Le devoir du m decin de prevenir les
membres de la famille d’un patient atteint
d’une maladie genetique
Martin Letendre*
Le patimoine ,giniltique
de chaque personne est tne patie
inlirente de son individualit. mais c’est aussi tn lien entre ele et les
menbres de sa famile biologique. Ces liens de consanguinit6 prennent ne
signification particulihre lorsque les menimbres d’tne fanille sont portetrs
d’une maladie transiise ginitiquement U1 se pose alots un dilemme pour
les tmidecns quant h savoir s’ils doivent prtvildgier leur devoir de
confidentialit6 envers an patient malade, on s’ils ont l’obligation de
prtvenir lea membres de sa famille biologique du risque qui les guette
lorsqu’une prWvention oppottune pourrait Idviter. Malgrd an manque de
clarwt sr cette question dans les droits canadien ei qu6dbcois, il existe des
arguments pour justifier la position du nadecin qui d6ciderat de sacerifer
le secret professionnel an profit de l’intret des membres de la famille.
Le dt’bat sur le problime pos46 par les affections ginitiques se place
entre dean perspecives sur la nature du devoir d n lecin. A une
extr6nit6, on trouve le modile juridique, selon lequel le devoir de
confidentialite doit avoir priorit6. i1 est contrebalanc6 par le modle
m6dical, qui met l’emphase sur l’acchs par la famille A I’infornation
gdnttique qui pourrait l’aider, C’est, prenite sue, le module juridique
qui domnne, aussi bien an Qunebec que dams le reste du Cainada. Cependant,
les jaidictions canadiennes de common law ont ricernment imrport dans
lesr jurisprudence la notion arnericaine d’on “devoir de prdvenir qui
incomberait an midecin conscient d’un risque cr6d par son patient II serait
envisageable d’appliquer cette ide an danger que pose la victime d’ine
maladie gn6tique po
sa famille, lorsqu’l refuse de les informer de sa
condition. Le medecin aurait alors l’obligaion de communiquer avec la
parent6 de son patient, malgr6 lopposition du patient.
An Quilec, on reconnait dijh que le droit an secret professionnel
nest pin absol. II peut y avoir rupture de confidentialit
sur la base du
consentement implicite du patient, on sans aucun consentement de sa part,
loqu’n danger existe pose des tiers conne la fatnille. Cependant, si le
mdecin qulcois a le droit de divulguer de rinfornation, il n’en a
apparemment pas le devoir. Une famille qui voudrait obliger un mldecin Ai
l’infmrmer do danger d’une affection gh6tique devrait tenter d’tinvoqner
son druit an secoins, pr6vu das la Charte quebr’coise de droits et libertes.
Pose le neonent, les
incertintdes qui planent sar cette zone du droit
requtbrent une grande precaution de la part des professionnels de sam.
A person’s genetic heritage is an inherent part of their individuality,
but it is also the link between that person and the members of their
biological family. Ties of consanguinity take on a particular significance
when the members of a family are carriers of a genetically-based disease.
For doctors, this raises the dilemma of how to balance the duty of
confidentiality owed to their patient with the obligation to warn other
members of the patient’s biological family of the risks they face, especially
when preventative measures are available. In spite of a lack of clarity on
this issue in Queber and Canadian law, there am persuasive arguments
justifying a doctor’s decision to sacrifice the professional duty of
confidentiality in the interest of other family membeTs.
The problem created by genetic diseases can be examined through
two different perspectives on the nature of a doctor’s duty. On one end lies
the legal model, for which the duty of confidentiality is paramount. This
view is counterbalanced by the medical model, which emphasizes access,
by family mermbers, to helpful genetic informanon. At first glance, the
legal model dominates in both Quebec and the rest of Canada. However,
the common law jurisdictions of Canada have recently imported into their
jurisprudence the American notion of a “duty to wan” incumbent upon a
doctor who becomes aware of a risk created by their patient. The
application of this concept could be extended to cover risks posed by the
carrier of a genetic disease to his or her family members where the carrier
refuses to disclose the condition to them Notwithstanding the patient’s
opposition, the doctor would then be obligated to communicate with the
patient’s next of kin.
In Quebec, it is already recognized that the duty of confidentiality is
not absolute. Confidentiality can be bypassed when a patient has implicitly
consented, or without any consent whatsoever when a danger exists for
thd parties like family members. However, while a Quebec doctor has the
right to disclose information, he or she apparently has no duty to do so. A
family wanting to compel a doctor to inform them of genetic disease risks
would have to attempt invoking a right to assistance under the Quebec
Charter of Huriat Rights and Freedom. At
in time,
uncertamties in this area of the law require a great deal of caution on the
part of health professionals.
this point
* B.A. (Philosophie), LL.B., LL.M. Uauteur tient h remercier le Projet Ginitique ithique droit et
socit9 (GEDS) de Ginome Quebec, le Rdseau de m ecine ginetique appliquee (RMGA) et le Projet
INHERIT BRCAs dont le soutien financier a contribu6 A la rdalisation de cet article. E tient 6galement
A remercier Professeure Bartha Maria Knoppers, Me Gary Mullins et Dre Michble Marchand qui ont
cordialement accept6 de lire et de commenter les versions ant6rieures du pr6sent article. 11 est bien
entendu que seul ‘auteur est responsable du texte.
Revue de droit de McGill 2004
McGill Law Journal 2004
Mode de r~f6rence: (2004) 49 R.D. McGill 555
To be cited as: (2004) 49 McGill L.J. 555
MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE MCGILL
[Vol. 49
Introduction
I. Les deux p6les de la confidentialitd de I’information genetique
A. Le modele 16gal ou la sauvegarde de I’autonomie du patient
1. Le fondement du devoir de confidentialit6
2. L’application pragmatique du modble 16gal
B. Le modele m6dical ou la d6fense de I’int6r~t g6n6ral
de la famille
1. Le fondement du partage familial de Iinformation
g6ndtique
2. LUapplication pragmatique du modble m6dical
II. Les r6gles en matiere de confidentialitd a Ila lumiere du
droit canadien et qudbdcois
A. La situation canadienne : une reconnaissance possible
d’un devoir de pr6venir (duty to warn)
1. Uabsence de l6gislation f6d~rale et la pauvrete des
dispositions provinciales
2. Un courant jurisprudentiel & l’image des d6cisions
am6ricaines
a. L’arr&t Tarasoff v. Regents of the University of
California
b. Les arrdts Pate v. Threlkel et Safer v. Estate of Pack
c. L’affaire Rivtow Marine Ltd. v. Washington Iron Works
d. L’arrbt Mclnerney c. MacDonald
e. L’affaire C. v.D.
f. L’arr6t Smith c. Jones
g. Conclusion
3. L’actualit6 des r~gles professionnelles de I’Association
m6dicale canadienne
4. Conclusion
B. La situation qu6b6coise: L’opposition entre le droit au
secret et le droit au secours
1. Le droit au secret
a. Une l6gislation abondante en faveur de la pr6servation
du secret
b. Un droit non absolu
i. La rupture de la confidentialite avec consentement
du patient
ii. La rupture de la confidentialit6 sans le
consentement du patient
2. Le droit au secours
a. Rbgles g6n6rales
b. Une d6rogation jurisprudentielle aux regles g6n6rales
Conclusion
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2004]
M. LETENDRE – DEVOIR DU MtDECIN
Seuls le sang, la famille, l’histoire, le temps,
identifient un etre humain. Le sang est la
meilleure carte d’identito.
Jean-Marie Adiaffi
Ds lors qu’on est parent, il y a des devoirs
qu’on ne peut esquiver des obligations qu’ilfaut
remplir, quel qu’en soit le prix.
Paul Auster
La famille est plus importante que les individus
qui la constituent.
Moses Isegawa
Introduction
C’est en tant que produit issu de la combinaison des apports de nos parents que
nous 6voluons dans le monde et que nous sommes ce que nous sommes. Malgr6 le
dicton voulant que notre futur soit entre nos mains, nous sommes assujettis A un
certain d~terminisme biologique, r6sultat de l’hritage g6n6tique laiss6 par nos
ascendants. Notre vie biologique est donc ainsi r~gle en grande partie par un
programme pr6-implant6 lors de la f6condation et dont le support de base de la
programmation se retrouve dans I’ADN (acide d6soxyribonuclique). En effet,
On peut r6sumer la structure du matdriel g~ntique humain de la fagon
suivante, en partant de ses 61ments les plus petits pour aller au plus gros:
– 3,3 milliards de paires de bases de nucl~otides (Q C, A, T)
– entrant dans la composition de 50 000 A 100 000 g~nes
– contenus dans 23 paires de chromosomes
– et dans I’ADN des cellules autres que les globules rouges .
Les recherches dans le domaine de la gdn6tique d6montrent que les genes ont un
tr~s grand r6le A jouer dans la manifestation de certaines maladies. On a trouv6,
jusqu’A maintenant, pros de 8 000 anomalies g6n6tiques attribuables A un seul g~ne
affectant plus d’un pourcent de la population. Plus de la moitid de ces anomalies
entrainent des cons&luences graves. Les anomalies g~n6tiques sont l’une des
principales causes des avortements spontan6s et repr6sentent pros du tiers des cas de
mortalit6 chez les enfants dg6s de moins de quinze ans. De plus, les mutations
g6n6tiques sont impliqu6es dans la plupart des cancers, et de nombreuses maladies
multifactorielles, telles le diab~te, comportent des composantes g6n6tiques.
Heureusement, il est maintenant possible de d6pister certains genes responsables
de ces maladies, permettant ainsi une intervention hAtive par les professionnels de la
1 Commissaire t la protection de la vie priv~e au Canada, Le dipistage g~nftique et la vie privie,
Ottawa, Minist~re des Approvisionnements et Services Canada, 1992 A lap. 9.
MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE MCGILL
[Vol. 49
sant6 et la mise en place d’un rdgime de vie prdventif pour les victimes potentielles.
Par exemple, nous savons maintenant que certaines formes de cancer du sein
transmises de faqon familiale sont lides des mutations situdes aux genes BRCA1 et
BRCA2. La prdsence de mutations ‘ ces genes est associe A un risque de cancer du
sein dans 60 A 90% des cas. Le rdgime de vie et l’environnement influencent
6galement ce facteur de risque, mais il n’est pas encore possible de ddfinir clairement
leur r6le. Lorsque diagnostiquds A temps, les porteurs de mutations aux genes BRCA1
et BRCA2 peuvent opter pour diffdrentes strat6gies prdventives, incluant notamment
des traitements de chimioprdvention ou la mastectomie prophylactique, permettant
ainsi de rdduire considdrablement les chances de ddvelopper le cancer du sein. Malgr6
le fait que le ddpistage et le diagnostic gdndtique ouvrent des avenues intdressantes
dans la lutte contre certaines maladies, nous nous retrouvons face A de nombreuses
questions 6thiques et juridiques dds le moment o6 notre matdriel gdndtique (notre
programme implant6 lors de la fdcondation) devient de 1’information gdndtique (des
donnes
tangibles sur notre patrimoine gdndtique.) La recherche de notre
programmation gdndtique nous fait prendre conscience de notre appartenance A une
importante lignde d’individus partageant presque le m~me bagage d’information:
notre famille.
Le diagnostic gdndtique fait d’une drmarche habituellement personnelle,
la
gestion et la prise en charge de notre sant6, une affaire de famille. En effet, un
diagnostic gdndtique ndcessite souvent la participation d’ autres membres de la famille
afin de confirmer le rdsultat obtenu. D’autre part, il faut comprendre qu’un rdsultat de
diagnostic gdndtique rdv~le de l’information sur les membres de la famille biologique,
m~me si ces derniers n’ont pas consenti A subir le test. Cette information peut indiquer
que certains membres de la famille biologique devraient 6tre examinds ou m~me
soignds, au risque d’etre eux-m~mes atteints d’une maladie grave. Nous pouvons
donc comprendre les problmes potentiels lids au diagnostic gdndtique si la famille
refuse de coopdrer. Ainsi, nous pouvons nous demander ce que doit faire un mddecin
face A un patient rdfractaire A l’ide de rdvdler l’information qu’il ddtient sur le
patrimoine gdndtique de sa famille, m~me si cette information peut leur 6tre
bdndfique. Le mddecin pourrait se retrouver face A un dilemme tr~s complexe o6 il
devrait choisir entre le respect de la confidentialit6 de son patient et son devoir de
protdger la sant6 et le bien-6tre des individus qu’il dessert.
Ce dilemme constituera la trame de fond de notre 6tude, qui comportera deux
volets. Apr~s avoir pris connaissance des positions 6thiques qui s’offrent A nous,
savoir la sauvegarde des droits individuels du patient ou la ddfense des intdrts du
patient A l’intdrieur de la cellule familiale, nous examinerons les choix faits par les
l6gislateurs canadien et qudbdcois. Nous constaterons rapidement que le r6le du
mddecin est ddlicat, car le droit actuel, tant au Qudbec qu’ailleurs au Canada, n’offre
aucune rdponse satisfaisante et consid~re encore la famille comme un tiers2 . Le
2 Voir Bartha Maria Knoppers, oProfessional Norns: Towards a Canadian Consensus ? (1995) 3
Health L.J. 1 A lap. 9.
2004]
M. LETENDRE – DEVOIR DU MEDECIN
l6gislateur qudb6cois fait de la confidentialit6 un droit fondamental, mais permet le
bris de confidentialit6 des dossiers m6dicaux dans certains cas bien pr6cis. Pour leur
part, les 16gislateurs f&6draux et des autres provinces n’apportent aucune autre avenue
int6ressante. Cependant, la jurisprudence canadienne, inspir6e grandement par les
d6cisions am6ricaines, ouvre selon nous la porte A une possible rupture de la
confidentialit6 dans les cas o6i la sant6 des membres de la famille serait en pdril.
Malgr6 cela, l’incertitude plane toujours et les gouvemements provinciaux et f6ddral,
tout comme les diverses corporations professionnelles, devront pr6ciser les r~gles A
suivre afin de sortir les m6decins d’une situation des plus incertaines. C’est d’ailleurs
afin de faire preuve de clart6 que nous limiterons notre 6tude au devoir de pr~venir,
sans regarder en profondeur les enjeux 6thiques que pr6sente l’effet de la m6decine
gdn6tique sur les relations familiales3 .
I est cependant important de pr6ciser ce que nous entendons par la notion de
famille. Les composantes de la cellule familiale peuvent varier selon qu’on perqoive
celle-ci sous un angle juridique, sociologique ou biologique. La cartographie du
patrimoine g6n6tique soulve des enjeux 6thiques dans des domaines aussi varis que
le diagnostic pr6natal ou le devoir d’une personne de divulguer son statut de porteur
d’une mutation g6n6tique A son conjoint. I1 serait, A notre avis, trop ambitieux de
traiter de toutes ces probl6matiques A l’int6rieur de cet article. C’est pour cette raison
que nous nous concentrerons uniquement sur les enjeux pour la famille biologique.
Lorsque nous traiterons de la situation du conjoint, ce ne sera qu’h l’6gard du
diagnostic g6n6tique et non de la planification des naissances.
I. Les deux p6les de la confidentialite de l’information g6netique
Les dispositions ldgislatives et les decisions rendues en mati~re de confidentialit6
reposent sur des choix de soci6t6 issus de courants 6thiques, sociologiques et
psychologiques. Une 6tude des fondements de ces choix et de leur application
concrete permettra de saisir d’une part les positions d6fendues par nos gouvernements
et d’autre part les implications r6elles des choix de soci6t6 des 16gislateurs qu6bdcois
et canadiens. Nous pouvons disposer les diff6rentes positions en matire de
confidentialit6 de l’information g6n6tique sur un spectre. A une extrmitd, nous
retrouverons le mod~le 16gal, qui pr6ne la sauvegarde de l’autonomie du patient. A
l’autre, le module m6dical, qui protege la sant6 dans une perspective globale oa la
sant6 de la famille pr6vaut sur les droits individuels du patient.
3 Pour plus de d~tails sur les enjeux 6thiques relies aux relations familiales en g~n~tique voir entre
autres Rosamond Rhodes, Genetic Links, Family Ties, and Social Bonds: Rights and
Responsibilities in the Face of Genetic Knowledge
(1998) 23:1 J. Med. Philo. 10; Evert Van
Leeuwen & Cees Hertogh, o
Alap. 85.
5 Voir Graham Scambler, <
Lancet 2; Tom Shakespeare, <
(1994) 2 Health L.J. 141 A lap. 151.
7 Voir A. Goldman, <
Steinbock, dir., Ethical Issues in Modern Medicine, 5e &t., Mountain View (Calif.), Mayfield
Publishing Company, 1999, 59 ; Ezekiel J. Emmanuel et Linda L. Emmanuel, Four Models Of The
Physician-Patient Relationship
(1992) 267 J.A.M.A. 2221 ; Rita Charon, The Patient-Physician
Relationship. Narrative Medicine: A Model For Empathy, Reflection, Profession, And Trust
(2001)
286 J.A.M.A. 1897 ; Raisa B. Deber, Physicians in Health Care Management> (1994) 151 C.M.A.J.
171 au c. 7 ; Raisa B. Deber, Physicians in Health Care Management> (1994) 151 C.M.A.J. 423 au
c. 8.
8 Noel-Jean Mazen, Le secret professionnel despraticiens de la santi, Paris, Vigot, 1988 h lap. 21.
9 Voir Loane Skene, Patients’ Rights or Family Responsibilities ? Two Approaches to Genetic
Testing
(1998) 6 Med. L. Rev. 1 A lap. 18.
MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE MCGILL
[Vol. 49
caract~re probabiliste des r6sultats obtenus . Comme la g6n6tique est une discipline
fort complexe et que 1’information d6coulant du d6pistage est trs d6licate, nous
pouvons facilement comprendre que l’obtention du consentement des membres de la
famille exigera beaucoup de temps et d’attention. De plus, une d6marche de la sorte
peut semer une confusion telle dans une famille que celle-ci peut d6cider de ne plus
coop6rer. Une telle situation n’est certainement pas dans le meilleur int6ret du patient
ou des membres de sa famille, puisque
[a]cquiring informed consent from all relatives would […] be very cumbersome
and expensive, and might in itself represent an unwarranted intrusion into
[their] privacy
.
I1 est A notre avis difficile d’exiger du m6decin une telle tiche. L’occupation
principale du m6decin se r6sumerait A tenter d’obtenir le consentement de tous et
chacun. Le simple refus de ceux-ci risquerait d’hypoth6quer la sant6 des autres.
Cependant, une th~se alternative sugg~re de mettre la priorit6 sur l’int6r8t g~n6ral de
la famille, quitte A ce que les droits individuels du patient soient brim6s.
B. Le modele medical ou la defense de I’interdt general de la famille
1. Le fondement du partage familial de l’information gen6tique
Given the complex, nonindividualistic nature of genetic information, some
ethicists have maintained
that hereditary
information is a family possession rather than simply a personal one. 12
that it is <
13 Voir supra note 9
lap. 24.
2004]
M. LETENDRE – DEVOIR DU MEDECIN
563
failure to warn may also lead to irreparable harm by limiting opportunities for
treatment or prevention of the genetic condition. If the genetic condition is
serious and preventable or treatable –
that is, if the harm from non-disclosure
outweighs the harm from disclosure –
health care professionals may have an
ethical duty, depending on the circumstances,
to warn family members,
irrespective of their patient’s wishes’ 4.
2.
t’application pragmatique du modble m6dical
Comme nous venons de le constater, la divulgation de l’information g6n6tique par
le m6decin A la famille biologique proc~de de l’6valuation des int6rets en cause. Nous
pouvons donc comprendre, selon ce modle, que la divulgation devient plus
importante lorsque celle-ci peut prdvenir un pr6judice s6rieux
un membre de la
famille. Les porphyries constituent un exemple de maladie dont la divulgation devrait
8tre envisag6e”5 . Les porphyries sont des affections
familiales h6r6ditaires,
g6n6tiquement d6termin6es, causant chez le malade des troubles abdominaux
(douleurs, vomissements, constipation), psychiques (perturbations mineures pouvant
toutefois d6g6ndrer en psychose) et neurologiques (paralysie des membres, paralysie
respiratoire souvent mortelle)”6 . Or, ces manifestations peuvent ftre pr6cipit6es par
certains facteurs tels que les habitudes alimentaires, la consommation importante
d’alcool ou l’usage de certains m&ticaments comme les barbituriques 17 . Divulguer A
la famille biologique le risque qu’elle soit porteuse de cette maladie pourrait pr6venir
l’apparition de ses manifestations potentiellement mortelles. I1 nous parait 6vident
qu’en l’esp~ce, les int6rets de la famille d6passent, A premiere vue, les int6rts priv6s
du patient.
Toutefois, si la divulgation selon le mod~le m6dical se pr6sente comme un devoir
moral pour le m6decin dans certaines situations, elle ne peut
tre faite sans que le
patient directement concem6 ne le sache. Ainsi, avant mme de consentir A un
diagnostic g6n6tique, un individu doit etre inform6 que certaines
informations
risquent d’8tre d6voil6es
sa famille biologique. La mise en place d’un counselling
g6n6tique devient donc un 616ment essentiel A l’obtention d’un consentement
r6ellement libre et 6clair6.
A la lumi~re de cette pr6sentation des deux p6les de la confidentialit6 de
l’information g6n6tique, nous pouvons penser, A premiere vue, que le mod~le medical
sert mieux 1’intr& g6n6ral que le mod~le 16gal dans sa forme la plus pure. Cependant,
il n’en demeure pas moins que le risque d’une mauvaise utilisation de l’information
g6n6tique plane toujours. En effet, la prolif6ration de tests g6n6tiques introduit la
14 Supra note 12 A lap. 478.
15 Voir supra note 6 A lap. 143.
16 Mark H. Beers et Robert Berkow, dir., The Merck Manual of Diagnosis and Therapy, 17e 6d.
la section 2, c. 14, en ligne: Merck Frosst
17 Ibid.
MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE MCGILL
[Vol. 49
possibilit6 d’un comportement discriminatoire fond6 sur le bagage h6rditaire des
individus 18 . D’ailleurs, cette crainte d’une 6ventuelle discrimination dans
les
domaines de l’assurance et de 1’emploi s6me le doute dans le public sur les bienfaits
du diagnostic g6n6tique. Le bien-fond6 de cette crainte reste discutable puisque tr~s
9. Au Canada, les tests
peu de cas de discrimination g~nrtique ont W rapports
g~n~tiques ne sont pas employrs afin d’6valuer 1’61igibilit6 d’un souscripteur A une
assurance personnelle en raison des coflts importants des tests et de la valeur
probabiliste de leurs r6sultats. Toutefois, cette situation risque de changer dans le
futur. Le gouvemement f6drral et les provinces de l’Ontario et du Qu6bec ont d6jA
6tudi6 l’impact d’une telle 6ventualit6 ainsi que la pertinence de leurs cadres
lgislatifs actuels .
II. Les regles en matibre de confidentialite h la lumiere du droit
canadien et qudbdcois
Les responsabilit6s du mrdecin peuvent se diviser en quatre cat6gories:
responsabilit6s envers
la corporation
professionnelle, et envers l’ttat. A des degr6s variables, le m&lecin possbde un devoir
de confidentialit6 envers toutes ces personnes 1 . II sera int6ressant d’dtudier o6i, sur ce
spectre, se situe le devoir du m&lecin envers la famille de son patient, i la lumi~re du
droit canadien et qu6brcois.
le patient, envers
tiers, envers
les
A. La situation canadienne: une reconnaissance possible d’un
devoir de prevenir (duty to warn)
The common law in Canada is quite developed, and provides for a duty to
warn if a patient poses a danger to a foreseeable victim. However, the
regulations governing the medical profession have not kept pace with the
18 Voir Trudo Lemmens, <
19 Voir Jon Beckwith et Joseph S. Alper, oReconsidering Genetic Antidiscrimination Legislation>>
(1998) 26 J.L. Med. & Ethics 205 ; E. Virginia Lapham, Chahira Kozma et Joan 0. Weiss, Genetic
Discrimination: Perspectives of Consumers>> (1996) 274 Science 621; Caryn Lerman et al.,
<,BRCA1 Testing in Families with Hereditary Breast-Ovarian Cancer : A Prospective Study of Patient
Decision Making and Outcomeso> (1996) 275 JAMA 1885 A la p. 1892; PB. Jacobsen et al.,
Decision-Making About Genetic Testing Among Women at Familial Risk for Breast Cancer> (1997)
59 Psychosorr. Med. 459 A lap. 460.
20 Voir Ontario Law Reform Commission, Report on Genetic Testing, Toronto, Ontario Government
Bookstore, 1996 A lap. 227 ; Science Council of Canada, Genetics in Canadian Health Care, Ottawa,
Minister of Supply and Services, 1991 aux pp. 72-73 ; Conseil de la sant6 et du bien-&tre du Qudbec,
La santi et le bien-9tre a l’re de l’infornation gingtique : enjeux individuels et sociaux t girer,
Quebec, Biblioth~ue nationale du Qulbec, 2000 aux pp. 13-16, en ligne: Conseil de la sante et du
bien-etre
21 Voir Michael Carey, <
L. Can. 52 A lap. 57.
2004]
M. LETENDRE – DEVOIR DU MEDECIN
565
law. In particular, Ontario regulations do not recognize
common
the
extenuating circumstances of patients who doctors believe are about to harm
someone. In such a case, the regulations would characterize disclosure by a
physician as misconduct 22.
1. L’absence de 16gislation f~d6rale et la pauvret6 des dispositions
provinciales
Le Canada et ses provinces n’ont pas encore adopt6 de mesures l6gislatives
l’6gard des examens gdn6tiques ou de l’utilisation de l’information gdn6tique. Tout au
plus quelques organismes publics ou parapublics ft6draux et provinciaux ont-ils
adopt6 certaines directives mettant g6ndralement l’emphase sur la confidentialit6 de
l’information g6n~tique23 .
Malgr6
la pr6sence d’un corpus 16gislatif important en ce qui a trait
l’information personnelle et l’information de sant6, les provinces canadiennes de
common law demeurent malheureusement silencieuses quant au devoir du m6decin de
pr6venir les individus qui sont A risque de subir un pr6judice grave. Constatant cette
p6nurie l6gislative, les tribunaux canadiens ont d6velopp6 des r~gles fortement
inspir6es de la jurisprudence am6ricaine.
2. Un courant jurisprudentiel tt I’image des d6cisions am6ricaines
a. L’arrbtTarasoff v. Regents of the University of California
L’une des rdfdrences en mati~re de bris de confidentialit6 par un m~decin aux
ttats-Unis est l’arr~t Tarasoff v. The Regents of the University of California24 . En
1969, un 6tudiant de l’Universit6 de Berkeley, Prosenjit Poddar, consultait en
psychiatrie A l’h6pital de l’universit6 pour une schizophr6nie paranoide. Poddar
confessa A son psychiatre, le docteur Moore, son intention de se procurer un pistolet
afin de mettre fin aux jours d’une 6tudiante de l’universit6, Tatiana Tarasoff.
Convaincu de la r6elle intention de l’6tudiant d’assassiner Tarasoff
son retour de
voyage, le docteur Moore tenta de faire interner Poddar dans un institut psychiatrique.
De plus, le docteur Moore pr6vint les autorit6s, oralement et par 6crit, afin d’obtenir
leur coop6ration. Celles-ci ne voyant aucune raison r6elle de garder Poddar sous
22 Ibid. a lap. 54.
23 Voir Science Council of Canada, supra note 20 ; Commissaire A la protection de la vie priv6e au
Canada, supra note 1 ; Conseil de recherches m&ticales du Canada (CRM), Conseil de recherches
en sciences naturelles et en gdnie du Canada (CRSNG), Conseil de recherches en sciences humaines
du Canada (CRSH), tnonci de politique des trois Conseils : F4thique de la recherche avec des etres
humains, Ottawa, juin 1998, en ligne : Groupe consultatif interagences en 6thique de la recherche
Commission, supra note 20 ; Conseil de la sant6 et du bien-&re du Qudbec, supra note 20.
21 131 Cal. Rptr. 14 (Sup. Ct. 1976) [Tarasoff].
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[Vol. 49
surveillance, il fut remnis en libert6 et son dossier m~dical d6truit. Poddar ne subit
aucun traitement par la suite. Le 27 octobre 1969, l’inrvitable se produisit: Poddar
tira sur Tarasoff et la poignarda A mort. Les parents de Tatiana Tarasoff intent~rent une
poursuite contre le docteur Moore, lui reprochant de ne pas s’8tre d6charg6 de son
devoir de prrvenir leur fille. La Cour supreme de Californie donna raison A la famille
Tarasoff. La cour drclara que
[w]hen a therapist [un mrdecin] determines, or pursuant to the standards of his
profession should determine, that his patient presents a serious danger of
violence to another, he incurs an obligation to use reasonable care to protect the
intended victim against such danger. The discharge of this duty may require the
therapist to take one or more of various steps, depending upon the nature of the
case. Thus it may call for him to warn the intended victim or others likely to
apprise the victim of the danger, to notify the police, or to take whatever other
steps are reasonably necessary under the circumstances25.
Selon la Cour, trois conditions sont nrcessaires pour que le m6decin soit li6 par
une vdritable obligation de pr6venir un tiers et ainsi doive rompre son devoir de
confidentialit6. Premirement, le mrdecin doit avoir une relation particuli~re avec
l’agresseur potentiel ou la victime potentielle. La relation m6decin-patient est
consid6re comme 6tant une relation particuli~re. Deuxi~mement,
la victime
potentielle ou la personne en danger doit 6tre identifiable. Finalement, le prdjudice A
la victime doit 8tre sdrieux et prdvisible26 . Le critre de pr6visibilit6 est, A notre avis, le
critre fondamental et le crit~re le plus complexe
6tablir. En effet, le devoir de
prrvenir un tiers n’est pas un devoir envers le public en grn6ral, meme si ces demiers
constituent des tiers en soi. Ce qui distingue la victime potentielle du public en
general, c’est la pr6visibilit6 du danger qui la guette. Ainsi, si un mrdecin apprend
qu’une personne est en potentiel danger, un devoir nait envers cette personne : <[tihe
protective privilege ends where the public peril begins 27. En somme, nous pouvons
donc remarquer A la lumi~re de cet arret que, sous la common law amrricaine, le
mdecin poss~de non seulement un devoir envers son patient, mais 6galement envers
les victimes potentielles de ce dernier, dans la mesure oii ce danger est prrvisible28 .
Est-il possible d'6tendre ce devoir de prrvenir
l'information gdnrtique drtenue
par le mddecin? Certains auteurs amricains2 croient que non, puisque le patient est
innocent dans ce genre de cas. Selon eux, le patient n'est pas sur le point de blesser
quelqu'un par ses actions. Ainsi, la passivit6 du patient ne peut etre un motif de
divulgation de l'information grn6tique aux membres de la famille, considrrant, de
25 Ibid. A la p. 20.
26 Supra note 12 t lap. 479.
27 j Torbiner dans Tarasoff, tel que citd dans Carey, supra note 21 A lap. 57.
2 8 Supra note 24 aux pp. 25-26.
29 Voir Lori B. Andrews, Medical Genetics : A Legal Frontier, Chicago, American Bar Foundation,
1987 A la p. 197 ; Lori B. Andrews, could be averted by disclosing
necessary information to that person (the opposite argument could also be
made, i.e. that the threat to the relative lies in their own genes). The Court also
stated that the risk that unnecessary warnings may be given is a reasonable
price to pay for the lives of possible victims that may be saved . If the saving
of lives is the rationale behind the duty, then there is no reason why the duty
should not apIly to the disclosure of genetic information if such disclosure
could save life .
b. Les arr6ts Pate v. Threlkel et Safer v. Estate of Pack
Les tribunaux amricains ont eu l’occasion d’ appliquer les crit~res de Tarasoff au
devoir de divulguer de l’infornation confidentielle A des victimes potentielles
d’affections g6n6tiques. Les arr&s Pate v. Threlkel3′ et Safer v. Estate of Pack” ont
reconnu l’existence du devoir de pr6venir un tiers risquant d’8tre atteint d’une
maladie g6n6tique. Ces deux arr~ts mettent en cause des enfants qui poursuivent les
m6decins de leurs parents pour ne pas les avoir pr6venu que leurs parents souffraient
d’une maladie h6rditaire.
La Cour supreme de Floride dans Pate arrive
la conclusion que
[wihen the prevailing standard of care creates a duty that is obviously for the
benefit of certain identified third parties and the physician knows of the
existence of those third parties, then the physician’s duty runs to those third
parties
33
La Cour affinme cependant que ce devoir n’implique pas que le m6decin doive
pr6venir les enfants du patient. Elle est d’avis qu’exiger du m6decin qu’il divulgue
l’information aux membres de la fanille A risque serait difficile, voire impraticable, et
30 Supra note 6 A lap. 149.
31 Pate v. Threlkel, 661 So.2d 278, 20 Fla. L. Weekly S 356 (Fla.1995) [Pate avec renvois aux
So.2d].
32 Safer v. Estate of Pack, 667 A.2d 1188 (N.J. Super. A.D. 1996), 1995 Pa. Commw. LEXIS 500
[Safer].
33 Supra note 31 A la p. 282.
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imposerait un trop lourd fardeau au m~decin. Elle sugg~re plut6t que le devoir de
pr6venir du m6decin est satisfait si celui-ci a pr6venu son patient des risques possibles
pour les membres de sa famille 4.
La division d’appel de la Cour sup6rieure du New Jersey dans Safer rejette la
position de l’arr& Pate. La Cour soutient plut6t que le m6decin devra divulguer
l’information g6n6tique du patient aux membres de la famille meme si celui-ci
exprime sa volont6 de ne rien leur d6voiler35 .
D’autre part, l’arret Safer 6tablit clairement qu’il n’y a aucune distinction A
apporter aux crit~res de l’arr~t Tarasoff A 1’6gard du devoir de pr6venir les tiers. En
termes de pr6visibilit6, la Cour ne constate en l’espece aucune dissemblance entre le
type de menace g6n6tique et une menace de contagion, d’infection ou de pr6judice
physique36 .
De plus, la Cour ne voit pas d’inconv6nients majeurs au fait d’appliquer de
mani~re si lib6rale le devoir de pr6venir. En effet, celle-ci souligne que
[a]lthough an overly broad and general application of the physician’s duty to
warn might lead to confusion, conflict or unfairness in many types of
circumstances, we are confident that the duty to warn of avertable risk from
genetic causes, by definition a matter of familial concern, is sufficiently narrow
to serve the interests of justice 7.
A l’instar des juges de la Cour sup6rieure du New Jersey, nous ne croyons pas
que l’arr&t Safer s~mera la confusion aupr~s de la population ou sera le germe de
conflits au sein du corps m6dical am6ricain. I faut encore une fois se rallier aux
critres 6nonc6s dans Tarasoff. L’arrit Tarasoff n’impose un devoir de pr6venir que
lorsque
le risque est s6rieux et pr6visible. De nombreux risques d’affections
g6n6tiques sont mineurs et ne sont pas susceptibles d’8tre soumis au devoir de
pr6venir. En ce qui concerne la pr6visibilit6, il est utile de rappeler que le d6pistage
gdndtique est fond6 sur une base probabiliste. I1 faudra donc que la probabilit6 de la
manifestation du risque s6rieux soit importante pour imposer au m6decin un devoir de
pr6venir. A la lumi~re des arrets Tarasoff, Pate et Safer, nous pouvons conclure que la
common law am6ricaine ouvre la porte A la divulgation de l’information g6n6tique
d’un patient aux membres de sa famille et en fait mime un devoir. Toutefois, il faut
comprendre que la divulgation ne sera permise que dans des circonstances limites s.
Les crit~res 6nonc6s dans les arrets Pate et Safer n’ont pas encore franchi la
fronti~re canadienne. Cependant, cela ne signifie pas que nos cours de justice soient
r6fractaires A l’id6e d’imposer un devoir de pr6venir aux mdecins g6ndticiens. Le
devoir de pr6venir fait d’ailleurs partie de la jurisprudence canadienne en ce qui a trait
34 ibid.
35 Supra note 32 A lap. 1193.
36Ibid. Alap. 1192.
37 Ibid.
38 Supra note 9 A lap. 21.
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M. LETENDRE – DEVOIR DU MtDECIN
569
la responsabilit6 du fabricant, aux patients psychiatriques repr6sentant un danger
pour la population et aux patients atteints d’une maladie transmissible sexuellement.
c. L’affaire Rivtow Marine Ltd. v. Washington Iron Works
La jurisprudence canadienne reconnait un devoir de prdvenir une victime
potentielle d’un prdjudice. En effet, la Cour supreme du Canada a reconnu dans
l’affaire Rivtow Marine Ltd. v. Washington Iron Works9 qu’une personne qui a la
connaissance qu’un individu risque de subir un pr6judice corporel ou mat6riel
poss~de un devoir gdn6ral de le pr6venir du danger.
La pertinence de
l’arr~t Rivtow pour notre propos relive du fait que,
contrairement A la ddcision dans Tarasoff, le devoir de pr6venir s’impose mme en
l’absence de relation particuli6re. I1 semble que la Cour supreme se concentre plut6t
sur la connaissance d’un dommage potentiel que sur la nature de la relation entre les
parties. Cette distinction pourrait atre significative en droit canadien. N6anmoins,
relativement au devoir de pr6venir du m6decin, les tribunaux canadiens ont pr6f6r6
suivre la logique 6tablie dans Taraso . En effet, les faits en litige dans Rivtow ne
permettent pas de conclure avec certitude A un possible devoir de pr6venir du
m6decin. M~me si cet arr& constitue un point de d6part int6ressant, son application au
domaine de la m6decine doit faire 6tat du devoir de confidentialit6, devoir qui n’6tait
pas en question dans Rivtow41 .
Pour que l’arr& Rivtow puisse 6tre applicable A la relation patient-m6decin, il
faudrait, selon nous, que cette d6cision 6tablisse un cadre qui 6noncerait les cas o6 le
bris du secret professionnel serait obligatoire et les situations o6i il n’existe aucun
devoir de pr6venir. Or, h cet effet, la Cour supreme est muette. Rivtow ouvre certes la
voie A un possible devoir de prdvenir en m6decine, mais sa ise en oeuvre demeure
obscure. Sans 6mettre de r6ponse claire, la Cour supr~me s’est toutefois prononc6e
dans d’autres arrets sur la nature de la relation patient-m6decin ainsi que sur le devoir
de confidentialit6.
d. L’arrt Mclnerney c. MacDonald
L’arr& Mclnerney c. MacDonald42 traite du droit d’acc~s d’un patient h son
dossier m6dical. Dans sa d6cision, la Cour supreme a d6fini la relation patient-
39 Rivtow Marine Ltd. v. Washington Iron Works, [1974] R.C.S. 1189, 40 D.L.R. (3V) 530 [Rivtow
avec renvois aux R.C.S.].
40R. v. Ross (NCSA) (1993), 119 N.S.R. (2e) 177, [1993] N.S.J. No 18; Tanner v. Norys, [1980] 4
W.W.R. 33, [1980] AJ. No 108 (C.A.); Wenden v. Trikha (1991), 116 A.R. 81, [1991] A.J. No 612
(Q.B.) ; Jane Doe v. Board of Commissioners of Police for the Municipality of Metropolitan Toronto
(1990), 74 O.R. (2e) 225,72 D.L.R. (4e) 580 (Div. Ct.) [Doe v. Toronto Police].
41 Supra note 4 A lap. 86.
42 [1992] 2 R.C.S. 138, 93 D.L.R. (4e) 415 [Mclnemey avec renvois aux R.C.S.].
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m6decin comme 6tant une relation fiduciaire oii le patient a une attente 16gitime que
ce qu’il confiera demeurera confidentiel43 . Une rupture de cette confidentialit6 par le
m6decin, hormis certaines
faute
professionnelle pour bris de contrat et non-respect du devoir fiduciaire.
est consid6rde comme une
exceptions,
N6anmoins, la Cour 6met certaines r6serves et s’abstient de faire du secret
professionnel un devoir absolu. Ainsi, la Cour 6crit que
l]e devoir connexe de prdserver le caractre confidentiel n’est pas absolu. A la
page 136 de l’arr~t Halls c. Mitchell, [1928] R.C.S. 125, le juge Duff affirme
qu’A premiere vue le patient a le droit d’exiger que les secrets que le m6decin
apprend dans le cadre de sa pratique ne soient pas divulguds. Ce droit est
absolu sauf s’il y a une raison primordiale d’y d&oger. Par exemple,
[TRADUCTION] oil peut se pr6senter des cas oii des motifs lies A la s6curit6
physique ou morale des personnes ou du public seraient suffisamment
convaincants pour supplanter ou limiter les obligations impos6es de prime
abord par la relation confidentielle”
.
Nous pourrions certainement soutenir que la diminution des manifestations
d’affections g6n6tiques par une intervention du m6decin aupr6s des membres de la
famille serait une raison justifi~e pour outrepasser le devoir de confidentialit6.
Pouvons-nous cependant conclure que la decision rendue dans Mclnerney permettrait
au m~decin de rompre le secret professionnel en toute s~curit6? Actuellement la
r6ponse demeure n~buleuse. La Cour supreme du Canada n’a pas encore d~fini
explicitement un crit~re qui justifierait le bris du silence par un m~decin au nom de
1’int&& public45 .
Ce dernier 616ment posera probablement plusieurs maux de tate tant aux m6decins
qu’aux juristes. Comment delimiter les balises de faqon A ce que l’int6ret public
n’empi~te pas d~mesur~ment sur l’int~ret priv6? De plus, la fronti~re entre la maladie
g~n6tique pr~visible et celle qui ne l’est pas sera certainement tr~s mince. Cependant,
il faut se rappeler ce que le juge Torbiner affirmait dans Tarasoff. the risk that
unnecessary warnings may be given is a reasonable price to pay for the lives of
possible victims that may be saved)46.
Si le droit canadien demeure ambigu face A la question de la divulgation de
l’information g~n~tique A la famille, nous croyons que la situation pourrait 8tre
diff~rente si les membres de la famille 6taient 6galement patients du mddecin.
41 Ibid. A lap. 149.
44Ibid. h lap. 154.
45 Supra note 6 A lap. 148.
46 Supra note 24 aux pp. 25-26.
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M. LETENDRE – DEVOIR DU MEDECIN
e. L’affaire C. v. D.
Les faits de l’affaire C. v. D.47 concernent un m~decin qui, sachant que deux de
ses patients avaient des relations sexuelles ensemble, informa l’un des patients que
son partenaire 6tait porteur d’une maladie v6n6rienne. La Cour d’Ontario jugea que le
m6decin n’avait pas manqu6 A son devoir de confidentialit6 puisque le tiers concern6
6tait 6galement son patient. La Cour jugea que le m&lecin avait, malgr6 l’absence
d’un devoir 16gal, le devoir moral de prdvenir son patient du danger qu’il connaissait
et que ce devoir avait pr6s6ance sur son obligation de conserver
le secret
professionne 48 .
les maladies
Cet arret a 6t6 d6pr6ci6 par certains auteurs qui consid~rent que C. v. D. ne
s’appliquerait plus en droit canadien compte tenu des progr~s m6dicaux, de la
l6gislation concernant
divulgation obligatoire et du caractre
fondamental du respect de la vie prive 49 . A notre avis, les faits de cet arrt sont moins
importants que le principe que nous pouvons en retirer, A savoir que certaines
maladies transmissibles, comme la syphilis
l’6poque et le sida aujourd’hui, posent
une menace suffisamment s6rieuse pour que les tiers soient pr6venus de la condition
de leur partenaire . Ce principe a d’ailleurs 6td confirm6 par la Cour supreme du
Canada dans la d6cision R. c. Cuerrier51 , oi il a 6t6 reconnu que mentir au sujet d’une
maladie transmissible sexuellement afin d’obtenir le consentement d’une personne
avoir des relations sexuelles non prot6g6es avec celle-ci est une fraude viciant le
consentement, au sens de l’article 265 du Code criminel. Si la comparaison entre la
syphilis et les infections g6n6tiques est plus difficile A 6tablir que le lien entre la
syphilis et le sida, il n’en demeure pas moins que le principe demeure le meme.
Certaines maladies g6n6tiques pr6sentent une menace s6rieuse pour les tiers s’ils ne
sont pas pr6venus A temps de leur pr6sence dans la famille biologique. Le mdecin
pourrait alors, en vertu de C. v. D., avoir le privilege de divulguer l’information aux
tiers si les tiers sont 6galement ses patients. L’dtablissement d’une distinction entre les
maladies infectieuses et les maladies g6n6tiques sur cette question devient futile dans
la mesure oii, dans les deux cas, il est possible de pr6venir le pr6judice par une
intervention du m6decin aupr~s de la personne A risque. L’extension du principe de C.
v. D. A la gdn6tique serait en conformit6 avec le pr6cepte formul6 dans Tarasoff, et
repris par les tribunaux canadiens52, voulant que a physician incurs an obligation to
use reasonable care to protect the intended victim against such danger 53 .
47 C. v. D. (1924), 56 O.L.R. 209, [1924] O.J. No 113 (H.C.).
48Ibid. Alap. 213.
49 Don G Casswell, Disclosure by a Physician of AIDS-Related Patient Information: An Ethical
and Legal Dilemma (1989) 68 R. du B. can. 225 A lap. 243.
5 0 Supra note 4 A lap. 90.
“‘ [1998] 2 R.C.S. 371, 162 D.L.R. (4e) 513.
52 R. v. Ross, supra note 40 ; Tanner v. Norys, supra note 40 ; Wenden v. Trikha, supra note 40 ; Doe
v. Toronto Police, supra note 40.
53 Supra note 24 A lap. 20.
MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE MCGILL
[Vol. 49
f. L’arrdt Smith c. Jones
La d6cision r6cente de la Cour supreme dans 1’affaire Smith c. Jones5 4 concernant
le secret professionnel de l’avocat pourrait laisser pr6sager la reconnaissance d’une
exception au devoir de confidentialit6 des mdecins dans les cas de danger pour les
tiers. Comme nous le constaterons, les crit~res appliqu6s A la rupture du secret de
1’avocat s’appliquent implicitement
l’6valuation de la rupture du secret du m6decin.
La question en cause portait sur la divulgation d’un rapport psychiatrique prot6g6
par le secret professionnel de l’avocat. L’analyse du juge Cory, au nom de la majorit6,
place le secret professionnel de l’avocat comme le plus important privilege reconnu
par les tribunaux55 . Une telle conclusion, A notre avis, fait donc en sorte que le
raisonnement appliqu6 au secret professionnel de l’avocat pourra 8tre appliqu6 a
fortiori aux autres relations professionnelles.
Le juge Cory d6crit
la r~gle A suivre en mati~re de privilge du secret
professionnel de l’avocat comme suit:
Le privilege du secret professionnel de l’avocat permet A un client de parler en
toute libert A son avocat car il a la certitude que les paroles et les documents
vis6s par le privilege ne seront pas divulgus. 11 est dtabli depuis longtemps
qu’il s’agit d’un principe de la plus haute importance pour l’administration de
la justice et qu’il doit etre maintenu chaque fois qu’il est possible de le faire.
N6anmoins, lorsque la s6curit6 publique est en jeu et qu’il y a danger imminent
de mort ou de blessures graves, le privilfge doit 8tre 6cart65.
Comme le privilege du secret professionnel de l’avocat souffre d’une exception
relativement A la s6curit6 publique, nous pouvons d6duire que cette exception
s’appliquera 6galement au secret professionnel du m6decin. I1 reste A savoir ce que la
Cour supreme entend par s6curit6 publique et par danger imminent de blessures
graves.
La Cour supreme pr6cise qu’elle a d6jA reconnu 1’exception d’int6ret public dans
l’arret Solosky57 os elle a consid6r6 que l’int6ret public au maintien de la s6curit6
d’une institution carc6rale, de ses d6tenus et de son personnel, pr6valait sur le droit du
d6tenu de correspondre librement avec son conseiller juridique. Ainsi, le juge Cory
tire de l’arr6t Solosky le principe que le secret professionnel de l’avocat n’est pas un
droit absolu lorsque la s6curit6 publique est menac6e58 .
Afim d’identifier les circonstances donnant lieu A une suspension l6gitime du
secret professionnel, la Cour supreme s’inspire des d6cisions 6trang~res sur la
question, principalement les arrets Tarasoff, 6tudi6 pr6c6demment, et Egdelr9 , une
14 Smith c. Jones, [1999] 1 R.C.S. 455, 169 D.L.R. (4e) 385 [Smith avec renvois aux R.C.S.].
55 Ibid. au para. 44.
56 Ibid. au para. 35.
” Solosky c. R., [1980] 1 R.C.S. 821, 105 D.L.R. (3e) 745 [Solosky avec renvois aux R.C.S.].
58 Supra note 54 au para. 57.
59 W v. EgdelU, [1990] 1 All E.R. 835, [1990] 2 W.L.R. 471 [Egdell avec renvois aux All E.R.].
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M. LETENDRE – DEVOIR DU M-DECIN
573
d6cision britannique. Ces deux d6cisions 6tudient la question du secret professionnel
du mddecin dans sa relation avec le patient. Tout en prenant en consideration que les
r~gles en mati~re de secret professionnel de l’avocat s’appliquent afortiori au secret
professionnel du m6decin, le juge Cory nous pr6vient que les conclusions tir6es n’ont
pas pour effet d’imposer de nouvelles r~gles au devoir de confidentialit6 des
mddecins:
j’insiste sur le fait que ces affaires ne sont pas analys6es en vue d’6tablir
l’existence d’une obligation de divulgation de renseignements confidentiels A
laquelle seraient tenus les m~decins en responsabilit6 ddlictuelle lorsque la
scurit6 publique est en jeu. Cette question n’a pas W soumise A notre Cour et
ele ne doit pas 8tre tranch6e sans cadre factuel ni plaidoirie A ce sujet6.
Nous comprenons la prudence de la Cour supreme dans sa d6marche. Cependant,
force est d’admettre que, si la Cour n’a pas voulu 6tablir l’existence d’une obligation
de divulgation de renseignement des m6decins lorsque la s6curit6 publique est en jeu,
elle a, en quelque sorte, 6tabli les fondements d’un tel devoir.
La Cour supreme 6nonce trois facteurs A prendre en consid6ration dans l’6valuation
du caractre imp6ratif de la s6curit6 publique par rapport au secret professionnel:
[…] premirement, une personne ou un groupe de personnes identifiables sont-
elles clairement expos6es A un danger ? Deuxi~mement, risquent-elles d’6tre
gravement bless~es ou d’8tre
le danger est-il
imminent ? Manifestement, si le danger est imminent, le risque est s6rieux61 .
tu6es? Troisi~mement,
Ces trois conditions ont t6 par la suite 6tudi6es par la Cour sous les themes de la
clart6, de la gravit6 et de l’imminence. I1 est important d’6tudier les risques causes par
les maladies g6n6tiques h la lumi~re de ces trois crit~res.
En ce qui conceme le premier crit6re, A savoir la clart6 du danger pour une
personne ou un groupe de personnes identifiables, la majorit6 de la Cour supreme
demeure vague. Elle pose comme seule r~gle g6n6rale qu’il faudra etre en mesure de
pouvoir 6tablir l’identit6 de la personne ou du groupe vis6 par le danger62 . Les
tribunaux auront la pleine libert6 d’examiner les faits propres h chaque affaire. Dans
le cas des risques de maladies g~n6tiques, il nous apparait 6vident que la famille
constitue un groupe clairement identifiable. Peu importe 1’appr6ciation de la cour, il
nous semble certain que la famille r6pondrait aux exigences du crit~re de clart6.
Le crit~re de gravit6, quant A lui, ne soul~ve 6galement pas trop de complications.
Est consid6r6 grave la menace de mort ou la menace de blessures sdrieuses. C’est
lorsque cette exigence de gravit6 estjointe i celle de l’imminence que l’application du
test de l’arret Smith c. Jones aux risques de maladies g6n6tiques devient plus
complexe. En effet, la Cour supreme affirme que le caract6re imminent de la menace
60 Supra note 54 au para. 59.
61 Ibid. au para. 77.
62 Ibid. au para. 79.
MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE OROIT DE MCGILL
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doit 8tre tel qu’il inspire un sentiment d’urgence63 . Toutefois, le juge Cory 6met
certaines pr6cisions qui laisseraient entrevoir une 6ventuelle reconnaissance par la
Cour supreme du caractre imminent des risques de maladies g6n6tiques. I 6crit:
[c]e sentiment d’urgence peut se rapporter A un moment quelconque dans
l’avenir. Selon la gravit6 et la clart6 de la menace, il ne sera pas toujours
nfcessaire qu’un d6lai pr6cis soit fix6. 11 suffit qu’il y ait une menace claire et
imminente de blessures graves dirig6e contre un groupe identifiable et que cette
menace soit faite de manire A inspirer un sentiment d’urgence 4.
Le fait que cette menace puisse 8tre imminente sans 8tre immediate nous permet
tribunaux
d’entrevoir une potentielle acceptation du risque g6n6tique par les
canadiens, mais cela ne demeure pour l’instant que pure sp6culation.
Ce qu’il faut surtout retenir des enseignements de l’arrt Smith, c’est l’acceptation
en droit canadien des critbres 6nonc6s dans l’arr~t Tarasoff. La majorit6 de la Cour a
effectivement appliqu6 A la lettre les trois crit~res dnonces par le juge Tobriner.
Premi~rement, le professionel qui viole son devoir de confidentialit6 doit avoir une
relation particuli~re
la victime potentielle.
Deuxi~mement, la victime potentielle ou la personne en danger doit 8tre identifiable.
Finalement, le pr6judice A la victime doit etre s6rieux et pr6visible.
l’agresseur potentiel ou
avec
g. Conclusion
la lumi~re des ddcisions canadiennes, nous pouvons affirmer que le devoir du
m6decin s’6tend aux
tiers lorsqu’ils sont en pr6sence d’un danger s6rieux et
pr6visible. Ainsi, nous pouvons croire qu’un mdlecin, A qui nous reconnaissons un tel
devoir, ne sera pas tenu responsable d’avoir rompu le secret professionnel de son
patient dans la mesure oO l’intdret public surpasse l’intdrbt priv6 du patient h
conserver la confidentialit6 de son dossier.
Les d6cisions canadiennes font toutefois r6f6rence A des risques imm6diats et
s6rieux, mettant la vie des tiers en p6ril. I1 est donc justifi6 de s’interroger si les
principes 6tablis par notre droit trouveraient application A l’6gard de l’information
g6n6tique65 . Selon nous, les tribunaux canadiens pourraient fort bien suivre la logique
am6ricaine dans Pate et Safer. En effet, puisque ces d6cisions appliquaient les
pr6ceptes formul6s dans Tarasoff, maintenant accept6s au Canada, nous ne voyons pas
ce qui empbcherait nos tribunaux d’adopter une interpr6tation similaire, bien que ces
d6cisions soient marginales aux ltats-Unis. Quoiqu’il en soit, le droit canadien
demeure obscur et la plus grande prudence s’impose. Comme le remarque William
Flanagan,
63 Ibid. au para. 84.
64 Ibid.
65 William F. Flanagan, oGenetic Data and Medical Confidentiality> (1995) 3 Health L. 269 A lap.
2004]
M. LETENDRE – DEVOIR DU MtDECIN
[i]t is even more unlikely that a court would impose liability on the physician
for failing to disclose this information, as all the cases dealing with the “duty to
warn” relate only to risks of imminent and serious harm. Physicians should
exercise great caution before assuming that the law will grant them a broad
privilege to breach patient confidentiality and disclose genetic data to relatives.
In short,
to disclose such
information under any circumstances, given that it is not always certain the law
will excuse such a breach of confidentiality, and it is fairly certain that the law
will not impose liability on the physician for failing to disclose even the most
significant and useful genetic information66.
the prudent physician might simply refuse
3. L’actualit des r~gles professionnelles de I’Association m~dicale
canadienne
Le Code de diontologie de l’Association mddicale canadienne reconnait une
exception au droit du patient A la confidentialit6 :
lorsque ce droit entre en conflit avec votre responsabilit6 devant la loi ou
lorsque le maintien de la confidentialit6 risquerait de causer un pr6judice grave
A des tiers ou A un patient inapte. II faut alors prendre toutes les mesures
raisonnables pour pr6venir le patient du bris de la confidentialit667.
Deux 616ments importants se d6gagent de cette r~gle 6mise par l’Association
m6dicale canadienne. Premi~rement, il n’est question ici que de prdjudice grave et
non pas de risque imminent et grave. Ainsi, contrairement A ce qui a 6t6 6nonc6 par la
jurisprudence canadienne, m~me si le risque d’affection g6n6tique est latent mais
s6rieux, le m6decin aurait l’obligation d6ontologique de rompre la confidentialit6.
Deuxi~ment, la directive met l’emphase sur le fait que le patient doit 8tre inform6 que
la confidentialit6 sera rompue. Cette r~gle est en parfaite harmonie avec ce qui a
t6
6nonc6 par la Cour supreme du Canada dans ReibI v. Hugues s. Selon la Cour
supreme, pour que le consentement du patient soit r6ellement libre et 6clair6, ce
dernier doit 8tre inform6 de tous les risques relatifs aux soins administr6s. Cette
information doit 8tre actualis6e si d’autres risques se pr6sentent en cours de
traitement.
66 Ibid. A lap. 285.
67 Association m6dicale canadienne, Code de djontologie de I’Association mdicale canadienne,
15 octobre 1996, art. 22 (28 mars 2003), en ligne: Association m6dicale canadienne
directive imposant un devoir de pr6venir lorsque la vie du public est en p6ril. Le Collfge r6sume
cette politique de la fagon suivante : Where a physician forms the opinion, based on clinical
judgment and all the facts available, that threats of serious violence or death made by a patient are
more likely than not to be carried out, the doctor has an obligation to notify the police, or, in
appropriate circumstances, the intended victim of the danger>>. Voir Lorraine E. Ferris et al.,
<
68 Reibl v. Hughes, [1980] 2 R.C.S. 880, 114 D.L.R. (3e) 1 [Reibl].
576
MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE MCGILL
[Vol. 49
11 sera int6ressant de v6rifier quelle sera l’interprdtation de cette directive par les
tribunaux. Une chose est certaine, c’est que cette directive vient renforcer l’id6e d’une
6ventuelle application des arrts Pate et Safer en droit canadien.
4. Conclusion
Le portrait actuel du droit canadien ddmontre que les tiers b~n6ficient d’une
exception au devoir de confidentialit6 du mddecin lorsque la divulgation de cette
information les prdviendrait d’un prdjudice grave et imminent de la part du patient69 .
La Idgislation actuelle concernant la divulgation obligatoire de certaines maladies
qui prdsentent un risque rdel et grave pour le public d6montre qu’il y a des situations
ob l’int6rt gdndral de prot~ger le public ddpasse l’intdrt priv6 de pr6server la
confidentialit6 de l’information du patient. Bien que la 16gislation actuelle ne nous
permette pas d’6tendre cette logique A l’information g6nrtique ,
les decisions
canadiennes, inspir6es en partie par les jugements amdricains, pourraient mener
une
interprdtation en faveur d’un devoir de prdvenir les individus A risque de ddvelopper
une maladie gdndtique grave, malgr6 le refus du patient. Si les m~decins n’ont pas le
devoir 16gal de rompre la confidentialit6, nous pouvons penser qu’ils ont le devoir
moral de le faire, du moins si les membres de la famille sont 6galement patients du
mddecin. Ce devoir moral est d’ailleurs renforc6 par les directives de l’Association
mddicale canadienne.
Nanmoins, certaines conditions s’appliquent et le mddecin devra faire preuve
d’une tr~s grande prudence tant que cette obligation ne sera pas sanctionnre par une
loi, un r~glement ou une ddcision claire d’un tribunal. Au Qudbec, nous remarquerons
que ce n’est pas tant l’absence de lois que la prdsence d’un conflit de droits qui est
la
source du probl~me de la reconnaissance d’un devoir de prdvenir pour les m&Iecins.
B. La situation queb6coise : L’opposition entre le droit au secret et
le droit au secours
1. Le droit au secret
a. Une 16gislation abondante en faveur de la preservation du
secret
Le ldgislateur qudbdcois a 6lev6 le droit au secret au rang de droit fondamental.
La Charte des droits et libert6s de la personne du Qudbec indique A ‘article 9 que:
Chacun a droit au respect du secret professionnel.
69 Supra note 21 A lap. 61.
70 Supra note 65 A lap. 276.
2004]
M. LETENDRE – DEVOIR DU MDECIN
577
Toute personne tenue par la loi au secret professionnel et tout pr~tre ou autre
ministre du culte ne peuvent, mfme en justice, divulguer les renseignements
confidentiels qui leur ont W r6v616s en raison de leur 6tat ou profession, A
moins qu’ils n’y soient autorisds par celui qui leur a fait ces confidences ou par
une disposition expresse de la 1oi 7 1.
Le tribunal doit, d’office, assurer le respect du secret professionnel.
L’obligation au secret du m6decin n’a pas pour unique source le r6le fiduciaire
qu’il joue en tant que professione 72 . Elle est aussi issue des droits du patient A la vie
la sauvegarde de sa dignit6, qui sont 6galement garantis par la Charte73 . Le
priv6e et
droit A la r6putation et A la vie priv6e est d’ailleurs r6it6r6 aux articles 35 h 41 du Code
civil du Quibec.
En ce qui a trait plus sp6cifiquement aux professionnels de la sant6, le Code des
professions7 4 indique,
l’article 87(3), que chaque ordre professionnel doit adopter un
code de d6ontologie contenant, entre autres, des dispositions ayant pour but de
prot6ger le secret A l’6gard des renseignements de nature confidentielle portds A la
connaissance de ses membres dans l’exercice de leur profession. En effet, nous
pouvons retrouver
l’int6rieur de chaque code de d6ontologie des professionnels de
la sant6, et parfois m~me A l’int6rieur des lois constitutives de leurs cadres, des r~gles
portant directement sur le secret professionne 75 . I1 est important de pr6ciser qu’au
Qu6bec, les codes de d6ontologie des professionnels de la sant6 sont des r~glements
6dict6s en vertu du Code des professions et des lois constitutives des cadres
professionnels. Ils sont donc techniquement inclus dans le mot +
Charte Quibicoise76.
Le devoir de confidentialit6 s’6tend 6galement
i tous les 6tablissements publics
de sant6 en vertu de la Loi sur les services de santg et services sociaux7 . Celle-ci
pr6voit que le dossier de chaque usager est confidentiel et que nul ne peut y avoir
71 Charte des droits et libertis de la personne, L.R.Q. c. C-12, art. 9 [Charte quib&oise].
72 Voir Mclnemey, supra note 42.
73 Charte qugbicoise, supra note 71, art. 4, 5; voir Alain Bernardot, Robert P. Kouri, La
responsabilitg civile midicale, Sherbrooke, Revue de droit Universitd de Sherbrooke, 1980 1 la p. 149
tel que cit6 dans Pauline Lesage-Jarjoura et Suzanne Philips-Nootens, tlments de responsabilitg
civile mdicale : Le droit dans le quotidien de la mrdecine, 2e &., Cowansville (Qc.), Yvon Blais,
2001 A lap. 332.
74 L.R.Q. c. C-26.
” Voir Loi midicale, L.R.Q. c. M-9, art. 42; Code de deontologie des midecins, D. 1213-2002, 7
novembre 2002, GO.Q.2002.II.7354, art. 20 [Code de diontologie] ; Loi sur les dentistes, L.R.Q.
c. D-3, art. 37 ; Code de diontologie des dentistes, R.R.Q. 1981, c. D-3, r. 4, art. 3.06.02 ; Loi sur la
phannacie, L.R.Q. c. P-10, art. 34; Code de diontologie des pharmaciens, R.R.Q. 1981, c. P-10, r. 5,
art. 3.06.01-3.06.05 ; Code de diontologie des infirmidres et infirmiers, D.1513-2002, 23 janvier
2003, GO.Q. 2003.1.98, art. 31-36.
76 Supra note 71 ; voir Lesage-Jarjoura et Philips-Nootens, supra note 73 A lap. 265.
77 L.R.Q., c. S-4.2, art. 19, 76.4 [LS.S.S.S.].
MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE MCGILL
[Vol. 49
acc~s sans l’autorisation de l’usager ou de
autorisation en son nom.
la personne pouvant donner une
Devant
l’abondance 16gislative en matire de confidentialit6, une 6tude
exhaustive du contenu des lois pertinentes et de leur interaction pourrait 8tre invitante,
mais elle n’est pas n6cessaire A notre propos. Comme l’affirme A juste titre Me
Poupak Bahamin,
[ill nous suffit, pour nos fins, de retenir que l’ensemble de ces dispositions
16gislatives dtablissent, comme principe,
le caractre confidentiel des
informations m&licales et, A plus forte raison, des donn6es gdn6tiques d6tenues
par les professionnels et les institutions de santd78.
b. Un droit non absolu
La Charte qu~bicoise prdvoit deux exceptions au devoir de confidentialit6: le
la Ioi 279 .
consentement du confident ou encore une disposition expresse de
Cependant, d’autres exceptions s’appliquent au droit au secret. Ces exceptions
r6pondent aux exigences que requi~rent l’intdret g6n6ral et l’intr& d’autrui. La
confidentialit6 doit c6der le pas i ces int6rts dans certaines circonstances.
i.
La rupture de la confidentialit6 sur consentement du patient
Le patient peut, A son gr6, renoncer A son droit au secret de fagon expresse ou de
faqon implicite”.
De faqon expresse, le patient peut demander au m~decin un r6sum6 de son dossier
m6dical afin de consulter un autre mdecin ou tout simplement pour effectuer un
transfert. Le patient peut aussi demander A son mddecin d’6mettre un certificat A son
employeur ou de signer une formule autorisant l’assureur A consulter son dossier
m6dical. Cette renonciation au droit au secret pourrait 6galement 8tre faite au profit
des membres de la famille. Si le consentement expr~s du patient ne semble, prima
facie, poser aucun probl~me, il faut toutefois s’interroger sur ‘ampleur et la port6e de
la renonciation du droit au secret. En effet, les tribunaux acceptent de plus en plus les
renonciations assorties, par exemple, A une demande d’assurance. Or, le droit
la
confidentialit6 est un droit auquel le patient peut renoncer sans reserve quant A la
port6e et au moment de cette renonciation 81 . I1 y a donc lieu, selon nous, de
78 Poupak Bahamin, oLa g~n~tique et la protection de la vie priv6e: confrontation de la l6gislation
qu6b6coise au concept du droit A la vie priv6e (1995) 55 R. du B. 203 A lap. 232.
79 Cha te quib~coise, supra note 71, art. 9 ; Lesage-Jarjoura et Philips-Nootens, supra note 73 A la
p. 337 pr6cisent que: [L]’article 9.1 ajoute d’ailleurs: “Les libert6s et droits fondamentaux
s’exercent dans le respect des valeurs d6mocratiques, de l’ordre public et du bien-6tre g6n6ral des
citoyens du Qu6bec. La loi peut, A cet dgard, en fixer la port6e et en an6nager l’exercice” .
80 Voir ibid.
81 La Mitropolitaine, Compagnie d’assurance-vie c. Frenette, [1992] 1 R.C.S. 647, [1992] A.C.J.
no 24 au para. 76.
2004]
M. LETENDRE – DEVOIR DU MEDECIN
s’inqui6ter quant au caract~re 6clair6 de cette renonciation. Cependant, cette question,
quoique tr~s int6ressante, ddpasse largement le cadre de notre propos. Ajoutons
simplement que, compte tenu de la nature extr~mement sensible et intime de
l’information g6n6tique, les tribunaux devront faire preuve d’une plus grande
vigilance A l’6gard de la protection de sa confidentialit682 .
Dans un autre ordre d’id6es, nous avons afftrm6 que la renonciation du patient A
son droit au secret pouvait se manifester de fagon implicite par les faits et gestes du
patient. Le fait que le patient discute de sa situation dans la salle d’attente, qu’il soit
accompagn6 et aid6 par un proche lors des visites pour une consultation m6dicale, ou
qu’il accepte la compagnie d’un ami ou d’un parent A son chevet
l’h6pital, permet
au professionnel de la sant6 de croire que le patient a renonc6 A son droit h la
confidentialit6 A l’6gard de cette personne. Des auteurs ajoutent d’ailleurs que
[1]e m6decin pourra alors, A bon droit, considrer celle-ci comme un
interlocuteur valable, voire comme un soignant A qui il prodiguera des conseils
pour le bien du patient 83.
Cette situation ne permet pas au m6decin de tout d6voiler. Ce demier devra faire
preuve de jugement et agir dans le meilleur int6r~t de son patient. I1 devra, de ce fait,
6valuer et appr6cier ce qui doit et ce qui ne doit pas 8tre divulgu6. I faut se rappeler
que le principe demeure la confidentialit6 et que la divulgation est l’exception. Or, si
le m6decin poss~de le moindre doute h 1’6gard de l’information
divulguer, il sera
pr6f6rable de garder le secret. Encore une fois, la sensibilit6 et l’intimitd de
l’information g6n6tique exigent la plus grande prudence et cette dernire ne devra 8tre
divulgu6e que si le m~decin le juge opportun. A cet effet, le sixi me paragraphe de
l’article 20 du Code de deontologie des midecins permet de voir que la confidentialit6
pr6vaut toujours :
Le m~decin, aux fins de preserver le secret professionnel: […] 6. ne peut
r6v6ler A l’entourage du patient un pronostic grave ou fatal si celui-ci le lui
interdit84.
Nous pouvons, h juste titre, penser que la mme r~gle s’applique pour toutes les
situations, moins qu’un int6ret sup6rieur n’exige le d6voilement de l’information
sans le consentement du patient.
ii. La rupture de la confidentialitd sans le consentement du
patient
La rupture de la confidentialit6 sans consentement du patient d6coule de trois
sources : les dispositions 16gales, les recours judiciaires et les codes de d6ontologie.
Meme si les questions entourant
‘application des dispositions 1dgales et le bris de
82 Voir Bahamin, supra note 78 A lap. 232.
83 Lesage-Jarjoura et Philips-Nootens, supra note 73 A lap. 341.
84 Code de diontologie, supra note 75, art. 20.
MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE MCGILL
[Vol. 49
confidentialit6
l’int6rieur d’une cour de justice sont d’un grand int6ret”, le devoir de
pr6venir les tiers de la pr6sence d’une affection gfn6tique grave relive plut6t du cadre
16gislatif et d6ontologique que judiciaire. A cet effet, la L.S.S.S.S.,
la Loi sur la
protection des renseignements personnels dans le secteur prive 6, tout comme le Code
de diontologie87 soulvent plusieurs interrogations quant au partage de l’information
g6n6tique A l’int6rieur de la cellule familiale.
Nous pouvons lire au troisi~me alin6a de I’article 23 de la L.S.S.S.S., ainsi qu’au
second alin6a de 1’article 3 1 de la Loi sur la protection des renseignements personnels
dans le secteur privi que
les personnes lides par le sang A un usager d&6d ont le droit de recevoir
communication de renseignements contenus dans son dossier dans la mesure
oii cette communication est n6cessaire pour v6rifier 1’existence d’une maladie
g6n6tique ou d’une maladie A caractre familial. 8
Les articles 23 de la L.S.S.S.S. et 31 de la Loi sur la protection des renseignements
personnels dans le secteur priv9 constituent certes une atteinte A la vie priv6e du
d6funt. Toutefois, l’atteinte A la vie priv6e demeure rninimale dans la mesure ot seule
l’existence d’une maladie g6n6tique ou A caract~re familial est
l’information relative
accessible et les b6n6ficiaires de cette information sont limit6s aux personnes
poss6dant un lien de sang avec le d6funt89. Les int6r~ts de la famille ici pr6valent sur
les droits individuels du d6funt. Le Code de dontologie tient similairement compte
des int6r~ts de la famille et de l’entourage du patient.
Le Code de d~ontologie reconnait que certaines situations peuvent justifier de
faire exception au principe de confidentialit6. D’une part, le cinquitme paragraphe de
l’article 20 du Code de diontologie 6nonce que :
Le m&lecin, aux fins de pr6server le secret professionnel: […] 5. ne peut
divulguer les faits ou confidences dont il a eu personnellement connaissance,
sauf lorsque le patient ou la loi l’y autorise, ou lorsqu’il y a une raison
impgrative et juste ayant trait t la santi ou la s6curit6 du patient ou de son
entourage [nos italiques]90 .
Cette exception n’est applicable que lorsque la sant6 ou la s6curit6 du patient ou
de son entourage sont en jeu. L’objectif de cette exception est double. Le patient peut,
d’une part, constituer un danger pour lui-m~me et il peut 8tre essentiel de rompre le
silence afin d’apporter au patient le support et la surveillance n6cessaire. D’autre part,
85 Pour une 6tude de ces questions en droit qu6b6cois voir Lesage-Jaijoura et Philips-Nootens,
supra note 73 aux pp. 273-79 ; Suzanne Nootens, La divulgation par le m6decin de 1’existence d’une
maladie transmissible sexuellement
(1991) 70 R. du B. Can. 517 aux pp. 519-28; Bahanmin, supra
note 78 aux pp. 235-38.
8 6 L.R.Q. c. P-39.1.
87 Supra note 75.
88 LS.S.S.S., supra note 77, art. 23(3), et supra note 87, art. 31(2).
89 Voir Bahamin, supra note 78
90 Supra note 75, art. 20(5).
lap. 235.
2004]
M LETENDRE – DEVOIR DU M-DECIN
le patient peut repr6senter une menace pour son entourage. Le sida ou 1’existence
d’une maladie
transmise sexuellement font planer une menace au-dessus de
l’entourage du patient si ce dernier ne prend pas ses responsabilit6s. Sans avoir le
devoir de divulguer l’information, le m6decin poss~de n6anmoins le privilge ou
1′ opportunit6 d’intervenir.
Trois 616ments devront
A l’6gard des donn6es g6n6tiques, le concept du mot entourage>> prend une
dimension plus large. Si l’entourage est perqu A prime abord comme l’ensemble des
personnes vivant pr~s de nous, dans le contexte des maladies g6n6tiques, le sens du
mot devrait inclure la totalit6 des individus poss6dant un lien de sang avec le patient” .
re pris en compte par le m6decin dans son appr6ciation
des circonstances permettant la rupture de la confidentialit6. Premirement, il doit
s’assurer que le d6voilement du secret est le seul moyen de prot6ger la sant6 ou la vie
des personnes identifi6es ou identifiables. Deuxi~mement, le m6decin doit 6valuer le
dommage caus6 par la divulgation par rapport au dommage caus6 par la non-
divulgation. tvidemment, le dommage caus6 par la non-divulgation doit 8tre plus
grand que le dommage caus6 par la divulgation. Cette 6valuation devra, entre autres,
tenir compte de l’6tat psychologique du patient. Troisi~mement, le m6decin doit par
tous les moyens tenter d’obtenir le consentement du patient. En cas d’6chec, le
m6decin a tout de mme le devoir de renseigner son patient h l’effet que la
confidentialit6 A 1’6gard de 1′ information pertinente sera rompue92 .
D’autre part, l’article 21 du Code de diontologie 6nonce que
Le m6decin qui communique un renseignement prot6g6 par
le secret
professionnel doit, pour chaque communication, indiquer dans le dossier du
patient les 616ments suivants :
1.
2.
3.
4.
5.
6.
7.
la date et l’heure de la communication;
l’identit6 de la personne expos6e au danger ou du groupe de
personnes expos6es au danger;
l’identit6 de la personne A qui la communication a 6t6 faite en
pr6cisant, selon le cas, qu’il s’agissait de la ou des personnes
expos6es au danger, de
leur repr6sentant ou des personnes
susceptibles de leur porter secours;
l’acte de violence qu’il visait A pr6venir;
le danger qu’il avait identifi6;
l’imminence du danger qu’il avait identifi6;
les renseignements communiqu6s9 3 .
91 Voir Bahamin, supra note 78 A lap. 234.
92 Voir ibid. Ces 616ments ont 6galement W soulign6s par le Conseil de la sant6 et du bien-ftre du
Qu6bec, supra note 20 A lap. 41.
93 Supra note 75, art. 21.
582
MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE MCGILL
[Vol. 49
A priori, cet article soul~ve plusieurs questions quant A son application et son impact
sur le cinqui~me paragraphe de l’article 20 du Code de dontologie. En effet, les
616ments mentionn6s A l’article 21 du Code de defontologie doivent-ils 6tre signifi6s au
patient pour 16gitimer le bris du secret professionnel 6nonc6 A i’ article 20 ou, plut6t,
s’agit-il simplement d’une liste des informations devant etre pr6sentes au dossier
m6dical du patient? Qu’en est-il des situations ayant trait A la sant6 et s6curitd d’un
patient ou de son entourage, mais n’impliquant pas d’acte de violence? Un patient ou
un membre de son entourage peuvent certainement 6tre dans une situation de danger
ou de p6ril sans n6cessairement 6tre l’objet d’un acte de violence. Bref, l’article 21
n6cessite, A notre avis, certains 6claircissements.
Le R6seau de m6decine g6n6tique appliqu6e du Fonds de recherch6 en sant6 du
Qu6bec (RMGA) et le Conseil de la sant6 et du bien-ftre (le Conseil) offrent une
marche A suivre pouvant venir en aide A l’interpr6tation des articles 20 et 21 du Code
de deontologie. Ces deux organismes proposent trois conditions similaires A celles
pr6sent6es dans les arrts Tarasoff et Safer. En effet, lorsqu’un patient refuse de
communiquer l’information g6n6tique pertinente aux membres de sa famille, le
RMGA et
le
consentement de son patient et de divulguer cette information A sa famille biologique
lorsque :
le Conseil reconnaissent au m6decin
le droit de passer outre
1.
2.
3.
il y a un risque 61ev6 pour les membres de la famille de d6velopper
une maladie grave;
les membres de la famille biologique sont identifiables;
la maladie peut etre 6vitde par des moyens pr6ventifs ou contr61de
par des traitements scientifiquement approuvs 94.
Nous constatons, A la lecture des dispositions du Code de djontologie, que
l’int6ret d’autrui n’exige aucun devoir 16gal du m6decin, contrairement A l’intrt
public par le biais des dispositions 16gales. S’il y a obligation face aux membres de la
famille sous le Code de deontologie, cette obligation semble plut6t morale que 16gale.
M~me si le Code de djontologie a force de loi, puisqu’il est 6dict6 en vertu du Code
des professions95 , le cinqui~me paragraphe de l’article 20 fait appel au verbe
pouvoir> et non au verbe
Conseil de la sant6 et du bien-6tre du Qu6bec, supra note 20 A la p. 137.
” Supra note 74, art. 87.
2004]
M. LETENDRE – DEVOIR DU M-DECIN
pr~venir. A l’oppos6 du droit canadien, qui semble tendre vers un devoir de pr6venir
(duty to warn) pour les m6decins, le droit qu6b~cois laisse A ces derniers le privilge
de divulguer ou non. Toutefois, la Charte qudbecoise reconnait h tout individu un
droit au secours96. Est-il envisageable que ce droit au secours impose aux m&lecins
1’&tuivalent d’un devoir de pr6venir ? Le professeur Nootens 6crit que
tiers peut-il,
[1]’imp~ratif de protection d’un
lui, fonder, en l’absence
d’obligation l6gale sp6cifique, une d6rogation au secret m&lical ? Si l’analyse
nous amine A conclure A l’existence d’une v6ritable obligation de porter
secours, situation extreme de la protection de la personne, le devoir est das lors
clairement 6tabli et il n’est pas n6cessaire de pousser plus loin la r~flexion. Par
contre, en l’absence d’une telle obligation, dans le cadre des MTS et du SIDA
[la situation est similaire en g~n~tique], ou dans le doute face A son existence,
nous devrons nous demander s’il peut exister un devoir de droit commun
justifiant la r~v~lation97 ,
2. Le droit au secours
a. Regles g6nerales
Le droit au secours, pr6vu A l’article 2 de la Charte quebecoise, est le corollaire
du droit A la vie et A l’int6grit6 de la personne 6nonc6 A l’article premier98 . Dans la
poursuite de cette m~me vis6e, plusieurs lois et codes de d6ontologie imposent une
obligation de secours et d’ assistance99 .
I1 est important, avant de proc~der h l’analyse du devoir de secours, de pr6ciser
que la Charte quibicoise s’inscrit dans une philosophie civiliste’ . Par respect pour le
syst~me de droit qu6b6cois, nous ne tenterons pas d’introduire les arrts Tarasoff,
Safer ou Pate par le truchement du droit au secours ou du devoir de droit commun de
prudence et de diligence’. Nous pr6f6rons suivre l’opinion de la Cour d’appel du
96 Voir Charte quibicoise, supra note 71, art. 2.
97 Nootens, supra note 85 A lap. 528.
98 L’art. 1 de la Charte quibgcoise 6nonce que <[t]out
tre humain a droit A la vie, ainsi qu'4 la
sfiret6, l'int6grit et
la libert6 de sa personne .
99 Lart. 23 du Code des professions, supra note 74, pr6voit la constitution de corporations
professionnelles dans le but de prot6ger le public ; les art. 4 et 5 de la LS.S.S.S., supra note 77
assurent
toute personne le droit aux services de sant et aux services sociaux; I'art. 4 du Code de
djontologie traite du respect de la vie, et 1'article 38 du m~me code impose au m&lecin un devoir de
secours envers son patient qui pr6sente une condition susceptible d'entrainer des cons&luences
graves ; l'art. 43 de la Loi sur les laboratoires midicaux, la conservation des organes, des tissus, des
gamktes et des embryons et la disposition des cadavres, L.R.Q., c. L-0.2, dicte une obligation A un
6tablissement ou A un m~decin de foumir des soins ou des traitements au patient dont la vie est en
danger.
10 Voir Alain Klotz,
dans l’dnonciation du droit au secours.
Le probl~me soulev6 par les affections grn6tiques A l’dgard du devoir de secours
repose sur la question de l’ampleur du risque. Un peu A l’image du sida”‘0 , les
symptrmes de plusieurs maladies g6ndtiques, comme les cancers familiaux, ne se
manifestent que tardivement. D’autres, cependant, se manifestent de faqon presque
spontan6e mais n6cessitent un apport extdrieur, comme l’utilisation de barbituriques
par une personne atteinte de porphyries. I1 est donc difficile dans ces situations de
parler de menace immddiate pour la vie. Comme le sugg~re Suzanne Nootensl9 , il
faudrait que l’obligation de secours soit clairement d6finie et prdcisre afin de pouvoir
s’appliquer une maladie mortelle
long terme.
.
la lumi~re de l’article 2 de la Charte quibicoise, il semble peu probable que le
devoir de secours puisse fonder une exception au secret professionnel en mati~re
d’information gdnrtique1 1 . Ainsi, le mddecin serait tenu au secret professionnel et
aucune obligation l6gale n’obligerait ce dernier A privil6gier les int~rts de la famille
avant l’intdrt personnel de son patient A conserver la confidentialit6 de ses donndes
g6ndtiques. Le mddecin devra faire face A son devoir moral d’agir pour le bien-8tre
des personnes qu’il dessert, mais la divulgation de l’information grndtique demeure
sa discrdtion. VoilA la conclusion
l’article 2.
laquelle nous m~ne une interprdtation stricte de
Dans
l’ensemble,
la jurisprudence semble favorable A une
interprdtation
restrictive du devoir de secourir. Toutefois, certains tribunaux ont procdd6 A une
interprdtation plus large du droit au secours”‘,
allant mme jusqu’A lui donner
le droit A la confidentialit6 “‘ 2 . Sans pouvoir rdpondre si cette
prdsdance sur
interprdtation 61argie du droit au secours correspond A la position jurisprudentielle
majoritaire, nous croyons tout de m~me qu’une 6tude de ce courant s’impose.
b. Une d6rogationjurisprudentielle aux regles g6n6rales
Le droit au secours, rappelons-le, fait appel A une aide physique immediate. Or,
les tribunaux l’ont appliqu6 dans des cadres aussi vari6s qu’une requite pour
108 Voir Nootens, supra note 85 A lap. 531.
1o9 Ibid. A lap. 532.
110 Voir ibid. ; le professeur Nootens arrive A la meme conclusion A l’6gard des maladies
transmissibles sexuellement.
“l Voir Droit de la famille –
140, [1984] T.J. 2049 ; In Re enfant Maude Goyette et le Centre de
Services Sociaux du Montreal Mitropolitain, [1983] C.S. 429; Cloutier c. C.H.U.L, [1986] R.J.Q.
615 (C.S.) ; Protection de lajeunesse – 169, [1985] T.J. 2011.
112Voir Droit de lafamille – 140, ibid.
586
MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROITDE MCGILL
[Vol. 49
consultation de dossier d’adoption n 3, une requite pour autorisation de pratiquer une
intervention chirurgicale” 4 , une action en dommages-int6rets
intent6e contre un
psychiatre et un h6pital A la suite du suicide d’une patiente 15 et dans le cas de la garde
d’un enfant par son p~re homosexuel”6 . Ce mod~le d’application du droit au secours
permettrait sans contredit le d6voilement du secret professionnel A l’6gard de
l’information g6n6tique. Cette constatation est d’ailleurs, A notre avis, confirm~e par
l’arret Droit de lafamille –
140117.
Dans la d6cision Droit de la famille –
140’ i, la juge Rivet a consid6r6 que le
droit A la vie et son corollaire, le devoir de secours, devaient avoir pr6dominance sur
le droit A la confidentialit6 dans la mesure o6 seule l’information n6cessaire A la survie
d’un enfant 6tait transmise. Cette affaire portait sur une enfant adopt6e atteinte de
leuc6mie, dont le traitement le plus efficace n6cessitait une greffe de moelle osseuse
provenant d’un fr~re ou d’une soeur ayant les m~mes p~re et m&e. Mme si en
l’occurrence l’enfant n’6tait pas dans une situation n6cessitant une aide physique
n6cessaire et inm6diate >, lajuge Rivet affirma que
[sli ces droits A la vie de la Charte qu6b6coise et cette obligation de (bon
samaritain doivent avoir une certaine port6e pratique, c’est bien ici qu’ils la
19
trouvent 11.
La r~gle 6nonc6e dans l’arr& Droit de la famille –
140 a 6t6 confirm6e par les
articles 542 et 582 C.c.Q. d’apr~s lesquels un tribunal peut permettre A une personne
adopt6e ou cr66e par procr6ation m6dicalement assist6e d’obtenir de 1’information
confidentielle sur ses ant6c6dents biologiques lorsqu’un pr6judice grave risque d’8tre
caus6 A sa sant6 ou A celle d’un de ses proches parents.
La d6cision Droit de la famille –
140 pr6cise toutefois que l’exception A la
confidentialit6 n’est pas absolue et l’information transmise ne doit 8tre que celle qui
est pertinente A la survie de l’enfant. En l’occurrence, l’obtention de l’information ne
devait servir qu’au traitement contre la leucmie et non pas A connaitre l’identit6 des
parents biologiques.
L’arr~t Droit de la famille –
140 s’applique directement A la question du
d6voilement de l’information g6n6tique. En effet, comme dans le cas de
la
consultation du dossier d’adoption, le lien entre le b6n6ficiaire de la confidentialit6 et
la victime potentielle est le sang, la maladie est mortelle A plus ou moins longue
6ch6ance et la survie n6cessite la rupture de la confidentialit6. 11 faut cependant
’13 Voir ibid.
114 Voir In Re enfant Maude Goyette et le Centre de Services Sociaux du Montrial Mitropolitain,
supra note 111.
115 Cloutier c. C.H. U.L, supra note 111.
116 Protection de la jeunesse – 169, supra note 111.
1 Droit de lafamille – 140, supra note 111.
118 Ibid.
119 Ibid. A lap. 2050.
2004]
M. LETENDRE – DEVOIR DU MEDECIN
s’interroger si, dans le cas d’une affection gdnrtique mortelle, la prdsence de
1’affection chez les membres de la famille doit &re certaine pour permettre 1’acc~s A
l’information confidentielle, ou s’il suffit que la presence de la maladie ne soit que
probable. Comme nous l’avons remarqu6 en introduction, le drpistage gdnrtique
repose sur la notion de probabilit6 et de prdvisibilit6. Dans l’hypoth~se o6i la logique
de l’arr& Droit de la famille –
140 est suivie en g6nrtique, le tribunal devra se
demander si le critre A suivre pour 6valuer le pdril de la personne en danger sera la
probabilit6 du risque ou plutft la gravit6 du risque. Sans vouloir clore trop rapidement
le ddbat sur cette question, nous croyons que le tribunal devrait appliquer A l’6gard de
l’obligation de renseignement du mddecin le m~me raisonnement qu’en matire
d’6valuation de risque 2 . En effet, l’importance du risque s’applique tant
la gravit6
qu’A la pr~visibilit6. Ainsi un risque rare qui peut entrainer des consdquences graves
est important, tout comme un risque plus minime dont la probabilit6 de rralisation est
grande. Cette interprdtation semble en accord avec l’opinion des mddecins gdndticiens
que certains ddsordres gdn6tiques se manifestent de fagon diffdrente chez chaque
individu 2 1.
Le raisonnement de la cour dans Droit de la famille –
140 suppose qu’une
affection g~ndtique qui n’entraine pas
la mort, mais dont la probabilit6 de
concrdtisation est grande, devrait permettre le ddvoilement du secret professionnel.
Ceci drpasse prima facie le cadre de 1’article 2 de la Charte quibicoise. Cependant,
dans la mesure o6 le droit au secours est le corollaire du droit A la vie et A 1’intdgrit
de la personne, et que l’intrgrit6 se d~finit comme <[l']6tat d'une chose qui est
demeurre intacte' 2 , la maladie est une atteinte A l'intrgrit6 de la personne donnant
ouverture au droit au secours pris dans son sens 61argi. Cette interprdtation de la
notion d'intdgrit6 a d'ailleurs
td suivie dans l'arr&t Qu6bec (Curateur public) c.
Syndicat national des employis de I'hdpital St-Ferdinand2 3 , dans lequel la Cour
remarque que
[1]e sens courant du mot
123 [1996)3 R.C.S. 211, [1996] S.C.J. no 90.
124 Ibid. au para. 97.
They Be Defined ? (2002) 108 An. J. Med. Genet. 29.
MCGILL LA W JOURNAL / REVUE DE DROIT DE MCGILL
[Vol. 49
En d6finitive, m~me si nous pouvions croire, comme certains auteurs’ 2 , que le
droit au secours ne permet pas de d6roger au devoir de confidentialit6, 1’interpr6tation
des tribunaux dans les arrts mentionn6s plus haut garde la porte ouverte A un d6bat. Il
sera int6ressant d’examiner si cette vision 61argie du droit au secours fera l’unanimit6
parmi les juristes qu6b6cois. Dans l’affirmative, nous croyons que le devoir de
confidentialit6 devrait 8tre rompu en fonction d’une 6valuation double de la gravit6 et
de la pr6visibilit6 de l’affection g6n6tique. Si le droit au secours est r6ellement le
corollaire du droit A la vie et
l’int6grit6 de la personne, nous ne voyons pas ce qui
justifierait 1’exclusion d’un devoir de secours dans le cas de personnes risquant de
d6velopper une maladie g6n6tique grave dont la pr6visibilit6 est substantielle.
Restreindre la notion de piril pour la vie uniquement au risque d’une mort imminente
nous parait d6raisonnable. La maladie est en soi une attaque A l’int6grit6 de la
personne. Elle met la vie en p6ril, m~me lorsqu’elle n’engendre pas la mort. Elle porte
atteinte A la vie professionnelle, la vie priv6e, la vie familiale, la vie amoureuse et la
jouissance de la vie. Nous comprenons qu’en tant qu’exception au devoir de
confidentialit6 l’article 2 de la Charte quobecoise doit 8tre interpr6t de fagon
restrictive. Toutefois, nous ne croyons pas qu’il soit justifi6 d’adopter une
interpr6tation qui ignorerait des dimensions aussi importantes de ce qu’est la vie,
c’est-A-dire l’ensemble des activit6s humaines qui donnent un int6rt h l’existence.
Comme l’6crit Alain Klotz,
[d]epuis la reconnaissance officielle d’un droit au secours, il faut, dans une
optique civiliste, donner effet au droit nouveau et l’harmoniser avec les
dispositions d6jA existantes. II s’agit lA d’une confmnation d’un droit au
secours inclus dans l’article 1053 C.c. [aujourd’hui 1457 C.c.Q.] en raison de
l’existence d’une faute par omission non 6vidente A premiere vue. Les articles
de la Charte et 1053 C.c. [1457 C.c.Q.] se compltent: l’article 2 dnonce un
principe, lui-m~me corollaire de larticle premier de la Charte: le droit A la
vie; les d6riv6s de ce principe se retrouvent A l’article 1053 C.c. [1457
C.c.Q.]: l’homme raisonnable n’attend pas que la vie soit en danger pour
agir 12 6.
Si le devoir de secours ne peut assujettir le m6decin . une obligation de pr6venir
les membres de la famille sans le consentement du patient, il peut cependant 6tre le
fondement de la faute d’omission pr6vue A l’article 1457 C.c.Q. En effet, la famille
pourrait poursuivre le m6decin pour n6gligence et pour ne pas avoir agi comme
l’aurait sans doute fait une personne raisonnable. Pour qu’il y ait faute d’omission, il
n’est pas n6cessaire que l’omission soit fond6e sur une disposition 16gale ou
r6glementaire sp6cifique1 7. Contrairement A la common law, qui prevoit une s6rie
d’obligations et de devoirs sp6cifiques, l’obligation g6n6rale de se comporter en
125 Voir Nootens, supra note 85 A lap. 532.
126 Klotz, supra note 100 A lap. 507
127 Voir Jean-Louis Baudouin et Patrice Deslauriers, La responsabiliti civile, 5e 6d., Cowansville
(Qc), Yvon Blais, 1998 au n’ 144.
2004]
M. LETENDRE – DEVOIR DU MEDECIN
personne prudente et diligente n’impose aucun devoir particulier’28 . Cette
confirmation d’un droit au secours inclus dans l’article 1457 C.c.Q. est d’ailleurs
reconnue par le l6gislateur lorsqu’il d6finit le mot <
Loi visant at favoriser le civisme’29 . Selon le 16gislateur, un sauveteur est ocelui qui
b6n6volement, porte secours, s’il a un motif raisonnable de croire que la vie ou
l’intigritj physique d’une personne est en danger>> [nos italiques]13 . Est-ce une erreur
l’int6grit6 physique A
de la part du 1gislateur de ne pas avoir inclus l’atteinte
l’int6rieur du devoir au secours ou 6tait-ce plut6t le fruit d’une volont6 de conserver
une port6e restrictive au droit au secours ? Sans r6pondre A cette question, nous
conclurons en affirmant que l’6tat actuel du droit qu6b6cois n’impose pas au m6decin
un devoir de secours qui se traduirait en un devoir de pr6venir les membres de la
famille d’un patient atteint d’une affection g6n6tique grave. Toutefois, le m6decin
pourrait se voir confront6 A des poursuites en responsabilit6 civile pour manquement A
son obligation g6n6rale de prudence et de diligence par les membres de la famille qui
n’ont pas 6t6 pr6venus du mal qui les guettait, un peu
l’image des faits soulev6s
dans les arrets Safer’ et Pate’32 .
Enfin, les m6decins qu6b6cois devront faire preuve de prudence, tout comme les
autres m6decins canadiens, tant que le devoir de pr6venir ne sera pas sanctionn6 par
une loi ou un r~glement. Les m6decins qu6b6cois sont peut-8tre devant un imp6ratif
de pr6venir, mais tant que ce demier demeurera d’ordre moral et non d’ordre 16gal, le
mddecin risque de subir les foudres d’une poursuite pour bris de confidentialit6.
Toutefois, nous croyons que notre interpr6tation des dispositions, tant l6gislatives que
professionnelles, pourrait servir de moyen de d6fense A une telle poursuite.
Conclusion
Nous reconnaissons, tant en common law qu’en droit civil, un devoir moral (ou du
moins un privilege) de pr6venir qui est fond6 principalement sur les normes 6thiques
professionnelles, ainsi que l’obligation g6n6rale de prudence et de diligence. Cette
obligation morale n’6vacue cependant pas les risques de poursuite, soit pour bris de
confidentialit6 et donc non-respect du caractre fiduciaire de la relation m&tecin-patient,
soit pour n6gligence ou omission, c’est-A-dire de ne pas avoir agi comme une personne
raisonnable. A cet effet,
il est imp6rieux que le l6gislateur ou les corporations
professionnelles indiquent aux m~decins une voie
suivre d6pourvue d’ambigut6s, h
l’image de la proposition pr6sent6e par le Conseil de la sant6 et du bien-8tre’33 .
’28 Voir ibid.
129 Loi visant 4 favoriser le civisme, L.R.Q. c. C-20, art. l(g).
130 Ibid., tel que cit6 dans Klotz, supra note 100 A lap. 507.
131 Supra note 32.
132 Supra note 31.
133 Supra note 20
lap. 137.
MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE MCGILL
[Vol. 49
information. Dans cette situation,
L’ evaluation des situations ob la rupture de la confidentialit6 sera permise, que ce
soit sous le droit actuel ou sous une r6glementation ou directive pr6cise, devra tenir
compte d’une multitude de determinants exttrieurs. L’un de ces d6terminants est le
caract~re extr~mement sensible et intime de l’information en question. I1 est important
de noter qu’h l’int6rieur de certaines families la divulgation de l’information pourrait
constituer un tort plus consid6rable que
la pr6servation de la confidentialit6,
particuli~rement dans les cas oii les membres de la famille ne veulent pas connaitre
indaiment A
cette
l’int6rieur de la dynamique familiale. Ainsi, certaines 6tudes ont 6voqu6 que les
personnes atteintes d’une affection gdn6tique pouvaient se sentir coupables face au
reste de la famille, comme si elles 6taient responsables. Dans d’autres cas oj les
risques de maladies h6r6ditaires sont connus, une dynamique peut s’8tre install6e oi
les membres de la famille ont opr6s61ectionn& la personne qui sera atteinte par leurs
comportements ou leurs gestes. Une sorte de conditionnement s’6tablit alors oti les
personnes A risque non s6lectionn6es vivent dans l’attente du moment fatidique. La
divulgation de 1’information g6n6tique par le m6decin peut venir 6branler cette
construction sociale bien &ablie. A ce sujet, Martin Richards observe que
le m6decin s’immiscerait
[t]he importance of these ideas is that they draw attention to the fact that family
relationships are not created de novo by each new family member but there are
beliefs about roles, relationships and individual characteristics that procede them
and may help to produce their identity and place within the family. Such beliefs
may be particularly powerful when a family is burdened by a serious genetic
condition. […] Cases have been reported where the negative test result has
resulted in the preselected individual being effectively ostracized from the
family 134.
Un autre d6terminant A prendre en consid6ration relbve du manque d’6ducation de
la population en g6n6ral et, surtout, des intervenants eux-memes’35 . Avant de pouvoir
prdtendre avoir le privilege, si ce n’est le devoir, de divulguer l’information g6n6tique de
son patient aux membres de sa famille, le m~decin devra s’assurer qu’il poss~de toute
l’information n6cessaire pour pouvoir effectuer un
tel choix. Avant m~me
d’entreprendre un examen g6n6tique, il devra 6galement s’assurer que son patient ait 6t6
mis au courant de toutes les implications entourant un tel examen et que le consentement
de celui-ci ait
td obtenu quant au risque qu’une partie de l’information obtenue soit
r6v6l6e aux membres de sa famille, m~me en cas de refus substquent de sa part.
134 Martin Richards, Families, Kinship and Genetics dans Theresa Marteau et Martin Richards,
dir., The Troubled Helix: Social and Psychological Implications of the New Human Genetics,
Cambridge, Cambridge University Press, 1996, 249 a la p. 268.
135 Voir Francis Collins, Preparing Health Professionals for the Genetic Revolution
(1997) 278
J.A.M.A. 1285 ; M. Richards, Lay and Professional Knowledge of Genetics and Inheritance > (1996)
5 Public Understand. Sci. 217 ; New York State Task Force on Life and the Law, Genetic Testing and
Screening in the Age of Genomic Medicine (a.l., a.m.e., 2000) aux pp. 347-86 ; Laurie A. Demmer et
aL, Knowledge of Ethical Standards in Genetic Testing Among Medical Students, Residents and
Practicing Physicians> (2000) 284 J.A.M.A. 2595.
2004]
M. LETENDRE – DEVOIR DU M-DECIN
591
Nous pouvons donc, en ddfinitive, constater que la question de la confidentialit6 A
l’dgard du diagnostic g6n6tique tisse une toile complexe of6 s’entrecroisent plusieurs
intervenants, de nombreux concepts et une multitude de situations ambiguds. Le
m~decin devra faire preuve de comp6tence, de jugement et de diligence dans son
les
appr6ciation des situations ndcessitant
jouer afin d’offrir
corporations professionnelles auront 6galement un r6le important
aux m6decins une ligne de conduite suffisamment claire pour que ces derniers
puissent pr6senter une d6fense solide en cas d’6ventuelle poursuite pour bris de
confidentialit6.
le d6voilement. Le 16gislateur et