Article Volume 9:4

Une charte des droits de l'homme pour le Québec

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UNE CHARTE DES DROITS DE L’HOMME

POUR LE QUfEBEC

Jacques-Yvan Morin*

A l’heure oA prennent forme dans le Quebec une socit6 industrielle et un
Etat moderne, la n6cessit6 se fait de plus en plus sentir d’une d~finition des buts
sociaux de la collectivit6 et de la place qu’y occupe l’individu. C’est au Droit
qu’il revient, en tant qu’instrument de construction sociale, de dire quelles
peuvent et doivent atre les exigences rciproques de la socift6 et des particuliers.
I1 est donc temps que soient dtermin~s par le lgislateur, 1 la lumikre des idles
que l’Occident r~pand dans le monde depuis plus d’un sikle, les droits politiques,
sociaux, 6conomiques et culturels du citoyen qu~bcois, ainsi que ses libert~s
fondamentales.

En premier lieu, les impratifs d’une industrie en expansion am6nent l’inter-
vention croissante de l’Etat provincial dans le domaine 6conomique. Qu’il
s’agisse de contr6le on de planification, il importe que les activit~s de
‘Etat
soient orientes vers le progr~s social, sans lequel il ne saurait exister de demo-
cratie politique. Par ailleurs, cette intervention ravive le conflit classiqcue entre
la libert6 personnelle, condition de toute r6alisation humaine, et les formes
d’organisation n~cessaires 1 l’6tablissement de la justice sociale. Le lkgislateur
devra donc rechercher et garantir un meilleur quilibre entre la libert6 des
citoyens et les pouvoirs requis pour le fonctionnement d’une vaste machine
administrative.

En second lieu, dans une socift& oet la majorit6 affirme son existence en tant
que groupe national au moment m~me oAi se manifeste un certain pluralisme
dans la structure ethnique et religieuse de la population, l’Etat provincial doit
se donner pour mission d’assurer la coexistence pacifique des groupes et des
croyances. L’exprience des vingt derni~res annes montre que la Igislature
n’a pas su prendre toutes ses responsabilit~s dans ce domaine. En outre, l’appa-
rition de groupes politiques, dont les idles radicales peuvent paraltre suspectes
aux yeux du pouvoir, ne doit pas servir de pr6texte a des occasions multiplies
d’ing~rence policire, d’arbitraire et d’intimidation des particuliers. La loi
doit assurer les libert~s politiques de tout citoyen, quelque impopulaires que
soient ses idles, an besoin m~me contre la majorit6 de la population.

Quelques droits minoritaires et individuels jouissent dej! au Canada de
garanties constitutionnelles non n~gligeables. Ainsi, l’Acte de l’Am~rique du
Nord britannique contient des r~gles sur le renouvellement du Parlement tous
les cinq ans, l’usage des langues fran~aise et anglaise et le droit A des 6coles
*Professcur i la Facult6 de Droit de l’UniversitE de Monreal, membre de la Cour permanente

d’arbitrage.

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separes dans certaines provinces; il comporte 6galement, selon la jurisprudence
de la Cour supreme, des garanties implicites contre l’abolition des liberts
publiques par le Parlement ou les legislatures. Notons que la loi fonda-
mentale accorde au Parlement federal la competence dans plusieurs domaines
qui intressent directement la liberte des personnes, notamment la 16gislation
penale. Cependant, les provinces, elles aussi, possadent une vaste responsabilit6
A 1’egard de la protection des droits de leurs citoyens respectifs du fait de leur
competence legislative en ce qui concerne, par exemple, leur propre constitu-
tion, l’etat et la capacite des personnes, la proprietE, l’instruction publique et
le domaine socio-6conomique. II importe de souligner en outre que les l6gisla-
tures locales, bien qu’elles ne possadent pas le pouvoir legislatif en matiere de
droit penal, sont seules comptentes pour I’administration de la justice et la
constitution des tribunaux repressifs; elles peuvent 6galement, en vue de faire res-
pecter les lois provinciales, imposer des peines allant jusqu’A l’emprisonnement
et instituer leurs propres forces polici~res.

Or, depuis la derni&re grande guerre, se fait jour dans le monde entier un
vaste mouvement pour la sauvegarde des droits de l’homme et des libertes
fondamentales. La presente 6tude a pour but de demontrer que le Quebec ne
peut demeurer i l’Ecart de cette evolution car les problkmes du collectivisme et
de Ia protection des droits de la personne, tels qu’ils surgissent ici, ne sont pas
foncierement diffrents de ceux qui se posent dans tous les pays. Les solutions
propos~es a l’ext&ieur, notamment par les organisations internationales ou
regionales, peuvent etre adaptes aux conditions quebecoises et servir d’inspi-
ration i Ia lgislation provinciale. Nous aurons soin 6galement de situer le
Quebec dans son cadre canadien, de mani&re i expliquer certaines difficultes
inhrentes au fdralisme et a pr~ciser le domaine d’application de cette 16gis-
lation.

I

Le contexte international

La violation des droits de la personne humaine et la lutte pour leur d~fense
contre le prince on
‘Etat constituent la trame mime de la pens~e politique
occidentale, depuis la protestation d’Antigone jusqu’a la Dtclaration univer-
selle des droits de Phomme. Pour ne remonter qu’au debut des temps modernes,
la r~volution anglaise de 1688, qui entraina l’abolition de l’absolutisme royal,
proclama “les droits veritables, anciens et incontestables du peuple”; I’ann~e
suivante, le Parlement transforma cette declaration en loi sous le nom de Bill
of Rights. Il y est dcrete, entre autres:

Que tout suiet anglais a le droit de s’adresser au Roi par voa de pltition, et que les cmprison-
‘exercice de cc droit violent ]a I6galit6 … Que [les
nements et poursuites ayant pour cause
tribunaux] ne devraient pas imposer des amends ou cautionnements excessifs, ni des pCines
cruelles ou exceptionnelles… Que Ic Parlement devrait etre convoque fr~quemment, dans Ic
but de r~former les abus et de renforcer et maintenir les lois…

‘Bill of Rights, 1688, 1 Will. & Mary, sess. 2, c. 2, mis en vigueur par: Crown & Parliament

Recognition Act, 1689, 2 Will. & Mary, sess. 1, c. 1.

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Les ides librales qui 6taient/

l’origine de cette revolution et dont le
promoteur fut J.hn Locke (1632-1704)2 ne tard&rent pas 1 essaimer. Trans-
plante en France et en Amrique, cette philosophie conduisit en effet, d’une
part, A la D6claration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 et I la
Gironde, d’autre part i la Dclaration d’Ind~pendance de 1776 et au Bill of
Rights de la Constitution des Etats-Unis (1791).

Les hommes naissent et demeurent 6gaux en droits, proclame ]a DEclaration frangaise. Les
distinctions sociales ne peuvecnt
tre fond~es que str l’utilit8 commune… Le principe de toute
souveraixec6 riside essenciellement dans la nation; nul corps, nul individu ne peut exercer
d’autorit qui n’en 6mane expressEmen. 3

Et le Bill of Rights d’enchainer:

Ix Congras ne pourra faire aucune loi concernant licablissement d’une religion ou interdisant
son libre exercice, restreignant la libert de parole ou de presse, ou touchant au droit des ci-
toyens de s’assembler paisiblement ct d’adresser des ptitions au gouvernemcnt pour 1e redres-
sement de leurs griefs… Le droit des citoyens d’etre protg&s dans leurs personnes, leurs mai-
sons, leurs papiers cc leurs efects ct d’Etre mis a l’abri de toutes perquisitions ct saisies draison-
nables, ne pourra 8tre viol6… Dans routes Ics poursuites criminelles, l’accus6 jouira du droic
d’Etre jug6 promptement cc publiquement par un jury impartial. .. 4

II est A peine besoin d’insister sur le rayonnement que connurent ces principes
au cours du XIXe sicle; malgr6 Ia repression de tant de revolutions qu’ils ont
inspires, ils n’en auront pas moins constituE le fondement de tous les d~veIop-
pements dont nous sommes aujourd’hui les t~moins.

L’indlvidu en Drolt international

C’est au sicle dernier, en effet, que la protection des droits de la personne
humaine commenqa A se manifester sur le plan international. Ainsi, par con-
cordat, plusieurs Etats accept rent de limiter l’exercice de leurs pouvoirs sur
leurs propres nationaux dans le domaine de la libert6 des cultes.5 A la fin des
deux guerres mondiales. plusieurs Etats d’Europe se virent imposer par les
Puissances allies, dans les trait~s de paix on les trait6s de minorit~s, l’obliga-
tion de respecter les droits des groupes ethniques, linguistiques ou religieux
demeur~s isols A la suite des grands remaniements territoriaux du Trait6 de

2Voir surtout son second Treatise on Govertment (1690) cc les Letters on Toleration (1689-1692).
3Articles ler ct 3. Voir F. Olivier-Martin, Histoire du Droitfranfais des origines 4 la Rivolution (1948),

p. 677; A. Esmein, Elbrmnts de Droit conrtitutionnelfranfais et compare (4c 6d., 1906), p. 45.

‘Constitution des Etats-Unis, let, We ct Vie amendements. Voir F.A. Ogg & P.O. Ray, Le Gou-

vernement des Etats-Unis d’Amiriue (1958), pp. 103, 324; L. Hand, The Bill of Rights (1958).

5Voir J. L’Huillier, Elnmts de Droit.international public (1950), p. 277. La libert6 de religion se
rencontraic parfois dans les conventions internationales antrieures, depuis les trait6s de Wesphalie.
Cependant, depuis Ia naissance de l’Etat moderne ct durant toute la p6riode oil s’ilaboraic Ie Droit
le sort de l’individu demeurait essentiellement encre les mains de son
international “classique”,
souverain ec ]a reconnaissance des droits de- Phomme ne pouvait progresser qu’I l’intrieur de chaque
Etac, bien qu’on puisse noter une te- .ance vers l’action internationale dans les domaines de la pira-
erie, de I’esclavage et de la conj- ire des hostilits. Sur ces aspects de la question, voir M. Cadieux,
“Les droics de l’homme au regard du Droit international” (1962) Rev. du Barreau, tome 22 p. 18.

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Versailles.6 Le trait6 polonais du 28 juin 1919 donne une excellente idee du
contenu de ces accords: egalite de tousles citoyens devant la loi, sans distinction
de race, de langue, ni de religion; liberte, pour les minoritaires, de crer des
institutions religieuses, sociales ou d’instruction, d’y faire usage de leur langue
et d’y pratiquer leur religion. 7 Ces droits &taient places sous la sauvegarde de
la Socift6 des Nations et.ne pouvaient &tre modifies qu’avec l’assentiment du
Conseil de cette organisation. Malheureusement, les restrictions imposees de
la sorte A la competence exclusive de ces Etats constituaient un regime d’excep-
tion et invitaient l’intervention des pays voisins en faveur des minorites; en
outre, elles exigeaient de la part du gouvernement et de la population de ces Etats
une attitude plus liberale que ne leur inspiraient leurs traditions politiques.
Aussi bien l’Allemagne hidrienne trouva-t-elle dans la violation des traites
de minorites le pretexte qu’elle cherchait pour justifier son intervention et ses
revendications en Tchecoslovaquie et en Pologne.

Ce sont les transgressions dont furent l’objet les droits et les libertes des
personnes pendant la seconde guerre mondiale et A l’occasion des expulsions de
populations de l’apr~s-guerre, qui amenerent la prise de conscience et la pro-
testation universelles que sont la Convention sur la prevention du g6nocide
et Ia Declaration des droits de ‘homme de 1948.8 Tout acte commis dans l’in-
tention de detruire un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme
tel, constitue dsormais, en vertu de la Convention, un crime du droit des
gens, tandis que dans Ia Declaration, l’Assemblee genrale de I’ONU proclame
comme “ideal commun i atteindre” le principe que tous les etres humains
naissent libres et 6gaux en dignit6 et en droits. Ce ne sont encore IU, cependant,
que des r~alisations partielles. En fait, la repression du genocide doit 8tre
assure par le droit et les tribunaux internes des Etats lies par Ia convention et
non par une juridiction criminelle internationale; quant a la Declaration, elle
n’a pas le caract~re d’un trait69 et ne comporte de garanties veritables pour les
particuliers que dans la mesure oA les Etats auront jug6 bon d’instituer des
recours internes A leur avantage.

NManmoins, il est certain qu’une v6ritable r~volution a ete declenche’e par
ces instruments internationaux: d~ji rAssemblee generale, dans ses recom-
mandations concernant les violations des droits collectifs ou individuels dans
certains pays d’Afrique ou d’Asie, s’est occup~e A plusieurs reprises des affaires
intErieures des Etats, faisant de la sorte reculer les limites de ce que l’article

6Voir Chs Rousseau, Droit international public (1953), pp. 218-20; A. N. Mandelstam, “La protec-
tion des minoritis” (1923) Recueil des Cours de l’Acadhnie de Droft International (La Hayc), tome 1,
p. 367.

Trait6 entre les Puissances allis et la Pologne, sign8 Ic 28 juin 1919, art. 7 et 8. Voir Mandelstam,

supra, note 6, p. 401.

‘On trouvera le texte de ]a Convention dans

‘Annuaire des droits dA l’horame pour 1948, p. 555, et

Ic texte de la Dclaration a la p. 536.

OVoir H. L. Lauterpacht, International Law and Human Rights (1950), pp. 397, 408; L’Huillier,

supra, note 5, p. 100.

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2(7) de la Charte nomme leur “competence nationale”, 0 et il semble que
l’organisation internationale sera inevitablement amene A multiplier ces
interventions. En outre, de nombreux Etats, dont plusieurs nes depuis 1955,
ont d~fini dans leur constitution l’etendue des libertes publiques et des droits
fondamentaux du citoyen.”

Les projets de Pactes des droits de l’homme

Sans doute sommes-nous en face d’un mouvement irreversible, dicte par
l’integration 6conomique et politique acceleree qui s’accomplit sous nos yeux,
principalement au niveau des ensembles regionaux, mais aussi entre tous les
continents. II est deja apparent que cette impulsion se communique I tous les
domaines, y compris celui des droits de l’homme. L’Assemblee genrale, en
effet, n’a pas l’intention de s’en tenir a la simple proclamation d’un ideal
commun; elle desire au contraire crier une “legislation” internationale r6glant
les relations des Etats avec leurs nationaux en matiere de droits et de libertes.
Das 1950, elle demandait a la Commission des droits de l’homme de preparer
un projet de convention dont la ratification 6ventuelle par les membres de
l’ONU entrainerait a leur charge une obligation juridique de modifier leur droit
interne de manikre i le rendre conforme aux normes internationales; en 1951,
rlle dcidait de diviser la matiere en deux projets de pactes, le premier portant
sur les droits economiques, sociaux et culturels, le second sur les droits civils
et politiques. 12 Au cours de la session suivante, elle adoptait la Convention sur
les droits politiques de la femme, aujourd’hui entr&e en vigueur. 3

I1 n’est pas douteux, en depit des conflits ideologiques qui opposent les
membres de l’Organisation (et qui ne sont pas sans affecter le sens m~me des
mots “droit” et “‘libert6”), que les pactes, dont la redaction d~finitive se
poursuit depuis 1955 au sein de la Troisieme Commission de l’Assemblee, ne soient
ratifies et n’entrent en vigueur d’ici quelques ann6es. Deja la plupart des dispo-
sitions definissant les droits de la personne ;-amaine ont 6t6 adoptes par iz
Commission; il reste a completer cet enonc6 de principes par la creation d’orga-
nismes internationaux qui seront appeles a en surveiller l’application. 14

1OVoir Chs de Visscher, Thiories et rialitis en Droit international public (3e Ed., 1960), p. 285, qui
souligne le fait que les organes des Nations Unies paraissent subordonner 1’aspect juridique du
problkme 1 son aspect politique.

nVoir, par cxemple, A. J. Peaslee, Constitutions of Nations (2e 6d., 1956), tome 1, pp. 47 (Argentine),
349 (Cambodg), 482 (Chili); tome II, pp. 160 (Honduras), 512 (Japon); tome III, pp. 166 (Philip-
pines), 388 (Thailande), 613 (Uruguay). Voir aussi L. Muracciole, Les constitutions des Etats africains
d’extresrionfranfaise (1961), pp. 48 (Gabon), 74 (Guin e), 125 (Sngal), 143 (Tchad) cc 153 (Togo).

12Rsolution 543 (VI). Voir l’Annuaire des droits de l’homme pour 1951, p. 617.
“Voir Recucil des traitis du Canada, 1957, no 3. Lc Canada a ratifi6 cette convention le 30 janv. 1957.
‘4 Le pr~ambuie et les articles 2 1 16 du projet de Pacte relatif aux droits 6conomiques, sociaux et
culturels ont &6 adopt~s, de mEme que Ic pr6ambule et les articles 3 et 5 i 26 du projet relatif aux
droits civils et politiques. Voir les documents de 1’Assemble g~n6rale A/C.3/L.978 (1962) et A/5365
(1962), annexe. Sur les diflicult~s qui ve manqueront pas de surgir lorsque l’Assemb’e gnrale
tentera d’instituer des mesures de surveillance, voir M. Cadieux, supra, note 5, pp. 34, 38.

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Ajoutons que 1’effort de protection et d’uniformisation des droits sociaux-
6conomiques de l’homme a 6t6 amorc6 des 1919 par l’Organisation Internationale
du Travail et qu’il existe dejA dans cc domaine une “legislation” abondante,
sous forme d’une centaine de conventions, a laquelle ont adher6 un grand nom-
bre d’Etats. Ces accords portent sur les salaires, la reduction des heures de
travail, les conges annuels, le travail f~minin et celui des enfants et des jeunes
gens, l’hygine du travail, la s~curit6 sociale sous toutes ses formes, la libert6
syndicale et les conventions collectives, la conciliation et 1’arbitrage, etc.15
Les Etats qui ont dCiA int~gr6 ces normes dans leur legislation domestique
pourront sans grande difficult6 ratifier le futur Pacte sur les droits 6conomiques,
sociaux et culturels; ii leur faudra simplement reconnaltre le principe clue Ic
travail, la securit6 sociale et l’instruction sont des “droits inalienables” ap-
partenant a tons leurs citoyens, sans distinction aucune, fondee sur la race, le
sexe, la langue, les opinions politiques, la fortune ou l’origine sociale.

La Convention europ~enne de sauvegarde des droits de l’homme

Il est probable que certains groupes d’Etats se plieront plus volontiers que
d’autres a cette reglementation supranationale de presque tous les aspects de
leur vie sociale ou 6conomique. La reconnaissance des droits de l’homme est
avant tout une question de civilisation et de philosophic; elle suppose Cgalement
l’existence d’tn niveau minimum de developpement 6conomique. 16 I1 est plus
facile a un groupe d’Etats restreint et relativement homog&ne de parvenir A un
accord sur l’Etendue des droits et libert~s de leurs citoyens qu’il ne l’est pour
l’ensemble des pays representes a I’ONU. Ce fit l’avis des quinze membres du
Conseil de l’Europe qui sign~rent A Rome, en 1950, la Convention europeenne
de sauvegarde des droits de ‘homme et des libertes fondamentales: 17 il leur a
paru, en effet, que, grice A une communaute de patrimoine philosophique et de
traditions juridiques, il leur serait possible de se soumettre les uns les autres a
des engagements plus efficaces, notamment a l’6gard des organes internationaux
comp6tents pour examiner les manquements aux dispositions de la Convention.
Les Etats europeens ont donc institu6 uine Commission devant laquelle tout
Etat signataire peut porter plainte contre tne autre Partie contractante (art. 24).
Les particuliers et les groupes priv~s peuvent egalement saisir la Commission
de toute violation dont ils se pr~tendent victime, mais leurs requites ne sont
t Voir le Code international du travail 1951 (B.I.T., 1954), qui constitue une synthase en 1587 articles
des conventions et recommandations adopt~cs depuis 1919; Ia liste chronologique sc trouve a la p.
cxlviii.

leC’est pourquoi lart. 2 du projet de Pacte sur Ies droits ,conomiqucs prend soin dc pr6ciser quc
les Etats sengagent I assurer progressivement le plein cxcrcice de ces droits, tant par lcur proprcs
efforts qu’avec l’aide et ]a cooperation internationales dans les domaines iconomique et technique.
1″Texte dans l’Annuaire des droits de l’homme pour 1950, p. 484. Voir aussi le Protocole signe a Paris
en 1952, portant sur le droit de propri&,
l’instruction et les 6lections libres, dans l’Annuaire pour
1952, p. 463. Les textes sont r~unis dans L’Europe et la difense des droits de l’homme (Conseil de I’Europe,
1961), p. 59.

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recevables que si l’Etat mis en cause a souscrit une ddclaration spciale dans
laquelle il se soumet A cette procedure (art. 25). Le 5 juillet 1955, apr~s que six
Etats eurent accept6 cette obligation, la juridiction de la Commission est
devenue effective a l’6gard des requites individuelles; elle a deja reu et examin6
pros d’un millier de requites.5 8 I1 incombe A la Commission de parvenir A un
raglement amiable de l’affaire; si elle n’y peut arriver, elle formule un avis i
l’intention du Comit6 des ministres du Conseil de l’Europe, qui prend une
dcision que les Parties se sont engages A considrer comme obligatoire. 19
Au-dessus de la Commission, le traitE institue une Cour europenne des
droits de 1’homme, dont la competence s’6tend A l’interprtation et A l’applica-
tion de la Convention (art. 45). La Cour peut 8tre saisie des manquements impu-
tables a un Etat, soit par la Commission, lorsque celle-ci n’a pu effectuer un
r~glement a l’amiable, soit par l’une des Parties i l’accord; toutefois, la juridic-
tion de la Cour ne s’6tend qu’aux Etats qui 1’ont expressdment accepte (art. 46).
Le 3 septembre 1958, le nombre de huit Etats acceptant cette juridiction fut
atteint et la Cour est entrde en fonction au debut de 1959. Elle a ddja 6t6 saisie
d’un certain nombre d’affaires et a rendu ses premiers arr~ts. 20

On le voit, il est deji possible d’en arriver, sur le plan rgional, i l’unifor-
misation et A la garantie institutionnelle des droits de l’homme. Qni plus est,
il a 6t6 d~cid6 par le plus haut tribunal allemand en mati~re administrative que
la Convention peut &tre directement invoqune devant les tribunaux administra-
tifs internes de la R~publique f~ddrale et des Etats constituant (Laznder), sans
qu’il soit besoin d’une mise en oeuvre lgislative, et il est probable que cette
interpretation, conforme aux travaux pr~paratoires et A I’article ler de la Con-
vention, I’emportera devant les tribunaux de toutes les Parties contractantes. 21
Dans un contexte international oA le premier souci de la plupart des Etats
est le d~veloppement de routes leurs ressources humaines et matrielles et dans
lequel l’interdependance est inevitable, il est normal que l’avancement des
droits sociaux, 6conomiques et politiques de 1’homme devienne une preoccupa-
tion universelle. L’impulsion en est irreversible et se r~pand dans tous les pays.
Aussi le Quebec, pas plus que les autres entit6s constituantes de la f~ddration
canadienne, ne peut-il demeurer a l’6cart de ce mouvement, sous peine de se
preparer des 6ch~ances difficiles. L’isolationisme nord-americain est chose du
pass6; celui du Quebec ne lui peut survivre.

‘8Voir H. Waldock, The European Convention for the Protection of Human Rights and Fun-
damental Freedoms” (1958) British Yearbook of Int’l Law [ci-apras B.Y.I.L.], tome 34, p. 356;
McNulty & Eissen, “The European Commission on Human Rights, Procedure and Jurisprudence”
(1958), Journal of the Int’l Comm’n of Jurists, tome 1, no 2, p. 198; L’Europe et la difense des droits de
rhomme, supra, note 17, p. 43.

t2 Convention, supra, note 17, art. 28, 30 i 32.
2V.g., laffaire Lawless, Arret du ler juillet 1961.
ArI’t de la Bundevwerwaltunsgericht du 25 octobre 1956: Deutsches Verwaltungsblatt (1957), p. 57.
Voir H. Golsong, “The European Convention for the Protection of Human Rights and Fundamental
Freedoms in a German Court” (1957) B.Y.I.L., tome 33, p. 317.

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Mais, dira-t-on, dans quelle mesure l’Etat provincial peut-il prftendre
protiger les droits sociaux ou politiques de ses citoyens, alors que ceux-ci
ressortissent 6galement a l’ordre juridique f~deral? Et de quel droit la Legisla-
ture du Quebec pourrait-elle s’int&esser aux instruments internationaux con-
cernant les droits de l’homme, puisque la conduite des affaires ‘trangeres relave
des organes centraux de la f~d~ration?

H

Le cadre fJdral

Plusieurs constitutions f~dratives, surtout parmi les plus recentes, con-
tiennent des dispositions garantissant les droits fondamentaux du citoyen
contre les empi~tements tant de P’Etat central que des entites constituantes,
ou attribuent aux organes centraux de l’Etat une competence exclusive dans cc
domaine. Tel est le cas, par exemple, de l’Inde, du Br~sil, du Mexique et de la
Libye.22 Pour les fins de la protection des droits de l’homme, ces Etats composes
sont donc dans la m me position qu’un Etat I structure unitaire. Ailleurs, le
m~me r~sultat peut 8tre obtenu grice aux pouvoirs tras centralis’s de la f~d6-
ration l 1’Egard de la conclusion et de la mise en oeuvre des accords internatio-
naux. On trouve en effet dans plusicurs constitutions la r~gle de la priniaut6
des trait~s f~draux sur la l~gislation locale; les competences reservees que
pourraient poss~der les Etats-membres dans le domaine qui nous interesse
s’effacent alors devant les trait~s.2

Dans certains autres Etats f~deraux, au contraire, les pouvoirs legislatifs
centraux sont restreints au profit des entit~s constituantes, plus sp~cialement en
ce qui concerne les droits economiques et sociaux. 2
1 En outre, il arrive que la
competence des organes centraux en mati~re d’accords internationaux soit
6galement limite, en sorte qu’un trait6 portant sur un objet qui relve de la
competence locale ne peut l’emporter sur la legislation des Etats-membres, du
moins sans leur approbation ou concours.2
5 Ainsi, aux Etats-Unis, malgre la
primaut6 que t’arrot de la Cour supreme dans l’affaire Missouri v. Holland6
reconnair aux traits conclus par les organes centraux, le Gouvernement de
Washington a adopt6 une attitude tr~s prudente A l’6gard des conventions de
l’Organisation Internationale du Travail et des projets de Pactes des droits de
l’homme: les autorits amricaines estiment en effet que l’objet de plusieurs
dispositions de ces instruments rel~ve traditionnellement des Etats consti-

2Constitution de l’Inde, art. 12 a 33, dans Peaslee, supra, note 11, tome II, p. 225; Constitution des
Etats-Unis du Br~siI, art. 141 a 174, id., tome I, p. 234; Constitution des Etats-Unis du Mexique,
art. 1 1 29, id., tome II, p. 661; Constitution de la Libye, art. 8 1 35, id., tome II, p. 600.
23Constitution de P’Autriche, art. 16, dans Peaslee, supra, note 11, tome I, p. 112; Constitution de
la Yougoslavie, art. 15(8) et 34(5), id., tome III, pp. 771, 775.
21Voir M. Sorenscn, “Federal States and the International Protection of Human Rights” (1952)

American J. Int’l L., tome 42, p. 195.

25Voir J. M. Hendry, Treaties and Federal Coistitutions (1955), pp. 59, 107 et s.
21(1920) 252 U.S. 416, 433.

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tuants. 27 En Australie, la position est sensiblement la m6me. L’arr~t Rex v.
Burgess, ex parte Henry2 5 semblait confrer au Parlement central tous les pouvoirs
ncessaires A la mise en oeuvre des trait~s, m~me si l’objet de l’accord en question
tombait sous la competence exclusive des lkgislatures locales; n~anmoins, le
Gouvernement f~dral soutient que plusieurs droits 6numrs dans les projets
de Pactes rel~vent principalement des Etats-membres et qu’il ne saurait s’en-
gager sans conditions. 29 La situation serait moins complexe en Suisse, pays
dont la constitution centralise davantage les competences internationales an
profit des organes f~d~raux, si ce n’6tait de la possibilitE pour les cantons on
les citoyens de provoquer un r~frendum A propos des trait~s conclus pour plus
de quinze ans on pour une dure ind~termine. 30 Aussi bien le Gouvernement
de Berne s’est-il Egalement montr6 reticent A l’6gard des conventions interna-
tionales du travail. 3 1

La legislation sociale au Canada

Tout compte fait, cependant, c’est an Canada que Ie conflit entre le treaty-
making power f~d~ral et les comp~tences exclusives des entit~s constituantes est
le plus difficile A r~soudre. Dans chaque province, la l6gislature a le droit ex-
clusif de 1egiferer dans certains domaines, dont “la propriet6 et les droits
civils.”32 D’autre part, l’article 132 de la loi fondamentale, tel que r~dig6 en
1867, attribuait aux organes f~deraux “tous les pouvoirs ncessaires. .
. pour
remplir envers les pays 6trangers les obligations que des trait~s entre l’Empire
britannique et ces pays &rangers pourront imposer an Canada ou A quelqu’une
de ses provinces comme partie de l’Empire.”33 En d’autres termes, les comp6-
tences exclusives des provinces s’effa~aient devant un trait6 sign6 par le roi
an nom de l’Empire: le Parlement canadien pouvait alors, d’apr~s cet article,
1egiferer A loisir sur la propriftE et les droits civils ou tout autre domaine pro-
vincial, solution consacre par une decision du Comit6 judiciaire du Conseil
priv6 de Londres. 4

Le r~gime de P’article 132 6tait centralisateur, comme on pouvait s’y at-
tendre dans une colonie qui ne poss~dait pas d’existence propre sur le plan
27Voir Confirence Internationale Au Travail, 34e session (1950), IlIe rapport, IMle part.; sur l’attitude
des Etats-Unis envers les projets de Pactes des droits de l’homme, voir E. Schwelb, “International
Conventions on Human Rights” (1960) Int’l & Comparative L. Quart., tome 9, pp. 654-5.

“s(1936) 55 C.L.R. 608; cf. Constitution australicnne de 1900, art. 51(xxix).
2 S~rensen, supra, note 24, p. 199.
” tConstitution helv~tique, articles 85(5), 89, 102(8) et 113.
31Voir J. Secretan, “Problamcs constitutionnels suisses et Organisation internationale du Travail”

(1947) Rev. internationale du travail, tome 56, p. 1.

‘2Acte de l’Am~rique du Nord britannique [ci-apr&s A.A.N.B.], art. 92. Texte dans Ollivier, Actes

de l’Amirique du Nord britanniue et statuts connexes, 1867-1962, p. 89.

3 Itd., p. 99.
“A.-G. for British Columbia v. A.-G. for Canada [1924] A.C. 203; il s’agissait d’un trait6 imperial

de 1Q11.

McGILL LAW JOURNAL

[Vol. 9
international. N~anmoins, l’autonomie du Qu6bec 6tait garantie dans une
certaine mesure par la supr&natie du Parlement britannique,
lequel avait
adopt6 depuis l’Acte de Quebec (1774) une attitude g~neralement favorable
aux droits minoritaires des Canadiens-Fran~ais. Avec l’accession du Canada-a
la pleine personnalit6 internationale, – la suite des conferences implriales de
1923 et 1926,31 le Gouvernement f~dral put conclure des accords sans le con-
sentement des ministres britanniques et la formule du “trait6 d’Empire”disparut.
Il fallut alors se demander si les organes centraux pouvaient, par le biais d’un
trait6, occuper certains domaines r~serv~s aux provinces. L’article 132 ‘tait-il
toujours applicable?

Si le contr6le des ministres britanniques avait disparu, la juridiction d’appel
du Comit6 judiciaire du Conseil priv6 devait toutefois persister jusqu’en 1949.
C’est devant ce tribunal que furent 6voques ‘a diverses reprises les questions
que nous venons d’exposer, mais it suffira de faire 6tat ici de l’arr~t de 1937
qui, en plus d’y r~pondre clairement, a l’avantage de porter sur le domaine du
droit social.36 Le Parlement d’Ottawa venait d’adopter des lois portant appli-
cation de trois conventions de l’O.I.T. sur la journ6e de huit heures, le salaire
minimum et le repos hebdomadaire, 37 que l’Excutif canadien avaient ratifies
en 1935. La Province d’Ontario ayant attaqu6 la validit6 de cette 16gislation,
le Comit6 judiciaire dcida que le Pouvoir central, bien que competent pour
conclure des trait~s, ne pouvait adopter une legislation mettant en oeuvre
ceux dont l’objet relevait de Ia competence legislative provinciale, en l’occur-
rence la propri&f et les droits civils. Lord Atkin 6tablit d’abord l’inapplica-
bilit6 de l’article 132 aux conventions, par suite de la disparition des “trait~s
d’Empire;’- 3t puis il opine, se fondant sur la distinction entre conclusion et
execution des trait~s (“formation” et “performance”), que

la rtpardtion [des comp&ences] est fond~e sur des categories dc sujets; lorsqu’un trait& touche
a une categoric particulitre, le pouvoir ltgislatif habilit6 I le mettre A execution scra d6tcrmin6
par cette mme cat6gorie. Personne ne saurait douter que cette rpartition soit l’une des condi-
tions essentielles, sans doute la plus essentielle, sur lesquelles repose Ic pacte (“compact”)
inter-provincial qui sert de fondement A l’Acte de l’Am~rique du Nord britanniquc… En
d’autres termes, Ic Dominion ne peut pas, simplement du fait des promcsses qui le lient a des
pays 6trangers, se revetir li-mEme d’une autorit ltgislative incompatible avec la Constitution
qui lut a donn6 naissance… U ne faudrait pas croire… que le Canada n’a pas la competence
voulue pour mettre I execution ses obligations conventionnelles; il possade, si l’on r~unit
Dominion et provinces, tous les pouvoirs 16gislatifs ncessaires. Mais ces pouvoirs demcurent
partag&s… Quoique Ic navire de l’Etat fasse aujourd’hui voile vets des horizons plus vastes
et dans les mers errangares, il n’en conserve pas moins les compartiments &anches qui consti-
tuent une partie essentielle de sa structure originelle.39

uVoir The Imperial Conference of 1926, Report of Inter-imperial Relations Ctce, dans Ollivier,

The Colonial and Imperial Conferences (1954), p. 146.

mA.-G. for Canada v. A.-G. for Ontario [1937] A.C. 326.
“Convention sur la durie du travail (industrie), 1919; Convention sur les mthodes de fixation des
salaires minima, 1928; Convention sur le repos hebdomadaire (industrie), 1921. On en trouvera Ic
texte dans Code, supra, note 15, pp. 180, 205, 301.

38[1937] A.C. p. 349.
“Id., pp. 351-4 passim (traduction de l’auteur).

No. 4] CHARTE DES DROITS DE L’HOMME POUR LE QUEBEC

283

Cet arret a 6t6 vivement critiqu& au Canada anglais et par quelques juristes
6trangers; 40 sans doute faut-il meme y voir la cause immediate de l’abolition
des appels au Conseil priv6. On a 6crit que, sous l’apparence d’une lutte entre
deux conceptions du f~dralisme, la jurisprudence de ce haut tribunal cachait
un conflit plus fondamental entre le laisser-faire conomique et l’int&ret collec-
tif4 l et aboutissait “au m~pris de la r~alit6 sociale et des exigences de l’heure.” 42
Bien que cette explication ne puisse 6tre entibrement 6cart~e, elle ne demeure
s~irement que partielle. Les dirigeants britanniques, dominant un vaste empire,
avaient acquis le sens de la diversit6 ethnique et culturelle et, en g~nral, se
sont montr~s capables d’un certain libralisme A l’6gard de leurs sujets conquis,
libralisme parfois difficile A comprendre pour les Britanniques venus s’6tablir
dans les colonies. En 1937, au moment de lAcher les derniers renes, le Conseil
priv6 s’est sans doute rendu compte que l’autonomie provinciale faisait face i
un avenir prcaire si la r~gle de Particle 132 6tait maintenue; Lord Atkin le
laisse entendre clairement dans les lignes que nous venons de citer. 43 Sous le
dcor juridique, l’arret contient donc une dcision politique de premiere im-
portance que nous considrons comme Pune des pierres d’angle du Droit consti-
tutionnel canadien. Comme le fait remarquer K. C. Wheare, les differences
ethniques et culturelles qui rendent la solution f~d&ative ncessaire, voire
inevitable, font que le partage des comptences dans le domaine des affaires
ftrangres est tout aussi esgentiel et inevitable.”4

D’ailleurs, il faudrait faire preuve de partialit6 pour faire porter au seul
Comit6 judiciaire la responsabilit& entire des inconv~nients que comporte la
solution dicte en 1937. Deji en 1925, la Cour supreme du Canada, en r~ponse A
une demande d’avis 6manant du Gouvernement f~dral, avait dcid6 A l’unani-
mite que la l6gislation industrielle relevait principalement de la competence
des l6gislatures provinciales et que le Gouvernement du Dominion devait sou-
mettre A celles-ci le projet de convention sur la limitation des heures de travail;45
‘IN. A. M. MacKenzie, “Canada and the Treaty-Making Power” (1937) Can. B. Rev., tome 15,
p. 436 er, du mame auteur, The Treaty-Making Power in Canada, a Brief presented to the Royal Corm’n
on Dominion-Provincial Relations by the League of Nations Soc. in Canada (1938), pp. 3, 12, 38; F.R.
Scott, “The Consequences of the Privy Council Decisions” (1937) Can. B. Rev., tome 15, p. 485;
R. H. Mankiewicz,
‘L’interpr&ation judiciaire de la constitution canadienne et l’autonomie des
provinces dans le domaine du droit social:’ (1959) Revue internationale de Droit comparE, tome 11,
p. 535.

41J. R. Mallory, Social Credit and the Federal Power in Canada (1954), pp. 50, 55.
412Mankiewicz, supra, note 40, p. 545.
IWVoir aussi le passage suivant, p. 351: “If the position of Lower Canada, now Quebec, alone
were considered, the existence of her separate jurisprudence as to both property and civil rights
might be said to depend upon loyal adherence to her constitutional right to the exclusive competence
of her own Legislature in these matters”. Dans le meme sens, voir A. B. Keith, “The Privy Council
Decisions, A Comment from Great Britain” (1937) Can. B. Rev., tome 15, pp. 428, 432.

4 K. C. Wheare, Federal Government (3e
“5 In re Legislative Jurisdiction over Hours of Labour [1925] R.C.S. 505, 510. Sur l’attitude du Conseil

l., 1953), p. 187.

priv6 a la mame ipoque, voir Toronto Electric Comm’rs v. Snyder [1925] A.C. 396.

McGILL LAW JOURNAL

[Vol. 9

c’tait d’ailleurs la pratique suivie par le Gouvernement depuis un rapport
soumis au Conseil priv6 canadien, en 1920, par le ministre de la Justice. 46

Plut6t que de voir dans rarret de 1937 un conflit entre l’intret collectif et
le laisser-faire 6conomique, il serait sans doute plus juste d’y voir un debat
entre le libtralisme politique et le principe de l’efficacite administrative, entre
l’autonomie et la centralisation.

Quoi qu’il en soit, la competence l’gislative provinciale dans le domaine
socio-6conomique ne fait aujourd’hui aucun doute, comme le prouvent d’ailleurs
les nombreuses lois adoptes par les legislatures locales depuis 1884. 47 Le
Gouvernement f6d~ral, cependant, a pu obtenir le consentement unanime des
provinces pour ajouter l’assurance-ch6mage A ses prerogatives et se faire octroyer
une competence concurrente I l’6gard des pensions de vieillesse. 4
8 En outre,
le Parlement a lgif&r en mati~re de libert syndicale et de droit de grave
par le biais des lois penales et favoris6 l’essor de la sdcurite’ sociale dans les
Etats constituants par le truchement des subventions conditionnelles et des
“plans conjoints”; toutefois, la comptence de principe demeure toujours du
ressort des provinces. De ce fait, celles-ci se voient attribuer une responsabilit
consid6rable i l’6gard de la protection des droits de l’homme i l’int~rieur de
leurs fronti~res.

“L6gislation internationale” et f~d6ralisme

Devant les efforts de l’O.I.T. et de l’Assembl~e generale de I’ONU cn vue
de faire ratifier par tous leurs membres des accords les engageant A appliquer
des normes internationales dans leur l6gislation interne, le Canada et quelques
autres Etats ftdratifs se sont trouvts dans une impasse. D’une part, les gouver-
nements centraux sont habilites. a conclure des trait~s, mais se trouvent impuis-
sants a les mettre en oeuvre das que l’objet tombe sous la competence des entit~s
constituantes; d’autre part, celles-ci, bien que compttentes dans un vaste do-
maine lgislatif, ne peuvent nfgocier avec l’6tranger. Pour sortir de ce dilemme
peu favorable A l’avancement du Droit international, on avait etabli en 1919,
sous l’impulsion des Etats-Unis, un regime special pour les Etats a structure
pluritaire d~sirant faire partie de l’O.I.T. L’article 19(9) de la Constitution de
l’Organisation permettait en effet A ces Etats de consid~rer les projets de con-
vention comme de simples recommandations; leurs obligations se limitaient donc
a soumettre les projets aux autorit~s comp6tentes sur le plan legislatif et a
informer le Secr&aire genral des mesures prises. Dans le cas du Canada, cela
signifiait que le Gouvernement f6dral devait transmettre aux provinces tout

46Voir J. P. Dcspr~s, Le Canada et l’Organisation Internationale du Travail (1947), pp. 93, 112.
47Ces lois portent sur tous les aspects de la vie 6conomique ct sociale: diffrends de travail, juste
salaire, assurance-accident, heures de travail, rcpos hebdomadaire, congas payts, apprentissage,
syndicats, conventions collectives, employs des services publics, etc. Pour le Quebcc, voir Ic Code
des lois ouvrires et industrielles (1960).
48Quant a l’assurance-ch6mage, voir I’A.A.N.B., art. 91(2A), rubrique ajoute en 1940; pour Is
pensions de vieillesse, voir id., art. 94A, ajout6 en 1951.

No. 4] CHARTE DES DROITS DE L’HOMME POUR LE QUBEC

285

projet relevant de leur competence; comme nous l’avons vu, les autorit~s
d’Ottawa adoptrent cette procedure d&s 1920, alors que l’article 132 de l’Acte
de l’Am&ique du Nord britannique s’appliquait encore. 49

La “clause fdrale”–c’est ainsi que fut nomm6 le r~gime special de l’ar-
ticle 19-ne donna pas les r6sultats attendus. En ce qui concerne le Canada,
les gouvernements provinciaux ne prenaient pas la peine de soumettre les
projets de l’O.I.T. au pouvoir 16gislatif, si bien qu’Ottawa ne put ratifier, de
1919 A 1935, que quatre conventions sur quarante-quatre. 50 Mme dans les cas
oih la legislation de toutes les provinces rencontrait les exigences des conventions,
le Gouvernement f~dral se crut dans l’impossibilit6 de les ratifier en raison du
pouvoir que conservaient toujours les lgislatures locales de modifier le droit
existant. Chez les autres Etats fdratifs, notamment aux Etats-Unis et en Aus-
tralie, la situation n’6tait gu~re plus satisfaisante. 1 Aussi fut-il dcidE, sous la
pression des membres de l’O.I.T. qui s’estimaient d6savantag~s par rapport
aux Etats f~dratifs, de modifier la clause f~d&ale de mani~re A imposer a ceux-ci
des obligations plus strictes. I1 n’est pas str, cependant, qu’on y ait r~ussi. La
conf6rence de Montreal, en 1946, adopta le texte suivant, qui permettra d’en
juger:

S’il s’agit d’un Etat f&i&atif, les dispositions suivantes seront appliquies:
(a) A ‘igard des conventions et des recommandations pour lesquelles le gouverncment f~d&al
considre qu’une action “f&&ale est approprie, scion son systame constitutionnel, Is
obligations de l’Etat f6d~atif seront les memes que celles des Membres qui ne sont pas des
Etats fidiratifs;

Cb) A l’6gard des conventions et des recommandations pour lesquelles le gouvemement fd&dral
considare qu’une action de la part des Etats constituants, des provinces ou des cantons est,
sur tons Ies points on sot certains points, plus appropri6& sclon son systrme constitutionnel
qu’une action f~d&ale, ledit gouvernement devra:
(i) conclure… des arrangements effectifs pour que ces conventions on recoinmandations
soient an plus tard dans les dix-huit mois suivant la d6ture de la session de la Conf6-
rence, sournises aux autorit~s appropri~es …

en vue d’une action l6gislative…;

(ii) prendre des mesures, sous reserve de l’accord des gouvernements des Etats constituants
, pour &ablir des consultations periodiques entre les autorit~s fdrales d’une part


et les autorits des Etats constitants… d autre part, en rue de d~velopper a lint&-
rieur de l’Etat f&I6ratif, une action coordonne destin&e i donner effet aux dispositions
de ces conventions ou recommiandations… 2

Ce nouveau regime n’a pas favoris6 davantage l’adh~sion des Etats compos~s.
Ni les Etats-Unis, ni l’Australie, ni la Suisse n’ont sensiblement am6lior6 leur
participation; quant au Canada, i1 n’a ratifi6 que neuf conventions entre 1946
4 C’est du moins cc qui ressort d’une d6cision du Conseil priv6 de 1932: In re Regulation &T Control

of Aeronautics in Canada [1932] A.C. 55.

5 0Despr~s, supra, note 46, p. 128.
tmLooper, “Federal State Clauses in Multilateral Instruments” (1955-56) B.Y.I.L., tome 32, pp.

162, 171.

52Constitution de I’O.I.T., art. 19(7); les paragraphes suivants imposent aux Etats l’obligation
de faire des rapports au Directeur g.rn&al du B.I.T. sur les mesures prises pour soumetre les conven-
tions aux autoritis lgisIatives comp6tentes et sur 1’&at de la 16gisIation de Ia f~dration et des
Etats constituants concernant l’objet des conventions. Voir le texte de la Constitution dans Code
international, supra, note 15, p. 3.

McGILL LAW JOURNAL

[Vol. 9

et 1959, la plupart concernant les gens de mer, qui relvent de la compdtence
exclusive du Parlement ffdral.53 Lord Atkin avait suggere, dans 1’arrft de
1937, que le Gouvernement f~deral et les provinces collaborent A la misc en
oeuvre des accords intressant celles-ci, 54 mais 1’experience a montre qu’elles
demeurent alouses de leurs prerogatives dans I domaine socio-6conomique.

La clause f6drale et les drotts de I’homme

On le voit, il n’est pas facile de reconcilier l’internationalisme et le f~d6ra-
lisme. Les Etats constituants de certaines f~drations n’ont aucunement l’inten-
tion d’abandonner, pour des motifs de solidarit’ internationale, des compI-
tences qu’ils ont r~ussi i conserver ou I soustraire aux organes centraux, parfois
au prix de luttes constitutionnelles. Du moins ne veulent-il le faire que de leur
propre mouvement.

En ce qui concerne les projets de Pactes des droits de l’homme, les Etats-
Unis, I’Australie, l’Inde et le Canada oat donc cherch6 i obtenir des avantages
semblables i ceux que leur reconnait la Constitution de I’O.I.T.5 Toutefois, en
1954, au sein de la Commission des droits de l’homme de I’ONU, certains
autres pays se sont object6s avec v~h~mence A un tel passe-droit, invoquant
l’absence de rdciprocitE auquel il conduit. I faut convenir que la disparit6 des
engagements consentis se ferait particuli~rement sentir si les Etats se mettaient
d’accord, selon le projet de Pacte de la Commission, pour 6tablir un organisme
international charg6 d’enqu~ter sur les manquements des Parties. Certains
Etats f~deratifs pourraient alors, tout en ratifiant les Pactes de fagon symbolique,
se retrancher derriere une sorte “d’immunit6 f~drale” et 6chapper aux sanctions.
C’est pour 6viter cette objection que le d6l~gu6 belge proposa qu’un Etat con-
tractant ne puisse invoquer les Pactes contre une autre Partie que dans la me-
sure oA il serait li6 lui-m~me par leurs dispositions. 6 Ce compromis, le plus
raisonnable qui ait 6t6 soumis jusqu’ici, ne fut pas retenu par la Commission;
celle-ci prifra adopter, par huit votes contre sept, et trois abstentions, la pro-
position sovi~tique, ainsi libell~e:

Les dispositions du prisent Pacte s’appliquent, sans limitation ni exception, t toutes Its unitis
constitutives des Etats f~d6ratifs.5 7
I1 est remarquable que parmi les principaux adversaires de la clause f~drale
au sein de la Commission, se trouvassent l’Union Sovietique, la Yougoslavie

“A.&.N.B., art. 91(13); les conventions ratifi6cs par Ic Canada sont publi~cs dans le Recueil des
traitis du Canada, 1946 nos 2, 3 ct 52; 1951 no 20; 1952 nos 29 et 31; 1953 no 24; 1955 no 32; ct 1957
no 10.

51[1937] A.C. 354.
uLooper, supra, note 51, p. 188.
BtE/CN.4IL.344.
57Cctte proposition a donc &E incluse dans ies deux proicts de Pactes: arc. 27 du projct relatif aux
droits iconomiques cc art. 52 du projet concernant les droits civils et politiques. Texte dans I’Annuaire
des droits de l’homme pour 1954, p. 421.

No. 41 CHARTE DES DROITS DE LHOMME POUR LE QUBEC

287

et le Mexique, qui se donnent pour des Etats fdratifs. L’explication en est
que les structures constitutionnelles de ces Eats diffarent considrablement des
regimes f~dratifs traditionnels de 1’Occident.5 8 Le fdralisme est une formule
d’une grande souplesse, qui recouvre aujourd’hui toute la gamme des nuances
allant de la centralisation A la ddcentralisation.

Le Canada et les Pactes des droits de l’homme

Pour sa part, le Gouvernement canadien faisait connaltre son attitude A
I’Assemble g~nrale de l’ONU, par la voix de M. Pearson, d&s avant I’adoption
de la I3claration universelle:

Au scin de I Troisiime Commission, Ia d~lkgation de mon pays s’est abstenue de voter sur
certains des articles de la Dclaration, chaque fois qu’il s’agissait de questions qui, aux tcrmes
de la Constitution fd&trale canadienne, &aient de la comp&ence desgouvernements provinciaux.
Le Gouvernement fdraI … n’entcend pas empi&er sur Ies droits des gouvernements provin-
ciaux, droits auxquels le people canadien est tout aussi attach6 qu’aux princips qui figurent
danas a D6claration.69

Cette position de principe n’a pas varik depuis. Lorsqu’ils fut question de
r~diger un Pacte des droits de l’homme, le dl6gu6 du Canada dclara que son
pays “ne pouvait devenir partie au Pacte en l’absence d’une clause fdfraIe
satisfaisante;” de m~me, en 1950, M. Lesage s’exprima, au. sein de la Troisi~me
Commission de l’Assemble, en faveur d’un regime spEcial pour les Etats A
structure pluritaire.60

II ne s’agit pas RA d’une attitude purement politique; elle est pIut6t fondre,
comme l’admettent M. S Tensen et r. B. Looper, qui ont consacr& de subtan-
tielles 6tudes A la question, sur les limitations juridiques fondamentales con-
tenues dans l’arr~t du Conseil priv. 6 t La position du Gouvernement est d’ailleurs
exactement la m~me sur le plan interne: lorsque fut propose, en 1947, l’adop-
tion d’un Bill of Rights f~dral, le ministre de la Justice se montra tr~s r~serv6:
II est grave, dit-il, de proposer que le Gouvernement fidiral adopte, abstraction faite de ]a
question de savoir s’iI a ou non le droit de I’adopter, une loi qui porterait atteinte aux droits
civils, ct que Ic Gouvernement se serve ensuite de cette mesure, constitutionnelle ou non, pour
annuler les lois adoptes par les assembl~cs l6gislatives . 2
Douze ans plus tard, quand fut vote la Decldration canadienne des droits,
qui garantit le droit de l’individu A la vie, i Ia libert6, A la s~curit6 de la per-

“Voir M. Mouskh6ly et Z. Jedryka, L Gouvernement de l’U.R.S.S. (1961), pp. 386, 391, 319.
“Documents officidls de la IMle session de l’AssembIe g~n&ralc (1948), S&ances plkniires, p. 899

(il s’agissait des articles 23 : 27 de la Dclaration universelle).

“A/3525, p. 141 (1956). Voir B. Day, Le Canada etles droits de l’homme (1953), p. 52.
“Looper, supra, note 51, p. 182; Sorensen, supra, note 24, p. 208. Voir aussi J.-Y. Grenon, “De la

mise en oeuvre du futur Pacte international des droits de l’homme dans I’Etat f6dratif canadien”
(1952) Th~mis, no 4, p. 195; N. Mateesco, “Le Parlement du Canada a-t-iI comp&encc pour voter
unc Ioi des droits de I’homme?” (1961) Th6mis, no 38, pp. 77, 97.

G-Debats de Ia Chambre des Communes, session 1947, tome IV, p. 3204 (19 mai); voir aussi l’opinion
de M. Iesage, p. 3200. Telle est aussi la conclusion qui se d6gage du rapport du Comit8 parlementaire
charg6 d’6tudicr la question et des t6moignages entendus par celui-ci: voir “The Joint Commitee on
Human Rights and Fundamental Freedoms- (1948) Can. B. Rev., tome 26, p. 706.

McGILL LAW JOURNAL

[Vol. 9

sonne, I la jouissance de ses biens, ainsi que les libertes de religion, de parole,
de reunion et de presse, on eut soin de preciser dans la loi m^me que ces disposi-
tions “doivent s’interprter comme ne visant que les mati res qui sont de la
competence du Parlement du Canada. ‘” 63 Les lois provinciales ne sont donc
affectes en aucune fa~on.

fl n’est donc pas douteux qu’en l’absence d’une clause f6derale, le Gouver-
nement central ne se voit dans l’impossibilit6 de ratifier les futurs Pactes des
droits de l’homme; a moins qu’il n’opte pour la ratification accompagnee d’une
dclaration rservant les droits des provinces, comme il le fit pour la Convention
sur les droits politiques de la femme, adoptee par l’Assemble generale en
1952.64 Toutefois, a la suite des difficultes cres par les reserves & la Convention
sur le genocide,65 il est probable que l’Assemble hesite i permettre de telles
stipulations d&ogatoires A l’egard des Pactes, a plus forte raison si elle enterine
6ventuellement la proposition sovietique excluant toute clause f6drale.

Force nous est donc de constater que le Canada et quelques autres Etats
federatifs s’acheminent vers une impasse en mati&e de protection internationale
des droits de l’homme. Certains auteurs canadiens sont d’avis qu’il convient
tout simplement de reconnaitre que les preoccupations de la paix mondiale
doivent 1’emporter sur l’autonomie locale; 66 d’autres pensent que I’A.A.N.B.
devrait sans plus tarder atre modifi6 de manihre a revenir au regime de
‘article
132.67 Ces propositions risquent de soulever plus de problaens qu’elles n’en
rdsolvent; au demeurant, on ne saurait douter qu’elles rencontrent l’opposition
de plusieurs provinces, comme le laissent entrevoir les difficulte’s qui ont surgi
a propos du traite pour le developpement du bassin de la Columbia.

Pour ce qui est du Quebec, si tout effort de legislation internationale doit
se presenter sous la forme d’un empiftement de la. part du Parlement f6deral, il
ne fait pas de doute que le progr s du Droit international rencontrera plus d’un
obstacle. 11 faut donc que Ia Legislature provinciale assume ses responsabilites
dans le domaine des droits de l’homme, puisque aussi bien le Quebec ne saurait
echapper longtemps a 1’emprise du monde exterieur.
6Loi ayant pour objet la reconnaissance et la protection des droits de 1’homme et des liberts
fondamentales (1960), 8-9 Elis. II, c. 44, art. 5(2)et(3). Voir P. W. Bruton, “The Canadian Bill of
Rights: Some American Observations” (1962) McGill L. J., tome 8, pp. 106, 114.

611Rf. suPra, note 13. La rserve est r~dig~e comme suit: “Vu quc sous I regime constitutionnel
canadien la competence lgislativc en cc qui concerne les droits politiques est partag&e entre les
provinces et I gouvernement f~d~ral, le Gouvernement canadien est tenu, en acc~dant A la Convention.
d’apporter une reserve A l'”gard des droits qui rclvent de la comptcnc l6gislativc des provinces”.
esCf. Riserves J la Convention sur le Ginocidt, Avis consultatif du 28 Mal 1951: C.I.J. Recucil 1951, p. 15.
66Voir F. R. Scott, “Centralization and Decentralization in Canadian Federalism” (1951) Can.
B. Rev., tome 29, pp. 1095,1113; M. Cohen, “Bill C-60 and Internati6nal Law” (1959) Can. B. Rev.,
tome 37, p. 228.

67G. J. Szablowski, “Creation and Implementation of Treaties in Canada” (1956) Can. B. Rev.,

tome 34, pp. 28, 56. Cet article montre bien jusqu’oa peut aller l’esprit de centralisation.

No. 4] CHARTE DES DROITS DE L’HOMME POUR LE QUEfBEC

289

III

Les responsabilit~s du Quebec

Dans son livre recent, On Alien Rule and Self-Government, J. Plamenatz a
montr6 que l’ind6pendance politique n’est pas synonyme de libert6 personnelle;6 8
nous pourrions ajouter que les peuples qui ne sont pas entiarement libres de leur
destine politique ont tendance, aujourd’hui plus encore qu’hier, i subordonner
les droits et intr~ts individuels au but collectif. Le Canada frangais n’a pas
6chapp
cette ragle et ses citoyens se sont toujours pr~occupls davantage de
leurs droits minoritaires que de Ia condition et des Iibert~s des particuliers.6 9
E. McWhinney, dans le petit livre fort stimulant qu’il vient d’6crire sur le
f~dralisme compare, ne semble pas avoir saisi cet aspect politique du problme
de la protection des droits de l’homme au Quebec; il se contente en effet de
ramener les diff&ences d’attitude qui existent dans ce domaine entre le Canada
anglais et le Canada frangais, i des questions de civilisation ou de “way of life.” 70
L’affirmation croissante de l’autonomie du Quebec, cependant, permet
d6sormais aux vieux complexes minoritaires de- s’estomper au profit de preoccu-
pations nouvelles, dont celle de mieux prot~ger les droits et libert~s de l’indi-
vidu.71 Non seulement cette 6volution est possible, mais elle devient de plus en
plus indispensable en raison de l’emprise croissante de I’Etat provincial sur la
vie 6conomique et sociale..

Avant d’aborder les moyens par lesquels le citoyen qu~becois pourrait 8tre
garanti plus efficacement de toutes atteintes A ses droits, i convient de deter-
miner la sphere d’action provinciale en mati’re de droits de I’homme.

Tout d’abord, dans chaque province, la lgislature a le pouvoir exclusif de
modifier la constitution locale, sauf en ce qui concerne la fonction de lieutenant-
gouverneur.7 2 La legislature du Quebec est donc comp~tente pour faire des lois
ayant trait a sa propre structure; elle pourrait, par exemple, abolir la Chambre
haute. 73 Elle poss~de 6galement le pouvoir de modifier la composition des
chambres, les conditions d’fligibilitE, les lois 6lectorales, 74 la dure de l’Assem-
ble legislative et la fr~quence des sessions, de m~me que de remanier la carte
6lectorale. 75 Les droits politiques des citoyens, en tant que ressortissants de la

610n Alien Rule and Stir-Government (1960), pp. 22, 50.
6
9Voir M. Brunet, La presence anglaire e les Canadiens (1958), p. 213 et passim.
“5Comparative Federalism (1962), p. 14.
7TDans Ic mme sens, voir E. Colas, “Les droits de I’homme et la Constitution canadienne” (1958)

Rev. du Barreau, tome 18, p. 328.

7A.A.N.B., art. 92(1).
7sLc Quebec est la seule province qui poss&de encore un Conseil 16gislatif; cclui du Manitoba a &6

aboli par la Ugislature provinciale: Statutes of Man., 1876, c. 28, art. 2.

7 Y compris la capacit6 6Iectorale: voir Cunningham v. Tomey Homma [1903] A.C. 151.
71l existe certaines restrictions an pouvoir de remanier cerraines “circonscriptions

lecrorales
fixes”, au nombre de douze: A.A.N.B., art. 80 et deuxi&me annexe. Le but de ces dispositions itait
de protger ]a minorit6 anglophone; elie n’ont plus guire d’utiliti, car tous ces comrt6s comportent
aujourd’hui une population en majorit6 francophone.

McGILL LAW JOURNAL

[Vol. 9

province, dependent donc dans une large mesure de la volonte du lgislateur.
Le seul vritable contr6le auquel il soit sujet est celui qu’exerce l”lectorat. I1
est vrai que l’Ex&cutif fd&ral possde le pouvoir de “d’savouer” (i.e. annuler)
les lois provinciales, mais cette facult6 n’est plus gure utilis~e.78

En second lieu, les assembles provinciales sont seules competentes pour
l~giffrer sur “la proprifte et les droits civils” ainsi que sur “la c’lkbration du
mariage.” 7 7 Nous admettrons d’emblee, avec F. R. Scott, 78 que les mots “droits
civils,” tels qu’employ~s dans l’Acte de Quebec et I’A.A.N.B., ne sont pas
synonymes de “libert~s publiques,” mime si certains arrets ont paru indiquer
le contraire; la confusion s~mantique qui regne dans ce domaine nous vient
d’ailleurs de la langue anglaise, dans laquelle les expressions civil rights et civil
liberties sont fr~quemment employes l’une pour l’autre, particuli~rement aux
Etats-Unis.

Toutefois, la competence provinciale en mati&re de propri~t6 et droits
civils peut avoir de multiples effets sur les droits de l’homme et les libert~s
personnelles. Elle embrasse en effet l’6tat et la capacit6 des personnes, les biens,
les successions, les contrats, le commerce, les d~lits; en somme, l’ensemble du
droit priv6, moins quelques aspects qui ont ‘t6 r~serves a la competence f~drale.
Aussi bien le Code civil a-t-il consacr6 l’in~galit6 entre la femme clibataire et
la femme mari&e; 79 seule la Ikgislature provinciale peut rem~dier A l’incapacite
de cette derni&re et 1 l’6tat de subordination dans lequel elle se trouve par
rapport au. mar. 7 bis

Dans un autre domaine qui relive du droit civil, les tribunaux ont fait appel
au principe de la libert6 contractuelle pour justifier les distinctions de race
dans les tavernes et les thitres. Deux arrets, le premier rendu en 1919 par la
Cour d’appel8 8 et le second en. 1940 par Ia Cour supreme, 8 ‘ ont pr~cis6 qu’en
7 Ellc ne Ic fut pas, du moins, en matiare de droits minoritaires, lorsquc Ic Manitoba, en violation
de la Ioi f6d&ale qui lui avait donnE naissance, supprima l’usage de la languc frangaise dans les
d~bats de la Ugislature et devant les tribunaux. Voir l’Acte du Manitoba (1870), 33 Vict., c. 3,
art. 23; S.R.Man. 1954, c. 187. Surla pratique ricente du ministarede lajustice, voir G. V. LaForest,
Disallowance and Reservation of Provincial Legislation (1955), p. 75.

77A.A.N.B., art. 92(12)et(13).
78″Dominion Jurisdiction over Human Rights” (1948) Can. B. Rev., tome 27, pp. 497, 508.
79Voir A. Cossette, “Les notions d’6galit6 et de discrimination dans Ic droit successoral de la Pro-

vince de Quebec” (1963) Rev. du Not., tome 65, pp. 431, 442.

79b Le prisent article &ait d6ij sous presse lorsque le Bureau de revision du Code civil a soumis
un rapport i la LUgislature, dans lequel il est recommand6 que les articles 176, 177 et 178 du Code
acrucI soient remplac6s par un seul article qui consacrerait Ic Principe de la peine capacith juridique
de ]a femme marine, “sous la seule rserve des restrictions d&ivant du r~gime matrimonial et de ]a
loi.” I1 s’agit la d’une amelioration considerable, mais il reste a savoir dans quel sens Ic Bureau,
dans son prochain rapport, abordera la revision des r~gimes matrimoniaux. A cet 6gard, la reconnais-
sance du principe de “”gaIit6 de droits” de la femme marine, dans le rapport qui vient d’etre sous-
mis, permet d’esp.rer des riformes importantes. Les principes auxquels nous nous rallions dans cc
domaine sont 6noncrs plus bas, aux articles 3 et 7 du projet de Charte.

SLowts Montreal Theatres v. Reynolds [1919] B.R. 459.
8t Christie v. York Corporation [1940] R.C.S. 139. Dans le m~me sens, voir I’arrat r~cent d’une Cour

de district de l’Alberta: King v. Barcla ‘s Motel (1960) 24 D.L.R. (2e s~r.) 418.

No. 4] CHARTE DES DROITS DE L’HOMME POUR LE QUffBEC

291

l’absence de lois spcifiques interdisant ce genre de distinctions, chaque pro-
prifraire est “maitre chez lui” et peut, pour des raisons dont il est seul juge,
refuser de servir un client ou lui interdire d’occuper un fauteuil d’orchestre s2
Dans le m~me ordre d’id6e, il semble que les stipulations contractuelles par les-
quelles l’acqureur d’un immeuble convient de ne pas le revendre A des personnes
d’une certaine race ou couleur, ne soient pas considres contraires a
‘ordre
public qu6becois.8 s Les tribunaux de la province n’ont pas eu l’occasion de se
prononcer sur ce point, mais s’il fant en juger d’apr~s leur attitude a l’6gard des
distinctions raciales dans les theatres, ou encore d’apras la jurisprudence onta-
rienne, ce genre de prohibition d’alikner est valide. Dans la province voisine,
un arr~t de 1945, In re Drummond Wren,84 avait laiss6 esprer une tendance plus
lib~rale en 6cartant une clause raciale (“restrictive covenant”), parce que contraire
A l’ordre public. Les motifs invoqu6s A l’appui de cette decision valent la peine
qu’on s’y arr~te. Le savant juge cite en effet certains articles de Ia Charte
des Nations Unies portant sur les droits de l’homme, la Charte de I’Atlantique,
une resolution contre le racisme adopte par les Etats de l’hemisph~re occiden-
tal et m~me Particle 123 de la Constitution sovi6tique: l’effet de toutes ces
dispositions transparaissait dans la notion ontarienne de “public policy,” meme
en l’absence de ratification ou d’obligation formelle de la part du Canada.
Malheureusement, ce prcedent Eclair6, qui laisse libre cours A l’influence du
Droit international sur le-droit interne, ne fut pas suivi.8 5 Dans un arr~t plus
rcent, Re Noble and Wolf,s la Cour d’appel de l’Ontario dcida A l’unanimit6
qu’une clause stipulant que “The lands and premises …shall never be sold
…rented or alienated to, and shall never be occupied or used …by any
person of the Jewish, Hebrew, Semitic, Negro or coloured race or blood,”
n’6tait pas contraire A l’ordre public. Si la Cour supreme du Canada cassa cet
arr~t par la suite, ce ne fut pas pour le motif que la stipulation en question
enfreignait l’ordre public, mais parce qu’elle souffrait d’imprdcision.8 7 Devant
cette attitude des tribunaux, la Legislature ontarienne vota en 1950 une loi
dont l’effet est de rendre nulle toute clause d’un contrat tendant A restreindre
l’alidnation on l’usage d’un terrain pour des motifs d’origine raciale, religieuse
ou nationale.88 Le Quebec ne poss~de aucune loi de ce genre et, nous l’avons vu,
82Voir A. Brion, “La discrimination raciale dans le commerce” (1955) Th~mis, no 15, p. 191.
t5Voir R. Comtois, “De ]a prohibition d’ali~ner dans les acres i titre onreux. La clause raciale”

(1957) Rev. du Not., tome 59, p. 321.

81[1945] 4 D.L.R. 674.
uPour un commentaire favorable, voir C. B. Bourne (1951) Can. B. Rev., tome 29, p. 969.
s1[1948] 4 D.L.R. 123; [1949] 4 D.L.R. 375; [1951] 1 D.L.R. 321.
“TNoble & Wolf v. Alley [1951] R.C.S. 64.
tt Conzeyancing and Law of Property Act, R.S.O. 1960, c. 66, art. 22, adopt en 1950, c. 11, art. let.
Une Ioi ant~rieure, Ic Racial Discrimination Act, Stat. of Ont., 1949, c. 51, interdisait d&j! I’aflichage
ou la publication d’avis comportant des distinctions de race, mais un arrat maintint que cette loi
n’empFchait pas la publication r6sultant de I’cnregistrement d’une clause raciale: Re McDougall &
Waddell [1945] 2 D.L.R. 244.

McGILL LAW JOURNAL

[Vol. 9

les tribunaux sont peu enclins i largir la notion d’ordre public. 11 appartient
donc au l~gislateur provincial d’intervenir en decr~tant formellement la nullit6
des clauses raciales et en condamnant le traitement pr~frentiel dans les tavernes
ou les th ltres. C’est d’ailleurs ce qu’a fait, ainsi que nous le verrons, la L~gis-
lature de la Saskatchewan. 8 bis

Troisi~mement, le Quebec poss~de une comp~tence tr~s ample en matiare de
lgislation sociale et de aroits 6conomiques, comme nous l’avons constat6 plus
haut. La creation rcente d’un systame d’assurance-hospitalisation obligatoirc 9
montre que la Igislature entend faire face A ses responsabilit~s en matiare de
s~curit6 sociale. De m~me, 1’6tablissement d’un Conseil d’orientation 6cono-
mique et d’une Soci~t6 g~nrale de flnancement 0 ainsi que des initiatives du
Gouvernement dans le domaine 6conomique t~moignent d’une volont6 de dave-
loppement et de planification au niveau provincial. Par ailleurs, il est ind6-
niable que le Parlement f6d~ral jouit d’une competence exclusive en ce qui con-
cerne le commerce ext~rieur, le tarif douanier, la monnaie, les taux d’intfrtts
et l’assurance-ch6mage, sans compter les vastes pouvoirs qu’il detient a I’egard
de la fiscalit6 et de la pr~quation financi~re, si bien que la stabilit6 6conomique,
condition premiare de la protection des droits sociaux et 6conomiques, dolt etre
l’oeuvre commune des organes f~d&ax et des provinces.

Les responsabilit~s et pouvoirs 6tant partag~s, rien n’interdit I la Legislature
du Quebec d’adopter sa propre dclaration des droits 6conomiques et sociaux.
I1 n’existe pas de v&’itable d~mocratie politique qui ne soit, dans une large
mesure, ne d~nocratie 6conomique.9 1 Sans le droit au travail, sans la libert6
de former des associations syndicales, sans un niveau de vie minimum et Ic
droit d’occuper n emploi en labsence de toutes distinctions de race, de croyance
ou d’origine, les “droits politiques” ne seraient qu’une expression vide de sens.
Toutefois, il faut prendre garde A certaines difficults d’ordre constitutionnel.
Ainsi, dans le Bill of Rights Act adopt6 par l’Alberta en 1946, chaque citoyen se
voyait garantir l’emploi ou une pension de scurit6 sociale; en vue de donner
effet A ces droits, la loi accordait Ai une r~gie provinciale un certain pouvoir de
contr6le sur toutes les institutions de credit, y compris les banques.12 Le Conseil
8’bis Pricisons que ]a Loi sur les licences, S.R.Q. 1941, c. 76, interdit I toute personne autoris6c a
tenir un h6tcl on un restaurant de refuser, sans motif raisonnable, de loger un voyageur ou de lui
donner i manger. Tout recemment, dans la nouvelle Loi sur l’h6tellerie (Bill 7, adopt6 Ic 10 juiliet
1963), les m~mes dispositions our 6t6 reprises et il est pr~vu que Ie ministre pourra refuser, suspendre
on annuler Ie permis de tout h6telir ou restaurateur trouv6 coupable d’unE infraction A ]a loi (art.
7 et 8). Malheureuserent, rien n’indique que la discrimination raciale on autre ne constitue pas “un
motif raisonnable”; en outre, ]a discrimination ne fait pas clairement partie des infractions entratnant
une amende ou la perte du permis. Voir plus loin Ie projet de Charte, art. 8.

“Loi instituant l’assurance-hospitalisation (1960), 9-10 Elis. II, c. 78 et r~glements cn annexe.
ILoi concernant le Conseil d’orientation 6conomique du Quebec (1961), 9-10 Elis. II, c. 15; Loi

constituant la Soci& g~nrale de financement du Quebec (1962), 10-11 Elis. II, c. 54.

“Cf. P. E. Trudeau, “Economic Rights” (1962) McGill L. J., tome 8, p. 121.
9Mlhe Bill of Rights Act, Stat. of Alberta, 1946, c. 11.

No. 4] CHARTE DES DROITS DE LHOMME POUR LE QUEBEC

293

priv6, appelb a se prononcer sur Ia validit6 de ces dispositions, d~cida que celles-
ci avaient trait i la banque, laquelle rel~ve de Ia competence f~drale; Ia loi
fut donc invalid6e dans son ensemble.93 En attendant les r~formes qui permettront
une v&itable collaboration entre le Gouvernement f~dral et le QuEbec dans
1’6laboration d’une politique mon~taire et dune strat~gie fiscale anti-cyclique
qui tiennent compte des besoins r~gionaux, la Ikgislature devrait donc se con-
tenter d’6noncer les principes du droit au travail, i un niveau de vie minimum
et a la securit6 sociale, quitte i se montrer plus precise RA oil sa compEtence ne
souffre aucun doute, notamment A l’6gard du droit de former des syndicats et
du droit de grave.

En quatri~me lieu, l’article 93 de I’A.A.N.B. confie aux assembles provin-
ciales le pouvoir exclusif de kgif&er en matiare d’enseignement, sous r6serve
toutefois du respect des droits minoritaires reconnus an moment de l’union
ou qui seraient 6tablis par Ia suite A 1’6gard des 6coles s6pares ou dissidentes.
Dans le Quebec, la confessionnalit6 scolaire 6tait bien 6tablie en 1867; elle n’a
fait que se consolider depuis, grice A I’autonomie considerable dont joissent,
an sein du Conseil de l’instruction publique, les Comit~s catholique et protes-
tant9 4 et a la creation d’une commission scolaire de religion judaique pour Ia
region de Montral,95 si bien que le contr6le que devrait exercer l’Excutif
provincial sur la direction pdagogique du systame scolaire public s’en trouve
rduit A sa plus simple expression.

Toutefois, personne ne saurait mettre en doute la comptence de Ia Igis-
lature en ce qui concerne le droit de 1’individu a l’instruction, qu’il s’agisse du
niveau primaire, secondaire on de l’enseignement sup~rieur, sauf a respecter
les droits minoritaires.98 A la suite de Ia publication toute rcente de la premiere
partie du rapport de la Commission d’enqufte sur l’enseignement dans le
Quebec,9 7 l’Assemblke lgislative sera sans doute appele A reformer les struc-
tures suprieures du syst~me scolaire par 1’6tablissement d’un ministare de
l’Education et A donner une nouvelle definition du rble des Comit~s catholique
et protestant. 98 II faut esprer que, dans la suite de son rapport, la Commission

93A.-G. for Alberta v. A.-G. for Canada [1947] A.C. 503.
O4Voir la Loi concernant linstruction publique, S.R.Q. 1941, c. 59, art. 20, 23, 27 A 34.
OLoi concernant l’&-ucation des enfants de croyance judaique dans I’lle de Montral (1930), 20

Geo. V, c. 61, art. 1, 10 cc 12.

WVoir R. Hurtubise, “La confessionalitE de notre systame scolaire et les garanties constitution-

nellcs” (1962) Rev. du Not., tome 65, pp. 167, 169.

9 apport publi6 en avril 1963, tome let, pp. 105, 115.
9SL present article avait d&jA 6t6 livr&i l’imprimeur quand deux projets de loi destin&s A imettre
en oeuvre les recommandations de la Commission ont 6t6 prisents A la Igislature par le Gouverne-
ment (Bill 60, du 26 juin 1963). On pr~voit une certaine opposition A ces projets, qui proposent la
crEation d’un minist&re charg6 de d~velopper et coordonner l’instruction publique A tons les niveaux,
ainsi que d’un Conseil sup6rieur de l’ducation, donc les fonctions seraicnt principalement dordre
consultatif. D’aucuns craignenr que Ic nouveau minist&e se voit attribuer des pouvoirs trop 6tendus.
Pour notre part, nous croyons qu’il est grand temps que l’administration de 1’enseignement soit cen-
tralis&c et confi&e a un ministre responsable devant la Ikgislature; il ne s’agit d’ailleurs 1 que d’un
premier pas vers les riformcs que nous proposons plus loin (voir le projet de Charre, articles 20 A 22).

McGILL LAW JOURNAL

[Vol. 9

Elabore 6galement la question du droit de tout citoyen de recevoir une instruc-
tion qui lui permette de d~velopper pleinement sa personnalit6; elle s’est de’j
engage dans cette direction, selon les normes proposes par l’article 14 du
projet de Pacte des droits 6conomiques, sociaux et culturels de I’ONU, puis-
qu’elle dclare que ‘l’ re nouvelle exige que tous les eicoliers aient accs au niveau
d’enseignement correspondant A leurs aptitudes” et que ‘Tobjectif a atteindre
est de rendre accessibles.a tous les 6tudiants les cours qui conviennent A leur
talent.”9

11 est permis de croire que la Lgislature recevra favorablement ces recom-
mandations, puisque aussi bien e11e a adopt6 rcemment plusieurs lois destinies
a faciliter l’acc~s aux 6tudes sup~rieures. 10
Il ne lui restera plus alors qu’a
consacrer le principe du droit de tous I 1’instruction, dans une charte provinciale
des droits de l’homme.

Cinqui~mement, bien que le Parlement central possede la competence 16gis-
lative a l’gard du droit pnal et de la procedure en matiare criminelle, 10 1 les
provinces se sont vues attribuer l’administration de la justice, y compris la
constitution de tribunaux provinciaux, ainsi que le pouvoir d’infliger des peines
par voie d’amendes ou d’emprisonnement, en vue de faire respecter les lois
provinciales.’x 2 Les libert6s personnelles du citoyen sont donc dans une large
mesure A la merci d’institutions provinciales, d’autant que les forces policiires
provinciales et municipales, de m~me que les coroners, rel~vent en dernier ressort,
quant a leurs fonctions et pouvoirs, de la Legislature. 1 3 Certes, le Code criminel
contient plusieurs dispositions relatives a la maniare d’effectuer les arrestations 04
et la jurisprudence affirme que le policier ne possade aucun pouvoir discretion-
naire quant A l’interpellation et A l’interrogatoire des citoyens; 1 5 en outre, la
Dclaration fdrale des droits de l’homme garantit A toute personne arrt6e
ou dtenue le droit d6tre promptement informe des motifs de son arrestation,
le droit de retenir les services d’un avocat sans d~lai, ainsi que le recours par
voie d’habeas cormpus pour qu’il soit jug6 de la validit6 de sa detention (art. 2).
Cependant, il ne peut exister de protection v~ritable pour l’individu, dans ce

9 9Rapport p. 76.
I0 0Voir 12 Loi pour faciliter I’accks aux itudes suprieures, 7-8 Elis. II, c. 13; Loi concernant une
aide financire aux universit~s, 8-9 Elis. II, c. 15; Loi du financement des investissemcnts universi-
taires, 9-10 Elis. II, c. 34.

“‘0 A.A.N.B., Art. 91(27).
1021d., art. 92(14)ct(15); voir Lagarde, Droit pbal canadien (1962), p. 643. Cc pouvoir d’infliger
des peines par voie damendes ou d’emprisonnemenr, pour des fins provinciales, est aussi ample quc
la comptence fidiraIe relative aux sanctions p~nales: voir Rexv. Nat Bell Liquors Ltd. [1922] 2 A.C.
128.

1 03Loi de la S6=ret provinciale etc., S.R.Q. 1941, c. 47, art. 2, 9; Loi conccrnant les coroners, S.R.Q.
1941, c. 22, art. 38, qui permet a ces officiers de justice d’ordonner la dtention -de toutc personne
ou de tout trmoin dont il peut avoir besoin”, avant o- pendant 1’cnquete, avec ou sans mandat.

“‘Code criminel, 2-3 Els. II, c. 51, art. 26, 29 et 438.
105V.g., Korchlin v. Waugh & Hamilton (1957) 118 C.C.C. 24.

No. 4] CHARTE DES DROITS DE L’HOMME POUR LE QUBEC

295

domaine, sans la cooperation des provinces. En consequence, iI nous semble que
la LUgislature pourrait a bon droit adopter des mesures de sauvegarde des
libert~s personnelles en ce qui concerne l’arrestation et la d~tention du citoyen,
ainsi que le droit de celui-ci d’8tre entendu et d~fendu.

En sixi~me lieu, l’attention de la Ikgislature doit Etre attire aussi sur les
droits de l’individu devant les corps administratifs provinciaux. On sait la
controverse qui oppose depuis plusieurs annes. les tribunaux de droit commun
et le I6gislateur au sujet du contr6le des actes de I’administration. 08 Le droit
public britannique a labor6 la pratique du contr6le juridictionnel de la l6galit&
des decisions administratives, suivant la tradition du Rule of Law consacrie an
XIXe si&cle par A. V. Dicey; 0 7 il n’existe pas au Quebec d’institutions sem-
blables au Conseil d’Etat frangais, tribunal d’appel qui fait partie de la hirar-
chie administrative et dont les arrets sont definitifs.Y’ 8 Le Gouvernement
qu~bcois, comme ceux des autres provinces, cherche cependant A 6carter ce
contr6le juridictionnel, invoquant le besoin d’independance et la ncessite du
fonctionnement rapide et efficace de I’administration, dans l’intret meme de
la societ6. 1 arrive en effet que d’aucuns se servent des tribunaux pour entraver
la marche de certains organismes administratifs. 09

Par ailleurs, le citoyen pourrait se trouver A la merci de l’excas et du d~tour-
nement de pouvoir de la part d’un fonctionnaire ou d’un corps administratif,
voire d’une violation formelle de Ia ragle de droit, si Ia Cour sup~riere nexer-
gait pas le “pouvoir de surveillance er de contr6le” dont la Ikgislature a cherch6
& Ia priver a diverses reprises.110 En outre, dans un regime fidEratif, qui sera
en mesure de faire respecter le partage des pouvoirs entre le Parlement central
et Ies, provinces si l’on retire aux tribunaux leur traditionnel droit de regard
sur les lois appliquees par l’administration? C’est pour des raisons de cet ordre
que les tribunaux du Quebec et la Cour supreme ont r6sist6 aux tentatives du
lgislateur A 1’effet de circonscrire leurs prerogatives.”1 Ainsi, dans l’affaire de
l’Alliance des professeurs (1953), qui constitue sans doute l’arrat le plus important
de la Cour supreme dans ce domaine, ce haut tribunal refusa de reconnaitre
108Voir G. V. LeDain, “The Twilight of Judicial Control in the Province of Quebec” (1952)

McGill LJ., tome 1, pp. 1, 7.

‘0 7Voir Tke Law of the Constitution (lOc &l., 1959).
1osVoir A. de Laubad~ae, Traiti 8l6mentaire de Droft administratif (2e Mi., 19-57), p. 241.
10 gVoir P. Cutler, “The Controversy on Prerogative Writs” (1963) Rev. d Barreau, tome 23,

pp. 197, 21a et les exemples conerets que l’auteur donne de ces abus.

110Voir Loi concemant la r~gie des loyers (1951), 14-15 Geo. VI, c. 20, art. 13 et 17; Loi concernant
la Commission des relations ouvri~res er les conseils d’arbitrage (1951), 14-15 Gco. VI, c. 36, art.
1 et 2; Loi concernant la Commission de transport de Montral (1951), 14-15 Geo. VI, c. 124, art. 2;
Loi pour supprimer les retards dans Ie raglement des diff&ends entre employis et employcurs (1952),
1-2 Elis. II, c. 15.

‘En cc qui concerne l’attitude des tribunaux provinciaux, voir LeDain, supra, note 106, p. 21;
quant a la Cour supreme, voir Toronto Newspaper Guild, Local 87, American Newspaper Guild (C.LO.)
v. Globe Printing Co. [1953] 2 R.C.S. 18.

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[Vol. 9

l’immunit6 de juridiction de la Commission des Relations ouvrikres du Quebec,
bien que cette immunit6 ait 6t d&r&e express~ment par la Legislature, la
Commission n’ayant pas respecte les “principes de justice fondamentale” en
refusant d’entendre l’une des parties, dans un litige relatif a la reconnaissance
syndicale.112

La raction de la Lgislature, A la suite de cet arr~t, montre bien, cependant,
que les droits de l’homme ne sauraient &tre proteges uniquement par les tribu-
naux. Si, d’une part, elle accepta de soumettre explicitement la Commission A la
r~gle audi alteram partem, 13 d’autre part, elle detruit compl&tement l’effet de
l’arrh en 16gifrant r&roactivement de manikre A faire perdre au syndicat
int~ress6 le droit de representation que lui avait rendu Ia Cour supreme. 14
En outre, elle modifia l’article 50 du Code de procedure civile de maniere a
restreindre de fagon plus certaine le pouvoir de surveillance et de contrle de
la Cour suprieure sur les corps administratifs.’15 Ici encore, on le voit, l’attitude
du lgislateur provincial est un facteur avec lequel il faut compter dans tout
effort de protection des droits fondamentaux. Dans toutes les controverses du
genre de celle que nous venons de relater, ce sont pr~cis~ment les droits de
l’individu qui risquent d’&tre perdus de vue. Aussi la Legislature devra-t-elle
envisager des r~formes destinies a assurer le respect des droits de 1’homme, sans
pour autant g~ner indfiment le processus administratif. Hl a et6 suggere d’ajouter
au Code de procdure civile des dispositions r~glant l’appel des d&isions admi-
nistratives, soit par la creation d’un banc spcial de trois juges au sein de la
Cour sup6rieure,116 soit par la simplification des voies de recours et l’inscription
de Pappel en Division de pratique. 11 7 II faut esp&rer que la Commission de
r&vision du Code de procedure civile, qui siege depuis 1960, saura s’inspirer
de ces idles, en attendant I’&tablissement 6ventuel d’un Conseil d’Etat sur le
mod&Ie europ6en. Mais ce n’est pas tout: I c6te de cet am~nagement de la
procedure, le l~gislateur devrait 6galement d~finir la position de l’individu
vis-a-vis de l’administration dans une loi g~nrale sur la sauvegarde des droits
de l’homme, dont nous parlerons plus bas.

En dernier lieu, il nous reste A &tudier la competence provinciale a 1’6’gard
des libert.s publiques, que Mignault appelait “droits publics” pour les bien
distinguer des droits civils et politique.11 s Ce sont la liberte de religion, le
droit de manifester sa pens&e par la discussion ou par la voie de la presse, enfin
Ia libert6 de s’assembler paisiblement et de s’associer.

1 ‘2Alliance des professeurs catholiques de Montrial v. Labour Relations Board of Quebec [1953] 2 R.C.S. 140.
‘ILoi modifiant la Loi des relations ouvriires (1953-54), 2-3 Elis. II, c. 10, art. 4.
114Loi modifiant la Loi des diff&ends entre les services publics et leurs salaris (1953-54), 2-3 Elis.

IT, c. 11 (mieux connue sous le nom de “Bill 20”).

115Loi modifiant le Code de procedure civile (1957), 5-6 Els. IT, c: 15, art. ler.
11 6LeDain, rupra, note 106, p. 20.
‘”Cutler, supra, note 109, p. 234.
118Le Droit civil canadien (1895), tome 1, p. 131.

No. 41 CHARTE DES DROITS DE L’HOMME POUR LE QUABEC

297

Traditionnellement, ces libert6s fondamentales rel~vent, en regime britan-
nique, du droit public; elles sont le fruit du combat sculaire entre le Parlement
et la Couronne, auquel nous avons fait allusion. Au moment oi I’A.A.N.B.
fit vot& par la Ugislature impriale, il semble qu’on air pris pour acquis que
ces libertfs s’imposaient d’elles-m~mes aux gouvernements, tant f~dral que
provinciaux. Aussi bien ne trouvera-t-on dans I’A.A.N.B. aucune allusion
directe aux libert~s de religion, de presse ou d’association; la loi fondamentale
se contente en effet de constater que les colonies “ont exprim6 le dfsir de se
fdfrer en un dominion .. .r~gi par une constitution semblable en principe a
celle du Royaume-Uni.””19 Les articles relatifs au partage des pouvoirs entre
les organes centraux et les provinces ne sont gu~re plus precis, hormis
P’article 91, qui attribue au Parlement frdral une autoritE exclusive A l’6gard du
droit penal et le pouvoir -de faire des lois pour la paix, Pordre et le bon gouver-
nement du Canada;” quant aux provinces,
‘article 92 ne leur accorde explici-
tement aucune competence dans le domaine des libert~s publiques.

I etait donc presque inevitable que naissent des conflits de competence au
sujet de ces libert~s, particulikrement 1 compter du moment oA les provinces
voulurent 16gifrer dans le domaine socio-6conomique ou dCfinir ce qui consti-
tuait la paix et l’ordre sur le plan local. Les tribunaux qu~bcois ont toujours
eu tendance a favoriser la Legislature provinciale dans ces conflits, pour les
raisons que nous esquissions au d6but de ce chapitre, 12
1 mais un vigoureux coup
de barre de la Cour supreme, depuis l’affaire de la presse albertaine (1938),I21 a
r~affirm6 la preponderance f~d&rale et permis au Parlement d’inclure les libertrs
de religion, de parole, de r~union et d’association, ainsi que celle de la presse,
dans la Dclaration canadienne des droits (art. ler). Dans t’arrt relatif a la
presse de T’Alberta, les juges Duff et Davis soutiennent que toute tentative a
l’effet de circonscrire la libert& de discussion est contraire au regime parlemen-
taire, tandis que le juge Cannon est d’avis que les restrictions envisages dans
la loi albertaine rel~vent du droit penal. 11 semble donc que YA.A.B.N. contienne
des limites implicites aix pouvoirs des l6gislatures et que, en tout 6tat de
cause, certaines libert~s publiques sont prot ges par le biais du droit criminel.
Cette tendance ressort 6galement de plusieurs arr~ts plus rcents, dont le plus
important avait trait i la “loi du cadenas,” adopt~e par Ia l6gislature du
Quebec en 1936. Cette loi autorisait le procureur g~naral a confisquer tout
journal ou imprim6 tendant i propager le communisme; il pouvait 6galement
ordonner, pendant une priode n’excdant pas un an la fermeture de toute
maison ayant servi aux mmes fins.122 Dans SwitZman v. Elbling,2 3 la Cour dc&ide
que les dispositions de cette loi tel&vent du droit penal et, par voie de cons6-

21″A.A.N.B., pr6ambule.
’20V.g., Fineberg v. Taub 77 C.S. 233.
1211n re Three Bills passed by the Legislative Assembly of the Prov. of Alberta [1938] R.C.S. 100.
n2Loi protgeant la province contre la propagande communistc (1936), 1 Geo. VI, c. 11, art. 4,

14; S.R.Q. 1941, c. 52.

“2[1957] R.C.S. 285. Voir aussi Boucher v. The King [1951] R.C.S. 255.

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[Vol. 9

quence, de la comp&ence exclusive du Parlement f~dral. En outre, les juges
Rand, Kellock et Abbott opinent que la loi en question constitue un empiate-
ment injustifiable sur une libert6 essentielle an fonctionnement du regime
d~mocratique.

Toutefois, il serait hitif de conclure, par suite de cette jurisprudence, que
l’action des provinces ne “peut en aucune fa~on restreindre les libertes civiles.
Ainsi, la lkgislation relative au libelle diffamatoire est tout aussi apte a cir-
conscrire la libert6 de presse que les sanctions d’ordre penal. De plus, les pro-
vinces et les municipalites doivent 6tre habilit&s, an moins en quelque mesure,
a faire des lois er des r~glements pour le maintien de l’ordre, si bien que la liberte
rev~t certains “aspects” provinciaux. On ne saurait oublier, par ailleurs, que
le recours le plus efficace contre un ministre, fonctionnaire ou policier qui a
exc~d6 ses pouvoirs demeure dans bien des cas l’action civile en responsabilit ;1 4
or, la d6finition de la faute et la mesure de la r~paration sont alors determinees
par le droit qu~bcois, de m~me que les privilages et immunits dont jouissent les
magistrats et policiers dans l’exercice de leurs fonctions. 125

Quelques exemples tires de la jurisprudence et de la l’gislation rccentes
suffiront A montrer jusqu’I quel point la L~gislature provinciale peut btayer
ou miner les libert~s. Dans l’affaire Saumur,1 21 il s’est trouv6 une majorite de
la Cour supreme (5 contre 4) pour dcider qu’un raglement municipal inter-
disant la distribution de livres, pamphlets ou circulaires dans les rues, sans
l’autorisation pr~alable du chef de police, relevait de la competence provinciale
et n’Etait pas invalide du seul fait qu’iI empi~tait incidemment sur la libert6
de presse. La Cour semble donc h~siter A d~pouiller les provinces et les munici-
palits de tout moyen de contr6le sur les activits ambulantes des zelateurs
d’id&s nouvelles; il appartient donc A la LUgislature d’adopter une discipline
qui soit respectueuse de la libert6.

Un autre aspect de l’arret Saumur avait rapport A la libert6 de religion. Le
juge Kerwin, se d~tachant de la majorit6, estimait en effet que Saumur, un
tmoin de Jehovah, ne pouvait &tre empchE de distribuer ses pamphlets reli-
gieux car il y 6tait autoris6 par une loi de 1851 sur la libert~s des cultes. Cette
loi, passe depuis 1867 dans les recueils de lois du Qubec, accorde A tous les
habitants de la province “la jouissance et le libre exercice du culte de route
profession religieuse, sans distinction ni pr~f&ence, mais de maniare a ne pas
autoriser des pratiques incompatibles avec la paix et la s~irete.” 1 27 M. Saumur
ayant de la sorte obtenu gain de cause par 5 voix contre 4, la Legislature cher-

12Voir Dame Strasbourg v. Lavergne [1956] B.R. 189; Roncardl v. Duplessis [1959] R.C.S. 121;

Lamb v. Benoit [1959] R.C.S. 321; Nadeau, Traiti de Droit civil du Qulbec (1949), tome 8, p. 208.

‘-2Loi sur Ies privilges des juges de paix et des magistrars, S.R.Q. 1941, c. 18, art. 2, 7; Loi dc Ia

sfiret provinciale, S.R.Q. 1941, c. 47, art. 24.

26Saumur v. Cite de Qulbec [1953] 2 R.C.S. 299.
22oi concernant la libert6 des cultes e Ic bon ordre dans Ics 6glises et Icurs alentours, S.R.Q.

1941, c. 307, art. 2.

No. 4] CHARTE DES DROITS DE L’HOMME POUR LE QUIABEC

299

cha, une Lois de plus, en 1954, A neutraliser l’effet de l’arrt de la Cour en modi-
fiant la loi que nous venons de citer de la mani&e suivante:

Ne constitue pas la jouissance nile libre exercice du cuite d’une profession religicuse Ic fait
* . . de distribuer, dans des places publiques on i domicile, des livres, revues, pamphlets…
ou autres publications contenant des attaques outrageantes on injurieuses contre le culte d’une
profession religicuse ou les croyances religicuses d’une partie quelconque de Ia population de
. . Tout acre [d~crit ci-dessus] est un acre constituant un danger pour la paix
a province.
publique et le bon ordre… 2

Cet amendement, dont leffet virtuel est de mettre n terme au pros~lytisme de
nombreuses sectes, est-il valide au regard de la constitution? 125 F. R. Scott
exprime l’opinion que la r6glementation des pratiques religieuses rel~ve histo-
riquement du droit pInal et se trouve de la sorte assujettie A la comptence
lgislative du Parlement central depuis l’union; la loi de 1851, adopte par
l’ancienne legislature des deux Canadas, ne pourrait donc 6tre modifie par le
Quebec et constituerait en quelque sorte tn Bill of Rights en matikre religieuse. 130
A la lumiare de l’arrft Birks,’ 35 rendu par la Cour supreme en 1955, nous nous
rangeons au m~me avis.

La libert6 des cultes, qui est Ia permission donne a toutes les religions de
se manifester extirieurement selon leurs rites propres, entraine ncessairement
la libert6 de conscience, qui peut se d~finir comme I’absence de contrainte dans
toute action concernant la vie morale, telle que la conversion A telle ou telle foi.
Ce point ressort nettement des arr8ts Chabot’32 et Chaput.135 Dans Ia premiere
affaire, la Cour d’appel du Quebec reconnaft le droit primordial des parents
en mati~re. d’education religieuse et drcide que la Loi de l’instruction publique
ne saurait 8tre interpr~t~e de manikre a obliger les enfants ayant le droit de
frequenter l’6cole publique de suivre ne instruction religieuse a laquelle leurs
parents s’opposent; dans la seconde, la Cour supreme condamne trois policiers
A r~parer le prejudice materiel et moral caus6 par l’interruption d’une cr~monie
religieuse dans ne maison prive et la dispersion de toutes les personnes pr6-
sentes. Quelques extraits de cet arr~t suffiront a en 6tablir Ia port~e:

Dans notre pays, dit Ic juge Taschereau, il n’existe pas de religion d’Etat. Personne n’est tenu
d’adh~er 1 une croyance quelconque. Toutes les religions sont sur un pied d’6galit6, et tous
les catholiques comme d’ailIeurs tous les protestants, les juifs, ou les aurres adhirents des
diverses dnorninations religicuses, ont la plus entiire libert de penser comme ils le dsirent.
La conscience de chacun est une affaire personnelle, et l’affaire de nul aurre. 134

De toutes les libert6s que poss~de le citoyen qu~becois, la libert6 de religion
semble donc 8tre la mieux proteg&e, tant par la l6gislation p~nale f~d&rale que

1SLoi modifiant la Loi sur la libert6 des cultes ctc. (1953-54), 2-3 Elis. II, c. 15.
1 M. Saumur a tent d’obtenir une rponse des tribunaux A cette question par voie d’action d~cla-
l ‘cbouter de sa demande, ce genre d’action n’existant pas en

raroire, rais la Cour d’appel vient de
droit quib~cois: Saumur drJehovah’s Witnesses v. A.-G. for Quebtc [1963] B.R. 116.

2

131F. R. Scott, Civil Liberties and Canadian Federalism (1959), p. 16.
1311enry Birks & Sons Ltd. v. The City of Montreal [1955] R.C.S. 799, 807, 809.
1Chabot v. Les Commissaires d’Ecok de Lamorandire [1957] B.R. 707.
ln’Chaput v. Romain [1955] R.C.S. 834.
13 1d., p. 840 (juge Taschereau).

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[Vol. 9

par la Loi de 1851 sur la libert6 des cultes; il existe d’aileurs de multiples raisons
d’ordre historique A cela. Neanmoins, la reaction de la Legislature A la suite
de l’arret Saumur a cr66 un climat d’incertitude qu’elle se dolt de dissiper en
abrogeant
‘amendement de 1954. En outre, puisque “l’administration” des
libertes publiques relive de la province, il serait utile que toute loi de sauve-
garde des droits de l’homme contienne quelques dispositions de base protegeant
les libert~s religieuses et politiques.

L’esquisse que nous venons de tracer du champ provincial en matie’re de
droits de l’homme et de libertes fondamentales suffit a faire voir I’ampleur des
responsabilites de la Legislature. L’autorite de celle-ci ne souffre pas de doute en
ce qui concerne les droits civils, sociaux, economiques et politiques; il est a peine
besoin d’ajouter que, depuis l’arrt Hodge (1883), la souverainete des assemblees
provinciales, dans la sphere de leurs competences propres, est tout aussi ample
que celle du Parlement imperial.13 6 Par ailleurs, dans le domaine des libertis
personnelles et publiques, nous avons vu qu’une legislature decidee A faire
passer les prerogatives de l’Etat et les privileges des corps administratifs et
policiers avant le respect de la libert6, peut avoir une forte influence sur la raise
en pratique des r~gles destinees A prot~ger l’individu. Aussi serait-il opportun,
en raison de la presence croissante de I’Etat provincial dans toutes les activites
humaines, que la L6gislature adopte une loi ou charte de sauvegarde des droits
et des libertes.

IV

La Charte qubcoise des droits de rhomme

Les sources legislatives des droits de l’homme dans le Quebec sont, comme
on l’aura constat6 plus haut, A la fois eparses et parcimonieuses; en outre, ces
garanties, qui se trouvent notamment au Code civil, dans les lois 6lectorales
ou la legislation sociale, sont susceptibles d’etre abrogees ou modifies par un
simple vote majoritaire de la Legislature. Quant A la jurisprudence, elle s’est
montr~e hesitante a l’6gard de l’extension de la notion d’ordre public et a
souvent fait preuve de rticence dans l’application des principes de la respon-
sabilit6 civile aux fonctionnaires publics qui excedent leurs pouvoirs.130 Les
juges ne sont apparamment pas disposes A se substituer au legislateur et atten-
dent en quelque sorte que celui-ci assume ses responsabilites; cette attitude est
d’ailleurs frequente chez les tribunaux des autres provinces.

Les droits de l’homme dans les autres provinces

Les lbgislatures de l’Ontario et de la Saskatchewan ont su, au moins en

quelque mesure, repondre i cette expectative. Ds 1944, l’Ontario interdit la
publication ou l’affichage d’avis ou d’affiches comportant une discrimination a

135Hodge v. The Queen (1883) 9 A.C. 117.
“‘IVoir notamment les arrats de la Cour d’appel dans les affaires Chaput, Lamb et Roncarelli, [1954]
B.R. 794; [1958] B.R. 237; [1956] B.R. 447. Ces trois d6eisions ont &E infirmics par la Cour supreme:
jupra, notes 124 ct 133.

No. 4 CHARTE DES DROITS DE LHOMME POUR LE QUABEC

301

l’endroit de toute personne ou de tout groupe, en raison de leur race ou de leur
religion. 13 7 Cette loi et plusieurs autres adoptes par la suite dans Pintention
de mettre fin aux distinctions raciales ou autres dans l’emploi et le logement,
viennent d’6tre reunies dans le Code ontarien des droits de l’homme, entr6 en vigueur
en avril 1962.13111 est int~ressant de noter que le pr6ambule de ce code fait allu-
sion I la Dtclaration universelle; l’ordre public ontarien, y ajoute-t-on, re-
connait que toute personne est libre et 6gale en dignit6 et en droits “sans distinc-
tion de race, de croyance, de couleur, de nationalit6, d’ascendance on de lieu
d’origine.”

C’est cependant an nivean des sanctions que la loi ontarienne offre le plus
d’intret. La Lagislature 6tablit en effet une Commission des droits de l’homme
compose de trois membres et habilite A recevoir les plaintes des particuliers. 139
La Commission doit chercher a r~gler les diff&ends A l’amiable, mais elle poss~de
6galement le pouvoir de faire enquate et de soumettre un rapport an ministre
du Travail. Celui-ci dcide alors s’il y a lieu d’instituer une poursuite *Mnale,
tout d~lit 6tant passible d’une amende allant jusqu’a cent on cinq cents dollars,
selon que le contrevenant est un individu on une socift. Le ministre peut
6gdlement obtenir contre le coupable une injonction lui ordonnant de mettre
fin A toute discrimination. 40

La Igislature de Saskatchewan s’est engage dans la m~me voie das 1947,14,
mais le Bill of Rights qu’elle a adopt6 est beaucoup plus 6tendu et important
que le Code ontarien, car ii y est question des libert6s de conscience, de parole
et d’association, des libert~s personnelles en cas d’arrestation, du droit de vote
aux 6lections provinciales ainsi que du droit A Ia proprift6 et A l’instruction
sans distinction de race ou autre discrimination. Quiconque tente de priver une
personne de ces droits ou libert~s se rend coupable d’un d~lit et s’expose A une
amende allant de vingt-cinq a cinquante dollars pour la premi&e infraction,
de cinquante a deux cents dollars en cas de r6cidive, on, A d6faut de paiement, a1
trois mois de prison. Aucune permission sp6ciale n’est requise pour intenter ces
poursuites pnales et toute personne I6s~e peut en outre proc~der par voie
d’injonction contre l’auteur du dlit.

Si l’on ajoute a ces dispositions deux lois complkmentaires de 1956 r~primant
la discrimination dans les h6tels, th6Atres et restaurants, ainsi que dans 1’em-
ploi,112 on doit reconnaitre que la LUgislature de la Saskatchewan est A l’avant-

“3Rff. supra, note 88.
138 An Act to Establish the Ontario Code of Human Rights and to Provide for its Administration,

Star. of Ont., 1961-62, c. 93.

1391d., art. 6, 12.
140 d., art. 13 a 17.
541An Act to Protect Certain Civil Rights (Bill of Rights Act), Star. of Sask., 1947, c. 35; R.S.S.

1953, tome IV, c. 345. Texte frangais dans I’Annuaire des droits de l’homme pour 1947, p. 112.

42 /an Act respecting Fair Accommodation Practices, Stat. of Sask., 1956, c. 68; An Act to Prevent
Discrimination in regard to Employment, and in regard to Membership in Trade Unions, by reason
of Race, Religion, Religious Creed, Colour or Ethnic or National Origin, id., c. 69. Ces deux lois
remplacent les articles 8 et 11 du Bill of Rights: id., c. 67.

McGILL LAW JOURNAL

[Vol. 9

garde du progrts dans le domaine des droits de l’homme. II est A souhaiter que
le Quebec s’inspire de cet exemple; pour notre part, nous en tiendrons compte
dans l’avant-projet de charte que nous laborerons plus bas.

D’aucuns expriment des doutes sur la constitutionnalit6 du Bill of Rights,4
particuliarement A 1’6gard des dispositions concernant les liberts publiques;
celles-ci relaveraient du droit pnal, donc de la comptence fdrale exclusive.
Nous avons 6mis plus ha.ut l’opinion contraire: il ne peut exister de protection
efficace dans cc domaine sans la cooperation des provinces, lesquelles ont la
charge de l’administration de la justice ct de la police; il nous semble donc
clue ces dispositions peuvent 6tre considtr~es comme valides dans la mesure oA
elles se rapportent a la compdtence provinciale et ne privent pas les individus
des droits qui leur sont reconnus par la lgislation ftdrale. Cependant, dans
l’avant-projet de Charte dont nous entreprendrons la redaction, il conviendra,
pour plus de sfiret6, de prciser que la Ikgislature entend protger certaines
liberts en raison des responsabilitis qui lui incombent A 17’gard de l’administration
de la justice et du pouvoir repressif qu’elle d6tient en vue de faire respecter les lois du
Quibec.14

La primaut6 de la Charte des droits de l’homme

Dicey enseignait que l’une des consequences de la “souverainet6” du Parle-
ment britannique 6tait l’impossibilitt6 pour celui-ci de restreindre par une loi
ses propres pouvoirs.145 Appliquant cette proposition au domaine des droits
de P’homme, il faut en d6duire que, si le l6gislateur peut reconnaltre certaines
liberts fondamentales des citoyens, comme il le fit dans le Bill of Rights de
1689, il ne saurait pour autant se lier les mains pour l’avenir; pour employer
la langue de Bodin, la souverainet6 implique le pouvoir de casser les lois tout
autant que celui de les faire. Faut-il en conclure que la Chambre des Communes
ne puisse en aucune fa~on prescrire, dans une loi, que celle-ci ne pourrait 8tre
modifie ultrieurement que par ne majorit6 renforce?

On comprendra l’intfrtt de cette question pour la protection des droits de
l’homme au Canada. La loi fondamentale du pays ne contient pas, nous l’avons
dit, de dclaration des droits, hormis quelques dispositions relatives aux mino-
rites, et il est peu probable que le Gouvernement central et les provinces arri-
vent a se mettre d’accord, dans un avenir pr~visible, pour modifier la constitu-
tion sur ce point. En consequence, le Parlement et les lkgislatures ne pourraient-
ils pas, chacun dans leur sphare, donner un caractare fondamental aux lois
destinies A prot~ger l’individu, en stipulant que celles-ci ne pourraient
tre
modifies que par telle ou telle majorite renforce des membres presents ct
votant et a Ia suite d’un avis donn6 dans telle ou telle forme? Encore qu’il ne

143V.Z., 0. E. Lang, dans un commentaire publiH6 cn 1959: Can. B. Rev., tome 37, pp. 233, 236.
“4Nous aurons soin igalement d’ajouter tie clause selon laqudle l’inconstitutionnalit6 d’une

disposition de la Charte n’entralne pas I’invalidit6 de celle-ci dans son ensemble.

145R. .apra, note 107, p. 68.

No. 4] CHARTE DES DROITS DE L’HOMME POUR LE QUABEC

303

faille pas succomber I l’illusion que les principes, fussent-ils enchAsses dans une
constitution, suffisent toujours a dompter les impulsions arbitraires de certains
gouvernants, nanmoins la protection de l’individu nous parait d’autant mieux
assure que Ies corps l6gislatifs eux-memes sont soumis au respect des droits
de
‘homme ou ne peuvent les restreindre qu’en franchissant certains obstacles
de procedure.

Pour sa part, le Parlement fdral n’a pas opt6 pour cette solution. La Decla-
ration canadienne, en effet, n’offre aucun caract~re fondamental et peut 6tre
abrog& on modifi~e en suivant la procedure parlementaire ordinaire. Toutefois,
la Chambre des Communes a cherch6, de fa~on mitig~e, i restreindre ses pou-
voirs discrtionnaires: d~sormais, toute loi “doit s’interpr~ter et s’appliquer de
maniare A ne pas supprimer ou enfreindre”
les libert~s et droits proteges, A
moins que le lgislateur ne dcide express~ment que la loi nouvelle s’applique
en d~pit de la Dclaration. 146 Le ministre de la Justice a en outre le devoir de
signaler A la Chambre tout projet de loi qui serait incompatible avec la Dcla-
ration. 14 7 II n’en reste pas moins que, d’un point de vue juridique, le Parlement
a le pouvoir d’adopter un tel projet de loi; seule l’opinion publique peut alors
exercer un contrble sur le lgislateur et le faire h6siter a reprendre ce qu’il a
accords.

Quant aux lois provinciales, nile Code ontarien nile Bill of Rights de la
Saskatchewan ne visent A: restreindre la “souverainet6” des l6gislatures; ces lois
sont susceptibles d’6tre modifies en tout temps par un simple vote majoritaire.
Pourtant, s’il est ind~niable qu’un parlement ne pent limiter sa propre
comp6tence discrtionnaire ou celle de ses successeurs quant A la substance ou
au fond de la lgislation, 148 plusieurs auteurs modernes prtendent qu’iI lui
est cependant possible de se Her quant a la mani~re de l6gifhrer. 149 W. I. Jennings,
par exemple, soutient que si le Parlement britannique votait une loi a l’effet
que la reine ne puisse etre d~pos~e sans l’approbation de la majorit6 des 6lec-
teurs, exprim~e lots d’un referendum, et que la loi elle-m~me ne puisse 6tre
modifi&e sans un semblable referendum, le Parlement ne pourrait par la suite
d~poser la souveraine sans se conformer a la procedure pr~vue; en tout cas, les
tribunaux ne seraient pas tenus d’appliquer une loi qui n’a pas 6t& adopte
dans les formes requises.150 La souverainete du Parlement, en derni&re analyse,
tiendrait au fait que les tribunaux reconnatraient toute loi adopt6e par celui-ci
conform~ment aux r~gles coutumiares ou statutaires qu’il s’est impos6 lui-meme
au cours des annes.

.OLoi, japra, note 63, art. 2.
1471d., art. 3.
‘ 48Cf. Ellen StreetEstates Ltd. v. Minister of Health [1934] 1 K.B. 590; voir E.C.S. Wade, introduction

1 ]a 10c idition de I’ouvrage de Dicey, .upra, note 107, p. xlviii.

141W. I. Jennings, The Law and the Constiution (Se &., 1959), pp. 149, 153; D. V. Cowen, “‘Legisla-

ture and judiciary” (1952) Modern L. Rev. tome 15, p. 282; id. (1953), tome 16, p. 273.

“‘Rd. rapra, note 149, pp. 149, 161.

McGILL LAW JOURNAL

[Vol. 9

Ce raisonnement, quoique combattu par d’autres auteurs, 5 1 a regu un certain
appui i la suite de quelques arr~ts, dont le plus explicite, Harris v. The Minister
of the Interior, a 6t
rendu par la Cour supreme de l’Union Sud-Africaine en
1952.112 La constitution de ce pays (South Africa Act), adopte par le Parlement
britannique en 1909, d&idait que le Parlement de l’Union ne pouvait abroger
le droit de vote des habitants de la province du Cap, tel qu’il existait A cette
date, pour des motifs de race ou de couleur, I moins que la loi ne soit vot~e par
les deux tiers des membres des deux Chambres, si~geant en seance commune. En
1951, vingt ans apr~s que le Statut de Westminster efit aboli la suprematie du
Parlement imprial en Afrique du Sud, les Chambres, n6gligeant la procedure
pr~vue, adoptrent une loi selon laquelle les Europkens et les non-Europ~ens
de la province du Cap seraient repr~sent~s s~par~ment. Si la Cour s’incline de-
vant la souverainetE du Parlement sud-africain, elle n’en estime pas moins que
la loi est invalide, parce que les dispositions de la constitution relatives a son
adoption n’ont pas 6t respectes.

Bien qu’il soit difficile de savoir si ce pr&cdent serait suivi en Grande-
Bretagne, laquelle ne possade pas de constitution &rite semblable A celle de
l’Union Sud-Africaine, il n’en montre pas moins qu’une lgislature, meme
souveraine, peut &tre like par certaines r~gles &ablies par ses devanci&res.
H. R. Gray soutient m~me, avec raison nous semble-t-il, qu’il faut inclure
dans cette categorie les normes affectant l’existence, la constitution ou la
composition du Parlement, de mame que les r~gles dfinissant la procedure a
suivre pour l’adoption et la modification des lois.113 11 va sans dire que ces
normes ou r~gles peuvent e11es-m~mes &tre modifi’es, mais A condition de se
conformer A la procedure &ablie.

S’il en est ainsi, un parlement ou une t~gislature ont sans doute le pouvoir de
voter une loi dans laquelle il est prescrit que celle-ci ne pourra 6tre modifi~e
que par une majorit6 renforc&e des d~put~s. Les tribunaux ne donneront efet
A I’amendement que si la r~gle de procedure a 6t6 suivie; de la sorte, le pouvoir
des parlements subs~quents se trouve limit6 en quelque mesure.

II nous semble donc que le lgislateur qu~bcois (comme d’ailleurs le Parle-
ment f~dral) pourrait se pr~valoir de cette m&hode en vue d’assurer une
certaine preponderance a toute loi qui lui paraft rev~tir une importance fonda-
mentale. En mati~re de droits de l’homme, par exemple, cette supriorit6
d’autorit6 constituerait une double protection contre les fluctuations de la con-
joncture politique. Aussi sommes-nous d’avis que toute loi sur la sauvegarde
des droits et libert~s devrait comporter une clause prescrivant un mode d’amen-
dement special. 11 ne pourrait y avoir de modification, par exemple, que par un
vote des deux tiers des membres de l’Assemblke 1gislative presents et votant;
la procedure d’amendement elle-mme jouirait de la meme protection.

5’5 Voir Wade, supra, note 148, pp. xxxv, lxxv.
152[1952] 2 S.A. 428.
153″The Sovereignty of Parliament Today” (1953-54) U. of Toronto L.J., tome 10, p. 54.

No. 4] CHARTE DES DROITS DE L’HOMME POUR LE QU.EBEC

305

Apergu du contenu d’une Charte provinciale des droits de l’homme

Apr~s avoir montr6 l’ampleur que rev~t la competence de la Igislature du
Quebec en mati~re de droits de l’homme et de libert~s individuelles, ainsi que
l’initiative dont ont fait prenve certaines autres provinces dans ce domaine, il
nous reste A donner un apergu de ce que pourrait ftre le contenu de la l6gislation
destin&e A sauvegarder ces droits et libert&s.

A cet 6gard, les sources d’inspiration ne ianquent pas: depuis les instru-
ments internationaux et constitutionnels dont nous faisions 6tat dans les deux
premieres parties de cette 6tude jusqu’aux lois de la Saskatchewan et de l’On-
tario, de nombreux exemples de formulation juridique des droits fondamentaux
s’offrent au choix du l~gislateur. Dans les textes suivants, que nous avons
r~unis pour la commodit6 sous forme d’articles, nous nous sommes efforc~s de
retenir les id&s et principes essentiels, ayant soin, dans chaque cas, de les
adapter aux besoins particuliers du Quebec.

Principes g&n~raux

. Article 1

Tons sont 6gaux devant la loi et ont droit sans distinction a une 6gale pro-
tection de la loi contre tout acte ou omission qui violerait la pr~sente Charte. 15 4

Article-2

Chacun peut se pr~valoir de toutes les liberts et de tons les droits inum&rs
dans la pr~sente Charte, sans distinction aucune, notamment de race, de cou-
leur, de langue, de religion, d’opinion politique on de toute autre opinion,
d’origine ethnique on sociale, de fortune, de naissance, on de toute autre situa-
tion.155

Article 3

Les femmes auront, dans des conditions d’6galit6 avec les hommes, le droit
de jouir de toutes les libert&s et de tons les droits civils, politiques, &onomiques,
sociaux et culturels qui sont 6num&rs dans la pr6sente Charte.156

Droits politiques

Article 4

La volont6 du peuple est le fondement de l’autorit6 des pouvoirs publics;
cette volont6 doit s’exprimer par des 6lections honnetes qui doivent avoir lieu

laration universelle [ci-apr s D. univ.], supra, note 8, art. 7.

1’5 Cf. D
155Cf. D. univ., art. 2; Convention curop&nne de sauvegarde des droits de l’homme [ci-apr~s Conv.

europ.], supra, note 17, art. 14.

l’Cf. Projet de Pacte relatif aux droits civils et politiques [ci-apras Pacte dr. civils], supra, note
12, art. 3; Projet de Pacre relatif aux droits 6conomiques, sociaux et culturels (ci-apris Pacte dr.
icon.], supra, note 12, art. 3; Convention sur les droits politiques dc la femme, supra, note 13, art.
I a III.

McGILL LAW JOURNAL

[Vol. 9

au moins tous les cinq ans, au suffrage universel 6gal ct au scrutin secret. La
Ikgislature se runit au moins une fois l’an. 157

Article 5

Tout citoyen r~sidant au Quebec et Ag6 de dix-huit ans a le droit, sans

aucune des distinctions vistas A l’article 2 de la presente Charte:

(a) D’exercer librement son droit de vote A toutes les elections;
(b) De prendre part aux affaires publiques et d’etre 61u;
(c) D’acc~der, dans des conditions d’6galit6, A routes les fonctions publi-

ques. 158

Droits civils

Article 6

Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne
peut 6tre priv6 de sa propri~te que pour cause d’utilit6 publique et dans les
conditions pr~vues par la loi. Les presentes dispositions ne portent cependant
pas atteinte au droit que possade la Legislature de mettre en vigueur les lois
qu’elle juge ncessaires pour r~glementer l’usage des biens conform6ment A
l’intr& g~n&al. 159

Article 7
1. Toute personne poss~dant la capacit

I6gale de contracter mariage peut
se presenter devant un fonctionnaire de l’&at civil et faire cl6brer son mariage.
Tout ministre d’un culte pourra, sur prtsentation d’un certificat A l’effet que le
mariage civil a 6t6 conclu, le “c~l6brer en la forme religieuse choisie par les
parties.

2. Les 6poux ont des responsabilits et des droits 6gaux an regard du mariage,

durant le mariage ct lors d’une 6ventuelle s6paration. 110

Non-discrimination

Article 8

1. I1 est d’ordre public dans le Quebec que les lieux publics soient ouverts
tous sans distinction de race, de religion, de couleur, de nationalit6, d’ascen-

dance ou de lieu d’origine.

17Cf. D. univ., art. 21(3).
1 8Cf. D. univ., art. 21; Pacte dr. civils, art. 23; Bill of Rights de la Saskatchewan [ci-apras Sask.],

supra, note 141, art. 7.

u’Cf. D. univ., art. 17; Cony. curop., Protocole additionnel signele 20 mars 1952, art. 1 (texte

dans ‘Annuaire des droits de l’honm pour 1952, p. 463).

18Cf. D. univ., art. 16; Pacte dr. civils, art. 22(4); Cony. europ., art. 12. Cet article appelle de

nombrcuses modifications au Code civil, v.g., art. 174, 176 et ss., 183, 1301 et 1708.

No. 4] CHARTE DES DROITS DE L’HOMME POUR LE QUABEC

307

2. Nul ne peut refuser A une personne ou une cat~gorie de personnes l’ad-
mission dans n lieu public, ni l’usage des installations et services disponibles
en cc lieu;

3. Toute personne et toute categoric de personnes oant le droit de loger
dans n h6tel et d’user de leurs installations et services, de se faire servir dans
tout restaurant er d’entrer dans tout th&tre ou salle de cinema sans qu’il soit
fair la moindre distinction;

4. Quiconque refuse ou n~glige de se conformer A l’une des dispositions du
pr~sent article commet ne infraction et est passible de [peines a dterminer,y
compris la suspension ou rannulation du permis d’htelier ou de restaurateur], sans
prejudice des dommages-intr&ts que la victime peut r&clamer devant les tribu-
naux civils.161

Article 9

1. NuI ne doit publier ou exposer, ni permettre que soit publiM ou expos6
sur tn terrain ou dans un immeuble un avis, un symbole ou tn signe quelconque
tendant A priver une personne ou tne cartgorie de personnes d’un droit reconnu
par la loi ou A limiter cc droit en raison de la race, de la couleur, des croyances,
de 1’ascendance, de la nationalit6, de la langue ou du lieu d’origine de celles-ci.
2. Les memes ragIes s’appliquent aux journaux, mais auctne disposition
du pr6sent article ne doit 6tre interpr& e comme portant atteinte au droit de
chacun d’exprimer librement ses opinions.

3. Quiconque n~glige de se conformer aux dispositions du present article

commet tne infraction et est passible de [peines a d6terminer].162

Article 10

1. Nul ne peut, de lui-mtme ou par l’intermdiaire d’autrui, pour des con-
sidrations tenant A ila race, la couleur, les croyances, r’ascendance, la nationa-
lit ou le lieu d’origine d’une personne, refuser de louer A celle-ci tn logement
ou faire des distinctions A son endroit quant au terme ou autres conditions de
la location. Le present article est applicable A tous les immeubles comportant
plus de trois logements.

2. Qniconque enfreint les dispositions du present article commet tne in-

fraction et est passible de [peinesh determiner].1 3

I

6’Cf. Sask., art. 3. Quant aux sanctions contre les h6teliers ou les restaurateurs, noter que la Loi
actuelle sur les licences, S.R.Q. 1941, c. 76, autorise d6ji le Tr~sorier provincial a suspendre on an-
nuler la licence “pour des raisons qu’il considare valides” (art. 9). Voirsupra, note 88 bis.

Wf. Ontario Code of Hmuan Rights [ci-apras Code ont.], supra, note 138, art. 1; Loi de la Sask.,

1956, c. 68, art. 4, jupra, note 142.

1″Cf. Code ont., art. 3 (qui n’est applicable qu’aux imnicubles comportant plus de six logements).

McGILL LAW JOURNAL

[Vol. 9

Article 11

1. Toute clause d’un contrat comportant une prohibition d’ali~ner pour des
motifs tires de la race, de la couleur, des croyances, de l’ascendance, de la natio-
nalit6 ou du lieu d’origine d’un acheteur 6ventuel, et toute stipulation tendant
a restreindre la location ou l’usage d’un bien immobilier pour de semblables
raisons, est nulle de nullit6 absolue.

2. Les pr~sentes dispositions sont applicables A tous les contrats conclus

apr~s le .

. . [date a fixer].6 4

Droits 4conomiques et sociauxlc

Article 12

1. Le travail &tant a Ia base de toute entreprise humaine, toute personne
possde le droit fondamental de gagner sa vie par un travail librement accept6.
2. En vue d’assurer le plein exercice de cc droit, l’Etat provincial doit, dans
toute la mesure de ses comptences, 6laborer des programmes, des politiques et
des techniques propres i assurer un d&eloppement &onomique constant et le
plein emploi.

Article 13

Toute personne a droit a des conditions de travail justes et favorables, tant
pour ce qui est de l’hygine qu’en ce qui concerne la limitation raisonnable de
la dure du travail, le repos, les loisirs et les congas pay~s p6riodiques. 166

Article 14

1. Quiconque travaille a droit A une r~munration equitable lui assurant
ainsi qu’A sa famille une existence conforme a Ia dignit6 humaine. En particulier,
toute personne a droit A une nourriture, a un v~tement et A un logement suffi-
sants, ainsi qu’I une amelioration constante de ses conditions d’existence.

2. Les femmes ont droit A ce que les conditions de travail qui leur sont
accord&s ne soient pas infrieures a celles dont b~n~ficient les hommes; elles
ont 6galement droit a une r6munration 6gale pour un travail de valeur ‘gale. 167

Article 15

Toute personne a droit a la s&urit6 sociale et l’Etat provincial doit, dans
toute la mesure de ses comp~tences et en collaboration avec les autorites f~d6-

164Cf. Loi ontarienne, rupra, note 88, art. 22.
I’sNous avons inscrit dans les articles 12, 13, 14, 15 ct 20 des principes qui ne pcuvent comporter
de sanctions d’ordre juridique, du moins dans une soci6t6 d~mocratique. Toutefois, ricn ne s’oppose
a cc qu’une charte provinciale des droits de l’homme contienne de tels principes, qui constituent des
objectifs pour l’action des gouvernants et possadent une valeur ducative pour les gouverns.

MCf. Pacte dr. &on., art. 6 cc 7.
6TCf. id., art. 7, 11 et 12; quant au second alin~a, cf. Code oant., art. 5.
1

No. 4] CHARTE DES DROITS DE L’HOMME POUR LE QU.9BEC

309

rales, instaurer un syst~me de protection contre le ch6mage, la maladie et les
accidents du travail.1 68

Article 16

1. Aucun employeur ni aucune personne agissant en son nom ne peut, pour
des motifs tir~s de la race, des croyances, de la couleur, de Ia nationalit6, de
l’ascendance ou du lieu d’origine d’une personne, refuser de prendre ou de garder
cette personne A son service ni user A son 6gard de proc~d~s discriminatoires en
ce qui concerne l’emploi ou les conditions de travail.

2. NUl ne peut utiliser ou mettre en circulation des formulaires de demande
d’emploi, ni faire paraltre une annonce relative A un emploi 6non~ant des
rserves, conditions ou preferences quant A la race, aux croyances, A la couleur,
a la nationalitE, a l’ascendance ou au lieu d’origine d’une personne.

3. Toutefois, les dispositions du present article ne s’appliquent pas aux
domestiques en service chez les particuliers, aux employeurs qui occupent moins
de deux personnes ou aux organisations de caractre exclusivement religieux,
philanthropique, 6ducatif ou social, qui n’ont pas un but lucratif, ou aux
organisations qui ont pour but d’accroitre le bien-6tre de communaut~s reli-
gicuses ou de groupes ethniques.

4. Toute personne qui. n~glige de se conformer A l’une des dispositions

ci-dessus commet une infraction et est passible de [peines A determiner].1 ”

Article 17

1. Les travailleurs et les employeurs ont le droit de constituer des organisa-
tions ou syndicats et de s’affilier A des organisations ou syndicats nationaux ou
internationaux de leur choix, en vue de prot6ger leurs int&ts &onomiques et
sociaux. Les membres des corps de police provinciaux et municipaux et les
fonctionnaires membres du service civil jouissent des m~mes droits, mais leurs
associations doivent 6tre formes exclusivement de personnes exer~ant des
fonctions de la m~me cat~gorie et ne peuvent 8tre affili&s qu’a des associations
ou syndicats groupant des personnes exerqant des fonctions de la meme cat~gorie.

2. Les organisations de travailleurs ou d’employeurs ont le droit d’6laborer
leurs statuts et r~glements administratifs, d’6lire librement leurs repr6sentants
d’organiser leur gestion et leur activit6 et de formuler leur programme d’action.
Les autorit~s publiques doivent s’abstenir de toute intervention de nature a
limiter ce droit ou A en entraver l’exercice lgal. 170

l65Cf. Pacte dr. &on., art. 9.
16’Cf. Code ont., art. 4; Loi dc la Sask., 1956, c. 69, art. 3 er 7, supra, note 142.
17OCf. D. univ., art. 23(4); Pacte dr. &on., art. 9(a)et(b); Cony. europ., art. 11; Convention sur
la libert6 syndicale (O.I.T., 1948), art. 2 et 3 dans Code international, supra, note 15, p. 770; Loi sur
les relations industrielles et sur les enquEtes visant les diffirends du travail (Quebec, 1948), 11-12
Geo. VI, c. 54, art. 3; Loi sur Its diff&ends entre les services publics et Icurs salaries (1944), 8 Geo.
VI, c. 31, art. 6.

McGILL LAW JOURNAL

[Vol. 9

Article 18

1. Aucun syndicat ne peut refuser l’admission ou prononcer l’exclusion ou
la suspension d’une personne pour des motifs tir6s de la race, des croyances,
de la couleur, de la nationalit6, de l’ascendance, du lieu d’origine, de la langue
ou des opinions politiques de cette personne.

2. Toute personne qui naglige de se conformer aux pr~sentes dispositions

commet une infraction et est passible de [peines a diterminer]. 7

Ajiicle 19

1. Tout syndicat a le droit, une “ois qu’il s’est conform6 aux exigences de
la loi A l’6gard de l’accrditation, de la ngociation collective et de la conci-
liation, de faire grave.

2. Cependant, dans les services publics essentiels an bon ordre, i la s&urit6
ou i la sant6 de la collectivit6, tels que les corps de police ou de pompiers et les
asiles d’alin~s ou h6pitaux, toute grave ou contre-grave est interdite et tout
diff rend concernant les conditions de travail doit 8tre soumis A l’arbitrage.

3. Toute personne qui tente de briser une grave legale par quelque moyen

que ce soit, commet une infraction et est passible de [peines ii dterminer].

4. Les tribunaux judiciaires n’interviendront en aucune fa~on, par voie

d’injonction on autrement, de maniare A interdire une grave 16gale. 72

Artick 20
1. Toute personne a droit A l’instruction.
2. L’enseignement primaire est obligatoire et dispens6 gratuitement A tous.
3. L’enseignement secondaire, sous ses diverses formes, y compris l’ensei-

gnement technique ct professionl est dispens6 gratuitement A tons.

4. L’enseignement suparieur, accessible A tous en fonction du m6rite de

chacun, est dispens6 gratuitement.

5. L’Etat favorise le daveloppement et la diffusion de la science et de la
culture. II respecte la libertE indispensable & la recherche scientifique et aux
activitas craatrices.178

Article 21

1. Tout enfant a accas & 1’6cole publique, mais aucun n’est tenu de suivre
une instruction religieuse ou de participer a des exercices religieux auxquels
ses parents s’opposent.

‘Cf. Code ont., art. 4(2), Loi de la Sask., rupra, note 169, art. 5.,
172Cf. Pacte dr. 6con., art. 9(1)d); Loi sur les relations industrielles, jupra, note 170, art. 21 A 23;

Loi sur les diff&ends, supra, note 170, art. 2(d).
“‘Cf. D. univ., art. 26; Pacte dr. 6con., art. 14.

No. 4] CHARTE DES DROITS DE L’HOMME POUR LE QUABEC

311

2. L’Etat, dans 1’exercice des fonctions qu’il assume dans le domaine de
l’6ducation et de l’enseignement, respecte Ia libert6 des parents et le cas 6ch6ant,
des tuteurs, d’assurer cette 6ducation et cet enseignement conform~ment A
leurs convictions religieuses et philosophiques et leur droit de choisir pour
leurs enfants des 6tabissements autres ijue ceux des pouvoirs publics. Toutefois,
les 6tablissements priv~s doivent se conformer aux normes minima qui peuvent
etre prescrites ou approuv~es par l’Etat.

.

3. Les institutions d’enseignement catholiques, protestantes, judaiques et
neutres ont droit & leur quote-part des imp6ts scolaires et des subventions
gouvernementales.1 74

Article 22

1. II ne sera fair aucune discrimination, dans les 6tablissements publics ou
priv~s de l’enseignement primaire, secondaire ou supieur, pour des motifs
tires de la race, des croyances, de la couleur, de la nationalit6, de l’ascendance
on de la langue de toute personne qui d6sire y 8tre admise.

2. Toutefois, les dispositions du present article n’empache en aucune fagon
un 6tablissement d’enseignement priv qui ne regoit que des 6lves professant
une religion d6termine ou qui est dirig& par uine socift6 ou un ordre religieux,
de continuer a appliquer ses conditions touchant l’admission des 6lves.

3. Toute personne ou institution d’enseignement qui refuse ou nfglige de
se conformer aux dispositions du present article commet une infraction et est
passible de'[peines h diterminerl.’ 5

Libert&p .ersonnelles

Article 23

1. En ce qui concerne I’administration de la justice et de la police et, en
particulier, les poursuites en vue de faire respecter les lois du Quebec, les dispo-
sitions suivantes seront appliques:

(a) Tout individu a droit A la libertE et & la scurit6 de sa personne et ne
peut etre priv6 de sa libert6 que pour des motifs et conformement A la
proc&tre prEvus par Ia loi.176

(b) Nul ne peut faire l’objet d’une arrestation ou d’une detention arbitraire;
en particulier, nul ne sera arr6t6 ou dtenu sans mandat A moims qu’il
n’ait commis, une infraction p~Iale ou qu’il ne soit trouv6 en train de
commettre une infraction pnale. Quiconque a 6t6 arrht6 ou invit6 i
“‘Cf. Protocole, sapra, note 159, art. 2; Pacte dr. Econ., art. 14(3). En cc qui concerne le premier

alin6a, voir 1’arrat Chabot, ru pra, note 132.

75Cf. Sask., art. 13.
7Les sources de cet article soot vari.s; nous nous contenterons d’indiquer les principales: D.
univ., art. 3, 5, 9, 10 ct 11; Pacte dr. civils, art. 7, 9, 10, 14, 15(1) et 17(1); Sask., art. 6; D~claration
canadienne des droits [ci-apras D. canad.], sapra, note 63, art. 2.

McGILL LAW JOURNAL

[Vol. 9

suivre un policier a le droit de communiquer inmediatement avec un
avocat et avec sa famille.

(c) Nul ne sera l’objet d’immixions arbitraires ou ill~gales dans sa vie
privee, sa famille, son domicile ou sa correspondance; en particulier,
aucune perquisition ne pourra avoir lieu sans mandat.

(d) Tout individu arret6, avec ou sans mandat, doit

tre inform, au mo-
ment de son arrestation, dans une langue qu’il comprend et de fagon
d&taill~e, des raisons de cette arrestation et doit recevoir notification,
dans le plus court delai, de toute accusation portee contre lui; il doit
etre conduit promptement devant le tribunal competent et juge dans
un delai raisonnable ou lib&e.

(e) Nul ne sera soumis i des peines ou traitements cruels ou degradants.
En outre, il est interdit de soumettre une personne sans son libre con-
sentement i une analyse ou experience m~dicale, ou encore a un interro-
gatoire au moyen d’un “detecteur de mensonges.”

(f) Tout individu qui attend de passer en jugement doit 6tre mis en libert6
s’il peut donner, i la satisfaction du tribunal, des garanties assurant sa
comparution I l’audience, a tous les actes de la procedure et, le cas
6cheant, l’ex&cution du jugement.

(g) Toute personne accusee d’une infraction est reputee innocente jusqu’&

ce que sa culpabilit6 air C’t 6tablie en conformit6 de la loi.

(h) Quiconque se trouve priv6 de sa libert6 par arrestation ou detention a le
droit d’introduire un recours par vole d’habeas corpus afin qu’il soit
statue sans delai sur la legalite de sa detention et que sa liberation soit
ordonnee si la d~tention est ill~gale.

(i) Quiconque est accuse d’une infraction poss~de le droit de disposer du
temps et des facilites n&cessaires & la preparation de sa defense et de
retenir et constituer un avocat sans dlai; il a 6galement le droit d’6tre
present au proc~s et de se d~fendre. Sil n’a pas d’avocat, il doit 6tre
inform6 de son droit d’en avoir un; s’il n’a pas les moyens de le remu-
nrer, le tribunal doit nommer un defenseur d’office, sans frais.

(j) Toute personne accus6e d’une infraction possede le droit, lors de son
proces, d’interroger ou faire interroger les temoins A charge et d’obtenir
la comparution et l’interrogatoire des temoins a de’charge dans les
mrmes conditions que les t~moins A charge; elle a 6galement le droit de
se faire assister gratuitement d’un interprate si elle ne comprend pas ou
ne parle pas la langue dans laquelle se d6roulent les procedures.

(k) Nul ne peut

coupable.

tre contraint A temoigner contre lui-m~me ou de s’avouer

No. 41 CHARTE DES DROITS DE L’HOMME POUR LE QUBEC

313

(1) Toute personne a droit A ce que sa cause soit entendue 6quitablement et
publiquement par un tribunal ind~pendant et impartial, tant en matiare
civile qu’en mati~re pnale. Le huis clos peut etre prononc6 pendant la
totalit6 ou une partie du procas, soit dans l’int6ret de l’ordre public ou
des bonnes moeurs, soit lorsque l’int&rt de Ia vie priv~e des parties en
cause l’exige, soit encore dans la mesure oi le tribunal l’estimera abso-
lument ncessaire, lorsqu’en raison des circonstances particuli~res de
I’affaire la publicit& nuirait aux int&rts de la justice.

(m) Tout jugement doit etre public, sauf si l’int&ret de mineurs exige qu’il
en soit autrement ou si le proc&s porte sur les diffrends matrimoniaux
ou la tutelle des enfants.

(n) Toute personne d6dar~e co’apable d’une infraction on d’un crime a le
droit de faire examiner par un tribunal d’appel la dclaration de culpa-
bilite et la condannation, conformment A la loi.

(o) Nul ne peut 6tre poursuivi on puni A raison d’une infraction pour la-

quelle il a dejA 6t6 acquittr on condamn6 par un jugement dfmnitif.

(p) Nul ne peut 6tre condamn6 pour des actions ou omissions qui ne consti-
tuaient pas un acre dlictueux an moment ot elles ont 6t6 commises.
De meme, il ne sera inffig6 aucune peine plus forte que celle qui &ait
applicable an moment oA l’infraction a 6t6 commise. Si, post&ieurement
A cette infraction, la loi pr~voit l’application d’une peine plus I6g&re, le
d~linquant doit en b~nificier.

(q) Toute personne prive de sa libert6, avant ou apras jugement, est traite
avec humanit6 et avec le respect de Ia dignit6 inhrente A la personne
humaine. Les pr~venus sont s~par~s des condamns et sont soumis A un
regime distinct, appropri6 A leur condition de personne non condamne.

(r) Les jeunes pr~venus sont s~par~s des adultes et il est d~cid& de leur cas
aussi rapidement que possible. La procedure applicable aux jenes gens
qui n’ont pas atteint l’Age de dix-huit ans tient compte de leur Age et de
l’intrt que pr~sente leur r66ducation.

2. Quiconque viole l’une des libert6s garanties aux alinas b,c,d, et e se rend
coupable d’une infraction et est passible de [peines h determiner], sans prejudice
de la r~paration que la victime peut rclamer devant les tribunaux civils. Toute
personne poursuivie en dommages-intr~ts pour violation de ces liberts ne
pourra plaider qu’elle a agi de bonne foi. 17 7

17TSur la question de la bonne foi, cf. Loi sur les priviliges des juges de paix et des magistrats,
S.R.Q. 1941, c. 18, art. 7, qui protage les juges de paix, officiers etc., dans tous les cas oil ils ont agi
dc bonne foi.

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[Vol. 9

Droits de l’individu devant les autorit.s administratives

Article 24

Les dispositions de Particle 23 relatives aux libert6s personnelles de l’indi-
vidu sont applicables aux tribunaux, commissions, regies ou autres autorit~s
administratives relevant de 1’Etat provincial. En particulier, toute personne a
droit A une audition imliartiale de sa cause, selon les principes de la justice,
pour la definition de ses’droits et obligations.178

Article 25

1. Toute personne qui est l’objet d’un acte administratif peut en contester
la lgalit& pour cause d’exc s on de d~tournement de pouvoir on d’une violation
formelle de la r~gle de droit imputable i 1’autorit6 ou A Padministrateur qui a
pos6

‘acte, ou d’un vice de forme dont serait entach6 celui-ci.

2. Avant de porter le litige devant les tribunaux judiciaires, toute personne
qui a &t6 Pobjet d’un acte administratif qu’elle entend contester doit 6puiser
les recours pr&vus au sein de Padministration.

Libert.s publiques

Article 26

1. Toute personne a droit A la libert6 de conscience ou de religion; ce droit
implique la Iibert6 d’adopter une religion ou une conviction de son choix ou
de n’en adopter aucune, ainsi que le droit de manifester sa religion ou sa con-
viction individuellement ou collectivement, tant en public qu’en prive, par le
culte et l’accomplissement des rites, les pratiques et l’enseignement.

2. La libert6 de manifester sa religion ou ses convictions no peut faire
l’objet d’autres restrictions clue celles qui, pr~vues par la loi, constituent des
mesures n&cessaires, dans une socift6 dmocratique, A la protection de I’ordre
ou A la protection des libert~s et droits fondamentaux d’autrui.179

1. Nul ne peut 6tre inqui~t& pour ses opinions.

Article 27

2. Toute personne a le droit & la liberte d’expression; ce droit comprend la
libert6 de rechercher, de recevoir et de r~pandre des informations ou des ides,
sans qu’il puisse y avoir ingrence d’autorit~s publiques, sous une forme orale,
&rite, imprime ou artistique, ou par tout autre moyen et dans la langue de
son choix.

3. Lexercice de ces libert&s comportant des devoirs et des responsabilit6s, il
peut etre soumis a certaines restrictions qui doivent Etre express~ment pr6vues

178Cf. D. canad., art. 2(d)ct(c).
179Cf. D. univ., art. 18; Cony. curop., art. 9; Sask., art. 3; D. canad., art. 1(c).

No. 4] CHARTE DES DRO1TS DE L’HOMME POUR LE QUABEC

315

par la loi et qui constituent des mesures ncessaires, dans une socift6 democra-
tique, au respect des droits ct de la reputation d’autrui, a la sauvegarde de
l’ordre public, A la prevention du crime, pour empecher la divulgation d’infor-
mations confidentielles ou pour garantir l’autorit6 ct l’impartialit6 du pouvoir
judiciaire.1 80

1. Tout personne a droit A la libert6 de reunion pacifique et A la libert6

Article 28.

d’association.

2. L’exercice de ces libert~s ne peut faire l’objet d’autres restrictions que
celles qui, pr~vues par la loi, constituent des mesures n~cessaires, dans une
socift6 d~mocratique, a la protection des droits et liberts d’autrui, a la defense
de l’ordre public et a prevention du crime.”‘

Dispositions ggn&ales

Article 29

1. Les droits ct Iibertcs garantis par la pr~sente Charte ne pourront etre
modifies que si l’amendement est adopt6 i la majorit6 des deux tiers des membres
de l’Assemblc l6gislative presents et votant. Tout projet d’amendement devra
atre communiqu6 aux membres de l’Assemble au moins un mois avant le vote.
Les memes ragles sont applicables A toue modification du present article.

2. En cas d’incompatibilit6, les dispositions de la pr~sente Charte pr6vau-
dront sur toutes les lois votes par la Ikgislature avant ou apras l’entre en
viguer de la Chartce.

Article 30

En cas qu’une disposition quelconque de la pr~sente Charte soit invalide
par un tribunal pour des motifs d’ordre constitutionnel, cette disposition doit
8tre considre comme pouvant Ure disjointe du resce de ladite Charte et les
autres dispositions ne cesseront aucunement d’avoir pleine effet.’ 8′

Pour completer cet expose, il convient de dire quelques mots sur l’avantage
qu’il y aurait a 6tablir tne Commission des droits de l’homme semblable A
celle qui existe en Ontario. Cet organe administratif serait habilit6 A recevoir
les plaintes des particuliers, notamment dans les cas de discrimination, A faire
enquete, A agir comme conciliateur, a rendre des ordonnances en vue de con-
traindre au respect de la loi, enfin A prendre l’initiative de poursuites pnales
1SOCf. D. univ., art. 19; Pacte dr. cvils, art. 19; Cony. europ., art. 10; Sask., art. 4; D. canad.,

art. 1(d)ect(f).

18’Cf. D. univ., art. 20; Pacte dr. civils, art. 20 ct 21; Sask., art. 5; D. canad., art. 1(e).
“;Cf. Loi sur Ie compagnies d’assurances canadiennes et britanniques, S.R.C. 1952, c. 31, art. 156

in parte.

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[Vol. 9

dans les cas oil elle l’estimerait n~cessaire. La Commission pourrait aussi rem-
plir une tAche 6ducative en contribuant activement A faire connaitre et com-
prendre les buts de la Charte provinciale des droits de l’homme; 83 que le public
soit conscient de ses droits constitue l’une des meilleures garanties de la libert6.

D’aucuns opineront que le Canada frangais est encore trop absorb6 par la
lutte pour ses libert~s collectives et que les temps ne sont pas mflrs pour I’adop-
tion d’une Charte aussi ample que celle dont nous nous faisons
‘avocat. Nous
croyons an contraire que les droits individuels et les droits collectifs sont
d~sormais indissolublement lies puisque aussi bien le progras de ceux-ci depend
aujourd’hui du progr~s de ceux-li et qu’il ne saurait exister de d~mocratie sans
le respect des uns et des autres.

En outre, s’il est vrai que les libert~s individuelles nous sont apparues
jusqu’ici dans la livre de la common law, il ne faudrait pas oublier que la Grande-
Bretagne a puis6 sa tradition dans l’hritage occidental, auquel le Quebec
participe 6galement. Les droits de l’homme sont d’origine grecque et stolcienne;
par la suite le christianisme et I’humanisme en ont et& les principaux v~hicules,
donnant naissance au lib~ralisme et i tous les Bills of Rights des temps modernes.
D’ailleurs, la plus rcente de ces dclarations des droits de la personne n’est-elle
pas celle que vient de nous donner 1’encyclique Pacem in terris?

Le Canada frangais ne put participer aux revolutions librales du siacle
dernier, mais rien aujourd’hui ne l’empche plus de prendre part an mouvement
universel pour la dMense des droits de P’homme.

1’C’est lune des fonctions de la Commission ontarienne: voir Code ont., supra, note 138, art. 8.