Article Volume 67:1

L’extinction des droits ancestraux des non-signataires de la Convention de la Baie-James : le test de la condition 14

Il y a quarante-cinq ans, le Parlement du Canada entérinait la Convention de la Baie James et du Nord québécois (CBJNQ) en adoptant la Loi sur le règlement des revendications des autochtones de la Baie James et du Nord québécois. La loi fédérale énonce que la « présente loi éteint tous les revendications, droits, titres et intérêts autochtones, quels qu’ils soient, aux terres et dans les terres du Territoire, de tous les Indiens et de tous les Inuit, où qu’ils soient […] ». Or, au moment de la signature de la CBJNQ, d’autres peuples que ceux qui l’ont négociée et signée revendiquent des droits ancestraux sur le territoire « conventionné ». Ils s’opposent à la loi fédérale notamment au motif que leurs droits ancestraux bénéficient d’une protection constitutionnelle en vertu de l’Arrêté en conseil de sa Majesté admettant la terre de Rupert et le Territoire du Nord-Ouest de 1870 qui a initialement rattaché au Canada les terres par la suite annexées au Québec et aujourd’hui comprises dans le territoire conventionné. Le présent article a pour objet de vérifier le bien-fondé de cette thèse. Après avoir retracé la genèse juridique de l’annexion au Canada du territoire concerné, et précisé la portée constitutionnelle des conditions de cette annexion qui concernent les peuples autochtones, l’auteur en arrive à la conclusion que la Loi fédérale de 1977 va à l’encontre de la condition 14 de l’arrêté impérial de 1870. Il fait valoir que l’extinction unilatérale des droits ancestraux des peuples non signataires n’est pas conforme à l’honneur de la Couronne qui est engagé par cette condition.

Forty-five years ago, the Parliament of Canada approved and gave effect to the James Bay and Northern Quebec Agreement (JBNQA) by passing the James Bay and Northern Quebec Native Claims Settlement Act. The federal legislation states that “All native claims, rights, title and interests, whatever they may be, in and to the Territory, of all Indians and all Inuit, wherever they may be, are hereby extinguished.” However, at the time of the signing of the JBNQA, other first peoples than those who negotiated and signed it were claiming Aboriginal rights to the JBNQA Territory. They objected to the extinguishment clause on the grounds, among others, that their Aboriginal rights are constitutionally protected by virtue of Her Majesty’s Order in Council admitting Rupert’s Land and the North-Western Territory of 1870, which initially attached to Canada the lands that were later annexed to Quebec and are now included in the JBNQA Territory. The purpose of this article is to verify the validity of this thesis. After tracing the legal history of the annexation to Canada of the territory in question and clarifying the constitutional scope of the conditions of that annexation as they relate to aboriginal peoples, the author concludes that the Federal Act of 1977 runs counter to condition 14 of the Imperial Order of 1870. He argues that the unilateral extinguishment of the aboriginal rights of non-signatory peoples is not consistent with the honour of the Crown which is bound by this condition.

* PhD. Professeur à la Section de droit civil de l’Université d’Ottawa, titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur la diversité juridique et les peuples autochtones. Cette recherche a été entreprise grâce, en partie, au soutien financier du Programme des chaires de recherche du Canada. L’auteur remercie le professeur Jean-Paul Lacasse, ainsi que les évaluateurs anonymes, dont les commentaires et les suggestions ont permis d’améliorer la version finale de cet article. https://orcid.org/0000-0002-2563-9498

Table des matières

Introduction

I.  Le rêve continental du dominion et la condition 14

A.  Une expansion territoriale assortie d’engagements relatifs aux revendications territoriales autochtones

B.  La condition 14 concernant les revendications autochtones sur la Terre de Rupert

C.  L’extension territoriale du Québec

II. Le statut constitutionnel de la condition 14

A.  Sa valeur supra-législative

B.  Sa primauté confirmée par la jurisprudence

III. La condition 14 engage l’honneur de la Couronne

A.  L’interprétation actuelle de l’Arrêté de 1870

B.  L’interprétation symétrique des dispositions de l’Arrêté et l’obligation de la Couronne d’agir honorablement

IV. L’extinction unilatérale et le test de la condition 14

A.  Le Parlement face aux dispositions de l’Arrêté de 1870 relatives aux peuples autochtones

B.  Les conditions d’une conciliation honorable des intérêts sur un territoire non cédé

C.  L’incompatibilité de l’extinction unilatérale avec les obligations constitutionnelles de la Couronne aux termes de l’Arrêté de 1870

Conclusion

« Toute indemnité à payer aux Indiens pour les terres destinées à la colonisation sera réglée par le Gouvernement Canadien […] » 

(Condition 14 de l’Arrêté impérial de 1870)[1]

Introduction

Il y aura bientôt quarante-cinq ans, le Parlement du Canada adoptait la Loi sur le règlement des revendications des autochtones de la Baie James et du Nord québécois[2]. Le législateur entérinait ainsi la Convention de la Baie James et du Nord québécois[3] (CBJNQ), le premier traité dit « moderne » à être conclu au Canada, lequel réglait les revendications territoriales des peuples autochtones signataires, à savoir les Cris et les Inuit du Québec[4]. Ces derniers, en échange des droits et des avantages que leur garantit l’entente, renonçaient à leurs titres et à leurs intérêts autochtones[5] sur « la superficie complète des terres prévues aux lois de 1912 relatives à l’extension des frontières du Québec […] et aux lois de 1898 […] »[6]. Ces terres nordiques sont de vastes étendues de forêt boréale, de taïga et de toundra, serties de mille lacs sombres et veinées de rivières aux grandes eaux torrentueuses, le pays nourricier de peuples premiers depuis des millénaires et socle de leur souveraineté. À elles seules, ces terres représentent plus de la moitié de la superficie du Québec.

Au moment de la signature de la CBJNQ, d’autres peuples que ceux qui l’ont négociée et signée revendiquent des droits ancestraux sur le territoire « conventionné ». En effet, les Anishnabeg, les Atikamekw Nehirowisiwok, les Innus et les Inuit du Labrador terre-neuvien[7] estiment que leur usage ancestral d’une partie de ces terres leur confère des titres ou des droits autochtones.

Or, l’article 2.6 de la Convention stipule que la législation approuvant cette dernière « doit éteindre tous les revendications, droits, titres et intérêts autochtones, quels qu’ils soient, de tous les Indiens et de tous les Inuit aux terres et dans les terres du Territoire […] »[8]. Cette disposition ne vise pas seulement les « autochtones » spécifiquement désignés comme les bénéficiaires de la Convention[9]. Elle prétend s’appliquer à tous les Indiens et tous les Inuit. Prises au dépourvu, les communautés non signataires implorent, par la voix de leurs représentants, les parlementaires fédéraux de ne pas mettre à exécution l’engagement d’éteindre les droits de tous les peuples autochtones[10]. Elles souhaitent voir leurs propres revendications sanctuarisées, en attendant d’être à même de les régler par la négociation à l’instar des Cris et des Inuit. Leurs récriminations ne sont pas entendues par le gouvernement fédéral, celui-ci étant déterminé à faire de la sécurité juridique du Québec et des peuples signataires une priorité absolue. Pour donner effet à l’article 2.6 de la Convention, le Parlement insère en 1977 une disposition extinctive qui en reprend largement les termes dans sa loi de mise en œuvre, la Loi sur le règlement des revendications des autochtones de la Baie James et du Nord[11]. La disposition pertinente de la loi fédérale énonce que la « présente loi éteint tous les revendications, droits, titres et intérêts autochtones, quels qu’ils soient, aux terres et dans les terres du Territoire, de tous les Indiens et de tous les Inuit, où qu’ils soient […] »[12].

Les peuples non signataires n’ont à ce jour jamais reconnu la validité de cette disposition. Certains ont revendiqué la reconnaissance de leurs droits sur le territoire couvert par la Convention dans le cadre de négociations visant la conclusion d’un traité[13]. Des recours judiciaires ont aussi été intentés pour demander l’invalidation de la disposition extinctive, sans toutefois que cette démarche ait été à ce jour menée à terme[14]. En 2014, lors du 40e anniversaire de la signature de la Convention, des chefs Atikamekw, Innu et Anishnabeg ont mis sur pied une coalition en vue de poursuivre la contestation de la Loi fédérale de 1977 et la demande de reconnaissance de leurs droits ancestraux sur le territoire conventionné. Un de ces chefs résumait ainsi le grief persistant des communautés :

Nous n’avons jamais cédé nos droits, titres ancestraux, droits traditionnels. Nous sommes déterminés plus que jamais à réparer l’injustice commise envers nous et toutes les nations concernées. On a été exclu des négociations, nous n’avons jamais consenti à l’extinction de nos droits sur notre territoire ancestral[15].

Le Parlement a-t-il pu validement supprimer en bloc les revendications et les droits des peuples tiers sans les consulter, sans négocier et sans les indemniser? Comme le veut le principe de la souveraineté du Parlement, seule une disposition ou une règle de portée supra-législative proscrivant une telle mesure et s’imposant au législateur fédéral lui-même est de nature à faire obstacle à une telle disposition extinctive. Or, la loi fondamentale ne comportait, en 1977, aucune disposition reconnaissant et protégeant de manière générale les droits ancestraux des peuples autochtones du Canada. Une telle protection ne voit le jour qu’avec l’avènement de l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982[16].

La question se pose donc de savoir si en 1977, soit avant la réforme constitutionnelle de 1982, le Parlement fédéral jouissait du pouvoir plénier d’éteindre unilatéralement les droits que pouvaient revendiquer les peuples autochtones n’ayant pas signé la CBJNQ sur la partie de leur territoire traditionnel se trouvant dans les limites du territoire « conventionné ».

La Cour suprême du Canada a plus d’une fois affirmé qu’en l’absence de contrainte constitutionnelle le Parlement fédéral pouvait, antérieurement à l’entrée en vigueur de l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, éteindre unilatéralement les droits ancestraux à condition d’exprimer clairement son intention de le faire[17].

Cela ne signifie toutefois pas que la sauvegarde des droits des autochtones était alors inconnue en droit constitutionnel canadien et que la souveraineté du Parlement était, dans tous les cas, sans borne. En effet, depuis l’adoption par le parlement britannique de la Loi constitutionnelle de 1930[18] confirmant et donnant effet à des ententes entre Ottawa et le Manitoba, la Saskatchewan et l’Alberta, les « Indiens » de ces provinces jouissent d’une protection supra-législative de leur droit de chasser et de pêcher pour se nourrir sur les terres inoccupées de la Couronne et sur toute autre propriété à l’égard de laquelle ils bénéficient d’un droit d’accès[19]. La Cour suprême a clairement admis que ce droit constitutionnellement protégé est distinct et antérieur, du point de vue de sa source juridique, à la reconnaissance des droits ancestraux par la Loi constitutionnelle de 1982[20].

La Loi constitutionnelle de 1930 ne s’applique cependant pas au territoire visé par la CBJNQ. Néanmoins, avant que le Parlement fédéral adopte la disposition extinctive précitée, les représentants de certains groupes non signataires ont défendu devant les parlementaires la thèse voulant qu’ils bénéficiaient d’une protection en vertu des textes qui ont initialement rattaché au Canada les terres par la suite annexées au Québec et aujourd’hui comprises dans le territoire conventionné[21].

Le présent article a pour objet de vérifier le bien-fondé de cette thèse[22]. Il s’agira donc de retracer la genèse juridique de l’annexion au Canada du territoire concerné et de préciser les conditions de cette annexion qui concernent les peuples autochtones (section 1), de mesurer ensuite la portée constitutionnelle de ces conditions (sections 2 et 3) afin d’en arriver à une conclusion quant à la validité de la Loi fédérale de 1977 (section 4).

Ce seront presque certainement les peuples autochtones qui devront saisir le pouvoir judiciaire de la question. Dans ce cas, les règles du contentieux relatif aux droits ancestraux exigent que le peuple autochtone qui revendique un droit en établisse l’existence. Les non-signataires devront donc être en mesure de rassembler la preuve nécessaire et de convaincre un juge de leur prétention à cet égard. S’ils y parviennent, ils bénéficieront d’un droit ancestral opposable à l’État et aux tiers, à moins qu’il soit démontré que ce droit ait été validement éteint avant 1982[23]. C’est alors que s’engagera le débat sur la validité de la disposition extinctive de la Loi fédérale de 1977. Les nombreuses années s’étant écoulées depuis l’entrée en vigueur de cette loi n’empêcheront pas le tribunal d’aborder la question et de la trancher, puisque l’invocabilité de la constitution à l’encontre d’une loi n’est pas assujettie au respect d’un délai de prescription[24].

I.  Le rêve continental du dominion et la condition 14

A.  Une expansion territoriale assortie d’engagements relatifs aux revendications territoriales autochtones

Avant même l’union de certaines colonies britanniques d’Amérique du Nord au sein d’un nouveau dominion d’inspiration fédérale, les élites coloniales canadiennes manifestent l’ambition d’établir, dans le giron de l’empire, un nouveau gouvernement dont le territoire s’étendrait de l’Atlantique au Pacifique. Lors de l’élaboration de ce qui allait devenir le British North America Act, 1867 (aujourd’hui la Loi constitutionnelle de 1867[25]), un mécanisme est conçu afin de réaliser ce rêve continental qui passe par l’annexion éventuelle au Canada de la Colombie-Britannique et des immenses possessions de la Couronne qui séparent alors l’Ontario de la colonie du Pacifique. Ces possessions se nomment à l’époque la Terre de Rupert et le Territoire du Nord-Ouest. Elles sont administrées par la Compagnie de la Baie d’Hudson (« CBH ») qui les détient en vertu d’une charte délivrée en 1670 par le roi Charles II et d’une concession commerciale[26]. La Terre de Rupert correspond grosso modo à ce moment-ci aux terres du bassin hydrographique de la Baie d’Hudson, ce qui signifie que le territoire aujourd’hui visé par la CBJNQ en fait largement partie[27]. Le Territoire du Nord-Ouest, quant à lui, se trouve à l’ouest et au nord de la Terre de Rupert, s’étendant à l’ouest jusqu’à la Colombie-Britannique, au Nord-Ouest jusqu’à l’Alaska et au Nord jusqu’à l’océan arctique.

La procédure par laquelle doit s’opérer l’annexion de ces territoires au Dominion du Canada est prévue à l’article 146 de la Loi constitutionnelle de 1867 qui se lit comme suit :

Il sera loisible à la Reine, de l’avis du très-honorable Conseil Privé de Sa Majesté, sur la présentation d’adresses de la part des chambres du Parlement du Canada, et des chambres des législatures respectives des colonies ou provinces de Terreneuve, de l’Île du Prince Édouard et de la Colombie Britannique, d’admettre ces colonies ou provinces, ou aucune d’elles dans l’union, — et, sur la présentation d’adresses de la part des chambres du parlement du Canada, d’admettre la Terre de Rupert et le Territoire du Nord-Ouest, ou l’une ou l’autre de ces possessions, dans l’union, aux termes et conditions, dans chaque cas, qui seront exprimés dans les adresses et que la Reine jugera convenable d’approuver, conformément à la présente ; les dispositions de tous ordres en conseil rendus à cet égard, auront le même effet que si elles avaient été décrétées par le parlement du Royaume-Uni de la Grande-Bretagne et d’Irlande[28].

Au lendemain de l’entrée en vigueur de la Loi constitutionnelle de 1867, le transfert au Canada de la Terre de Rupert et du Territoire du Nord-Ouest est considéré comme absolument prioritaire par le nouveau gouvernement. La dynamique d’expansion américaine vers l’ouest et le nord préoccupe les autorités canadiennes[29]. La continuité continentale du Canada constitue donc une condition au développement futur du dominion. La Cour suprême a même affirmé que « l’expansion de l’Amérique du Nord britannique pour inclure la Terre de Rupert et les Territoires du Nord‑Ouest était l’un des principaux objectifs de la Confédération »[30]. L’importance stratégique de cet enjeu territorial explique en grande partie l’empressement des autorités canadiennes à enclencher la procédure de transfert, ce qu’elles firent dès la session inaugurale du nouveau Parlement fédéral. Cette dimension stratégique motive aussi le désir de proposer des conditions d’annexion susceptibles d’emporter l’adhésion de Londres, incluant des dispositions pour la protection des peuples autochtones vivant sur les territoires en question.

Conformément à l’article 146 de la Loi constitutionnelle de 1867, les chambres du Parlement fédéral adoptent, les 16 et 17 décembre  1867, une adresse priant Sa Majesté « d’unir la Terre de Rupert et le Territoire du Nord-Ouest à ce Dominion, et d’accorder au Parlement du Canada l’autorité de légiférer pour leur bien-être et leur bon gouvernement futurs »[31]. L’adresse contient plusieurs engagements des autorités canadiennes à l’égard des territoires concernés, dont le suivant qui se rapporte spécifiquement aux revendications territoriales des peuples autochtones :

[…] lors du transfert des territoires en question au gouvernement canadien, les réclamations des tribus indiennes en compensation pour des terres requises pour des fins de colonisation seront considérées et réglées conformément aux principes d’équité qui ont uniformément guidé la Couronne anglaise dans ses rapports avec les aborigènes[32].

Le gouvernement impérial se montre favorable à la demande du dominion. Dans sa réponse, le Colonial Secretary ne manque pas d’indiquer que Londres abordera le dossier « with a just regard to the rights and interests of Her Majesty’s subjects interested in those territories »[33]. La suite de la démarche allait montrer que l’on avait notamment en tête les droits et les intérêts des autochtones. On juge toutefois que, compte tenu des droits et des pouvoirs que la Charte royale de 1670 accorde à la CBH à l’égard de la Terre de Rupert, le transfert au Canada de ce territoire et des compétences gouvernementales afférentes exige l’adoption préalable d’une loi du parlement impérial[34]. Ceci est réalisé avec l’édiction du Rupert’s Land Act, 1868[35] qui autorise expressément la CBH à rétrocéder ses droits à la Couronne et cette dernière à accepter cette rétrocession[36]. L’article 5 de cette loi confirme en outre le pouvoir de Sa Majesté d’annexer par voie d’arrêté la Terre de Rupert au dominion du Canada sur présentation d’une adresse en ce sens de la part des chambres du Parlement canadien.

B.  La condition 14 concernant les revendications autochtones sur la Terre de Rupert

Des négociations ont ensuite lieu entre les représentants canadiens et la CBH en vue de convenir des termes de la cession des droits de cette dernière sur la Terre de Rupert. La CBH est particulièrement soucieuse de protéger certaines de ses propriétés et de s’assurer quant au reste qu’elle ne sera plus, après la rétrocession, redevable d’aucun engagement ou de nulle responsabilité à l’égard du territoire rétrocédé et des populations qui y vivent. Les engagements pris par les autorités canadiennes, y compris à l’égard des peuples autochtones, devront dorénavant leur incomber en propre[37].

Dans la foulée d’une entente entre les parties[38], le Sénat et la Chambre des communes ratifient les termes par voie de résolutions le 28 mai 1869. Ces résolutions reprennent les conditions et les modalités du transfert convenues lors des négociations[39]. Les chambres fédérales adoptent une autre adresse à l’intention de Sa Majesté[40] la priant de bien vouloir unir au dominion du Canada la Terre de Rupert aux conditions énoncées dans les résolutions du 28 mai 1869 et d’unir au dit dominion le Territoire du Nord-Ouest aux conditions antérieurement formulées dans l’adresse des 16 et 17 décembre 1867[41].

Le 23 juin 1870, le Rupert’s Land and North-Western Territory Order (l’Arrêté de 1870) est signé, annexant les deux territoires au Canada à compter du 15 juillet 1870[42]. S’agissant de la Terre de Rupert, l’Arrêté énumère et approuve explicitement certaines des conditions de l’annexion prévues dans l’adresse du 28 mai 1869. Parmi ces conditions, la quatorzième[43] (ci-après « Condition 14 ») concerne les revendications autochtones et se lit comme suit :

Toute indemnité à payer aux Indiens pour les terres destinées à la colonisation sera réglée par le gouvernement canadien de concert avec le Gouvernement impérial, et la Compagnie sera libérée de toute responsabilité à cet égard[44].

En ce qui concerne le Territoire du Nord-Ouest, l’Arrêté de 1870 incorpore par renvoi la condition formulée dans l’adresse conjointe de 1867 prescrivant, tel que mentionné précédemment, que les revendications autochtones doivent être « considérées et réglées conformément aux principes d’équité qui ont uniformément guidé la Couronne anglaise dans ses rapports avec les aborigènes »[45]. Ces conditions comptent parmi celles qui ont été formulées dans les adresses des chambres législatives fédérales et acceptées formellement par Sa Majesté dans l’Arrêté de 1870. En ce sens, ces conditions constituent des exigences et des obligations qui ont à l’égard des autorités canadiennes « le même effet que si elles avaient été décrétées par le Parlement du Royaume-Uni de la Grande-Bretagne et d’Irlande », aux termes de l’article 146 de la Loi constitutionnelle de 1867[46].

Ainsi est franchie une étape décisive vers la réalisation du rêve continental canadien. À la faveur de ces grandes manœuvres politico-juridiques, un énorme pan de l’Amérique du Nord change de main sans que les peuples qui y vivent depuis des siècles, et qui en sont encore pratiquement les seuls occupants, n’en soient ni informés ni préalablement consultés.

C.  L’extension territoriale du Québec

Peu de temps après l’entrée en vigueur de l’Arrêté de 1870, le législateur impérial adopte le British North America Act, 1871 (aujourd’hui la Loi constitutionnelle de 1871[47]). Cette loi vient confirmer le pouvoir du Parlement fédéral de créer de nouvelles provinces à même les territoires annexés au dominion l’année précédente[48]. Elle met également en place, aux termes de son article 3, un mécanisme bilatéral de modification des frontières des provinces existantes, lequel requiert une loi fédérale ainsi que « le consentement de la législature de la province concernée »[49]. Il devient alors loisible à Ottawa et une province de convenir du transfert à cette dernière d’une partie des territoires récemment acquis par le Canada. Un premier accord en ce sens intervient avec la province de l’Ontario en 1889. Quelques années plus tard, les gouvernements québécois et canadien s’entendent pour fixer les frontières nordiques du Québec, ce qui est fait par les lois fédérale et provinciale de 1898[50]. Le territoire du Québec est agrandi en 1912, lorsqu’entrent en vigueur des lois en ce sens votées par les parlements[51]. L’effet de la loi de 1912 est de porter les frontières septentrionales du Québec jusqu’au détroit d’Hudson et la baie d’Ungava. À aucun moment, toutefois, les peuples autochtones dont les terres ancestrales sont l’objet de ces opérations ne sont consultés.

Conformément à l’Arrêté de 1870, la Couronne négocie onze traités dits « numérotés » dans l’ancienne Terre de Rupert et ce qui fut le Territoire du Nord-Ouest[52]. Aux termes de ces traités, la partie autochtone renonce à ses revendications de titres et de droits ancestraux en échange des droits et des avantages prévus au traité, dont une indemnité compensatoire. On ne règle toutefois pas les revendications de tous les peuples autochtones dont le territoire traditionnel se trouve dans la Terre de Rupert et le Territoire du Nord-Ouest. En ce qui concerne les terres nouvellement rattachées au Québec, l’absence de traité a pour conséquence que la question des droits ancestraux autochtones demeure d’actualité au
début des années 1970[53] alors que l’État québécois entreprend de titanesques chantiers dans le « Nouveau-Québec ». C’est dans ce contexte que resurgit la condition 14.

Avant d’aborder l’interprétation de cette dernière, il convient d’en préciser le statut constitutionnel.

II. Le statut constitutionnel de la condition 14

A.  Sa valeur supra-législative

Les termes de l’article 146 de la Loi constitutionnelle de 1867 confèrent à l’Arrêté de 1870 et aux conditions qu’il énonce le même effet qu’une loi du Parlement du Royaume-Uni. Or, l’article 2 de la Colonial Laws Validity Act, 1865[54] fait explicitement primer sur les lois canadiennes toute loi impériale applicable au Canada ainsi que « any Order or Regulation made under Authority of such Act of Parliament, or having in the Colony the Force and Effect of such Act »[55]. Ces termes s’appliquent très clairement à l’Arrêté de 1870 et aux conditions dont il est assorti.

L’article 3 de la Loi constitutionnelle de 1871, mentionné précédemment, autorise les autorités canadiennes à modifier les frontières d’une province avec le consentement de cette dernière[56]. Cependant, il ne les habilite pas à amender ou à abroger les dispositions de la Loi constitutionnelle de 1867 et les conditions d’annexion énoncées dans l’Arrêté de 1870 qui concernent les revendications des peuples autochtones[57]. Dans les territoires visés par les lois de 1898 et de 1912 relatives aux frontières du Québec, les droits de la province sur les terres et les ressources aux termes de l’article 109 de la Loi constitutionnelle de 1867 restent grevés des droits éventuels des peuples autochtones qui comptent parmi les « intérêts autres que ceux que peut y avoir la province »[58]. En outre, la compétence exclusive du palier fédéral relativement aux « Indiens et [aux] terres réservées pour les Indiens » en vertu du paragraphe 91(24) de ladite loi n’est pas abrogée ou modifiée par les lois sur les frontières du Québec[59]. Il en résulte que le règlement final des revendications territoriales des peuples autochtones sur le territoire concerné passe nécessairement par les autorités fédérales puisque, comme l’a reconnu la Cour suprême, « le processus de cession des terres par traité relève au Canada de l’autorité fédérale »[60].

En 1931, reconnaissant l’indépendance de son ancien dominion, le Parlement du Royaume-Uni adopte le Statute of Westminster par lequel il met fin à la suprématie des lois britanniques au Canada et confirme le pouvoir des législateurs canadiens compétents d’abroger ou de modifier les lois britanniques applicables au Canada[61]. Toutefois, conformément à la volonté des autorités canadiennes, l’article 7(1) de la loi dispose que « [n]othing in this Act shall be deemed to apply to the repeal, amendment or alteration of the British North America Acts, 1867 to 1930, or any order, rule or regulation made thereunder »[62]. La préséance de la Loi constitutionnelle de 1867 et des arrêtés adoptés sous l’empire de son article 146 reste donc opposable au Parlement du Canada et aux législatures
provinciales[63]. L’effet est d’empêcher le Parlement fédéral d’abroger ou d’amender l’Arrêté de 1870, y compris les conditions prévues dans ce dernier quant au règlement des revendications des peuples autochtones.

Le Parlement fédéral acquiert toutefois en 1949 une certaine marge de manœuvre pour modifier la Loi constitutionnelle de 1867 à la faveur du British North America Act, 1949 qui introduit dans la loi fondamentale de 1867 l’article 91(1) habilitant le Parlement à modifier « la constitution du Canada »[64]. Mais ces termes sont interprétés comme ne renvoyant qu’à la « constitution fédérale “interne” »[65], c’est-à-dire aux dispositions qui se rapportent au fonctionnement d’un organe du pouvoir central[66]. La Cour suprême a d’ailleurs observé que l’actuel article 44 de la Loi constitutionnelle de 1982, qui permet au Parlement fédéral de modifier les dispositions constitutionnelles « relatives au pouvoir exécutif fédéral, au Sénat ou à la Chambre des communes », joue « essentiellement le même rôle » que celui qui était dévolu au paragraphe 91(1) aujourd’hui abrogé[67].

Ce pouvoir étroit de modification conféré par le paragraphe 91(1) du British North America Act, 1949 ne permet cependant pas d’amender ou d’abroger les dispositions de l’Arrêté de 1870 relatives aux revendications autochtones. En effet, ces dispositions ne régissent pas simplement le fonctionnement interne d’un organe gouvernemental central[68]. Elles concernent plutôt les revendications historiques des peuples autochtones et les conditions mêmes de la constitution du territoire de l’État canadien moderne. Les dispositions pertinentes de l’Arrêté traitent en outre de droits collectifs qui sont de nature, tel que mentionné précédemment, à grever le domaine public des provinces aux termes de l’article 109 de la Loi constitutionnelle de 1867[69]. Les droits et les prérogatives des provinces sont donc aussi directement en jeu. Enfin, la dimension proprement « fondatrice » du règlement des revendications autochtones est mise en exergue par la Cour suprême qui affirme que les traités par lesquels sont réglées ces revendications « permettent de concilier la souveraineté autochtone préexistante et la souveraineté proclamée de la Couronne »[70].

Par conséquent, lors de l’adoption en 1977 de la loi fédérale portant extinction des droits ancestraux des peuples autochtones relativement au territoire visé par la CBJNQ, le respect de la condition 14 de l’Arrêté de 1870 s’imposait en tant qu’impératif constitutionnel. Les autorités canadiennes y étaient soumises malgré la disposition de la loi de 1912 sur l’extension des frontières du Québec faisant obligation à ce dernier de reconnaître les droits des peuples autochtones et d’obtenir la remise de ces droits « de la même manière, que le Gouvernement du Canada a ci-devant reconnu ces droits et obtenu leur remise »[71]. Cette disposition législative ne peut en effet mettre fin à la compétence et à la responsabilité constitutionnelles des autorités fédérales qui doivent intervenir pour que toute remise des droits ancestraux soit constitutionnellement effective[72]. Si le pouvoir central conserve sa compétence, il reste aussi contraint par les obligations afférentes dont celle d’agir conformément au principe de l’honneur de la Couronne, tel qu’il sera expliqué plus loin. La disposition concernant l’obtention de la remise des droits ancestraux par le Québec n’a possiblement eu pour effet que de déléguer à la province certains aspects des négociations et de lui faire assumer les coûts associés au règlement, puisqu’il est explicitement édicté que le Québec « acquittera toutes les charges et dépenses se rattachant à ces remises ou en résultant »[73]. Il importe par conséquent de nuancer le point de vue selon lequel, par la loi de 1912, « le Canada a donc transféré au Québec l’obligation qui lui incombait en vertu de l’arrêté en conseil impérial de 1870 »[74]. De même, l’abrogation de cette disposition par la Loi de 1977[75] n’a en rien diminué les obligations constitutionnelles de la Couronne fédérale qui sont enchâssées dans l’Arrêté de 1870.

B.  Sa primauté confirmée par la jurisprudence

La jurisprudence a d’emblée reconnu le caractère supra-législatif d’un arrêté pris sous l’empire de l’article 146 de la Loi constitutionnelle de 1867. Dans Jack et autres c. R[76], la Cour suprême a déclaré ce qui suit au sujet des conditions formulées dans l’Arrêté impérial admettant la Colombie-Britannique dans la Fédération :

Les Conditions de l’Union ont été approuvées par arrêté en conseil impérial conformément à l’art. 146 de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique et, en vertu de cette disposition, cet arrêté en conseil a le même effet que s’il avait été décrété par le Parlement impérial. En conséquence, il a valeur constitutionnelle[77].

La jurisprudence ayant été amenée à appliquer les conditions de l’Arrêté admettant l’Île-du-Prince-Édouard a adopté la même position[78]. C’est donc à juste titre que les tribunaux du Yukon ont statué que les conditions de l’Arrêté de 1870 relatives aux revendications autochtones l’emportaient sur toute loi fédérale[79].

Ainsi, bien avant l’entrée en vigueur de l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, la loi fondamentale imposait des contraintes limitatives de la souveraineté du Parlement relativement aux revendications autochtones en ce qui concerne spécifiquement la Terre de Rupert et le Territoire du Nord-Ouest. La Loi constitutionnelle de 1930, consacrant dans la loi fondamentale certains droits au profit des Indiens du Manitoba, de la Saskatchewan et de l’Alberta, n’était donc pas à l’époque le seul instrument constitutionnel qui s’appliquait sur une partie spécifique du territoire canadien.

L’Arrêté de 1870 fait d’ailleurs toujours partie de la « Constitution du Canada » aux termes du paragraphe 52(2)(b) de la Loi constitutionnelle de 1982, bien qu’il ait été renommé Décret en conseil sur la Terre de Rupert et le Territoire du Nord-Ouest[80]. Le Parlement canadien et la Couronne fédérale restent donc à ce jour tenus de se conformer à la condition 14.

Pour jauger l’effet précis de cette disposition sur la marge de manœuvre du Parlement et du gouvernement fédéral, il faut cependant identifier les principes qui régissent son interprétation et son application.

III. La condition 14 engage l’honneur de la Couronne

A.  L’interprétation actuelle de l’Arrêté de 1870

La question de l’existence et de la persistance des droits ancestraux des non-signataires de la Convention de la Baie-James sur les terres visées par l’Arrêté de 1870 est un problème juridique qui se pose aujourd’hui. La réponse donnée sera conforme aux règles de droit applicables telles que comprises et interprétées au moment de trancher la question. Par exemple, dans l’affaire Manitoba Metis Federation Inc, pour décider si la conduite de la Couronne fédérale respectait ses obligations constitutionnelles concernant les Métis dans les années ayant immédiatement suivi la création de la province du Manitoba en 1870[81], la Cour suprême n’a pas cherché à comprendre la portée de la Loi sur le Manitoba en se rapportant à l’interprétation qui en aurait été faite par les tribunaux au moment des évènements en cause[82]. Elle a plutôt abondamment puisé dans la jurisprudence actuelle traitant de l’interprétation et de l’application des textes constitutionnels relatifs aux autochtones.

En outre, la haute juridiction n’hésite pas à évaluer aujourd’hui la conduite et les obligations de Sa Majesté lors de la négociation de traités survenue au 18e siècle à l’aune de principes dégagés bien plus tard, tels que l’honneur de la Couronne[83], dont la première formulation en contexte autochtone par la Cour remonte à la toute fin du 19e siècle[84]. De fait, il existe bien des exemples de situations où une action gouvernementale affectant les autochtones a été ultérieurement jugée selon des règles qui n’avaient pas été élucidées au moment des faits[85]. En ce sens, la jurisprudence étaie le point de vue selon lequel « whether an Aboriginal or treaty right could have been directly enforced in the courts in 1850 or 1870 or 1920 is of interest, but does not determine whether it will be enforced now »[86].

En ce qui concerne plus particulièrement l’interprétation de l’Arrêté de 1870, la Cour d’appel du Yukon a jugé ce dernier juridiquement contraignant aujourd’hui, quand bien même il n’aurait pas été considéré comme tel au moment de son entrée en vigueur[87]. La Cour interprète et applique alors les conditions relatives aux revendications autochtones énoncées dans l’Arrêté de 1870 à l’aune des principes articulés par la jurisprudence contemporaine, notamment celle se rapportant à l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. En effet, selon les juges :

It was not a legal error for the judge to consider s. 35 jurisprudence as an interpretive aid in relation to the Transfer Provision. Both s. 35 and the 1870 Order are part of the same statutory scheme, the Constitution of Canada, and both address the same subject matter, the constitutional rights of Indigenous peoples. The principles of statutory interpretation presume harmony, coherence and consistency between statutes within the same statutory scheme and dealing with the same subject matter [notes omises][88].

C’est donc à la lumière de l’évolution constante de la jurisprudence et de l’interprétation qu’elle fait des instruments constitutionnels concernant les peuples autochtones qu’il faudra évaluer la constitutionnalité de la Loi fédérale de 1977 qui prétend opérer l’extinction unilatérale des droits ancestraux des peuples autochtones n’ayant pas signé la CBJNQ.

B.  L’interprétation symétrique des dispositions de l’Arrêté et l’obligation de la Couronne d’agir honorablement

L’interprétation de dispositions constitutionnelles part du principe voulant que leur portée soit déterminée à la lumière du « sens des mots utilisés, considérés dans leur contexte et à la lumière de l’objet qu’ils sont censés réaliser »[89]. La Cour suprême rappelle qu’en matière constitutionnelle « l’analyse téléologique doit commencer par l’examen du texte »[90]. À la simple lecture des termes de l’Arrêté de 1870, on constate d’emblée que la formulation des dispositions relatives aux revendications autochtones n’est pas la même selon qu’il s’agit du Territoire du Nord-Ouest ou de la Terre de Rupert. En effet, rappelons que la condition 14 applicable à la Terre de Rupert édicte que « [t]oute indemnité à payer aux Indiens pour les terres destinées à la colonisation sera réglée par le Gouvernement Canadien […] »[91]. Tel que mentionné précédemment, la condition concernant le Territoire du Nord-Ouest, prévue dans l’adresse de 1867 et acceptée par les autorités britanniques, affirme pour sa part que « les réclamations des tribus indiennes en compensation pour des terres requises pour des fins de colonisation seront considérées et réglées conformément aux principes d’équité qui ont uniformément guidé la Couronne Anglaise dans ses rapports avec les aborigènes »[92]. La condition 14 n’exige pas en termes explicites que les revendications soient « considérées et réglées » ; elle ne mentionne pas expressément non plus que la conduite de la Couronne est soumise aux « principes d’équité » ayant historiquement guidé Sa Majesté. De fait, elle n’énonce aucune norme à l’aune de laquelle le gouvernement canadien réglera d’éventuelles revendications autochtones visant des territoires sis dans les limites de la Terre de Rupert[93]. S’appuyant sur une lecture littérale et stricte de la condition 14, on pourrait avancer que les modalités de traitement d’une revendication territoriale autochtone seront à la discrétion de Sa Majesté, étant entendu que si une indemnité est éventuellement à payer, elle devra provenir de la trésorerie du gouvernement canadien. Quant à cette indemnité, les mots de la condition 14 ne disent nulle part qu’elle doit être la contrepartie négociée d’un abandon ou d’un aménagement des droits ancestraux autochtones, ni qu’elle doit être juste, suffisante et prompte. Interprétée littéralement, la condition 14 ne formule aucune promesse quant au processus et à la substance du règlement d’une revendication autochtone[94]. Comme l’engagement explicite de régler équitablement les revendications autochtones visant les Terres du Nord-Ouest n’est pas réitéré à l’égard de la Terre de Rupert, un raisonnement a contrario pourrait mener à la conclusion qu’on voulait donc traiter différemment les peuples autochtones de ce dernier territoire. En revanche, comme l’observent des spécialistes de l’interprétation des lois :

Le raisonnement a contrario n’étant qu’un guide susceptible de mener à la découverte de l’intention, il doit être mis de côté si d’autres indices montrent que les résultats auxquels il conduit sont contraires à l’objet de la loi, manifestement absurdes ou qu’ils impliquent des incohérences ou des injustices qu’on ne peut imputer au législateur [nos italiques][95].

Une lecture a contrario de la condition 14 repose non pas sur ce qu’elle énonce, mais sur ce qu’elle ne dit pas, c’est-à-dire sur le silence du texte concernant l’impératif d’équité par ailleurs expressément mentionné dans la condition visant le Territoire du Nord-Ouest. Le problème d’interprétation porte donc sur le sens à donner à cette omission. Il ne s’agit pas d’un cas où l’analyse téléologique est clairement orientée par le libellé précis du texte constitutionnel, car les termes de la condition 14 n’écartent pas directement ou indirectement les principes d’équité. La mention d’une indemnité à verser aux autochtones en échange de l’ouverture du territoire à la colonisation paraît même indiquer une reconnaissance de l’occupation antérieure du territoire par des sociétés autochtones et une prise en considération de leurs intérêts légitimes. Cette mention n’impose donc pas inéluctablement l’inférence d’un déni de justice ou d’équité dans la manière d’en arriver à un règlement et dans la substance même de ce dernier.

En conséquence, l’interprète doit interroger le silence de la condition 14 en prenant en considération l’objet de cette dernière tel qu’il ressort du contexte de son élaboration. L’intention des autorités britanniques et canadiennes était-elle d’instaurer, le même jour et dans un même acte constitutionnel, deux régimes foncièrement distincts concernant les peuples autochtones selon qu’ils ont traditionnellement occupé la Terre de Rupert ou le Territoire du Nord-Ouest? A-t-on voulu que les uns aient le droit à un règlement juste et équitable de leurs revendications territoriales, mais que la protection des intérêts des autres soit laissée largement au bon vouloir du gouvernement?

Rien dans le contexte historique et philosophique de l’adoption de l’Arrêté de 1870 ne permet de conclure que l’absence de référence explicite aux principes d’équité dans la condition 14 avait pour objet de nier toute protection aux peuples autochtones à l’encontre d’un traitement inéquitable par la Couronne de leur revendication sur la Terre de Rupert. On cherchera en vain dans le dossier historique des indications claires selon lesquelles les auteurs de l’Arrêté de 1870 estimaient que les autochtones de la Terre de Rupert devaient, pour des raisons précises d’ordre stratégique, économique ou autre, être soumis à un régime de protection limitée en matière de revendications territoriales. Nul élément contextuel ne montre non plus que les autorités gouvernementales entendaient, pour des raisons clairement énoncées ou identifiables, accorder un traitement préférentiel aux Autochtones du Territoire du Nord-Ouest en ce qui concerne les principes appelés à régir le règlement de leurs revendications territoriales. Tel qu’il a été expliqué précédemment, la condition 14 est née du cadre juridique rendant nécessaire la rétrocession des droits et des responsabilités de la CBH comme préalable au transfert par Londres du territoire au Dominion du Canada. C’est ce qui explique l’existence de la condition 14 comme disposition formellement distincte de la condition relative aux autochtones du Territoire du Nord-Ouest. Rien ne permet de penser que la formulation de cette condition exprime une politique délibérée et cohérente de différenciation préjudiciable des peuples autochtones de la Terre de Rupert par rapport à ceux du Territoire du Nord-Ouest.

Quant à l’objet général de l’Arrêté de 1870, il est, on l’a vu, indissolublement lié au projet confédératif canadien qui passait par l’inclusion de ce que la Cour suprême a appelé « les territoires de l’Ouest  » dans le giron du Dominion[96]. La haute juridiction a souligné qu’il fallait donc, pour ce qui concerne ces territoires, « entretenir de bonnes relations avec l’ensemble des groupes autochtones pour réaliser l’objectif relatif à la construction “du chemin de fer et [aux] autres mesures que le gouvernement fédéral devrait prendre” »[97]. Or, refuser par avance aux peuples autochtones de la Terre de Rupert un traitement équitable de leurs revendications territoriales n’aurait guère été favorable à l’établissement d’une relation apaisée entre les premiers occupants et le gouvernement canadien dans le contexte de sa politique d’expansion vers l’Ouest. C’est pour cette raison que des traités réglant sur une base consensuelle les revendications de Premières Nations de la Terre de Rupert ont été négociés dans les années qui ont suivi l’entrée en vigueur de l’Arrêté de 1870 lorsque le territoire était requis aux fins de la colonisation.

Le contexte immédiat entourant l’élaboration de la condition 14 offre des indices quant à la signification de son libellé. Ce dernier reprend le verbatim de l’entente conclue avec la CBH qui exigeait d’être irrévocablement libérée de la responsabilité de régler équitablement les revendications autochtones[98]. Les termes utilisés ne visent pas à définir limitativement la portée des obligations incombant au gouvernement canadien à l’égard des autochtones, mais à préciser l’identité du débiteur de l’engagement que les autorités canadiennes avaient solennellement exprimé dans l’adresse de 1867 au profit des autochtones des deux territoires. Il semble d’ailleurs ressortir de la correspondance entre les autorités canadiennes et britanniques que l’obligation faite par la condition 14 aux autorités canadiennes d’agir de concert avec les autorités impériales témoigne du souci de Londres de promouvoir un traitement équitable des revendications autochtones visant le territoire de la Terre de Rupert[99].

S’ajoute à ce contexte l’adresse formulée conjointement le 31 mai 1869 par les chambres du parlement canadien demandant à Sa Majesté d’unir la terre de Rupert au Canada, aux termes et aux conditions énoncés dans les résolutions annexées. Or, une de ces résolutions reconnaît solennellement que « lors de la cession des territoires en question au Gouvernement Canadien, il sera du devoir du Gouvernement de prendre des mesures efficaces pour la protection des tribus indiennes, dont les intérêts et le bien-être sont intimement liés à la cession »[100]. Faire dire à la condition 14 que la Couronne peut régler de manière entièrement discrétionnaire les revendications autochtones reviendrait à faire l’impasse sur cette reconnaissance explicite. Même si cet engagement canadien n’est pas clairement déclaré par Londres comme étant une condition de la cession territoriale[101], il fait partie des données contextuelles servant à élucider la politique sous-jacente à l’Arrêté de 1870.

La jurisprudence apporte également un éclairage sur le contexte philosophique qui préside à l’interprétation de la condition 14. L’Arrêté inscrit en effet le règlement des revendications autochtones dans une démarche d’affirmation et de consolidation de la souveraineté de la Couronne face à l’expansionnisme territorial américain.  Or, ce type d’opération engage l’honneur de Sa Majesté d’une manière qui la contraint à entreprendre et à mener de manière diligente des négociations en vue du règlement équitable des revendications territoriales des peuples autochtones.

L’obligation d’agir honorablement naît de l’affirmation unilatérale de la souveraineté de la Couronne relativement aux peuples autochtones et à leurs terres[102]. Selon la Cour suprême, « [e]n droit des Autochtones, le principe de l’honneur de la Couronne remonte à la Proclamation royale de 1763, qui renvoie aux “nations ou tribus sauvages qui sont en relations avec Nous et qui vivent sous Notre protection” »[103]. Dès lors, quand elle affirme, consolide, protège ou exerce sa souveraineté, et se trouve en présence d’une revendication venant d’un peuple autochtone relativement à son occupation ancestrale du territoire, Sa Majesté ne peut prétendre jouir de la discrétion absolue de traiter cette revendication comme elle l’entend. Elle ne peut non plus déterminer de manière entièrement libre les termes d’un règlement. Le règlement des revendications territoriales autochtones constitue un processus dont la raison d’être est la conciliation des droits ancestraux et de la souveraineté de la Couronne[104]. Or selon la Cour suprême, « il a été reconnu que l’honneur de la Couronne est engagé lorsqu’il s’agit de concilier les droits ancestraux et la souveraineté de la Couronne »[105].

La condition 14 de l’Arrêté de 1870 se rapporte à la conduite de la Couronne relativement aux revendications territoriales autochtones visant la Terre de Rupert. Or, « qu’il s’agisse de l’affirmation de sa souveraineté, du règlement de revendications ou de la mise en œuvre de traités, la Couronne doit agir honorablement »[106]. En outre, la condition 14 se trouve dans la loi fondamentale du pays, ce qui conforte l’importance d’un règlement honorable des revendications autochtones[107]. Enfin, les bénéficiaires de la condition 14 étant explicitement et exclusivement les peuples autochtones, il ne fait pas de doute qu’elle s’appuie sur la « relation spéciale » entre ces peuples et la Couronne[108].

Appelés à interpréter les conditions de l’Arrêté de 1870 relatives aux revendications territoriales autochtones, les tribunaux du Yukon ont à juste titre décidé qu’elles imposent à la couronne une obligation constitutionnelle d’entreprendre des négociations en vue de concilier dans un traité les droits des peuples autochtones avec l’affirmation de souveraineté de la Couronne[109]. Cette obligation consiste à entreprendre et à mener de bonne foi des négociations diligentes en vue du règlement honorable d’une revendication[110]. Toutefois, elle ne va pas nécessairement jusqu’à exiger de manière stricte que les parties en arrivent à un accord[111]. Cette jurisprudence a donné la même portée aux deux dispositions de l’Arrêté qui régissent les revendications autochtones[112].

On peut en conséquence affirmer qu’à l’instar de la disposition relative au Territoire du Nord-Ouest, la condition 14 n’a pas pour objet ni pour effet de conférer une discrétion absolue à la Couronne dans le traitement des revendications territoriales autochtones. Au contraire, elle vise à concrétiser un engagement à régler les revendications autochtones de manière équitable et honorable.

Il reste maintenant à voir si l’extinction unilatérale des droits des non-signataires prévue dans la Loi fédérale de 1977 permet à la Couronne de s’acquitter honorablement de ses obligations constitutionnelles.

IV. L’extinction unilatérale et le test de la condition 14

A.  Le Parlement face aux dispositions de l’Arrêté de 1870 relatives aux peuples autochtones

L’Arrêté de 1870 n’interdit pas explicitement au Parlement d’éteindre unilatéralement les droits ancestraux des peuples autochtones occupant les territoires cédés au Canada. Ce fait ne peut être pris à la légère. Puisque la condition 14 mentionne uniquement le « gouvernement » canadien, ne pourrait-on pas valablement avancer que les obligations du gouvernement ne sont invocables que sous réserve du principe de la souveraineté du Parlement? Ne pourrait-on pas également affirmer que compte tenu de l’intention claire d’éteindre les droits ancestraux exprimés dans la Loi fédérale de 1977, le gouvernement canadien n’est tenu d’agir honorablement que dans les limites de la loi? La Couronne devrait alors concilier son obligation de régler équitablement et honorablement les revendications autochtones avec le fait préalable et juridiquement incontestable de l’extinction complète de tout droit ancestral relatif à la terre et aux ressources dans le territoire visé par les négociations.

Ou pourrait de surcroît faire valoir que la déférence à l’égard du législateur s’impose d’autant plus que la disposition d’extinction est l’aboutissement d’un exercice délicat de pondération des intérêts du Québec et des peuples signataires de la CBJNQ d’une part, et de ceux des peuples non signataires d’autre part. Cette disposition faisait partie des enjeux importants de négociations difficiles devant mener au premier traité moderne de l’histoire canadienne. La décision d’inclure une disposition d’extinction des droits des non-signataires au paragraphe 3(3) de la loi de 1977 trouve en effet son origine dans les négociations entre le Québec, les Cris et les Inuit[113]. À la demande du Québec, les parties ont inclu dans le projet d’entente le principe de l’extinction de toutes les revendications de droits ancestraux. Or, Ottawa savait que des peuples autochtones autres que les Cris et les Inuit utilisaient traditionnellement ce territoire[114]. Les négociateurs fédéraux se sont attachés à trouver une solution qui tiendrait compte des intérêts des non-signataires. Leurs efforts ont mené à l’insertion dans la Convention de l’article 2.14 aux termes duquel le Québec « s’engage à négocier avec les autres Indiens ou Inuit non admissibles aux indemnités et avantages de la présente Convention toute revendication qu’ils peuvent avoir relativement au Territoire »[115].

Il faut noter, cependant, que l’engagement prévu à l’article 2.14 de la CBJNQ n’est pas exprimé dans la loi et n’apporte donc aucun contrepoids législatif à l’extinction unilatérale[116].

Néanmoins, le plaidoyer en faveur de la souveraineté et du respect des choix politiques difficiles du Parlement se heurterait au fait que les obligations imposées par l’Arrêté de 1870 au gouvernement canadien en faveur des peuples autochtones ont valeur supra-législative. Il n’est ainsi pas loisible au Parlement de supprimer ces obligations, de les vider de leur contenu ou d’en modifier la portée. Autrement dit, l’extinction unilatérale des droits des non-signataires de la CBJNQ ne sera valide que si elle est compatible avec l’obligation constitutionnelle de la Couronne de négocier un règlement équitable et honorable des revendications territoriales des peuples autochtones bénéficiaires des dispositions de l’Arrêté. En définitive, la position selon laquelle l’obligation de la Couronne ne s’applique que sous réserve de la loi extinctive n’est pas tenable sur le plan juridique.

Néanmoins, les termes précis de la condition 14 ne se limitent-ils pas à évoquer le règlement des indemnités offertes aux peuples autochtones en contrepartie des terres qui seraient requises pour l’établissement ou l’usage des tiers? Ne pourrait-on pas voir dans ce libellé une sorte de codification constitutionnelle de la présomption de common law selon laquelle l’expropriation emporte pour l’exproprié le droit à la compensation au profit des peuples autochtones concernés[117]?

On pourrait alors avancer que l’extinction unilatérale et préalable des droits d’un peuple autochtone n’empêche pas les parties de négocier ex post facto pour s’entendre sur une éventuelle compensation et que cette dernière pourrait même se concrétiser par l’octroi à la partie autochtone de droits relatifs à la terre et aux ressources. Cette démarche compensatoire n’est-elle pas prescrite par l’article 2.14 de la Convention qui n’affecte pas par ailleurs les obligations de la Couronne fédérale [118]? La loi de 1977 autorise en outre le gouverneur en conseil à approuver et déclarer valide toute convention éventuellement conclue entre les gouvernements et les non-signataires concernant les droits que ces derniers « pouvaient faire valoir avant l’entrée en vigueur de la présente loi »[119].

Cette approche fondée sur une lecture strictement littérale de la condition 14 est problématique puisque, tel qu’il a été démontré précédemment, l’obligation constitutionnelle du gouvernement canadien dans le cadre du règlement des revendications autochtones ne se limite pas à l’octroi d’une compensation. En effet, cette dernière doit s’inscrire dans un règlement qui, du point de vue processuel et substantif, respecte les exigences de l’honneur de la Couronne.

Ces considérations mettent en exergue le fait que la question constitutionnelle nodale est celle de savoir s’il serait possible pour le gouvernement canadien de se conformer, par une négociation a posteriori à vocation purement compensatoire, à son obligation constitutionnelle de négocier en vue de régler honorablement les revendications des peuples autochtones non signataires, alors même que les droits ancestraux de ces derniers auraient d’ores et déjà été totalement supprimés de manière unilatérale par le législateur.

On doit alors bien comprendre ce que signifie en pratique régler honorablement et équitablement les revendications territoriales des peuples non signataires de la CBJNQ.

B.  Les conditions d’une conciliation honorable des intérêts sur un territoire non cédé

A priori, l’extinction unilatérale préalable heurte de plein fouet les principes d’équité tels que généralement compris par le gouvernement canadien lui-même à l’époque de l’Arrêté. S’il est vrai qu’avant la fin du XXe siècle la Couronne n’a pas systématiquement négocié de traités de règlement des revendications territoriales autochtones dans la région atlantique, au sud du Québec et en Colombie-Britannique, la politique fédérale était différente eu égard aux territoires visés par l’Arrêté de 1870 que la Cour suprême a appelés les « vastes territoires de l’Ouest » c’est-à-dire ceux « qui s’étendent du Manitoba actuel jusqu’à la Colombie‑Britannique »[120]. Comme l’a fait remarquer la Cour, à l’époque de l’Arrêté de 1870 et dans les années qui ont immédiatement suivi, « [l]a politique du gouvernement à l’égard des Premières Nations consistait à conclure avec les différentes bandes des traités dans lesquels celles‑ci consentaient à la colonisation de leurs terres en échange de la mise en réserve de terres et d’autres promesses »[121]. Cette position des autorités fédérales a été communiquée clairement et avec insistance au gouvernement du Québec pendant les discussions qui devaient mener à l’adoption des lois d’extension territoriale de 1912[122]. Elle est traduite dans les dispositions de ces lois qui font explicitement obligation au Québec d’obtenir la remise des droits ancestraux des autochtones relativement aux terres requises pour l’établissement ou l’usage des tiers. Cette obligation, tel que mentionné précédemment, ne supplante nullement la responsabilité de la Couronne fédérale elle-même.

Si, dans les décennies qui ont suivi, les autorités fédérales n’ont pas toujours conclu de traité sur les territoires nordiques avant d’y autoriser des activités d’extraction et l’établissement de populations, elles n’ont pas non plus recouru à l’extinction unilatérale complète et préalable des droits ancestraux.

Par ailleurs, la doctrine[123] et la jurisprudence[124] ont interprété la « disposition sœur » de la condition 14 énoncée dans l’Arrêté de 1870 comme renvoyant au dispositif de cession négociée des droits ancestraux prévus par la Proclamation royale de 1763[125]. Il est tenu pour acquis que cela est tout aussi vrai pour ce qui concerne la Terre de Rupert visée par la condition 14[126]. Cette position paraît d’autant plus valable que la Proclamation est considérée comme l’expression constitutionnelle fondatrice de l’obligation de la Couronne d’agir honorablement lorsqu’elle négocie une revendication autochtone sur un territoire non cédé. L’extinction unilatérale vient neutraliser le principe même de la Proclamation qui aménage un processus de négociation dont l’objet est un acte consensuel et bilatéral, à savoir « l’achat » (« purchase ») des terres par la Couronne auprès d’un peuple autochtone disposé à céder ses droits[127].

Il apparaît tout de même important de pousser plus loin l’étude de la compatibilité de l’extinction unilatérale préalable avec l’obligation constitutionnelle du gouvernement canadien de traiter et de régler honorablement les revendications territoriales autochtones visant l’ancienne Terre de Rupert. En effet, l’honneur de la Couronne ne s’apprécie pas in abstracto, mais en fonction de l’ensemble des circonstances[128]. Il importe en conséquence de vérifier minutieusement si la Couronne reste en mesure de s’acquitter de ses obligations constitutionnelles dans une situation où les droits ancestraux des peuples autochtones avec lesquels elle transige ont été totalement supprimés.

La portée obligationnelle de l’honneur de la Couronne doit être définie, non pas de façon étroite et formaliste, mais de manière large et téléologique[129], c’est-à-dire en fonction de sa finalité qui est la conciliation juste des intérêts autochtones préexistants et de l’affirmation de souveraineté de la Couronne. La Cour suprême a en effet souligné que le « processus de conciliation découle de l’obligation de la Couronne de se conduire honorablement envers les peuples autochtones […] »[130] et que « [p]our que la réconciliation soit possible, la Couronne et les peuples autochtones “doivent collaborer pour concilier leurs intérêts” »[131]. L’obligation pour la Couronne d’agir honorablement est donc le moyen prescrit par le droit canadien de prendre en charge la tension entre, d’une part, la souveraineté et les droits préexistants revendiqués par un peuple autochtone et, d’autre part, la souveraineté affirmée unilatéralement à l’égard de ce peuple et de ses terres par la Couronne[132]. En présence d’une revendication autochtone sur un territoire non cédé, l’objectif cardinal d’une juste conciliation doit être recherché par le biais d’une négociation menée elle-même selon les exigences de l’honneur de Sa Majesté. « [L]’honneur de la Couronne est toujours en jeu lorsque cette dernière transige avec les peuples autochtones. »[133]

Le véhicule de conciliation privilégié a historiquement pris la forme d’un traité. Le plus haut tribunal du pays n’hésite pas à affirmer que « la Couronne a l’obligation “d’arriver à un règlement équitable des revendications autochtones au terme du processus de négociation de traités” […] »[134], et que « [t]ant qu’un traité n’a pas été conclu, l’honneur de la Couronne exige la tenue de négociations menant à un règlement équitable des revendications autochtones »[135]. Par conséquent, la Couronne doit être éventuellement en mesure de régler par la négociation de bonne foi une revendication territoriale autochtone dans le cadre de la condition 14 en opérant une conciliation effective et équitable des intérêts en présence. Son obligation de négocier n’a pas d’autre objectif et elle ne peut être privée par le Parlement de la capacité de l’atteindre au terme des négociations le cas échéant.

Il convient de préciser davantage les enjeux de cette conciliation lorsque la revendication se rapporte à des terres non cédées. Dans ce contexte précis, la réclamation autochtone à l’égard de ces terres s’appuie sur la doctrine des droits ancestraux, laquelle reflète le fait que « les Autochtones du Canada étaient déjà ici à l’arrivée des Européens ; ils n’ont jamais été conquis »[136]. Les droits ancestraux, qui sont l’expression juridique la plus forte d’une légitimité précoloniale, sont réputés originaires et grèvent ab initio le titre sous-jacent de la Couronne[137]. Celle-ci ne peut dès lors utiliser la terre et les ressources d’une manière incompatible avec son devoir d’agir honorablement tant et aussi longtemps que les droits préexistants des autochtones existent. Un droit ancestral sur la terre et les ressources, qu’il s’agisse d’un titre foncier exclusif ou d’un droit d’usage et de prélèvement, donne au groupe qui le détient l’autorité de régir l’usage qui peut être fait de la terre et de la ressource concernées[138].

On mesure donc l’importance pour la Couronne et le peuple autochtone de concilier leurs intérêts respectifs eu égard au territoire faisant l’objet d’une revendication. Du côté du gouvernement, la conciliation permet de préciser le statut juridique de la terre et des ressources ainsi que la répartition des prérogatives gouvernementales relativement à celles-ci. L’atteinte d’objectifs étatiques, notamment l’installation de tiers et la gestion et l’utilisation des ressources, se trouve ainsi facilitée. Le consentement autochtone à l’utilisation du territoire vient lever l’insécurité foncière, conforter la légitimité gouvernementale et, dans le meilleur des cas, opérer la « réconciliation des Canadiens autochtones et non autochtones dans le cadre d’une relation à long terme empreinte de respect mutuel »[139].

Pour la partie autochtone, l’invocabilité et la justiciabilité de ses droits ancestraux font obstacle à la prétention de la Couronne d’être seule propriétaire et maître du territoire. Les droits ancestraux contraignent cette dernière à négocier pour trouver une solution consensuelle au défi de la coexistence pérenne. L’obligation de négocier honorablement incombant à la Couronne permet au peuple autochtone d’envisager une entente qui reconnaît, détermine et définit ses droits sur son territoire traditionnel[140]. En territoire non cédé, les droits ancestraux constituent donc le socle d’une conciliation des droits, des juridictions et des légitimités.

La conciliation équitable est une obligation à la fois processuelle et substantive qui s’impose pendant toute la phase précontractuelle, c’est-à-dire jusqu’à la conclusion d’une entente réglant la revendication autochtone. Elle est aussi un principe contractuel en ce qu’elle doit guider le contenu de l’entente. La phase précontractuelle peut être fort longue en raison notamment de la complexité et de l’importance des enjeux. Jusqu’au règlement, l’obligation de conciliation honorable aura pour conséquence de forcer la couronne à consulter les peuples autochtones concernés dès lors qu’elle envisage de réaliser une mesure ou un projet qui serait de nature à avoir un effet préjudiciable sur des droits ancestraux revendiqués. La couronne doit avoir pris des dispositions pour éliminer ou minimiser les effets préjudiciables du projet sur les droits revendiqués[141].

Il en est ainsi parce que, lorsqu’il s’agit de régler une revendication sur un territoire non cédé, l’obligation d’agir et de négocier honorablement a notamment pour raison d’être la préservation des droits ancestraux revendiqués par les autochtones sur le fondement de leur occupation précoloniale du territoire en attendant un règlement final[142]. La Cour suprême a jugé que l’exploitation unilatérale incontrôlée du territoire revendiqué avant le règlement pourrait spolier les autochtones de leurs ressources ce qui « n’est pas une attitude honorable »[143].

Si la Couronne ne consulte pas suffisamment les peuples concernés, ou ne met pas en place des mesures appropriées d’atténuation des impacts, les tribunaux peuvent intervenir pour assurer le respect du principe de conciliation conservatoire. De même, si la Couronne ne se montre pas de bonne foi ou diligente dans la poursuite d’un règlement, les tribunaux peuvent être appelés en renfort[144]. Lorsque, malgré la diligence et la bonne foi des parties, leurs efforts en vue d’une conciliation négociée n’aboutissent pas, le peuple autochtone peut saisir un tribunal pour que ce dernier décide du bien-fondé de ses prétentions. Comme l’explique la Cour d’appel du Yukon :

If, after nearly 30 years of good faith negotiations, no settlement is reached, the rights at issue in the negotiations are not extinguished and breaches of the rights are not ameliorated, mitigated or somehow remedied. Rather, the result of unsuccessful negotiations, no matter how honourably conducted, is that the rights at issue remain justiciable in the same way they were before negotiations were undertaken–in court, if necessary[145].

L’histoire de la négociation de la CBJNQ montre à quel point l’invocabilité et la justiciabilité de droits ancestraux constituent des conditions nécessaires à la conciliation lorsque la négociation vise un territoire non cédé. N’eût été la possibilité réelle d’une reconnaissance judiciaire des droits ancestraux des Cris et des Inuit, dans la foulée d’un jugement de la Cour supérieure du Québec[146] et d’un autre de la Cour suprême du Canada[147], sur les terres visées par les travaux hydroélectriques du Québec, ce dernier serait allé de l’avant unilatéralement. Le gouvernement québécois aurait procédé sans la moindre démarche de conciliation des prérogatives de l’État et des intérêts autochtones à l’égard du territoire. L’invocabilité des droits ancestraux et leur justiciabilité ont finalement aiguillé les parties sur la voie de la conciliation, même imparfaite et critiquée, de leurs revendications respectives.

Dans l’hypothèse où le peuple autochtone parvient à établir devant un tribunal l’existence d’un des droits ancestraux qu’il revendique, l’honneur de la Couronne exigera qu’elle n’en restreigne l’exercice que dans la poursuite d’un objectif gouvernemental suffisamment important, par des moyens proportionnés et après avoir mené des consultations appropriées auprès du peuple autochtone[148]. Il reste de la sorte possible de favoriser éventuellement le dialogue et, le cas échéant, les négociations, avec l’aide des tribunaux.

Ainsi, dans le contexte d’une revendication visée par la condition 14 de l’Arrêté de 1870 qui concerne les territoires non cédés, la conciliation qui doit être recherchée a pour cause et raison d’être l’invocabilité et la justiciabilité des droits ancestraux dont la partie autochtone prétend être titulaire.

C.  L’incompatibilité de l’extinction unilatérale avec les obligations constitutionnelles de la Couronne aux termes de l’Arrêté de 1870

L’honneur de la Couronne exige la conciliation équitable des intérêts, mais ce n’est pas tout défaut ou toute erreur de la part du gouvernement qui constituera un manquement à l’honneur. Il faudra se trouver en présence d’une mesure « nuisant substantiellement à l’atteinte des objectifs d’une promesse solennelle »[149].

Au moment de déterminer la constitutionnalité de la disposition de la Loi fédérale de 1977 portant sur l’extinction unilatérale des droits des non-signataires de la CBJNQ, il faudra se demander si cette extinction nuit substantiellement à la capacité de la Couronne de réaliser, pendant la phase précontractuelle, la conciliation honorable de ses intérêts et de ceux du peuple autochtone concerné. Cette conciliation est la condition sine qua non d’un éventuel règlement honorable.

Il faudra aussi voir dans quelle mesure le principe de conciliation en tant que finalité contractuelle, c’est-à-dire en tant qu’objet même d’un règlement honorable, reste à la portée des parties. En d’autres termes, la conciliation équitable des revendications respectives de la Couronne et d’un peuple autochtone exigée par la condition 14 de l’Arrêté de 1870 reste-t-elle substantiellement possible lorsque les droits ancestraux de celui-ci ont été supprimés unilatéralement avant le début des discussions?

D’entrée de jeu, il importe de noter que la conclusion en janvier 1978 de la Convention du Nord-Est québécois (CNEQ), dans la foulée immédiate de l’entrée en vigueur de la loi extinctive le 14 juillet 1977, ne saurait servir de précédent établissant la conformité d’un accord aux exigences constitutionnelles de l’Arrêté de 1870 en présence d’une extinction unilatérale. Il faut en effet se rappeler que les Naskapis avaient, à l’instar des Cris et des Inuit, déjà accepté le principe de la cession de leurs droits pendant des négociations qui étaient sur le point d’aboutir au moment de la sanction de la loi extinctive[150]. L’article 2.1 de la CNEQ dispose d’ailleurs expressément que les Naskapis cèdent et abandonnent leurs droits ancestraux en contrepartie des droits et des avantages prévus dans la Convention[151]. En somme, la CNEQ respecte l’exigence d’une extinction préalablement négociée par voie de traité. On ne saurait y voir la preuve de la conformité de l’extinction unilatérale des droits ancestraux à l’exigence constitutionnelle d’un règlement équitable et honorable des revendications autochtones.

En fait, l’extinction préalable et unilatérale des droits ancestraux vient contrer la raison d’être même de la conciliation précontractuelle qui est la préservation des droits ancestraux revendiqués, préservation qui fait partie intégrante de l’obligation de négocier honorablement. L’objet même de l’obligation pour la Couronne de se comporter honorablement dans le traitement de la revendication avant la conclusion d’un règlement, en procédant notamment à des consultations lorsqu’une action gouvernementale risque de préjudicier les droits ancestraux revendiqués par la partie autochtone, a complètement disparu. Dès lors qu’une loi a éteint ses droits et que le seul enjeu de la négociation devient la compensation, et donc la simple prise en charge des conséquences de l’extinction, un peuple autochtone ne peut plus démontrer qu’une mesure gouvernementale risque de nuire à ses droits ancestraux non cédés et demander la protection conservatoire de ces droits. La Couronne, quant à elle, est relevée de son obligation.

Le procédé d’extinction unilatérale préalable est alors la contradiction même du principe de conservation précontractuelle qui est le socle de la conciliation honorable.

Pendant les négociations portant sur les conditions et les modalités de la compensation, la Couronne conserve les acquis de la sécurité juridique obtenue à la faveur de l’extinction préalable des droits. En effet, il lui est loisible d’affecter le territoire à des fins publiques ou d’y concéder des droits aux particuliers, conformément à la loi[152]. La partie autochtone se trouve quant à elle doublement précarisée : elle ne peut se tourner vers les tribunaux pour faire valoir ses droits ancestraux et elle court le risque de repartir les mains vides, sans droit sur son territoire traditionnel et sans compensation, en cas d’impasse des négociations conduites de bonne foi et de manière diligente. Son sort est encore bien plus funeste que celui des autochtones qui, parvenant à établir leurs droits ancestraux, « trouvent leurs terres changées et leurs ressources épuisées », ce qui selon la Cour suprême « n’est pas de la conciliation, ni un comportement honorable »[153]. La situation des non-signataires apparaît d’autant plus calamiteuse lorsqu’on la compare à celle des signataires de la Convention qui reçoivent, en échange de la cession de leurs droits, toute la gamme des droits et avantages prévus par celle-ci, dont, entre autres, un régime de terres leur assurant des droits exclusifs ou prioritaires de prélèvement sur d’immenses territoires. Comme le remarque la Cour suprême, « [il] apparaît sévère de placer les Autochtones dans une situation juridique plus mauvaise lorsque des terres ont été prises sans qu’ils les aient cédées formellement que lorsqu’ils ont accepté les conditions de la cession »[154].

Par ailleurs, la conciliation est intrinsèquement bilatérale et réciproque lorsqu’elle est l’enjeu de la négociation visant un territoire non cédé. C’est l’offre et la contre-offre — on pourrait presque dire le don et de contre-don — qui rend possible la conciliation éventuellement porteuse de réconciliation[155]. La clé de la conciliation fondée sur une revendication de droits et de souveraineté autochtones préexistants est bien la faculté des Autochtones de négocier leur consentement, de faire des gains en contrepartie des concessions consenties et de pondérer gains et concessions de manière à cristalliser ou suspendre un consentement, notamment pour ce qui concerne l’abandon ou l’aménagement de leurs droits ancestraux non éteints.

Autrement dit, le principe transactionnel ayant pour objet les droits ancestraux revendiqués participe à l’essence de la conciliation en tant que finalité contractuelle et constitutionnelle. Lorsque l’on consent à l’usage de son territoire par l’aménagement ou l’abandon de ses droits ancestraux « en échange » des avantages prévus au traité, il y a justement, au cœur même de l’opération, un échange conciliateur, qui devient impossible s’il y a extinction unilatérale préalable. Il n’y a plus rien à échanger, plus de concession à exiger, plus de compromis à rechercher ou à faire entre la modulation ou la perte des droits ancestraux et la quête étatique de sécurité juridique.

Cette faculté de concilier, d’échanger et de transiger en s’appuyant sur leur revendication des droits ancestraux a de tout temps été précieuse pour les Autochtones dans leurs négociations avec la Couronne malgré l’inégalité structurelle historique entre les protagonistes. Même au 19e siècle, des négociateurs autochtones chevronnés obtinrent des avantages notables tels qu’un mécanisme de compensation ajustée en fonction du niveau de rentabilité des activités extractives sur leur territoire en contrepartie de leur consentement à l’usage du territoire par les gouvernements et les colons[156]. Face à une loi éteignant unilatéralement les droits ancestraux avant tout dialogue, l’objet essentiel de l’échange conciliateur n’est plus négociable ; il est autoritairement évincé du champ des volontés.

Les Autochtones ne sont alors plus à même de concilier et de conditionner leur consentement à partir de leur revendication de droits ancestraux qui sont l’incarnation juridique de leur préexistence et de leur revendication de souveraineté précoloniale. De même, il n’est plus possible de parler d’une conciliation réciproque par la Couronne, puisque cette dernière a déjà tous les droits du fait de l’extinction unilatérale. Il n’est plus possible de rechercher un compromis ni des approches proportionnées et peut-être novatrices pour tenter de minimiser l’effet d’une entente sur les droits ancestraux. Ce qui reste à régler, c’est simplement la demande de compensation pour ce qui est déjà irrémédiablement perdu. La conciliation a été tuée dans l’œuf par l’action du Parlement.

En définitive, lorsque l’on tente de nouer des relations entre la Couronne et un peuple autochtone sur les ruines de sa dépossession préalable, on obère l’éthos de la réconciliation et du partage qui est au fondement même du droit canadien concernant la négociation des revendications des peuples autochtones sur les terres non cédées. L’extinction législative unilatérale des droits ancestraux des peuples n’ayant pas signé la CBJNQ nuit donc plus que substantiellement à la capacité de la Couronne de respecter la condition 14, notamment lors de la phase précontractuelle. La conciliation conforme à son honneur ne peut dans ces circonstances être réalisée, même si l’Arrêté de 1870 n’exige pas qu’une entente intervienne avant toute concession par la Couronne de droits à des tiers sur le territoire revendiqué[157].

Il est éclairant de comparer l’effet de la loi fédérale d’extinction de 1977 sur l’obligation de la Couronne de régler honorablement les revendications autochtones aux termes de l’Arrêté de 1870, à celui de la Loi sur le Yukon[158] qui était contestée dans l’affaire Ross River Dena Council au motif qu’elle violait cette obligation. La Cour d’appel du Yukon a confirmé la décision de première instance selon laquelle cette loi fédérale[159] ne diminue en rien la protection des revendications autochtones découlant de l’Arrêté impérial de 1870 puisqu’elle a simplement pour objet de déléguer à des institutions territoriales locales le pouvoir de faire des lois pour le Yukon, lesquelles restent sujettes aux termes dudit Arrêté[160]. Dans cette affaire, les procureurs fédéraux ont justement souligné à grands traits le fait que la Loi sur le Yukon n’avait pas pour objet d’éteindre les droits ancestraux[161]. Il fait peu de doute que si la Cour avait interprété cette loi comme exprimant une intention d’éteindre unilatéralement tous les droits des peuples autochtones du Yukon sur les terres non cédées, elle l’aurait jugée incompatible avec les obligations constitutionnelles que l’Arrêté de 1870 fait peser sur la Couronne fédérale.

Enfin, que penser de l’hypothèse voulant que la violation des dispositions de l’Arrêté de 1870 par le législateur puisse faire l’objet d’une justification au motif qu’il faut concilier cet instrument avec la compétence législative du Parlement aux termes du para 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1867? Ce raisonnement inspiré de la décision de la Cour suprême dans l’affaire R c. Sparrow[162] serait sans issue puisque la haute juridiction a fait du respect de l’honneur de la Couronne le critère central de toute justification[163]. Or, il a été démontré que l’extinction unilatérale des droits ancestraux préalable à toute négociation contrevient clairement aux exigences processuelles et matérielles de l’honneur de la Couronne. Au surplus, cette extinction est disproportionnée, car, comme le montre d’emblée la pratique ultérieure de la Couronne[164], il est raisonnablement possible de conclure un traité moderne sans éteindre purement et simplement les droits ancestraux potentiels des peuples tiers sur le territoire visé par ledit traité. Privilégier de manière absolue la sécurité juridique de la Couronne et des peuples signataires au prix de la suppression complète et unilatérale des droits ancestraux des non-signataires n’a rien d’une approche équilibrée, surtout si l’on considère que l’insécurité juridique redoutée n’est nullement à reprocher aux peuples autochtones qui subissent les conséquences de l’extinction. Enfin, si on met sur un plateau de la balance de la justice le poids de la commodité opérationnelle que procure au gouvernement l’extinction unilatérale des droits ancestraux revendiqués et, sur l’autre plateau, le poids de la dépossession des peuples autochtones privés sans leur consentement de droits séculaires qui fondent leur identité et leur légitimité historiques, la balance penchera plutôt en faveur des Autochtones.

Conclusion

La loi portant extinction des droits des non-signataires de la CBJNQ n’est pas conforme à la constitution canadienne, de sorte qu’un tribunal saisi de la question devrait la déclarer inopérante dans la mesure de son incompatibilité. Elle devrait être reconnue comme inopposable aux peuples tiers porteurs d’une revendication de droits ancestraux sur le territoire de l’ancienne Terre de Rupert[165]. L’inconstitutionnalité ne résulte pas du fait que le parlement a omis de consulter et d’accommoder les non signataires lors du processus législatif[166], mais du fait qu’il a prétendu neutraliser l’obligation et la capacité de la Couronne de se conformer aux termes de la condition 14 de l’Arrêté de 1870.

Les droits ancestraux des peuples non-signataires restent donc invocables et justiciables. L’obligation constitutionnelle de la Couronne fédérale d’entreprendre et de poursuivre des négociations conformes à son devoir d’agir honorablement en vue du règlement équitable des revendications de ces peuples demeure pleinement opérante.

En conséquence, jusqu’au règlement des revendications territoriales des non-signataires sur le territoire de l’ancienne Terre de Rupert, la Couronne doit se conformer à ses obligations conservatoires précontractuelles qui la contraignent à prévenir ou à minimiser l’incidence préjudiciable d’un projet sur la capacité éventuelle des autochtones de jouir de leurs droits ancestraux[167]. Si un peuple autochtone établit l’existence d’un droit ancestral, ce dernier constituera un droit « existant » au sens de l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, de sorte que la Couronne devra s’abstenir d’y porter atteinte de manière injustifiée. Les négociations en vue d’un règlement devront être menées de bonne foi et avec diligence sans que les tribunaux ne puissent toutefois sanctionner le simple défaut d’en arriver à un accord.

Se posera notamment le problème du rapport entre les droits éventuels des non-signataires et ceux que la CBJNQ octroie aux Cris et aux Inuit, ou ceux que la Convention du Nord-Est québécois (CNEQ) accorde aux Naskapis, sur l’ancienne Terre de Rupert[168]. Le procédé d’extinction unilatérale des droits, s’il avait été constitutionnellement licite, aurait réglé péremptoirement la question par la « grande purge » des droits des non-signataires au profit des seuls droits issus de traités des signataires.

Cette approche singulière, voire radicale, a toutefois été abandonnée par la suite. En effet, tous les autres traités modernes comportent des dispositions protégeant expressément les droits des peuples tiers à l’égard du territoire délimité par le traité[169]. Les droits conférés ou confirmés aux signataires autochtones par ces traités ne viennent pas, en d’autres termes, supplanter ou diminuer les droits ancestraux revendiqués par un peuple qui n’est pas partie à l’un ou l’autre desdits traités. En fait, cette pratique consacre le principe élémentaire de l’effet relatif des contrats, principe qui concorde parfaitement avec celui de l’honneur de la Couronne et que la Cour suprême a appliqué en contexte autochtone[170].

C’est ce principe qui est réactivé par l’inopérabilité de la disposition portant sur l’extinction unilatérale des droits ancestraux des non-signataires de la CBJNQ. En conséquence, il faut considérer que les droits ancestraux des tiers représentent une limite aux droits reconnus par la CBJNQ et la CNEQ. C’est d’ailleurs ce qu’envisagent expressément plusieurs traités qui obligent les parties à renégocier et à modifier toute disposition du traité qu’une décision judiciaire définitive aura jugée inopérante parce qu’attentatoire à un droit ancestral d’un peuple tiers à l’égard du territoire[171].

La renégociation vise à compenser les Autochtones parties au traité lorsqu’ils sont affectés par l’opposabilité des droits des peuples tiers et à élaborer une solution de rechange aux dispositions déclarées inopérantes. C’est le genre de solution qui pourrait être apportée dans l’hypothèse où une disposition de la CBJNQ ou de la CNEQ serait jugée contraire aux droits ancestraux d’un peuple non signataire.

Il se pourrait cependant que, dans une situation particulière, une restriction à l’exercice d’un droit ancestral d’un peuple tiers soit justifiée selon les critères dégagés par la jurisprudence. On ne peut donc écarter l’hypothèse qu’une mesure donnant effet à un droit prévu dans la CBJNQ ou la CNEQ puisse limiter l’exercice d’un droit ancestral dont un peuple non signataire aura établi l’existence. Il appartiendra cependant à la partie intéressée de justifier cette atteinte, ce qui exigera notamment la consultation et l’accommodement du peuple dont le droit ancestral est en cause[172].

Toutefois, la conciliation légitime et durable des intérêts et des droits des différents peuples autochtones sur le territoire passera par une négociation entre toutes les parties intéressées. Les peuples autochtones concernés devraient régler eux-mêmes la question des chevauchements de revendications et du partage du territoire en bénéficiant de mécanismes de médiation au besoin[173]. Une telle conciliation négociée paraît nettement plus honorable que la solution retenue en 1977 qui aurait consisté à sacrifier arbitrairement les droits ancestraux des peuples non signataires sur l’autel de la sécurité juridique absolue de la Couronne et des peuples signataires.

                                   

[1]        Décret en conseil sur la Terre de Rupert et le Territoire du Nord-Ouest (R-U), 1870, reproduit dans LRC 1985, annexe II, no 9, condition 14, anciennement l’Arrêté en conseil de sa Majesté admettant la terre de Rupert et le Territoire du Nord-Ouest [Arrêté de 1870]. À noter que la traduction française de l’Arrêté n’a pas de valeur officielle.

[2]        SC 1976-77, c 32 [Loi fédérale de 1977]. Voir aussi la Loi approuvant la Convention de la Baie-James et du Nord Québécois, RLRQ c C-67 [Loi québécoise approuvant la CBJNQ].

[3]        11 novembre 1975 (édition 1998), en ligne (pdf) : Association des employés du nord québécois <www.aenq.org> [perma.cc/X2HG-GFB3][CBJNQ].

[4]        Ibid aux pp vii, 1, 481–82. Une autre convention fut conclue avec les Naskapis en 1978 (voir Convention du Nord-Est québécois, 31 janvier 1978, en ligne (pdf): Niganenakwemin <kopiwadan.ca> [perma.cc/PA6F-ZLZQ]).

[5]        Voir CBJNQ, supra note 3, art 2.1.

[6]        Ibid, art 1.16.

[7]        La question se pose de savoir s’il existe aussi un peuple Métis susceptible de revendiquer des droits sur le territoire de la Convention.

[8]        CBJNQ, supra note 3, art 2.6.

[9]        L’article 1.12 de la CBJNQ prévoit que le terme « autochtones » désigne spécifiquement les Cris et les Inuit, alors que l’article 1.13 précise que le terme « autochtone » désigne un Cri ou un Inuk (CBJNQ, supra note 3).

[10]   Pour le témoignage présenté au nom des Atikamekw nehirowisiwok et des Innus, voir Chambre des communes, Procès-verbaux et témoignages du Comité permanent des Affaires indiennes et du développement du Nord canadien concernant Bill C-9, Loi sur le règlement des revendications des autochtones de la Baie-James et du Nord québécois, 30-2, no 19 (1 mars 1977) aux pp 10, 12 (M Aurélien Gill) [Fascicule 19]. Pour le témoignage présenté au nom des Anishnabeg, voir Chambre des communes, Procès-verbaux et témoignages du Comité permanent des Affaires indiennes et du développement du Nord canadien concernant Bill C-9, Loi sur le règlement des revendications des autochtones de la Baie-James et du Nord québécois, 30-2, no 20 (3 mars 1977) aux pp 4,11
(M Hector Paulsen).

[11]      Loi sur le règlement des revendications des autochtones de la Baie James et du Nord, supra note 2.

[12]      Loi fédérale de 1977, supra note 2, art 3(3).

[13]      Voir notamment Entente de principe d’ordre général entre les Premières nations de Mamuitun et de Nutashkuan et le Gouvernement du Québec et le Gouvernement du Canada, 31 mars 2004, art 3.4.2(b), en ligne (pdf) : Gouvernement du Canada <www.rcaanc-cirnac.gc.ca> [perma.cc/G5KD-BA2J]. Cette disposition prévoit que les parties régleront avant la signature du traité la question du « statut du Nitassinan couvert par la Convention de la Baie-James et du Nord québécois et la Convention du Nord-Est québécois et, s’il y a lieu, les modalités de compensation ».

[14]      Voir par ex Bande des Atikamekw d’Opitciwan c Canada (PG) (14 mai 2010), Montréal, CS QC 500-17-018678-030 (jugement sur requête en renouvellement de suspension d’instance); Bandes de Betsiamites c Canada (PG), 2007 QCCS 3028 (jugement rectifié).

[15]      Caroline St-Pierre, « Convention de la Baie-James: une coalition pour la défense des titres ancestraux », La Presse (13 novembre 2014), en ligne : <www.lapresse.ca> [perma.
cc/6CQ5-BNBE]
.

[16]      Art 35(1), constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R-U), 1982, c 11.

[17]      Voir R c Sparrow, [1990] 1 RCS 1075 à la p 1099, 70 DLR (4e) 385 [Sparrow]; R c Gladstone, [1996] 2 RCS 723 au para 31, 137 DLR (4e) 648; Delgamuukw c Colombie-Britannique, [1997] 3 RCS 1010 au para 180, 153 DLR (4e) 193 [Delgamuukw]. Voir aussi Calder c Colombie-Britannique (PG), [1973] RCS 313 à la p 404, 34 DLR (3e) 145, juge Hall, dissident [Calder].

[18]     Reproduit dans LRC 1985, annexe II, no 26 (cette loi confirme et donne effet à des conventions portant sur les ressources naturelles intervenues entre les autorités fédérales et chacune des provinces concernées).

[19]      Sur la valeur constitutionnelle des droits des Indiens découlant de la Loi constitutionnelle de 1930 et des conventions afférentes, voir Frank c R, [1978] 1 RCS 95 à la p 100, 75 DLR (3e) 481; Moosehunter c R, [1981] 1 RCS 282 à la p 285, 123 DLR (3e) 95; R c Horseman, [1990] 1 RCS 901 aux pp 931–32, CCC (3e) 353; R c Badger, [1996] 1 RCS 771 aux para 45, 71, 133 DLR (4e) 324 [Badger]; R c Blais, 2003 CSC 44 aux para 1, 13, 32 [Blais] (la Cour suprême a statué, dans l’affaire Blais au paragraphe 35, que les Métis ne sont pas bénéficiaires de ces droits).

[20]      Dans Blais, la Cour écrit que pour les autochtones visés par la Loi constitutionnelle de 1930, « [d]’autres sources potentielles de droits de chasse ancestraux existent en dehors du cadre du par. 13 de la Convention, par exemple les pratiques traditionnelles reconnues par la common law et protégées par l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 » (Blais, supra note 19 au para 13).

[21]      Voir Fascicule 19, supra note 10 aux pp 6–11 (témoignage des représentants des Innu et des Atikamekw nehirowisiwok).

[22]      L’angle particulier de cette étude ne doit pas occulter le fait que la loi fédérale pourrait être contestée sur la base d’autres textes et d’un autre argumentaire. Voir notamment Ghislain Otis, « Les droits ancestraux des peuples autochtones n’ayant pas signé la Convention de la Baie-James : la thèse de l’extinction unilatérale à l’épreuve des droits fondamentaux » (2021) 51:1 RGD 5 [Otis, « Droits fondamentaux »].

[23]      Il incombe à la partie alléguant que les droits ancestraux ont été éteints d’en faire la preuve (voir Sparrow, supra note 17 à la p 1099; R c Sappier; R c Gray, 2006 CSC 54 au para 57 [Sappier; Gray]).

[24]      La Cour précise que ce sont les déclarations d’inconstitutionnalité d’une loi ou de la conduite de la Couronne qui échappent aux délais de prescription. Elle laisse entendre en revanche que les réparations « personnelles » découlant de l’annulation d’une loi inconstitutionnelle pourraient se prescrire (voir Manitoba Metis Federation Inc c Canada (PG), 2013 CSC 14 aux para 134–35 [Manitoba Metis Federation]). Notons toutefois qu’au Québec les droits ancestraux sont vraisemblablement imprescriptibles au regard du Code civil du Québec, ce qui ouvre la porte à des recours de type pétitoire (voir Ghislain Otis, « La revendication d’un titre ancestral sur le domaine privé au Québec » (2021) 62:1 C de D 277 aux pp 292–97).

[25]      (R-U), 30 & 31 Vict, c 3, reproduit dans LRC 1985, annexe II, no 5 (cette loi impériale allait unir dans une structure d’inspiration fédérale trois colonies – le Canada‑Uni (devenu l’Ontario et le Québec), la Nouvelle‑Écosse et le Nouveau‑Brunswick).

[26]      Sur les tractations ayant mené à la confirmation des droits de la Compagnie sur le Territoire du Nord-Ouest, voir notamment Kent McNeil, Native Rights and the Boundaries of Rupert’s Land and the North-Western Territory, Saskatoon, University of Saskatchewan Native Law Center, 1982 [McNeil, Native Rights].

[27]      Il faut mentionner toutefois que les confins méridionaux de la Terre de Rupert, notamment aux limites septentrionales du Québec, ont depuis longtemps fait l’objet de débat (voir notamment Henri Brun, Le territoire du Québec : six études juridiques, Québec, Presses de l’Université Laval, 1974 aux pp 15–20). Le professeur Brun est d’avis que la frontière méridionale de la Terre de Rupert au Québec correspondait à peu près à la ligne de partage des eaux entre d’une part le Saint-Laurent et l’Atlantique et, d’autre part, la Baie d’Ungava, le Détroit d’Hudson, les Baies James et d’Hudson. Voir toutefois Jean-Paul Lacasse, « Les confins nordiques de la Province de Québec, selon l’Acte constitutionnel de 1774 » (1996) 40:110 Cahiers Géographie Q 205. Selon ce dernier, la limite sud de la Terre de Rupert arrêterait plutôt à la rivière Eastmain. Ce débat n’est pas sans conséquence pour les peuples non signataires de la CBJNQ, car de son issue pourra dépendre la capacité de certains d’entre eux, dont le territoire traditionnel est situé au sud de la rivière Eastmain, de se prévaloir des dispositions constitutionnelles relatives à la Terre de Rupert.

[28]    Loi constitutionnelle de 1867, supra note 25, art 146.

[29]      Voir McNeil, Native Claims in Rupert’s Land and the North-Western Territory: Canada’s Constitutional Obligation, Saskatoon, University of Saskatchewan Native Law Center, 1982 à la p 5 [McNeil, Native Claims].

[30]      Daniels c Canada (Affaires indiennes et du Nord canadien), 2016 CSC 12 au para 25 [Daniels].

[31]    Arrêté de 1870, Cédule A : Adresse du Sénat et de la Chambre des communes du Dominion du Canada, 17 décembre 1867 (Sénat) et 16 décembre 1867 (Chambre des communes), supra note 1 à la p 8.

[32]     Ibid à la p 9. La version anglaise se lit comme suit : « [U]pon the transference of the territories in question to the Canadian Government, the claims of the Indian tribes to compensation for lands required for purposes of settlement will be considered and settled in conformity with the equitable principles which have uniformly governed the British Crown in its dealings with the aborigines » (Arrêté de 1870, supra note 1 à la p 8).

[33]     McNeil, Native Claims, supra note 29 à la p 6, citant Canada, Journals of the House of Commons, 1-1, vol 1 (15 mai 1868) à la p 368 (Duc de Buckingham et Chandos).

[34]      Voir McNeil, Native Claims, supra note 29 à la p 6.

[35]    (R‑U), 31 & 32 Vict, c 105, reproduit dans LRC 1985, annexe II, no 6 [Acte de la Terre de Rupert].

[36]     Voir ibid, art 3.

[37]      Sur les négociations et les demandes de la CBH, voir McNeil, Native Claims, supra note 29 aux pp 7–8.

[38]     Il n’est pas sans intérêt de noter que l’article 1 de l’acte de cession stipule que « [l]e Canada paiera à la Compagnie 300,000 sterling, lorsque la Terre de Rupert aura été cédée au Dominion du Canada » (voir l’Arrêté de 1870, Cédule C : Acte de cession, supra note 1 à la p 16).

[39]     Voir Arrêté de 1870, Cédule B : Résolutions (28 mai 1869), supra note 1 aux pp 9–10.

[40]     Voir Acte de la Terre de Rupert, 1868, supra note 35, art 3.

[41]     Voir Arrêté de 1870, Cédule A : Adresse du Sénat et de la Chambre des communes du Dominion du Canada, 17 décembre 1867 (Sénat) et 16 décembre 1867 (Chambre des communes), supra note 1 à la p 8.

[42]     Voir Arrêté de 1870, supra note 1.

[43]     Dans la convention intervenue entre les représentants canadiens et la CBH, il s’agissait de la clause no 8 (voir Arrêté de 1870, Cédule B : Résolutions (28 mai 1869), supra note 1 à la p 11).

[44]     Arrêté de 1870, supra note 1 à la p 6. La version anglaise se lit comme suit : « Any claims of Indians to compensation for lands required for purposes of settlement shall be disposed of by the Canadian Government in communication with the Imperial Government; and the Company shall be relieved of all responsibility in respect of them » (Rupert’s Land Order, supra note 32, condition 14).

[45]    Arrêté de 1870, Cédule A : Adresse du Sénat et de la Chambre des communes du Dominion du Canada, 17 décembre 1867 (Sénat) et 16 décembre 1867 (Chambre des communes), supra note 1 à la p 9.

[46]     Arrêté de 1870, supra note 1 à la p 1.

[47]      (R-U), 34 & 35 Vict, c 28, reproduit dans LRC 1985, annexe II, no 11.

[48]     Voir ibid, art 2.

[49]     Ibid, art 3. Cet article de la loi dispose que :

The Parliament of Canada may from time to time, with the consent of the Legislature of any Province of the said Dominion, increase, diminish, or otherwise alter the limits of such Province, upon such terms and conditions as may be agreed to by the said Legislature, and may, with the like consent, make provision respecting the effect and operation of any such increase or diminution or alteration of territory in relation to any Province affected thereby [nos soulignements] (ibid, art 3).

[50]     Voir Loi concernant la délimitation des frontières nord-ouest, nord et nord-est de la province de Québec, SQ 1898, c 6 [Loi de 1898]; Acte concernant la délimitation des frontières nord-ouest, nord et nord-est de la province de Québec, SC 1898, c 3. La question de savoir si ces lois ont opéré le transfert de nouveau territoire au Québec est débattue compte tenu de l’incertitude entourant l’emplacement de la frontière nordique du Québec avant leur adoption. Certains sont d’avis que la législation de 1898 a simplement confirmé la frontière septentrionale du Québec (voir Lacasse, supra note 27; McNeil, Native Rights, supra note 26 à la p 45, n 183), alors que d’autres estiment qu’elle a bel et bien agrandi le territoire du Québec (Peter Radan, « “You Can’t Always Get What You Want”: The Territorial Scope of an Independent Quebec » (2003) 41:4 Osgoode Hall LJ 629 aux pp 641–42).

[51]     Voir Loi à l’effet d’étendre les frontières de la province de Québec, SC 1912, c 45 [Loi de 1912]; Loi concernant l’agrandissement du territoire de la province de Québec par l’annexion de l’Ungava, SQ 1912, c 7.

[52]     On trouve le texte des traités en question sur le site internet du Gouvernement du Canada (voir « Textes des traités » (dernière modification le 29 août 2013), en ligne : Gouvernement du Canada <www.rcaanc-cirnac.gc.ca> [perma.cc/MTT3-8QYS]).

[53]      Certains Anishnabeg ont toutefois adhéré au traité numéro 9 visant l’Ontario (voir Jacques Frenette, « Les lois d’extension des frontières du Québec de 1898 et de 1912, la Convention de la Baie-James et du Nord québécois et la Première Nation Abitibiwinni » (2013) 43:1 Recherches amérindiennes au Québec 86 à la p 89).

[54]     (R-U), 28 & 29 Vict, c 63.

[55]      La disposition se lit comme suit :

        Any Colonial Law which is or shall be in any respect repugnant to the Provisions of any Act of Parliament extending to the Colony to which such Law may relate, or repugnant to any Order or Regulation made under Authority of such Act of Parliament, or having in the Colony the Force and Effect of such Act, shall be read subject to such Act, Order, or Regulation, and shall, to the Extent of such Repugnancy, but not otherwise, be and remain absolutely void and inoperative (ibid, art 2).

Pour une version française non officielle, voir Acte relatif à la validité des lois coloniales de 1865, 29 juin 1865, reproduite dans Maurice Ollivier, Actes de l’Amérique du Nord britannique et statuts connexes : 1867-1962, Ottawa, Imprimeur de la Reine, 1967 aux pp 37–40. Comme le souligne un auteur, bien que cette disposition ait été le fondement de l’invalidation des lois inconstitutionnelles avant l’entrée en vigueur de la Loi constitutionnelle de 1982, les tribunaux n’y ont pas souvent référé explicitement (voir Brian Bird, « The Unbroken Supremacy of the Canadian Constitution » (2018) 55:3 Alta L Rev 755 aux pp 759–61).

[56]     Loi constitutionnelle de 1871, supra note 47, art 3.

[57]     Voir Arrêté de 1870, supra note 1, condition 14.

[58]     Voir St Catherine’s Milling and Lumber Co v R, [1888] UKPC 70 aux pp 10–11, [1888] 14 AC 46; Dominion Of Canada (AG) v Ontario (AG) and Québec (AG) v Ontario (AG) (1896), [1896] UKPC 51 aux pp 8, 9, [1897] AC 199; Nation haïda c Colombie-Britannique (Ministre des Forêts), 2004 CSC 73 au para 59 [Nation haïda]; Delgamuukw, supra note 17 au para 175; Loi constitutionnelle de 1867, supra note 25, art 109; Loi de 1898, supra note 50; Loi de 1912, supra note 51.

[59]     Loi constitutionnelle de 1867, supra note 25, art 91(24).

[60]    R c Howard, [1994] 2 RCS 299 à la p 308, 115 DLR (4e) 312. Dans Delgamuukw la Cour a statué que seul le Parlement fédéral peut éteindre les droits ancestraux des peuples autochtones (Delgamuukw, supra note 17 au para 180).

[61]      Statute of Westminster 1931 (R-U), 22 & 23 Geo V, c 4, art 3.

[62]     Ibid, art 7(1). Pour une version française non officielle, voir Statut de Westminster, 1931, 11 décembre 1931, reproduite dans Ollivier, supra note 55 aux pp 149–55.

[63]     La portée de l’article 7 du Statute of Westminster 1931 (supra note 61), notamment pour ce qui concerne les dispositions constitutionnelles ne se rapportant pas au partage fédératif des compétences législatives, a été discutée. Toutefois, comme l’écrit Bird, « [i]n the final analysis, it is widely accepted that the intent of section 7 of the Statute of Westminster was to preserve, through the CLVA, the supremacy of the BNA Act in Canada » (Bird, supra note 55 à la p 767).

[64]     British North America (No 2) Act 1949 (R-U), 12, 13 & 14 Geo VI, c 81, art 1. Pour une version française non officielle, voir Acte de l’Amérique du Nord britannique (No 2), 1949, 16 décembre 1949, reproduite dans Ollivier, supra note 55 aux pp 141–42.

[65]      Voir André Tremblay, La réforme de la constitution au Canada, Montréal, Thémis, 1995 à la p 24. Un autre auteur parle des « dispositions constitutionnelles qui affectent l’organisation interne des pouvoirs législatifs et exécutifs en ce qui concerne l’ordre central » (Benoît Pelletier, La modification constitutionnelle au Canada, Toronto, Carswell, 1996 à la p 184).

[66]      La Cour suprême a statué que les termes « constitution du Canada » désignent « la constitution du gouvernement fédéral, par opposition aux gouvernements provinciaux » (Renvoi relatif à la compétence du Parlement relativement à la Chambre haute, [1980] 1 RCS 54 à la p 70, 102 DLR (3e) 1).

[67]      Renvoi relatif à la réforme du Sénat, 2014 CSC 32 au para 46.

[68]      Comme le fait remarquer McNeil, les termes de la condition 14 de l’Arrêté exigeant que les revendications autochtones soient réglées par le gouvernement canadien « [in] communication with the Imperial Government » tendent à étayer le point de vue voulant que les revendications autochtones n’aient pas été historiquement considérées comme une affaire purement interne au gouvernement fédéral (Native Claims, supra note 29 à la p 29). Dans l’affaire R v Secretary of State for Foreign and Commonwealth Affairs, ex parte Indian Association of Alberta and others, [1982] QB 892, [1982] 2 All ER 118 CA (Eng), la Cour d’appel britannique a statué que les obligations et les responsabilités ayant historiquement incombé à la Couronne impériale à l’égard des peuples autochtones étaient, en raison de la souveraineté canadienne, aujourd’hui imputables exclusivement à la Couronne canadienne. Ainsi, les termes « in communication with the Imperial Government » que l’on retrouve dans la condition 14 de l’Arrêté sont aujourd’hui juridiquement caducs.

[69]     Loi constitutionnelle de 1867, supra note 25, art 109.

[70]     Nation haïda, supra note 58 au para 20.

[71]      Loi de 1912, supra note 51, art 2(c).

[72]     La loi semble d’ailleurs le reconnaître en précisant que « nulle pareille remise ne sera faite ou obtenue, qu’avec l’approbation du Gouverneur en conseil » (ibid, art 2(d)) et en réitérant la compétence fédérale sur les autochtones et les terres qui leur sont réservées dans le territoire qu’elle vise (voir ibid, art 2(e)). Brun rappelait en 1974 que la loi de 1912 est subordonnée à la compétence et à la responsabilité constitutionnelles des autorités fédérales eu égard à l’extinction des droits ancestraux (voir Brun, supra note 27 aux pp 83–84).

[73]      Loi de 1912, supra note 51, art 2(c).

[74]      Voir Renée Dupuis, Le statut juridique des peuples autochtones en droit canadien, Toronto, Carswell, 1999 à la p 56.

[75]      L’article 7 de la Loi fédérale de 1977, aujourd’hui abrogé, se lit comme suit : « Les alinéas 2c), d) et e) de la Loi de l’extension des frontières du Québec, 1912, ainsi que le membre de phrase “aux termes et conditions qui suivent et subordonnément aux dispositions suivantes” qui les précède, sont abrogés » (Loi de l’extension des frontières du Québec, 1912, supra note 2). Voir aussi Loi québécoise approuvant la CBJNQ, supra note 2, art 3.

[76]      [1980] 1 RCS 294, 100 DLR (3e) 193.

[77]      Ibid à la p 295. Le juge Dickson, bien que dissident, exprime le même avis sur ce point précis :

L’article 146 de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique, 1867, prévoit expressément que «les dispositions de tous ordres en conseil rendus à cet égard auront le même effet que si elles avaient été décrétées par le parlement du Royaume-Uni de la Grande-Bretagne et d’Irlande». Les Conditions de l’Union ont été approuvées par un arrêté en conseil impérial leur donnant la même valeur constitutionnelle que si elles avaient été édictées par le Parlement impérial. Les Conditions peuvent donc assujettir l’exercice du pouvoir législatif fédéral ou provincial à certaines restrictions constitutionnelles (ibid à la p 301).

Voir aussi Canada c Première nation de Kitselas, 2014 CAF 150 au para 4.

[78]      Voir Friends of the Island Inc c Canada, [1993] 2 CF 229 à la p 270, 102 DLR (4e) 696. La Cour écrit :

Les Conditions de l’adhésion des diverses provinces au Canada font partie de la Constitution et créent des obligations constitutionnelles. Cela est maintenant reconnu dans la Loi constitutionnelle de 1982 [annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]]; voir le paragraphe 52(1) et l’alinéa 52(2)b), ainsi que le numéro 6 à l’annexe de cette Loi. L’Île-du-Prince-Édouard a adhéré à la Confédération conformément à un arrêté en conseil du Royaume-Uni énonçant les conditions (les Conditions de l’adhésion). Cet arrêté est assimilé à une loi du Royaume-Uni en vertu de l’article 146 de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique, 1867 [30 & 31 Vict., ch. 3 (R.-U.)] (maintenant la Loi constitutionnelle de 1982). Ainsi, avant 1982, il n’aurait pu être modifié que par une loi du Royaume-Uni (ibid).

[79]      Dans Ross River Dena Council v Canada (AG), 2017 YKSC 59 au para 51 [Ross River 2017], la Cour de première instance affirme que « pursuant to s. 146 of the BNA Act, the provisions of the 1870 Order, which of course included the relevant provision, “shall have effect” as if they had been enacted by the British Parliament; and […] pursuant to s. 2 of the Colonial Laws Validity Act, 1865 and s. 7(1) of the Statute of Westminster, and subsequently pursuant to s. 52(1) of the Constitution Act, 1982, the relevant provision acquired constitutional force ». La Cour d’appel du Yukon a confirmé cette position : voir Ross River Dena Council v Canada (AG), 2019 YKCA 3 au para 99 [Ross River 2019].

[80]     Loi constitutionnelle de 1982, supra note 16, art 52(2)(b).

[81]      Voir Loi de 1870 sur le Manitoba, LC 1870 (33 Vict), c 3, art 31, reproduite dans LRC 1985, annexe II, no 8.

[82]     Loi sur le Manitoba, supra note 24.

[83]     Voir par ex R c Marshall, [1999] 3 RCS 456 au para 4, 49–52, 177 DLR (4e) 513. La haute juridiction soumet l’interprétation d’un traité datant de 1760 à l’obligation qui incombait alors à la Couronne, selon la Cour, d’agir honorablement au moment de la négociation du traité. La Cour justifie sa lecture du traité en déclarant, au paragraphe 4, que « rien de moins ne saurait protéger l’honneur et l’intégrité de la Couronne dans ses rapports avec les Mi’kmaq en vue d’établir la paix avec eux et de s’assurer leur amitié […] ».

[84]      Comme le souligne la Cour suprême dans l’affaire Première nation crie Mikisew c Canada (Ministre du Patrimoine canadien), 2005 CSC 69 au para 51 [Mikisew 2005], le principe de l’honneur de la Couronne a été reconnu comme principe du droit des autochtones dans l’affaire Ontario v Dominion of Canada and Québec. Re Indian Claims, [1895] 25 RCS 434 aux pp 511–12, 1895 CanLII 112. Voir aussi Marshall, supra note 83 au para 50.

[85]      Hamar Foster donne l’exemple de l’affaire Guerin c R dans laquelle la Cour suprême applique de manière inédite l’obligation de fiduciaire de la Couronne ([1984] 2 RCS 335, 13 DLR (4e) 321 [Guerin]). Comme l’écrit l’auteur, « [t]hus, a duty that was breached in 1957, and for which no judicial remedy existed at that time, was judicially remediable in 1984 » (Hamar Foster, « Another Good Thing: Ross River Dena Council v Canada in the Yukon Court of Appeal, Or: Indigenous Title, “Presentism” in Law and History, and a Judge Begbie Puzzle Revisited » (2017) 50:2 UBC L Rev 293 à la p 316).

[86]      Foster, supra note 85 à la p 317. Ce que Foster qualifie de « présentisme » juridique n’est pas sans rappeler la théorie déclaratoire du droit de Blackstone selon laquelle, dans la tradition de common law, « les juges ne créent pas le droit, mais ne font que le découvrir » (Canada (PG) c Hislop, 2007 CSC 10 au para 84).

[87]      Voir Ross River 2019, supra note 79 aux para 51–61. Voir aussi Ross River Dena Council v Canada (AG), 2013 YKCA 6 aux para 39, 42–43. La question de savoir si les dispositions l’Arrêté de 1870 relatives aux peuples autochtones étaient tenues pour juridiquement exécutoires au moment de son entrée en vigueur a été débattue par les auteurs (voir Kent McNeil, « Indigenous Rights Litigation, Legal History, and the Role of Experts » (2014) 77:2 Sask L Rev 173 aux pp 185–200; Paul G McHugh, « Time Whereof: Memory, History and Law in the Jurisprudence of Aboriginal Rights » (2014) 77:2 Sask L Rev 137 aux pp 162–63, 168–69).

[88]      Ross River 2019, supra note 79 au para 99.

[89]      Blais, supra note 19 au para 16.

[90]      Québec (PG) c 9147-0732 Québec inc, 2020 CSC 32 au para 12. Pour un exemple d’analyse de texte en matière constitutionnelle, voir par ex Blais, supra note 19 aux para 8–11.

[91]     Arrêté de 1870, supra note 1, condition 14.

[92]     Arrêté de 1870, Cédule A : Adresse du Sénat et de la Chambre des communes du Dominion du Canada, 17 décembre 1867 (Sénat) et 16 décembre 1867 (Chambre des communes), supra note 1 à la p 9.

[93]     Il s’agit en effet d’une obligation, ce qui ressort clairement de la version anglaise qui indique que les revendications « shall be disposed of » (Arrêté de 1870, supra note 1, condition 14 [nos soulignements]).

[94]      La version anglaise paraît à cet égard aussi vague ou neutre que la version française. Il est simplement écrit que « Any claims of Indians to compensation for lands required for the purposes of settlement shall be disposed of by the Canadian government […] » (Ibid).

[95]      Pierre-André Côté, Stéphane Beaulac et Mathieu Devinat, Interprétation des lois, 4e éd, Montréal, Thémis, 2009 au nº 1258.

[96]     Manitoba Metis Federation, supra note 24 aux para 1–2.

[97]      Daniels, supra note 30 au para 25.

[98]     La condition 14 reprend l’article 8 de l’accord du 22 mars 1869 intervenu entre la CBH et les négociateurs canadiens (voir Arrêté de 1870, Cédule B : Résolutions (28 mai 1869), supra note 1 à la p 11).

[99]      Voir McNeil, Native Claims, supra note 29 aux pp 22–24.

[100]    Arrêté de 1870, Cédule B : Résolutions (28 mai 1869), supra note 1 à la p 13. Pour une discussion de cette résolution, voir Peter A Cumming et Neil H Mickenberg, dir, Native Rights in Canada, 2e éd, Toronto, Indian-Eskimo Association of Canada et General Publishing, 1972 aux pp 148–49. Voir aussi McNeil, Native Claims, supra note 29 aux pp 25–26.

[101]    Voir McNeil, Native Claims, supra note 29 aux pp 10–12.

[102]   Voir Nation haïda, supra note 58 aux para 32 (citant Mitchell c MRN, 2001 CSC 33 au para 9), 59; Première nation Tlingit de Taku River c Colombie-Britannique (Directeur d’évaluation de projet), 2004 CSC 74 au para 24 [Taku River]. Pour l’analyse de l’origine, de l’évolution et des différentes applications du principe de l’honneur de la Couronne en droit positif, voir notamment Peter W Hogg et Laura Dougan, « The Honour of the Crown: Reshaping Canada’s Constitutional Law » (2016) 72 SCLR (2e) 291; Brian Slattery, « Aboriginal Rights and the Honour of the Crown » (2005) 29 SCLR (2e) 433.

[103]    Manitoba Metis Federation, supra note 24 au para 66. Voir aussi Beckman c Première nation de Little Salmon/Carmacks, 2010 CSC 53 au para 42 [Beckman]; Mikisew 2005, supra note 84 au para 51; Mikisew Cree First Nation c Canada (Gouverneur général en conseil), 2018 CSC 40 aux para 21, 59 [Mikisew 2018].

[104]    Comme l’affirme la Cour suprême, « [d]ans le passé, les traités ont constitué le moyen par lequel la Couronne s’est efforcée de faire accepter aux habitants autochtones de ce qui est maintenant le Canada l’affirmation de la souveraineté européenne sur les territoires traditionnellement occupés par les Premières Nations » (Beckman, supra note 103 au para 8). Brian Slattery estime que le principe de l’honneur de la Couronne est antérieur à la Proclamation (voir Slattery, supra note 102 aux pp 443–45), ce que tend à confirmer le fait que la Cour suprême s’appuie sur ce principe pour qualifier les obligations de la Couronne lors de la négociation de traités de paix et d’amitié en 1760 (voir Marshall, supra note 83 aux para 43–44, 49–52).

[105]   Manitoba Metis Federation, supra note 24 au para 68.

[106]   Nation haïda, supra note 58 au para 17.

[107]   Voir Manitoba Metis Federation, supra note 24 au para 70.

[108]    Voir ibid au para 72.

[109]    Dans Ross River 2017 (supra note 79), le tribunal de première instance écrit ce qui suit:

[T]he ordinary meaning of the relevant provision, particularly keeping in mind the purpose and scheme of the legislation in which it is found, is capable of creating a constitutional obligation that Canada enter into treaty negociations with any Indian tribes in Rupert’s Land and the North-Western Territory which had claims for compensation for land required for the purposes of settlement […] (ibid au para 167).

Le tribunal poursuit ensuite : « [I]t is appropriate to interpret it as a promise in a constitutional context which engages the honour of the Crown and seeks to reconcile the land rights of pre-existing Aboriginal societies with the assertion of Crown sovereignty » (ibid aux para 175). Cette position a été confirmée par la Cour d’appel du Yukon, voir Ross River 2019, supra note 79 aux para 51–61.

[110]    Pour une étude des fondements et de la portée de l’obligation de négocier qui incombe à la Couronne, voir Felix Hoehn, « The Duty to Negotiate and the Ethos of Reconciliation » (2020) 83:1 Sask L Rev 1 à la p 3.

[111]    Voir Ross River 2017, supra note 79 aux para 250, 355.

[112]    On a ainsi jugé que, puisque la condition 14 n’exige pas, s’agissant de la Terre de Rupert, que le règlement des revendications autochtones intervienne avant que la Couronne autorise l’usage des terres par les tiers, il en va de même de la condition du règlement équitable applicable au Territoire du Nord (qui comprenait le Yukon) (voir notamment Ross River 2019, supra note 79 aux para 59–61).

[113]    Le Québec, les Cris et les Inuit avaient déjà élaboré un accord de principe lorsque celui-ci fut présenté aux représentants fédéraux (voir Chambre des communes, Procès-verbaux et témoignages du Comité permanent des Affaires indiennes et du développement du Nord canadien concernant Bill C-9, Loi sur les règlements des revendications des autochtones de la Baie-James et du Nord québécois, 30-2, vol 2, no 23 (10 mars 1977) à la p 10 (MP M Ollivier)). Voir aussi ibid à la p 22 (MP M Ollivier).

[114]    Voir ibid aux pp 15–16, 19 (MJ T Fournier). Voir aussi ibid à la p 20 (l’Hon Warren Allmand).

[115]    CBJNQ, supra note 3. Des fonctionnaires fédéraux ont expliqué que c’est à la suite de l’intervention des négociateurs fédéraux que l’art 2.14 fut inséré dans la Convention (voir ibid aux pp 15–16, 19 (M.J.T. Fournier)).

[116]    L’article 2.14 prévoit expressément que « [l]e présent article ne sera pas intégré dans la loi » (CBJNQ, supra note 3).

[117]   Voir notamment AG v De Keyser’s Royal Hotel, [1920] AC 508 à la p 508, [1920] UKHL 1; Burmah Oil Company v Lord Advocate, [1965] AC 75 à la p 76, [1964] UKHL 6; Manitoba Fisheries Ltd c R, [1979] 1 RCS 101 à la p 109, 88 DLR (3e) 462; Authorson c Canada (PG), 2003 CSC 39 aux para 14, 54.

[118]    Le troisième paragraphe de l’article 2.14 précise en effet qu’« [a]ucune disposition du présent article n’influe sur les obligations, s’il y en a, que le Canada peut avoir quant aux revendications de ces autochtones relativement au Territoire » (CBJNQ, supra note 3).

[119]    Loi fédérale de 1977, supra note 2, art 4(1)(b).

[120]    Manitoba Metis Federation, supra note 24 au para 1.

[121]    Ibid au para 3.

[122]    Voir notamment les arrêtés fédéraux du 17 janvier et du 2 mai 1910 discutés dans Frenette, supra note 53 aux pp 94–99.

[123]    McNeil fait valoir que la référence aux principes d’équité constitue une incorporation du dispositif de cession des droits prévu dans la Proclamation royale. Il écrit que cette condition de l’Arrêté « would cause the procedure outlined in the Royal Proclamation for the surrender of Indian lands to apply to the North-Western Territory » (McNeil, « Native Claims », supra note 29 à la p 21). Voir aussi Jamie Bliss, « No Treaty Signed, No Battle Fought: The Foundations of Aboriginal Title in the Yukon » (1997) 3:1 Appeal 53 à la p 55.

[124]    Voir Ross River 2017, supra note 79 aux para 155–66. Le juge de première instance écrit, après avoir passé en revue une abondante jurisprudence, « I conclude that the “equitable principles” referred to in the relevant provision ought to be interpreted today as those principles emanating from the Royal Proclamation which specifically contemplated a duty to treat » [soulignements dans l’original] (ibid au para 166). En appel, la Cour confirme cette conclusion en notant qu’aucune des parties ne l’a d’ailleurs contestée (voir Ross River 2019, supra note 79 aux para 40, 86).

[125]    George R, Proclamation, 7 octobre 1763 (3 Geo III), reproduite dans LRC 1985, ann II, no 1 à la p 5 [Proclamation royale de 1763].

[126]   Voir Ross River 2017, supra note 79 au para 167.

[127]    Le passage pertinent de la Proclamation à cet égard se lit comme suit :

[I]f at any Time any of the Said Indians should be inclined to dispose of the said Lands, the same shall be Purchased only for Us, in our Name, at some public Meeting or Assembly of the said Indians, to be held for that Purpose by the Governor or Commander in Chief of our Colony respectively within which they shall lie (Proclamation royale de 1763, supra note 125 à la p 6).

[128]    Voir Nation haïda, supra note 58 au para 18. Voir aussi Taku River, supra note 102 au para 25; Rio Tinto Alcan Inc c Conseil tribal Carrier Sekani, 2010 CSC 43 aux para 36–37 [Rio Tinto]; Beckman, supra note 103 au para 43; Manitoba Metis Federation, supra note 24 au para 74; Mikisew 2018, supra note 103 aux para 24, 60.

[129]   Voir Taku River, supra note 102 au para 24. Dans Manitoba Metis Federation, la Cour suprême écrit que la jurisprudence « démontre qu’une interprétation fondée sur l’honneur attribuée à une obligation ne saurait être une interprétation formaliste qui dissocie les mots de leur objet. Ainsi, l’honneur de la Couronne exige que les obligations constitutionnelles envers les peuples autochtones reçoivent une interprétation libérale, téléologique » (Manitoba Metis Federation, supra note 24 au para 76).

[130]   Nation haïda, supra note 58 au para 32.

[131]    R c Desautel, 2021 CSC 17 au para 88 [Desautel].

[132]   La plus haute juridiction canadienne précise à cet égard que « [l’]objectif fondamental du principe de l’honneur de la Couronne est la réconciliation des sociétés autochtones préexistantes avec l’affirmation de la souveraineté de la Couronne » (Manitoba Metis Federation, supra note 24 au para 66).

[133]    Nation haïda, supra note 58 au para 16. Voir aussi Badger, supra note 19 au para 41. Dans une autre affaire, la Cour suprême du Canada précise que « [d]ans toutes ses négociations avec les Autochtones, la Couronne doit agir honorablement, dans le respect de ses relations passées et futures avec le peuple autochtone concerné » (Taku River, supra note 102 au para 24).

[134]   Desautel, supra note 131 au para 89.

[135]   Nation haïda, supra note 58 au para 20. Voir aussi Rio Tinto, supra note 128 au para 32.

[136]   Nation haïda, supra note 58 au para 25.

[137]    Les droits ancestraux sont en effet réputés découler d’une situation juridique antérieure à l’affirmation de souveraineté (voir notamment Guerin, supra note 85 à la p 379; Nation Tsilhqot’in c Colombie‑Britannique, 2014 CSC 44 aux para 10, 69 [Nation Tsilhqot’in]; Terre-Neuve-et-Labrador (PG) c Uashaunnuat (Innus de Uashat et de Mani-Utenam), 2020 CSC 4 au para 46). Des auteurs font à juste titre remarquer que les droits ancestraux, étant une doctrine étatique, « ne peuvent logiquement prendre naissance qu’avec l’affirmation de la souveraineté canadienne » (Jean Leclair et Michel Morin, « Fascicule 15 : Peuples autochtones et droit constitutionnel » au no 66 dans Stéphane Beaulac et Jean-François Gaudreault-Desbiens, dir, JCQ Droit public). Il importe cependant de bien comprendre que le postulat de la « préexistence » des droits ancestraux ne signifie pas que ces droits étaient juridiquement « ancestraux » à l’époque précoloniale, mais que la théorie des droits ancestraux est le véhicule créé par le droit canadien pour opérer une certaine continuité de droit malgré l’affirmation de souveraineté par la Couronne. Cette continuité est toutefois largement métaphorique puisqu’au moment de déterminer la nature et les attributs des droits ancestraux le droit canadien ne prétend pas reconduire le droit précolonial à l’identique (voir notamment Ghislain Otis, « Le titre aborigène : émergence d’une figure nouvelle et durable du foncier autochtone? » (2005) 46:4 C de D 795 aux pp 802–08).

[138]    La Cour suprême reconnaît que lorsqu’un groupe autochtone est titulaire en propre d’un droit, il lui revient de fixer les modalités d’exercice de ce droit par les individus membres du groupe. En effet, « les droits issus de traités n’appartiennent pas personnellement à l’individu, mais ils sont exercés sous l’autorité de la communauté à laquelle ce dernier appartient […] » (Marshall, supra note 83 au para 17). De même, en raison de sa nature collective, un droit ancestral « ne doit pas être exercé par un membre de la collectivité autochtone indépendamment de la société autochtone qu’il vise à préserver » (Sappier; Gray, supra note 23 au para 26). Voir également Delgamuukw, supra note 17 au para 115.

[139]    Beckman, supra note 99 au para 10.

[140]   Dans Nation haïda, la Cour suprême déclare que « [l]’honneur de la Couronne commande que ces droits soient déterminés, reconnus et respectés » (supra note 58 au para 25). Voir aussi Desautel, supra note 131 au para 30.

[141]    Voir notamment Desautel, supra note 131 au para 30; Taku River, supra note 102; Rio Tinto, supra note 128 au para 32; Ktunaxa Nation c Colombie‑Britannique (Forests, Lands and Natural Resource Operations), 2017 CSC 54 au para 79.

[142]    La Cour suprême souligne que le but de l’obligation de consulter et d’accommoder est « de protéger les droits ancestraux et de préserver l’utilisation ultérieure des ressources revendiquées par les peuples autochtones » (Rio Tinto, supra note 128 au para 50). Voir aussi ibid au para 48.

[143]   Nation haïda, supra note 58 au para 27.

[144]    En effet, selon la Cour d’appel du Yukon « [a] remedy for a failure to engage in constitutionally required good faith negotiations is to order that such good faith negotiations commence » (Ross River 2019, supra note 79 au para 133). Sur le rôle des tribunaux dans la mise en œuvre de l’obligation de négocier de bonne foi, voir Robert E Hawkins, « A Duty to Discuss: The Supreme Court’s Role as Facilitator of Last Resort » (2014) 64 SCLR (2e) 397; Hoehn, supra note 110 aux pp 37–41.

[145]    Ross River 2019, supra note 79 au para 132.

[146]   Voir Le Chef Max « One-Onti » Gros-Louis et autres c La Société de développement de la Baie-Jame et autres, [1974] RPQ 38 (CS).

[147]    Voir Calder, supra note 17.

[148]    Voir Nation Tsilhqot’in, supra note 138 au para 87.

[149]    Manitoba Metis Federation, supra note 24 au para 82. Voir aussi ibid au para 107.

[150]   Voir Chambre des communes, Procès-verbaux et témoignages du Comité permanent des Affaires indiennes et du développement du Nord canadien concernant Bill C-9, Loi sur le règlement des revendications des autochtones de la Baie-James et du Nord québécois, 30-2, no 21 (8 mars 1977). à la p 8 (l’Hon Warren Allmand)).

[151]    CNEQ, supra note 4, art 2.1.

[152]    Ces pouvoirs doivent être exercés sous réserve des droits issus de traités des peuples signataires.

[153]    Nation haïda, supra note 58 au para 33.

[154]   Marshall, supra note 83 au para 21.

[155]    Sur l’importance du don et du contre-don dans l’établissement et le maintien des rapports sociaux, économiques et politiques justes dans les cultures autochtones, voir Denys Delâge et Jean-Philippe Warren, Le piège de la liberté : les peuples autochtones dans l’engrenage des régimes coloniaux, Montréal, Boréal, 2017 aux pp 21–34.

[156]    Voir par ex Restoule v Canada (AG), 2021 ONCA 779.

[157]    Voir Ross River 2019, supra note 79 au para 100.

[158]    LC 2002, c 7.

[159]   La Loi sur le Yukon contient par ailleurs une disposition de non-dérogation aux droits ancestraux.

[160]    Voir Ross River 2019, supra note 79 au para 101.

[161]    Le juge de première instance note: « Canada submits that the purpose of the Yukon Act was not to extinguish RRDC’s rights, but rather to transfer certain governance responsibilities to the local government in the Yukon » (Ross River 2017, supra note 75 au para 225).

[162]    R c Sparrow, supra note 17 à la p 1109, la Cour explique l’articulation de l’article 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1867, (supra note 25) et de l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 (supra note 16) dans les termes suivants :

Les pouvoirs législatifs fédéraux subsistent, y compris évidemment le droit de légiférer relativement aux Indiens en vertu du par. 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1867. Toutefois, ces pouvoirs doivent maintenant être rapprochés du par. 35(1). En d’autres termes, le pouvoir fédéral doit être concilié avec l’obligation fédérale et la meilleure façon d’y parvenir est d’exiger la justification de tout règlement gouvernemental qui porte atteinte à des droits ancestraux. Une telle vérification est conforme au principe d’interprétation libérale énoncé dans l’arrêt Nowegijick, précité, et avec l’idée que la Couronne doit être tenue au respect d’une norme élevée — celle d’agir honorablement — dans ses rapports avec les peuples autochtones du Canada […].

[163]    Ibid à la p 1110.

[164]    Voir infra la discussion des clauses de sauvegarde des droits des peuples tiers dans les traités modernes postérieurs à la CBJNQ.

[165]    Il en va de même de l’article 2.6 de la CBJNQ qui sera déclaré inopérant à l’égard des non-signataires (CBJNQ, supra note 3).

[166]   Une majorité de la Cour suprême a jugé que l’obligation d’agir honorablement ne permet pas, au stade du processus parlementaire d’élaboration de la loi, de contester l’action législative au motif que les législateurs n’auraient pas consulté les peuples autochtones potentiellement affectés (voir Mikisew 2018, supra note 103 au para 52).

[167]    Il s’agira soit de la Couronne fédérale ou de la Couronne provinciale selon que le projet ressortit à la compétence fédérale ou provinciale.

[168]    Les tribunaux procéderont à l’interprétation atténuée (reading down) de l’article 3(3) de la Loi fédérale de 1977 (supra note 2), qui continue d’être pleinement opérant à l’égard des peuples signataires qui bénéficient donc des droits et des avantages prévus dans la CBJNQ. En vertu de l’article 3(2) de cette loi, les bénéficiaires de la Convention jouissent en effet des avantages et des droits qui y sont prévus « à compter de l’extinction des revendications, droits, titres et intérêts autochtones visés au paragraphe (3) […] » (Loi fédérale de 1977, supra note 2, art 3(2)). Les tribunaux s’attachent à préserver les éléments constitutionnels de la loi pour assurer aux citoyens le bénéfice de mesures validement adoptées dès lors qu’« il est très plausible de présumer que “le législateur aurait adopté la partie constitutionnelle de la loi en question sans la partie inconstitutionnelle” et qu’il est possible de définir avec précision la partie inconstitutionnelle de la loi » (Ontario (Procureur général) c G, 2020 CSC 38, au para 114). La portée inconstitutionnelle du paragraphe 3(3) est très précise et on ne peut penser que le parlement aurait préféré annuler totalement le paragraphe 3(3), et donc l’ensemble des droits et des avantages découlant de la CBJNQ, plutôt que de renoncer à l’extinction unilatérale des droits des non-signataires. Interprété de manière à ne s’appliquer qu’aux signataires de la Convention, le paragraphe 3(3) de la loi reste à même de remplir son objectif essentiel qui est de donner effet à l’entente entre la Couronne et les peuples signataires, entente jouissant par ailleurs aujourd’hui d’une protection constitutionnelle aux termes du paragraphe 35(1) de la Loi constitutionnelle de 1982.

[169]    Cette pratique pourrait s’expliquer par l’entrée en vigueur de l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 qui accorde une protection constitutionnelle aux droits ancestraux alors existants.

[170]    Dans R c Sioui, la Cour déclare qu’un traité auquel un peuple autochtone n’est pas partie ne peut avoir pour effet d’éteindre ses droits issus de traités ([1990] 1 RCS 1025 à la p 1063, 70 DLR (4e) 427). Les Cris du Québec se prévalent justement de la relativité des traités pour revendiquer un titre et des droits ancestraux sur une partie du nord de l’Ontario par ailleurs comprise dans les limites du Traité numéro 9 intervenu entre la Couronne est les Anishnabeg. Ils invoquent à juste titre la persistance des droits ancestraux des non-signataires d’un traité à l’égard des terres visées par ce dernier (voir Crees (Eeyou Istchee) v Canada (AG), 2017 ONSC 3729).

[171]    Voir Accord définitif Nisga’a, Nation Nisga’a, Sa majesté la reine du chef du Canada et Sa majesté la reine du chef de la Colombie-Britannique, 27 avril 1999, arts 33–35, en ligne : Gouvernement du Canada <www.cerp.gouv.qc.ca> [perma.cc/Y5H7-9FD3]; Accord définitif de la Première Nation de Yale, Nation de Yale, Sa majesté la reine du chef du Canada et sa majesté la reine du chef de la Colombie-Britannique, 11 avril 2013, arts 2.12.1–2.12.3, en ligne : Gouvernement du Canada <www.rcaanc-cirnac.gc.ca> [perma.cc/P66Y-A9DF]; Accord sur des revendications territoriales entre les Inuit du Labrador et Sa Majesté la Reine du Chef de Terre-Neuve-et-Labrador et Sa Majesté la Reine du Chef du Canada, Inuit du Labrador, Sa majesté la Reine du Chef de Terre-Neuve-et Labrador et Sa majesté la Reine du chef du Canada, 22 janvier 2005 à la partie 2.10, en ligne : Gouvernement du Canada <www.rcaanc-cirnac.gc.ca> [perma. cc/G7UB-MFD4]; Accord définitif des Premières Nations maa-nulthes, Premières Nations des Huu-ay-ayhts, Premières Nations des Ka:’yu:’k’t’h’/Che:k’tles7et’h’, Nation des Toquahts, Tribu des Uchucklesahts, Première Nation des Ucluelets, Sa majesté la Reine du chef du Canada et Sa majesté la reine du chef de la Colombie-Britannique, 9 avril 2009, arts 1.12.1–1.12.5, en ligne : Gouvernement du Canada <www.rcaanc-cirnac.gc.ca>[perma.cc/M2MA-844B]; Accord définitif de la Première Nation de Tsawwassen, Première Nation de Tsawwassen, Sa majesté la Reine du chef du Canada et Sa majesté la reine du chef de la Colombie-Britannique, 6 décembre 2007 aux pp 33–34, en ligne : Gouvernement du Canada <www.rcaanc-cirnac.gc.ca> [perma.cc/F3DV-SHQ2]; Accord définitif des Tla’amin, Nation Tla’amin, Sa majesté la Reine du chef du Canada et Sa majesté la Reine du chef de la Colombie-Britannique, 11 avril 2014 aux pp 33–34, en ligne : Gouvernement du Canada <www.rcaanc-cirnac.gc.ca> [perma. cc/6FT5-3JJ7]; Accord entre les Cris d’Eeyou Istchee et Sa Majesté la Reine du chef du Canada sur la région marine d’Eeyou, les Cris d’Eeyou Istchee et Sa majesté la Reine du chef du Canada, 7 juillet 2010 arts 29.2–29.3, en ligne : Gouvernement du Canada <www.rcaanc-cirnac.gc.ca> [perma.cc/7FX8-XJ5D]; Accord sur les revendications territoriales et l’autonomie gouvernementale, Peuple Tlicho, Territoires du Nord-Ouest et Sa majesté la Reine du Canada, 25 août 2003 arts 2.7.1–2.7.4, en ligne : Gouvernement du Canada <www.rcaanc-cirnac.gc.ca> [perma.cc/PX8N-N6LZ].

[172]    Voir notamment Nation Tsilhqot’in, supra note 137 aux para 88, 125.

[173]    Il existe des précédents fructueux en la matière (voir Douglas R Eyford, Une nouvelle orientation. Faire avancer les droits ancestraux et issus de traités des autochtones, Ottawa, Affaire Autochtones et Nord Canadien, 2015 aux pp 67–68). On notera qu’une communauté innu non signataire de la CBJNQ, la Nation des Pekuakamiulnuatsh, a déjà conclu un accord bilatéral avec les Cris d’Eeyou Istchee en vue de régler partiellement la question des chevauchements territoriaux (voir Pekuakamiulnuatsh, « MAMU UITSHEUTUN / MAAMUU WIICHEUTUWIN : Une entente de Nation à Nation Cris — Pekuakamiulnuatsh » (21 juin 2018), en ligne : Pekuakamiulnuatsh Takuhikan <www.mashteuiatsh.ca> [perma.cc/MZ7N-QSQJ]).