Article Volume 27:2

Les jugements relatifs aux créances libellées en monnaie étrangère en droit anglais, français et canadien

Table of Contents

Les jugements relatifs aux cr~ances libelles en monnaie 6trangire

en droit anglais, fran~ais et canadien

Khaled Chebil*

Synopsis

Introduction
Premiere partie: La date de conversion en droit anglais
I.

La rZgle relative aux dettes contractuelles libelles en monnaie
6trang~re
A. L’dvolution jurisprudentielle
B. Le revirement jurisprudentiel

1. Le revirement au niveau de la Court of Appeal
2. Le revirement au niveau de la House of Lords

a. La possibilitd de Juger en une monnaie dtrangere
b. La date de conversion

II.

3. Les prolongements de l’arr~t Miiangos
La date de conversion des dommages-intrts
A. L’dvaluation en monnaie itrangire des dommages-intir~ts en

matidre contractuelle

B. L’valuation des dommages-intir~ts en matidre dclictuelle

Deuxiime partie: La date de conversion en droit fran ais
I.
II.

Les propositions doctrinales
Les diverses dates retenues par la loi et la jurisprudence
A. Les prescriptions ldgales
B. La position jurisprudentielle

Troisi~me partie: La date de conversion en droit canadien
I.
II.

La constitutionnalit6 de l’article 11
La breach date rule

* D.E.A. en droit international public et priv6, I.D.P.D., Universit6 de Nice; L.L.M.,
McGill University. L’auteur tient A remercier Mine le professeur E. Groffier pour ses
commentaires et ses conseils dans la redaction de cet article.

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III. L’tat de la jurisprudence A la suite de ]a r~forme anglaise

A. La position de la Cour supdrieure du Qudbec: l’affaire Kraft v.

Otto

B. La position de la High Court of Ontario:

l’affaire Batavia Times Publishing Co. v. Davis

Conclusion

Introduction

La monnaie, cr66e et r6glementde par l’Etat, est destinde avant tout A
servir de moyen de compte et de paiement exclusif dans les relations entre
particuliers se d6roulant sur le territoire national. L’int6grit6 de cet aspect
fondamental de la souverainet6 des ttats a R6 jalousement prot6g6e et
appuy6e par des principes 6nonc6s A cette fin tels le monopole d’6mission, le
nominalisme mon6taire, le cours legal et le cours force. Les cons6quences
ddcoulant de ces principes ont toutefois vari6 d’un pays A l’autre. Certains les
interpr~tent strictement, d’autres, d’une fagon extensive. Mais dans ]a
plupart des pays, le cours 16gal et le cours force6 ont eu pour effet d’obliger le
juge national A libeller son jugement en sa propre monnaie alors qu’une
monnaie 6trang~re 6tait i la base du litige. Cette r~gle le lie 6galement
lorsqu’il dolt examiner l’exequatur d’un jugement 6tranger en monnaie
6trang&re.’ Ce principe pose automatiquement au tribunal saisi le probl~me
du choix de la date de conversion de la cr6ance libell6e en monnaie 6trang~re
en sa monnaie nationale. Faut-il tenir compte de I’6quivalent de ]a dette en
monetae fori au jour de 1’6chance, ou bien serait-il plus juste pour le
cr~ancier d’ordonner la conversion au taux du jour du jugement? Une
troisi~me possibilit6 serait de retenir le taux du jour du paiement effectif.
A cause de rintensification sans pr6c~dent des 6changes entre les nations
et de l’instabilit6 mondtaire qui marquent notre 6poque r6cente, cette
question revat un int6r~t pratique consid6rable. La monnaie n’6tant plus

IVoir A. Nussbaum, Money in the Law, National and International [;] A Comparative
Study in the Borderline of Law and Economics, 2e 6d. (1950), A la p. 152; F. Mann, The
Legal Aspect of Money, 3e 6d. (1971), Ala p. 350 et seq. Cet auteur mentionne les pays ot il
est admis que le juge prononce une condamnation mon~taire en une monnaie autre que celle
du forum (e.g., Autriche, Br6zil, Danemark, Egypte, Allemagne, Italie, Norv6ge et Suisse).
L’auteur cite 6galement ]a Pologne, mais il faut remarquer que ]a Cour supreme de ce pays a
condamn6 cette pratique. Voir A cet effet, le r6sum6 de l’affaire Macie S. v. Wanelin S. in
(1977) 104 Journal du droit international priv6 [ci-aprs: Clunet] 144. Celle-ci affirma que
les tribunaux polonais ne peuvent accorder des sommes d’argent en une monnaie autre que
le zloty polonais. Voir aussi G. Van Hecke, “Private International Law” in International
Encyclopedia of Comparative Law, Currency (1972), Vol. III, aux pp. 36-12 et seq., ainsi que
Problmesjuridiques des emprunts internationaux, 2e 6d. (1964), aux pp. 169 et seq.

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JUGEMENTS EN MONNAIE ETRANGERE

immuable, il peut arriver que dans l’intervalle entre l’ ch6ance de la dette et
son paiement effectif par les moyens judiciaires, la monnaie de compte
choisie par les parties et celle de paiement ordonn~e par lejuge, perdent de la
valeur l’une par rapport A l’autre, ce qui entrainera une fluctuation de la
cr6ance pouvant porter atteinte aux droits des parties.2

Premiere partie: La date de conversion en droit anglais

Le droit anglais a connu une 6volution qui a transform6 radicalement
les r~gles concernant le pouvoir des tribunaux de ce pays d’exprimer des
jugements en monnaie 6trang~re. Le principe selon lequel lesjuges anglais ne
peuvent prononcer des jugements qu’en livres sterling, fut 6nonc6 pour la
premiere fois en 1605 dans l’affaire Rastell v. Draper,3 dans laquelle la Cour
refusa de rendre un jugement en monnaie flamande. Cette r~gle fut
confirm6e d’une fagon non 6quivoque par 1’affaire Manners v. Pearson &
Son.4 Depuis cette decision et jusqu’&t une 6poque rcente, le principe fut
indiscutable en droit anglais.

Deux r~gles proc~durales ont 6t6 d~gag6es de ce principe:

– Le crdancier impay6 qui r6clame devant les tribunaux anglais une somme
d’argent en monnaie 6trang~re, est tenu de formuler sa demande en livres
sterling, au taux du jour de l’ chance de sa dette. C’est ainsi que par
exemple, dans un contrat de prat non honor6, c’est le taux de change dujour
pr~vu pour le remboursement qui est retenu.
– En mati~re d6lictuelle comme en mati6re contractuelle, l’ valuation et la
conversion des dommages subis par la conduite fautive du d~biteur se font en
fonction du taux du jour de leur r6alisation. C’est la breach date rule.

Ces r~gles de proc6dure sont appliqu6es par les tribunaux anglais en
vertu de la lexfori, sans tenir compte de la loi r6gissant le contrat. Que reste-t-
il actuellement de cette construction pr~torienne? Nous allons examiner
dans un premier
r~gles actuellement appliqu~es par la

temps

les

2Voir i. cet effet, International Monetary Fund, Annual Report of the Executive Board
for the Financial Year Ended April30, 1979 (1979), A la p. 33. D’ailleurs, ]a d6pr~ciation
continue de la monnaie, pendant ]a dernifre d6cennie, a suscit6 une m~fiance vis-A-vis des
monnaies nationales traditionnelles et ron remarque que les monnaies de compte supra-
nationales telles que les droits de tirage sp~ciaux [ci-apr~s: D.T.S.] et 1’unit6 de compte
europ6enne [ci-apr6s: U.C.E.] sont de plus en plus utilis6es dans les conventions
internationales ainsi que dans les relations entre particuliers. Voir A cet effet, J. Gold,
Floating Currencies, SDRs, and Gold [; ] Further Legal Developments (1977), et SDRs,
Gold and Currencies [;] Third Survey of New Legal Developments (1979), et SDRs,
Currencies and Gold [;] Fifth Survey of New Legal Developments (1981). Voir 6galement,
Committee on Value Clauses and
the Changing International Monetary Scene,
“International Monetary Law” in The International Law Association, Report of the Fifty-
Eighth Conference Held at Manila (1980), pp. 339 et seq., aux pp. 341-4.

3Voir (1605) Yel. 80, 80 E.R. 55 (K.B.).
4Voir [1898] 1 Ch. 581.

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jurisprudence anglaise pour d6terminer le montant en livres de la dette dans
libell6es en monnaie 6trang~re (primary
les obligations contractuelles
obligations), pour nous consacrer ensuite A l’6tude de ]a monnaie de compte
dans la fixation des dommages-int6r&s issus des rapports internationaux
entre particuliers (secondary obligations).

I. La rigle relative aux dettes contractuelles libelles en monnaie 6trang~re
A. L’dvolution jurisprudentielle

L’application de la breach date rule aux dettes contractuelles ne fut
reconnue explicitement par la House of Lords qu’en 1960 dans l’arrt In Re
United Railways of Havana and Regla Warehouse Ltd.5 Pr~c~demment, les
Cours inf~rieures avaient appliqu6 cette m~me r~gle par analogie A celle
existant en mati~re de dommages-int6rets, 6labor6e par ]a House of Lords en
1920 A roccasion de l’arr& Owners of Steamship Celia v. Owners of
Steamship Volturno.6

Dans l’arr~t United Railways of Havana, ]a Cour se prononga en faveur
de l’application de la breach date rule, s’appuyant 6galement sur sa d6cision
dans l’affaire Volturno. Lord Reid y faisait remarquer:

That rule may in some cases be artificial, it may even be injust, but it has been accepted
for a long time, it is clear and certain, and no other rule could be relied on to produce a
more just result: indeed, no other rule is really practicable.7
Cet arr~t suscita de vives critiques et fut d6nonc6 en raison de son
inadaptation aux donn6es 6conomiques et mon6taires nouvelles de ]a
Grande-Bretagne. En effet, si la livre sterling fut l’une des monnaies les plus
fortes et les plus stables sur le plan mondial, cela n’6tait d6jA plus le cas A
l’6poque de la d~cision.8

L’affaire Teh Hu (Owners) v. Nippon Salvage Co.9 fut la derni6re
manifestation du courant jurisprudentiel classique. L’importance de cet
arr~t provient surtout de ropinion dissidente exprim6e par Lord Denning,
qui constitue une amorce v6ritable de la transformation qui allait survenir en
la mati6re. L’6minent juge critique la jurisprudence existante en avouant
qu’elle est injustifi6e eu 6gard A la situation 6conomique anglaise. En outre, il

5 Voir [1961] A.C. 1007 (H.L.).
6Voir[ 1921 J2 A.C. 544 (H.L.). On pourra consulter les principaux arrats appliquant la
date de rupture du contrat comme date de conversion, Barry v. Van Den Hurk [ 1920 ] 2 K.B.
709 (C.A.); Lebeaupin v. Richard Crispin & Co. [ 1920 ] 2 K.B. 714 (C.A.); Di Ferdinando
v. Simon, Smits & Co. [ 1920 ] 3 K.B. 409 (C.A.). Le Privy Councils’est prononc6 en faveur
de cette meme r~gle dans Syndic in Bankruptcy of Salim Nasrallah Khoury v. Khayat
[1943] A.C. 507 (P.C.).

7Voir supra, note 5, A la p. 1053.
8Voir A cet effet Mann, supra, note 1, aux pp. 369 et seq., et Specific Performance of

Foreign Money Obligations? (1968) 31 M.L.R. 342.

9Voir [ 1969] 3 W.L.R. 1135 (C.A.).

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JUGEMENTS EN MONNAIE t-TRANGtRE

estime que les particularit6s que pr6sente le litige en question incitent A
rabandon de cette jurisprudence. I1 s’agissait d’une op6ration maritime
internationale dans laquelle les personnes impliqu6es ont choisi le recours A
rarbitrage pour r~soudre leur diff6rend. D~s lors, selon Lord Denning, il est
raisonnable de concevoir des r~gles d6rogatoires pour ce genre d’op6rations.
Enfin, se fondant sur les principes du droit des contrats, il estime que la d6va-
luation constitue un v6nement en dehors de ce qui 6tait pr6vu par les parties,
et qu’en interpr6tant leur convention, il est ais6 de trouver un terme implicite
(implied term) permettant aux arbitres d’effectuer
‘ajustement requis par la
d6valuation de la livre. Le caract~re injuste de la solution A laquelle aboutit
l’application automatique de la breach date rule ne fait plus de doute et
constitue la raison d6terminante de l’abandon de lajurisprudence classique.
Si cette jurisprudence fut A l’origine conque pour prot6ger les demandeurs
contre la d6pr6ciation des monnaies 6trang~res, elle risque, dans une
conjoncture toute diff~rente ofi la monnaie anglaise ne cesse de s’affaiblir, de
cr6er un pr6judice important aux cr6anciers 6trangers et d’apparaitre comme
une mesure favorisant les d6biteurs anglais.

Une tape imp ortante a W franchie par la Court ofAppeal dans l’arret
Jugoslavenska Oceanska Plovidba v. Castle Investment Co.,’0 off celle-ci
approuva une sentence arbitrale de Grande-Bretagne exprim6e en dollars
am6ricains. Les trois juges s’entendent pour souligner que rien n’oblige les
arbitres anglais A libeller leurs sentences en livres sterling. Lord Denning y
d~clare en ce sens:

In my opinion English arbitrators have authority, jurisdiction and power to make an
award for payment of an amount in foreign currency. They can do this –
and I would
add, should do this – whenever the money of account and the money of payment is in
one single foreign currency. They hould make their award in that currency because it is
the proper currency of the contract.”

Ainsi, selon la Court of Appeal, seules les sentences arbitrales peuvent
b6n6ficier d’un r6gime particulier, sous r6serve de la restriction 6nonc6e par
Lord Denning quant A la monnaie de compte et de paiement. Celui-ci va
m~me jusqu’A sugg6rer r’application de cette solution auxjugements rendus
par les tribunaux.’ 2

La disparition de la jurisprudence classique 6tait d~s lors pr6visible. Le
revirement qui allait s’op6rer A la suite de cette d6cision fut finalement

10Voir [ 1974] 1 Q.B. 292 (C.A.).
I Ibid., A la p. 298.
12 Ibid., A la p. 299:

I venture to suggest that this view of the courts should be open for reconsideration. If
the money payable under a contract is payable in a foreign currency, it ought to be
possible for an English court to order specific performance of it in that foreign currency:
and then let the exchange to be made into sterling when it comes to be enforced.

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consacr6 par la House of Lords dans l’arr~t Miliangos v. George Frank
(Textiles) Ltd. 13

B. Le revirement jurisprudentiel
1. Le revirement au niveau de la Court of Appeal

Tout d’abord, dans l’affaire Schorsch Meier G.M.B.H. v. Hennin, 4 ]a
Court of Appeal acquiesga A une demande formulae en Deutsche Mark et
condamna la socirt6 d6bitrice A payer le montant de 3 765 D.M., convertible
au jour du paiement en monnaie anglaise, en se fondant notamment sur la
drsu6tude de fait de la prohibition qui interdisait au juge anglais de
prononcer des condamnations prcuniaires en une monnaie 6trang~re. La
Cour estimait que
le principe devait 8tre abandonn6 car les motifs
6conomiques et proc~duraux qui 6taient A son origine, n’existaient plus. La
Cour s’appuya 6galement sur ‘article 106, alinra 1 du Traitj de Rome, 15 qui
consacre la libert6 des transferts des paiements aff6rents aux 6changes de
marchandises, de services et de capitaux. Cet article, selon Lord Denning,
accorderait la libert6 A tout cr6ancier d’un t-tat membre de recevoir son
paiement en la monnaie stipulre dans le contrat, sans lui imposer d’obstacles
ou de restrictions par des moyens d6tourn6s comme la breach date rule.

En deuxirme lieu, dans l’arr~t Miliangos v. George Frank (Textiles) Ltd,16
en 1971, la dette 6tait libellre en francs suisses et le contrat r6gi par la loi
suisse. La date de paiement 6tant 6chue, l’acheteur fit drfaut. Miliangos saisit
les juridictions anglaises en rrclamation du montant de sa crrance s’61evant A
416 144 francs suisses qui repr6sentait au jour de l’chrance, 42000 livres
sterling. Au jour de la decision des premiers juges, et A la suite de ]a
drprrciation de la monnaie anglaise, la crrance valait 60 000 livres. C’est cette
derni~re somme qui fut rrclamre par Miliangos.

Le juge Bristow avait refuse en premiere instance d’appliquer aux faits de
l’espce, la solution donnre par la Court of Appeal dans l’arrat Schorsch
Meier,17 et ne condamna le drbiteur qu’au paiement de 42000 livres. La
Court of Appeal infirma le jugement suivant son prrcrdent dans l’arr&
Schorsch Meier et condamna le d6biteur A payer la somme au taux dujour
du paiement.

13Voir [1976] A.C. 443 (H.L.).
S4 Voir [1975] 1 Q.B. 416 (C.A.).
15 Voir 25 mars 1957, 294 U.N.T.S. 17, A ]a p. 81. L’article 106, al. I, se lit comme suit:
Chaque ttat membre s’engage A autoriser, dans la monnaie de l’]tat membre dans
lequel reside le cr~ancier ou le brnrficiaire, les paiements affrents aux 6changes de
marchandises, de services et de capitaux, ainsi que les transferts de capitaux et de
salaires, dans la mesure oii la circulation des marchandises, des services, des capitaux et
des personnes est libfrre entre les ttats membres en application du present trait6.

16[ 1975] 1 Q.B. 487 (C.A.).
1 Voir supra, note 14.

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JUGEMENTS EN MONNAIE kTRANG.RE

2. Le revirement au niveau de la House of Lords

les questions ayant des

Deux tendances s’affront~rent lorsque la House of Lords se prononga
sur la question dans ‘affaire Miliangos.’8 La premiere, repr6sent~e surtout
par Lord Simon of Glaisdale, souhaitait le maintien de la jurisprudence
classique, 6tant d’avis qu’un changement aussi draconien du droit devrait
8tre r~serv6 au Parlement, qui est plus en mesure que les tribunaux de
trancher
r6percussions 6conomiques aussi
importantes. Cette argumentation n’a pas emport6 l’adh6sion de la majorit6
repr~sent~e par Lord Wilberforce, qui trancha dans le meme sens que la
Court of Appeal, estimant que l’attente d’une r6forme l6gislative n’ tait pas
souhaitable en la mati~re. En outre, on estimait que la r~gle contenue dans
l’arr~t United Railways of Havana’9 6tait une constructionjurisprudentielle;
il 6tait d~s lors inadmissible que le temps lui ait donn6 une valeur telle que
seul le l6gislateur pourrait l’abroger. C’est cette derni~re tendance qui a
triomph6. La House of Lords introduisit donc deux principes nouveaux en
droit mon6taire anglais.

a. La possibilit dejuger en une monnaie dtrang&e

D6sormais, les tribunaux anglais ont la possibilit6 de juger en une
monnaie 6trang~re. I1 ressort des motifs du jugement que ce changement
des principes classiques ne concerne que les obligations de payer une som-
me d’argent libell~e ab initio en monnaie 6trang~re. Cette obligation doit,
en outre, naitre d’un contrat dont la loi propre est une loi 6trang~re. Enfin, la
monnaie de compte et la monnaie de paiement doivent etre celles de la lex
contractus ou d’un autre pays, A l’exclusion du Royaume-Uni. 20 Ainsi, on
remarque que d~s lors que la lex contractus ou la lex monetae du contrat se
rattache A la loi anglaise, la jurisprudence nouvelle devient inop6rante. Or,
s’il est logique dejuger en livres sterling lorsque le contrat pr6voit cette meme
monnaie de compte, il est cependant discutable de subordonner l’application
de la nouvelle r~gle A 1’existence d’une lex contractus autre que la loi an-
glaise. Cela contraindrait les contractants 6trangers ayants soumis leurs
conventions A la loi anglaise, A subir les al~as de la monnaie locale, alors
ins6r6 une clause mon~taire pour 6chapper A ces
m~me qu’ils ont

is Voir A ce sujet, Libling, Questions & Answers (?); Miiangos v. Frank (Textiles) Limited
(1977) 93 L.Q.R. 212; Ellington, The currency of english judgments [1975] 1 D.P.C.I. 667;
Tallon, Les dettes libelldes en monnaie dtrangdre devant la Chambre des Lords: l’arret
Miliangos du 5 novembre 1975 (1977) 66 Rev.crit.dr.int.priv6 485.

19 Voir supra, note 5.
20 Ces deux derni~res conditions ont 6t6 requises par Lord Wilberforce qui estimait que le
pouvoir du juge de prononcer une condamnation en monnaie 6trang~re est limit6 aux seules
“obligations of money character to pay foreign currency arising under a contract whose
proper law is that of a foreign country and where the money of account and payment is that
of that country, or possibly of some other country but not of the United Kingdom.” Voir
supra, note 16, A la p. 467.

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incertitudes. Cette limite est donc discutable car elle va A l’encontre de
l’6galit6 des cr6anciers. Du moment que la dette est libell~e en monnaie
6trang~re, quelle que soit la loi du contrat, les droits des cr~anciers sont les
memes et doivent 6tre prot6g6s de la meme fagon.

Ces pr6cautions limitent donc singuli6rement la portde de ]a nouvelle
decision et d~montrent la reticence de Lord Wilberforce A formuler un
principe plus large qui irait au-delh des faits particuliers examines par la
Cour. Cependant, il est important de remarquer que ces r6serves n’ont pas
6t6 ent6rin~es par le reste de la Cour et de ce fait, leur importance s’en trouve
limit~e. L’6volution de la jurisprudence confirmera ce point de vue.
b. La date de conversion

Nous avons vu dans l’arr~t Miliangos qu’entre la date de l’ch~ance
(1971), et la date de la demande (1975), l’quivalent de la dette en livres est
pass6 respectivement de 42000 A 60000 livres. D’oAi rimportance du
choix de la date de conversion. La House of Lords a choisi le jour du
paiement. C’est cette date qui conf~re la satisfaction la plus compl~te au
cr~ancier et qui pr~sente le maximum de garantie contre les actions dilatoires
du d~biteur. Pour 8tre plus pr6cis et pour parer contre la speculation du
d~biteur, l’arr& Miliangos retient la date A laquelle l’autorit6 judiciaire
autorise l’ex~cution forc~e en sterling.

3. Les prolongements de l’arrft Miliangos

L’6volution ult6rieure de la jurisprudence va permettre de d~gager la
nouvelle r~gle de la reserve 6mise par Lord Wilberforce quant au caract~re
6tranger de la loi r6gissant le contrat. Cette condition fut d’abord 6cartde par
l’affaire Federal Commerce and Navigation Co. v. Tradax Export S.A., 21 o6
Lord Denning exprima les raisons qui l’ont amen6 A admettre unjugement
en monnaie 6trang~re alors meme que le contrat 6tait soumis au droit
anglais. Selon lui, cette solution s’imposait parce qu’elle est plus juste et
correspond mieux aux exigences de la pratique commerciale internationale,
qui est telle que de nombreux contrats internationaux n’ayant pas
n6cessairement de lien avec ‘Angleterre se trouvent soumis, de par ]a volont6
des parties, A la loi anglaise. Or, il serait inappropri6 d’exclure ce genre de
contrats du b~n~fice de la r~gle 6dict6e dans Miliangos. Lord Denning
s’appuie sur le fait que la pratique arbitrale est bien 6tablie en ce sens et qu’on
rencontre souvent des sentences libellkes en monnaie 6trang~re se rapportant
A des contrats gouverns par le droit anglais. Sa position a 6t6 approuv6e par
une decision 6manant de la House of Lords, Owners of M. V. Elefiherotria v.
Owners of M. V Despina R, 22 qui prononga un jugement en monnaie
6trang~re alors m~me que le contrat 6tait r6gi par le droit anglais. Tout en

2
1 Voir [1977] Q.B. 324 (C.A.).
7Voir [1979] A.C. 685 (H.L.).

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JUGEMENTS EN MONNAIE tTRANGERE

prcisant que le contrat A la source du litige 6tait soumis au droit anglais,
Lord Wilberforce ne manqua pas de souligner le peu de liens qui le
rattachaient en r~alit6 A celui-ci:

Although the proper law of the contract was accepted to be English by virtue of a
London arbitration clause, neither of the parties to the contract, nor the contract itself,
nor the claim which arose against the charterers, nor that by his charterers against the
owners, had any connection with sterling, so that prima facie this would be a case for
giving judgment in a foreign currency. 23
Faudrait-il en conclure qua contrario, si le meme contrat prrsente un
rattachement 6troit au droit anglais, done A la monnaie anglaise, il serait
alors impossible d’obtenir un jugement en monnaie 6trangre? Nous ne le
pensons pas. En effet, une telle interpr6tation ne nous paraft pas
correspondre au librralisme qui caract6rise le droit monrtaire anglais. 24
Pourquoi refuserait-on d’appliquer la r~gle Miliangos meme A des contrats
purement internes lorsque les parties, drsirant se prot6ger des alias de la
d~prrciation de la monnaie locale, ont contract6 en monnaie 6trang~re? La
libert6 accordre par les tribunaux anglais quant A l’utilisation des clauses
mon~taires dans les relations purement internes appuie d’ailleurs cette
interpretation.

Enfin, tout en acceptant de juger en monnaie 6trang~re, les tribunaux
anglais devaient d6signer la date de conversion car ils ne pouvaient, en aucun
cas, ordonner un paiement effectif en une monnaie 6trang~re, ce domaine
6tant de la comptence exclusive de l’administration des changes. Mais,
depuis l’abrogation de la r6glementation des changes, 25 il est drsormais
concevable et 16galement possible pour les tribunaux de prononcer des
jugements directement exrcutoires en monnaie 6trang~re sans avoir besoin
de recourir A la conversion. On voit done le m6rite de l’arrat Miliangos, qui
6vite les solutions injustes qui faisaient supporter au cr6ancier d’une dette
libellre dans une monnaie 6trang~re, tout le poids des d6prrciations et des
d6valuations de la livre sterling. Qu’en est-il alors en mati~re de fixation des
dommages-int6rts issus des rapports internationaux?
II. La date de conversion des dommages-int~r~ts

On a 6galement assist6, dans ce domaine, A une rupture avec la
jurisprudence antrrieure. La mrthode adoptre, jusquA rrcemment, par les
tribunaux anglais 6tait la suivante:
23 Ibid., A lap. 702.
24 Librralisme qui s’exprime notamment A travers l’absence d’interdiction de rutilisation
des clauses mon~taires. Voir A cet effet, Feist v. Socidtd Intercommunale Belge d’L? lectricitj
[1934] A.C. 161 (H.L.); et, plus r~cemment, Multiservice Bookbinding Ltd v. Marden
[1978] 2 W.L.R. 535 (Ch.). Voir aussi, G. Cheshire, Private International Law, l0e 6d.
(1979), aux pp. 245 et seq., et Mann, supra, note I, A la p. 151.

2 5 L’Exchange Control (General Exemption) Order, S.I., drcembre 1979, no 1660, a aboli
le contr6le des changes introduit en Angleterre par 1’Exchange Control Act, 1947, 10 & I I
Geo. VI, c. 14 (U.K.).

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Damages for breach of contract must be converted into sterling with reference to the
rate of exchange prevailing on the day when the contract was broken. Damages for tort
must be converted into sterling with reference to the rate of exchange prevailing on the
day when the loss was incurred for which compensation is claimed. 26

On constate donc que ceux-ci, en retenant la breach date rule, ne tiennent
aucunement compte de la d6prrciation monrtaire susceptible de survenir
entre le jour du fait dommageable et le moment de la r6paration; en effet, la
plupart du temps, le dommage est subi et rrpar6 A l’Atranger, aux frais de la
victime, avant l’introduction de linstance. Cette r6gle a cependant 6volu6.

A. L’dvaluation en monnaie jtrang~re des dommages-intdr~ts

en matire contractuelle
La rrgle de la breach date rule a 6t6 confirmre par la Court of Appeal
dans l’arr& Di Ferdinando v. Simon, Smits & Co. 27 Pour justifier le prin-
cipe, Lord Scrutton drclarait qu’il n’existe aucune relation directe entre la
perte survenue A l’un des co-contractants suite aux variations mon~taires et
la relation contractuelle proprement dite.28 Les dommages survenus sont
donc cristallisrs au jour de la rupture du contrat et ne peuvent atre 6values
qu’A cette date. Cette solution fut confirmre A diverses reprises par la
jurisprudence. 29 Donc, la Cour ne retenait que
la date du jour de
l’inexrcution. C’est elle qui drterminait l’valuation du dommage et c’est A
cette meme date que la conversion en livres sterling devait etre effecture. On
retrouve ici le meme risque d’injustice que celui dej. not6 pour les cr6ances
contractuelles libellres en monnaie 6trang~re.

I1 nous semble facile d’6tendre l’effet rrformateur des principes 6nonc6s
dans
‘affaire Miliangos A ce domaine, et de considrrer que l’arret Di
Ferdinando fut implicitement abrog6. Dans l’arrt Miliangos, la House of
Lords n’a pas voulu effectuer une revision complete de toutes les regles qui
prrvalaient alors; seules
les dettes contractuelles furent directement
abordres. Toutefois, elle laisse la porte ouverte A une possible extension des
nouveaux principes. Lord Wilberforce drclarait A ce sujet:

I do not think that we are called upon, or would be entitled in this case, to review the
whole field of the law regarding foreign currency obligations: that is not the method by
which changes in the law by judicial decision are made. In my opinion it should be open
for future discussion whether the rule applying to money obligations, which can be a
simple rule, should apply as regards claims for damages for breach of contract or for
tort.30

26Voir A. Dicey, Conflict of Laws, 9e 6d. (1973), A la p. 909.
27Voir [ 1920] 3 K.B. 409 (C.A.).
28Ibid.,
29 Voir notamment, Bain v. Field & Co. Fruit Merchants [1920] 5 Lloyd’s Rep. 16 (C.A.);
In re British American Continental Bank, Ltd [;] Lisser and Rosenkranz’s Claim [1923] 1
Ch. 276.

la p. 415.

30Voir supra, note 13, aux pp. 467-8.

1982]

JUGEMENTS EN MONNAIE tTRANGERE

Lord Cross of Chelsea laissa la question en suspens:

I say nothing one way or the other as to the date for conversion into sterling of sums
ascertained in foreign currency for damages for breach of contract or tort.31
la suite de l’arr& Miliangos, les demandes en dommages-int6rats en
monnaie
trang~re n’ont pas tard6 de se poser devant les juridictions
anglaises. Dans la premiere affaire traitant de ce probl~me, Kraut A. G. v.
Albany Fabrics Ltd,32 il s’agissait d’une demande en dommages-int6rats
survenue suite A un refus d’ex6cution d’un contrat de vente libell6e en mon-
naie suisse. Le d6fendeur, tout en admettant la 16gitimit6 d’un jugement en
monnaie
trang~re pour le montant de la marchandise livr6e et accept6e, nie
l’application de ce principe pour ce qui est de la somme relative A la
marchandise refus6e par lui. Il s’appuie en cela sur l’arr&t Miliangos qui,
selon lui, ne s’applique pas aux r6clamations en dommages-int6rets pour
rupture de contrat. Cette interpretation fut rejet6e par le tribunal qui donna
gain de cause au demandeur.

Plus r6cemment, dans l’affaire Despina R, Lord Russel of Killowen
adoptait ce principe en d6clarant que la r~gle Miliangos 6tait une r~gle
proc6durale et qu’aucune raison ne s’opposait a son application aux
demandes en dommages-intrets. 33 Enfin, Lord Wilberforce d6clarait dans
la meme affaire:

My Lords, the effect of the decision of this House in [ Miliangos] is that, in contractual
as in other cases ajudgment (in which for convenience I include an award) can be given
in a currency other than sterling.34

B. Livaluation des dommages-intdrgts en matijre dilictuelle35

L’ancienne r~gle consistait A retenir le jour de la survenance du
dommage 6 pour 6valuer les dommages-int6rets ainsi que pour proc6der A la
conversion en monnaie anglaise des sommes d6bours6es en monnaie
6trang~re. La House of Lords adopta cette solution dans l’affaire
Volturno, 7 appliquant la r~gle 6nonc6e dans l’arr&t Di Ferdinando.8 Quelle
est d6s lors l’autorit6 de cet arr& apr~s le revirement de l’affaire Miliangos?
Les raisons utilis6es pour abroger l’arr&t United Railways of Havana

31 Ibid., A lap. 498.
32 Voir [ 1977] I Q.B. 182 (C.A.).
3 3 Voir supra, note 22, aux pp. 703-4.
34 Ibid., A la p. 700 [nos italiques ].
3 5 Voir Knott, Foreign Currencj Judgments in Tort: An Illustration of the Wealth- Time
Continuum (1980) 43 M.L.R. 18; Bowles & Whelan, The Currency of Suit in Actions for
Damages (1979) 25 R. de d. McGill 236.
36 1ci, Pon donne au mot dommage un sens tr6s large: il peut aussi bien couvrir les
dommages mat~riels caus6s par un accident que ceux qui peuvent en d6couler, tels la perte
d’un profit ou d’un salaire.

37 Voir supra, note 6.
33 Voir supra, note 27.

McGILL LA W JOURNAL

[Vol. 27

s’appliquent ici. II serait en effet inequitable de refuser au crrancier d’une
dette drlictuelle un complet drdommagement, alors qu’on le lui accorde
lorsque la dette est contractuelle. L’arret United Railways of Havana s’6tait
appuy6 sur l’arr&t Volturno pour affirmer la breach date rule et fut renvers6;
il s’ensuit donc que le second se trouve implicitement drsavou6 et dolt laisser
place A la nouvelle r~gl .

C’est finalement l’arr~t Despina R qui reconnaft sans 6quivoque
l’applicabilit6 de la r~gle Miliangos aux demandes en dommages-intrts
resultant de drlits ou quasi-d~lits. Dans cette affaire, il s’agissait d’un
abordage survenu en mer de Chine entre deux bateaux grecs. Des
dommages-int6rts en monnaie 6trang~re convertibles au jour du paiement
ont 6t6 allours au propri6taire du bateau endommag6. Lord Russel of
Killowen y drclara:

The rule that a claim here must be made only in sterling and judgment given only in
sterling is basically a rule of procedure, and in my opinion it is undesirable that the rule
of procedure should be retained for a claim for damages (whether in tort or for breach
of contract) while departed from in a case of debt. 39
Les arrts Miliangos et Dispina R 6noncent donc une r6gle plus con-
forme A la rralit6 monrtaire de la Grande-Bretagne. Toutefois, rares sont
les monnaies qui ne sont pas affect6es par linstabilit6 mon6taire actuelle.
Face A. cette situation, une application rigide de la r~gle Miliangos risquerait
d’entrainer des injustices comparables A celles rencontrres lorsqu’un tribunal
anglais devait juger en sa propre monnaie. Cette situation peut se presenter
lorsque la monnaie 6trang~re de la dette se drprrcie plus rapidement que ]a
livre sterling; ou lorsqu’elle n’est, pour le crrancier, qu’une simple monnaie
de compte utilisre A cause de circonstances particuli6res.40

Dans le premier cas, lorsque la monnaie de compte s’est d6prcire par
rapport A la monnaie anglaise, la cr6ance en monnaie 6trang~re convertie au
jour du paiement sera d’un montant moindre qu’au jour de sa naissance.
Dans les situations de ce genre, il serait naturel de permettre au cr6ancier de
r6clamer un jugement en monnaie anglaise, car nous ne pensons pas que les
arr~ts Miliangos et Despina R aient 6tabli une r~gle obligatoire enjoignant
les crranciers d’une dette en monnaie 6trang~re A formuler leur demande en
cette m~me monnaie. Ces decisions ne contiennent aucune indication dans
ce sens. Tout au contraire, la formule utilis~e par la House of Lords dans
l’arret Miliangos marque le caract~re non obligatoire de la r~gle. Ainsi donc,
la r~gle sue for sterling reste en vigueur. L’arr&t Miliangos n’a fait que lui
apporter une exception.4′

39 Voir supra, note 22, A la p. 815.
40 C’est le cas d’un crancier qui a achet6 une monnaie 6trang~re afin de payer des
reparations faites A l’rtranger. La monnaie qui refl~te ici sa perte est sa propre monnaie qui a
servir A acqurrir la monnaie 6trang~re.

41 Voir dans le m~me sens, Riordan, The Currency of Suits in Actionsfor Foreign Debts
(1978) 24 R. de d. McGill 422, A lap. 439. Voir aussi Ozalid Group (Export) Ltd v. African

19821

JUGEMENTS EN MONNAIE P-TRANGERE

Une deuxi~me possibilit6 d’action est offerte au cr~ancier insatisfait par
la conversion au jour du paiement. Elle consiste A r6clamer des dommages-
int6r8ts qui compensent la diff6rence entre le montant du jour de l’ch6ance
et celui du jour du paiement effectif. Une telle demande est 16gitime car on
recherche ici la reparation complete du dommage et le rtablissement des
parties dans leur situation ant6rieure. Lord Wilberforce appuie cette id6e
lorsqu’il 6nonce dans l’arrat Miliangos:

It is for the courts, or for arbitrators, to work outa solution in each case best adapted to
giving the injured plaintiff that amount in damages which will most fairly compensate
him the wrong which he has suffered.42
Quant t la deuxi~me situation dans laquelle le cr6ancier doit d6bourser
des sommes en une ou plusieurs monnaies 6trangres, la House of Lords a
confirm6, t la suite de la Court of Appeal, que la monnaie qui devrait servir
de base de calcul pour le jugement n’est pas n6cessairement celle
effectivement d6pens6e, mais celle qui repr6sente la perte vraiment subie. I
s’agit de la monnaie dans laquelle une personne ou une soci&6t conduit ses
affaires. Dans l’arr&t Despina R, la r6paration des dommages 6tait pay6e en
quatre monnaies diff6rentes: le renmimbi yuan chinois, le yen japonais, le
dollar am6ricain et une petite somme en livres sterling. La House of Lords a
retenu le dollar comme base de calcul, car c’est en d6pensant cette monnaie
que rarmateur s’tait procur6 les trois autres. Il s’agissait lt de sa monnaie de
travail. Lord Wilberforce d6finit la monnaie de la victime de cette fagon:
It does not suggest the use of a personal currency attached, like nationality, to a
plaintiff, but a currency which he is able to show is that in which he normally conducts
trading operations.43

On y justifia le choix de la monnaie de la victime en vertu du principe de la
restitutio in integrum:

It appears to me that a plaintiff, who normally conducts his business through a
particular currency, and who, when other currencies are immediately involved, uses his
own currency to obtain those currencies, can reasonably say that the loss he sustains is
to be measured not by the immediate currencies in which the loss first emerges but by
the amount of his own currency, which in the normal course of operation, he uses to
obtain those currencies. This is the currency in which his loss is felt, and is the currency
which it is reasonably forseeable he will have to spend. 44

Cette m~me jurisprudence fut appliqu6e par la Court of Appeal concernant
une cr6ance de dommages-int6r~ts en mati~re contractuelle dans Services

Continental Bank Ltd [ 1979 ] 2 Lloyd’s Rep. 231 (Q.B.), A ]a p. 234, ofi lejuge apporte un
temp6rament A ]a libert6 de choix du cr~ancier en affirmant que: “[I]t is for the plaintiff to
select the currency in which to make his claim and it is for him to prove that an award or
judgment in that currency will most truly express his loss and accordingly most fully and
exactly compensate him for that loss.”

42 Voir supra, note 13, A ]a p. 448.
43 Voir supra, note 22, A la p. 695.
44Ibid., A la p. 697.

REVUE DE DROIT DE McGILL

[Vol. 27

Europe Atlantique Sud (Seas) v. Stockholms Rederiaktiebolag Svea.45
S’agissant d’une soci6t6 francaise qui a achet6 des devises avec des francs
frangais pour effectuer des d6bours, la Cour a estim6 que ]a meilleure
r6paration serait d’allouer le montant en francs frangais convertis en livres
au taux du jour du paiement. Selon elle, lejuge n’est pas tenu de s’arrter Ala
monnaie de paiement effectif de d6bours pour d6terminer le pr6judice subi. I1
doit, au contraire, rechercher la monnaie qui exprime le mieux le pr6judice.
Nous pouvons ainsi affirmer que d6sormais, les tribunaux anglais ont ]a
possibilit6 de juger en monnaie 6trang~re et que la date de conversion en
livres sterling de la dette exprim6e en monnaie 6trang~re se fait au taux du
jour du paiement. Cependant, depuis l’abrogation de la r6glementation des
changes dans ce pays, il est concevable que les tribunaux puissent ordonner
un paiement effectif directement en monnaie 6trang~re. On voit donc qu’au
terme d’une 6volution amorc6e il y a A peine six ans, les r6gles mon6taires
anglaises en la mati~re sont devenues coh6rentes, simples et 6quitables.

Deuxiime partie: La date de conversion en droit frangais

La solution adopt6e en France n’est pas uniforme. Plusieurs dates ont t
retenues, tant par la doctrine que par ]a jurisprudence, mais une tendance
g6n6rale se d6gage en faveur du jour du paiement.

I. Les propositions doctrinales

Une premiere tendance se fonde sur la th6orie de la faute, en cas de retard
dans le paiement. M. Penciulesco, 46 partant de cette th6se, voulait mettre les
consequences dommageables dues au retard, A la charge de celui qui en est
responsable. L’auteur distingue trois situations:
– Lorsque le retard est imputable au d6biteur, la dette sera 6valu6e aujour
de l’ch~ance, si la monnaie de compte 6trang~re vient A baisser. Si par
contre, une hausse se produit, c’est le cours du jour du paiement qui
d6terminera le montant de la dette.
– Au cas off la faute du retard est imputable au cr6ancier, ce sont les
solutions inverses qui sont retenues par l’auteur.
– En cas de force majeure, la perte est laiss6e A la charge du cr~ancier, en
vertu de la th6orie des risques. La conversion s’op~re, dans cette hypoth~se,
d’apr~s le cours lors de l’ch6ance. Cette th~orie, fond6e sur l’id6e d’6quit6 est
s6duisante. Elle n’a cependant pas eu de succ~s aupr~s des juges.

M. Plaisant 7 a 6mis une th~se voisine bas6e sur l’id6e qu’en principe, ]a
conversion devait tre faite sur la base du cours lors de l’ch6ance, jour o&f le

45 Voir [ 1979] A.C. 685 (H.L.).
46 Voir Penciulesco, La monnaie de paiement dans les contrats internationaux, (these

Paris, 1937), aux pp. 224-49.

47 Voir note Plaisant sous Cass.Req., 3 mai 1946, S. 1951.1.33.

1982]

JUGEMENTS EN MONNAIE ETRANGPERE

paiement aurait dfi etre effectu6. Mais, en cas de retard imputable au
d6biteur, le cr6ancier devrait avoir le choix entre le cours du jour de
l’ch6ance et celui du jour du paiement.

Une deuxi~me tendance, regroupant la majorit6 des auteurs, s’oriente
vers la conversion A la date du paiement. M. Loussouarn marque sa
pr6f~rence pour cette date, car, d’apr~s lui, elle “tient compte du fait impor-
tant et present: le versement effectif de la somme d’argent. 48 M. Ievy adhere
au m~me point de vue, en remarquant que c’est aujour “oiL le cr6ancier regoit
son paiement qu’il peut seulement remployer A acheter les devises qui lui
6taient dues: il faut que les francs regus lui permettent de r~aliser cet
achat”. 49 C’est la m~me solution qui fut pr6conis6e par rInternational Law
Association au cours de sa 47e conf6rence tenue A Dubrovnik en 1956.50 Ce
projet, qui a W A l’origine de la Convention europdenne relative aux
obligations en monnaie itrangdre,SOaretient comme principe la conversion au
taux de change en vigueur le jour du paiement. Toutefois, on pr6voit qu’en
cas de d~pr6ciation de la monnaie 6trang~re, objet de la conversion, le
d6biteur doit verser un montant additionnel correspondant A la diff6rence
entre le taux de change en vigueur A l’ch6ance et celui qui est en vigueur au
moment du paiement, A moins qu’il ne prouve qu’il fut empech6 de payer A
l’chance par la force majeure ou par le fait du cr6ancier.

II. Les diverses dates retenues par la loi et la jurisprudence

Dans ce domaine, il y a une absence d’uniformit6 qui se retrouve tant au
niveau des prescriptions 16gales qu’au niveau des positions jurisprudentiel-
les.

48 Voir commentaire Loussouarn, Cass.Civ.5e, 20 octobre 1952 in (1953) 42 Clunet 384, A

la p. 390.

49Voir Lvy, Juris Classeur; Droit civil, art. 1895, Fasc.F., A Ia p. 7; voir 6galement,
Savatier, i quelle date convient-il de convertir en francs une dette libellie en monnaie
jtrangre, dont l’exdcution est ordonnde par une dicision emanant d’une juridiction
francaise? (1937) 64 Clunet 53.

50 Voir Committee on Monetary Law, “Paiement des obligations exprim6es en monnaie
6trang~re [;] Projet de Convention de mai 1956″ in The International Law Association,
Report of the Forty-Seventh Conference held at Dubrovnik (1957), pp. 296 et seq. Voir
6galement Evan, Le Projet de Convention de rlInternational Law Association relatif au
paiement des obligations exprimies en monnaie jtrangdre [;] Analyse critique (1958) 85
Clunet 407.

soaVoir Convention europdenne relative aux obligations en monnaie jtrangdre, 11
d6cembre 1967, Conseil de rEurope – Strasbourg 13, sign6e jusqu’ici par l’Autriche, ]a
France, ]a R6publique f6d6rale d’Allemagne et le Luxembourg. En Angleterre, The Law
Commission and The Scottish Law Commission, Private International Law [;] Council of
Europe Conventions on Foreign Money Liabilities (1967) and on the Place of Payment of
Money Liabilities (1972) (1981), aux pp. 15 et seq., a recommand6 au gouvernement la non-
adhesion A cette convention, notamment A cause de son article 5.

McGILL LAW JOURNAL

[Vol. 27

A. Les prescriptions ldgales

En mati~re de lettres de change et de billets A ordre, lorsque le montant
est libell6 en monnaie 6trang6re, il est admis que les parties puissent pr6voir le
paiement en un cours d6termin6 dans la lettre ou le billet. A d6faut, c’est le
jour de l’6chance qui d6termine le taux. En cas de retard dans le paiement,
l’article 138 du Code de commerce frangais, dont les termes reproduisent
ceux de l’article 41 de la Loi uniforme de Gen~ve,51 donne une option au
cr6ancier, en lui permettant de choisir le taux de change soit du jour de
l’ch6ance, soit du jour du paiement. Des dispositions analogues se
retrouvent en mati~re de ch6que. Cet instrument est par definition payable A
vue, c’est donc au jour de la pr6sentation que la conversion doit s’effectuer.
Mais en cas de retard, l’article 36, alin~a 1, du d6cret-loi de 1935,52 ouvre la
m~me option au cr6ancier que celle qui existe pour la lettre de change.
L’article 37, alin6a 1, de la loi du 13 juillet 196753 relative aux procedures
collectives, prescrit une date imp6rative, pour l’exigibilit6 de toutes les dettes
non 6chues, A la charge de la personne mise en liquidation des biens. Cette
date est celle du jour du jugement qui ouvre la proc6dure. Cette r6gle est
dict6e par la n6cessit6 pratique de p6trifier le patrimoine du d6biteur aujour
du jugement. II d~coule de ces dispositions que c’est A cette date que
s’effectuera la conversion en francs frangais des dettes libell6es en monnaie
6trang~re.

Dans certaines conventions internationales relatives A des activit6s
comportant des risques, il est pr6vu des limitations de responsabilit6 pour les
personnes qui les accomplissent. Dans le cadre de ces conventions, on
pr6voit souvent des clauses valeur-or, et plus r6cemment des clauses D.T.S. 4
Dans ces cas, une conversion des sommes or en monnaies nationales est
n6cessaire.

Les dates pr6vues pour

la conversion sont diverses. Certaines
conventions retiennent le cours de ]a date dujugement.5 5 D’autres se r6f~rent
51 Voir Convention portant loi uniforme sur les lettres de change et billets h ordre, 7 juin

1930, 143 L.N.T.S. 257, A la p. 288.

52Voir Ddcret-loi uni/iant le droit en matire de ch~que in D.P. 1935.IV.467.
53 Voir Loi du 13 juillet 1967 sur le r&glementjudiciaire, la liquidation des biens, lafaillite

,,

personnelle et les banqueroutes in D.S.1967.1.269, A la p. 271.

mVoir A ce sujet, Treves, Les clauses or dans les conventions internationales sur la
responsabilitj (1976) 2 D.P.C.I. 421, et La diffusion des clauses en droits de tirage spdciaux
dans les traitis internationaux( 1977) Ann.fr.dr.int. 700; Tobolewski, The Special Drawing
Right in Liability Conventions” An Acceptable Solution? (1979) Lloyd’s Maritime and
Commercial L.Q. 169; Costabel, Gold values in carriage ofgoods Conventions – An up-to-
date review (1979) Lloyd’s Maritime and Commercial L.Q. 326.

55 C’est le cas notamment de la Convention de Varsovie, 12 octobre 1929,137 L.N.T.S. 12.
La r~gle de conversion est contenue dans l’article 22, al. 5, du Protocole modifant la
Convention de Varsovie, 12 octobre 1929, ICAO Doc. 7632. L’unit6 de compte D.T.S. a 6t6
introduite par les Protocoles de Montrdal, 25 septembre 1975, ICAO Does 9145-8. La date
du jugement est aussi retenue par la Convention relative aux dommages causds aux tiers 6 la
surface par des adronefs itrangers, 7 octobre 1952, 310 U.N.T.S. 183, A l’article 11, par. 4.

1982]

JUGEMENTS EN MONNAIE tTRANGERE

par contre A la date du paiement.5 6 Dans les conventions ofI l’on pr6voit la
constitution d’un fonds de limitation de responsabilit6, on utilise la date de
cette constitution.57 Une solution moins directe est apport6e par certaines
autres conventions qui admettent que la date de conversion soit choisie par
les parties.58 La Convention de Bruxelles du 27 mai 196759 6nonce que la date
de conversion doit 8tre d6termin6e en fonction de la lex fori. Enfin, la
proposition de directive relative au rapprochement de lgislation des Etats
membres de la C.E.E. en mati~re de responsabilit6 du fait des produits
d~fectueux, retient comme date de conversion des sommes limites de
responsabilit6 pr6vues en U.C.E., le jour pr6c~dant la date de la fixation
definitive de l’indemnit6.60
B. La position jurisprudentielle

La jurisprudence n’a pas opt6 pour une solution unique et n’a pas voulu
se lier A une r6gle automatique s’appliquant A tous les cas. Quelques d6ci-
sions se sont attard6es, par souci d’6quit6, A appr6cier les responsabilit6s
respectives des parties dans le retard, et A en tenir compte dans le choix de la
date de conversion. C’est ainsi que le jour retenu par les diff6rentes
juridictions, diff~re d’une affaire A l’autre. Certaines, en relevant la faute du
d~biteur, ont retenu tant6t la date de l’6ch6ance, 6’ tant6t la date de la mise en
56 C’est ce que d6cide ]a Convention internationale pour runfication de certaines r~gles en
mati~re de transport de passagers par mer, 29 avril 1961 in J.P. Qu~neudec, Conventions
maritimes internationales(1979) [ci-apr~s: Conventions], pp. 602 et seq., art. 6, A lap. 604.
C’est aussi le cas de la Convention internationale relative b la responsabilitd des exploitants
de navires nucliaires, 25 mai 1962 in Qu6neudec, Conventions, pp. 713 et seq., art. 3, par. 4, A
la p. 715.

57Voir Convention internationale sur la limitation de la responsabilit desproprigtaires de
navires de mer, 10 octobre 1957 in Qu6neudec, Conventions, pp. 691 et seq., art. 3, par. 6, Ala
p. 694; Convention internationale sur la responsabilitj civile pour les dommages dus t la
pollution par les hydrocarbures, 29 novembre 1969 in Qu~neudec, Conventions, pp. 729 et
seq., art. 5, al. 9, A Ta p. 732. Voir enfin, Convention sur la responsabilitj civile pour les
dommages de pollution par les hydrocarbures rdsultant de la recherche et de l’exploitation
des ressources minirales du sous-sol marin, Ier mai 1977 in Qufneudec, Conventions, pp.
769 et seq., art. 6, par. 11, A ]a p. 774.

58 Voir Convention relative au transport par mer de passagers et de leurs bagages, 13
d~cembre 1974 in Qu~neudec, Conventions, pp. 617 et seq., art. 9, al. 2, A la p. 621. Voir
6galement, Convention sur la limitation de responsabiliti en matdire de crdances maritimes,
19 novembre 1976 in Qu6neudec, Conventions, pp. 699 et seq., art. 8, par. 1, A la p. 703.
59 Voir Convention de Bruxelles, 27 mai 1967 in Qu6neudec, Conventions, pp. 609 et seq.
Voir dans le meme sens, Protocole portant modification de la Convention internationale
pour runification de certaines regles en mati~re de connaissement, 23 f~vrier 1968 in
Qu6neudec, Conventions, pp. 573 et seq.

6oVoir le texte de cette directive in Proposition d’une directive du conseil relative au
rapprochement des dispositions ldgislatives rdglementaires et administratives des
tats
membres en matdire de responsabilit dufait desproduits defectueux (1978)4 D.P.C.I. 167,
art. 7, A ]a p. 171.

61 Voir A titre d’exemple, Douai, 15 d6cembre 1927 in (1928) 55 Clunet 675; Douai, 12
juillet 1928 in (1929) 56 Clunet 688. Dans cette meme affaire, Cass.Req., 16 juillet 1929,
D.H. 1929.410.

REVUE DE DROIT DE McGILL

[Vol. 27

demeure, 62 ou alors celle de l’assignation en justice.63 D’autres se sont
prononc~es pour le jour du jugement.64 Quelques decisions ont voulu
sanctionner la faute du cr~ancier qui, par sa n6gligence, ou son intention de
sp~culer, a retard6 la demande de paiement. 65 Mais A 1’examen de l’ensemble
de la jurisprudence, une tendance nette se ddgage en faveur du jour du
paiement.66 Toutefois, la position adoptde par la Chambre criminelle nous
oblige A op6rer une distinction entre la conversion en matibre contractuelle
et cere en mati~re d6lictuelle.

En mati~re contractuelle, la date de conversion en francs frangais du
montant 6valu6 en monnaie 6trangdre se fait au jour du paiement. C’est ce
qui ressort d’un arr~t de la Chambre des requ~tes, 67 qui condamnait une
soci&6t de transport A verser au propridtaire de marchandises avarides lors du
transport, l’indemnit6 ndcessaire pour compenser le dommage subi, en
monnaie suisse, ou sa contre-valeur en francs frangais au cours du jour du
paiement. Cette r6gle fut confirm6e A plusieurs reprises par ]a Chambre civile
et la Chambre commerciale de la Cour de cassation, 68 elle ne pr6sente
actuellement aucun doute quant A son application.

En matidre ddlictuefle, la position jurisprudentielle n’est pas uniforme.
Certaines juridictions prononcent les indemnisations en monnaie 6trang~re,
notamment lorsque la victime a d6pens6 A l’6tranger cette mame monnaie
pour rdparer le dommage subi. D’autres arrets se refusent A admettre des
condamnations en monnaie 6trangdre avec facult6 pour le d6biteur de se
lib6rer en francs frangais. II n’est cependant pas question d’exiger des
tribunaux des condamnations effectivement payables en monnaie 6trang~re,
car cela empidterait sur la rdglementation des changes. Mais une 6valuation
en monnaie 6trangdre, convertie aujour du paiement assurerait, de ]a mame
fagon qu’une condamnation effective en monnaie 6trangdre, la reparation
int6grale du dommage envisag6 par la jurisprudence. Certaines d6cisions se
sont prononcdes pour le jour du paiement effectif afin d’opdrer la
conversion. 69 Ce nest cependant pas la position actuelle de ]a Chambre
criminelle de ]a Cour de cassation. Cette dernidre maintient toujours son

Gaz.Pal. 1932.2.869.

62 Voir Cass.Civ.5e, 5 mai 1926 in (1927) 56 Clunet 87; Cass.Civ.3e, 21 juillet 1932,
63 Voir Cass.Req., 11 juillet 1917, S.1918.I.215; Rouen, 28 mars 1933, Gaz.Pal. 1933.2.27.
64 Voir Paris, 4juillet 1923, D.P. 1923.I.129; voir, concernant la m8meaffaire, Cass. Req.,

9 mars 1925, D.H. 1925.237.

65 Voir Cass.Civ.16re, 12 avril 1927, S.1927.I.293 qui retient lejourdel’assignation. Voir

aussi, Paris, 30 avril 1923, D.P.1923.II.922.

6 6Voir Cass.Civ.16re, 10 juin 1976, Bull.civ., I, no 215, p. 174.
67 Voir Cass.Req., 3 mai 1946, S.1951.I.33, note Plaisant.
6aVoir Cass.Civ.16re, 25 octobre 1961, Bull.civ., I, no 488, p. 385; Cass.Civ.16re, 15
janvier 1962, Bull.civ., I, no 28, p. 24, A ]a p. 25; Cass.Com., 18 novembre 1952, Bull.civ., III,
no 355, p. 273; Cass.Com., 22 juillet 1957, BuIl.civ., III, no 239, p. 200.
69 Voir Pads, 29 mars 1957 in (1960) 49 Rev.crit.dr.int.priv6 55 et note Mezger; Besan9on,
14 mai 1959 in (1960) 49 Rev.erit.dr.int.priv6 67. Voir 6galement Bach, “Influence de la

19821

JUGEMENTS EN MONNAIE ETRANGERE

refus de tenir compte de la date dujour du paiement. Elle consid6re en effet
que la conversion en cette date met a la charge du d6biteur le poids de la
baisse du franc frangais qui n’est pas en soi un dommage li 6t rinfraction. La
Cour se fonde sur une jurisprudence constante qui veut que seul le pr6judice
direct puisse servir de base Ai une action en r6paration caus6e par une
infraction.70

Une deuxi~me d6cision 6manant de cette m~me Chambre7l doit &re
mentionn6e, car elle a pu 8tre interpr&6te par certains comme admettant
implicitement la conversion au jour du paiement. Nous ne pensons pas que
cette d6cision permette une telle interpr6tation. En fait, la Cour ne s’est pas
prononc6e sur la question qui nous pr6occupe. Elle a simplement sanctionn6
l’arrdt d’appel pour ne pas avoir r6pondu aux conclusions du demandeur qui
r6clamait un jugement en partie en monnaie beige, convertible au jour du
paiement.

La d6cision Bomboir v. Monnoyer72 confirma le maintien par la
Chambre criminelle de son ancienne jurisprudence. Toutefois, ici on
remarque une 6volution dans la mesure ofi la date choisie par la Cour n’est
plus celle de la survenance du dommage mais celle de la d6cision. La Cour
d~clara A cet effet:

[Q]u’en d6cidant que ]a somme ainsi alloude en monnaie beige serait convertie en
monnaie frangaise au cours pratiqu6 le jour du paiement, la cour d’appel a viol6 les
textes vis6s au moyen [i.e., il s’agit des articles 1382 et seq. du Code civil frangais, en
vertu desquels le montant de la condamnation ne saurait varier en fonction de
circonstances 6trang~res A rinfraction et au prejudice]; qu’en effet, si les juridictions
frangaises peuvent accorder la reparation des consequences dommageables d’un d61it
commis en France autrement qu’en monnaie frangaise, lorsque les circonstances
sp~ciales relev~es par le juge du fond justifient l’6valuation en monnaie 6trang~re, elles
ne sauraient cependant laisser A des vnements incertains la fixation du montant de
cette r6paration qui doit 8tre dtermin~e aujour oi elles se prononcent… .73
M. L6vy n’a pas manqu6 de relever le caract~re inequitable du r6sultat
auquel l’arr& parvient, notamment dans le cas oOi le paiement tarde pour une
raison quelconque et que dans l’intervalle, la monnaie 6trang~re monte par
rapport A. la monnaie frangaise.74 Dans ce cas, la victime ne pourra plus se
procurer l’6quivalent de la somme d6bours6e dans son pays, et touchera de ce

d6prlciation mon6taire sur les rapports de droit international priv” in Durand, Influence
de la ddpriciation mondtaire sur la vie juridique privd (1961), pp. 3 11 et seq., aux pp. 327 et
seq.70 Voir, dans le m~me sens, Cass.Crim., 26 mars 1941, S. 1942.1.16 ofi la Coura d6cid6 que
e’est A la date de rinfraction que la conversion doit 8tre effectu6e.

71 Voir Cass.Crim., 8 janvier 1959 in (1960) 49 Rev.crit.dr.int.priv6 55 et note Mezger.

Voir aussi, rinterpr6tation donn6e par Bach, supra, note 69, A Ia p. 342.

72Voir Cass.Crim., 7 juillet 1966, Gaz.Pal.1966.2.193 et commentaire L6vy, (1968) 95

Clunet 79.

73 Voir Bomboir v. Monnoyer, supra, note 72, A la p. 194 [nos italiques].
74 Voir Lvy, supra, note 72, A la p. 82.

McGILL LA W JOURNAL

[Vol. 27

fait moins d’argent. Dans l’hypoth~se off c’est sa monnaie qui baisse, elle
touchera plus. Dans les deux cas, la r6paration ne serait plus 6gale au
prejudice.

Afin d’6viter ces incertitudes, seul le jour de paiement reste satisfaisant,
car c’est A cejour que les francs frangais peuvent 8tre effectivement remplac6s
par la monnaie 6trang~re. La Chambre criminelle soutient qu’une 6valuation
A une telle date reviendrait A tenir compte d’un 6v6nement incertain,
totalement 6tranger A rinfraction et au pr6judice. Or, une telle opinion a 6
complkement r6fut6e par la doctrine et abandonn6e par lajurisprudence, y
compris celle de la Chambre criminelle. En effet, le pr6judice ne varie pas en
raison de la hausse des prix: c’est seulement son 6valuation, sa traduction en
argent qui s’en trouve affect6e. 75 D’ailleurs, la Chambre des requates dans
son arr&t du 3 mai 1946,76 rejeta le pourvoi qui 6nongait qu’en retenant lejour
du paiement, les juges du fond avaient tenu compte d’un 616ment sans
rapport avec la faute; ainsi, elle d6clara que la d6cision, “loin de faire 6tat
d’un 616ment 6tranger A la faute g6n6ratrice du dommage, n’a fait qu’assurer
A la victime, comme le devait, le d6dommagement au jour du paiement du
pr6judice que cette faute lui a caus6”.77

les juges

le montant de

se prononcent, puisqu’autrement,

La Chambre criminelle dans Bomboir v. Monnoyer78 accepta la
deuxi~me argumentation voulant que la reparation soit d~terminde au jour
ofi
la
condamnation serait ind6termin6. Ce moyen ne saurait &re convaincant car
si la Cour permet g~n6ralement
la condamnation en nature ou en
6quivalent,79 on ne voit pas pourquoi elle interdirait la condamnation en une
monnaie 6trang~re bien d~termin6e. En outre, depuis l’abandon de la
prohibition des rentes flottantes par la Chambre mixte de la Cour de
cassation, 80 prohibition qui a parfois servi de fondement A l’attitude adopt~e
par la Chambre criminelle, nous ne voyons plus les raisons du maintien de sa
position rigide. Malgr6 le fait que la position maintenue dans cet arrt de ]a
Chambre criminelle ne rejoigne pas celle des autres Chambres, elle n’en
constitue pas moins une 6volution par rapport A son anciennejurisprudence,
qui s’attachait aujour de la survenance du prejudice. Nous pensons que cette
6volution est le signe d’une uniformisation souhaitable des solutions. Enfin,
la conversion aujour du paiement est appliqu6e par lajurisprudence lorsqu’il

75 Ibid., A lap. 83.
76 Voir supra, note 67.
77Ibid., A la p. 34.
78 Voir supra, note 67.
79Voir Cass.Civ.16re, 8 d~cembre 1953, Bull.civ., I, no 355, P. 294, ofi l’on condamna A
payer ]a valeur de remplacement d’un immeuble incendi6 au jour de la reparation. Voir
6galement, Cass.Civ.lre, 5 mai 1962, Bull.civ., I, no 224, p. 200, oiz l’on condamna A
exdcuter des travaux de r6fection selon les directives d’un expert.

80Voir Cass.Ch.mixte, 6 novembre 1974, J.C.P.1975.II.17978, note Savatier.

1982]

JUGEMENTS EN MONNAIE tTRANGPERE

s’agit de reconnaitre, pour le juge de 1’exequatur, une decision 6trang~re
naturellement libelle en monnaie 6trang~re.81

Troisi~me partie: La date de conversion en droit canadien

Cest en vertu de 1’article 11 de la Loi sur la monnaie et les changes82 que
les juridictions canadiennes ne peuvent prononcer des jugements en monnaie
6trang~re:

Tous les comptes publics A travers le Canada doivent 8tre tenus en monnaie
canadienne; et toute declaration, quant A une somme d’argent ou une valeur en argent,
dans une accusation ou quelque procedure judiciaire, doit 8tre 6noncre en monnaie
canadienne.
I1 rrsulte de cette disposition que la date de conversion d’une dette
libellre en monnaie 6trang~re ne peut jamais atre celle du jour du paiement
effectif, comme c’est le cas en France et en Angleterre. II reste donc au
tribunal A choisir entre la date de naissance de la dette et celle dujugement.
Toutefois, il nous apparait important d’examiner tout d’abord l’impact
constitutionnel de la question.

I. La constitutionnalit6 de l’article 11

Le pouvoir mon~taire du Parlement f6d6ral drcoule nrcessairement de
son autorit6 16gislative sur le cours mon~taire et le monnayage,8 3 sur
l’6mission du papier-monnaie, 84 ainsi que sur les offres l6gales (legal
tender).85 L’exercice de ce pouvoir s’est manifest A plusieurs reprises
notamment par la promulgation de la Loi sur la monnaie et les changes,86 en

81 Voir D. Alexandre, Les pouvoirs des juges de l’exequatur (1970), aux pp. 39 et 387.
Dans Ie m~me sens, voir trib.gr.inst.Seine, 9 juilIet 1962 in (1963) 90 Clunet 466, note
Sialelli; Trib.gr.inst.Paris, 18 drcembre 1967, Gaz.Pal. 1968.11.108, qui 6nonce que “le juge
de rexequatur a l’obligation de dire, sans quoi l’exrcution de la decision 6trang~re serait
impossible, que le paiement s’effectuera en monnaie frangaise au cours dujourdupaiement;
qu’il ne s’agit 1 que d’un moyen d’ex~cution qui ne fait pas produire t la decision 6trang~re
des effets diff~rents ou plus 6tendus” [nos italiques].

82 Voir S.R.C. 1970, c. C-39. Cette disposition trouve son origine dans l’Actepouretablir
un syst~me mondtaire uniformepour la Puissance du Canada, S.C. 187 1, c. 4, art. 3. Elle fut
reprise subsrquemment dans l’Acte concernant le systme mondtaire, S.R.C. 1886, c. 30, art.
2, dans Ta Loi du cours mondtaire, S.R.C. 1906, c. 25, art. 4, al. 2, dans la Loi du cours
mondtaire, S.R.C. 1927, c. 40, art. 15, al. 1, et dans ]a Loi sur la monnaie, I’Htel des
monnaies et le Fonds des changes, S.R.C. 1952, c. 315, art. 11.

83 Voir The British North America Act, 1867, 30 & 31 Vict., c. 3 (U.K.), (S.R.C. 1970,

App. II, no 5) [ci-apr~s: B.N.A. Act], art. 91.14.

84 Voir art. 91.15 du B.N.A. Act.
85Voir art. 91.20 du B.N.A. Act.
86 Voir S.R.C. 1970, c. C-39. A cet effet, voir aussi P’article 7 de la Loi sur les clauses-or,

S.R.C. 1970, c. G-4, qui 6nonce:

Toute disposition d’une obligation contractre avant, le ou aprrs le 3 juin 1939, qui est
cens6e accorder au cr6ancier le droit d’exiger le paiement en or ou en pieces d’or, ou en

REVUE DE DROIT DE McGILL

[Vol. 27

vertu de laquelle le gouvernement f~d~ral a le monopole d’6mission du
papier-monnaie et de frappe des pieces de monnaie divisionnaire, ainsi que le
pouvoir de rrgler la valeur de la monnaie canadienne.8 7 Cette loi 6nonce en
outre dans son article 7, que la monnaie canadienne a un cours 16gal sur le
territoire canadien, ce qui signifie qu’une offre de paiement d’une somme
d’argent en monnaie locale a un pouvoir lib6ratoire. Ces dispositions
constituent done un exercice normal du pouvoir monrtaire 6tant donn6
qu’elles ne concernent que ‘aspect public de la monnaie, A savoir sa valeur,
son 6mission et sa force librratoire. Quant A rarticle 11, i semble se
distinguer du reste de la loi par son aspect procedural apparent et pose
quelques doutes quant A sa validit6 eu 6gard A l’article 92.14 du B.N.A. Act,
qui attribue aux provinces radministration de la justice, “y compris la
procedure en mati~re civile dans les tribunaux”.

I1 a 6t soutenu que lobligation mise A la charge des tribunaux de
n’accepter que des demandes libelles en monnaie canadienne est ultra vires,
6tant donn6 qu’elle constitue de par sa nature m~me, une r~gle de proc6dure
tombant dans la sphere d’attributions provinciales en vertu de l’article
92.14.88 Une telle conclusion n’emporte pas notre conviction et peut 6tre mise
en doute en vertu de deux moyens.

les devises

D’abord, la competence frdrrale sur la monnaie comprend aussi bien ]a
trang~res. Le Parlement peut
monnaie canadienne que
rrglementer et poss~de un droit de regard exclusif sur la monnaie
canadienne, mais il peut 6galement rrglementer l’usage des devises 6trangeres
sur le territoire de la frdrration. I1 est 16gitime en effet qu’il puisse restreindre
totalement ou en partie le recours A une monnaie 6trang~re en tant que
moyen de paiement ou de compte. I1 peut aussi, dans le dessein de prot6ger ]a
monnaie locale, bloquer la sortie et contrrler l’entr~e de toute devise
6trang~re. Le Canada a d’ailleurs connu une experience de contr6le des

une somme d’argent d~termin~e au moyen de l’or, est drclar6e contraire A l’int6rt
public, et toute obligation renfermant une telle disposition a le m8me effet que si elle ne
contenait pas ladite disposition et renfermait un engagement d’en payer le montant
nominal en monnaie ayant cours 16gal au pays en rargent duquel robligation est
acquittable, ou son 6quivalent en monnaie canadienne.

87Voir S.R.C. 1970, c. C-39, arts 3 et 5.
88 Voir A cet effet, Riordan, supra, note 41, aux pp. 438-9. Certaines reserves quant A la
constitutionnalit6 de l’article I 1 ont 6t6 6mises r~cemment par ]a Law Reform Commission
of British Columbia, Working Paper 33 [;] Foreign Money Liabilities (1981), aux pp. 81 et
seq. La Commission croit que le changement de ]’article I 1 par l’autorit6 fdrale est la
solution la plus prefrable. Toutefois, devant ]a lenteur et ]a complexit6 de ce procdA, la
Commission pr~f~re opter pour une solution plus risqu~e et, A ce stade de son travail, elle
suggre radoption d’une loi provinciale rendant obligatoire ]a date du jour du paiement
effectif comme date de conversion des cr~ances en monnaie 6trang~res. Une telle solution est
en contravention directe avec rarticle 11.

1982]

JUGEMENTS EN MONNAIE tTRANGERE

changes qui a dur6 pros de treize ans. 89 Ainsi, ron voit que le pouvoir du
Parlement sur ‘usage des devises 6trang~res en tant que moyen de compte ou
de paiement sur le territoire canadien est presque sans limite.90 L’article 11
s’inscrit donc dans le cadre du pouvoir montaire du Parlement frd6ral et
n’en constitue nullement une anomalie. La comptence sur le cours 16gal
signifie en outre que le Parlement est garant de la stabilit6 monrtaire et doit
veiller a ce que la fiction, voulant que le dollar soit toujours 6gal A lui-m6me,
soit respectre. Un des moyens pour protrger le credit de la monnaie serait en
effet d’obliger les parties A declarer leurs demandes en justice en dollars
canadiens. Permettre le contraire encouragerait la m6fiance vis-a-vis le
dollar. Ces raisons nous am~nent donc A conclure que l’article 11 est intra
vires du Parlement canadien. 91

L’article 11 n’a fait qu’rnoncer le principe de l’interdiction de juger en
monnaie 6trang~re mais i ne contient rien quant a la date de conversion.
Ainsi, les tribunaux doivent determiner cette date. Leur choix s’est trouv6
particuli~rement limit6 par les termes mmes de ‘article 11, qui pr6voit que
toute ddclaration dans une procdurejudiciaire doit &re libellre en monnaie
canadienne. I1 en drcoule que sur le plan procedural, un crrancier d’une
somme d’argent en monnaie 6trang~re est toujours oblig6 d’ins6rer dans sa
demande
introductive d’instance une somme 6quivalente en monnaie
canadienne. Or, si le l6gislateur a expressrment prrvu cette obligation, c’est
qu’implicitement, il consid~re que la conversion doit avoir lieu avant la date

89 Au Canada, rintroduction des premieres mesures de contrrle des changes systrmatique
s’est faite par le Foreign Exchange Control Order, P.C. 1940-2716, 15 septembre 1939,
prononc6 par le Gouverneur g~nrral en conseil en vertu des pouvoirs exceptionnels qui lui
furent conf~rs par la Loi des mesures de guerre, S.R.C. 1927, c. 206. Ces restrictions
s’appliqu~rent, avec quelques modifications mineures, jusqu’au ler janvier 1947, date
d’entr6een vigueur de la Loi sur le contr6le des changes, S.C. 1946, c. 53. Cette loi, purement
provisoire, n’avait effet que pour une durne de deux ans; toutefois, elle fut proroguejusqu’A
son abrogation oprie par la Loi sur la monnaie, l’Htel des monnaies et le Fonds des
changes, S.C. 1952, c. 40, art. 30.

90 Cette affirmation doit cependant 6tre temp~rre par ‘effet des obligations contractres
par le Canada en tant que membre du Fonds monrtaire international. Celui-ci doit donner
son accord pr~alable A toute restriction sur les paiements courants par le Parlement f~d1ral.
Voir A cet effet la Loi sur les accords de Bretton Woods, S.R.C. 1970, c. B-9, et notamment,
Annexe I, Statuts du Fonds Montaire International, art. VIII. Voir aussi D. Carreau,
Souverainetd et cooperation monitaire internationale (1970), aux pp. 317 et seq., ainsi que
D. Carreau, P. Juillard & T. Flory, Droit international iconomique (1978), aux pp. 236 et
seq.

91 Constitutionnalit6 qui n’a d’ailleurs jamais 6 mise en doute par les tribunaux, ceux-ci
s’6tant toujours refuses de rendrejugement en monnaie 6trang~re. Voir The Royal Trust Co.
v. The Corporation of the District of Oak Bay (1934) 48 B.C.L.R. 514 (S.C.); Baumgartner
v. Carsley Silk Co. (1971) 23 D.L.R. (3d) 255 (Qu6. C.A.) [rrsum6 in Carsley Silk Co. v.
Koechlin Baumgartner & Cie [1972] C.A. 267]; General Instrument Corp. v.
MaritimeOntario Freight Lines Ltd (1973) 8 N.B.R. (2d) 376 (Q.B.); Hoodekoff v.
Hoodekoff(1976) 25 R.F.L. 8 (B.C.S.C.).

Mc GILL LA W JO URNA L

[Vol. 27

de la saisine du tribunal. Une fois cette operation effectu~e, aucune
consideration ne doit 8tre donnre aux fluctuations mon6taires ultrrieures.
Done, une interpretation stricte de cette disposition laisse aux tribunaux le
choix entre deux dates possibles de conversion: celle de la naissance de ]a
dette (rupture du contrat ou survenance du dommage caus6 par la conduite
fautive d’un tiers en cas d’une action en responsabilit6 d6lictuelle: breach
date), et celle de l’introduction de l’instance. C’est ]a premiere interpr6tation
qui a 6t6 retenue par la Cour supreme du Canada, influenc~e en cela sans
doute par l’implantation de la m~me r~gle en jurisprudence anglaise. Cette
rrgle est cependant de plus en plus critiqu6e et contest6e, et ron assiste
actuellement A la mise en cause de sa l6gitimit6 et de sa justesse devant les
tribunaux.

II. La breach date rule

La jurisprudence canadienne, influencre par les r~gles anglaises en la
matirre, a choisi la breach date rule. Cette r6gle a 6t6 appliqu6e par ]a Cour
supreme en 1925 A l’occasion de l’arr~t The Brilliant Silk Manufacturing Co.
v. Kaufman.92 Le juge Duff, parlant au nom de la majorit6, admet:

Since the sums to which the appellants were entitled as prices forgoods delivered under
the contract or tendered for delivery were payable in New York, they were payable at
the figure named in New York funds; and damages should therefore be calculated
according to the rate of exchange ruling on the respective dates when such sums would
have been paid in New York if the terms of the contract had been observed. 93

La m~me r~gle fut rrit~re par la Cour supreme A ‘occasion de l’arret The
Custodian v. Blucher.94 Dans cette affaire, le demandeur possrde un certain
nombre d’actions drtenues et enregistrres au non de la Nationalbankfar
Deutschland. Le paiement des dividendes est suspendu, suite aux mesures de
guerre qui la consid6rent comme une banque ennemie et g~lent ses avoirs. A
la fin des hostilit6s, le demandeur apporte la preuve qu’il est ressortissant
britannique et rrclame les dividendes retenus depuis 1917. Or, ces dividendes
6tant normalement verses en dollars am6ricains, le demandeur r~clame leur

92 Voir [1925] S.C.R. 249.
93 Ibid., A la p. 259.
94 Voir [1927] S.C.R. 420. La breach date rule avait cependant 6t6 utilis~e par les
tribunaux inf6rieurs bien avant cet arr~t. Voir notamment au Quebec, La corporation des
obligations municipales ltde v. La ville Montral-Nord(1921) 59 C.S. 550; Les Commissaires
dcole de la Municipalitd Scolaire de St-Charles v. La Socidtd des Artisans Canadiens
Franfais (1922) 33 B.R. 448; et en mati~re de responsabilit6 quasi-d6lictuelle, The “Frank”
(1877) 3 Q.L.R. 193; en Saskatchewan, Toronto General Trusts Corp. v. City of Regina
(1922) 15 Sask. L.R. 491 (C.A.); Simms v. Cherrenkoff(1921) 62 D.L.R. 703 (Sask. K.B.);
Collins v. Wilson (1922) 16 Sask. L.R. 198 (C.A.); en Ontario, Newaygo Co. v. Russell
(1921) 21 O.W.N. 47 (S.C.) conf. (1922) 22 O.W.N. 366 (Div.Ct); Hooton Cocoa Co. v.
Willards Chocolates Lid (1922) 21 O.W.N. 358 (S.C.); Gatehouse v. Dominion Linens Ltd
(1922) 22 O.W.N. 174 (S.C.); au Manitoba, Johnson v. Pratt (1934) 42 Man. R. 93 (K.B.);
Simpson v. Chamberlain (1923) 33 Man. R. 81 (K.B.).

1982]

JUGEMENTS EN MONNAIE ] TRANGERE

conversion en monnaie canadienne au taux du jour of ils sont devenus
exigibles, et non au taux du jour de sa r6clamation comme le pretend le
s6questre. Sa requ&e est maintenue devant la Cour supreme, qui tout en
s’appuyant sur la jurisprudence anglaise, admet que c’est au jour oii les
dividendes sont payables qu’il faut se placer pour leur conversion en
monnaie canadienne. 95

Au Qu6bec, la breach date rule a 6t6 consacr6e par la Cour d’appel dans
l’affaire Baumgartner v. Corsley Silk Ltd 96 ofi Monsieur
le juge
Montgomery, au nom de la majorit6, a rejet6 la d6cision de la Cour
sup6rieure qui avait prononc6 unjugenient libell6 en dollars am6ricains. Son
refus d’ent6riner cette d6cision a 6t6 motiv6 par rexistence de l’article 11 de la
Loi sur la monnaie et les changes97 et aussi par les difficult~s d’ex6cution
qu’aurait, selon lui, un tel jugement rendu en une monnaie 6trang~re:

In any event, the judgment as rendered appears to be not susceptible of execution and
therefore in violation of art. 469 of the Code of Civil Procedure… . I am unable to
understand how officers of the Court would go about executing a judgment for
payment of a sum in a foreign currency.98
Le seul arret important qui se soit distingu6 de cettejurisprudence, avant
‘av~nement du courant plus r6cent qui conteste la primaut6 de la breach date
t6 celui rendu par la Ontario Court of Appeal dans Quartier v.
rule, a
Farah.99 Dans cette affaire, le demandeur, avocat frangais ayant rendu des
services professionnels au d6fendeur, r6sidant ontarien, s’adressa aux
juridictions de
‘Ontario afin de r6cup6rer le montant de ses honoraires
impay6s, qui s’61evaient A 2 000 francs frangais. Le probl~me qui se posait
alors devant la Cour of Appeal 6tait celui de savoir si le demandeur ne
recevrait que 400 dollars, somme correspondant i l’obligation convertie au
jour de sa naissance, ou si plut6t, comme il le pr6tendait, il 6tait en droit de
r6elamer la somme originale en francs franqais, convertible au jour du
jugement. Cette derni~re date lui 6tait bien plus profitable, car elle lui
permettait de recevoir le double de la premiere somme. C’est dans ce sens
qu’avaient statu6 les juges d’appel. Monsieur le juge Meredith d6clarait que

95 Voir The Custodian v. Blucher, supra, note 94; M. lejuge Newcombe6nonce cette rgle

A la p. 426 :

As to the time for conversion, I think the learned judge of the Exchequer Court was right
in principle, and upon the authority of the decisions, which in England have been
substantially uniform that the rate is that which ruled at the time when each of the
quarterly dividends became due or payable to the Custodian….

Voir dans le m~me sens, Gatineau Power Co. v. Crown Life Insurance Co. [ 1945 ] S.C.R.
655.

96 Voir supra, note 91.
97Voir S.R.C. 1970, c. C-39.
98 Voir supra, note 91, A ]a p. 256.
99Voir (1921) 49 O.L.R. 186 (App. Div.). Voir 6galement Cortes v. Lipton Bldg Ltd

[1965] 2 O.R. 282 (C.A.), conf. [ 1965] I O.R. 266 (H.C.).

REVUE DE DROIT DE McGILL

[Vol. 27

la d6cision Di Ferdinando’00 6tait inapplicable A 1’esp~ce car selon lui “[t]he
respondent’s claim is not for the recovery of unliquidated damages for
breach of a contract, but he is suing for a debt owing to him for services
performed by him for the appellant”.’ 0′ Le juge ajoutait qu’A son avis, “the
value of the 2,000 francs owed to the respondent, not being damages for
breach of a contract, and not being money payable at a fixed time and place,
must be determined according to the rate of exchange which prevailed when
judgment was pronounced in the Court below”.’ 02

Cette decision adopte donc une interpretation assez large de ]a
disposition correspondant i l’article 11 de l’poque. Toutefois, si la r~gle
6nonc6e par la Cour est int~ressante en ce qu’elle essaie de temp6rer ]a rigidit6
de ]a breach date rule, elle reste cependant discutable quant A l’ingalit6
qu’elle introduit entre les justiciables. Le privilege accord6 A ceux dont
l’action est baste sur une cause autre qu’une rupture de contrat, ou autre
qu’une somme payable A une date et en un lieu fixes, n’est pas justifi6.

Dans certains cas particuliers, le l~gislateur a express6ment pr~vu une
solution au probl~me du choix de la date de conversion, qui n’a pas touj ours
correspondu avec la breach date rule.

L’article 163 de la Loi sur les lettres de change0 3 retient la solution
jurisprudentielle et 6nonce que la conversion a lieu au jour ofA l’effet est
payable. Par contre, la Loi sur le transport adrien’0 4 6nonce dans son article
2, ain~a 6, que:

Toute somme mentionne en francs A l’Article 22 de l’annexe I doit, pour les fins d’une
action intent~e contre un transporteur, 8tre convertie en dollars canadiens au taux du
change en vigueur i la date oat le tribunal a 6tabli le montant des dommages-int6rets que
doit payer le transporteur10 5

100 Voir supra, note 27.
101 Voir supra, note 99, A ]a p. 198.
302 Ibid., A lap. 199.
’03Voir S.R.C. 1970, c. B-5.
’04 Voir S.R.C. 1970, c. C-14.
05 L’article 22, par. 4, de la Convention de Varsovie, S.R.C. 1970, c. C-14, Annexe I,
indique que le franc dont il s’agit est le franc frangais, “constitu6 par soixante-cinq et demi
miligrammes d’or au titre de neuf cents milliemes de fin”. La conversion des unit6s de
compte pr~vue par cet article s’opre donc en fonction de ]a valeur officielle en or du dollar
canadien. Ce m~canisme n’est cependant plus fonctionnel depuis l’entr6e en vigueur de la
nouvelle Loi sur les accords de Bretton Woods, S.C. 1976-7, c. 37, oil l’on convient de
supprimer toute r~f~rence a ror pour fixer les valeurs officielles des monnaies nationales.
Faut-il d~s lors tenir compte de Ia valeur de l’or sur le march6 libre, ou celle qu’on a le plus
rcemment fix6 par d~claration gouvernementale? A notre avis, il faudrait s’inspirer de la
solution retenue face A ce m~me probl~me dans ‘application de la Loi sur la marine
marchande du Canada, S.R.C. 1970, c. S-9. Le Rglement sur la conversion des francs-or
(responsabilitd maritime), DORS/ 78-73, (1978) 112 Gazette du Canada Partie II, no 3, A la
p. 465, a d~termin6 que pour les fins de cette conversion, l’quivalent endollars des francs-or
s’6tablissait en les convertissant d’abord en D.T.S., aux taux de change de 15 075 francs-or

1982]

JUGEMENTS EN MONNAIE RTRANGPRE

La meme date est retenue dans la Loi sur les dommages causds aux tiers
par des aironefs dtrangers.06 Enfin, une troisi~me date est retenue en mati~re
de faillite qui est celle du jour de la production de la proposition
concordataire. 107 Ainsi, A part l’originalit6 introduite par l’arret Quartier v.
Farah08 et les quelques exceptions 16gales citres, le droit canadien est
actuellement rrgi par les principes qui prrvalaient en Angleterre avant la
rrforme jurisprudentielle drclenchre par larrt MiliangosJ09 Toutefois,
r’abandon de ces principes n’est pas impossible dans un avenir prochain. no
Le caract~re injuste et anachronique de la breach date rule a suscit6 la
reaction d’une partie de la jurisprudence qui refuse d6sormais de la
maintenir. L’rvolution a commenc6 A se dessiner du c6t6 des magistrats
ontariens qui ont rrcemment mis en doute sa validit6. Leur decision a trouv6
un 6cho qui semble s’amplifier.

III. L’tat de la jurisprudence Ai la suite de la rfforme anglaise

Les deux premieres decisions ayant trait6 du probl~me de la date de
conversion A la suite de rabandon de la breach date rule en Angleterre, ont
6t6 rendues au Qu6bec et en Ontario, et ont trait A rexequatur de deux
jugements rendus A r6tranger. Lorsqu’il s’agit de reconnaitre l’effet d’un
jugement 6tranger libell6 en monnaie 6trang6re, il est possible de choisir entre
trois dates de conversion: celle du jugement 6tranger, celle de la d6cision de
reconnaissance et enfin, celle du paiement. Cette derni~re 6tant l6galement
6cart6e au Canada, en vertu de rarticle 11, seules les deux premieres restent
possibles. Entre ces deux dates, le choix op6r6 au Qu6bec et en Ontario a 6t6
totalement contradictoire.

pour un D.T.S., puis de convertir ces derniers en dollars canadiens aux taux de change
6tablis par le Fonds monrtaire international.

Le probl~me de la mise en euvre de rarticle 22 de la Convention de Varsovie a requ une
solution surprenante en France. La Cour d’appel de Paris a d~clar6 dans l’arr&t Cie Egyptair
v. Dame Chamie in (1981) 35 Rev.fr.dr.arrien 152, “que le franc frangais actuel… peut
seul etre utilis6 pour la conversion en monnaie nationale des francs de la Convention de
Varsovie”. En Grande-Bretagne, le Carriage by Air (Sterling Equivalents) (No. 2) Order,
S.I., drcembre 1980, no 1873, fixe l’rquivalent des francs en livres, tel que prvu par Ia
Convention de Varsovie.

106Voir S.R.C. 1970, c. F-28, art. 11, par. 4.
07 Voir Loi sur lafaillite, S.R.C. 1970, c. B-3, arts 42, par. 1, et 95, par. 4. Voir A cet effet,
1

In re Canadian Vinyl Inc.: Corber v. Textilwerke Gebruder Hoon [1978] C.S. 473.

108 Voir supra, note 99.
109 Voir supra, note 13.
10 La Cour supreme du Canada a 6t6 saisie de raffaire Williams & Glyn’s Bank Ltd v.
Belkin Packaging Ltd, infra, note 117, dans laquelle le problme du choix de la date de
conversion se pose.

McGILL LAW JOURNAL

[Vol. 27

A. La position de la Cour supirieure du Quibec: l’affaire Kraft v. Otto”‘
Dans cette affaire, le d6fendeur a exerc6 en Suisse un recours en arbitrage
contre les trois fid6icommissaires d’une fondation familiale cr 6e par son
oncle. Sa demande a W rejet6e par la Cour suisse d’arbitrage, qui
‘a
condamn6 A payer aux fid6icommissaires les frais d’arbitrage totalisant ]a
somme de 120 000 francs suisses. Cette sentence a 6t6 rendue ex~cutoire par
un certificat d6livr6 par la Cour d’appel du Canton de Zurich le 22 d6cembre
1969. A ce moment, l’6quivalent de cette somme en dollars canadiens
s’6levait A 29 892. Devant la Cour sup6rieure, le demandeur r6clama 48 848
dollars pour tenir compte de la perte qu’il avait subie A cause de ]a
d6pr6ciation de la monnaie canadienne.

Le probl~me de la date de conversion a 6t r~solu en faveur du jour of6 le
jugement suisse fut rendu ex6cutoire. La Cour a estim6 que cette solution
mettait fin A toute tentative de sp6culation de ]a part du cr6ancier, et 6vitait
de lui accorder un surplus d’argent qui ne serait, en v6rit6, qu’une
condamnation d6guis6e du d6biteur. La Cour temp~re toutefois sa solution
en admettant qu’il est possible de tenir compte des fluctuations mon~taires,
lorsque le demandeurjustifie le retard pris entre la date du premierjugement
et la date de sa demande en exequatur.

B. La position de la High Court of Ontario:

‘affaire Batavia Times Publishing Co. v. Davis’ 12
I1 s’agit d’un jugement obtenu en Pennsylvanie pronongant une
condamnation en dollars am6ricains. Concernant le probl~me du choix de la
date de conversion, Monsieur le juge Carruthers d6cida que, devant
l’impossibilit6 d’ordonner le paiement en monnaie am6ricaine convertible au
jour du r~glement, solution la plus satisfaisante selon lui, il pr6f6rait opter
pour la date de son propre jugement. Celui-ci chercha en vain l’existence
d’autorit6s canadiennes qui puissent le lier, et qui auraient retenu comme
date de conversion, A roccasion d’une procedure d’exequatur, ]a date du
premier jugement. II constata que les pr6c6dents de la Cour supreme
consacrant la breach date rule ne portaient pas sur des cas de reconnaissance
de jugements 6trangers et d6s lors ne le liaient pas dans l’affaire en question:
As I find the situation in Canada at this time, then, there are no authorities which bind
me in determining the conversion date in a case such as we are dealing with here. I am
then in my opinion free to adopt that date [ date dujugement ] which in my view’avoids
an injustice’ and is ‘in step with commercial needs’. Neither of the parties should be
adversely affected by fluctuating currencies.’13

“‘Voir [ 1978 ] C.S. 752. Voir notamment, Groffier, L’exdcuiion desjugements dtrangers

et les taux de change (1979) 39 R. du B. 653.

” 2 Voir (1978) 20 O.R. (2d) 437 (H.C.).
13Ibid., A la p. 446.

19821

JUGEMENTS EN MONNAIE tTRANGP-RE

La technique utilis~e par Monsieur le juge Carruthers afin d’arriver A la
solution qu’iil adopte, ne doit pas A notre avis, servir de pr6texte pour
diminuer la port~e de sa decision. Cette derni~re ne doit pas 8tre interpr~t~e
restrictivement de fagon A la r6server aux seuls cas des jugements
6trangers.ll 4 L’analyse qu’il fait de la jurisprudence anglaise et les griefs qu’il
adresse A la breach date rule laissent entendre qu’il est prt A appliquer la date
du jugement comme date de conversion A toute demande enjustice libell~e en
monnaie 6trang~re. Son intention est tr~s claire en ce sens, lorsqu’il affirme
que:

Although strictly speaking Miliangos has not overruled those decisions of the Supreme
Court of Canada including the decision of the Judicial Committee of the Privy Council
in S.S. Celia v. S.S. Volturno, [1921] 2 A.C. 544, and they therefore remain today as
authorities binding upon the lower Courts of Canada, I find it difficult to accept that
those cases should now be applied by the lower Courts. ‘ 5
Sans faire preuve de trop d’optimisme, cette decision peut 8tre consid~rde
comme le debut d’une offensive s6rieuse contre l’application exclusive de la
breach date rule. DEjA d’autres d6cisions rdcentes ont consacr6 cette
jurisprudence tout en 6claircissant son domaine d’application. Dans l’arr&t
Gross v. Marvel Office Furniture Manufacturing Ltd,116 la date dujugement
a R6 appliqu~e A la conversion d’une commission en monnaie am6ricaine
r~clam~e par le demandeur. Un deuxi~mejugement en ce sens a 6t6 rendu par
la Supreme Court of British Columbia dans l’affaire Williams & Glyn’s Bank
Ltd v. Belkin Packaging Ltd,”17 ofi il s’agissait d’une demande fond~e sur une
s~rie de notes promissoires payables en Angleterre en livres sterling.
S’appuyant sur l’arrt Batavia, Monsieur le juge McKenzie ordonna la

14 Elle l’a cependant W dans AM-PC Forest Products Inc. v. Phoenix Doors Ltd(1979)
14 B.C.L.R. 63 (S.C.). Face A une demande en breach of contract libell6e en monnaie
am~ricaine, M. le juge Kirke Smith fait la distinction suivante A ]a p. 67 de son jugement:
“That [l’affaire Batavia 7imes Publishing Co. v. Davis, supra, note 112] was an action
brought in Ontario to enforce a Pennsylvaniajudgment; and such actions have always stood
on a somewhat different footing from actions (such as this one) based on the original cause
of action.” II ajoute A la meme page: “I echo this cri du ccur, but I have concluded that in
the factual situation confronting me I have no option… . If this were a case seeking
enforcement of a foreign judgment, I should gladly follow the path of Carruthers, J.; but… I
have, as I conceive it, no freedom to do so. I must, in view of the Supreme Court of Canada
decisions I have mentioned, follow the “breach-day” rule”. Voir dans le meme sens,
Farmer’s National Bank and Trust Co. of Ashtabula v. Coles (1981) 33 N.B.R. (2d) 248
(Q.B.).

15 Voir supra, note 112, A la p. 444.
6Voir (1979) 9 C.P.C. 103 (H.C.).
1
“7Voir (1980) 18 B.C.L.R. 279 (S.C.). Dans cet arret, l’application de ]a date du
jugement, plut6t que celle de la breach date, comme date de conversion a rapport6 aux
demandeurs un surplus de 350000 dollars. En appel, (1981) 28 B.C.L.R. 96 (C.A.), ]a
question de la date de conversion n’a 6t6 traitde que dans l’opinion dissidente de M. lejuge
Hutcheon, A lap. 105, ofi celui-ci se prononce pour la breach date. Cette dcision a t port~e
en appel devant la Cour supreme du Canada.

REVUE DE DROIT DE McGILL

[Vol. 27

conversion de la cr6ance en dollars canadiens au taux dujour dujugement.
L’arret Schacht v. Schacht,’ 8 ofi il s’agissait d’un jugement rendu dans l’Etat
de la Californie, qu’on voulait mettre en execution en Colombie-Britannique,
a lui aussi suivi l’arret Batavia en se pronongant pour le jour du jugement
comme date de conversion.

Lajurisprudence r6cente constitue donc une am6lioration et un correctif
appreciables apport6s A la rigidit6 de la breach date rule. Il est toutefois
regrettable que devant l’existence de l’article 11, les tribunaux ne puissent
appliquer la date du paiement effectif. Peut-8tre cette interdiction sera-t-elle
lev6e un jour. I1 faut noter que le droit, dont l’application aux faits est
souvent lente, marque moins de retard lorsqu’il s’agit de corriger les effets de
la d6pr6ciation mon6taire.119 Cependant, ‘adoption de la nouvelle date de
conversion ne doit pas signifier ]a disparition d6finitive de ]a breach date
rule. Au contraire, cette r~gle existe toujours mais cesse simplement d’etre
d’application exclusive. Rien n’emp~che en effet les parties d’introduire
d’embl~e une demande en ]a monnaie du for et de r~clamer le paiement de
leur cr6ance convertie au taux du change du jour de ]a rupture du contrat.
Leur refuser ce choix risquerait de rendre la nouvelle r~gle de la date du
jugement aussi rigide et injuste que l’6tait ]a breach date rule, lorsqu’elle 6tait
seule applicable. Cette injustice peut se pr6senter lorsque ]a monnaie
6trang~re de la dette se d6pr6cie plus rapidement que le dollar canadien.
Dans ce cas, la cr6ance en monnaie 6trang~re convertie aujour du jugement
sera d’un montant moindre qu’au jour de sa naissance. Pour ces situations, il
serait 16gitime de permettre au cr6ancier de r6clamer un jugement en
monnaie canadienne convertie au taux du jour de ]a rupture du contrat.120

Conclusion

Nous pouvons ainsi dire qu’actuellement, les syst~mes anglais et frangais
se rejoignent quant au choix de ]a date de conversion des dettes libell6es en
monnaie 6trang&re. Le droit anglais, parti d’une interdiction absolue dejuger
en monnaie 6trang~re, dict6e par une r~gle de proc6dure obligeant les parties
A formuler leur demande en monnaie anglaise, s’est transform6 au terme
d’une courte 6volution, et permet d6sormais aux magistrats anglais de juger

18 R6sum6 in (1981) 8 A.C.W.S. (2d) 426 (B.C.S.C.). Voir dans le mame sens, Minister of
State of the Principality of Monaco v. Project Planning Associates (International) Lid
(1981) 32 O.R. (2d) 438 (H.C.); Bedford v. Shaw (1981) 33 O.R. (2d) 766 (S.C.).

119 Voir les propositions in Law Reform Commission of British Columbia, supra, note 88,

A la p. 98, ofi la Commission se prononce pour la date du paiement effectif.

120 Mme E. Groffier, dans son Prdcis de droit internationalprivd qudbdcois (1980), A ]a p.
163, s’exprime comme suit: “I1 importe donc que ]a r~gle reste flexible. Elle pourrait tre
fondde sur lafavor creditoris sauf si le crancier, par son attitude n6gligente, ne se montre pas
digne de cette faveur.” Voir 6galement, S. Waddams, The Law of Contracts (1977), A la p.
439; Riordan, supra, note 41. Voir 6galement Ozalid Group (Export) Ltd v. African
Continental Bank Ltd, supra, note 41, et texte y cit6.

1982]

JUGEMENTS EN MONNAIE tTRANGERE

en monnaie 6trang~re, en retenant le jour du paiement comme date de
conversion. Le droit frangais, par contre, n’a pas connu la meme rigueur de la
r~gle proc6durale qui prrvalait en droit anglais. Le juge frangais garde
toujours la possibilit6 de libeller son jugement en monnaie 6trang~re. Dans
ce cas, la conversion interviendra au jour du paiement.

Toutefois, dans les deux syst~mes, la conversion effective op6re par le
drbiteur n’est que facultative. En Angleterre, depuis I’abolition de la
r~glementation des changes, le d6biteur pourra se procurer le montant de sa
dette en monnaie 6trang~re qu’il versera directement A son crrancier. En
France, il pourra toujours saisir les autoritrs de change d’une demande
d’autorisation pour se procurer les devises en question.

De meme, le crrancier nest pas toujours oblig6 de libeller sa demande en
monnaie 6trang~re, dans laquelle est nre sa crrance. I1 pourra parfaitement
traduire sa r~clamation en la monnaie dujuge saisi, si cela lui est profitable.
Cette solution s’impose par sa logique, m~me si parfois elle risque d’6tre
onrreuse pour le d6biteur. Mais lIA encore, pour parer contre des situations
in6quitables et injustes, il est imprratif de n’accorder au cr~ancier qui choisit
d’intenter son action en la monnaie du for qu’une seule date de conversion,
soit celle de la naissance de sa dette, c’est-i-dire, le jour de la rupture du
contrat ou de la survenance du dommage contractuel ou drlictuel. Seule
cette date a un lien direct avec la crrance. Retenir une autre date nous parait
inappropri6 et de nature A encourager la speculation du cr6ancier.

Quant au droit canadien, il est en pleine 6volution et il nous semble fort
probable que la br~che ouverte par les juges ontariens s’intensifiera jusqu’A
rabandon de l’application exclusive de la breach date rule, en faveur d’une
solution plus souple laissant le choix aux crranciers entre la date de la
naissance de la dette, et celle du jugement. C’est IA une solution qui nous
semble plus 6quitable et mieux ajustre A notre 6poque marquee par une
grande instabilit6 monrtaire.