra note 117 A lap. 10.

790

MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROITDE MCGILL

[Vol. 42

bilit6 passe par la flexibilit6 et non pas par la rigidit6. Les briques de l’difice contrac-
tuel doivent pouvoir absorber les tremblements caus6s par les 6v6nements impr6vus
03
sous peine de voir toute la construction s’ecrouler’

.

.

..

.

3. De la judiciarisation des contrats : des choix I6gislatifs certains

malgr6 des dangers pr6sum6s

a. Dangers

La flexibilit6 du contrat passe par une certaine intervention judiciaire. Or, nom-
breux sont ceux qui invoquent l’incomp6tence des magistrats pour r6gler les cons6-
quences d’une acceptation de la thorie de l’impr6vision : le juge ne serait pas en
position d’6valuer les consdquences de sa decision sur l’6conomie nationale0 4. Seul le
16gislateur serait de taille t pouvoir prendre de telles responsabilits 2 5.

On doit cependant garder A l’esprit que seule une absence d’expression de volont6
de la part des parties pourra donner lieu h une intervention judiciaire : si les parties ont
d’ores et d6jA stipul6 la fagon dont leur relation contractuelle devrait r6agir” A cer-
tains changements de circonstances2 , leur volont6 doit 6tre respectde.

Certains craignent aussi qu’en judiciarisant les rapports contractuels, on se rap-
proche dangereusement de l’approche de common law et que le droit civil qu6b~cois
s’en trouve ainsi ddnatur6208 . L’V<4nflation judiciaire>> inqui~te 6galement lorsque ]a
comparaison du nombre d’avocats dans les pays de common law et les pays de droit
civil est faite2″, sans compter que le recours aux tribunaux est tr~s in6gal2″O.

On reproche 6galement aux tribunaux d’utiliser leurs pouvoirs comme des outils
pour atteindre leurs vis6es : [a]insi le droit du contrat […] n’aurait pas de significa-

203 Tancelin, supra note 2 au n 245, note judicieusement : . On se rappellera dgalement que chaque nouvelle intervention 16gislative engendre une
certaine instabilit6 : [i]l y a uniquement l’6norme statu quo qui empeche l’incertitude>>, C. Filion,
porte-parole de l’opposition, Journal des dibats, supra note 41 A la p. sci-271.
204 Voir Terre, supra note 2 au nd 445.

Voir Marty et Raynaud, supra note 2 au n 251 ; Malaurie et Ayn~s, supra note 2 au n 619 et Pi-

neau, Burman et Gaudet, supra note 2 au n 285.

2
1 Voir Houde et Dicko, supra note 2 A la p. 146 et s. ; Moisan, supra note 6 ; Martin, La pr6ven-
tion contractuelle des litiges >, supra note 4 ; A. Prujiner, supra note 6. Voir plus g6n6ralement, Terr6,
supra note 2 au n 447 et s. ; Malaurie et Ayn s, ibid. au n 620 et Ghestin, supra note 2 au n 285 et s.
207 Ommeslaghe, supra note 4 aux pp. 8-9, recense les conventions dans lesquelles figurent g6ndra-

lement des clauses de hardship>. Voir supra note 189 et texte correspondant.

‘ Voir Jean Lambert, porte-parole de la Chambre des notaires, Journal des ddbats, supra note 41 A

la p. sci-290.

2″ La Chambre des notaires dnonce des chiffres impressionnants. Les ttats-unis compteraient un
avocat pour 320 personnes, le Canada un pour 433, l’Europe un pour 2300, le Japon un pour 10300.
Journal des dbats, supra note 41 t la p. sci-291 : [l]e cofit social de ce juridisme d6brid6 est
6nonne>,.

“‘ D’aprs ]a Chambre des notaires, Journal des dbats, ibid. A la p. sci-292, seuls 20% des citoyens

auraient acc;s au syst~mejudiciaire.

1997]

J. BEDARD – THEORIE DE L’IMPRE VISION EN DROIT QUEB-COIS

791

tion d~termin6e. Ii serait plut6t question de coquilles vides
l’intrieur desquelles le
juge insrerait la signification qui lui convien> 2 I. M~me si d’autres seraient pr~ts A
faire confiance A la magistrature, ils soulignent le coflt de cette confiance, soit une di-
vergence des d6cisions donnant lieu h une certaine incertitude 2 2 qui menacerait la s6-
curit6 des transactions1 3.

b. Un choix 16gislatif certain favorisant la judiciarisation des

contrats’ 4

Nombreux sont ceux qui soutiennent que lajudiciarisation est in.vitable 2, mme
si la force obligatoire du contrat exclut en principe toute intervention judiciaire216,
compte tenu de la n6cessit6 de recourir aux tribunaux pour corriger des iniquit6s gra-
ves et d6terminer 1’existence ou la port6e d’un droit. D’ailleurs, le gouvemement et le
l6gislateur font confiance aux tribunaux

217

Le l6gislateur a accord6 de grandes responsabilit6s aux tribunaux 28. Dans le
Code civil du Quibec, le tribunal peut beaucoup de choses. La cr6ation judiciaire
en mati~re contractuelle n’est plus un mythe 21 9 : << According to traditional civil law principles the role of the courts should be limited to the interpretation of the Code and statutes. [...] The truth, however, is different. Often civilian courts will go beyond mere interpretation and do in fact create law>>220. L’av~nement le plus
remarquable est certainement celui des obligations contractuelles implicites 2
. Le
mandat contractuel judiciaire est 6galement sans equivoquem dans le cas des

211 P. Legrand fils, (1991) 22 R.D.U.S. 109

lap. 147.

21 Voir J.-L. Baudouin, <>, supra note 2 aux pp. 171-72.
21 Voir Picotte, supra note 135 A lap. 417.
214Voir Guy, supra note 89 A lap. 470.
215 ([IIl est vrai que l’61argissement de la discrdtion judiciaire est un fait nouveau par rapport au
droit civil tel qu’il existait en 1866>>, J.-L. Baudouin, <(Conf6rence de cl6ture>, supra note 76 A la p.
226.
216 Voir R Ciotola, , supra note 2 aux pp. 618-19.
, Haanappel, supra note 88 a lap. 394.
2′ Voir article 1024 C.c.B.-C. et 1434 C.c.Q.
” Voir P-G. Jobin, dans Milanges Germain

Briare, Montrdal, Wilson et Lafleur, 1993, 399 A lap. 400.

792

MCGILL LAW JOURNAL! REVUE DE DROITDE MCGILL

[Vol. 42

clauses abusives223 et p6nales 224, des clauses restrictives de concurrence 2
‘ et de la reduction des obligations 227.
avis d’ex~cution par le cr6ancier2 2

25, du pr6-

I faut souligner que les tribunaux ont plus souvent qu’autrement fait preuve de
retenue dans l’exercice des pouvoirs qui leur 6taient conf6r6s pour la r6vision d’un
contrat. On n’a pu constater d’abus en mati~re de droit de la consommation concer-
nant les dispositions tr~s larges reconnaissant la 16sion 228.Si les juges b6n6ficient
,,
d’une certaine libert6, celle-ci ne tombe certainement pas dans I’arbitraire

229
.

La crainte de voir planer un degr6 d’incertitude est 16gitime, mais le flottement ne
sera que t.emporaire et les doutes s’estomperont lorsque les tribunaux auront fix6 les
balises de leur discr6tion, ce qui ne saurait tarder. Si la th6orie de l’impr6vision de-
vait 8tre accept6e, les tribunaux pourraient de plus compter sur les parties qui sauront
faire valoir leurs int6rts et guider le juge sur la r6vision de leurs obligations. En ou-
tre, en aucun cas, le contractant victime de sa propre turpitude ne pourra compter sur
la sympathiejudiciaire2’.

tm3Voir articles 1437, 1901 et 2641 C.c.Q.
2
‘ Voir articles 1623 et 1901 C.c.Q.
SVoir article 2089 C.c.Q.
226 Voir les articles 2758, 2761, 2762 et 2781 C.c.Q. Voir aussi l’article 2332 C.c.Q., les articles
1168, 1169, 1204 C.c.Q., l’article 1512 C.c.Q., les articles 1743 et 2778 C.c.Q. ainsi que les articles
1749, 2748 et 2778 C.c.Q.

‘2’ Voir les articles 1407, 2332, 1953 et 1408 C.c.Q. et plus particulirement les articles 1590 et
1604 C.c.Q., d’application universelle, qui pr6voient la r&luction des obligations cons6quemment a
toute faute contractuelle.

28 G. R6millard fait cette remarque dans le Mdmoire au conseil des ministres, supra note 72 A la p.
18. Voir dgalement les propos de ]a Commission des services juridiques, Journal des ddbats, supra
note 41 aux pp. 106 et 269 ; Ciotola, supra note 216 A lap. 198. Contra : D. Burman, Le d~clin de Ia
libert6 au nom de l’dgalit& dans Enjeux et valeurs d’un Code civil moderne, Les journies Maxinm-
lien-Caron 1990, Montr6al, Th6mis, 1991, 55 aux pp. 61-62.

Voir Rousseau-Houle, supranote 218 lap. 31. Coipel, supra note 114 A lap. 91, se declare meme

pr& A prendre le pan suivant :

un Code civil modeme qui se serait montr6 frileux dans ]a protection du contractant le
plus faible serait interpr6t6 extensivement par la jurisprudence ; A l’inverse, un Code
qui aurait pouss6 trs loin les exigences de la justice contractuelle serait interpr6t6 res-
trictivement.
Les 16gislateurs passent! Les juges, eux, continuent imperturbablement, parfois timo-
r6s, parfois excessifs, proc&Iant par essais et erreurs, A rechercher les solutions 6quili-
bries et raisonnables.

Comme le note J.-L. Baudouin, >, supra note 76 h ]a p. 227: *Rappelons-
nous […] l’exemple de la prestation compensatoire ou de ]a somme globale. I1 n’a quand meme pas
fallu un quart de sidle pour que la jurisprudence parvienne d6gager les crit&es applicables et A at-
teindre ainsi un certain degr6 de certitude et de pr6visibilit6 raisonnable des r6sultats>.

‘3’ Voir Ciotola, supra note 216 A lap. 198.

1997]

J. BEDARD – THEORIE DE L’IMPREVISION EN DROIT QUEB-COIS

793

Finalement, il faut souligner que ‘intervention des tribunaux pourrait seulement
suppl6er A l’impossibilit6 pour les parties de n6gocier le nouvel am6nagement du
contrat

23

.

4. De

la

reconnaissance ponctuelle de

I’impr6vision par

les

Igislateurs qu6b6cois et frangais

Avant d’aborder les cas de reconnaissance de l’impr~vision, il faut savoir qu’il
existe des cas oti le 16gislateur se refuse express6ment ii reconnaltre tout impact A la
survenance d’une circonstance impr6vue. I1 s’agit du pr6judice subi par un mineur,
partie un contrat, qui r6sulte d’un 6v6nement casuel et impr6vu : le mineur ne peut
exercer raction en nullit6 ou en r6duction de ses obligations (art. 164 C.c.Q.)2 33. De
mame, le d6biteur d’une somme d’argent est lib6r6 par la remise au cr6ancier de la
somme nominale pr6vue, en monnaie ayant cours 16gal lors du paiement (art. 1564
C.c.Q.).

En droit de la consommation, le juge peut etre appel6, jusqu’ un certain pointe,
A tenir compte de circonstances impr6vues modifiant l’6quilibre contractuel par le jeu
des articles 107, 117 et 144 de la Loi sur la protection du consommateur”, concemant
l’obligation de paiement dans le cadre du contrat de crddit.

Grace a certaines dispositions du Code civil du Quibec, le juge devra faire un
exercice semblable d’6valuation des charges contractuelles. En vertu de l’article 1834
C.c.Q., en mati~re de donation, <<[i]a charge, qui, en raison de circonstances imprevi- sibles lors de l'acceptation de la donation, devient impossible ou trop ongreuse pour le donataire, peut 8tre modifi6e on revoquee par le tribunal, compte tenu de la valeur de la donation, de 1'intention du donatefir et des circonstances>> [nos italiques] 2 6.

En outre, en vertu de ‘article 1294 C.c.Q., >, le juge pourra mettre fin A la fiducie ou lui substituer un autre
but (dans le cas d’une fiducie d’utilit6 sociale).

22 Principes d’Unidroit, supra note 20, l’alin~a 6.2.3(3) prdvoit:

[f]aute d’accord entre les parties
dans un d6lai raisonnable, l’une ou l’autre peut saisir le tdbunal>. Voir aussi, Cr6peau, Les Principes
d’Unidroit et le Code civil du Qu6bec: valeurs partagifes?, supra note 19

lap. 83.

2″ La solution 6tait tout a fait diff~rente en vertu de l’article 322 C.c.B.-C. qui permettait ]a rduc-
tion des obligations <> : les iribunaux devaient aussi prendre en consid6ration la for-
tune du mineur>. Voir Pineau , Bunnan et Gaudet, supra note 2 au n’ 285. Voir ‘article 1004 C.c.B.-
C. qui &lictait que le mineur <>.

Voir L-L. Baudouin, Les obligations, supra note 2 au n 425.

2 Supra note 52.
” On retrouve une disposition presque identique en mati~re testamentaire ai l’article 771 C.c.Q.

794

McGILL LAW JOURNAL/REVUE DEDROITDE MCGILL

[Vol. 42

La th6orie de l’impr6vision n’a done pas 6t6 retenue sur le plan des principes dans
le nouveau Code. Le 16gislateur qu6b6cois a cependant clairement 6prouv6 le besoin
de pr6voir certaines applications exceptionnelles de la doctrine de l’impr6vision”‘ .

En France, les interventions 16gislatives consacrant l’impr6vision ont 6t6 fort
nombreuses aprs la seconde guerre mondiale : elles ont ports principalement sur les
baux d’habitation ruraux et commerciaux, la propri6t6 litt&aire et artistique, les rentes
viag~res, les donations, le besoin urgent de la chose pr~t6e A usage et le droit de r6-
clamer A tout moment la chose d6pos6e. Les interventions l6gislatives visaient tant6t
la dur6e du contrat, tant6t les montants des prestations 38.

La question qui se pose est la suivante : une intervention l6gislative ponctuelle
suffit-elle ? Beaucoup pensent que seules des dispositions pr6cises et temporaires sont
appropri6ese 9. La raison souvent donn6e est que la thorie <>
ciales, on 6branle l’unit6 du droit civil qu6b6cois et sa coh&ence.

240

ti

On peut aussi avancer que la question de l’impr6vision appartient A toutes les
dpoques et qu’elle est mise en 6vidence par la survenance de divers 6v6nements ext6-
rieurs. En consacrant la th6orie de l’impr6vision dans le Code civil, on pourrait empe-
cher des <>24 . Ce genre de
pr6occupation n’est pas 6tranger au l6gislateur qu6b6cois, qui semble avoir adopt6
l’article 1294 C.c.Q. afin d’6viter une proc6dure longue et cofiteuse d’adoption de lois
d’interet pnve242.

En fait, des solutions 16gislatives ponctuelles ne peuvent r6gler que les probl~mes
impr6vues touchant un grand nombre de contractants,

r6sultant de circonstances

=7Voir Pineau, Burman et Gaudet, supra note 2 au n 285.

Voir, pour une description pr6cise : Ghestin, supra note 2 au n 270 et s. ; Demogue, supra note 2
au n 634 bis et s. ; Marty et Raynaud, supra note 2 au n 251 et s. ; Starck, Roland et Boyer, supra
note 2 au n 1236 et s. ; Carbonnier, supra note 2 au n 144 ; Mazeaud, supra note 2 au n 737 ; Terr6,
supra note 2 aux n’ 442-43 ; Margo, supra note 2 A la p. 148 et s. ; Stoffel-Munck, supra note 2 a la
p. 29 et s. et Voirin, supra note 2 A la p. 29 et s.

2″ Voir Pineau, Burman et Gaudet, supra note 2 au n 285 ; J.-L. Baudouin, Les obligations, supra
note 2 an n* 425 ; Marty et Raynaud, supra note 2 au n 251 et Malaurie et Ayn~s, supra note 2 au n’
619.240 J.-L. Baudouin, Les obligations, ibid. au n 425.
24′ Voirin, supra note 2 A la p. 6, qui 6crit aussi :

Et meme s’il est vrai que la guerre doit atre consid6re comme le domaine par excel-
lence oi l’impr6vision se d6veloppe sinon exclusivement, du moins avec une intensit6
particulire, encore faudrait-il 6tudier la question pour elle-meme, en la d6tachant un
peu des contingences de ]a guerre de 1914 afin qu’au cas oD 6clateraient de nouveaux
conflits on sache a quoi s’en tenir et que la connaissance des int6rts qui se choquent,
d6gag6s avec nettet6, class6s et hiftarchiss, contribue conjurer le p~ril des solutions
htives, inachev~es et inad6quates, dont la jurisprudence et surtout la l6gislation de ]a
demi~re guerre offrent 6galement le spectacle [note omise ; nos italiques].

Voirin, supra note 2 A la p. 6.
2 Voir Commentaires du ministre, Li, Qu6bec, Les Publications du Qu6bec, 1993 Ak la p. 772.

1997]

J. BE-DARD – THEORIE DE L’IMPREVlSION EN DROIT QU&B-COIS

795

Pourtant, on peut fort bien imaginer des cas isol6s d’impr6vision tout aussi ondreux
pour l’une des parties au contrat. Par cons&luent, des solutions 16gislatives sporadi-
ques ne pourraient que crder des in6galit6s de traitement car <<[]e 16gislateur n'est pas capable de livrer du sur mesure pour chaque cas individueb 243. Ce qui est encore plus grave, c'est qu'244 dans la mesure ohi la ddmarche du civiliste est de <24′. Le juriste ne doit pas reculer devant la difficulte de sa tche24.

Conclusion

Lors de la r6forme du Code civil, si les divers intervenants avaient eu le loisir de

se prononcer sur la th6orie de l’impr6vision en commission parlementaire, il y a fort
parier qu’ils auraient invoqu6 aveugl6ment le principe de l’autonomie de la volont6 et
son corollaire traditionnel, la s6curit6 des conventions, sans songer, d’une part, que
ces deux principes peuvent parfois entrer en contradiction et, d’autre part, qu’ils pour-
raient b6n6ficier de l’application de la thdorie de l’impr6vision en tant que d6biteurs
6cras6s par le fardeau contractuel ou comme cr6anciers d’une obligation devenue in-
signifiante.

Le respect du contrat dans des circonstances impr6visibles rendant son exdcution
excessivement ondreuse pour l’une des parties est contraire k son r6le 6conomique.
L’insdcurit6 nalt du bouleversement des conditions extdrieures au contrat et non,
comme certains voudraient le faire croire, de 1’application de la thdorie de
l’impr6vision. Celle-ci est justement le moyen ddsign6 pour lutter contre l’instabilit6
g6ndrale car la stabilit6 du contrat passe par sa flexibilit6, sa capacit6
s’adapter : la
souplesse doit 8tre la rdponse aux changements. Cette r6flexion n’a malheureusement
pas 6t6 mende avec suffisamment de s6rieux au Qu6bec lors de la r6forne, pourtant si
capitale, du Code civil.

243 Kortmann, supra note 17 A la p. 216.
244 md
.4. Cr6peau, Thiorie ginfrale, supra note 1 A lap. 39. Voir aussi Haanappel, supra note 88 A la p.

397 : >.

” Comme J.-L. Baudouin le rappelle, <>, supra note 2 A lap. 173 :

in this issue The Corporate Trust Deed under Quebec Law: Article 2692 of the Civil Code of Quebec

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