Article Volume 62:2

Les catégories juridiques et la qualification : une approche cognitive

Le présent article intègre l’apport de la méthodologie du droit et des sciences cognitives, afin d’éclairer le processus explicite de qualification juridique et son rôle implicite dans la pensée. La qualification, qui consiste à rattacher les faits à une catégorie juridique, s’opère d’abord inconsciemment : c’est la qualification implicite. Il faut parfois justifier la qualification retenue : c’est la qualification explicite. La théorie du prototype, la théorie des exemplaires et la théorie des théories peuvent expliquer la qualification implicite, tandis que la qualification explicite se fonde sur la définition, les précédents, le régime juridique et les connaissances associées.

Dans toute hiérarchie de concepts, ceux d’un niveau intermédiaire, appelé niveau de base, sont préférés pour l’accomplissement de plusieurs tâches cognitives. Les concepts de ce niveau sont vraisemblablement plus faciles à appliquer et plus accessibles pour les juristes débutants. Deux expériences en catégorisation juridique montrent que le niveau de base varie selon les domaines du droit. Elles indiquent que la formation de common law favorise une représentation plus efficace des catégories juridiques, ce qui peut s’expliquer par l’importance accordée à la sélection et à l’analyse des faits. Les catégories juridiques induisent la formation de stéréotypes qui jouent un rôle occulte dans le raisonnement : c’est le principal revers de l’action réductrice et simplificatrice des catégories juridiques.

This article focuses on research in legal methodology and the cognitive sciences, in order to elucidate the explicit process of legal characterization (or classification) and its implicit role in reasoning. Legal characterization, which involves matching the facts to a legal category, operates first at an unconscious level—this is implicit characterization. It may then be necessary to revise or justify one’s choice—this is explicit characterization. While prototype, exemplar and theory theories can account for implicit legal characterization, explicit characterization relies on definitions, legal precedents, legal rules, and related knowledge.

In all hierarchies of concepts, those at an intermediary level of description—known as the basic level—are preferred for accomplishing various cognitive tasks. Basic-level concepts are seemingly easier to grasp and to apply by novices and non-jurists. Two experiments in legal categorisation demonstrate that the basic level varies according to the area of law. They also show that jurists trained in the common law acquire a more effective representation of legal categories, probably due to the importance accorded to the selection and analysis of facts. The primary drawback of legal categories is that they enable the formation of stereotypes that play a concealed role in legal reasoning.

* Michelle Cumyn, Professeure titulaire, titulaire de la Chaire de rédaction juridique Louis-Philippe-Pigeon, Faculté de droit, Université Laval. Frédéric Gosselin, Professeur titulaire, Département de psychologie, Université de Montréal. Les recherches à l’origine du présent article ont été réalisées grâce à une subvention du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada (CRSH) pour un projet intitulé « Les catégories juridiques de base (basic-level legal categories) ». Les auteurs remercient les auxiliaires de recherche qui ont contribué au projet alors qu’ils étudiaient en droit ou en psychologie à l’Université Laval, à l’Université de Montréal ou à l’Université Queen’s : Sonya Bernard, Matthew Dylag, Haythem Ganouchi, Bonnie Huen, Xavier Morin Duchesne, Robert Sharp, Rebecca Shoom et Claudie Wagner. Les auteurs remercient également les participants qui ont complété les deux tâches expérimentales en catégorisation juridique, la Faculté de droit de l’Université Queen’s pour sa collaboration et les évaluateurs externes de la Revue de droit de McGill pour leurs commentaires pertinents. Michelle Cumyn souhaite enfin remercier Günter Reiner pour ses commentaires détaillés et les discussions et améliorations qui en ont découlé.

 

Table of Contents

Introduction

I.  La catégorie juridique

A.  Un ensemble de situations factuelles

B.  Un régime juridique

C.  Définition et représentation

II. La qualification juridique

A.  La qualification distinguée de l’interprétation et de la subsomption

B.  La qualification implicite

1.    La théorie du prototype

2.    La théorie des exemplaires

3.    La théorie des théories

C.  La qualification explicite   

1.    L’approche analytique

2.    L’approche instrumentale

III.    La classification des catégories juridiques

A.  La structure des classifications juridiques

B.  L’importance du niveau de base

C.  Deux expériences en catégorisation juridique

1.    Brève description

2.    Principaux résultats

IV.              Perspectives critiques

A.  L’indétermination des catégories juridiques

B.  La rigidité des catégories juridiques et la critique de la Begriffsjurisprudenz

C.  L’influence occulte des préjugés et des stéréotypes

Conclusion

Introduction

En méthodologie du droit, de nombreux écrits sont consacrés à l’inventaire des sources du droit (la loi, la coutume, la jurisprudence et la doctrine) et à l’interprétation des textes juridiques; très peu aux catégories juridiques et à la qualification. Avant d’interpréter les règles de droit afin de les appliquer au problème à résoudre, il faut pourtant avoir repéré ces règles. Pour cela, il ne suffit pas de savoir quelles sont toutes les sources possibles du droit : il faut identifier celles qui sont pertinentes. La qualification juridique des faits permet d’orienter le juriste vers celles-ci.

La qualification consiste à rattacher les faits à l’origine du problème à une catégorie juridique (par exemple, un brevet, une vente, un vol); la catégorie juridique indique ensuite quelles sont les règles applicables. L’opération de qualification revêt la même importance en droit que le diagnostic en médecine. Elle est difficile à théoriser en raison de son caractère le plus souvent implicite. Puisque la qualification fait consensus dans un grand nombre de cas, il a longtemps semblé inutile de s’y attarder.

Les recherches en sciences cognitives ont montré que la catégorisation est loin d’être banale. Il s’agit d’un processus complexe, qui joue un rôle fondamental dans la pensée. En outre, ces recherches éclairent la structure des concepts, du moins la représentation mentale que nous en avons.

Le tout premier colloque consacré aux sciences cognitives a été organisé à l’été 1956 sur le campus de Dartmouth College. Les informaticiens Allen Newell, John McCarthy et Marvin Minsky, le mathématicien Claude Shannon, l’économiste et psychologue Herbert Simon (lauréat du prix Nobel d’économie en 1978), le linguiste Noam Chomsky, les psychologues George Miller et John Swets et les neurobiologistes David Hubel et Torsten Wiesel (lauréats du prix Nobel de physiologie en 1981) y ont tous participé. Les sciences cognitives regroupent un ensemble de disciplines scientifiques dédiées à la description, à l’explication et à la simulation des mécanismes de la pensée. Des avancées rapides ont pu être réalisées grâce à la modélisation par ordinateur. D’abord associées aux sciences cognitives, les recherches sur l’intelligence artificielle s’en sont progressivement éloignées, en se tournant davantage vers la recherche appliquée[1].

La catégorisation s’est rapidement imposée comme l’un des thèmes centraux des recherches en sciences cognitives. La formation de catégories a pour principales fonctions de réduire la complexité du réel, d’aider au raisonnement (par exemple, permettre l’inférence des règles applicables), et de permettre à l’individu d’acquérir, de mémoriser et de communiquer plus facilement les connaissances et l’expérience acquises.

De plus en plus, les juristes prennent conscience de l’apport des sciences cognitives et de la pertinence des recherches en catégorisation. Cependant, ils se contentent encore, le plus souvent, de références passagères à ces recherches[2]. Très peu d’auteurs ont étudié en profondeur la dimension cognitive du raisonnement juridique[3], et certains nous semblent avoir mal intégré cet apport. Il faut prendre garde de ne pas s’appuyer sur une théorie en particulier (par exemple, la théorie du prototype) et se méfier des représentations trop simplistes. Une bonne connaissance de la littérature et une appréciation juste de la portée et des limites des résultats de recherche qui y sont rapportés s’avèrent essentielles pour déterminer les conclusions provisoirement valides qu’il est possible d’en tirer.

Nous avons mené un projet de recherche interdisciplinaire sur les catégories juridiques et la qualification, qui comporte une revue de littérature en psychologie cognitive et en droit, ainsi que deux expériences en catégorisation juridique. Ces recherches, qui avaient pour but précis d’étudier la qualification juridique des faits, éclairent les fonctions cognitives des catégories juridiques, qui demeurent à ce jour peu accessibles pour les juristes. En effet, les catégories juridiques interviennent souvent de manière inconsciente et automatique dans le raisonnement, ainsi que le soulignent Anthony Amsterdam et Jerome Bruner :

First, the human capacity to categorize seems inexhaustible, irreducible, and often unpredictable: human beings armed with categories can cut the universe into so many and such myriad shapes that it is difficult to figure out a common modus operandi in what they’re doing. Second, we human beings seem strangely unconscious—sometimes almost totally unaware—of many of the common categories that figure in our cognitive activities […]. We experience the world as categorized and simply take this experience for granted, as given. Perhaps this is because categorizing in the process of the super-swift act of perceiving is too automatic to be caught by consciousness. So, like the early pre-Socratic philosophers, we fall into believing that things come into our minds from the outside already categorized as cabbages, kings, equilateral triangles [italiques dans l’original].[4]

L’approche cognitive attire l’attention sur le rôle implicite des catégories juridiques dans la formation des juristes, dans la structuration du savoir, dans la communication juridique, et dans la recherche de solutions. Les catégories synthétisent l’information en la réduisant, et permettent de s’orienter au sein du système juridique. Une meilleure compréhension de leur rôle paraît essentielle pour composer avec la complexité croissante des ordres juridiques contemporains et avec la prolifération inédite de la documentation juridique[5].

Le présent article rend compte de notre revue de littérature et, de manière sommaire, des principaux résultats des expériences que nous avons menées, dont la présentation détaillée fera l’objet d’une publication distincte. Notre objectif est de contribuer à une meilleure connaissance des catégories juridiques et de la qualification, en tenant compte des traditions juridiques du droit civil et de la common law. La classification des catégories juridiques sera brièvement abordée, en raison de son rôle dans la qualification. Elle mériterait toutefois une étude à part entière, à laquelle la première auteure du présent article entend se consacrer prochainement, en sollicitant l’éclairage des sciences de l’information.

Nos recherches ont porté sur les catégories juridiques et non sur les concepts juridiques dans leur ensemble. Nous montrerons que la fonction précise des catégories juridiques, à savoir leur rôle dans l’identification du régime juridique applicable aux faits, justifie ce choix. Cependant, certaines analyses portant sur les concepts juridiques, ainsi que sur les concepts en général, sont pertinentes dans le cas des catégories juridiques, et inversement. Par conséquent, nous avons aussi tenu compte de certains travaux sur les concepts.

Bien qu’elles soient omniprésentes dans la littérature juridique, les catégories et la qualification font rarement l’objet d’une étude attentive et détaillée. Dans le présent article, nous faisons la synthèse des connaissances qui les concernent. Nous nous efforçons de restituer la conception qu’en ont les juristes à partir de remarques le plus souvent fragmentaires. Lorsque les points de vue divergent, nous tentons de les concilier, en retenant celui qui nous paraît le plus juste et en le précisant au besoin. Pour compléter notre analyse, nous ajoutons l’éclairage issu des sciences cognitives et des expériences que nous avons menées.

Nous aborderons successivement la catégorie juridique (partie I), la qualification (partie II) et, dans la mesure nécessaire pour comprendre cette dernière, la classification (partie III), avant de faire état des critiques dont elles font l’objet (partie IV).

Les relations entre les principaux éléments de la discussion à venir sont présentées dans la figure 1.

Figure 1. Le rôle de la qualification dans la résolution d’un problème juridique

I.  La catégorie juridique

La catégorie juridique peut être définie comme un ensemble de situations factuelles soumises à un régime juridique commun[6]. Elle regroupe deux ensembles qui se superposent, et qu’elle met en relation : un ensemble de situations factuelles, d’une part (partie I-A), et un ensemble de règles de droit qui forment un régime juridique, d’autre part (partie I-B). La catégorie juridique est l’interface entre ces deux ensembles qui la constituent.

Voici un exemple : Marguerite a acheté une maison dont les fondations sont fissurées (situation factuelle). Cette situation est susceptible de donner ouverture à l’application de la garantie de qualité dans la vente (régime juridique), ce qui pourrait fonder un recours de Marguerite contre son vendeur. Les catégories juridiques qui semblent à première vue les plus pertinentes sont celles de garantie de qualité et de vente, la première étant comprise dans la seconde.

A.  Un ensemble de situations factuelles

Les situations factuelles sont toutes celles qui surviennent dans la vie des individus et qui appellent une intervention du droit. Les catégories juridiques qui les regroupent sont fréquemment centrées sur une chose (par exemple, un chèque), une personne (par exemple, un consommateur), une relation (par exemple, le mariage), un acte (par exemple, le vol), ou un événement (par exemple, la force majeure)[7]. Le point focal de la catégorie, dont elle porte le nom, n’est pourtant pas appréhendé isolément de son contexte, car sa présence ne suffit pas pour susciter l’application de la catégorie correspondante. Par exemple, un individu sera soumis au droit de la consommation ou à celui du mariage suivant le contexte factuel et la nature de la question juridique envisagée. L’agression physique d’une femme par son mari, dénoncée à la police, appelle l’application de la catégorie de voies de fait, plutôt que du mariage; encore qu’à la suite de cette agression, la femme pourrait décider de se séparer ou de divorcer son mari, ce qui ferait alors appel aux règles du mariage ainsi que du divorce, le cas échéant. Ce sont donc toujours des situations factuelles d’une certaine complexité qui sont visées par les catégories qui leur sont applicables, et non une chose, une personne, une relation, un acte, ou un événement isolés. De plus, le but poursuivi par les acteurs qui s’interrogent sur les règles de droit applicables est déterminant dans le choix de la catégorie juridique retenue.

Certains auteurs suggèrent que les catégories juridiques ne visent pas toujours des situations factuelles : elles contiendraient parfois des droits ou des actes juridiques[8]. Par exemple, la catégorie des droits réels inclut le droit de propriété, la servitude, et l’usufruit. Il appert toutefois que les droits et les actes en question sont eux-mêmes des catégories juridiques qui contiennent des situations factuelles. Toutes les situations factuelles qui relèvent d’une catégorie spécifique appartiennent, en principe, à la catégorie générique qui comprend celle-ci : les situations factuelles de servitude, ou de propriété sont aussi des situations factuelles de droit réel. Certes, il est difficile d’évoquer à l’esprit les situations factuelles qui composent les catégories les plus générales de l’ordre juridique : il est plus aisé de se représenter concrètement une servitude qu’un droit réel. La raison en est que les catégories plus générales sont moins homogènes que les catégories plus spécifiques. Les recherches en catégorisation, dont nous ferons état, apportent un éclairage pertinent sur la structure et les fonctions des catégories de différents niveaux d’abstraction au sein d’une hiérarchie. Qu’il nous suffise de souligner pour l’instant que toutes les catégories, des plus spécifiques aux plus générales, sont constituées, sous un aspect, de situations factuelles[9].

Chaque catégorie contient l’ensemble des situations factuelles passées ou à venir auxquelles elle est susceptible de s’appliquer. Un auteur propose de distinguer le cas réel auquel s’applique la catégorie de la situation idéelle qu’elle désigne[10]. Ainsi, le légiste façonne une nouvelle catégorie juridique en envisageant les situations idéelles visées par celle-ci; une fois adoptée dans une loi, la catégorie s’applique à des cas réels. Or, la distinction entre le cas réel et la situation idéelle ne peut être maintenue, s’agissant de décrire le contenu factuel de la catégorie juridique. En effet, le cas réel fait lui-même l’objet d’une représentation idéelle : le juriste l’appréhende à travers un récit et un ensemble de preuves; il en retient une interprétation qui ne diffère pas fondamentalement de la situation envisagée de manière hypothétique par le légiste. De plus, les cas réels peuvent être singuliers ou pluriels : le légiste songe tantôt à un cas précis qui a fait la manchette des journaux, tantôt à un ensemble de cas rapportés dans une étude[11]. Par conséquent, toutes les situations factuelles — passées ou à venir, vécues ou narrées, réelles ou hypothétiques, appréhendées de manière concrète ou abstraite — constituent ensemble l’assise factuelle de la catégorie juridique. Nous verrons que la représentation en mémoire de la catégorie opère une synthèse et une mise en relation des situations factuelles qu’elle regroupe.

Plusieurs auteurs soulignent avec raison que les faits sont en grande partie construits par le droit : ils sont appréhendés de manière sélective par les catégories juridiques[12]. En retour, les catégories juridiques, et plus largement les concepts, ne peuvent être compris isolément des cas auxquels ils sont destinés à s’appliquer[13]. Bien qu’irréductible, l’opposition du fait et du droit n’empêche pas l’influence de l’un sur la représentation de l’autre[14]. Ainsi, « les concepts juridiques sont à la fois un miroir de la réalité et un levier destiné à agir sur celle-ci »[15].

B.  Un régime juridique

Le régime juridique associé à la catégorie est constitué de règles, de principes, ou de doctrines, ainsi que des valeurs et des buts qui les sous-tendent. Un régime juridique peut relever du droit substantiel comme il peut se rapporter à la preuve, à la procédure, aux recours, ou aux sanctions. La catégorie a pour fonction essentielle de mettre en relation les situations factuelles qu’elle regroupe et le régime juridique qui leur est globalement applicable. En l’associant à un régime, nous retenons de la catégorie juridique une définition restrictive. En effet, les auteurs ne sont pas aussi précis : certains ne distinguent pas la catégorie juridique de la règle[16], tandis que pour d’autres, tous les concepts relevant du champ sémantique juridique constituent des catégories juridiques, y compris les notions qui ne possèdent pas de régime juridique propre[17].

Il n’est certes pas aisé de distinguer la catégorie juridique de la règle. Comme la catégorie, cette dernière possède une assise factuelle et des effets juridiques. Or, les situations factuelles visées par une règle sont de même nature que celles visées par une catégorie. Qui plus est, il semble impossible d’isoler la règle de façon à la distinguer d’un régime, défini comme un ensemble de règles. En effet, les règles complexes peuvent être décomposées en règles plus simples pour en faciliter l’analyse; les règles générales peuvent faire l’objet de précisions ou de modalités dont la sphère d’application est réduite. Cela ne signifie pas pour autant que les règles complexes ou générales sont des catégories juridiques. Le trait distinctif de la catégorie juridique est plutôt d’être désignée par un concept, lui-même nommé par un terme, qui peut être un substantif ou un groupe nominal, par exemple la vente ou la garantie de qualité[18]. Le terme représente une unité sémantique; le concept qu’il nomme évoque une représentation synthétique de son contenu[19].

La nature conceptuelle de la catégorie juridique est étroitement liée à sa fonction d’offrir une vue simplifiée et réduite de l’ordre juridique à des fins de repérage et d’orientation[20]. L’apparition d’un terme pour nommer une règle ou un ensemble de règles, dès lors qu’il est consacré par l’usage, signale la présence d’une catégorie juridique. Habituellement, les catégories juridiques comprennent un ensemble de règles plutôt qu’une règle unique, sans quoi d’ailleurs, elles répondraient mal à leur fonction simplificatrice. C’est pourquoi nous avons défini le régime juridique comme un ensemble de règles, bien qu’il puisse à l’occasion s’agir d’une règle unique, si tant est qu’il est possible de distinguer la règle unique de l’ensemble de règles.

Dans plusieurs lois, le législateur prévoit des intitulés pour chacun des articles qui les composent. C’est le cas des lois fédérales canadiennes, ainsi que du Code civil allemand. De plus, les lois font généralement l’objet de divisions et de subdivisions, également munies d’intitulés, celles-ci étant particulièrement développées dans les codes. Les intitulés ont pour fonction d’orienter le juriste à la recherche d’une règle particulière; ils l’aident également, lorsqu’il parcourt le texte de loi, à évaluer rapidement la pertinence de différents articles. Forment-ils des catégories juridiques? C’est parfois le cas, lorsqu’ils sont utilisés couramment pour désigner une règle ou un ensemble de règles. Il faut que l’emploi de l’intitulé suffise pour identifier un régime juridique et en évoquer de manière synthétique le contenu. Souvent, la portée trop restreinte de la règle ou de l’ensemble de règles visés par un intitulé explique qu’il n’entre pas dans l’usage en tant que catégorie juridique. En revanche, les titres des lois et parfois ceux de leurs divisions les plus larges correspondent souvent à des catégories juridiques. Par exemple, les termes suivants figurent dans une série d’intitulés du Code civil du Québec. Ceux en italiques désignent des catégories juridiques en droit québécois : les obligations, les obligations en général, la transmission et les mutations de l’obligation, la cession de créance, la cession de créance en général, la cession d’une créance constatée dans un titre au porteur.

Nous avons vu que la catégorie juridique se distingue de la règle parce qu’elle est un concept. Or, les concepts juridiques[21] ne sont pas tous des catégories juridiques, parce qu’ils ne désignent pas toujours des régimes juridiques. Plusieurs concepts figurent dans l’énoncé d’une règle et servent à saisir ou à apprécier les faits au moment d’y appliquer la règle. Par exemple, le concept de « véhicule » est assez fréquemment employé par le droit lorsque la propriété ou l’utilisation d’un véhicule est pertinente pour l’application d’une règle donnée. Celui de « faute » permet d’évaluer le comportement d’une personne avant de lui appliquer certaines règles ou sanctions. Le véhicule et la faute ne désignent pas, dans l’état actuel du droit québécois, des régimes juridiques, puisqu’ils ne sont pas utilisés pour nommer une règle ou un ensemble de règles[22]. Lorsqu’un acte est décrit comme fautif, c’est pour lui appliquer une règle dont la mise en œuvre dépend de la présence d’une faute, et non parce qu’il existe un régime juridique propre à la faute. Parmi les concepts définis ou employés par le droit, les catégories juridiques occupent donc une fonction spécifique, celle de lier des situations factuelles au régime juridique correspondant.

La notion d’institution apparaît parfois comme un synonyme de la catégorie juridique au sens où nous l’entendons ici, mais elle a une portée moins générale. Elle désigne habituellement des catégories qui ont une grande importance dans la vie sociale et en droit. Il en va ainsi, par exemple, de la personne morale, du contrat, et du mariage[23].

Ainsi que l’a souligné la philosophe Dominique Leydet, les catégories juridiques sont à la fois d’une grande richesse et d’une grande précision, si on les compare aux concepts des autres sciences humaines ou sociales. Cela s’explique par leur caractère « opératoire », c’est-à-dire leur capacité à guider les décisions juridiques, puis à les assimiler :

[L]e droit offre des points d’appui utiles à la réflexion philosophique. Il se doit en effet de produire des concepts, des distinctions, qui sont opératoires, dans le sens où ils permettent de définir, de circonscrire, de façon la plus nette possible, ce qui est licite et ce qui ne l’est pas, se donnant ainsi la capacité de guider l’action des individus et l’action des institutions de façon très concrète. Parce que la réflexion juridique a cette visée d’être opératoire, de permettre la prise de décision et d’orienter l’action des individus, elle construit des catégories, des distinctions, qui doivent s’appliquer à des cas réels. Et le droit déploie, à travers les jugements et les doctrines, à travers la réflexion juridique de manière générale, une multiplicité de cas spécifiques et d’analyse de cas spécifiques […]. Ces cas constituent parfois une sorte de réservoir d’exemples, de distinctions, sur lesquels la philosophie politique […] peut venir s’appuyer.[24]

Les catégories juridiques sont précises, car le droit doit trancher et a déjà tranché dans une multitude de cas, ce qui permet de savoir si ces cas font partie de la catégorie ou s’ils sont à l’extérieur de celle-ci. Ces cas, ainsi que le régime juridique qui leur est associé, font l’objet d’analyses et d’applications répétées. Les catégories sont le réceptacle de connaissances juridiques, mais aussi de connaissances empruntées à d’autres disciplines et qui contribuent à la prise de décision juridique[25].

C.  Définition et représentation

Les juristes accordent une importance particulière aux définitions terminologiques[26]. Ils tentent, à l’aide de celles-ci, de préciser les contours des concepts juridiques et d’en favoriser l’application uniforme. Les définitions sont parfois posées par la loi ou énoncées dans la jurisprudence, mais très souvent, elles sont l’œuvre de la doctrine. La doctrine procède typiquement par induction, après avoir examiné les objets qui relèvent du concept à définir, pour tenter d’en dégager les caractéristiques communes[27]. Certains auteurs évoquent l’idéal d’une définition qui fixerait les conditions nécessaires et suffisantes d’appartenance à une catégorie juridique[28]. Cette « définition minimale »[29] correspond à la définition classique dans la littérature des sciences cognitives.

La démonstration a souvent été faite, même pour des concepts scientifiques, que la plupart d’entre eux ne peuvent pas être définis avec certitude par l’identification de critères nécessaires et suffisants, comme semble le supposer le recours à la définition minimale ou classique[30]. C’est pourquoi la définition terminologique va souvent au-delà, en proposant une description plus riche du concept, appuyée parfois d’exemples : on parle alors d’une définition « stéréotypique »[31]. Cette dernière, qui contient davantage d’information quant aux caractéristiques typiques des objets désignés par le concept, cherche à en favoriser la représentation efficace.

Dans une conception plus large encore, la définition d’un concept désignerait toute tentative explicite d’en décrire le contenu et d’en cerner les contours[32]. La définition s’oppose alors à la représentation mentale du concept, celle que possède chaque individu et qui guide de manière implicite l’utilisation du concept dans différentes tâches cognitives.

Non seulement a-t-il été démontré que la définition classique ne permet pas de rendre compte de la portée exacte de la plupart des concepts, il a aussi été établi qu’elle joue un rôle réduit dans la représentation mentale des concepts, ainsi que le résume Jerry A Fodor :

I do want to remind you how general, and how interdisciplinary, the collapse of the definitional theory of content has been. So, here are some reasons why definitions aren’t currently in favour as candidates for concepts (/word meanings):

–         There are practically no defensible examples of definitions; for all the examples we’ve got, practically all words (/concepts) are undefinable.[33]

–        […] Even if there are definitions, they seem to play no very robust role in explaining what happens when people learn concepts, or when they reason with concepts, or when they apply them.[34]

Les sciences cognitives s’intéressent à la représentation mentale des concepts, qui est interne à chaque individu[35]. Cette représentation n’est pas entièrement subjective, parce qu’à travers la communication, chacun confronte sa représentation à celle des autres et à l’objet commun qu’ils cherchent à nommer ou à décrire, ce qui entraîne la convergence des représentations individuelles, stabilisée par le langage et la culture[36]. L’étude de la représentation mentale des concepts fournit un éclairage complémentaire à leur définition et permet de s’intéresser à la dimension implicite de la pensée.

En sciences cognitives, on considère également que les concepts forment des catégories[37]. En tant que catégories groupant des objets semblables, les concepts structurent la mémoire et facilitent la rétention et le rappel des connaissances relatives à ces objets[38]. En outre, les catégories guident et influencent la perception[39] : c’est pourquoi l’expert — l’ornithologue, le médecin — perçoit des détails que le novice ne voit pas.

Les études en catégorisation s’attardent à la manière dont on forme un concept et à son utilisation dans différentes tâches cognitives. On dit souvent du droit qu’il est « l’art de la distinction »[40]. Or, les sciences cognitives nous enseignent que le droit est aussi l’art du regroupement, car il s’avère aussi difficile de réduire la complexité du réel en construisant des catégories d’objets équivalents ou semblables, que de percevoir les distinctions infinies qu’il est possible d’établir entre eux.

En sciences cognitives, les objets que contient une catégorie se nomment « exemplaires », et ces derniers possèdent des « attributs », dont certains permettent de les identifier. L’identification d’un exemplaire à une catégorie permet d’inférer la présence d’attributs non perceptibles, dont on sait qu’ils appartiennent aux exemplaires de la catégorie. Par exemple, observant un oiseau immobile perché sur un fil, nous savons qu’il a un cœur, qu’il est vivant et qu’il est susceptible de s’envoler. Typiquement, les exemplaires possèdent une ou plusieurs fonctions étroitement liées à leurs attributs les plus caractéristiques. Par exemple, la chaise présente une forme et des dimensions qui permettent de s’y assoir. Pour revenir aux catégories juridiques, nous dirions qu’elles ont pour exemplaires des situations factuelles et pour fonction le régime juridique qu’il convient de leur appliquer.

L’une des observations les plus importantes et les plus constantes des expériences en catégorisation concerne la typicalité. Il a été démontré, pour une grande variété de concepts, que ceux-ci possèdent toujours des exemplaires jugés plus typiques, et des exemplaires jugés moins typiques de la catégorie; de plus, les participants sont largement d’accord dans leur appréciation de la typicalité de divers exemplaires[41]. Par exemple, le moineau est jugé très typique de la catégorie « oiseaux », tandis que le pingouin est jugé peu typique de celle-ci. Plusieurs expériences dans lesquelles les participants devaient vérifier l’appartenance de différents exemplaires à une catégorie (tâche de vérification) ont établi que les exemplaires les plus typiques sont vérifiés plus rapidement[42]. Une expérience dans laquelle les participants devaient énumérer les attributs qu’ils associaient à différents exemplaires d’une catégorie (tâche d’énumération) a révélé que les exemplaires les plus typiques sont ceux qui possèdent le plus grand nombre d’attributs en commun[43].

Eleanor Rosch, une pionnière des recherches en catégorisation, a montré que la définition classique ne joue pas un rôle important dans la représentation d’un concept et l’identification d’un objet[44]. En effet, l’effet de typicalité se vérifie pour tous les concepts, même ceux dont il existe une définition classique, tels que les concepts mathématiques. Par exemple, le nombre 3 est un nombre impair jugé plus typique que le nombre 23[45]. La théorie classique ne permet pas d’expliquer qu’il existe des exemplaires plus ou moins typiques parmi ceux qui répondent à la définition de la catégorie. Elle n’explique pas non plus qu’on trouve facile d’appliquer les concepts à leurs exemplaires les plus typiques, même lorsqu’on peine à en donner une définition. Ces observations contredisent l’idée reçue voulant que la représentation d’un concept correspond à sa définition classique, et que c’est cette définition qui est employée dans les opérations mentales qui le concernent[46].

Les chercheurs en sciences cognitives ont mis de l’avant plusieurs théories de la représentation des concepts, auxquelles nous reviendrons lorsque nous aborderons la qualification[47].

II. La qualification juridique

Le raisonnement juridique repose sur la qualification des faits. Celle-ci consiste à associer une situation factuelle à une catégorie juridique afin de lui appliquer le régime juridique correspondant[48]. Pour Jean Rivero, la catégorie est une « zone de passage; elle met le fait et le droit en communication »[49]. Philippe Jestaz décrit à son tour la qualification comme une « plaque tournante »[50]. Il écrit : « [e]n théorie, mais en pratique aussi dans bon nombre de cas, rendre le jugement n’a rien de bien difficile dès lors que les faits ont été correctement qualifiés, car il suffit de déclencher l’application de la loi comme on presserait sur un bouton »[51]. Cela témoigne de l’importance que revêt la qualification dans le raisonnement juridique. À notre avis, la qualification doit être distinguée de l’interprétation et de la subsomption (partie II-A). Par ailleurs, la qualification est tantôt implicite (partie II-B), tantôt explicite (partie II-C).

A.  La qualification distinguée de l’interprétation et de la subsomption

La qualification est un procédé distinct de l’interprétation, comme l’a montré Paul Amselek. L’interprétation consiste à dégager le sens d’un texte qui énonce une règle juridique ou d’un autre énoncé langagier. La qualification consiste plutôt à retrouver dans la chose à qualifier « une essence ou structure typique s’inscrivant dans notre répertoire de catégories »[52]. La qualification fait usage de définitions ou de schèmes conceptuels[53]. Le concept n’est pas à interpréter, mais à définir au sens large de ce terme[54].

Étonnamment, la plupart des auteurs — y compris Amselek — ne distinguent pas la qualification au regard d’une catégorie juridique et celle au regard d’une règle, ce que nous appelons « subsomption »[55]. Hervé Croze oppose, mais sans les distinguer vraiment, la qualification sous une norme unique et celle sous un ensemble de normes. La qualification sous une norme unique est « l’opération tendant à vérifier si les conditions d’application de la norme sont effectivement réalisées en l’espèce »[56], afin de déterminer si cette norme s’applique et avant de tirer les conséquences juridiques dictées par la norme : c’est la subsomption. La distinction entre la qualification et la subsomption tient à la différence déjà mise en lumière entre une catégorie juridique (et sa définition) et un texte qui énonce une règle (et son interprétation). L’interprétation de la règle facilite la subsomption des faits sous cette règle, tandis que la définition d’une catégorie juridique facilite la qualification des faits au regard de celle-ci.

Les conditions d’application de la règle font fréquemment usage de concepts, comme ceux de faute ou de véhicule, et il appartient au juriste, dans la subsomption, de vérifier si ces conditions sont réunies. La tâche du juriste ne se limite pas, cependant, à placer cumulativement les faits sous les différents concepts employés par la règle : il doit aussi et surtout interpréter le texte qui énonce la règle. La qualification, quant à elle, relie les faits à un régime juridique envisagé de manière globale, le juriste se référant à une représentation synthétique de son contenu ou à la définition du concept qui le nomme. Par exemple, la qualification consiste à reconnaître, dans une situation factuelle qui soulève la question de savoir à qui incombe la charge d’entretenir un chemin, la présence d’une servitude ou sa possibilité. En revanche, la subsomption consiste à se demander si la règle de l’article 1184 du Code civil du Québec s’applique : « [l]e propriétaire du fonds dominant peut, à ses frais, prendre les mesures ou faire tous les ouvrages nécessaires pour user de la servitude et pour la conserver ».

Il peut arriver qu’un juriste associe directement les faits aux règles qui leur sont applicables, sans passer par l’identification de la catégorie juridique qui comprend celles-ci. Cela se produit notamment lorsque le problème s’insère dans un domaine du droit dont le juriste a une connaissance détaillée, si bien que des règles précises lui viennent spontanément à l’esprit. Plusieurs auteurs parlent encore de qualification dans ces cas[57]. Il est possible que la qualification au regard d’une catégorie juridique joue un rôle dans la sélection directe de la règle applicable, en guidant de manière implicite le juriste vers celle-ci ou en validant sa sélection : il est toutefois difficile de connaître l’étendue de ce rôle. En revanche, nous savons que la qualification intervient souvent en amont de la sélection des règles applicables, et qu’elle constitue, en ce sens, une opération distincte. En effet, le juriste qui n’est pas familier avec un domaine du droit interpellé par le problème à résoudre commence par qualifier les faits au regard de catégories qui lui semblent susceptibles de contenir la solution, sans savoir encore quelles règles il lui faudra appliquer. Placé devant certaines constellations de faits, le juriste a l’idée de consulter des sources en droit de la concurrence ou en droit de l’environnement, sans être spécialiste de ces domaines du droit.

Il importe de souligner en terminant que les juristes n’ont pas le monopole de la qualification. Tous les justiciables qualifient, dès lors qu’ils ont eux-mêmes recours aux catégories juridiques pour désigner le problème qui les préoccupe ou le régime correspondant[58].

Quant à la manière dont s’opère la qualification, il y a lieu de distinguer entre la qualification implicite et la qualification explicite.

B.  La qualification implicite

La qualification est le plus souvent implicite; elle s’effectue de manière automatique, voire inconsciente, sans qu’on ne la remette en question[59]. Les auteurs mentionnent la nécessité d’une « préqualification » ou « qualification a priori », processus par lequel les juristes identifient dans un premier temps la ou les catégories juridiques susceptibles de s’appliquer[60]. Henri Motulsky décrit cette même opération mentale comme une forme de « syncrétisme juridique » : elle indique au juriste non pas les règles applicables, mais les règles qui pourraient s’appliquer, ou encore le cadre dans lequel il faudrait les chercher[61]. Pour Christian Atias, « [l]a qualification semble se présenter comme une sorte de lemme, de réponse partielle et préparatoire »[62]. Or, la préqualification s’avère définitive dans les cas où elle se réalise sans difficulté et que nul ne songe à la remettre en question[63]. Pour cette raison, nous préférons parler de qualification implicite que de préqualification. Il s’agit pour les juristes d’un procédé mystérieux, mais les recherches en psychologie cognitive en éclairent la compréhension.

La qualification implicite repose sur la représentation mentale des catégories juridiques. Quelle est donc cette représentation mentale, puisqu’elle diffère de la définition classique? À partir de la découverte de l’effet de typicalité, plusieurs théories et modèles ont été développés par les chercheurs en sciences cognitives, puis testés à l’aide de la méthode expérimentale. Même si les expériences n’ont pas permis de valider entièrement, ni d’écarter définitivement chacun d’eux, ces modèles et théories aident à comprendre les processus à l’œuvre dans la qualification implicite.

1.    La théorie du prototype

Les recherches sur la typicalité suggèrent que la représentation d’un concept pourrait être celle de son ou de ses exemplaires les plus typiques, ou une synthèse des caractéristiques moyennes de ceux-ci : c’est la théorie du prototype[64]. Pour Eleanor Rosch et Carolyn Mervis, les exemplaires d’une catégorie possèdent plusieurs attributs en commun, qui ne sont pas nécessairement tous présents chez tous les exemplaires de la catégorie. Les exemplaires les plus typiques sont ceux qui possèdent le plus grand nombre d’attributs en commun avec d’autres exemplaires de la catégorie[65]. Rosch ajoute :

to increase the distinctiveness and flexibility of categories, categories tend to become defined in terms of prototypes or prototypical instances that contain the attributes most representative of items inside and least representative of items outside the category.[66]

Elle se défend toutefois d’avoir formulé une théorie de la représentation des concepts, affirmant plutôt avoir mis en lumière des contraintes dont une telle théorie devrait tenir compte[67].

Dans ses différentes variantes, la théorie du prototype suppose que l’individu construit une représentation mentale de la catégorie fondée sur ses exemplaires — un prototype — qu’il compare ensuite à de nouveaux objets pour décider de leur appartenance à cette catégorie.

Or, d’autres recherches ont contesté l’existence d’une représentation préalable de la catégorie de la nature d’un prototype. Cette approche serait peu performante, puisque le prototype contient des informations trop réduites à propos de la catégorie. L’individu aurait plutôt intérêt à se rappeler les exemplaires qui forment la catégorie, qui contiennent des informations beaucoup plus riches à propos de celle-ci, puis d’y retrouver l’information requise pour l’identification d’un objet ou pour le rappel des connaissances[68].

Qui plus est, la théorie du prototype n’explique pas un résultat expérimental important : les participants identifient plus rapidement un nouvel exemplaire qui ressemble à un exemplaire déjà appris qu’un nouvel exemplaire qui ressemble davantage au prototype de la catégorie[69]. Ce résultat a donné lieu à la théorie des exemplaires.

2.    La théorie des exemplaires

Suivant la théorie du prototype, la catégorie est représentée en mémoire par un exemplaire typique de la catégorie ou par un modèle synthétisant ses attributs les plus typiques. Suivant la théorie des exemplaires, le sujet ne se représente pas la catégorie à l’aide d’un prototype, mais plutôt en se remémorant des exemplaires plus ou moins typiques, dont il sait qu’ils font partie de la catégorie. Il n’y a pas de doute que les individus retiennent en mémoire plusieurs exemplaires dont ils extraient des informations adaptées à la tâche cognitive en cours[70]. Par exemple, on visualise un lieu dans le but de le décrire. Ainsi, la théorie des exemplaires, dans ses différentes variantes, postule que la représentation d’un concept provient du souvenir des exemplaires qui le composent. C’est en comparant un objet nouveau avec les exemplaires connus qu’un individu l’associe à la catégorie[71]. Cela explique que l’exemplaire familier soit jugé plus typique et identifié plus rapidement qu’un exemplaire non familier, et qu’une longue expérience d’observation favorise l’identification rapide et sûre d’un objet[72].

Plusieurs études ont testé et comparé des modèles fondés soit sur la théorie du prototype, soit sur la théorie des exemplaires, pour évaluer leur capacité à prédire les résultats dans diverses tâches expérimentales[73]. La majorité d’entre elles accordent un léger avantage à la théorie des exemplaires, bien qu’il ne s’agisse pas d’une victoire décisive[74].

Les participants pourraient avoir recours aux deux approches, tout dépendant du contexte et des informations dont ils disposent[75]. Parmi les attributs associés à une catégorie, certains seraient stables et relativement indépendants du contexte, se rapprochant de l’idée du prototype, tandis que d’autres seraient induits aux fins d’une tâche cognitive particulière et plus sensibles au contexte, comme le veut la théorie des exemplaires. Par exemple, une expérience portant sur les attributs d’un ballon a montré que la rondeur est un attribut stable qui est activé dans un grand nombre de tâches cognitives, tandis que la flottabilité est un attribut qui est activé dans certains contextes seulement[76].

3.    La théorie des théories

Plusieurs études ont mis en lumière l’importance du contexte et des connaissances dans la représentation des concepts, puisqu’ils influent sur le jugement quant à la typicalité d’un objet[77]. Par exemple, les participants à une expérience ont jugé les cheveux gris et blancs plus similaires que les cheveux gris et noirs; tandis que les nuages gris et noirs ont été jugés plus similaires que les nuages gris et blancs. Cela laisse supposer qu’une théorie du vieillissement est à l’œuvre dans le premier cas, et une théorie liée au mauvais temps dans le second[78]. Dans une autre étude, les chercheurs ont montré qu’un idéal associé à la catégorie influence le jugement quant à la typicalité d’un objet, même si l’idéal diffère de la valeur moyenne des exemplaires les plus typiques de la catégorie. Ainsi, les arbres les plus grands sont les plus typiques (idéal positif), tandis que les plus frêles sont les moins typiques (idéal négatif)[79].

Il faut en conclure que la ressemblance n’est pas le seul principe à l’œuvre dans la catégorisation, et que la catégorisation est aussi tributaire des théories que forme l’individu à propos de la catégorie et de ses membres[80]. Ces théories mobilisent le contexte, la fonction, et les relations entre les concepts[81]. Une troisième famille de théories sur la représentation des concepts est née des observations précédentes : la théorie des théories (theory theory, explanation-based view ou knowledge approach). À noter que les théories dont il s’agit relèvent davantage du sens commun que d’une analyse sophistiquée : ce sont souvent des idées simples et naïves, qui ne sont pas forcément cohérentes ou compatibles entre elles[82]. Une étude réalisée auprès de psychiatres a montré que de telles théories implicites peuvent entraîner des erreurs de diagnostic[83].

Paradoxalement, la théorie des théories conduit à réhabiliter, dans une certaine mesure, la définition classique qui occuperait une fonction heuristique : l’humain ferait comme si chaque chose avait une essence permettant de la définir (psychological essentialism)[84]. Malgré ses limites, la définition contribuerait à fixer et à préciser la représentation mentale des concepts[85].          La théorie des théories incorpore et complète celles du prototype et des exemplaires, qui ne suffisent pas pour décrire la catégorisation dans toute sa complexité[86]. Son principal défaut est d’être trop englobante, ce qui la rend difficile à modéliser et à tester. Mentionnons l’un des modèles relevant de cette approche, puisqu’il a retenu l’attention de certains juristes. Il s’agit du idealized cognitive model proposé par le linguiste George Lakoff[87]. Malheureusement, Lakoff ne fournit pas de description précise de son modèle, se contentant d’illustrations de celui-ci[88]. Il montre que la typicalité s’explique différemment pour différents types de concepts. Les concepts flous, comme celui d’« homme grand », se caractérisent par une gradation du critère d’appartenance[89]. Dans les concepts qui se rapportent à un but, comme ceux mis en évidence par Lawrence Barsalou (l’équipement de camping, le régime alimentaire)[90], la typicalité dépend de la capacité de l’objet à répondre à ce but. D’autres concepts, comme l’époux ou l’épouse, sont caractérisés par un idéal, et les exemplaires jugés les plus typiques sont ceux qui s’approchent de l’idéal[91]. Certains concepts, comme celui de « mère », font appel à plusieurs représentations différentes et qui entrent parfois en conflit. Les exemplaires les plus typiques sont ceux qui répondent simultanément à plusieurs représentations : par exemple la mère génétique, biologique, qui élève elle-même son enfant et qui est mariée avec le père[92]. D’autres concepts encore, comme ceux de « main » ou de « jeu », se sont développés par extensions successives à partir d’un exemplaire primitif (extension métaphorique)[93]. Dans ce cas, les exemplaires primitifs de la catégorie sont généralement considérés plus typiques que les exemplaires dérivés, pas forcément parce qu’ils possèdent davantage d’attributs caractéristiques de la catégorie, mais plutôt parce qu’ils en constituent le point d’origine. Ainsi, le idealized cognitive model reprend à son compte les différentes hypothèses avancées pour expliquer l’effet de typicalité, sans parvenir à les intégrer au sein d’un modèle cohérent[94].

Quelques juristes de tradition anglo-américaine se sont intéressés aux recherches en catégorisation et ont mis en lumière certains parallèles avec le droit. Signalons d’abord la convergence entre l’effet de typicalité et l’observation de HLA Hart que les règles possèdent un noyau de certitude entouré d’une zone de pénombre[95]. Cette métaphore correspond à l’expérience commune des juristes. Dans l’enseignement comme dans la pratique du droit, les « zones grises » entourant les concepts et les règles sont fréquemment évoquées.

De même, Jonnette Watson Hamilton montre que la définition du chèque dans la Loi sur les lettres de change[96] ne rend pas compte du contenu de cette catégorie, qui a évolué au fil du temps. Tous les types de chèques n’ont pas les mêmes caractéristiques, ni les mêmes effets, et plusieurs ne répondent pas aux critères de la définition légale :

Examining four variations of ordinary cheques—post-dated cheques, certified cheques, double-dated cheques, and post-dated certified cheques—shows the ordinary cheque is the central and prototypical member of the category of cheques which has a radial structure.[97]

Steven L Winter, un professeur de droit américain, s’est inspiré des travaux de Lakoff pour affirmer que l’extension métaphorique joue un rôle important dans l’évolution des concepts juridiques[98]. En outre, il propose d’adhérer à une conception « expérientaliste » des concepts, une voie de compromis entre la conception classique et une conception purement subjective :

The central insight of this approach is that human knowledge is grounded in our direct physical and social experience with the world, but is elaborated indirectly, largely by means of metaphor and the extension of idealized cognitive models. Understanding the parameters of the process by which human rationality is grounded and elaborated allows us to account for both the relative plasticity of human logic and the possibility of meaningful intersubjective communication. It also suggests a way for us to remain free from the fear of nihilism that leads many to cling to the objectivist paradigm [italiques dans l’original, notes omises].[99]

Ainsi, nos perceptions sensorielles et nos interactions physiques avec le monde auraient un effet structurant sur la pensée, qui serait façonnée par des schèmes tirés de nos expériences physiques : par exemple, le haut et le bas[100]; l’intérieur et l’extérieur[101]; le mouvement vers un but; et le tout et ses parties[102]. Cette expérience partagée expliquerait la possibilité d’une communication intersubjective :

The claim is that reason, language, and knowledge can be understood only in terms of the cognitive process. That process is embodied; it arises directly from physical experience. The process is not “objective” in the sense of transcendental truth, but rather is dependent on the kinds of bodies that we have and the ways in which those bodies interact with our environment [italiques dans l’original, notes omises].[103]

Le professeur de droit James Penner a montré les faiblesses de cette approche[104]. En particulier, la distinction entre les concepts qui seraient le résultat direct de notre expérience physique et sensorielle et ceux qui seraient dérivés métaphoriquement des premiers ne résiste pas à l’analyse[105].

Que faut-il donc retenir des recherches sur la représentation des concepts? Ces recherches suggèrent que les opérations mentales liées à la qualification juridique implicite sont complexes. Cette qualification repose vraisemblablement sur une représentation synthétique de la catégorie (le prototype), ainsi que sur le rappel des exemplaires connus. En outre, elle serait tributaire du contexte, des théories implicites, des buts et des valeurs associés à la catégorie. Qui plus est, ces recherches confirment les limites de la définition classique, qui n’est pas nécessaire à l’acquisition et à l’application d’un concept, mais aussi son utilité, puisqu’elle contribue, en tant que « théorie », à en fixer une certaine représentation[106]. La formation universitaire altère et enrichit la représentation des concepts en la rendant — du moins on l’espère — plus précise et plus efficace. Dans l’enseignement du droit, l’illustration des catégories juridiques à l’aide d’exemples typiques et atypiques paraît essentielle, puisque la définition classique ne suffit pas à en façonner une représentation. D’après Penner :

the way in which students are introduced first to “paradigm” cases and then to more peripheral “extensions” of doctrine in the case-based method of teaching appropriately mirrors the way in which individuals apply concepts in other domains.[107]

Les juristes perçoivent les situations factuelles comme étant plus ou moins typiques d’une catégorie donnée. Lorsque la situation à qualifier est atypique, le juriste est porté à vérifier et à justifier son choix. C’est alors qu’il peut avoir recours à la qualification explicite.

C.  La qualification explicite

Si la qualification se réalise le plus souvent de manière implicite, il arrive aussi que le juriste s’interroge sur la bonne qualification ou qu’il doive justifier celle qu’il a spontanément retenue. Il s’agit surtout de cas où la qualification est incertaine ou controversée, notamment lorsque plusieurs régimes juridiques qui s’excluent mutuellement sont susceptibles de s’appliquer. Plus précisément, la qualification implicite peut être confirmée ou infirmée de deux manières : par l’application des règles ou par la qualification explicite.

La qualification retenue au départ sera souvent confirmée ou infirmée par l’application des règles. Par exemple, tel défaut ne donne pas ouverture à la garantie de qualité, parce qu’il était connu de l’acheteur, et tel geste ne constitue pas un vol, parce que l’accusé croyait que le bien avait été abandonné. Ces décisions fondées sur l’application des règles précisent en retour les contours de la catégorie juridique, si bien que dans un nouveau cas similaire aux précédents, le juriste sera porté à l’exclure d’emblée, car il lui paraîtra maintenant évident qu’elle ne s’appliquera pas. Ce juriste pourra toujours se justifier, au besoin, en appliquant les règles, ce qui lui permettra d’expliquer pourquoi la culpabilité ou la responsabilité ne peuvent être retenues, sur un tel fondement, dans un tel cas. Il y a ici un piège dont sont parfois victimes les bons étudiants : ayant cerné avec justesse les contours des catégories juridiques étudiées, l’étudiant sait d’emblée que les faits d’un problème ne peuvent pas donner ouverture à l’application d’un régime donné; or, le professeur s’attend à ce qu’il le vérifie en appliquant méthodiquement les règles. L’étudiant se demande alors jusqu’où il doit aller dans l’application de régimes juridiques dont il sait déjà qu’ils ne s’appliqueront pas!

Suivant la possibilité qui vient d’être évoquée, l’appartenance d’une situation factuelle à une catégorie juridique est déterminée relativement facilement par l’interprétation et l’application des règles qui en composent le régime. Or, il peut arriver que l’application des règles conduise à la culpabilité de l’accusé ou à la responsabilité du vendeur, sans que cette solution ne soit entièrement satisfaisante. Le juriste doute qu’il soit approprié d’appliquer la garantie de qualité ou le vol dans ces cas, mais aucune règle ne lui permet aisément de les exclure. À l’opposé, il se présente des circonstances dans lesquelles il paraît souhaitable d’étendre l’application d’un régime juridique à des situations qui n’ont pas été envisagées jusqu’à présent, alors qu’aucune règle ne permet aisément de les inclure. Le juriste se tourne alors vers des arguments propres à la qualification du problème à résoudre, afin de vérifier s’il convient d’appliquer ou d’exclure un régime juridique donné.

Dans la qualification explicite, le juriste recourt à divers types d’arguments, qui peuvent être regroupés en deux ensembles : ceux qui ont trait aux caractéristiques de la situation factuelle analysée (l’approche analytique) et ceux qui ont trait au but de la qualification, à savoir l’application du régime juridique associé à la catégorie (l’approche instrumentale)[108].

1.    L’approche analytique

L’approche analytique consiste à comparer les caractéristiques de la situation factuelle à l’étude avec celles qui définissent la catégorie juridique envisagée. Afin de les identifier l’une à l’autre, certains auteurs proposent d’appliquer à la situation factuelle la définition classique de la catégorie, qui réunit ses « caractéristiques essentielles »[109]. Pour Jean-Louis Bergel, « si toutes les formes susceptibles d’affecter un concept n’ont pas à encombrer sa définition, celle-ci doit comprendre tous les éléments et toutes les interactions impliqués dans ce concept et dont la réunion est nécessaire et suffisante pour l’identifier »[110]. Par exemple, le bail est défini comme un « contrat par lequel une personne, le locateur, s’engage envers une autre personne, le locataire, à lui procurer, moyennant un loyer, la jouissance d’un bien, meuble ou immeuble, pendant un certain temps »[111]. Les définitions du Code civil du Québec empruntent généralement la forme d’une définition classique. Ces définitions s’avèrent utiles à la qualification explicite, même si elles ne peuvent lever toute ambiguïté. Le premier type d’argument consiste ainsi à vérifier si la situation factuelle répond aux critères de la définition offerte.

Dans d’autres passages de son ouvrage, Bergel renvoie à un deuxième type d’argument, qui s’appuie sur une définition un peu plus riche de la catégorie, comme celle que nous avons qualifiée de « stéréotypique ». Ainsi, Bergel suggère de s’en rapporter aux « propriétés essentielles ou typiques des phénomènes à représenter »[112], ou encore à ses « attributs »[113]. Par exemple, une définition stéréotypique du bail préciserait qu’il peut s’agir du bail d’un logement, incluant le cas du concierge qui fournit une prestation de travail en remplacement du loyer.

Plutôt que de mobiliser la définition classique ou stéréotypique, il est possible de comparer la situation factuelle analysée avec d’autres situations factuelles analogues, dont on sait qu’elles se situent à l’intérieur ou à l’extérieur de la catégorie. Ce sont encore les caractéristiques des situations factuelles qui servent de base au raisonnement, mais celles-ci n’ont pas été formalisées ou synthétisées au sein d’une définition. Le renvoi aux précédents relève de cette méthode que décrit Charles Vautrot-Schwarz en ces termes :

chaque opération de qualification par laquelle il est décidé que tel objet entre ou non dans telle catégorie juridique, vient préciser cette catégorie, et par voie de conséquence la définir. Plus on qualifie, plus la catégorie juridique s’affine, et plus sa définition se précise puisqu’on a à chaque fois une idée plus claire de ce que recouvre cette catégorie juridique, et donc de ses limites.[114]

Cette approche, favorisée par le recours à la jurisprudence, est particulièrement développée dans la méthodologie de la common law[115].

2.    L’approche instrumentale

Les arguments qui relèvent d’une approche instrumentale peuvent sembler d’une validité douteuse, de prime abord, puisqu’ils tendent à expliquer la qualification par son résultat[116]. Pourtant, la prise en considération du but de la qualification joue nécessairement un rôle, puisque les situations factuelles sont souvent susceptibles de plusieurs qualifications. C’est la solution recherchée qui guide le choix du régime applicable[117]. Par exemple, en cas de violence conjugale, le régime juridique applicable dépend du but poursuivi par la victime : s’agit-il pour elle d’obtenir l’incarcération du conjoint violent? Des dommages-intérêts? Recherche-t-elle plutôt la séparation ou le divorce[118]?

L’approche instrumentale invite ensuite le juriste à vérifier si la qualification envisagée permet une bonne adéquation du régime juridique dans son ensemble au type de situation analysée[119]. Dans le cas contraire, il faut se demander si cette qualification est la bonne[120]. Comme le souligne Jay Feinman, à différentes catégories correspondent différents intérêts ou valeurs qui orientent la qualification :

Behind the different categories lie distinct objectives, principles, policies, or interests. Cases falling into different categories deserve to be treated differently, and instrumental classification is an effective way of making it more likely that cases will be treated the right way.[121]

Ainsi, le droit des contrats soutient l’autonomie privée, tandis que la responsabilité civile protège l’individu contre les atteintes illégitimes à sa personne ou à ses biens. La qualification d’une situation factuelle au sein des catégories qui relèvent du droit des contrats ou de la responsabilité civile tient compte, suivant cette approche, des valeurs qu’il convient particulièrement de protéger dans le type de situation envisagé.

Enfin, une troisième variante de l’approche instrumentale consiste à qualifier une situation factuelle en fonction de la solution juridique qui en découle dans le cas à l’étude. Le décideur choisit la qualification qui conduit à l’application de la règle qui lui permet d’atteindre la solution la plus juste, de préférence à celle qui aurait entraîné l’application d’une règle et d’une solution différentes. Cette démarche est la seule qui puisse véritablement prêter le flanc à la critique[122]. S’il n’est bien sûr pas interdit de tenir compte des conséquences de la qualification sur l’issue du problème à résoudre, le juriste ou le juge s’efforcent de fonder la qualification qu’ils estiment la plus juste en s’appuyant sur les autres arguments évoqués[123]. Lorsque la qualification retenue par le juge n’est pas fondée sur de tels arguments, les auteurs y voient une fiction juridique[124], une décision d’équité, une « déqualification » ou encore une « disqualification »[125]. L’accumulation de telles décisions se rapportant à des situations semblables peut conduire à la reconnaissance d’une nouvelle catégorie juridique ou à la redéfinition d’une catégorie existante. Les décisions qui paraissaient aberrantes sont ainsi normalisées.

La doctrine et la jurisprudence recourent fréquemment aux arguments qui relèvent de la qualification explicite pour recadrer les catégories juridiques, en précisant leur champ d’application d’un côté, et en ajustant certains aspects de leur régime, de l’autre. De cette façon, elles s’assurent que les cas semblables reçoivent le même traitement, et que chaque situation factuelle soit soumise au régime approprié. Il est d’ailleurs intéressant que la qualification est conçue comme une prérogative de l’interprète. Les juges se réservent la possibilité de requalifier l’entente des parties, et la doctrine celle de décrire les catégories juridiques en allant au-delà de leur définition légale[126].

Nous avons vu que la définition est souvent invoquée dans la qualification explicite, alors que dans la qualification implicite, elle semble jouer un rôle réduit. Cette différence, et les autres qu’il est possible d’observer, entre la qualification implicite et la qualification explicite soulèvent des enjeux délicats. Prenons pour exemple la déclaration célèbre d’un juge de la Cour suprême des États-Unis dans une affaire de liberté d’expression; le directeur d’un cinéma, qui avait projeté un film prétendument obscène, avait été sanctionné par les autorités locales. Le juge Stewart déclara :

under the First and Fourteenth Amendments criminal laws in this area are constitutionally limited to hard-core pornography. I shall not today attempt further to define the kinds of material I understand to be embraced within that shorthand description; and perhaps I could never succeed in intelligibly doing so. But I know it when I see it, and the motion picture involved in this case is not that [nos italiques, notes omises].[127]

Le juge s’est fondé sur sa représentation mentale de la pornographie pour qualifier le film en question. Étonnamment, il a refusé de procéder à sa qualification explicite, afin de valider son choix. On se serait attendu, par exemple, à ce que le juge analyse le contenu du film et à ce qu’il s’appuie sur une définition de la pornographie, sur l’examen des précédents et sur l’analyse des buts poursuivis et des valeurs protégées par la loi. Est-il acceptable qu’un juge évite ainsi de se justifier? Sans doute que non, dès lors qu’il s’agit d’une question incertaine ou controversée.

Or, des décisions sont prises quotidiennement sur la base de qualifications juridiques implicites qui demeurent non motivées. L’idée que la qualification implicite et la qualification explicite procèdent par des voies différentes est troublante, surtout si la qualification explicite est la seule dont on puisse vérifier qu’elle repose sur des considérations légitimes et pertinentes.

Certes, on constate une certaine correspondance entre les facteurs qui entrent dans la qualification implicite et ceux qui justifient la qualification explicite. La définition classique semble finalement jouer un certain rôle dans la représentation des concepts, si l’on en croît la « théorie des théories ». La définition stéréotypique fait écho à la théorie du prototype, tandis que l’analyse des précédents évoque la théorie des exemplaires. Les arguments fonctionnels rejoignent les considérations liées au but, à l’idéal et au contexte également mises en lumière par la « théorie des théories ». En d’autres termes, les arguments qui appuient la qualification explicite pourraient être vus comme l’articulation des facteurs qui guident naturellement le choix initial d’une catégorie ou une autre. Nous croyons pourtant qu’il ne faut pas tenir cette conclusion pour acquise. Comme nous le verrons ci-dessous, l’influence des stéréotypes et des théories implicites lors de la qualification implicite n’est pas toujours légitime et peut conduire à des erreurs.

III.    La classification des catégories juridiques

En tant qu’« unités de connaissance »[128], les catégories juridiques jouent un rôle essentiel dans l’organisation du droit et du savoir qui s’y rapporte. Elles permettent au juriste d’appréhender des situations et de diriger sa recherche de solutions sans connaissance précise des règles qui les composent[129]. Elles ont une fonction simplificatrice essentielle, si l’on considère la complexité inouïe du droit contemporain[130]. Elles structurent la mémoire des juristes et même, dans une certaine mesure, celle des citoyens.

Dans la partie précédente, nous avons examiné la structure interne des catégories pour mieux comprendre comment le juriste associe une situation factuelle à une catégorie donnée. Il s’agit maintenant de reculer d’un pas pour se demander comment le juriste repère les catégories pertinentes. En étudiant la structure externe des catégories, c’est-à-dire leur classification, nous pouvons tenter de répondre à cette question.

A.  La structure des classifications juridiques

Les catégories juridiques sont disposées en hiérarchies multiples, des catégories plus générales regroupant plusieurs catégories plus spécifiques[131]. Les catégories à un niveau donné de la hiérarchie ont une double relation avec celles qui s’y trouvent regroupées. Du point de vue juridique, il s’agit d’une relation tout-partie : les règles sur le meurtre au premier degré forment une partie des règles sur le meurtre, qui forment une partie du droit criminel. Du point de vue factuel, il s’agit d’une relation d’inclusion : les cas de meurtre au premier degré sont aussi des cas de meurtre, et ce sont aussi des crimes.

Les catégories juridiques sont également disposées en réseau. Il est d’ailleurs impossible de les représenter au sein d’une hiérarchie unique. Différentes classifications hiérarchiques se chevauchent du point de vue factuel et se complètent du point de vue juridique, par exemple les classifications des contrats et des obligations; les catégories de droit substantiel et de procédure[132].

La législation et les décisions des tribunaux posent les bases de la classification lorsqu’elles définissent les contours des catégories juridiques et leur articulation. Les auteurs de textes juridiques et les professeurs de droit les analysent à leur tour; ils les recadrent et précisent leurs relations à des fins d’exposition et d’enseignement[133]. Ce travail de systématisation est réalisé de différentes manières. Certains auteurs tentent d’atteindre un degré élevé de précision, de cohérence, et de stabilité dans l’organisation qu’ils proposent de la matière juridique, tandis que d’autres optent de préférence pour une structure fluide et dynamique[134].

La tradition juridique d’appartenance joue un rôle important à cet égard[135]. Le droit civil et la législation se prêtent davantage à une classification typologique, qui tient compte des caractéristiques actuelles des objets à classifier ainsi que des rapprochements et des différences qu’il est possible d’observer entre eux. Cependant, la common law et la jurisprudence se prêtent davantage à une classification généalogique, qui rend compte de la provenance commune des objets classifiés et de leur diversification progressive à travers le temps[136]. La catégorie d’origine légale apparaît stable dans son contenu, et la doctrine s’efforce d’en articuler les relations d’inclusion, d’exclusion ou de complémentarité avec les autres catégories de l’ordre juridique. La catégorie d’origine jurisprudentielle provient d’un arrêt qui, le premier, a reconnu ou défini la catégorie. Les décisions rendues à la suite de cet arrêt, et qui s’en réclament en tant que précédent, précisent progressivement les contours de la catégorie, c’est-à-dire les situations factuelles qu’elle recouvre et les règles qui en constituent le régime. L’articulation progressive des catégories par la jurisprudence leur confère un caractère nettement évolutif, et leur ordonnancement se dégage des lignées jurisprudentielles qui leur ont donné naissance. Les arrêts se rattachant à un même précédent forment des agrégats (clusters) — les catégories juridiques — qui se ramifient et dont les contours sont redéfinis au fil du temps[137].

Les catégories juridiques sont consacrées par l’usage qu’en font les juristes dans un ordre juridique donné[138]. La structure de la matière telle qu’on la retrouve dans l’enseignement, dans les ouvrages de doctrine et dans les outils de recherche, contribue à façonner une représentation commune des catégories juridiques et de leur classification.

Suivant une approche inspirée de la théorie classique des catégories dans les sciences, certains auteurs présentent l’idéal d’une classification exhaustive des catégories juridiques, lesquelles sont nettement différenciées en procédant par divisions binaires[139] :

Pour appréhender tous les aspects de la vie avec un nombre raisonnable de règles juridiques, il faut les intégrer dans « des classifications tranchées à portée exhaustive », si bien qu’ils seront rangés obligatoirement dans une ou des catégories connues et en subiront les conséquences. Ainsi, les biens sont meubles ou immeubles; les personnes juridiques sont physiques ou morales, les personnes morales publiques ou privées, les personnes physiques capables ou incapables; les participants à une infraction sont auteurs ou complices… Si des classements trop simples engendrent un droit inadéquat et s’il faut assouplir les modes de catégorisation « pour rapprocher le droit de la vie qui est toute en gradation », « la maniabilité du droit » s’oppose à une multiplication excessive des rubriques qui finirait par ruiner la cohérence du système juridique et l’efficacité des catégories [notes omises].[140]

Bien que le droit comporte plusieurs divisions binaires, celles-ci ne représentent pas la norme, puisqu’elles imposent une contrainte excessive sur la systématisation du droit[141]. En outre, elles conduiraient à l’adoption de taxonomies trop développées, avec de trop nombreux niveaux ou un nombre trop important de hiérarchies superposées.

La mémorisation de la structure externe des catégories juridiques représente l’un des acquis les plus durables de la formation universitaire. Comme le soulignait Christian Atias, le juriste « est tellement à l’aise dans ses rubriques coutumières qu’il n’hésite pas un instant avant de choisir l’ouvrage à ouvrir; ce qu’il ignore, il sait où le chercher »[142]. Il ajoute :

Les frontières ainsi installées sont multiples et s’entrecroisent. Elles découpent, dans la masse informe des connaissances, des secteurs, des zones de pertinence […].

La formation de ces unités procède de la rencontre de plusieurs facteurs. Leur action est discrète, mais puissante.[143]

La classification exerce une influence sur la qualification qui demeure largement inconsciente. Cette influence est peu théorisée par les juristes, mais les recherches en psychologie cognitive ouvrent des perspectives intéressantes.

B.  L’importance du niveau de base

En plus d’avoir mis en lumière l’effet de typicalité, Rosch et ses collaborateurs ont contribué à une deuxième découverte significative pour le droit : celle du niveau de base. Au sein d’une classification hiérarchique, les catégories de tous les niveaux n’ont pas la même importance ni les mêmes fonctions. Les catégories d’un niveau intermédiaire, appelé niveau de base (basic-level categories), sont préférées pour l’accomplissement de plusieurs tâches cognitives[144]. Ni trop abstraites, ni trop spécifiques, les catégories de ce niveau atteignent un juste équilibre entre l’homogénéité de chaque catégorie (les objets de la catégorie sont, dans une large mesure, semblables ou équivalents) et la discontinuité entre les catégories de même niveau qui s’excluent mutuellement (les objets d’une catégorie sont, dans une large mesure, dissemblables ou non équivalents aux objets des autres catégories de même niveau). En effet, les niveaux les plus généraux d’une classification sont normalement ceux qui présentent la plus grande discontinuité entre ses catégories et le moins d’homogénéité en leur sein, tandis que les niveaux les plus spécifiques sont ceux qui offrent le plus grand degré d’homogénéité au sein de ses catégories, mais le moins de discontinuité entre elles.

Un exemple souvent cité dans la littérature est celui des catégories « chaise » et « table », qui sont des catégories de base. La catégorie plus abstraite de « meubles » est moins homogène, tandis que les catégories plus spécifiques « chaise de salon » et « chaise de cuisine » sont moins distinctes. Ce sont bien les catégories de « chaise » et de « table » qui correspondent à l’équilibre recherché[145].

Les catégories du niveau de base sont également les catégories les plus abstraites au sein desquelles les exemplaires possèdent une forme, une structure ou une fonction semblables, si bien qu’il est possible d’en susciter une image mentale[146]. Les concepts de ce niveau sont employés spontanément pour nommer un objet ou pour communiquer dans un contexte neutre[147]. Par exemple, il est plus naturel de déclarer : « le chien du voisin s’est encore échappé » que « l’animal/le bouvier bernois du voisin s’est encore échappé ».

Les études démontrent que les catégories de base sont apprises d’abord par les enfants, tandis que les catégories plus spécifiques ou plus abstraites sont acquises plus tard dans leur développement[148]. De même, dans l’évolution d’une langue, les mots désignant des catégories de base apparaissent avant les mots plus abstraits; ce serait notamment le cas pour « plantes » ou « végétaux »[149]. Les concepts de base sont souvent désignés par des mots plus courts, ce qui résulterait de leur emploi plus fréquent et de la tendance naturelle à les abréger ou à en simplifier la prononciation[150].

C’est au niveau de base que l’information retenue en mémoire est le plus facilement accessible. Ainsi, les participants à une tâche d’énumération établissent des listes plus longues pour les catégories de base que pour les catégories plus générales, et les informations données pour les catégories plus spécifiques tendent à reproduire celles qui sont données au niveau de base, avec relativement peu d’information additionnelle[151]. Une étude suggère toutefois que les catégories générales ne sont pas moins riches en information que les catégories de base; l’information serait simplement moins accessible parce que plus abstraite ou moins homogène[152]. Une autre étude indique une tendance à retenir l’information en l’associant au niveau de base[153].

Enfin, et c’est cette caractéristique qui est le plus souvent employée pour définir le niveau de base, c’est à ce niveau que les participants obtiennent les temps de réponse les plus courts à une tâche de vérification[154]. Ainsi, les catégories de base sont celles à l’aide desquelles il est généralement le plus facile d’identifier un objet, alors que le recours à une catégorie plus générale ou plus spécifique requiert un effort supplémentaire d’abstraction ou de particularisation.

Certaines recherches ont suggéré que la catégorie de base serait le point d’entrée de la classification : on passerait par celle-ci avant de classifier l’objet dans une catégorie plus abstraite ou plus spécifique[155]. Or, cette hypothèse ne se vérifie pas toujours. Il a été montré que les participants classifient directement un objet dans une catégorie inférieure ou supérieure au niveau de base, lorsque la tâche cognitive l’exige[156].

Si l’identification d’un objet est généralement plus rapide à un niveau intermédiaire, c’est en raison de la structure habituelle des catégories au sein d’une hiérarchie. Or, il est possible, en créant des catégories artificielles dont on manipule les attributs caractéristiques, de faire varier le niveau auquel la vérification est la plus rapide. Ainsi, la vérification est plus longue pour les catégories dont les caractères à vérifier sont cumulatifs, ce qui se produit fréquemment dans les catégories spécifiques[157]. Par exemple, pour reconnaître un érable à sucre, il faut reconnaître un érable ainsi qu’un attribut additionnel qui caractérise l’érable à sucre. La vérification est également plus longue pour les catégories disjointes, alors qu’il existe différents caractères permettant indépendamment d’associer un objet à la catégorie, et peu ou pas d’attributs communs[158]. Ceci se produit fréquemment pour les catégories abstraites, telles que « meuble » ou « animal ». Or, les catégories de niveau intermédiaire atteignent habituellement un équilibre entre ces deux pôles[159].

Les catégories plus abstraites ou plus spécifiques que le niveau de base peuvent être utilisées pour identifier ou nommer un objet impossible ou difficile à classifier à ce niveau, soit en raison d’une information incomplète, soit parce qu’il s’agit d’un exemplaire atypique[160]. Pensons à l’animal aperçu dans la pénombre (identifié au niveau général) ou au pingouin, exemplaire atypique d’un oiseau (identifié au niveau spécifique). Les catégories abstraites servent à établir des généralisations à propos des catégories qu’elles regroupent ou à désigner des collections d’objets[161]. En droit, les catégories juridiques abstraites permettent de réaliser une économie dans l’énonciation des règles juridiques; en étant énoncées à ce niveau, les règles n’ont pas à être répétées au sein de chaque catégorie plus spécifique[162].

Soulignons que les recherches en catégorisation ont été menées sur plusieurs types de catégories, y compris les événements, dont font partie les catégories juridiques dans leur dimension factuelle. Il existe un niveau de base parmi les catégories d’événements, comme pour les catégories d’objets physiques[163]. Les résultats semblent toutefois moins stables, sans doute parce que les catégories d’événements sont largement construites et qu’elles évoluent en fonction du contexte et des pratiques sociales.

Mentionnons que sans être familier avec les recherches en catégorisation, Hervé Croze a eu l’intuition des catégories juridiques de base, qui ne sont ni trop précises, ni trop générales : « une catégorie juridique sera d’autant plus efficace que, tout en gardant un degré de précision suffisant afin que sa confrontation aux faits soit facilitée, elle contribuera à la mise en œuvre d’un plus grand nombre de propositions normatives » [164].

À notre connaissance, Penner est le seul à avoir tiré certaines conclusions des recherches sur le niveau de base dans le domaine juridique[165]. Il explique pourquoi les catégories juridiques de base seraient plus pertinentes que les catégories plus abstraites comme celles de « crime » ou de « droits » pour analyser un problème juridique et fournir une justification de la solution retenue :

What I am suggesting is that, by and large, in general, roughly, the history of the development of the mass of common law doctrine has occurred employing concepts which are at, or close to, the basic level. That is, the common law operates to develop the law not as a theoretical exercise, but at a more common-sense or “observational” level, simply because, as a function of its institutional nature, judges are faced with real situations, real “narratives” that is, rather than philosophical hypotheticals […], and they are required to give reasons which, despite the legal jargon (which is not that impenetrable after all, once the terms of art are mastered), are supposed to, and usually do, explain the basis of the decision to the litigants, who are regular folks, not philosophers [italiques dans l’original].[166]

Les recherches sur le niveau de base nous ont semblé revêtir un intérêt considérable pour le droit, parce que les catégories juridiques de ce niveau sont vraisemblablement les plus accessibles pour les non-juristes ainsi que les juristes débutants[167]. Riches en information et aptes à être employés spontanément dans les communications juridiques, ces concepts seraient aussi à privilégier dans la conception des outils de recherche en droit, tels que les index et banques de données. Bien qu’il existe plusieurs théories permettant d’identifier avec un degré assez élevé d’exactitude le niveau de base dans une hiérarchie de concepts[168], en définitive, il s’agit d’une question empirique. C’est pourquoi nous avons conçu deux expériences dans le but de découvrir le niveau de base de deux classifications juridiques.

C.  Deux expériences en catégorisation juridique

Ces expériences feront l’objet d’une présentation détaillée dans une publication distincte, mais nous souhaitons décrire brièvement ici les deux tâches expérimentales et les résultats obtenus, puisqu’ils confortent ou illustrent plusieurs aspects de la présente analyse.

1.    Brève description

Nous avons conçu et réalisé deux expériences portant sur 14 catégories juridiques formant deux hiérarchies simplifiées avec trois niveaux d’abstraction, représentées dans la figure 2.

Nous avons préparé vingt-quatre scénarios brièvement décrits, qui représentent des situations factuelles typiques des différentes catégories de la hiérarchie, dont voici un exemple :

Au cours des derniers mois, Pierre a eu de nombreuses mésententes avec sa conjointe. La situation est devenue insupportable. Pressé par les événements, Pierre a pris un appartement sans même le visiter. Peu après son déménagement, il s’est rendu compte que l’appartement est infesté de rats. Il se demande s’il peut partir sans payer.

Deux tâches expérimentales ont été réalisées à l’ordinateur par trois groupes de trente-cinq participants : des étudiants en droit de l’Université Laval, des étudiants en droit de l’Université Queen’s et des juristes québécois avec au moins cinq années d’expérience comme avocats ou notaires. Les noms des catégories de contrats ont été adaptés pour tenir compte de la tradition juridique d’appartenance des participants, mais les scénarios étaient identiques pour tous[169]. Les participants ont reçu les scénarios la veille de l’expérience, afin qu’ils puissent se familiariser avec eux.

La première expérience est une tâche de vérification. Le nom d’une catégorie parmi les quatorze de la hiérarchie apparaît brièvement à l’écran, suivi d’un scénario. Le participant doit indiquer le plus rapidement possible si la situation décrite peut être associée à la catégorie, en appuyant sur une touche « oui » ou une touche « non ». 288 essais ont été complétés

 

 

par chaque participant. Les réponses à cette tâche ont fait l’objet d’une analyse quantitative.

La deuxième expérience est une tâche d’énumération. Pour chacune des situations factuelles, à laquelle est associée de manière aléatoire l’une des trois catégories auxquelles elle appartient, le participant note dans une boîte de dialogue les attributs qui lui ont permis d’associer la situation à la catégorie, comme dans l’exemple suivant :

 

Figure 3. Présentation de la tâche d’énumération

 

Les réponses à cette tâche ont fait l’objet d’une analyse qualitative sommaire.

2.    Principaux résultats

La moyenne des temps de réponse à la tâche de vérification pour les essais positifs réussis permet de déterminer où se situe le niveau de base dans la hiérarchie retenue. Nous avions formulé intuitivement l’hypothèse qu’il s’agirait du niveau intermédiaire composé des catégories de vente, bail, meurtre, et vol[170]. Or, nos résultats n’ont pas permis de valider cette hypothèse. Ainsi, pour les contrats, la moyenne des temps de réponse la plus courte se situe aux niveaux spécifiques et intermédiaires et la plus longue au niveau général, tandis que pour les crimes, les temps de réponse les plus courts se situent au niveau général, suivi du niveau intermédiaire, puis du niveau spécifique.

Figure 4. Temps de réponse par niveau (en s.) pour les catégories de contrats et de crimes

Puisque le niveau de base ne peut être déterminé de manière intuitive et qu’il semble varier selon les domaines du droit, il conviendrait de poursuivre les recherches afin d’identifier avec plus de précision les catégories juridiques de base, considérant l’importance de privilégier les catégories de ce niveau dans l’enseignement et la communication du droit.

Nous souhaitions vérifier si la tradition juridique d’appartenance avait une incidence sur les temps de réponse des participants. Puisque les règles du droit civil sont généralement formulées à un plus haut degré d’abstraction que celles de common law, nous avions pour hypothèse que les civilistes obtiendraient des temps de réponse relativement plus courts pour les catégories les plus générales, et les juristes formés en common law pour les catégories les plus spécifiques. Or, les étudiants de Queen’s ont obtenu des temps de vérification plus courts que les deux autres groupes à tous les niveaux de la classification. Cet écart indique que la formation de common law permet d’acquérir une représentation plus efficace des catégories juridiques, même les plus générales. L’enseignement à partir de la jurisprudence et l’importance accordée à la sélection et à l’analyse des faits pourraient expliquer ce résultat.

Figure 5. Temps de réponse (en s.) par niveau pour les trois groupes de participants

Les réponses à la tâche d’énumération, pour leur part, ont confirmé que les participants n’utilisent pas la définition classique de la catégorie juridique pour parvenir à une qualification. Par exemple, ils ont reconnu sans peine la présence d’un bail ou d’une vente dans des scénarios où n’était pas mentionné le paiement d’un loyer ou d’un prix, une lacune qui n’a pas paru les gêner. De plus, les participants ont relevé plusieurs éléments non définitionnels dans la tâche d’énumération, qui sont toutefois typiques de la catégorie, par exemple la « visite » du logement ou le « déménagement ».

Enfin, plusieurs participants ont indiqué le nom d’une autre catégorie de la hiérarchie dans leurs réponses à la tâche d’énumération[171]. Par exemple, pour associer un scénario à la catégorie « contrat », les participants indiquent assez fréquemment que le scénario correspond à un bail ou à une vente. Or, les concepts de contrat et de crime sont rarement mentionnés aux autres niveaux de la hiérarchie. Ces résultats suggèrent que plusieurs concepts sont activés en même temps dans la qualification implicite[172]. Toutefois, ce sont les concepts abstraits qui contribuent le moins à la qualification : on semble qualifier « par le milieu » ou « par le bas » plutôt que « par le haut ».

Les auteurs civilistes en méthodologie du droit recommandent parfois aux juristes de qualifier un problème « par le haut », c’est-à-dire à partir des catégories les plus générales de l’ordre juridique[173]. Nos recherches suggèrent que ce n’est pas une approche très naturelle, puisqu’il est difficile de se représenter concrètement les situations qui relèvent des catégories les plus générales, dont le contenu factuel est hétérogène. Toutefois, cette approche paraît utile pour pallier une mauvaise connaissance du domaine.

Les expériences que nous avons menées confirment qu’il existe un niveau de base dans les taxonomies juridiques, puisque la qualification s’effectue plus rapidement à un niveau donné de la hiérarchie. Nos résultats en ce sens ne dépendent pas de la tradition juridique d’appartenance ni du degré d’expertise des participants. Pourtant, le niveau de base n’est pas situé là où nous l’attendions. Des recherches plus poussées permettraient d’étendre ces observations à d’autres taxonomies juridiques. La position du niveau de base pourrait s’expliquer par la structure interne des catégories de ce niveau, qui présenteraient le moins d’attributs cumulatifs ou disjoints.

IV.              Perspectives critiques

Les critiques qui concernent les catégories et la qualification juridiques mettent en lumière tantôt les limites inhérentes à celles-ci, tantôt l’échec au moins partiel des tentatives de formalisation dont elles font l’objet.

A.  L’indétermination des catégories juridiques

Plusieurs auteurs soulignent la difficulté de définir les concepts juridiques de façon à réduire l’incertitude dans leur application. D’après Léon Husson,

non seulement le Droit ne dispose pas à l’heure actuelle d’un stock complet de concepts exactement déterminés, et très souvent il utilise des concepts, empruntés à l’usage courant, qu’il s’abstient de définir; mais on peut douter qu’il lui soit jamais possible de s’en constituer un. En tout cas, tant qu’il n’y sera pas parvenu, le juriste et le logicien auront beau tenter de lui donner, dans leur cabinet, par une série d’actes décisoires, une forme axiomatique plus ou moins rigoureuse : ils n’obtiendront ainsi dans la meilleure hypothèse que des épures, utiles peut-être pour exercer l’esprit et guider sa recherche, mais ne fournissant du Droit effectivement en vigueur qu’une représentation schématique, insuffisante et par là susceptible d’égarer la pratique autant que de la servir.[174]

Cette critique rejoint les limites de la définition classique, dont nous avons déjà fait état. Rappelons que celle-ci est loin d’épuiser les techniques dont disposent les juristes pour définir les concepts en vue de leur application à une situation nouvelle. Comme nous l’avons souligné, les catégories juridiques sont remarquablement précises, comparativement aux concepts d’usage courant ainsi qu’à ceux d’autres disciplines. Les nombreuses décisions dont elles font l’objet permettent d’en connaître à la fois les illustrations les plus typiques et les cas limites, qui en fixent les contours.

Pour pallier l’insuffisance d’une définition classique des concepts juridiques, quelques auteurs ont suggéré de recourir à la théorie des sous-ensembles flous (fuzzy sets)[175]. La théorie mathématique des sous-ensembles flous se présente comme un assouplissement de la théorie classique voulant qu’un ensemble est constitué des éléments dont l’appartenance se fonde sur des conditions nécessaires et suffisantes, suivant une logique du « tout ou rien ». Le sous-ensemble flou se caractérise plutôt par des degrés d’appartenance, selon qu’un élément possède plus ou moins les conditions qui définissent cette appartenance. Par exemple, la classe des hommes grands est un sous-ensemble flou, dans lequel le degré d’appartenance dépend de la taille de chaque homme. Les propriétés et relations mathématiques définies par la théorie classique des ensembles sont modifiées pour rendre compte des propriétés et relations propres aux sous-ensembles flous. Elles obéissent toujours à une logique formelle, puisqu’elles supposent d’identifier une ou plusieurs conditions d’appartenance et de déterminer le degré d’appartenance de chaque élément par l’attribution d’une valeur située entre 0 (exclusion) et 1 (appartenance)[176]. Pour permettre le retour à une logique binaire, la théorie des sous-ensembles flous propose de fixer un seuil entre 0 et 1[177]. Lorsque le degré d’appartenance est supérieur à ce seuil, l’objet est réputé appartenir à la catégorie, et il en est exclu dans le cas contraire.

Bien que le droit emploie des concepts qui comportent une gradation de la typicalité des exemplaires qui les composent pour parvenir à des décisions répondant le plus souvent à une logique binaire (responsable ou non, coupable ou non), l’application de ce modèle mathématique supposerait de quantifier le degré d’appartenance d’une situation factuelle à une catégorie juridique et de définir par une valeur numérique le seuil de décision[178].

Cette proposition irréaliste nous semble conduire à une impasse. Nous croyons qu’il faut plutôt reconnaître l’importance des exemples pour l’acquisition d’un concept. C’est en se familiarisant avec de nombreuses situations factuelles situées au cœur et à la périphérie d’une catégorie juridique que le juriste parvient à saisir le contenu et l’étendue de celle-ci.

B.  La rigidité des catégories juridiques et la critique de la Begriffsjurisprudenz

Dans l’espoir de rendre l’application du droit plus prévisible, le législateur, la jurisprudence et la doctrine s’efforcent parfois d’enfermer les concepts dans une définition à laquelle ils attribuent un caractère obligatoire[179]. Plusieurs reprochent alors aux catégories juridiques leur rigidité et leur application mécanique, sans égard aux raisons sous-jacentes[180].

Une autre tendance peut être observée, surtout chez les auteurs de doctrine. Devant la difficulté de définir les concepts de façon à cerner avec exactitude leur portée factuelle, ils se contentent parfois de conceptions abstraites, divorcées du monde réel.

Dans une satire demeurée célèbre, Rudolf von Jhering s’en est pris à certains de ses contemporains (les pandectistes), qu’il accusait d’abuser de la logique formelle et de la définition abstraite des concepts juridiques. Le narrateur mis en scène par Jhering est accueilli, après sa mort, par un ange. Celui-ci informe le narrateur qu’il sera admis au paradis des concepts, un lieu où les concepts sont dégagés de toute matérialité, pour devenir de pures inventions de l’esprit. L’ange décrit au narrateur ce lieu auquel il accédera sous peu, et un dialogue s’engage entre eux :

[L’ange :] Puisque tu es romaniste, tu iras au ciel des concepts juridiques. Tu y retrouveras tous les concepts juridiques qui t’ont tant occupé sur terre. Pas dans leur état incomplet, déformés par l’action que leur ont fait subir sur terre les législateurs et les praticiens, mais plutôt d’une pureté parfaite et sans tache, d’une beauté idéale.

Ici, les théoriciens du droit sont récompensés pour les services qu’ils leur ont rendus sur terre. Ici, les concepts qui leur apparaissaient là-bas seulement voilés deviennent parfaitement clairs. Ils les contemplent en face et interagissent avec eux comme avec leurs semblables. Les questions auxquelles ils cherchaient en vain des réponses sur terre sont ici résolues par les concepts eux-mêmes.

[…]

[Le narrateur :] Il y fait donc noir?

[L’ange :] Complètement! C’est la nuit la plus obscure […] pas le moindre rayon de soleil n’y pénètre. Le soleil est la source de toute vie, mais les concepts ne s’accordent pas avec la vie. Ils ont besoin de leur monde à eux, dans lequel ils existent entièrement pour eux-mêmes, loin de tout contact avec la vie.

[Le narrateur :] Mais comment les théoriciens qui accèdent [au paradis des concepts] peuvent-ils voir dans cette obscurité?

[L’ange :] Déjà sur terre, les yeux des théoriciens se sont habitués à voir dans l’obscurité. Plus l’objet d’étude est obscur, plus il est attrayant pour le théoricien et plus ce dernier peut le révéler de son regard pénétrant, tel la chouette, l’oiseau de Minerve, qui voit dans le noir.[181]

Est-ce l’influence de la satire de Jhering? Les théoriciens du droit ne reconnaissent pas l’importance des catégories juridiques, dont ils semblent vouloir se dispenser; c’est même assez souvent le cas des juristes. Hans Kelsen s’est attaqué aux distinctions classiques mises de l’avant par la doctrine, telle la distinction des droits réels et des droits personnels[182]. Il a affirmé que la personne n’est qu’un complexe de normes[183]. À la pyramide des concepts, représentation de l’ordre juridique associée à la Begriffsjurisprudenz, il substitue la pyramide des normes.

Dans la tradition anglo-américaine, où la satire de Jhering a été relayée notamment par Hart[184], les auteurs de doctrine et les praticiens qui ont contribué aux efforts de systématisation de la common law ont également été accusés de formalisme et de conceptualisme, en même temps que se déployait, en réaction à ceux-ci, le mouvement réaliste américain[185].

Quoique moins influente, cette critique est également présente en France[186], ainsi que le rapporte Jean Rivero :

Tenter de définir le contrat administratif, ou le service public, ce serait perdre de vue la réalité, qui ne connaît que des contrats administratifs, des services publics, des situations concrètes, toutes différentes; ce serait s’efforcer d’atteindre à un monde de formes existant en soi, se mouvoir dans un univers d’Idées et de Notions sans rapport avec l’univers où l’homme vit et agit; ce serait opter pour l’essence, contre l’existence [italiques dans l’original].[187]

Rejetant la critique, Rivero se porte à la défense de la doctrine :

Parce que la règle de droit est générale, et ne peut pas ne pas l’être, il faut bien qu’elle soit abstraite; il faut qu’elle recherche le contrat sous les contrats, qu’elle définisse le détournement de pouvoir pour être sûre de frapper les mille manières qu’a l’Administration d’oublier la fin qui lui est assignée.[188]

[L]a stabilité des catégories juridiques, c’est la possibilité, pour l’homme, de connaître la règle et de prévoir les effets de ses actes [italiques dans l’original].[189]

Dans le même sens, Stephen Smith souligne que la systématisation doctrinale soutient la sécurité juridique et la primauté du droit[190].

En Allemagne, la Begriffsjurisprudenz fait toujours l’objet de critiques sévères au sein de la doctrine, alors qu’elle ne connaît pas de véritable adhérent. Il s’agit plutôt d’une position extrême, d’un écueil à éviter ou d’un faire-valoir pour d’autres théories[191].

Dans la tradition juridique française, la dimension factuelle des concepts juridiques tend à être escamotée par la doctrine et dans l’enseignement du droit, au profit d’une conception abstraite de ceux-ci[192]. Selon nous, la critique de Jhering continuerait de trouver ici une certaine actualité. En effet, et c’est l’une des conclusions importantes de la présente étude, il importe de ne pas perdre de vue l’emprise factuelle des catégories juridiques et des règles qu’elles contiennent. L’analyse des faits est très présente, en revanche, dans la méthodologie de la common law qui, pour plusieurs, gagnerait à être systématisée davantage[193].

La satire de Jhering met en garde les juristes contre une tendance à définir les catégories juridiques de manière trop abstraite, mais il ne faut pas y voir une critique des catégories juridiques elles-mêmes. La formalisation excessive dont elles ont parfois fait l’objet provient de juristes qui ont adhéré au modèle empirique-logique[194]. Or, l’utilisation des catégories pour ordonner les connaissances au sein d’une discipline n’impose pas de recourir à ce modèle, bien au contraire. L’importance des catégories dans les disciplines interprétatives, telles que la littérature, les arts visuels et la musique, afin de désigner des écoles, des périodes ou des styles, le confirme. Alain Papaux a d’ailleurs proposé une approche herméneutique ou interprétative de la qualification juridique, mais cette piste prometteuse n’est pas approfondie par l’auteur et demeure inexplorée[195].

C.  L’influence occulte des préjugés et des stéréotypes

La critique la plus sérieuse que l’on puisse adresser aux catégories juridiques et aux catégories en général est qu’elles favorisent la formation de stéréotypes qui jouent un rôle occulte dans le raisonnement et dans l’exercice du jugement. Cette propension représente le revers de l’action réductrice et simplificatrice des catégories juridiques, et confirme l’importance de prendre conscience du rôle qu’elles occupent dans la pensée[196].

Le célèbre article de Alf Ross intitulé « Tû-Tû » est éclairant sur ce point[197]. Ross veut démontrer que les catégories juridiques sont un raccourci pour désigner, d’une part, les conditions d’ouverture qui décident des situations factuelles auxquelles elles s’appliquent et, d’autre part, les effets juridiques qui leurs sont associés, à savoir les règles qu’il est permis d’invoquer et les recours qu’il est possible d’exercer. Ainsi, le droit de propriété ne désigne rien de plus que les situations conçues de manière abstraite dans lesquelles une personne accède à la propriété, d’une part, et les effets juridiques qui en découlent, de l’autre. Il serait donc possible de se passer des catégories juridiques en les remplaçant par une série de propositions qui combinent successivement chacune des situations et chacun des effets :

In that case a large number of rules would have to be formulated, directly linking the individual legal consequences to the individual legal facts. For example:

If a person has lawfully acquired a thing by purchase, judgement for recovery shall be given in favor of the purchaser against other persons retaining the thing in their possession.

If a person has inherited a thing, judgment for damages shall be given in favor of the heir against other persons who culpably damage the thing.

If a person by prescription has acquired a thing and raised a loan that is not repaid at the proper time, the creditor shall be given judgment for satisfaction out of the thing.

If a person has occupied a res nullius and by legacy bequeathed it to another person, judgment shall be given in favor of the legatee against the testator’s estate for the surrender of the thing.

If a person has acquired a thing by means of execution as a creditor and the object is subsequently appropriated by another person, the latter shall be punished for theft.

An account along these lines would, however, be so unwieldly as to be practically worthless. It is the task of legal thinking to conceptualize the legal rules in such a way that they are reduced to systematic order and by this means to give an account of the law in force which is as plain and convenient as possible.[198]

Pour des raisons de commodité, la catégorie juridique regroupe divers types de situations factuelles (toutes celles qui sont à l’origine d’un droit de propriété), afin de les soumettre à un ensemble d’effets juridiques (tous ceux qui découlent du droit de propriété). Le mot propriété a pour seule fonction de relier ces deux ensembles. Il serait donc dépourvu de contenu sémantique autonome[199]. Ross admet pourtant que la notion de propriété représente beaucoup plus que cela, dans l’esprit des juristes comme dans celui des justiciables :

we [cannot] wholly deny that this terminology is associated for us with more or less indefinite ideas that a right is a power of an incorporeal nature, a kind of inner, invisible dominion over the object of the right, a power manifested in, but nevertheless different from, the exercise of force (judgment and execution) by which the factual and apparent use and enjoyment of the right is effectuated.[200]

Cette représentation que nous nous faisons de la propriété, d’après Ross, ressemble à l’invocation de pouvoirs surnaturels[201]. Il la compare au concept « tû-tû » désignant le tabou qui frappe les membres de la communauté aborigène des Noît-cif, dès lors qu’ils commettent certaines infractions jugées graves au sein de cette communauté[202]. Pour raisonner correctement en droit, il nous faudrait chasser de notre esprit les représentations associées aux catégories juridiques qui déforment leur contenu en le réduisant.

En rejetant le contenu sémantique propre aux catégories et leur contribution autonome au raisonnement, c’est précisément ce contenu et cette contribution que Ross permet de mettre en lumière. En raison de la fonction qu’il leur reconnaît — la représentation simplifiée et réduite d’un ensemble de règles juridiques et des situations factuelles qu’elles recouvrent —, les catégories juridiques acquièrent un pouvoir d’évocation qui dépasse l’énoncé de leurs conditions d’ouverture et effets. N’en déplaise à Ross, l’apport sémantique des catégories, qu’il qualifie de mysticisme et de superstition, influe sur la portée des règles qui les composent, sur leur interprétation ainsi que sur leur évolution future. S’il nous paraît impossible de débarrasser les catégories juridiques de leur contenu sémantique autonome, il nous importe par ailleurs de prendre conscience de ces effets, dont certains s’avèrent illégitimes.

En effet, qualifier n’est pas neutre. Nommer, c’est déjà évaluer, c’est porter un jugement[203]. Amsterdam et Bruner, qui ont étudié le raisonnement juridique en adoptant une approche interdisciplinaire alliant le droit et la psychologie cognitive, soulignent l’influence possible des stéréotypes dans la qualification. Par exemple, il est possible que les membres d’un jury ne se contentent pas d’appliquer les critères juridiques d’un crime, mais que leur verdict dépende aussi de leur représentation stéréotypique du criminel[204].

Dans une étude consacrée à la discrimination en milieu de travail, Linda Hamilton Krieger s’appuie sur la littérature en sciences cognitives et en psychologie sociale pour mettre en lumière le biais cognitif susceptible d’altérer le jugement d’un individu dans son appréciation des faits et dans sa prise de décision[205]. Elle explique pour quelles raisons et de quelle manière naissent les stéréotypes et les préjugés : la catégorisation étant une fonction cognitive essentielle, les individus tendent naturellement à exagérer les traits qui caractérisent les membres d’une catégorie par la construction de stéréotypes, ce qui permet une reconnaissance plus efficace[206]. Ainsi, la discrimination observée dans les milieux de travail n’est pas toujours intentionnelle, mais souvent le résultat des stéréotypes hérités ou construits par l’employeur ou par le personnel de direction à propos de divers groupes ethniques ou sociaux. Ces stéréotypes jouent le rôle de théories implicites, qui biaisent le jugement[207]. Les personnes en position d’autorité, qu’il s’agisse d’un employeur, d’un policier, d’un fonctionnaire, ou d’un juge, ne sont pas à l’abri du biais cognitif dans l’application de concepts juridiques en apparence neutres. Une prise de conscience du phénomène par les acteurs concernés permet d’en corriger au moins partiellement les effets.

L’étude de Krieger montre également que les catégories juridiques, lorsqu’elles sont mal arrimées avec l’expérience vécue des justiciables, contribuent à leur sentiment d’aliénation face au droit et au système de justice :

[O]ne’s task as a litigator is to choose a core story from existing jurisprudence and then to construct, from the available facts, a new story that resembles the core story as closely as possible. […] Doctrinal models define for the litigants which facts belong in their stories and which do not. […]

I knew that if I wanted to understand why so many of my clients and their opponents felt frustrated and misunderstood in their encounters with civil rights enforcement, I would have to examine the core stories told by Title VII disparate treatment caselaw.[208]

Les catégories juridiques peuvent entraîner une distorsion de la réalité dans la mesure où celle-ci diffère des core stories qu’elles véhiculent, mais aussi en raison des distinctions qu’elles supposent. Elles imposent des discontinuités dans les rapports sociaux qui ont parfois un caractère artificiel ne résistant pas à l’analyse[209].

Dans le même sens, Atias soulignait que les cloisonnements opérés par les catégories juridiques « peuvent être porteurs de sclérose, d’erreurs, de conservatisme [in]justifié »[210]. Les catégories juridiques peuvent faire écran[211], créer une fausse impression de certitude et de clarté[212] ou empêcher la remise en question des connaissances qui les concernent[213].

Conclusion

Les recherches en sciences cognitives, dans le champ de la catégorisation, éclairent certaines dimensions du raisonnement peu théorisées par les juristes, à savoir notamment la représentation mentale des concepts, la qualification implicite du problème à résoudre et la fonction d’orientation des classifications juridiques. L’emploi de la méthode expérimentale permet de déterminer quels facteurs influent sur la qualification implicite et quelles catégories sont spontanément employées pour appréhender une situation factuelle qui relève du droit.

Nos réflexions dans le présent article ont porté sur la qualification juridique des faits. La qualification implicite oriente le juriste vers les régimes juridiques applicables. Elle repose sur la représentation mentale des catégories juridiques, qui en synthétise le contenu. En apparence banale, cette opération est l’une des plus complexes de la pensée. Si la qualification erronée conduit fréquemment à des erreurs dans l’application du droit, la facilité à qualifier les situations complexes est la marque d’un juriste accompli.

En identifiant plus clairement les catégories juridiques les plus utiles à la qualification implicite — les catégories de base — et en favorisant, dans l’enseignement du droit, leur représentation efficace, il serait possible d’accroître la compétence des juristes. Nos recherches démontrent que pour aider les étudiants en droit à développer un jugement sûr, il convient de leur présenter la dimension factuelle des catégories juridiques et de ne pas s’arrêter à leur définition légale. L’analyse de la jurisprudence, les exemples, les cas pratiques et l’enseignement clinique semblent particulièrement importants pour que les étudiants en retiennent une représentation efficace.

À ce propos, notre revue de la littérature a révélé une tension, présente aussi bien chez les psychologues que chez les juristes, entre ce que nous pourrions appeler le penchant synthétique et le penchant analytique dans la définition et la représentation des concepts. Certaines théories proviennent de l’idée que les concepts, pour être utiles, doivent être réduits à l’essentiel, d’où l’attrait de la définition classique et de la théorie du prototype. D’autres théories procèdent au contraire de l’idée que les concepts sont multiples, et qu’ils donnent accès à des informations riches et variées à propos des objets qu’ils désignent, d’où le rejet des définitions et l’attrait de la théorie des exemplaires. Le penchant synthétique nous semble caractériser davantage la tradition civiliste et le penchant analytique, celle de common law.

La qualification implicite peut être vue comme provisoire. Le raisonnement juridique qui s’ensuit permet de confirmer ou d’infirmer la qualification retenue. Ce raisonnement se fonde tantôt sur l’application des règles relevant de la catégorie juridique désignée, tantôt sur les arguments de qualification explicite. Plutôt que d’appliquer les règles, l’interprète se demande alors s’il est approprié de soumettre la situation factuelle au régime juridique envisagé. La qualification explicite, qui repose sur une compréhension globale de la catégorie juridique, accorde une marge de liberté à l’interprète et fait appel aux connaissances associées à la catégorie. Manifestement, cela suscite un malaise chez certains auteurs pour qui le raisonnement juridique doit se limiter à l’interprétation et l’application des règles. Ainsi, des théoriciens du droit — notamment Kelsen et Ross — ont cherché à réduire les catégories juridiques aux règles qui les composent, leur apport autonome étant jugé illégitime.

Nous comprenons ces réticences, mais n’en croyons pas moins que les catégories juridiques ont un rôle important qu’il convient d’élucider davantage. Il paraît futile de réduire la qualification explicite à l’interprétation et l’application des règles de droit. C’est en décrivant avec exactitude la contribution des catégories et de la qualification juridiques au raisonnement, qu’il sera possible de répondre aux enjeux qu’elles soulèvent, en particulier l’influence occulte des stéréotypes et le danger d’une manipulation de la qualification par l’interprète pour échapper à l’application de règles voulues par le législateur.

                       

[1]     Sur l’histoire de ces deux disciplines, voir Daniel Crevier, AI: The Tumultuous History of the Search for Artificial Intelligence, New York, BasicBooks, 1993.

[2]     Voir Jean-Louis Bergel, Théorie générale du droit, 5e éd, Paris, Dalloz, 2012 au para 169 [Bergel, Théorie]. L’auteur affirme que

[l]a « cognition juridique », c’est-à-dire la connaissance du droit, suppose de recourir à des concepts et des catégories qui permettent de saisir, de produire, de communiquer et de manier les objets qu’il doit régir et auxquels il doit s’appliquer. Tant la conception que la compréhension et l’application du droit reposent sur la représentation des phénomènes qu’il lui incombe de traiter par les éléments qui les constituent et les relations qu’ils impliquent entre des réalités humaines, sociales ou techniques et l’univers juridique (ibid).

[3]     Parmi les rares auteurs à avoir traité de la question, voir par ex Steven L Winter, A Clearing in the Forest: Law, Life, and Mind, Chicago, University of Chicago Press, 2001 [Winter, A Clearing in the Forest]; JE Penner, « Cognitive Science, Legal Theory, and the Possibility of an Observation/Theory Distinction in Morality and Law » dans Helen Reece, dir, Law and Science, vol 1, Oxford, Oxford University Press, 1998, 1 [Penner, « Cognitive Science »]; JE Penner, « Basic Obligations » dans Peter Birks, dir, The Classification of Obligations, Oxford, Clarendon Press, 1997, 81 [Penner, « Basic Obligations »]; Anthony G Amsterdam et Jerome Bruner, Minding the Law, Cambridge (Mass), Harvard University Press, 2000.

[4]     Amsterdam et Bruner, supra, note 3 aux pp 26–27.

[5]     Voir Peter Birks, dir, English Private Law, vol 1, Oxford, Oxford University Press, 2000 à la p xxix :

The biggest problem facing the common law at the beginning of the new century is the information overload. There has been an extraordinary acceleration in the rate of increase of the mass of available material […]. Almost every decision of the courts is now accessible. This puts the traditional methods of the common law under tremendous stress.

[6]     Voir Paul Roubier, Théorie générale du droit : histoire des doctrines juridiques et philosophie des valeurs sociales, 2e éd, Paris, Sirey, 1951 aux pp 15–17; Hervé Croze, Recherche sur la qualification en droit processuel français, thèse de doctorat en droit, Université Jean Moulin – Lyon 3, 1981 au para 151 [non publiée]; Charles Vautrot-Schwarz, La qualification juridique en droit administratif, Paris, Librairie générale de droit et de jurisprudence, 2009 aux para 17–18; Geoffrey Samuel, Epistemology and Method in Law, Aldershot, Ashgate, 2003 à la p 173 [Samuel, Epistemology].

[7]     Cette liste d’objets possibles ne prétend pas à l’exhaustivité.

[8]     Voir Bergel, Théorie, supra note 2 au para 169 (où l’auteur définit les catégories juridiques comme « des ensembles de droits, de choses, de personnes, de faits ou d’actes ayant entre eux des traits communs caractéristiques et obéissant à un régime commun »).

[9]     Voir François Terré, L’influence de la volonté individuelle sur les qualifications, t 2, Paris, Librairie générale de droit et de jurisprudence, 1957 au para 11 (« toute qualification contribue à traduire en termes de droit des données concrètes, dans le dessein de leur appliquer un régime juridique déterminé »). Voir aussi Jay M Feinman, « The Jurisprudence of Classification » (1989) 41:3 Stan L Rev 661 à la p 664 (« [i]n law the objects to be classified are the sets of facts that state disputes potentially subject to legal resolution »). Les situations factuelles n’ont pas qu’une existence physique; elles sont pour partie composées de faits sociaux, c’est-à-dire des représentations qu’en ont les acteurs et des significations qu’ils leurs confèrent (voir Jaap Hage, « The Meaning of Legal Status Words » dans Jaap C Hage et Dietmar von der Pfordten, dir, Concepts in Law, Dordrecht, Springer, 2009, 55 aux pp 59–62; John R Searle, The Construction of Social Reality, New York, Free Press, 1995; Ota Weinberger, « Beyond Positivism and Natural Law » dans Neil MacCormick et Ota Weinberger, An Institutional Theory of Law: New Approaches to Legal Positivism, Dordrecht, D Reidel Publishing, 1986, 111.

[10]    Voir Thomas Janville, La qualification juridique des faits, t 1, Aix-en-Provence, Presses Universitaires d’Aix-Marseille, 2004 au para 158 et s.

[11]    Voir Théodore Ivainer, « L’interprétation des faits en droit » [1986] JCP G I 3235; Marie-Laure Mathieu, Les représentations dans la pensée des juristes, Paris, IRJS, 2014 aux pp 199–202.

[12]    Voir Christian Atias, Épistémologie juridique, Paris, Dalloz, 2002 au para 174 [Atias, Épistémologie]. L’auteur évoque l’hypothèse, sur laquelle repose tout le système de la procédure civile,

d’une distinction parfaitement claire, explicite, évidente entre les faits, la question qu’ils posent, d’une part, et le droit, les appréciations qu’il suppose et les réponses qu’il apporte, d’autre part. La dissociation paraît radicale. La décision en droit vient après l’établissement des faits qui se coulent docilement dans les catégories et définitions juridiques. Pourtant, ces faits ne sont pas indemnes du point de vue juridique, de l’emprise du droit. Ils sont déterminés par le droit applicable, comme susceptibles de fonder leurs prétentions, d’en assurer le succès. Le droit régissant le litige vient avant les faits qui lui donnent naissance. La distinction du fait et du droit est ainsi juridique de part en part (ibid).

Voir aussi Geoffrey Samuel, « Qu’est-ce que le raisonnement juridique? » dans Jean-Yves Chérot et al, dir, Le droit, entre autonomie et ouverture : mélanges en l’honneur de Jean-Louis Bergel, Bruxelles, Bruylant, 2013, 449 à la p 464; Samuel, Epistemology, supra note 6 aux pp 39–40, 140, 181; François Geny, Science et Technique en droit privé positif : nouvelle contribution à la critique de la méthode juridique, t 3, Paris, Sirey, 1921 au para 178 (l’auteur a également distingué le « donné » et le « construit » du droit).

[13]    Voir Edwin W Patterson, « L’influence des faits sur les jugements de valeur juridique » dans Mélanges en l’honneur de Jean Dabin, Bruxelles, Bruylant, 1963, 197 [Mélanges Jean Dabin]; Alain Sériaux, Le Droit : une introduction, Paris, Ellipses, 1997 au para 231.

[14]    Voir Vautrot-Schwarz, supra note 6 au para 157.

[15]    Jean-Jacques Sueur, Une introduction à la théorie du droit, Paris, L’Harmattan, 2001 à la p 150. Voir aussi Danièle Lochak, « La race : une catégorie juridique? » (1992) 33 Mots 291 aux pp 291–92.

[16]    Voir Jacques Ghestin, Gilles Goubeaux et Muriel Fabre-Magnan, Traité de droit civil : introduction générale, 4e éd, Paris, Librairie générale de droit et de jurisprudence, 1994 au para 52 (où on ne distingue pas la qualification des faits au regard d’une catégorie juridique et leur subsomption au regard d’une règle). Voir aussi Alain Papaux, Essai philosophique sur la qualification juridique : de la subsomption à l’abduction. L’exemple du droit international privé, Bruxelles, Bruylant, 2003 aux pp 10, 102, 142, 374–75 [Papaux, Essai philosophique].

[17]    Voir Janville, supra note 10 aux para 9, 73, 156 (l’auteur ne distingue pas la qualification au regard d’un concept utilisé dans une règle et celle au regard d’une catégorie, c’est-à-dire d’un régime juridique). Voir aussi Gérard Cornu, dir, Vocabulaire juridique, 10e éd, Paris, Presses Universitaires de France, sub verbo « catégorie » ; ibid à la p xi.

[18]    Voir André-Jean Arnaud et Maria José Fariñas Dulce, Introduction à l’analyse sociologique des systèmes juridiques, Bruxelles, Bruylant, 1998 à la p 34; Vautrot-Schwarz, supra note 6 aux para 16–17.

[19]    Voir Cornu, supra note 17 à la p viii.

[20]    Voir Alf Ross, « Tû-Tû » (1957) 70:5 Harv L Rev 812 aux pp 819–21 [Ross, « Tû-Tû »].

[21]    Par concept juridique, nous entendons un concept employé ou défini par le droit. Un concept peut apparaître comme plus ou moins juridique, dépendant de la fréquence relative de son utilisation en droit et en dehors du droit, et selon que le sens juridique diffère ou non du sens courant.

[22]    À noter que la classification des règles de droit et la manière de nommer des régimes juridiques est largement affaire de convention, puisque plusieurs ordonnancements sont possibles des divers éléments qui composent le droit. Il se pourrait donc que dans un système juridique donné, les véhicules fassent l’objet d’une loi regroupant un ensemble de règles qui leur sont applicables, ce qui en ferait une catégorie juridique.

[23]    Voir Roubier, supra note 6 aux pp 17–23; R von Jhering, L’esprit du droit romain dans les diverses phases de son développement, t 1, 3e éd, Paris, Marescq, 1886 à la p 37; René Sève, « L’institution juridique : imposition et interprétation » (1990) 95:3 R Métaphysique & Morale 311; Geny, supra note 12 au para 213. Voir aussi Samuel, Epistemology, supra note 6, ch 4; Peter Stein, Legal Institutions: The Development of Dispute Settlement, Londres, Butterworths, 1984, ch 8–14.

[24]    Dominique Leydet, « Le droit au secours de la philosophie? Sur l’usage des catégories juridiques en philosophie politique » dans Georges Azzaria, dir, Le droit vu de l’extérieur : regards de non-juristes. Actes de la 3e journée d’étude sur la méthodologie et l’épistémologie juridiques tenue à l’Université Laval le 9 mai 2013 dans le cadre du colloque de l’ACFAS, mai 2013, en ligne : <azzaria.pressbooks.com/back-matter/appendix/>.

[25]    Voir Atias, Épistémologie, supra note 12 aux para 183–85.

[26]    Pour une analyse de la définition terminologique, voir B de Bessé, « La définition terminologique » dans Jacques Chaurand et Francine Mazière, La définition, Paris, Larousse, 1990, 252.

[27]    Voir C Eisenmann, « Quelques problèmes de méthodologie des définitions et des classifications en science juridique » dans Archives de philosophie du droit : la logique du droit, t 11, Paris, Sirey, 1966, 25 aux para 5–6; Bergel, Théorie, supra note 2 aux para 170, 172, 179; Anne Saris et Gaële Gidrol-Mistral, « Avers et revers de l’embryon congelé ou l’appréhension de la saisie par le droit du phénomène de l’embryon congelé par les doctrines civilistes et féministes » dans Georges Azzaria, dir, Les cadres théoriques et le droit. Actes de la 2e Journée d’étude sur la méthodologie et l’épistémologie juridiques, Cowansville (Qc), Yvon Blais, 2013, 157 aux pp 168–69.

[28]    Voir par ex Bergel, Théorie, supra note 2 au para 173.

[29]    Voir R Martin, « La définition “naturelle” » dans Chaurand et Mazière, supra note 26, 86 aux pp 88–89.

[30]    La démonstration la plus célèbre provient de Ludwig Wittgenstein, Recherches philosophiques, trad par Françoise Dastur et al, Paris, Gallimard, 2004 aux para 66–67.

[31]    Martin, supra note 29 à la p 88.

[32]    Sur les définitions en général, voir A Rey, « Polysémie du terme définition » dans Chaurand et Mazière, supra note 26, 13.

[33]    Jerry A Fodor, Concepts: Where Cognitive Science Went Wrong, Oxford, Clarendon Press, 1998 à la p 45.

[34]    Ibid à la p 46.

[35]    Voir Gregory L Murphy, The Big Book of Concepts, Cambridge, MIT Press, 2004 à la p 5; Arthur B Markman, « What Are Categories and Why Are They Coherent? » dans Woo-kyoung Ahn et al, dir, Categorization Inside and Outside the Laboratory: Essays in Honor of Douglas L Medin, Washington DC, American Psychological Association, 2005, 215 à la p 216.

[36]    Voir Murphy, supra note 35 aux pp 391–92; Markman, supra note 35 aux pp 221–22.

[37]    Voir Fodor, supra note 33 aux pp 24–25; Murphy, supra note 35 à la p 5; Markman, supra note 35 à la p 216. Pour une conception plus nuancée, voir aussi Lawrence W Barsalou, « Flexibility, Structure, and Linguistic Vagary in Concepts: Manifestations of a Compositional System of Perceptual Symbols » dans Alan F Collins et al, dir, Theories of Memory, vol 1, Hove, Lawrence Erlbaum Associates, 1993, 29 à la p 29 [Barsalou, « Flexibility »].

[38]    Voir Lawrence W Barsalou, « Ad hoc Categories » (1983) 11:3 Memory & Cognition 211 aux pp 212–13 [Barsalou, « Ad hoc Categories »].

[39]    Voir Frédéric Gosselin, Annie Archambault et Philippe G Schyns, « Interactions between Taxonomic Knowledge, Categorization, and Perception » dans Ulrike Hahn et Michael Ramscar, dir, Similarity and Categorization, New York, Oxford University Press, 2001, 225 aux pp 225, 228–30.

[40]    Atias, Épistémologie, supra note 12 au para 164. Voir aussi Thierry Tauran, « Les distinctions en droit privé » (2000) 25 RRJ 489 à la p 489.

[41]    Voir l’expérience 1 dans Eleanor Rosch, « Cognitive Representations of Semantic Categories » (1975) 104:3 J Experimental Psychology: General 192 aux pp 197–99; Michael E McCloskey et Sam Glucksberg, « Natural Categories: Well Defined or Fuzzy Sets? » (1978) 6:4 Memory & Cognition 462.

[42]    Voir Carolyn B Mervis et Eleanor Rosch, « Categorization of Natural Objects » (1981) 32 Annual Rev Psychology 89 à la p 96.

[43]    Voir Eleanor Rosch et Carolyn B Mervis, « Family Resemblances: Studies in the Internal Structure of Categories » (1975) 7 Cognitive Psychology 573 [Rosch et Mervis, « Family Resemblances »].

[44]    Voir ibid.

[45]    Voir l’expérience 1 dans Sharon Lee Armstrong, Lila R Gleitman et Henry Gleitman, « What Some Concepts Might Not Be » (1983) 13 Cognition 263 aux pp 274–80.

[46]    Voir Murphy, supra note 35 à la p 19. Murphy cite d’ailleurs à ce sujet HLA Hart et l’exemple tiré de la règle « no vehicles in the park » (voir HLA Hart, The Concept of Law, Oxford, Clarendon Press, 1961 aux pp 124–26 [Hart, Concept]).

[47]    Voir ci-dessous, partie II-B.

[48]    Voir Bergel, Théorie, supra note 2 aux para 169-1, 178, 180–81; Mathieu, supra note 11 à la p 302; Jacques Ghestin, Christophe Jamin et Marc Billiau, Traité de droit civil : les effets du contrat, 3e éd, Paris, Librairie générale de droit et de jurisprudence, 2001 au para 56; Cornu, supra note 17, sub verbo « qualification »; André-Jean Arnaud, dir, Dictionnaire encyclopédique de théorie et de sociologie du droit, Paris, Librairie générale de droit et de jurisprudence, 1988, sub verbo « qualification »; Serge Frossard, Les qualifications juridiques en droit du travail, Paris, Librairie générale de droit et de jurisprudence, 2000 au para 3. En common law, la qualification est désignée par les termes characterization ou classification (voir John D Falconbridge, « Characterization in the Conflict of Laws » (1937) 53:2 Law Q Rev 235 et (1937) 53:4 Law Q Rev 537).

[49]    Jean Rivero, « La distinction du droit et du fait dans la jurisprudence du Conseil d’État français » dans Centre National de Recherches de Logique, dir, Le fait et le droit : études de logique juridique, Bruxelles, Bruylant, 1961, 130 à la p 143.

[50]    Philippe Jestaz, « La qualification en droit civil » (1993) 18 Droits 45 à la p 52.

[51]    Ibid à la p 46.

[52]    Paul Amselek, Cheminements philosophiques dans le monde du droit et des règles en général, Paris, Armand Colin, 2012 à la p 446 [Amselek, Cheminements]; Paul Amselek, « L’interprétation à tort et à travers » dans Paul Amselek, dir, Interprétation et droit, Bruxelles, Bruylant, 1995, 11 à la p 25 [Amselek, Interprétation]. Un recoupement peut se produire entre ces deux procédés, lorsque le juriste applique la définition d’une catégorie juridique posée par une règle.

[53]    Voir ibid à la p 24 (l’auteur ajoute que: « qualifier des objets, des faits, des actes, des situations, c’est les subsumer sous des concepts »).

[54]    Voir Ridha Boukhari, « La qualification en droit international privé » (2010) 51:1 C de D 159 aux pp 167–71. Contra Vautrot-Schwarz, supra note 6 au para 234; Patrick Wachsmann, « Qualification » dans Denis Alland et Stéphane Rials, dir, Dictionnaire de la culture juridique, Paris, Presses Universitaires de France, 2003, 1277 aux
pp 1277–78.

[55]    Voir Amselek, Interprétation, supra note 52 à la p 23; Amselek, Cheminements, supra note 52 à la p 444. L’auteur voit la réduction de la règle à un schéma d’interprétation, chez Kelsen, comme un exemple de confusion entre qualification et interprétation — alors qu’il s’agit plutôt, nous semble-t-il, d’une référence à la subsomption, une opération complémentaire de l’interprétation et distincte de la qualification.

[56]    Croze, supra note 6 au para 101.

[57]    Voir par ex François Grua et Nicolas Cayrol, Méthode des études de droit : conseils pour le cas pratique, le commentaire, la dissertation et la note de synthèse, 3e éd, Paris, Dalloz, 2014 aux pp 42–43.

[58]    Voir Pascal Fréchette, « La qualification des contrats : aspects théoriques » (2010) 51:1 C de D 117 à la p 130; Vautrot-Schwarz, supra note 6 au para 54.

[59]    Voir Frossard, supra note 48 au para 5; François Blanchard, « Vers une théorie de la qualification juridique : les socles épistémiques de la catégorisation » dans Danièle Bourcier et Pierre Mackay, dir, Lire le droit : langue, texte, cognition, Paris, Librairie générale de droit et de jurisprudence, 1992, 223 aux pp 225–26.

[60]    Voir par ex Vautrot-Schwarz, supra note 6 au para 447 et s.

[61]    Voir Henri Motulsky, Principes d’une réalisation méthodique du droit privé : la théorie des éléments générateurs des droits subjectifs, Paris, Sirey, 1948 aux para 54–56. Voir aussi Croze, supra note 6 aux para 102–03.

[62]    Christian Atias, Questions et réponses en droit, Paris, Presses Universitaires de France, 2009 au para 151 [Atias, Questions].

[63]    Voir George Lakoff, Women, Fire, and Dangerous Things: What Categories Reveal about the Mind, Chicago, University of Chicago Press, 1987 à la p 6 [Lakoff, Women, Fire] (« [m]ost categorization is automatic and unconscious, and if we become aware of it at all, it is only in problematic cases »).

[64]    Voir Eleanor Rosch, « Principles of Categorization » dans Daniel J Levitin, dir, Foundations of Cognitive Psychology: Core Readings, Cambridge, MIT Press, 2002, 251 aux pp 260–63 [Rosch, « Principles »].

[65]    Voir Rosch et Mervis, « Family Resemblances », supra note 43 à la p 575.

[66]    Rosch, « Principles », supra note 64 aux pp 253–54.

[67]    Voir ibid aux pp 263–64. Voir aussi Fodor, supra note 33 à la p 105 (« having a recognitional concept requires being able to recognize good (clear, paradigmatic, etc.) instances of the concept. You don’t have BIRD unless you are inclined to take sparrows and the like to be birds »). Au chapitre 5, Fodor avance des arguments convaincants contre la théorie du prototype, malgré l’importance qu’il attribue à la typicalité dans l’acquisition et l’application des concepts (voir ibid aux pp 94 et s).

[68]    Voir par ex Murphy, supra note 35 aux pp 49–51, 113–14.

[69]    Voir Douglas L Medin et Marguerite M Schaffer, « Context Theory of Classification Learning » (1978) 85:3 Psychological Rev 207 aux pp 233–34. Voir aussi Robert M Nosofsky, « Exemplars, Prototypes, and Similarity Rules » dans Alice F Healy, Stephen M Kosslyn et Richard M Shiffrin, dir, From Learning Theory to Connectionist Theory: Essays in Honor of William K Estes, Hillsdale (NJ), Lawrence Erlbaum Associates, 1992, 149.

[70]    Voir Barsalou, « Flexibility », supra note 37 aux pp 53–56.

[71]    Voir Lloyd K Komatsu, « Recent Views of Conceptual Structure » (1992) 112:3 Psychological Bull 500 à la p 508.

[72]    Voir Kathy E Johnson, « Impact of Varying Levels of Expertise on Decisions of Category Typicality » (2001) 29:7 Memory & Cognition 1036.

[73]    Pour un aperçu et une présentation critique de différents modèles, voir Mary E Lassaline, Edward J Wisniewski et Douglas L Medin, « Basic Levels in Artificial and Natural Categories: Are All Basic Levels Created Equal? » dans Barbara Burns, dir, Percepts, Concepts and Categories: The Representation and Processing of Information, Amsterdam, Elsevier Science, 1992, 327 aux pp 348–52, 360–62.

[74]    Voir notamment Murphy, supra note 35 aux pp 114, 184; Stephen Dopkins et Theresa Gleason, « Comparing Exemplar and Prototype Models of Categorization » (1997) 51:3 Can J Experimental Psychology 212 à la p 226.

[75]    Voir Douglas L Medin, Mark W Altom et Timothy D Murphy, « Given Versus Induced Category Representations: Use of Prototype and Exemplar Information in Classification » (1984) 10:3 J Experimental Psychology: Learning, Memory & Cognition 333.

[76]    Voir Lawrence W Barsalou, « Context-Independent and Context-Dependent Information in Concepts » (1982) 10:1 Memory & Cognition 82 à la p 82 [Barsalou, « Context »].

[77]    Voir Barsalou, « Flexibility », supra note 37 à la p 33.

[78]    Voir Douglas L Medin et Edward J Shoben, « Context and Structure in Conceptual Combination » (1988) 20 Cognitive Psychology 158.

[79]    Voir Elizabeth B Lynch, John D Coley et Douglas L Medin, « Tall is Typical: Central Tendency, Ideal Dimensions, and Graded Category Structure among Tree Experts and Novices » (2000) 28:1 Memory & Cognition 41. Cela rejoint les recherches de Barsalou sur les catégories ad hoc créées en fonction d’un but (par exemple, « taken on camping trips »). Les exemplaires les plus typiques sont ceux qui répondent le mieux à la fonction associée à la catégorie (voir Barsalou, « Ad hoc Categories », supra note 38 à la p 224). Voir aussi Murphy, supra note 35 aux pp 36–37.

[80]    Voir Douglas L Medin, « Concepts and Conceptual Structure » (1989) 44:12 American Psychologist 1469 [Medin, « Concepts »]; Gregory L Murphy et Douglas L Medin, « The Role of Theories in Conceptual Coherence » (1985) 92:3 Psychological Rev 289.

[81]    Voir Komatsu, supra note 71 à la p 515.

[82]    Voir  Lakoff, Women, Fire, supra note 63 à la p 118.

[83]    Voir Woo-kyoung Ahn et Nancy S Kim, « The Effect of Causal Theories on Mental Disorder Diagnosis » dans Woo-kyoung Ahn et al, supra note 35, 273.

[84]    Voir Medin, « Concepts », supra note 80 à la p 1476.

[85]    Voir Lakoff, Women, Fire, supra note 63 à la p 160–61.

[86]    Voir Murphy, supra note 35 aux pp 62–63, 141 et s.

[87]    Voir Lakoff, Women, Fire, supra note 63 à la p 68 et s.

[88]    Voir ibid à la p 69 et généralement aux ch 4, 8.

[89]    Voir ibid aux pp 21–22, 45. Voir aussi McCloskey et Glucksberg, supra note 41.

[90]    Voir Barsalou, « Ad hoc Categories », supra note 38 à la p 224; Barsalou, « Context », supra note 76 à la p 88.

[91]    Voir Lakoff, Women, Fire, supra note 63 à la p 87.

[92]    Voir ibid aux pp 74–76, 83, 91.

[93]    Voir ibid aux pp 17–20, 77 et s. Voir aussi l’exemple du chèque mis en lumière par Jonnette Watson Hamilton, « Theories of Categorization: A Case Study of Cheques » (2002) 17:1 RCDS 115 à la p 122.

[94]    Voir Lakoff, Women, Fire, supra note 63 aux pp 13, 153–54.

[95]    Voir Hart, Concept, supra note 46 à la p 119.

[96]    LRC 1985, c B-4.

[97]    Watson Hamilton, supra note 93 à la p 128.

[98]    Voir Winter, A Clearing in the Forest, supra note 3 aux pp 71–76 (où l’auteur décrit les extensions progressives qui forment les « radial categories »). Linda L Berger a appliqué ce modèle à la personne morale, qui serait une extension métaphorique de la personne humaine, ce qui a pu contribuer à ce qu’elle réussisse à se prévaloir de la protection constitutionnelle de la liberté d’expression : Linda L Berger, « What Is the Sound of a Corporation Speaking? How the Cognitive Theory of Metaphor Can Help Lawyers Shape the Law » (2004) 2 J Assoc Leg Writing Directors 169. En accord avec Marie-Claude Prémont, Tropismes du droit : logique métaphorique et logique métonymique du langage juridique, Montréal, Liber, 2003, ch 4.

[99]    Steven L Winter, « Transcendental Nonsense, Metaphoric Reasoning, and the Cognitive Stakes for Law » (1989) 137:4 U Pa L Rev 1105 à la p 1115 [Winter, « Transcendental Nonsense »]. Voir aussi George Lakoff, « Cognitive Science and the Law », en ligne : <https://georgelakoff.files.wordpress.com/2011/04/cognitive-science-and-the-law-lakoff-1990s.pdf>  aux pp 1–4.

[100] Voir Winter, « Transcendental Nonsense », supra note 99 aux pp 1142–46 (l’auteur affirme que la hiérarchie des tribunaux et des normes est structurée par ce schème).

[101] Voir ibid aux pp 1150–51 (l’auteur affirme que les dichotomies du type « P/non-P » sont structurées par ce schème, qui renvoie aussi à l’idée de contenant).

[102] Voir Steven L Winter, « The Metaphor of Standing and the Problem of Self-Governance » (1988) 40:6 Stan L Rev 1371 à la p 1382 et s (l’auteur montre que le standing (l’intérêt pour agir) est une métaphore et que les tribunaux font largement appel au schème de la poursuite d’un but et à celui du tout et de ses parties dans l’application de cette doctrine).

[103] Winter, « Transcendental Nonsense », supra note 99 aux pp 1130–31. Voir aussi Lakoff, Women, Fire, supra note 63 à la p xiv (« thought is embodied, that is, […] the core of our conceptual systems is directly grounded in perception, body movement, and experience of a physical and social character » [italiques dans l’original]). Voir aussi Mathieu, supra note 11 aux pp 147 et s (dénonçant certains pièges inhérents à de telles représentations).

[104] Voir Penner, « Cognitive Science », supra note 3 aux pp 10–24. Voir aussi la critique de Dennis Patterson, « Fashionable Nonsense » (2003) 81:3 Tex L Rev 841.

[105] Voir Penner, « Cognitive Science », supra note 3 aux pp 10–24. Penner souligne toutefois l’importance des recherches en science cognitive, qui permettraient selon lui de vérifier l’hypothèse que certains concepts sont innés, ce qui lui semble la seule explication plausible du fait que les concepts sont acquis si rapidement par l’enfant (voir ibid aux pp 24–25).

[106] Voir Bergel, Théorie, supra note 2 au para 172.

[107] Penner, « Cognitive Science », supra note 3 à la p 7.

[108] Nous empruntons cette distinction à Feinman, supra note 9 aux pp 672–77.

[109] Voir Croze, supra note 6 aux para 175–79.

[110] Bergel, Théorie, supra note 2 au para 173. L’auteur y affirme également :

La définition d’un concept juridique doit en décrire la substance et en révéler les critères distinctifs. […]

[…] Il faut alors qu’à la définition donnée ne puisse correspondre qu’un seul concept. Si l’on attribue une même qualification, une fois en fonction de l’absence ou de la présence des éléments E1 + E2, et une autre fois de celle des éléments E3 + E4, cela signifie soit que cette qualification correspond à deux concepts distincts, soit qu’elle s’applique à un seul concept (E1 + E2 + E3 + E4), mais qui n’est chaque fois qu’insuffisamment défini (ibid).

[111] Art 1851 CcQ.

[112] Bergel, Théorie, supra note 2 au para 169.

[113] Ibid au para 172. Voir aussi Vautrot-Schwarz, supra note 6 au para 87 et s (proposant d’identifier les catégories juridiques par leurs éléments).

[114] Vautrot-Schwarz, supra note 6 au para 27.

[115] Voir HLA Hart, « The Ascription of Responsibility and Rights » (1949) 49 Proceedings Aristotelian Society 171 à la p 173.

[116] Voir Arthur Allen Leff, « Contract as Thing » (1970) 19:2 Am UL Rev 131 à la p 134 (« the great power of the classificatory process lies in the fact that identification criteria for class membership are frequently different from, and easier to use than, the purposive aim which the classification was formed to serve »). Cet auteur montre ensuite l’importance de tenir compte du but de la classification pour s’assurer que les critères analytiques sont en adéquation avec ceux-ci.

[117] Voir Atias, Questions, supra note 62 au para 153; Motulsky, supra note 61 aux para 57–59.

[118] La définition des concepts juridiques ne parvient pas non plus à faire abstraction de leurs effets, comme le souligne Cornu, supra note 17 à la p xi :

il s’est avéré impossible d’évacuer la considération des effets de droit que produisent des éléments de l’ordre juridique. Le principe de leurs conséquences entre dans leur définition. Comment définir la violence sans préciser qu’elle constitue un vice du consentement, cause de nullité relative du contrat […]?

[119] Voir Terré, supra note 9 au para 13 (l’auteur parle d’un « réflexe du régime sur la qualification »); Bernard Chenot, « La notion de service public dans la jurisprudence économique du Conseil d’État » dans Études et documents, Paris, Imprimerie nationale, 1950, 77 aux pp 81–82.

[120] Voir Jean-Louis Bergel, Méthodologie juridique, 2e éd, Paris, Presses Universitaires de France, 2016 au para 78.

[121] Feinman, supra note 9 aux pp 672–73. Voir dans le même sens Amsterdam et Bruner, supra note 3 aux pp 52–53.

[122] Voir Fréchette, supra note 58 aux pp 126–27; Marcel Waline, « Empirisme et conceptualisme dans la méthode juridique : faut-il tuer les catégories juridiques? » dans Mélanges Jean Dabin, supra note 13, 359 à la p 367.

[123] Voir Ghestin, Goubeaux et Fabre-Magnan, supra note 16 aux para 55–56.

[124] Voir Vautrot-Schwarz, supra note 6 aux para 538–39.

[125] Voir Janville, supra note 10 au para 280 et s.

[126] Voir Fréchette, supra note 58 à la p 145; Mathieu Devinat, « Les définitions dans les codes civils » (2005) 46:1-2 C de D 519 aux pp 527–29.

[127] Jacobellis v Ohio, 378 US 184 à la p 197, 84 S Ct 1676 (1964).

[128] Atias, Épistémologie, supra note 12 au para 188. Voir aussi Samuel, Epistemology, supra note 6 à la p 217.

[129] Voir Atias, Épistémologie, supra note 12 au para 197.

[130] Voir Motulsky, supra note 61 aux para 22, 56; Amsterdam et Bruner, supra note 3 aux pp 21–26.

[131] Voir Croze, supra note 6 au para 167 et s; Bergel, Théorie, supra note 2 aux para 178.

[132] Bergel parle dans ce cas de « catégories cumulatives » (Théorie, supra note 2 au para 189). Il peut arriver que les catégories juridiques se chevauchent du point de vue factuel et juridique, lorsqu’une norme est réitérée au sein de plusieurs régimes juridiques visant les mêmes situations factuelles. Par exemple, la garantie de qualité dans la vente figure au Code civil du Québec (arts 1726 et s CcQ) et à la Loi sur la protection du consommateur, LRQ c P-40.1, arts 34 et s, sans que le régime de cette dernière ne déroge de manière importante à celui du premier. Ce phénomène de redondance législative s’accroit avec la popularité des lois dites « autoportantes », qui cherchent à définir le cadre juridique complet d’un secteur d’activités, quitte à y réitérer des règles qui figurent déjà dans des lois par ailleurs applicables, en particulier le Code civil du Québec. Cette pratique n’apparaît pas souhaitable dans un souci d’économie dans l’énonciation des règles et de maintien d’un droit commun à portée générale.

[133] Voir Atias, Épistémologie, supra note 12 aux para 189–95.

[134] Voir Pierre Schlag, « The Aesthetics of American Law » (2002) 115:4 Harv L Rev 1047 (mettant en relief différentes esthétiques à l’œuvre dans la pensée juridique, auxquelles correspondent des manières différentes de classifier les règles et la documentation juridique).

[135] Voir Robert Leckey, « Territoriality in Canadian Administrative Law » (2004) 54:3 UTLJ 327 aux pp 335–37; Michelle Cumyn, « La classification des catégories juridiques en droit comparé : métaphores taxonomiques » (2008) 110:1 R du N 1 aux pp 13–23 [Cumyn, « Catégories juridiques »].

[136] Cela rappelle la distinction entre l’approche phénétique et l’approche phylogénique en taxonomie (voir Cumyn, « Catégories juridiques », supra note 135 aux pp 25 et s,
32 et s).

[137] Voir Mathieu Devinat, La règle prétorienne en droit civil français et dans la common law canadienne : étude de méthodologie juridique comparée, Aix-en-Provence, Presses Universitaires d’Aix-Marseille, 2005 aux pp 349 et s.

[138] Voir Cornu, supra note 17 à la p x (soulignant l’importance de « [s]e soumettre à l’usage, c’est-à-dire [d’être] à l’écoute de ce qui se dit dans le monde du Droit (loi, jurisprudence, doctrine, pratique administrative ou notariale, style du Palais) », afin d’en induire la définition lexicale des concepts juridiques).

[139] Voir le modèle proposé par Bergel, Théorie, supra note 2 au para 184 et s; Eisenmann, supra note 27 au para 16.

[140] Ibid au para 180.

[141] Voir Günter Reiner, « Les dichotomies en droit » dans Georges Azzaria, dir, Les nouveaux chantiers de la doctrine juridique. Actes des 4e et 5e journées d’étude sur la méthodologie et l’épistémologie juridiques, Montréal, Yvon Blais, 2016, 407 aux pp 440–42. Voir toutefois Bergel, Théorie, supra note 2 au para 183.

[142] Atias, Épistémologie, supra note 12 au para 186.

[143] Ibid au para 188.

[144] Voir Lassaline, Wisniewski et Medin, supra note 73 aux pp 332–35.

[145] Voir Eleanor Rosch et al, « Basic Objects in Natural Categories » (1976) 8 Cognitive Psychology 382 aux pp 387–93 [Rosch, « Basic Objects »] (experience 1).

[146] Voir ibid aux pp 393–405 (experiences 2–4); Barbara Tversky et Kathleen Hemenway, « Objects, Parts, and Categories » (1984) 113:2 J Experimental Psychology: General 169 aux pp 186–87.

[147] Voir Rosch, « Basic Objects », supra note 145 aux pp 422–24 (experience 10).

[148] Voir ibid aux pp 414–22 (experiences 8–9).

[149] Voir Brent Berlin, « Speculations on the Growth of Ethnobotanical Nomenclature » (1972) 1:1 Language Society 51 aux pp 78, 80.

[150] Voir Roger Brown, « How Shall a Thing Be Called? » (1958) 65:1 Psychological Rev 14 à la p 14.

[151] Voir Rosch, « Basic Objects », supra note 145 aux pp 387–405 (expériences 1–4).

[152] Voir J Frederico Marques, « The General/Specific Breakdown of Semantic Memory and the Nature of Superordinate Knowledge: Insights from Superordinate and Basic-Level Feature Norms » (2007) 24:8 Cognitive Neuropsychology 879.

[153] Voir Ainat Pansky et Asher Koriat, « The Basic-Level Convergence Effect in Memory Distortions » (2004) 15:1 Psychological Science 52.

[154] Voir Rosch, « Basic Objects », supra note 145 aux pp 412–14 (experience 7); Gregory L Murphy et Edward E Smith, « Basic-Level Superiority in Picture Categorization » (1982) 21:1 J Verbal Learning & Verbal Behavior 1.

[155] Voir Rosch, « Basic Objects », supra note 145 aux pp 412–14 (experience 7); Pierre Jolicoeur, Mark A Gluck et Stephen M Kosslyn, « Pictures and Names: Making the Connection » (1984) 16 Cognitive Psychology 243.

[156] Voir Gregory L Murphy et Hiram H Brownell, « Category Differentiation in Object Recognition: Typicality Constraints on the Basic Category Advantage » (1985) 11:1 J Experimental Psychology: Learning, Memory & Cognition 70; Timothy T Rogers et Karalyn Patterson, « Object Categorization: Reversals and Explanations of the Basic-Level Advantage » (2007) 136:3 J Experimental Psychology: General 451.

[157] Voir Jolicoeur, Gluck et Kosslyn, supra note 155 à la p 253.

[158] Voir ibid à la p 246.

[159] Voir Frédéric Gosselin et Philippe G Schyns, « Why Do We SLIP to the Basic Level? Computational Constraints and their Implementation » (2001) 108:4 Psychological Rev 735; Murphy et Smith, supra note 154 à la p 1.

[160] Voir Marc J-M Macé et al, « The Time-Course of Visual Categorizations: You Spot the Animal Faster than the Bird » (2009) 4:6 PLoS ONE 1; Murphy et Brownell, supra note 156.

[161] Voir Marques, supra note 152 à la p 881; Gregory L Murphy et Edward J Wisniewski, « Categorizing Objects in Isolation and in Scenes: What a Superordinate Is Good For » (1989) 15:4 J Experimental Psychology: Learning, Memory & Cognition 572.

[162] Voir Joseph Raz, The Concept of a Legal System: An Introduction to the Theory of Legal System, 2e éd, Oxford, Clarendon Press, 1980 aux pp 142–46; Michelle Cumyn, « Les catégories, la classification et la qualification juridiques : réflexions sur la systématicité du droit » (2011) 52:3-4 C de D 351 à la p 357.

[163] Voir Anthony Rifkin, « Evidence for a Basic Level in Event Taxonomies » (1985) 13:6 Memory & Cognition 538; Michael W Morris et Gregory L Murphy, « Converging Operations on a Basic Level in Event Taxonomies » (1990) 18:4 Memory & Cognition 407.

[164] Croze, supra note 6 au para 158. Voir aussi Cornu, supra note 17 à la p vii (observant que les termes retenus dans son Vocabulaire juridique correspondent à une « unité linguistique élémentaire qui n’est ni la plus petite ni la plus grande »).

[165] Voir Penner, « Basic Obligations », supra note 3 aux pp 93 et s. Voir aussi Feinman, supra note 9 à la p 700 (l’auteur fait brièvement référence à la notion de catégorie de base, mais semble vouloir l’appliquer à des catégories trop abstraites, à savoir le contrat et les torts).

[166] Penner, « Cognitive Science », supra note 3 à la p 30.

[167] Voir Penner, « Basic Obligations », supra note 3 aux pp 98–101.

[168] Voir Gosselin et Schyns, supra note 159.

[169] Les catégories de contrats utilisées dans la version anglaise de l’expérience, pour le groupe des étudiants de l’Université Queen’s, étaient adaptées à la common law : voir la figure 2. Les scénarios étaient conçus pour s’inscrire aussi bien dans les catégories de droit civil que de common law.

[170] Voir en ce sens Penner, « Basic Obligations », supra note 3 à la p 93. Voir aussi Rifkin, supra note 163 à la p 544 qui, au moyen de plusieurs tâches d’énumération, détermine que les catégories « meurtre » et « vol » sont des catégories du niveau de base, tandis que la catégorie « crime » est supérieure au niveau de base.

[171] Des résultats semblables ont été obtenus par Rifkin dans ses expériences sur les catégories d’événements (voir ibid aux pp 541–42).

[172] Voir Murphy et Smith, supra note 154 à la p 9.

[173] Voir Vautrot-Schwarz, supra note 6 au para 453; Motulsky, supra note 61 aux para 19–20, 56.

[174] Léon Husson, « Les apories de la logique juridique » dans La logique juridique, IIe Colloque de Philosophie du droit comparée. Annales de la faculté de droit et des sciences économiques de Toulouse, t 15, fasc 1, Toulouse, Faculté de droit, 1967, 29 à la p 56.

[175] Voir Mireille Delmas-Marty, Pour un droit commun, Paris, Seuil, 1994 aux pp 164–67 [Delmas-Marty, Droit commun]; Mireille Delmas-Marty, « Vers une autre logique juridique : à propos de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme » [1988] D Chron 221 à la p 223. Voir dans le même sens Marie-Laure Mathieu-Izorche, Logique et raisonnement juridique, 2e éd, Paris, Presses Universitaires de France, 2015 aux pp 336 et s. Voir aussi, à propos de la théorie des sous-ensembles flous, LA Zadeh, « Fuzzy Sets » (1965) 8 Information & Control 338; Bernadette Bouchon-Meunier, La logique floue, 4e éd, Paris, Presses Universitaires de France, 2007.

[176] Voir Bouchon-Meunier, supra note 175 à la p 8.

[177] Voir ibid à la p 16.

[178] Voir Delmas-Marty, Droit commun, supra note 175 aux pp 166–67.

[179] Pour un exemple tiré de la Loi sur les lettres de change, supra note 95, voir Watson Hamilton, supra note 93 à la p 118.

[180] Voir Roubier, supra note 6 aux pp 16–17; Amsterdam et Bruner, supra note 3 aux pp 43–44; Geny, supra note 12 aux para 179–91.

[181] Rudolf von Jhering, « Im juristischen Begriffshimmel » dans Scherz und Ernst in der Jurisprudenz: Eine Weihnachtsgabe für das juristische Publikum, Wissenschaftliche Buchgesellschaft, Darmstadt, 1898, 249–51 [notre traduction]. Pour une traduction complète en langue anglaise, voir Rudolf von Jhering, « In the Heaven for Legal Concepts: A Fantasy », traduit par Charlotte L Levy (1985) 58 Temple LQ 799.

[182] Voir Hans Kelsen, Théorie pure du droit, 2e éd, traduit par Charles Eisenmann, Paris, Dalloz, 1962 aux pp 176–79.

[183] Voir ibid à la p 253. Voir aussi Samuel, Epistemology, supra note 6 à la p 135.

[184] Voir HLA Hart, « Jhering’s Heaven of Concepts and Modern Analytical Jurisprudence » dans HLA Hart, Essays in Jurisprudence and Philosophy, Oxford, Clarendon Press, 2001, 265.

[185] Voir Felix S Cohen, « Transcendental Nonsense and the Functional Approach » (1935) 35:6 Colum L Rev 809; Brian Z Tamahana, Beyond the Formalist-Realist Divide: The Role of Politics in Judging, Princeton, Princeton University Press, 2010.

[186] Voir Bergel, Théorie, supra note 2 au para 169; Amselek, Interprétation, supra note 52 à la p 22.

[187] Jean Rivero, « Apologie pour les “faiseurs de systèmes” » [1951] D Chron 99 à la p 100 [Rivero, « Apologie »]. Ce texte est une réponse à l’étude de Chenot, supra note 119, qui discrédite les efforts de la doctrine de donner du service public une définition abstraite permettant de rendre compte de ses application concrètes dans la jurisprudence.

[188] Rivero, « Apologie », supra note 187 aux pp 100.

[189] Ibid aux pp 101. Voir aussi Waline, supra note 122 à la p 367.

[190] Voir Stephen A Smith, « A Map of the Common Law? » (2004) 40:3 Can Bus LJ 364 aux pp 365–66. Voir aussi Bergel, Théorie, supra note 2 au para 180.

[191] Voir Hans-Peter Haferkamp, « Begriffsjurisprudenz / Jurisprudence of Concepts »
(6 avril 2011), Enzyklopädie zur Rechtsphilosophie, en ligne : <www.enzyklopaedie-rechtsphilosophie.net/inhaltsverzeichnis/19-beitraege/105-jurisprudence-of-concepts> au para 1 :

        Begriffsjurisprudenz is a polemical German term for a conceptual and mathematical orientation in jurisprudence, which is accused of being remote from reality. No jurist has ever called himself a follower of the Begriffsjurisprudenz (“Begriffsjurist”). Even if there is consensus that B. is objectionable, an authoritative definition of B. has never been reached. In general, Begriffsjurisprudenz is assigned to three interrelated elementary positions, which are criticized as being misleading: (1) that the given law contains no gaps, (2) that the given law can be traced back to a logically organized system of concepts (“pyramid of concepts”), (3) that new law can be logically deduced from superordinate legal concepts, which themselves are found inductively (“method of inversion”).

[192] Voir Motulsky, supra note 60 au para 22.

[193] Voir Peter Birks, « Editor’s Preface » dans Birks, Classification, supra note 3, v. Voir aussi Peter Birks, « Definition and Division: A Meditation on Institutes 3.13 » dans Birks, Classification, supra note 3, 1.

[194] Voir Michelle Cumyn et Mélanie Samson, « La méthodologie juridique en quête d’identité » (2013) 71:2 RIEJ 1 aux pp 3 et s.

[195] Voir Papaux, Essai philosophique, supra note 16 aux pp 165–70, 325 et s. Voir aussi Alain Papaux, « Un modèle dynamique de catégorisation juridique : l’“encyclopédie” sémiotique de U. Eco » (2004) 17 RISJ 1.

[196] Voir Atias, Épistémologie, supra note 12 au para 196; Amsterdam et Bruner, supra note 3 aux pp 24, 33–37; Gregory S Alexander, « The Transformation of Trusts as Legal Category, 1800–1914 » (1987) 5 L & Hist Rev 303 aux pp 314–15.

[197] Voir Ross, supra note 20.

[198] Ibid à la p 819. Voir aussi Alf Ross, « Definition in Legal Language » (1958) 1:3-4 Logique & analyse 139 aux pp 142–46.

[199] Voir Ross, « Tû-Tû », supra note 20 à la p 820.

[200] Ibid à la p 818.

[201] Voir ibid.

[202] Voir ibid à la p 812 (« [t]he talk about tû-tû is pure nonsense »).

[203] Voir Olivier Cayla, « Ouverture : la qualification, ou la vérité du droit » (1993) 18 Droits 3.

[204] Voir Amsterdam et Bruner, supra note 3 à la p 43; Gary Blasi, « Advocacy Against the Stereotype: Lessons from Cognitive Social Psychology » (2002) 49:5 UCLA L Rev 1241.

[205] Voir Linda Hamilton Krieger, « The Content of Our Categories: A Cognitive Bias Approach to Discrimination and Equal Employment Opportunity » (1995) 47:6 Stan L Rev 1161 à la p 1166. Voir aussi Lon L Fuller, « Positivism and Fidelity to Law: A Reply to Professor Hart » (1958) 71:4 Harv L Rev 630 à la p 664.

[206] Voir Hamilton Krieger, supra note 205 aux pp 1186–88.

[207] Voir ibid à la p 1188.

[208] Ibid à la p 1166. Voir aussi Amsterdam et Bruner, supra note 3 à la p 22.

[209] Voir Claire Neirinck, « Le droit à la recherche de ses catégories » dans Claire Neirinck, dir, De la bioéthique au bio-droit, Paris, Librairie générale de droit et de jurisprudence, 1994, 151 à la p 154; Duncan Kennedy, « The Stages of the Decline of the Public/Private Distinction » (1982) 130:6 U Pa L Rev 1349 à la p 1351.

[210] Atias, Épistémologie, supra note 12 au para 196. Voir aussi Leff, supra note 116 aux pp 135–36.

[211] Voir Atias, Épistémologie, supra note 12 au para 200.

[212] Voir ibid aux para 201–02.

[213] Voir ibid au para 203.