Speech Volume 62:4

Les luttes de clocher en droit comparé

Depuis la genèse du « comparatisme », attitude caractéristique du XIXe siècle, plusieurs disciplines scientifiques ont affirmées leur identité « comparative ». Toutefois, dans la plupart de ces disciplines la comparaison a été comprise et appliquée selon plusieurs variantes. Les différentes manières de comparer prennent alors la forme de « méthodes », chose qui génère inévitablement la controverse, en donnant lieu parfois à des « luttes de clocher ». Le cas du droit comparé est particulièrement intéressant. Depuis son apparition, cette discipline n’a jamais suivi une seule méthode, et cela, pour la simple raison qu’il n’a jamais eu un seul projet intellectuel sous-jacent et a servi plusieurs « clients ». En bref, il n’y a jamais eu de droit comparé, mais seulement plusieurs comparatismes. Ce texte propose un petit exercice d’« archéologie » de la comparaison juridique, en suivant quelques traces laissées par le passé, qui conditionnent toujours notre compréhension et notre exercice de la discipline. La prémisse de départ est que, si l’on veut réfléchir aux défis contemporains, il faudrait commencer par « historiciser » attentivement l’entreprise du droit comparé et les « combats pour la méthode » qui l’ont caractérisée, de façon à mieux comprendre ses transformations à travers le temps, ses réalisations et ses limites inhérentes.

Since the birth of “comparatism”, an attitude characteristic of the 19th century, various scientific disciplines have asserted their “comparative” identites. Yet, most of these disciplines have understood and applied comparison in different ways. These different modes of comparison take the form of “methods”, which inevitably generates controversy, sometimes leading to power struggles. Particularly interesting is the case of comparative law. Since its emergence, this discipline has never followed one particular method for the simple reason that it has never been limited to a single underlying intellectual project. Rather, it has served multiple “clients”. In sum, there has never been a comparative law, only mulitple comparatisms. This article proposes a sort of “archaeological” exercise in legal comparison. It follows clues left by the past, which still condition our understanding and exercise of the discipline. The central thesis is that if we want to reflect on modern challenges, we must begin by carefully historicizing the undertaking that is comparative law and the methodological disputes that have characterized it. In this way, we will be able to better understand its transformation over time, its accomplishments, and its inherent limits.

* Professeur de droit comparé, Université Roma Tre, Italie. Le texte qui suit est une version révisée de la Conférence Wainwright prononcée le 19 février 2015 à l’Université McGill. Je tiens ici à remercier chaleureusement Daniel Jutras, ancien Doyen de la Faculté de droit, ainsi que Daniel Boyer, Bibliothécaire Wainwright et Président du Comité Wainwright, pour leur invitation. Je remercie également Mireille Fournier pour sa précieuse assistance et ses nombreuses suggestions et critiques, fournies pendant l’élaboration de ce texte, ainsi qu’Adolfo Guiliani et Vincenzo Zeno-Zencovich pour leur lecture de ce manuscrit. La responsabilité pour le produit final ne revient évidemment qu’à moi.

Table of Contents

Penser, est-ce comparer?

I.  Pourquoi l’anatomiste a-t-il son anatomie comparée, alors que le juriste n’a pas sa jurisprudence comparée?

II. La « méthode comparative » et « l’obsession » des origines

III. Classification, comparaison, évolution

IV.     La tension entre l’universalisme et le nationalisme

V. À l’aube du fonctionnalisme

VI.     L’angoisse de la comparaison

Penser, est-ce comparer?

Le touriste qui passe par la station de métro Rathenauplatz, à Nuremberg, ne manque pas de noter deux grands portraits sur le mur, ceux de Theodor Herzl et de Walther Rathenau. Au milieu de ces deux portraits, une mosaïque réalisée par l’artiste Gregor Hiltner reproduit en lettres majuscules la phrase suivante : denken heisst vergleichen. « Penser, c’est comparer ».

Il s’agit d’une citation de Walther Rathenau, le célèbre industriel allemand d’origine juive, qui fut Ministre de la reconstruction et Ministre des affaires étrangères sous la République de Weimar, avant d’être finalement tué par l’extrême droite à Berlin en 1922[1]. Si on en croit Rathenau, il semble que la comparaison soit une activité à la fois naturelle et nécessaire pour tout être doté de raison. Mais qu’est-ce que cela veut dire, au juste, « comparer »?

Le mot français « comparaison », ainsi que l’anglais comparison ou l’italien comparazione, viennent du latin comparatio. C’est une combinaison de la préposition com (forme archaïque de cum, «avec ») et du verbe parare, dérivé de l’adjectif par, qui veut dire « égal », « de taille égale », « bien assorti » (d’où, dans les diverses langues, paire, pair, peer, Paar)[2].

      Comparatio renvoie à l’opération mentale de comparare : faire un parallèle entre deux éléments, pour en faire ressortir les ressemblances et les différences[3]. Un sens similaire est donné en grec au verbe paraballô (παραβάλλω), jeter auprès de, confronter[4], d’où on dérive le nom parabolé (παραβολή), récit allégorique, parabole (en latin, parabola)[5]. En allemand, « comparaison » se traduit par le mot Vergleich, composé du préfixe ver (une action ciblant un résultat particulier), et gleich, « égal » (Gleichheit traduit « égalité »)[6]. Il est intéressant de noter ici que Vergleich, dans le code civil allemand (article 779 BGB) veut aussi dire « règlement » (hors cour) ou « transaction », c’est-à-dire le contrat par lequel des parties résolvent une dispute au moyen d’un accord mutuel, d’un compromis, en cédant et prenant[7]. Cet accord sous-entend une réciprocité, qui rappelle l’idée de relation inhérente au latin par[8].

En tant qu’opération mentale produisant l’intelligibilité, la comparaison est un outil immédiat et naturel[9], un outil qui fonctionne si bien —comme l’écrivait Rudolph von Jhering — qu’il peut donner lieu à une véritable « obsession »[10]. Il est donc difficile de ne pas concorder avec la proposition de Rathenau selon laquelle « penser, c’est comparer », ou même avec celle de Jerome Hall selon laquelle « être sapiens est être comparatiste » [notre traduction][11]. Cependant, il ne faut pas oublier qu’il y a plusieurs manières différentes de comparer, tout comme il y a plusieurs manières de penser[12]. De telles différences acquièrent une importance cruciale aussitôt que l’opération pragmatique de la comparaison se transforme en une discipline scientifique; aussitôt, en d’autres termes, qu’elle devient disciplinée[13].

Depuis la genèse du « comparatisme », envisagé comme attitude caractéristique de l’environnement intellectuel européen du XIXe siècle[14], plusieurs disciplines scientifiques ont affirmé leur identité « comparative ». Pourtant, l’emploi de la comparaison, largement accepté dans certains domaines du savoir, a été rejeté dans d’autres. En particulier, si les sciences de la nature se sont placées à l’avant-garde en ce qui concerne le recours systématique à cet instrument[15], le raisonnement comparatif a rencontré plus d’hostilité dans certaines sciences humaines — et ce, sur la base de l’idée de l’incommensurable particularité des phénomènes étudiés —, notamment en anthropologie, en histoire ou en histoire des religions[16]. Mais, même dans les disciplines plus favorables à son utilisation, la comparaison a été comprise et appliquée selon plusieurs variantes[17]. Les différentes manières de comparer prennent alors la forme de « méthodes », ce qui génère inévitablement controverse. François Gény a appelé cela « le combat pour la méthode »[18].

En effet, la controverse entourant les diverses « méthodes » de la comparaison a caractérisé et caractérise toujours la plupart des disciplines dites « comparées » ou « comparatives »[19]. Le cas du droit comparé est particulièrement intéressant, de ce point de vue, parce que le débat sur la méthode, généralement laissé à l’arrière-plan dans les réflexions des comparatistes[20], se trouve dramatiquement ravivé ces jours-ci.

On compte, dans les dernières années, plusieurs livres dédiés aux enjeux de la méthode et de la méthodologie[21]. Des dizaines d’articles et chapitres de livres s’intéressent au même problème[22]. Les méthodes de l’enseignement et de la recherche en droit comparé sont parmi les sujets les plus récurrents dans les congrès scientifiques[23]. Les comparatistes sont si préoccupés par la question de la méthode, que l’on a parfois l’impression qu’ils passent plus de temps à discuter de la comparaison, qu’à faire des comparaisons…

Si l’on se souvient du célèbre énoncé de Gustav Radbruch, selon lequel les disciplines qui s’interrogent trop sur leurs propres méthodes sont des disciplines « malades » [notre traduction][24], on pourrait conclure que le droit comparé a récemment contracté une infection sérieuse. Mais ce n’est qu’une boutade : je ne crois pas que la controverse entourant la méthode soit un symptôme de maladie, même si le droit comparé est peut-être dans un état critique (un état de « crise »), en prenant ce mot dans son sens étymologique de séparation, pouvoir de discerner, ou jugement.

Le droit comparé semble en effet à la croisée des chemins, alors que le cadre culturel, politique et institutionnel qui avait entouré sa naissance et son développement est sur le point de disparaître, ou du moins de changer profondément[25]. Si la comparaison, en tant qu’instrument cognitif, « a longtemps appartenu aux raisonnements et aux façons de faire concrètes des juristes, qu’ils soient universitaires ou praticiens »[26], le « droit comparé », en tant que domaine spécifique du savoir juridique est un produit intellectuel moderne de l’Europe du XIXe siècle[27]. Il est la résultante historique de deux forces majeures : l’« étatisation » du droit et sa cristallisation dans des ordres juridiques séparés et autonomes, d’une part; et l’attitude « scientiste » des théoriciens du droit, d’autre part[28]. Si l’étatisation invite le juriste à limiter son attention aux microphénomènes du droit national, le positivisme scientifique — renforcé par la rencontre coloniale avec l’« autre » non européen — pousse le juriste à dépasser les frontières territoriales pour aboutir à une rationalisation descriptive des différences et similitudes entre les institutions juridiques et à comprendre leurs dynamiques de développement. Il s’agit d’une tension, au fond, entre nationalité et internationalité[29], qui a marqué profondément l’histoire de la discipline et qui ne manque pas de projeter ses effets sur l’expérience contemporaine.

L’effacement progressif des frontières nationales, l’harmonisation des secteurs croissants de l’expérience juridique, la croissante interdépendance entre les différents niveaux de régulation et l’émergence de plusieurs formes de droit « hors d’État » (à la fois à l’intérieur et à l’extérieur de l’ordre juridique formel), ont exercé une pression sur le droit comparé en rapport avec son objet de connaissance[30]. En même temps, le déclin de la foi typiquement positiviste en la possibilité de « connaître » les phénomènes sociaux d’une façon objective et « idéologiquement » neutre[31] a montré la fragilité de l’épistémologie scientiste sous-jacente au droit comparé du XIXe et du XXe siècle et a révélé le caractère intrinsèquement subjectif de toute opération de comparaison[32].

Dans un tel contexte, le débat sur la méthode représente une occasion de réfléchir aux caractéristiques et aux buts de la discipline dans un scénario transnational changeant. Cependant, on ne peut occulter une certaine déception devant la manière dont souvent ce débat se déroule.

En particulier, il n’est pas rare de trouver des écrits dans lesquels le mot « méthode » est employé au singulier, plutôt qu’au pluriel[33]. Ceci donne l’impression qu’il existe vraiment une — et une seule — méthode correcte pour faire des comparaisons juridiques, et que c’est la tâche de l’auteur que de la découvrir et de la « décrire »[34]. Sans nécessairement invoquer l’anarchisme épistémologique de Paul Feyerabend[35], il est clair que l’idée d’une unicité de la méthode, si elle rappelle le projet à long terme de légitimer la comparaison juridique comme « science »[36], ne peut pas aboutir au résultat souhaité[37].

Il ne peut être contredit que le droit comparé, depuis son apparition, n’a jamais suivi une seule méthode, et ceci, pour la simple raison qu’il n’a jamais eu un seul projet intellectuel sous-jacent[38] (ou une seule « fonction », suivant la terminologie d’Edouard Lambert[39]). Comme l’a récemment remarqué Jürgen Basedow, il n’est pas possible de répondre ou même de poser la question quelle est la méthode correcte? sans avoir au préalable clarifié « qui sont les clients du droit comparé » [notre traduction][40]. Historiquement, le droit comparé a servi plusieurs « clients » : le législateur national, les gouverneurs coloniaux, les cours nationales, les cours internationales, les professeurs de droit, les étudiants, les institutions de la mondialisation, etc.[41] De plus, le paradigme de « scientificité » et même la notion de « droit » ont varié sensiblement selon les époques et les contextes institutionnels dans lesquels la comparaison juridique a été pratiquée[42].

Ainsi, des cibles ont été identifiées et des méthodes différentes ont été développées pour répondre à diverses conditions spatiales et temporelles et pour accomplir une multitude de différents projets intellectuels ou politiques (rationalisation descriptive des ressemblances et différences, réformes législatives, unification du droit, exportations des modèles juridiques dans les colonies, résistance à l’imposition, etc.)[43]. En bref, il n’y a jamais eu de droit comparé, mais seulement plusieurs comparatismes. Par conséquent, si on veut réfléchir aux défis contemporains et à plus forte raison aux perspectives futures de la discipline dans le contexte du droit « global »[44], il faudrait commencer par « historiciser » attentivement l’entreprise du droit comparé et les « combats pour la méthode » qui l’ont caractérisée, de façon à mieux comprendre ses transformations dans le temps, ses réalisations et ses limites inhérentes.

Dans cet article, je voudrais proposer un petit exercice d’« archéologie » de la comparaison juridique, en suivant quelques traces laissées par le passé, qui conditionnent toujours notre compréhension et notre exercice de la discipline. Je présenterai donc une collection de clichés de certains moments passagers, correspondant en particulier à la période formative de ce domaine d’études, qui illustrent comment le discours comparatiste s’est déployé à ses débuts dans une logique de confrontation dialectique, et simultanément d’identification partielle avec la culture juridique locale.

Le droit comparé s’est affirmé en effet comme discipline « dissidente ». Dissidente, se réclamait-elle, par rapport au particularisme de la science juridique orthodoxe et à son « esprit de clocher »[45]. Mais cette évolution par différentiation n’a pas toujours accompli la fonction « subversive » que lui invoquent aujourd’hui plusieurs auteurs[46]. Si la subversion implique le « bouleversement des idées et des valeurs reçues »[47], le droit comparé « traditionnel » a été « sélectivement » subversif[48]. Plutôt que de bouleverser les idées et les valeurs reçues, et donc d’aboutir à un changement de paradigme[49], le droit comparé s’est souvent limité à élargir le champ de recherche dans une dimension spatiale ou temporelle plus vaste et à favoriser la diffusion des perspectives méthodologiques « contre-courant » comme les approches anti-formalistes et interdisciplinaires. Il a opéré, en d’autres termes, comme agent de « résistance » — dans le sens donné à ce mot par Geoffrey Samuel[50] — sans pourtant aboutir à une révision critique des deux présupposés de base de la conception occidentale moderne du droit : l’étatisme et le « scientisme »[51].

I.  Pourquoi l’anatomiste a-t-il son anatomie comparée, alors que le juriste n’a pas sa jurisprudence comparée?

Le premier cliché sur lequel je voudrais porter mon attention nous mène à la genèse du comparatisme au XIXe siècle. Même si le Congrès international de Paris de 1900 marque la date symbolique de la naissance du droit comparé[52], en tant que discipline autonome de la science juridique, la formation de ce champ d’études est plus ancienne[53]. La création des premières chaires et sociétés scientifiques dans le domaine de la législation comparée se situe, en France et en Angleterre, autour du milieu du XIXe siècle[54]. Mais au niveau de la production théorique, ce furent surtout les juristes allemands qui jouèrent un rôle d’avant-garde[55] en développant deux approches principales à la comparaison : l’une plus pragmatique, centrée sur la connaissance des droits et surtout des législations étrangers, et employée comme source d’inspiration pour la réforme et l’interprétation du droit national; et l’autre à caractère plus spéculatif et plus directement liée à l’usage de la « méthode comparative » par les sciences modernes[56]. Ces deux approches, qui laisseront des traces profondes dans les travaux du Congrès de Paris, partagent un caractère d’opposition à la culture juridique dominante, et notamment à l’école « historique » du droit.

La relation entre l’école historique et la comparaison juridique fut en effet profondément ambivalente[57]. L’« historisme », attitude caractéristique à la culture allemande de l’époque[58], conduisit à regarder le droit comme création humaine douée d’une existence historique. D’une part, affranchi de la théologie et des abstractions atemporelles de l’école du droit naturel, le droit fut réduit à sa dimension positive, « relativisé », et donc ramené à une dimension ouverte à la critique et à la compréhension par la comparaison[59]. D’autre part, l’usage très sélectif de l’histoire par Friedrich Karl von Savigny et ses élèves dans l’édification d’un système positif de droit créa un obstacle sérieux à la diffusion du raisonnement comparatif[60]. L’historisme de Savigny se lia à un bagage épistémologique très sophistiqué, qui le porta à limiter son intérêt à certaines manifestations concrètes du phénomène juridique et à nier l’utilité de la comparaison — notamment de la comparaison synchronique et diachronique avec les systèmes juridiques étrangers à la tradition romaniste. On ne se réfère pas seulement à la théorie du « caractère national des droits »[61], et notamment à l’idée du droit compris comme expression de l’« esprit d’un peuple »[62]; mais aussi à la tendance de Savigny à regarder le droit romain, non dans son historicité contingente, mais plutôt comme dépositaire d’une « raison universelle », capable de fournir l’inspiration et la matière d’une véritable « science » moderne du droit[63].

Cette science, telle que l’on peut lire dans sa Methodenlehre (1803)[64], devait correspondre au paradigme kantien de la connaissance scientifique. Elle devait donc être une science centrée sur l’idée de système et sur la compréhension des données empiriques contingentes au moyen de formes universelles de connaissance, telles que les concepts et les dogmes[65]. De là le regard porté par Savigny sur le droit romain, comme base matérielle pour l’édification d’un système — comme l’indique le titre de l’œuvre de sa maturité, le « Système de droit romain actuel»[66] — et comme source d’une tradition intellectuelle enracinée dans la culture européenne[67]. Cette combinaison entre historisme et « formalisme » — selon la définition donnée par le grand historien du droit Franz Wieacker[68] — explique les apparentes antinomies présentes dans la pensée juridique de Savigny et notamment la « contradiction inconciliable » — selon Jhering — entre la prémisse majeure du droit ancré dans l’essence d’une nation et le regard porté sur le droit romain comme base matérielle de la réflexion scientifique[69].

En même temps, la convergence entre historicisme et formalisme peut nous éclairer sur l’opposition de Savigny à l’hypothèse d’une histoire universelle et donc d’une convergence entre les approches historique et comparative développée par Anselm Feuerbach et Anton Justus Thibaut[70]. Thibaut, en particulier, avait soutenu la nécessité d’étendre l’étude du droit (et de son histoire) à l’expérience des autres cultures, même non-européennes. Pour comprendre sa propre tradition, observait-il, un voyageur européen doit sortir de l’Europe :

Dix conférences intelligentes sur la constitution juridique des Perses et des Chinois susciteraient chez nos étudiants plus de véritable sens juridique que les lamentables bafouillages consacrés à la succession ab intestato depuis August jusqu’à Justinien [notre traduction].[71]

Cette ouverture à l’expérience étrangère était essentielle au projet de Thibaut l’unification du droit allemand sur une base législative[72]. Dans un passage révélateur de son essai « Opinions pour et contre les nouveaux codes », Savigny réplique que l’intérêt d’étudier des expériences juridiques étrangères dépend strictement de leur « valeur » intrinsèque[73]. Puis, il ajoute que le lien organique entre le droit et l’essence d’une nation rend en général peu instructive la recherche sur le droit des peuples qui ne sont pas apparentés et n’appartiennent pas, notamment, aux nations « chrétiennes européennes »[74]. Par conséquent, si la recherche juridique doit mener à l’élaboration d’un système, en tant que forme universelle de connaissance scientifique, le droit qui mérite d’être étudié, en vertu de ses qualités techniques et de son inhérence à la tradition allemande — soit de tradition impériale et donc européenne— est le droit romain[75]. Partant de telles prémisses, il n’est pas surprenant que le formalisme l’ait emporté sur l’historisme et que la science juridique allemande du XIXe siècle ait éventuellement donné naissance « à la première jurisprudence véritablement non historique de toute l’histoire » [notre traduction, nos italiques][76].

À la perte de la dimension authentiquement historique de la science juridique allemande, s’ajoute une vision purement « interne », ou exclusive, du phénomène juridique : « interne » non seulement par rapport aux circonstances sociales et économiques, mais aussi dans le sens où elle se limite strictement à une expérience territoriale « nationale » spécifique. L’école historique, opposée à l’idée d’une réforme législative du droit, avait en effet essentiellement limité le besoin de connaître les systèmes de droit étrangers au droit romain uniquement[77].

Une attitude similaire influença profondément la science juridique allemande du XIXe siècle. On ne saurait oublier cependant qu’autour de l’Université de Heidelberg se regroupent des juristes — comme Anton Justus Thibaut, Eduard Gans, Carl Joseph Anton Mittermaier et Karl Salomo Zachariae, l’auteur du célèbre traité de droit civil français traduit par Charles Aubry et Charles Rau[78] — tous experts de la comparaison et fondateurs de la première revue de droit comparé, la Kritische Zeitschrift für Rechtswissenschaft und Gesetzgebung des Auslandes, parue entre 1829 et 1852 sous la direction de Mittermaier et Zachariae[79]. Pour ces auteurs, qui travaillent dans un contexte juridique caractérisé par la coprésence d’éléments de droit français (le Code civil badois étant modelé sur le Code Napoléon), de droit romain et des droits coutumiers, la comparaison représentait à la fois un instrument de connaissance du droit positif, et une source d’inspiration pour la réforme législative[80]. Cet appel à la comparaison ne fut toutefois jamais accepté par les courants dominants de la pensée juridique, lesquels — fascinés par l’idée de nation, par la perfection technique du droit romain et par la notion d’évolution spontanée du droit (composante importante de la critique de Savigny à l’égard de la perspective de Thibaut)[81] — poursuivirent l’élaboration d’un système unitaire de droit selon une perspective éminemment particulariste.

II. La « méthode comparative » et « l’obsession » des origines

Les limites posées par l’approche dominante ne furent franchies que vers le milieu du siècle, et ce dans un contexte de réflexion plus spéculatif et externe au cadre positiviste traditionnel. Ce nouvel itinéraire de recherche fut caractérisé par la convergence entre l’approche macro-historique et la « méthode comparative » telle que pratiquée par différentes disciplines contemporaines[82]. Le dépassement de l’idée de «  “culture” comprise comme délimitation » [83] et l’ouverture à la dimension de l’altérité en droit furent accomplis grâce à l’adoption d’un nouveau paradigme scientifique répondant mieux à l’essor des sciences modernes[84].

À le regarder de plus près, le discours de Savigny sur le manque d’intérêt de la comparaison allait lui-même, dans une certaine mesure, à contre-courant, car la démarche comparative était conforme à l’esprit du temps. Le XIXe siècle est, dans les mots de Friedrich Nietzsche, un véritable « âge de la comparaison »[85]. En effet, plusieurs disciplines scientifiques s’étaient affirmées, depuis le début du siècle, en tant que disciplines typiquement « comparatives »[86].

Particulièrement formatrice pour le paradigme scientifique fut l’expérience des sciences du vivant[87]. Si les naturalistes du XVIIIe siècle, tels que Carl von Linné et le Comte de Buffon, s’étaient préoccupés d’établir un inventaire de la nature et de développer une nomenclature scientifique en partant de l’idée d’une continuité entre les espèces[88], l’attitude de leurs successeurs du XIXe — et notamment des zoologistes comme Georges Cuvier et Jean-Baptiste Lamarck — est moins classificatrice et encyclopédique et plus explicatrice[89]. Leur intérêt ne se porte non plus sur la continuité, mais sur l’irrégularité, sur les anomalies qui causent la rupture de la gradation entre les espèces. La compréhension descriptive par la confection de taxonomies, organisées autour d’entités comme les genres, les familles, les ordres et les classes, laisse graduellement la place à l’explication d’écarts par rapport à une gradation régulière[90] — explication qui aboutit chez Lamarck et Darwin à une véritable théorie scientifique de l’évolution des organismes[91]. Pour que ces résultats soient atteints, il fallait observer un changement des conditions de travail. L’un des facteurs les plus importants fut le développement de disciplines comme l’anatomie comparée, qui fut constituée précisément à cette époque, ou encore la paléontologie ou l’embryologie comparée. L’œuvre de Cuvier, en particulier, contribua au perfectionnement de la méthode comparative en anatomie, en postulant la souveraineté de la fonction (les activités fonctionnelles) sur la structure (les caractéristiques physiques externes) des organes[92]. En rapportant chaque organe à sa fonction, il devint possible de voir « des ressemblances entre espèces, là où autrement on n’apercevrait que des divergences : si les branchies ressemblent aux poumons, c’est […] que les unes et les autres exercent la même fonction qui est de respirer »[93]. La méthode comparative devient pour Cuvier l’instrument le plus adéquat pour suppléer à l’absence des conditions expérimentales en biologie et isoler ce qu’il appelait les « lois d’observation »[94].

L’importance de cette démarche ne peut pas être sous-estimée. D’un côté, elle entraine un changement épistémologique tout à fait décisif, parce qu’elle implique un changement dans la conception de l’ordre naturel et l’abandon d’un point de vue anthropocentrique et absolu :

Alors que, pour le monde classique, les entités sont composées d’inventaires de traits différents ou identiques répondant aux hiérarchies préexistantes et éternelles, les traits s’agencent maintenant en fonction d’un but général renvoyant à une homogénéité fonctionnelle générale.[95]

D’autre part, le raisonnement fonctionnaliste, formant la base de l’anatomie comparée, se proposa comme le modèle à imiter dans d’autres domaines du savoir, et ce notamment, en droit comparé[96]. L’avènement de l’évolutionnisme darwinien poussa encore plus loin la remise en question de la conception de l’univers comme cosmos immuable, et de la centralité de l’homme en tant qu’être doté de raison[97]. Si la raison

est, à son tour, le résultat de la sélection naturelle et si, d’autre part, l’homme fonctionne encore aujourd’hui selon des stratégies adaptatives, cela implique de réexaminer le statut de l’être humain et, finalement, de réinterpréter la notion de progrès telle que l’Occident l’avait formulée et exportée  [références omises].[98]    Ce réexamen se poursuivra non seulement dans le domaine des sciences de la vie, mais aussi dans les « sciences de l’homme », alors à peine naissantes[99]. Parmi celles-ci, certaines avaient déjà amplement eu recours à la méthode comparative, en parallèle ou à la suite des sciences du vivant[100]. L’exemple paradigmatique, à cet égard, est la philologie, devenue peu après sa séparation de la théologie la linguistique comparée[101]. L’avènement de cette discipline, qui bouleversera le champ des sciences humaines, fut lié, selon James Turner, à deux facteurs principaux : la découverte des similitudes entre la structure grammaticale, le lexique et la syntaxe du sanscrit et les langues latine et grecque qui fut rendue possible par la colonisation anglaise de l’Inde[102]; et le développement d’une approche scientifique à l’étude des « familles » de langues — ce que l’on appellera « grammaire comparée » — dans les universités allemandes[103]. Parmi les idées clefs de ce courant — selon la lecture efficace offerte par Bernard Laks — on retrouve les suivantes :

Les langues sont des organismes qui vivent, se développent et meurent. Portées par la migration des peuples, elles se déplacent et se répandent dans l’espace. À la manière des espèces vivantes, elles se laissent regrouper en branches, familles et sous-familles. Comme c’est le cas pour les espèces naturelles, l’évolution linguistique fait montre d’un ordre de complexification croissant. La comparaison des lexiques des langues sœurs démontre la filiation et permet de reconstruire la langue mère, même lorsque celle-ci n’est plus attestée [notes et italiques omis].[104]

Les découvertes de la linguistique comparée exercèrent une influence profonde dans l’ensemble des cercles intellectuels[105], surtout parce qu’elles démontraient efficacement la possibilité de tenir un discours scientifique sur la question des « origines », question fondamentale pour l’univers culturel du XIXe siècle[106]. En effet, la formulation de l’hypothèse d’une parenté linguistique entre langues différentes et du sanscrit comme langue primordiale commune postulait la convergence entre le problème généalogique et le problème historique, problèmes que seule la « comparaison scientifique » pouvait résoudre[107].

L’« obsession »[108] romantique pour les origines perdues trouva donc dans les travaux des linguistes des réponses immédiates. Plusieurs autres disciplines — de l’histoire comparée des religions à la politique comparée — ne furent pas moins fascinées par la quête des origines des institutions humaines et des produits culturels. Ce problème des origines, émergeant dans presque tous les champs de recherche, fut analysé en combinant la perspective comparative avec le paradigme évolutionniste. La méthode comparative, dans ce contexte, devint le

nom donné par les évolutionnistes à un mode d’analyse et de confrontation des matériaux ethnologiques et sociologiques. Si on suppose que l’évolution se marque par une complexification constante, proposition[ ] généralement admise de nos jours, il faut admettre que, plus on remonte dans le temps, plus on se rapproche d’un stade initial simple. La même méthode permet de confronter des sociétés contemporaines et de leur assigner, sur une échelle évolutive, des degrés d’évolution. Cela aboutit à donner un nom et, ensuite, à faire de l’homme « primitif » notre ancêtre contemporain.[109]

III. Classification, comparaison, évolution

Parmi les institutions humaines susceptibles de changement, et notamment d’évolution d’un stade plus simple à une série de stades plus complexes, on compte évidemment les institutions juridiques. Il n’est donc pas étonnant de constater que la première masse d’études à caractère systématique dans le domaine du droit comparé se situe au carrefour de l’histoire et de l’ethnologie[110] et révèle tous les traits ici observés : l’adoption d’un théorème extradisciplinaire, et notamment la référence aux sciences du vivant comme paradigme de scientificité[111]; le regard porté sur le problème généalogique concernant l’identification d’un droit originaire (Urrecht)[112]; la conception évolutionniste comme modèle explicatif universel et grille de lecture de données empiriques[113].

Déjà en 1810, Anselm Feuerbach s’appuie sur la linguistique et les sciences de la vie comme modèles scientifiques de référence pour rompre la clôture intellectuelle de la culture juridique allemande, qui lui semble un « Japon littéraire » [notre traduction][114], et bâtir une nouvelle science du droit comparé :

Pourquoi l’anatomiste a-t-il son anatomie comparée, alors que le juriste n’a pas encore sa jurisprudence comparée? Les sources les plus riches de découvertes dans les sciences empiriques sont la comparaison et la combinaison. Seulement grâce à plusieurs contrastes peut-on comprendre pleinement ce qui est contrasté; seulement par la considération des similarités et des différences et de leurs raisons peut-on rendre manifestes les particularités et l’essence intime de chaque objet. Comme la philosophie de la langue est basée sur la comparaison des langues, ainsi la substance de la jurisprudence universelle, de la science de la législation, doit être tirée de la comparaison des lois et coutumes des nations (les plus proches et les plus éloignées) de tout temps et de tous lieux [notre traduction].[115]

Le discours de Feuerbach montre clairement que la construction d’un anti-modèle pouvait tirer profit d’un théorème extradisciplinaire[116]; et, à ce propos, il ne faut pas oublier que le parallèle entre droit et langue faisait déjà partie des acquisitions théoriques de l’école historique, notamment de la réflexion de Savigny[117]. La conférence provocatrice faite par von Kirchmann en 1847 sur la futilité de concevoir l’étude du droit comme science — tel qu’argumenté par Rainer Kiesow[118] — employait une argumentation similaire à celle de Feuerbach, et visait l’intégration de l’épistémologie du droit dans celle des sciences de la nature[119]. Des exemples de l’emploi des notions, mots ou concepts de la biologie ou de la linguistique se retrouvent, en effet, dans l’œuvre de plusieurs précurseurs de la comparaison juridique, parmi lesquels on compte l’italien Emerico Amari[120] et l’anglais Henry Sumner Maine[121]. Même la théorie des « greffes juridiques », l’un des topoi classiques du droit comparé qui illustre le mieux un pareil emprunt lexical, fit ses premières apparitions dans ce contexte[122]. Il est remarquable que dans ce nouvel environnement intellectuel, l’idée d’une histoire juridique universelle, déjà préconisée par Feuerbach[123] (en adhérence à la philosophie kantienne) et développée surtout par Gans[124] (en adhérence à la philosophie de l’histoire de Hegel), fut remodelée dans une logique évolutionniste[125] et orientée vers la recherche d’un droit primordial.

Les données illustrées par les linguistes sur la parenté entre les langues indo-européennes influencèrent profondément les juristes qui, après avoir postulé l’existence d’une « famille » de droits ariens, s’efforcèrent de reconstruire un proto-droit indo-germanique[126]. Cet enjeu interdisciplinaire est bien visible, par exemple, dans une œuvre posthume peu connue de l’un des plus grands juristes de l’époque, Rudolph von Jhering. Dans son livre Les indo-européens avant l’histoire, Jhering reconnait explicitement la dette de tous les hommes de science envers la linguistique, qui avait démontré l’ascendant commun des peuples indo-européens, les « Aryas ». En même temps, il soutient la nécessité de supplémenter ces résultats avec la méthode historique comparative :

La linguistique doit se laisser guider par l’histoire. Il incombe à celle-ci de déterminer, en comparant les institutions qui se rencontrent chez les peuples indo-européens à l’époque de leur première apparition, ce qui leur appartenait en commun avant qu’ils se séparassent entre eux, et ce qui doit être mis au compte de chacun. C’est tout particulièrement l’histoire comparée du droit qui est à même de nous donner des indications en cette matière, et quoique les recherches soient à peine commencées, elle peut déjà enregistrer des résultats importants. […]

L’intérêt qui m’a déterminé à étudier le passé des peuples indo-européens se rattache à ma spécialité professionnelle : le droit romain. J’ai voulu voir clairement comment les romains se sont comportés vis à vis des institutions juridiques du peuple aborigène qui leur ont été transmises, ce qu’ils en ont conservé, ce qu’ils ont modifié. Non point que ce fait comme tel […] eût à mes yeux une haute valeur, mais à cause des indications que je croyais pouvoir y puiser par rapport au caractère distinctif de la race romaine.[127]

Bien avant Jhering, plusieurs juristes avaient travaillé sur les relations entre le droit romain et le droit des « indo-européens », donnant naissance à une véritable théorie « arienne » ou « indo-germanique »[128]. La matrice idéologique (et même raciste[129]) de cette théorie — qui impliquait, selon les canons de l’époque, une démarcation hiérarchisante, une « ostensible définition de soi par la négation » [notre traduction][130]— est évidente et a bien été mise en lumière par Pier Giuseppe Monateri[131]. Cela dit, l’œuvre de ces historiens comparatistes ne se limita pas à l’étude des droits indo-germaniques : leur regard fut bientôt porté vers plusieurs autres droits historiques, tels le droit hébraïque, égyptien ou encore sumérien. Comprise comme l’analyse comparée des droits contemporains ou anciens, saisis dans la dynamique de leur développement et de leurs rapports de parenté, la comparaison juridique révélait plusieurs similitudes avec l’entreprise linguistique.

La dernière étape de la convergence entre approche historique et méthode comparative fut franchie grâce aux efforts de juristes comme Kohler[132], Post[133], et plusieurs autres contributeurs de la toute nouvelle Revue pour la jurisprudence comparative (Zeitschrift für vergleichende Rechtswissenschaft), qui ouvrirent le champ de recherche au droit des peuples dits à l’époque « primitifs »[134]. Ces études marquèrent le début de l’ethnologie juridique et furent fortement influencées par les conditions politiques et intellectuelles de l’époque, notamment le colonialisme[135] et la conception mécaniciste de l’évolution[136]. En même temps, ce courant eut le mérite objectif d’élargir les perspectives et d’outrepasser le manque d’intérêt de l’école historique et de la science juridique orthodoxe pour les cultures étrangères à l’ère romaniste[137]. Pour découvrir les causes générales de l’origine et du développement du droit, écrivait Post, il faut englober dans la recherche l’expérience de tous les peuples du monde dans chacune des phases de son développement, qu’il ait laissé de traces écrites ou non[138]. S’appuyant sur le présupposé de l’unité psychobiologique du genre humain[139], l’objectif principal de ses recherches était de démontrer l’existence de lois du développement universellement valables[140]. Sur cette base, on pourrait alors justifier l’utilisation de données tirées de l’analyse des droits « primitifs » contemporains pour combler certaines lacunes dans l’interprétation des droits anciens[141]. La méthode à employer, définie par Post lui-même, serait « ethnologique et comparative » (vergleichend-ethnologische)[142] — une méthode qui était devenue très diffusée à l’époque, le paradigme intellectuel de référence étant toujours celui de la biologie évolutionniste[143].

« Origines » et « développement », Urrecht (droit originaire) et Weltrecht (droits du monde) : voilà donc les mots-clés qui entourent le discours comparatiste de l’époque et qui révèlent sa tendance à reconstruire une « loi de la nature sur des bases empiriques » [notre traduction][144], capable d’assurer l’intelligibilité de l’univers juridique tout entier, du présent et du passé. Comme Rainer Kiesow l’a bien écrit :

La contingence, due au droit positif différencié extérieurement, sera pratiquement annulée ou rendue supportable par l’hypothèse d’une loi naturelle et d’une régularité — c’est-à-dire d’une théorie de l’évolution — se situant derrière le droit. […] La régularité de la nature, de caractère scientifique, compense ainsi la contingence « post-droit naturel » du droit positif.[145]

Il nous semble alors remarquable que dans la conscience de l’époque le « droit comparé » fût synonyme de « jurisprudence (ou d’histoire) comparative »[146]; et que cette « jurisprudence comparative » s’est développée en opposition à la logique particulariste de l’école historique. Pourtant, au lieu de jouer une fonction subversive, en déconstruisant à travers la comparaison les fausses certitudes de l’approche dogmatique de l’école pandectiste, le droit comparé finit par être capturé et absorbé par un autre paradigme tout aussi puissant : celui du positivisme scientifique[147].

IV.     La tension entre l’universalisme et le nationalisme

Les procès-verbaux du Congrès international de Paris de 1900 illustrent bien de quelle façon l’approche ethno-historique décrite ci-haut fût considérée une composante essentielle de la discipline par plusieurs rapporteurs de renommée[148]. En particulier, nous rappelle Lambert, cette première conception considérait le droit comparé essentiellement comme une branche de la science sociale, chargée de l’observation et de la découverte des régularités causales dans le développement du droit, et aussi de la classification des types juridiques et des familles de droit selon un procédé similaire à la taxonomie botanique ou zoologique[149]. Cependant, l’identité du droit comparé et de l’histoire comparative du droit ne fut pas acceptée par la totalité de la communauté académique naissante.

Plusieurs auteurs regardaient le droit comparé comme une discipline tournée vers l’avenir, plutôt que vers le passé, et lui assignaient « un but, non plus d’observation et de découverte, mais d’action »[150]. Non plus de spéculation abstraite, donc, mais un rôle pratique et utilitaire : le droit comparé devrait désormais être mis au service des nécessités du présent, et donc doté d’un inventaire d’instruments épistémologiques et institutionnels adéquats. Lorsque l’on discute des besoins du présent, on pense surtout à deux utilisations principales de la comparaison juridique : d’une part, en tant qu’instrument pour l’amélioration du droit et de la culture juridique nationale; d’autre part, pour analyser l’harmonisation des législations de différents pays.

On pourrait être tenté de voir surtout dans la deuxième variante (que Lambert appelle « législation civile comparée ») le reflet d’un projet intellectuel engagé, universaliste et cosmopolite — et donc de souligner le contraste entre ce dernier et le droit comparé « dépolitisé » de l’après-guerre[151]. Il serait trompeur cependant de passer sous silence le rôle joué dans ce contexte par les appartenances identitaires et la vision « romantique » du droit comme expression d’une culture nationale. Christophe Jamin a bien retracé l’influence de ces facteurs identitaires dans la pensée de deux « fondateurs » français de la discipline, Raymond Saleilles et Lambert. Jamin a montré, d’une part, comment la démarche comparative fut employée essentiellement dans le but de rénover la culture juridique nationale et servit notamment à réorienter la science de l’interprétation des lois dans une direction anti-exégétique[152]. D’autre part, même si le droit comparé servit à favoriser le rapprochement entre la législation nationale et les législations étrangères, l’esprit identitaire des juristes finit par conditionner en profondeur les modalités de cette interaction. En effet, à la lecture des procès-verbaux du Congrès international de 1900, on constate que la construction des « groupes » de droits et l’éclosion du célèbre « droit commun législatif »[153] ou « droit commun de l’humanité civilisée »[154], sont toutes deux des opérations qui répondent à une logique de démarcation selon la logique du dedans-dehors et donc d’exclusion de l’« autre », plutôt qu’à une logique d’inclusion et de compréhension réciproque. Selon Lambert, demeure implicite dans le rejet de l’approche spéculative au droit comparé (l’histoire comparative d’antan) la redéfinition du champ de recherche[155]. Si l’histoire comparative s’intéressait à n’importe quel droit — celui des peuples du présent autant que du passé, « types supérieurs » et « types inférieurs de civilisations » — le droit comparé tourné vers l’avenir et « élément du droit positif » doit « sous peine d’improductivité, sérier son action et la limiter à un certain nombre de droits vivants et reliés par un lien de parenté »[156].

« Droit vivants et reliés par un lien de parenté » veut foncièrement dire tout ce qui appartient « au même stade de l’évolution »[157] et exclut donc les dimensions de l’exotique, de l’ancien et du primitif. Ce resserrement de l’horizon de recherche est le reflet naturel du nouvel élan « utilitariste » du droit comparé : pour profiter de l’expérience de l’étranger, il faut se concentrer sur l’expérience juridique de civilisations « non-inférieures »[158].

Cela ne conduit pas uniquement à une démarcation entre le « nous » européen et les « autres » — l’extérieur —, mais aussi — à l’intérieur — à une hiérarchisation au sein de ce même groupe dominant. Parmi les cinq « groupes » de droit identifiés par Esmein comme appartenant à la civilisation occidentale[159], Lambert ne considère pas dignes du travail comparatif

ni le droit musulman, à qui ses origines religieuses ont imprimé de singuliers traits de ressemblance avec ce droit judaïque dont la communication de M. Mordché Rapaport fait si bien ressortir l’opposition profonde avec l’esprit de nos législations, ni même les coutumes ou les législations slaves adaptées à des civilisations et à des milieux économiques encore trop différents des nôtres.[160]

Quant au « groupe anglo-saxon », il pourrait être embrassé par les comparatistes du continent, mais « à titre accessoire, à une place plus effacée », car « l’esprit particulariste et la tendance conservatrice des droits anglais et écossais »[161] s’oppose à un rapprochement complet entre ce système juridique et ceux des autres pays européens[162]. Il ne reste alors presque rien : on conclut d’une pareille sélection que « la comparaison pourra être établie très utilement entre le groupe latin et le groupe germanique »[163].

Si le classement est, dans cette perspective, une opération préalable au rapprochement, il ne saurait être compris comme une démarche neutre et purement descriptive. Au contraire, la classification est nécessairement une évaluation, le but ultime étant de « grouper [ces législations] en catégories homogènes, et de chercher à déterminer, parmi les différents types ainsi décrits, celui qui semble le mieux correspondre à l’état actuel de la civilisation et à qui, sans doute, sera réservée l’hégémonie sur les autres » [nos italiques][164].

Il n’est pas étonnant que la logique nationaliste d’exclusion et de hiérarchisation ait joué un rôle décisif dans la définition des méthodes et des fonctions du droit comparé[165]. Le comparatiste ne vit pas dans un monde à part. Il partage, en tant que juriste, une certaine vision du « droit », qui ne peut qu’être influencée dans une certaine mesure par les idéologies et les tendances de l’environnement qui l’entoure[166]. Au début du XXe siècle, l’identification entre droit et territoire atteignait son apogée, en même temps que l’idée de patrie[167]. La construction des modèles théoriques, auxiliaires au travail des comparatistes, n’aurait su se libérer aisément de ces contraintes. Et il en est de même des autres préconceptions largement partagées, comme l’équivalence entre « droit » et « loi » et la dichotomie entre « droit privé » (droit comparable et susceptible d’harmonisation législative) et « droit public » (droit incommensurable et soustrait au rapprochement supranational)[168].

V. À l’aube du fonctionnalisme

Certains des facteurs discutés, comme l’importance de la logique nationaliste ou la division entre privé et public, sont sous-jacents à la grande opération culturelle accomplie par l’autrichien Ernst Rabel, le véritable fondateur de l’école allemande moderne de droit comparé[169], et peuvent être retracés dans ses premiers écrits programmatiques concernant les buts et les fonctions de la comparaison. Ces textes datent des années 1920 et sont révélateurs de l’approche de Rabel à la méthode comparative[170]. Malheureusement, ils n’ont pas été traduits en français ou en anglais et sont par conséquent peu connus dans la mouvance juridique américaine et franco-britannique. Pour comprendre le sens historique du discours de Rabel, il est nécessaire d’esquisser brièvement le contexte de référence, un contexte de crise à plusieurs égards[171] : la défaite humiliante de l’Allemagne dans la Première Guerre mondiale; la situation d’insécurité politique et économique extrême; la question délicate des réparations de guerre; la présence de plus en plus importante de capitaux et de sujets étrangers sur le territoire; ainsi que l’isolement croissant des intellectuels. Si l’on considère ces éléments, on peut comprendre l’approche très pragmatique de Rabel — notamment, sa ferme conviction que la comparaison juridique pourrait (et devrait) relever les défis posés par l’internationalisation croissante des rapports juridiques[172], et devrait également être mise au service de l’amélioration de la culture juridique nationale.

Dans la première partie de son essai programmatique, intitulé « De la fonction et de la nécessité de la comparaison juridique », Rabel souligne que la finalité principale du droit comparé est d’élargir la connaissance[173] — connaissance qui implique, notamment, l’élargissement de l’horizon de l’argumentation, la réduction des préjugées, la relativisation des problèmes et des solutions, et la clarification des concepts juridiques[174]. Cependant, il remarque que dans un contexte caractérisé par l’intensification des échanges, l’harmonisation internationale de plusieurs secteurs de la vie juridique, ainsi que la redéfinition des rapports de pouvoir entre les nations, une meilleure « connaissance » signifie avant tout un meilleur exercice du pouvoir sur le plan culturel et économique.

Observée de ce point de vue, l’expérience allemande est selon lui décevante. La science juridique allemande — et surtout la science civiliste — s’illustre, aux yeux de Rabel, par son indifférence totale à tout ce qui n’est pas national : dans les manuels, les commentaires, et même les monographies des trente dernières années, on cherche en vain les citations ou les discussions d’ouvrages parus à l’étranger[175]; dans les bibliothèques, la documentation sur le droit étranger se révèle très rare et présente de nombreuses lacunes.

Ce manque d’intétêt pour le droit comparé ne pouvait pas être sans conséquence, dans un contexte caractérisé par un fort élan nationaliste. Rabel observe à ce propos que dans le Livre du cinquantenaire de la Société de législation comparée paru en 1922, l’expérience juridique allemande fut largement ignorée, ne faisant pas l’objet d’un rapport spécifique, et fut minimisée dans son importance dans le rapport conclusif de Henri Lévy-Ullmann (imbu, effectivement, d’esprit nationaliste)[176]. De plus, il note que le rapporteur japonais en arrive à la conclusion qu’en dépit de la réception massive du Code civil, du Code de commerce, et du Code de procédure civile allemands, le modèle juridique devenu le plus influent, dans l’après-guerre, est celui de la France; une tendance similaire est soulignée par le contributeur grec[177]. De là l’amère constatation de Rabel : « quelles conséquences a donc une guerre perdue! » [notre traduction][178].

Ces considérations l’amènent à jeter un regard critique sur l’état de la science juridique allemande. En rappelant la leçon de Hermann Isay[179], Rabel dénonce le phénomène de l’isolement de la pensée juridique allemande[180]. En particulier, il souligne d’une perspective critique la fuite vers le conceptualisme, le technicisme traité comme une fin en soi, le divorce entre le droit et les besoins sociaux et le manque d’attention pour la science juridique étrangère[181]. Pour illustrer les dangers de cette attitude isolationniste, Rabel s’attarde sur l’exemple des tribunaux mixtes d’arbitrage établis par le Traité de Versailles. Ces tribunaux étaient composés de trois arbitres : un allemand, un représentant issu des puissances alliées, et un représentant neutre. Ces derniers étaient chargés de statuer sur les controverses concernant, entre autres, la liquidation des rapports de droit privé établis avant la guerre et les réparations dues aux sujets privés. Selon Rabel, qui avait déjà commenté plusieurs décisions du Tribunal mixte anglo-allemand et avait lui-même exercé la fonction d’arbitre dans le Tribunal mixte allemand-italien[182], les résultats généralement défavorables à l’Allemagne pouvaient être imputés à l’incapacité des juristes allemands à travailler dans un contexte international comme celui créé par le Traité de Versailles. Écrit en français et employant des notions et des concepts pour la plupart tirés du droit anglo-américain et du droit français[183], le Traité ne pouvait être interprété conformément à la grande tradition dogmatique allemande. L’ignorance, sinon le mépris, des cultures juridiques étrangères empêchait la compréhension de notions clés — comme celles de dette ou de property — et ceci entraina des conséquences défavorables pour l’Allemagne sur la résolution de controverses et la tutelle judiciaire des intérêts[184].

L’exemple des tribunaux mixtes servit à renforcer l’argument de Rabel. En présence d’une interaction croissante entre des droits et des économies différentes, comme c’était le cas dans l’Allemagne de l’époque, le droit comparé devint un outil essentiel pour résoudre les problèmes pratiques posés par l’internationalisation et pour avancer les intérêts politiques et économiques nationaux[185]. La comparaison juridique, écrit-il à la fin de son essai programmatique, n’a « rien à voir avec l’internationalisme politique. […] Le droit national, tout comme les individus, ne se développent en santé que par la vie en commun et l’échange avec les autres » [notre traduction][186].

À la lumière de ces prémisses, on comprend mieux le caractère du projet intellectuel sous-jacent de Rabel. Si le droit comparé n’a pas qu’un but spéculatif, n’est pas qu’une pure théorie du droit, mais qu’il joue au contraire un rôle pratique, pouvant être mobilisé au service de la culture juridique (en particulier, nationale)[187], on doit doter la discipline de structures institutionnelles adéquates et d’une méthodologie fiable. En premier lieu, il faut rappeler les efforts énormes de Rabel — véritable précurseur d’une longue liste de maîtres qui ont apporté une égale contribution pratique et essentielle au développement du droit comparé — pour assurer la création et le soutien financier des instituts de droit comparé de l’Université de Munich et le Kaiser-Wilhelm-Institut de Berlin, qui sont toujours des institutions d’élite, unanimement admirées au niveau international[188]. En deuxième lieu, il faut souligner que Rabel refuse l’excès de dogmatisme de la Begriffsjurisprudenz, qui représentait pour lui ce que l’école de l’exégèse était à Saleilles et à Lambert, ainsi que la conception mécaniciste et spéculative de l’approche historique-comparative allemande du XIXe siècle. L’expérience pratique qu’il avait acquise dans ses fonctions de juge et d’arbitre[189] avait enseigné à Rabel que la tâche première du comparatiste était de résoudre un problème de communication linguistique entre deux mondes juridiques différents[190]. Deux systèmes de droit utilisent normalement des notions, des concepts et des taxonomies différentes. Par conséquent, l’adoption d’une approche formaliste à caractère déductif ne produirait jamais de résultats fructueux dans le domaine du droit comparé[191]. Au contraire, il fallait suivre la procédure inverse, à caractère « inductif »[192] : à partir d’un certain « problème juridique » (Rechtsfrage), il fallait retrouver les normes applicables dans les différentes juridictions et mesurer la distance ou la convergence entre les solutions ainsi isolées[193]. Il s’agit donc d’une approche « orientée vers le problème » (Problemorientiert) et non d’une simple juxtaposition du langage formel des textes juridiques :

[P]lutôt que de comparer des données fixes et des paragraphes isolés, nous comparons les solutions produites dans un certain système juridique pour une certaine situation factuelle avec celles produites dans un autre système pour la même situation, et après nous demandons pourquoi elles ont été produites et avec quel succès.[194]

Centrales à ce modèle sont l’analyse des fonctions remplies par une règle ou une institution juridique[195] et la recherche de leur équivalent dans les droits étrangers[196]. C’est la raison pour laquelle l’approche de Rabel a souvent été décrite comme « fonctionnelle »[197].

L’application d’une pareille méthode présuppose donc non seulement une notion ample et flexible de la norme juridique faisant l’objet de la comparaison, mais elle suppose également que la « règle » pertinente ne peut être simplement dégagée du « texte » de la loi applicable[198], comme le présupposait l’approche traditionnelle à la « législation comparée ». La règle acquiert plutôt son contenu par son application concrète, soit par les professionnels de la justice, soit par les sujets privés[199] : « une loi sans la jurisprudence correspondante est [toujours selon Rabel] comme un squelette sans muscles et la doctrine majoritaire en forme les nerfs » [notre traduction][200]. La méthode de Rabel implique aussi l’adoption d’une perspective sociologique à l’étude des rapports entre la règle et son « contexte » socio-économique[201]. En bref, Rabel fait sienne une approche véritablement « réaliste », en opposition avec le dogmatisme sous toutes ses formes : le dogmatisme formaliste de l’école pandectiste, et le dogmatisme évolutionniste de l’histoire comparative[202]. Cette démarche est intimement liée aux tendances anti-formalistes qui gagnèrent beaucoup de soutien dans les cultures juridiques française et allemande de l’après-guerre[203] (sans parler du réalisme juridique américain), mais elle est également cohérente avec la diffusion des modèles empiristes dans plusieurs autres domaines du savoir, en particulier en anthropologie[204]. Le discours de Rabel était donc parfaitement aligné avec cette nouvelle vague, qui aurait produit un bouleversement radical du rapport traditionnel entre forme et substance, droit et faits, technique et valeurs.

Il s’agit d’une véritable innovation méthodologique, donc, mais on ne saurait pour autant parler de « subversion »[205]. La perspective de Rabel ne remet pas en question plusieurs des présupposés de la culture juridique dominante qui seront englobés dans la nouvelle orthodoxie fonctionnaliste[206]. Parmi ceux-ci, on pense à l’identification du droit avec le droit étatique; à la distinction entre droit privé et droit public et au manque d’intérêt du droit public pour les études comparatives[207]; à la conception scientiste du droit (qu’il soit national ou étranger) comme entité ontologiquement capable d’être décrite et comparée d’une manière détachée, neutre et objective[208]; ou encore à la prémisse implicite de la perspective fonctionnaliste selon laquelle les problèmes juridiques sont partout les mêmes, du moins si on limite son attention au cercle fermé des systèmes juridiques « occidentaux »[209].

VI.     L’angoisse de la comparaison

Il y a quelques années, Charles Bernheimer, en introduisant la conférence annuelle de l’American Comparative Literature Association, observa que la littérature comparée est généralement perçue, dans l’environnement académique nord-américain, comme une matière « anxiogène »[210]. Elle désoriente au lieu d’orienter; elle produit des doutes au lieu de fournir des solutions; elle déconstruit au lieu de construire. En bref, la comparaison dans le domaine de la littérature est à la base d’un discours profondément déstabilisant.

Peut-on en dire de même de la comparaison juridique?

Oui et non. Ce petit détour rétrospectif nous a montré que le droit comparé, depuis ses débuts, a tenté de faire contrepoids au particularisme, à l’« esprit de clocher » élevé au rang de système, mais aussi au réductionnisme méthodologique de la culture juridique dominante[211]. Une très large partie des mouvements anti-formalistes du XXe siècle se sont identifiés, ou du moins ont eu de profondes connexions, avec le milieu intellectuel du droit comparé[212]. C’est le cas, comme on l’a noté, du fonctionnalisme de Rabel et de son école[213], mais aussi du courant « structuraliste » de Rodolfo Sacco[214] ou de la démarche historique associée — parmi les autres intellectuels[215] — au nom de Gino Gorla[216]. De ce point de vue, le droit comparé a accompli de façon remarquable un renouvellement de la pensée juridique « orthodoxe », en s’affirmant non seulement comme entreprise utilitaire et pratique, mais aussi comme instrument de connaissance critique du droit[217]. Otto Pfersmann, en réfléchissant sur le droit comparé envisagé comme théorie du droit, a justement observé que :

Si l’usage des noms de concepts par les doctrines juridiques nationales tend à naturaliser et à rationaliser les données des systèmes respectifs de référence, le droit comparé situe n’importe quelle donnée de n’importe quel droit positif national dans l’ensemble des structures possibles et réduit par conséquent l’idée d’exclusivité intrinsèque qui pourrait s’y attacher.[218]

La relativisation des règles, concepts et catégories utilisés par tout système juridique représente donc une prérogative essentielle de la démarche comparative qui, en tant que « contre-discours », ne peut que naturellement avoir un effet « anxiogène »[219].

L’angoisse produite par la comparaison n’est, au fond, qu’une révélation de la complexité inhérente de l’expérience juridique, qui se vit dans des dimensions plurielles et souvent contradictoires : formel-informel; abstrait-concret; contingent-durable; facticité-normativité, etc. Accomplir une fonction de résistance[220] signifie en premier lieu rendre visible la conformation ouverte, polyphonique[221] et structurellement indéterminée des phénomènes juridiques, laquelle est généralement occultée par les « superstitions » positivistes[222].

La comparaison est, dans cette perspective, un véritable « exercice libérateur » [notre traduction][223] : comparer veut dire mettre « l’autre possible » toujours au centre de la scène, non pas pour établir des hiérarchies ou des divisions (à cet égard, toute comparaison s’avère « odieuse »[224]), mais plutôt pour travailler sur la dimension de l’« entre »[225], mettre l’accent sur la complexité du réel et éveiller un doute derrière chaque préjugé[226].

Une pareille fonction critique est parfaitement cohérente avec la réalité du pluralisme méthodologique dans la discipline : il n’y a pas une méthodologie comparative[227], mais plusieurs comparatismes possibles[228], établis au fil de l’histoire de la discipline et qui ne doivent pas être considérés comme mutuellement exclusifs (contrairement à ce que veut la logique traditionnelle des luttes de clocher, qui refait parfois surface dans les discussions sur la méthode)[229]. Aussi, le droit comparé envisagé comme exercice libérateur implique la remise en question systématique des présupposés explicites ou tacites de la démarche comparative elle-même.

À cet égard il faut noter que le droit comparé orthodoxe a bel et bien accompli une fonction de résistance,[230] mais toujours d’une manière limitée et nécessairement sélective. D’une part, il a contribué, comme on l’a déjà observé, à corroder le particularisme et l’unilatéralisme méthodologique de la science juridique nationale; mais, d’autre part, il n’a pas réussi — sauf en de rares occasions — à dépasser les contraintes épistémologiques découlant du contexte de sa naissance, contraintes opérant souvent de manière latente, comme des « cryptotypes »[231]. On se réfère ici aux présupposés inhérents au modèle du positivisme étatique (l’idée que l’ordre juridique étatique est exclusif à un territoire et l’idée des règles formelles, édictées par l’état comme seuls vecteurs de la normativité juridique) et à l’attitude « scientiste » (la conviction qu’il est possible d’arriver à une rationalisation purement descriptive des phénomènes juridiques observés et conformes aux critères de la scientificité)[232]. De là, les faiblesses bien connues de l’entreprise comparative « traditionnelle » : la prééminence accordée aux projets taxonomiques[233] (souvent affectés par l’eurocentrisme), l’occultation de la dimension politique inhérente à toute classification ou comparaison[234], l’attention portée sur le droit étatique et la méconnaissance (surtout au niveau des micro-comparaisons) des droits religieux et coutumiers[235], la réduction de l’objet de la comparaison aux règles formelles[236], etc.

Un droit comparé conforme à la conception « westphalienne » originaire n’a tendance à projeter dans ses opérations qu’une vision du monde partielle et unilatérale et donc à produire inévitablement des « victimes »[237]. Celui-ci risque aussi de ne pas réussir à fournir les schèmes cognitifs adéquats pour l’intelligibilité de la réalité juridique contemporaine — caractérisée par la croissante interdépendance des marchés, des sociétés et des systèmes politiques — et donc d’être condamné à la marginalité dans les processus d’élaboration symbolique du droit[238]. Cela ne veut pas dire qu’il faut réimaginer la démarche comparative d’une façon utilitaire, afin de la rendre plus « appétissante » aux seigneurs du droit global[239] et de la situer dans la dimension de l’« empire », comme la nouvelle analyse économique et comparée du droit s’efforce de le faire[240]. Au contraire, il me semble nécessaire et cohérent de récupérer et de revaloriser l’aspect culturel et la vocation humaniste de la comparaison juridique, en la situant dans la dimension du « cosmos », suivant la terminologie de Nicholas Kasirer[241].

Le programme transsystémique d’éducation juridique offert à McGill démontre de façon exemplaire comment un modèle sophistiqué de comparaison juridique « post-positiviste » peut être mis au service de la recherche et de l’enseignement du droit, sans perdre son « attrait » et sans se réduire à un frivole jeu intellectuel post-moderne[242]. Toutefois, cela n’implique pas que le droit comparé de l’avenir doive nécessairement être envisagé comme « intégré » dans les autres disciplines juridiques et donc disparaître en tant que matière autonome d’enseignement et de recherche[243]. Dans l’abstrait, on pourrait souhaiter à d’autres de vivre une « évolution » similaire, qui signifierait de laisser derrière la dette nationaliste et positiviste du droit moderne. Mais soyons réalistes : il est difficile d’imaginer qu’un projet intellectuel comparable à celui expérimenté à McGill soit aisément transposable à d’autres contextes juridiques, notamment ceux de l’Europe continentale, qui restent très attachés à l’idéologie positiviste et qui sont moins sensibles aux exigences pluralistes particulièrement présentes dans l’environnement canadien. Pour ces raisons, le droit comparé comme discipline autonome continue d’être un vecteur indispensable de la critique et du pluralisme méthodologique en droit, et continue d’être un moyen nécessaire pour « penser » le droit dans l’âge de l’interdépendance globale. Il faut donc en conclure, en s’inspirant d’une célèbre phrase de Jhering :  par le droit comparé, mais au-delà du droit comparé![244]

                       

[1]     À propos de la vie et des œuvres de Rathenau, voir Shulamit Volkov, Walther Rathenau: Weimar’s Fallen Statesman, New Haven, Yale University Press, 2012.

[2]     Pour cette étymologie, voir H Patrick Glenn, « The Aims of Comparative Law» dans Jan M Smits, dir, Elgar Encyclopedia of Comparative Law, 2e éd, Cheltenham, Edward Elgar, 2012, 65 à la p 71 [Glenn, « Aims of Comparative Law »]. Il est intéressant de noter que l’adjectif latin par, paris trouve une correspondance directe dans l’iranien par-. Cette notion indique « tout ce que doit, en matière de réparation, celui qui s’est rendu coupable d’un délit ». Benveniste ajoute, à propos de l’adjectif latin par, que

c’est une de ces survivances qui rapprochent le latin du groupe oriental des langues indo-européennes, et la correspondance est d’autant plus instructive qu’elle nous fournit l’amorce du développement technique qui ne s’est réalisé qu’en iranien et qui y produit la notion de “dette”. C’est largement à partir de notions religieuses que ces expressions juridiques se sont constituées  (Émile Benveniste, Le vocabulaire des institutions indo-européennes, vol 1, Paris, Éditions de Minuit, 1969 aux pp 184–85).

[3]     Voir Barbara Cassin, dir, Dictionary of Untranslatables: A Philosophical Lexicon, Princeton, Princeton University Press, 2014, sub verbo « comparison ».

[4]     Voir Joachim Ritter, Karlfried Gründer et Gottfried Gabriel, Historisches Wörterbuch der Philosophie, t 11, Basel, Schwabe, 2001, sub verbo « Vergleich ».

[5]     Voir D Levade, Recueil de mots français dérivés de la langue grecque, et dont la composition donne à connaître le sens, Lausanne, Fischer & Vincent, 1804, sub verbo « parabole » :

[D]e paraballô, je compare; ballô, je jette. Il faut faire attention ici à la force de la prép[osition] para, elle signifie quelquefois contre, au-delà; mais quelquefois il faut remarquer, pour sentir la force des mots dans la composition desquels elle entre, qu’elle prend le sens d’à côté, le long; [par exemple] quand on veut comparer deux choses, on les place à côté l’une de l’autre; d’après cela, l’expression de paraballein a été bien choisie pour exprimer, comparer; paraballô, je compare; parabole, comparaison, similitude, je ne parle pas de la chose elle-même, mais je place, je jette à côté d’elle une chose qui lui ressemble, et moyennant celle-ci je vous fais penser à l’autre.

[6]     Voir Ritter, Gründer et Gabriel, supra note 4, sub verbo « Vergleich ».

[7]     Voir Dieter Medicus, Allgemeiner Teil des BGB: Ein Lehrbuch, 7e éd, Heidelberg, CF Müller, 1997 au para 459.

[8]     Pour un développement ultérieur de l’étymologie du verbe « comparer » en tant que « bringing together with a peer, with that which is prima facie equal for purposes of consideration », voir H Patrick Glenn, « Com-paring » dans Esin Örücü et David Nelken, dir, Comparative Law: A Handbook, Portland, Hart, 2007, 91 à la p 92 [Glenn, « Com-paring »].

[9]     Le discours de Claude Lévi-Strauss menait à la conclusion que le raisonnement comparatif peut être considéré une manière pragmatique de penser. Celui-ci démontra l’ample utilisation par la « pensée sauvage » de taxonomies très élaborées et de classifications d’une grande complexité (voir Cécile Vigour, La comparaison dans les sciences sociales : pratiques et méthodes, Paris, La Découverte, 2005 à la p 7; Claude Lévi-Strauss, La pensée sauvage, Paris, Plon, 1962). Dans un autre contexte, il est remarquable que, pour Immanuel Kant, la comparaison soit l’une des opérations logiques les plus fondamentales et importantes pour la génération de tout concept (voir Ralph Weber, « Comparative Philosophy and the Tertium: Comparing What with What, and in What Respect? » (2014) 13 Dao 151 à la p 153; Kant, Logique, traduit par J Tissot, 2e éd française, Paris, Librairie philosophique de Ladrange, 1862 à la p 94).

[10]    Voir Rudolf von Jhering, Bilder aus der römischen Rechtsgeschichte, Scherz und Ernst in der Jurisprudenz: Eine Weihnachtsgabe für das juristische Publikum, 3e ed, Leipzig, Drud und Verlag von Breithoft und Hartel, 1885, 127 tel que cité et traduit dans Konrad Zweigert et Kurt Siehr, « Jhering’s Influence on the Development of Comparative Legal Method » (1971) 19:2 Am J Comp L 215 aux pp 215–16 :

I have the unfortunate peculiarity of comparing everything that comes my way, the domestic with the foreign, or the present with the past […]. My obsession to compare is, however, not confined merely to what is of interest to me personally but embraces everything that reaches me within a stone’s throw; nothing is safe from me.

[11]   Jerome Hall, Comparative Law and Social Theory, Binghamton, Louisiana State University Press, 1963 à la p 9.

[12]    Voir généralement Jonathon W Moses et Torbjørn L Knutsen, Ways of Knowing: Competing Methodologies in Social and Political Research, 2e ed, New York, Palgrave Macmillan, 2012 aux pp 231–35.

[13]    Voir Günter Frankenberg, Comparative Law as Critique, Cheltenham, Edward Elgar, 2016 aux pp 7–13 [Frankenberg, Comparative Law]; Helge Dedek, « Stating Boundaries: The Law, Disciplined » dans Helge Dedek et Shauna Van Praagh, dir, Stateless Law: Evolving Boundaries of a Discipline, Farnham, Ashgate, 2015, 9.

[14]    Voir Guy Jucquois, Le comparatisme, t 1, Louvain-la-Neuve, Peeters, 1989 à la p 21 et s; Guy Jucquois, Le comparatisme, t 2, Louvain-la-Neuve, Peeters, 1993 à la p 9 et s; Guy Jucquois et Pierre Swiggers, « Comparatisme : contours d’une visée » dans Guy Jucquois et Pierre Swiggers, dir, Le comparatisme devant le miroir, Louvain-la-Neuve, Peeters, 1991, 13.

[15]    L’idée même d’effectuer des expériences sous des conditions contrôlées est essentiellement une sorte de « comparaison systématique » [notre traduction], telle que définie par Francis Bacon (Moses et Knutsen, supra note 12 à la p 95). Elle a été formalisée comme méthode par John Stuart Mill qui considère la comparaison comme un élément de différentes méthodes empiriques :

The simplest and most obvious modes of singling out from among the circumstances which precede or follow a phenomenon those with which it is really connected by an invariable law are two in number. One is, by comparing together different instances in which the phenomenon occurs. The other is, by comparing instances in which the phenomenon does occur, with instances in other respects similar in which it does not. These two methods may be respectively denominated the Method of Agreement and the Method of Difference (John Stuart Mill, System of Logic: Ratiocinative and Inductive, People’s Edition, Londres, Longmans & Geen, 1893 à la p 253).

[16]    Pour un panorama synthétique, voir Robert A Segal, « In Defense of the Comparative Method » (2001) 48:3 Numen 339; Bruce G Trigger, Understanding Early Civilizations: A Comparative Study, Cambridge, Cambridge University Press, 2003 aux pp 3–39; Vigour, supra note 9 aux pp 44–62.

[17]    Voir par ex John L Gittleman et Hang-Kwang Luh, « On Comparing Comparative Methods » (1992) 23 Annual Rev Ecology & Systematics 383 (à propos de l’usage de la méthode comparative en biologie).

[18]    François Gény, Science et Technique en droit privé positif : nouvelle contribution à la critique de la méthode juridique, vol 1, Paris, Sirey, 1922 à la p 2. Gény parle d’un « [c]ombat pour la méthode » s’intéressant non seulement à la jurisprudence, mais à « toutes les disciplines scientifiques » — et notamment la physique, les mathématiques, la chimie, la biologie, et la sociologie (ibid aux pp 2–3). La question de la méthode émerge donc d’une comparaison du droit avec d’autres disciplines, et vise le progrès du droit, « méthode essentielle au progrès de leurs disciplines » (ibid à la p 8). Pour un aperçu très utile des différents perspectives méthodologiques (et de leurs combats respectifs) dans le domaine des sciences sociales, voir Moses et Knutsen, supra note 12 aux pp 2–14.

[19]    Pour un tour d’horizon sur les sciences sociales, voir généralement Linda Hantrais, « Methodological Pluralism in International Comparative Research » (2014) 17:2 Int J Social Research Methodology 133; Vigour, supra note 9 à la p 21 et s; Alan Sica, dir, Comparative Methods in the Social Sciences, vol 1, Londres, Sage Publications, 2006; Amitai Etzioni et Fredric L Dubow, dir, Comparative Perspectives: Theories and Methods, Boston, Little & Brown, 1970.

[20]    Voir Ralf Michaels, « Im Westen nichts Neues? 100 Jahre Pariser Kongreß für Rechtsvergleichung: Gedanken anläßlich einer Jubiläumskonferenz in New Orleans » (2002) 66:1 RabelsZ 97 (2002).

[21]    Voir par ex Frankenberg, Comparative Law, supra note 13; Maurice Adams et Dirk Heirbaut, dir, The Method and Culture of Comparative Law: Essays in Honour of Mark Van Hoecke, Oxford, Hart, 2014; Geoffrey Samuel, An Introduction to Comparative Law Theory and Method, Oxford, Hart, 2014 [Samuel, Theory and Method]; Pier Giuseppe Monateri, dir, Methods of Comparative Law, Cheltenham, Edward Elgar, 2012 [Monateri, Methods]; Maurice Adams et Jacco Bomhoff, dir, Practice and Theory in Comparative Law, Cambridge, Cambridge University Press, 2012; WE Butler, OV Kresin et IS Shemshuchenko, dir, Foundations of Comparative Law: Methods and Typologies, Londres, Wildy, Simmonds & Hill, 2011.

[22]    Voir par ex A Esin Örücü, « Methodology of Comparative Law » dans Smits, Elgar Encyclopedia of Comparative Law, supra note 2, 560; Mark Tushnet, « Some Reflections on Method in Comparative Constitutional Law » dans Sujit Choudhry, dir, The Migration of Constitutional Ideas, Cambridge, Cambridge University Press, 2006, 67; Geoffrey Samuel, « Taking Methods Seriously » (2007) 2:1 J Comparative L 94 & (2007) 2:2 J Comparative L 210; Jaakko Husa, « Methodology of Comparative Law Today: From Paradoxes to Flexibility? » (2006) 58:4 RIDC 1095; Béatrice Jaluzot, « Méthodologie du droit comparé : bilan et perspective » (2005) 57:1 RIDC 29; Vernon Valentine Palmer, « From Lerotholi to Lando: Some Examples of Comparative Law Methdology » (2005) 53:1 Am J Comp L 261; Otto Pfersmann, « Le droit comparé comme interprétation et comme théorie du droit » (2001) 53:2 RIDC 275; Günter Frankenberg, « Critical Comparisons: Re-thinking Comparative Law » (1985) 26:2 Harv Intl LJ 411.

[23]    Voir, récemment, le congrès « Teaching comparative law » organisé par l’Association italienne de droit comparé à Palermo, les 11 au 13 juin 2015. Voir aussi Mark van Hoecke, dir, Epistemology and Methodology of Comparative Law, Portland (Or), Hart, 2004 (réunissant les travaux présentés lors d’une conférence sur le même sujet à Bruxelles, les 24 au 26 octobre 2002).

[24]    Gustav Radbruch, Einführung in die Rechtswissenschaft, 12e éd, Stuttgart, Koehler, 1969 à la p 253 tel que cité dans Konrad Zweigert et Hein Kötz, Introduction to Comparative Law, vol 1, 3e éd, traduit par Tony Weir, Oxford, Clarendon Press, 1998 à la p 29.

[25]    Voir par ex H Patrick Glenn, « Quel droit comparé? » (2013) 43:1–2 RDUS 23 à la p 33 [Glenn, « Quel droit comparé? »]; MM Siems, « The End of Comparative Law » (2007) 2:2 J Comparative Law 133.

[26]    Paolo Napoli, « Le droit, l’histoire, la comparaison» dans Olivier Remaud, Jean-Frédéric Schaub et Isabelle Thireau, dir, Faire des sciences sociales : comparer, Paris, École des hautes études en sciences sociales, 2012, 127 à la p 129.

[27]    Voir Glenn, « Aims of Comparative Law », supra note 2 à la p 66.

[28]    Voir ibid aux pp 67–68. Voir aussi Rolf-Ulrich Kunze, Ernst Rabel und das Kaiser-Wilhelm-Institut für ausländisches und internationales Privatrecht, 1926–1945, Göttingen, Wallstein, 2004 à la p 20; Léontin-Jean Constantinesco, Traité de droit comparé, t 1, Paris, Librairie générale de droit et de jurisprudence, 1972 à la p 52.

[29]   Selon l’expression de Michael Stolleis, Nationalität und Internationalität: Rechtsvergleichung im öffentlichen Recht des 19. Jahrhunderts, Mainz, Akademie der Wissenschaften und der Literatur, 1998, tel que cité par Kunze, supra note 28 à la p 20.

[30]    Voir généralement Dedek et Van Praagh, supra note 13; Glenn, « Com-paring », supra note 8; H Patrick Glenn, The Cosmopolitan State, Oxford, Oxford University Press, 2013; Sabino Cassese, The Global Polity: Global Dimensions of Democracy and the Rule of Law, Séville, Global Law Press, 2012; Peer Zumbansen, « Transnational Comparisons: Theory and Practice of Comparative Law as a Critique of Global Governance » dans Adams et Bomhoff, supra note 21, 186.

[31]    Pour une illustration des critiques principales au modèle « positiviste » ou « naturaliste », voir Moses et Knutsen, supra note 12 aux pp 145–67.

[32]    Voir Frankenberg, Comparative Law, supra note 13 à la p 77 et s; PG Monateri, « “Everybody’s Talking”: The Future of Comparative Law » (1998) 21:4 Hastings Intl & Comp L Rev 825 à la p 827 et s [Monateri, « Future of Comparative Law »].

[33]    Voir par ex Hiram E Chodosh, « Comparing Comparisons: In Search of Methodology » (1999) 84:5 Iowa L Rev 1025.

[34]    Pour un exemple très connu voir Zweigert et Kötz, supra note 24 à la p 34 (« [t]he basic methodological principle of all comparative law is that of functionality. From this basic principle stem all the other rules which determine the choice of laws to compare, the scope of the undertaking, the creation of a system of comparative law, and so on »). Voir aussi David Kennedy, « The Methods and the Politics » dans Pierre Legrand et Roderick Munday, dir, Comparative Legal Studies: Traditions and Transitions, Cambridge, Cambridge University Press, 2003, 345 à la p 370 [Kennedy, « Methods »].

[35]    Voir Paul Feyerabend, Against Method: Outline of an Anarchist Theory of Knowledge, 3e éd, Londres, Verso, 1993 aux pp 9–13.

[36]    Voir Roscoe Pound, « Some Thoughts About Comparative Law » dans Hans Dölle, Max Rheinstein et Konrad Zweigert, dir, Festschrift für Ernst Rabel, vol 1, Tübingen, 1954, 7 à la p 7.

[37]    Voir Simone Glanert, « Method? » dans Monateri, Methods, supra note 21, 61 à la p 69.

[38]    Voir Michele Graziadei, « The Functionalist Heritage» dans Legrand et Munday, supra note 34, 100 aux pp 10001.

[39]    Congrès international de droit comparé, tenu à Paris du 31 juillet au 4 août 1900 : procès verbaux des séances et documents, t 1, Paris, Librairie générale de droit et de jurisprudence, 1905 aux pp 28–47 [Lambert, « Le droit comparé »] (où Édouard Lambert met en lumière le rapport entre « fonction » et « méthode » lors de son rapport sur le droit comparé et l’enseignement du droit); Edouard Lambert, La fonction du droit civil comparé, t 1, Paris, V Giard & E Brière, 1903.

[40]    Jürgen Basedow, « Comparative Law and Its Clients » (2014) 62:4 Am J Comp L 821 à la p 837.

[41]    Pour une analyse détaillée, voir ibid aux pp 837–56. Voir aussi Robert Leckey, « Review of Comparative Law » (2017) 26:1 Social & Legal Studies 3.

[42]    Sur les différentes déclinaisons du paradigme de « scientificité », voir notamment Helge Dedek, « Recht an der Universität: “Wissenschaftlichkeit” der Juristenausbildung in Nordamerika » (2009) 64 :11 Juristenzeitung 540 à la p 542 et s.

[43]    Voir Annelise Riles, « Introduction » dans Annelise Riles, dir, Rethinking the Masters of Comparative Law, Oxford, Hart, 2001, 1 aux pp 11–12 [Riles, Rethinking the Masters]; Mathias Reimann, « Comparative law and neighbouring disciplines » dans Mauro Bussani et Ugo Mattei, dir, The Cambridge Companion to Comparative Law, Cambridge, Cambridge University Press, 2012, 13.

[44]    Voir par ex Mathias M Siems, « Comparative Law in the 22nd Century » (2016) 23:2 MJECL 359; Ralf Michaels, « Transnationalizing Comparative Law », (2016) 23:2 MJECL 352 .

[45]    On peut rappeler la description de l’« esprit de clocher » donnée par Saussure dans le cadre de sa discussion sur la propagation des langues :

Dans toute masse humaine deux forces agissent sans cesse simultanément et en sens contraires : d’une part l’esprit particulariste, l’« esprit de clocher »; de l’autre, la force d’« intercourse », qui crée les communications entre les hommes.

C’est par l’esprit de clocher qu’une communauté linguistique restreinte reste fidèle aux traditions qui se sont développées dans son sein. Ces habitudes sont les premières que chaque individu contracte dans son enfance; de là leur force et leur persistance. Si elles agissaient seules, elles créeraient en matière de langage des particularités allant à l’infini.

Mais leurs effets sont corrigés par l’action de la force opposée. Si l’esprit de clocher rend les hommes sédentaires, l’intercourse les oblige à communiquer entre eux (Ferdinand de Saussure, Cours de linguistique générale, Paris, Payot & Rivages, 1995 à la p 281).

[46]    Voir par ex George P Fletcher, « Comparative Law as a Subversive Discipline » (1998) 46:4 Am J Comp L 683; Horatia Muir-Watt, « La fonction subversive du droit comparé » (2000) 52:3 RIDC 503.

[47]    Le Grand Robert de la langue française, 2017, sub verbo « subversion ».

[48]    J’utilise la notion de droit comparé « traditionnel » (ou « orthodoxe ») dans le même sens que Mathias Siems, Comparative Law, Cambridge, Cambridge University Press, 2014 à la p 11 :

[W]hat is often called “traditional comparative law” started at the beginning of the twentieth century and has continued to be influential until now, as distinguished from postmodern and critical approaches. Using such a category does not mean that there are no differences within the group of traditional comparative lawyers. Every comparative lawyer is shaped by her background: by, for example, the legal systems she is trained in, or the domestic law of her main field of expertise. Still, there are a number of core themes that are typically seen as belonging to the main substance of traditional comparative law. For example, William Twining speaks about the country, and the Western tradition of micro-comparison; Reza Banakar sees as its central ideas the concept of legal families, harmonisation of laws, and the relationship between law and the state; and Pierre Legrand identifies its “doxa” with the functional approach by Zweigert and Kötz [notes omises].

Voir aussi William Twining, « Comparative Law and Legal Theory: The Country and Western Tradition » dans Ian Edge, dir, Comparative Law in Global Perspective: Essays in Celebration of the Fiftieth Anniversary of the Founding of the SOAS Law Department, Ardsley (NY), Transnational Publishers, 2000, 21 à la p 33; Macdonald et Glover, supra note 27 aux pp 131, 139.

[49]    Voir Thomas S Kuhn, The Structure of Scientific Revolutions, Chicago, University of Chicago Press, 1970 à la p 91 et s.

[50]    Voir Geoffrey Samuel, « Comparative Law as Resistance » dans Horatia Muir Watt et Diego P Fernández Arroyo, dir, Private International Law and Global Governance, Oxford, Oxford University Press, 2014, 23 à la p 25 [Samuel, « Comparative Law »].

[51]    Voir Michaels, « Transnationalizing Comparative Law », supra note 44 aux pp 353–55.

[52]    Voir Frankenberg, Comparative Law, supra note 13 à la p 5.

[53]    Voir Rodolfo Sacco, « One Hundred Years of Comparative Law » (2001) 75:5-6 Tul L Rev 1159 à la p 1164.

[54]    Il suffit de noter que c’est en 1869 que la Société de législation comparée fut fondée à Paris et que Sir Henry Sumner Maine fut nommé « Professor of Historical and Comparative Jurisprudence » à Oxford (voir Sir Frederick Pollock, « The History of Comparative Jurisprudence » (1903) 5:1 J Society Comparative Legislation 74 à la p 86 [Pollock, « Comparative Jurisprudence »]; Bénédicte Fauvarque-Cosson, « Development of Comparative Law in France » dans Mathias Reimann et Reinhard Zimmermann, dir, Oxford Handbook of Comparative Law, Oxford, Oxford University Press, 2006, 35 aux pp 41–42).

[55]    Voir Constantinesco, supra note 28 à la p 70.

[56]    En ce qui concerne cette double âme de la comparaison, voir Paul Koschaker, « L’histoire du droit et le droit comparé surtout en Allemagne » dans Introduction à l’étude du droit comparé : recueil d’études en l’honneur d’Edouard Lambert, Paris, Sirey et Librairie générale de droit et de jurisprudence, 1938, 274 aux pp 275–76 [Koschaker, « L’histoire du droit »]; Mario G Losano, Sistema e struttura nel diritto : dalle origini alla scuola storica, vol 1, Milan, Giuffrè, 2002 aux pp 140–50.

[57]    Voir déjà R von Jhering, L’esprit du droit romain dans les diverses phases de son développement, t 1, 2e éd, traduit par O de Meulenaere, Paris, A Marescq, Aîné, 1880 aux pp 11–12 [Jhering, L’esprit].

[58]    Voir Frederick C Beiser, The German Historicist Tradition, Oxford, Oxford University Press, 2011 aux p 1–26 (pour une analyse très stimulante et détaillée de l’attitude « historiciste » de la culture allemande de l’époque); Alfred Dufour, « Le paradigme scientifique dans la pensée juridique moderne » dans Paul Amselek, dir, Théorie du droit et science, Paris, Presse Universitaires de France, 1994, 147 aux pp 162–67 [Dufour, « Le paradigme scientifique »] (sur l’avènement du paradigme historiciste dans le droit).

[59]    Voir Constantinesco, supra note 28 aux pp 70–71.

[60]    Voir Gábor Hamza, Comparative Law and Antiquity, traduit par József Szabó, Budapest, Akadémiai Kiadó, 1991 aux pp 34–35.

[61]    Jhering, L’esprit, supra note 57 à la p 4, citant FK von Savigny, « Über den Zweck dieser Zeitschrift » dans FC von Savigny, KF Eichhorn et JFL Göschen, Zeitschrift für geschichtliche Rechtswissenschaft, Berlin, Nicholaischen Buchhandlung, 1815, 1 à la p 6 (« [l]’école historique admet que la substance du droit est donnée par le passé tout entier d’une nation, non point d’une manière arbitraire et déterminée par le hasard seul, mais sortant des entrailles mêmes de la nation et de son histoire »).

[62]    Plusieurs auteurs ont voulu reconduire cette idée à l’influence de la philosophie romantique, et notamment à Johann Gottfried Herder (voir William Ewald, « Comparative Jurisprudence (I): What Was It Like to Try a Rat? » (1995) 143:6 U Pa L Rev 1889 aux pp 2016–17). Voir aussi James Q Whitman, « The Neo-Romantic Turn» dans Legrand et Munday, supra note 34, 312 à la p 316. Mais il faut souligner qu’une pareille influence a été remise en doute (voir Paul Koschaker, L’Europa e il diritto romano, traduit par Arnaldo Biscardi, Florence, Sansoni, 1962 à la p 442–43 [Koschaker, L’Europa]; Helge Dedek, « When Law Became Cultivated: “European Legal Culture” between Kultur and Civilization » dans Geneviève Helleringer et Kai Purnhagen, dir, Towards a European Legal Culture, Munich, CH Beck, 2014, 351 aux pp 362–67).

[63]    À propos du droit romain comme « droit naturel caché » (Kryptonaturrecht), voir Hamza, supra note 60 à la p 34.

[64]    Voir Friedrich Karl von Savigny, Metodologia jurídica, traduit par Hebe AM Caletti Marenco, São Paulo, Edicamp, 2004 à la p 34 et s.

[65]    Voir Franz Wieacker, Storia del diritto privato moderno con particolare riguardo alla germania, traduit par Umberto Santarelli et Sandro A Fusco, Milan, Giuffrè, 1980, vol 2 à la p 35 [Wieacker, Diritto privato moderno]; Franz Wieacker, « Storicismo e formalismo alle origini della scienza giuridica moderna » dans Scritti in onore di Salvatore Pugliatti, vol 4, Milan, Giuffrè, 1978, 893 aux pp 903–04 [Wieacker, « Storicismo e formalismo »].

[66]    Voir FK von Savigny, System des heutigen Römischen Rechts, Berlin, Veit, 1847. Cette œuvre fut traduite en français sous un titre différent : FC de Savigny, Traité de droit romain,  traduit par C Guenoux, Paris, Firmin Didot Frères, 1855. Voir aussi Olivier Motte, Savigny et la France, Berne, Lang, 1983 à la p 208, n 61.

[67]    Voir Wieacker, « Storicismo e formalismo », supra note 65 aux pp 906–07.

[68]    Voir ibid aux pp 893, 901.

[69]    Voir Jhering, L’esprit, supra note 57 à la p 4. L’auteur, en critiquant la théorie de Savigny du caractère national des droits, demandait :

[Q]u’y a-t-il de commun entre le droit romain et le passé tout entier, et les entrailles mêmes, et l’histoire des nations modernes? Le droit romain n’est plus qu’un intrus, rien ne devait le faire admettre et la logique exigeait que Savigny et ceux de son école, avant tous autres, poursuivissent énergiquement son exclusion. Et ce furent eux au contraire qui le couvrirent de leur protection, lorsqu’au nom de la théorie de la nationalité on réclama cette exclusion définitive. Étrange ironie des destinées scientifiques! Pour sauver la vie au droit romain, on a invoqué l’idée même qui devait le condamner, on a déployé, à son profit, et contre ceux-là précisément qui voulaient faire de la théorie de la nationalité une vérité, la bannière même de la nationalité du droit!

[70]    Sur les racines philosophiques du concept de « histoire universelle », voir Losano, supra note 56, aux pp 108–15. L’influence de ce concept sur la jurisprudence allemande est tracée dans le détail par Heinz Mohnhaupt, « Universalgeschichte, Universal-Jurisprudenz und rechtsvergleichende Methode im Werk PJA Feuerbachs » dans Heinz Mohnhaupt, dir, Rechtsgeschichte in den beiden deutschen Staaten, 1988–1990: Beispiele, Parallelen, Positionen, Frankfurt am Main, Klostermann, 1991, 97 aux pp 119–21.

[71]    Anton Friedrich Justus Thibaut, « Ueber die Nothwendigkeit eines allgemeinen bürgerlichen Rechts für Deutschland » dans Anton Friedrich Justus Thibaut, Civilistische Abhandlungen, Heidelberg, Mohr und Zimmer, 1814 à la p 433.

[72]    Pour plus de détails voir Wieacker, Diritto privato moderno, supra note 65 aux pp 65–66.

[73]    Voir FK von Savigny, « Stimmen für und wider neue Gesetzbücher » (1817) 3 Zeitschrift für geschichtliche Rechtswissenschaft 1 [Savigny, « Neue Gesetzbücher »]. L’exemple offert par Savigny est celui de l’art : pour développer un « sens artistique » (Kunstsinn), étudier l’art grec serait beaucoup plus fructueux qu’étudier l’art chinois! (ibid à la p 6). Voir aussi Alfred Dufour, « Pour ou contre des nouveaux Codes : autour d’un des écrits programmatiques les plus négligés de Savigny » (2009) 1 Dr & Philosophie 77 [Dufour, « Les nouveaux Codes »].

[74]    Voir Savigny, « Neue Gesetzbücher », supra note 73 aux pp 6–7 tel que cité et traduit dans Dufour, « Les nouveaux Codes » supra note 73 à la p 98 :

Force m’est enfin surtout de protester spécialement contre l’impartialité avec laquelle on présente l’histoire du droit de tous les peuples comme étant à peu près aussi intéressante et instructive. Abstraction faite de ce qu’ici comme en d’autres choses l’habileté de certains peuples établit une différence qui n’est pas négligeable […] — abstraction faite de cela une autre différence est tout à fait décisive. Car là aussi tout revient à la question fondamentale de savoir si (comme je le crois) le droit qui a vu le jour avec une nation, et même le droit à l’origine étranger, mais qui a vécu en elle pendant de nombreux siècles, est devenu une partie de son être propre, ou si (selon la doctrine opposée) il est possible et loisible à chaque instant de demander quel droit doit régir l’instant qui suit, de telle sorte que, dans cette perspective, les Codes de tous les temps et de tous les peuples se proposent indifféremment à notre libre choix. A mon point de vue, il faudrait en conséquence attribuer une importance très inégale à l’histoire du droit des différents peuples. Le plus important est et reste, en effet, l’histoire des droits qui nous sont apparentés, c’est-à-dire des droits germaniques, du droit romain et du droit canonique. […]

Quant aux droits des nations qui nous sont totalement étrangères, ils présentent à nouveau un intérêt très inégal pour nous selon que la situation de ces peuples offre plus ou moins d’affinité avec la nôtre, à telle enseigne que le droit de toutes les nations chrétiennes de l’Europe d’origine non germanique nous intéresse pour cette raison de beaucoup plus près, en dépit de cette origine étrangère, que les droits des peuples orientaux. Mais il va de soi qu’il n’est ici question que d’un degré d’intérêt différent et qu’absolument aucune connaissance de cet ordre, pour autant qu’elle soit une connaissance authentique, n’est à dédaigner.

[75]    Voir Koschaker, L’Europa, supra note 62, aux pp 444–51 (quant à l’importance de l’idée d’empire pour Savigny et le rôle du droit romain comme base de l’empire culturel du génie allemand); PG Monateri, « Black Gaius: A Quest for the Multicultural Origins of the “Western Legal Tradition” » (2000) 51:3 Hastings LJ 479 à la p 491 [Monateri, « Black Gaius »] (sur le projet culturel et idéologique consistant dans la « sacralisation » du droit romain comme base de la civilisation occidentale).

[76]    Wieacker, « Storicismo e formalismo », supra note 65 à la p 909.

[77]    Voir Constantinesco, supra note 28 à la p 73 (« [t]ous les courants et conceptions qui se sont affirmés dans le cadre de l’école historique ont parfaitement ignoré l’existence des droits, autres que les droits romain et germanique; ils n’ont accordé aucune attention ni à la connaissance des droits étrangers, ni à leur comparaison »); Hamza, supra note 60 aux pp 34–35.

[78]    Voir Constantinesco, supra note 28 aux pp 79–88.

[79]    Sur les caractéristiques de cette revue, voir Heinz Mohnhaupt, « Historische Vergleichung im Bereich von Staat und Recht vom späten 18. bis zur Mitte des 19. Jahrhunderts: Beobachtungen zue deutschen Bezugnahme auf Italien » dans Aldo Mazzacane et Reiner Schulze, dir, Die deutsche und die italienische Rechtskultur im Zeitalter der Vergleichung“, Berlin, Duncket & Humblot, 1995, 31 aux p 49–52.

[80]    Et notamment, selon le projet de Thibaut, supra, note 71, pour l’élaboration d’un code civil.

[81]    Voir Friedrich Carl von Savigny, De la vocation de notre temps pour la législation et la science du droit, traduit par Alfred Dufour, Paris, Presses Universitaires de France, 2006 (qui souligne que le droit, comme la langue, est dans une relation organique avec l’essence et le caractère d’un peuple). Voir aussi Savigny, « neue Gesetzbücher », supra note 73 à la p 4 tel que cité dans Dufour, « Les nouveaux Codes », supra note 73 à la p 95 (« Le corps humain non plus n’est pas immuable, mais grandit et se développe sans cesse : et c’est ainsi que je considère le droit de chaque peuple comme un membre de son corps, et non comme un vêtement qui a été arbitrairement coupé et dont on peut tout aussi arbitrairement se défaire pour l’échanger contre un autre »).

[82]    Voir Stefan Vogenauer, « Rechtsgeschichte und Rechtsvergleichung um 1900: Die Geschichte einer anderen „Emanzipation durch Auseinanderdenken“ » (2012) 76 RabelsZ 1122 à la p 1122 et s.

[83]    Pier Giuseppe Monateri, « Éléments de comparaison des études comparatives » dans Pierre Legrand, dir, Comparer les droits, résolument, Paris, Presses Universitaires de France, 2009, 69 à la p 71 [Monateri, « Éléments de comparaison »].

[84]    Pour ce modèle de raisonnement, voir Dufour, « Le paradigme scientifique », supra note 58.

[85]    Voir Erik Jayme, « Das Zeitalter der Vergleichung: Emerico Amari (1810–1870) und Friedrich Nietzsche (1844–1900) » dans Mazzacane et Schulze, supra note 79, 21.

[86]    Voir Cassin, supra note 3, sub verbo « Comparison ».

[87]    À propos de la comparaison comme méthode principale en biologie, voir Ernst Mayr, The Growth of Biological Thought: Diversity, Evolution, and Inheritance, Cambridge (Mass), Belknap Press, 1982 aux pp 31–32; Glenn M Sanford, William I Lutterschmidt et Victor H Hutchison, « The Comparative Method Revisited » (2002) 52:9 BioScience 830 aux pp 832–34.

[88]    Voir notamment Mayr, supra note 87 aux pp 142, 171–82; Marc Ereshefsky, The Poverty of the Linnaean Hierarchy: A Philosophical Study of Biological Taxonomy, Cambridge, Cambridge University Press, 2001 aux pp 1–3.

[89]    Voir Mayr, supra note 87 aux pp 183–85; Jucquois, t 2, supra note 14 à la p 17.

[90]    Voir Jucquois, t 2, supra note 14 à la p 22.

[91]    Voir Mayr, supra note 87 aux pp 343–45, 360–62.

[92]    Voir Michel Foucault, Le parole e le cose : un’archeologia delle scienze umane, traduit par Emilio Panaitescu, Milan, Rizzoli, 1978 à la p 286.

[93]    Jucquois, t 2, supra note 14 à la p 67.

[94]    Voir Georges Cuvier, Le règne animal distribué d’après son organisation, pour servir de base à l’histoire naturelle des animaux et d’introduction à l’anatomie comparée, t 1, Paris, Deterville, 1817 aux pp 6–7 :

Ce n’est que lorsque toutes les lois de la physique générale et celles qui résultent des conditions d’existence sont épuisées, que l’on est réduit aux simples lois d’observations.

Le procédé le plus fécond pour les obtenir est celui de la comparaison. Il consiste à observer successivement le même corps dans les différentes positions où la nature le place, ou à comparer entre eux les différents corps jusqu’à ce que l’on ait reconnu des rapports constan[t]s entre leurs structures et les phénomènes qu’ils manifestent. Ces corps divers sont des espèces d’expériences toutes préparées par la nature, qui ajoute ou retranche à chacun d’eux différentes parties, comme nous pourrions désirer de le faire dans nos laboratoires, et nous montre elle-même les résultats de ces additions ou de ces retranchemen[t]s.

On parvient ainsi à établir de certaines lois qui règlent ces rapports, et qui s’emploient comme celles qui ont été déterminées par les sciences générales.

[95]    Jucquois, t 2, supra note 14 à la p 67.

[96]    Voir ci-dessous, partie VI.

[97]    Sur l’œuvre de Darwin, voir Mayr, supra note 87 aux pp 394–425.

[98]    Jucquois, t 2, supra note 14 à la p 118.

[99]    Sur l’invention scientifique de l’homme, voir généralement Foucault, supra note 92.

[100] Pour ce qui concerne la convergence entre sciences du vivant et philologie, ou linguistique comparée, voir Edward W Said, Orientalism, New York, Vintage Books, 1979 aux pp 142–48.

[101] Voir Monateri, « Éléments de comparaison », supra note 83 aux pp 69–76.

[102] Sur l’histoire de la célèbre communication prononcée par William Jones, juge à la Haute Courde Calcutta, à la Société Royale Asiatique du Bengale, voir James Turner, Philology: The Forgotten Origins of the Modern Humanities, Princeton, Princeton University Press, 2014 aux pp 93–99.

[103] Les découvertes de William Jones, jointes à plusieurs traductions des œuvres de l’ancienne culture indienne, firent vite leur entrée dans l’environnement philosophique allemand, où la conception de la langue comme manifestation individuelle d’un peuple était largement diffusée. Friedrich Schlegel, en particulier, fut fasciné par l’idée selon laquelle, s’il y avait des affinités linguistiques entre le sanscrit et le germanique, alors le peuple allemand, et donc sa culture, auraient dû avoir une origine commune avec l’Inde. Il généralisait à ce propos le recours à la « grammaire comparée » comme technique essentielle pour mieux aborder le problème généalogique. Ainsi furent jetées les bases de la comparaison scientifique des langues, qui fut développée par les travaux de Franz Bopp et Rasmus Rask (ainsi que de Jacob Grimm, l’un des élèves de Savigny). Voir ibid aux pp 127–34.

[104] Bernard Laks, « Le comparatisme : de la généalogie à la génétique » (2002) 146 Langages 19 à la p 21.

[105] Le meilleur exemple de l’influence de la linguistique sur les autres disciplines est présenté dans la première parmi six conférences tenues par Edward Freeman devant la Royal Society en 1873, intitulée The Range of the Comparative Sciences :

The establishment of the Comparative Method of study has been the greatest intellectual achievement of our time. It has carried light and order into whole branches of human knowledge which before were shrouded in darkness and confusion. It has brought a line of argument which reaches moral certainty into a region which before was given over to random guess-work. Into matters which are for the most part incapable of strictly external proof it has brought a form of strictly internal proof which is more convincing, more unerring. In one department, the first, perhaps the greatest, to which it has been applied, the victory of the Comparative Method may now be said to be assured. The Science of Language has been placed on a firm basis, from which it is impossible to believe that it can ever be dislodged (Edward A Freeman, Comparative Politics: Six Lectures Read Before the Royal Institution in January and February, 1873. With the Unity of History: The Rede Lecture Read Before the University of Cambridge, May 29, 1872, Londres, MacMillan, 1873 à la p 1).

L’auteur ajoute:

On us a new light has come. I do not for a moment hesitate to say that the discovery of the Comparative method in philology, in mythology—let me add in politics and history and the whole range of human thought—marks a stage in the progress of the human mind at least as great and memorable as the revival of Greek and Latin learning (ibid aux pp 301–02).

[106] Le discours sur les origines de la vie et de l’esprit, et donc sur les composantes biologiques et spirituelles de l’homme était caractéristique de l’époque — on pense notamment à Darwin, ainsi qu’aux études sur l’évolution des mythes et des croyances religieuses (voir Mircea Eliade, La nostalgie des origines : méthodologie et histoire des religions, Paris, Gallimard, 1971 à la p 75-81).

[107] Voir généralement Monateri, « Éléments de comparaison », supra note 83 à la p 73.

[108] Selon la formule d’Eliade, supra note 106 à la p 81.

[109] Jucquois, t 2, supra note 14 à la p 123. Voir aussi EA Hammel, « The Comparative Method in Anthropological Perspective » (1980) 22:2 Comparative Studies in Society & History 145.

[110] Sur ce sujet, voir la reconstruction détaillée de Alba Negri, Il giurista dell’area romanista di fronte all’etnologia giuridica, Milan, Giuffrè, 1983 aux pp 3, 105.

[111] Voir Rainer Maria Kiesow, « Science naturelle et droit dans la deuxième moitié du XIXe siècle en Allemagne » dans Paul Amselek, supra note 58, 187.

[112] Voir Kaius Tuori, Lawyers and Savages: Ancient History and Legal Realism in the Making of Legal Anthropology, Abingdon (R-U), Routledge, 2015 aux pp 6–11.

[113] Voir E Donald Elliott, « The Evolutionary Tradition in Jurisprudence » (1985) 85:1 Colum L Rev 38; Peter Stein, Legal Evolution: The Story of an Idea, Cambridge, Cambridge University Press, 1980 à la p 99 et s.

[114] Anselm von Feuerbach, « Blick auf die deutsche Rechtswissenschaft » dans Anselm von Feuerbach, Kleine Schriften vermischten Inhalts, Nürnberg, Otto, 1833, 152 à la p 174. La référence renvoie à l’expérience isolationniste du Japon pendant l’époque Tokugawa.

[115] Ibid à la p 163.

[116] Sur le rapport entre la science du droit et les paradigmes scientifiques, voir Dufour, « Le paradigme scientifique », supra note 58; Kiesow, supra note 111.

[117] Voir supra note 81.

[118] Voir Kiesow, supra note 111 aux pp 187–88.

[119] Voir Julius Hermann von Kirchmann, Die Wertlosigkeit der Jurisprudenz als Wissenschaft, Heidelberg, Manutius, 1988 à la p 20 tel que cité et traduit dans Kiesow, supra note 111 aux pp 187–88 : « La science juridique se porterait sans doute tellement mieux si elle pouvait, comme les sciences naturelles, approcher le sujet directement. Le lest, la charge des connaissances antérieures absorbe une grande quantité d’énergies. » L’auteur pose le contraste suivant : « C’est à un niveau tellement élevé que se trouvent par contre les sciences naturelles. Seuls le Naturel, l’Eternel, le Nécessaire sont leurs objets… » (ibid à la p 36). Quant à l’interaction entre science de droit et sciences de la vie, voir Wieacker, Diritto privato moderno, supra note 65 aux pp 35–46; Hubert Rottleuthner, « Biological Metaphor in Legal Thought » dans Gunther Teubner, dir, Autopoietic Law: A New Approach to Law and Society, Berlin, Walter de Gruyter, 1988, 97.

[120] Dans son célèbre Critica di una scienza delle legislazioni comparate, Gênes, Tipografia del RI de Sord-Muti, 1857, Emerico Amari, un professeur de droit pénal, regardait les lois comme « la langue sociale » des peuples (à la p 5) et assignait à la science de la législation comparée l’étude de la « biologie » des lois (aux pp 160, 206), c’est à dire des causes de la naissance et du sort des lois, pour en tirer des leçons utiles aux législateurs de l’époque contemporaine. Sur l’œuvre d’Amari, voir Jayme, supra note 85.

[121] Voir Sir Henry Sumner Maine, Village-Communities in the East and West, 7e éd, Londres, Murray, 1895 aux pp 6–8 [Maine, Village-Communities] : « The enquiry upon which we are engaged can only be said to belong to Comparative Jurisprudence, if the word “comparative” be used as it is used in such expressions as “Comparative Philology” and “Comparative Mythology” ». L’auteur ajoute plus loin:

I should, however, be making a very idle pretension if I held out a prospect of obtaining, by the application of the Comparative Method to jurisprudence, any results which, in point of interest or trustworthiness, are to be placed on a level with those which, for example, have been accomplished in Comparative Philology. To give only one reason, the phenomena of human society, laws and legal ideas, opinions and usages, are vastly more affected by external circumstances than language (ibid à la p 8).

Il est remarquable que dans son oeuvre Ancient Law le droit est mis en corrélation avec la géologie: voir Henry Sumner Maine, Ancient Law: Its Connection with the Early History of Society and Its Relation to Modern Ideas, 10e éd, Londres, Murray, 1920 aux pp 2–3 (« [i]f by any means we can determine the early forms of jural conceptions, they will be invaluable to us. These rudimentary ideas are to the jurist what the primary crusts of the earth are to the geologist. They contain, potentially, all the forms in which law has subsequently exhibited itself »).

[122] Voir H Patrick Glenn, « On the Use of Biological Metaphors in Law: The Case of “Legal Transplants” » (2006) 1:2 J Comparative L 358. Pour quelques exemples voir Franz Bernhöft, « Ueber Zweck und Mittel der vergleichenden Rechtswissenschaft » dans Franz Bernhöft et Georg Cohn, dir, Zeitschrift für Vergleichende Rechtswissenschaft, vol 1, Stuttgart, Ferdinand Enke, 1878, 1 à la p 5 et s; J Kohler, « De la méthode » dans Congrès international de droit comparé, supra note 39, 227 aux pp 233–37 [Kohler, « De la méthode »]. Voir aussi Jhering, L’esprit, supra note 57 à la p 6 :

La vie des peuples n’est pas une coexistence d’êtres isolés : comme celle des individus dans l’État, elle constitue une communauté; elle se traduit en un système de contingence et d’action réciproque, pacifique et belliqueuse, d’abandon et d’appréhension, d’emprunt et de prêt; en un mot, elle constitue un gigantesque échange embrassant toutes les faces de l’existence humaine. La loi du monde physique et aussi celle du monde intellectuel; la vie se compose de l’admission des choses du dehors et de leur appropriation intime; réception et assimilation sont les deux fonctions fondamentales dont la présence et l’équilibre sont les conditions d’existence et de vitalité de tout organisme vivant. Mettre obstacle à l’admission des choses du dehors, condamner l’organisme à se développer « de dedans en dehors », c’est le tuer. L’expansion du dedans au dehors ne commence qu’avec le cadavre.

Voir encore ibid à la p 8 :

En présence de ce gigantesque échange entre les peuples, qui pourrait, même à peu près, dresser le bilan de leurs exportations et de leurs importations? […] La langue, les mœurs, la religion, les mots, les idées, les préjugés, la foi, les superstitions, l’industrie, l’art, la science, tout obéit à la loi de communication et d’action internationale.

Et seul le droit serait soustrait à cette loi générale de la civilisation? […] Le gouvernement constitutionnel est un produit étranger, cela seul suffirait-il donc pour le condamner? C’est comme si nous hésitions à importer du vin étranger, parce que nous ne l’avons pas fabriqué, ou à faire usage des oranges, parce qu’elles n’ont pas poussé dans nos jardins.

[123] Voir Gustav Radbruch, « Anselme Feuerbach, précurseur du droit comparé » dans Introduction à l’étude du droit comparé : recueil d’études en l’honneur d’Edouard Lambert, Paris, Sirey, 1938, 284.

[124] Voir Hamza, supra note 60 aux pp 39–41.

[125] À ce propos, il faut rappeler que le livre de Henry Sumner Maine, Ancient Law, supra note 121, fut publié seulement deux ans après Charles Darwin, The Origin of Species, Londres, Murray, 1859. Même si l’idée d’évolution de Maine ne s’inspirait pas directement de la biologie évolutionniste, il souligna dans ses œuvres successives des convergences entre les deux perspectives (voir Stein, supra note 113 à la p 100; Pollock, « Comparative Jurisprudence », supra note 554 à la p 79). Sur la notion de développement du droit chez Maine, voir Annelise Riles, « Representing In-Between: Law, Anthropology, and the Rhethoric of Interdisciplinarity » [1994] 3 U Ill L Rev 597 aux pp 611–17.

[126] Voir Hamza, supra note 60 aux pp 43–46; Monateri, « Black Gaius », supra note 75 à la p 491 et s; Monateri, « Éléments de comparaison », supra note 83 aux pp 90–91; Monateri, « Future of Comparative Law », supra note 32 aux pp 832–33.

[127] Rudolf von Jhering, Les indo-européens avant l’histoire, traduit par O de Meulenaere, Paris, A Marescq, 1895 aux pp 3–4.

[128] Sur cette théorie — qui est bien illustrée par le livre de Rossbach sur le mariage dans le droit romain et dans les traditions indienne, grecque et germanique (August Rossbach, Untersuchungen über die römische Ehe, Stuttgart, Mäcken, 1853), voir Hamza, supra note 60 aux pp 43–46; Koschaker, « L’histoire du droit », supra note 56 aux pp 275–76; Pier Giuseppe Monateri, « Methods in Comparative Law: An Intellectual Overview » dans Monateri, Methods, supra note 21, 7 à la p 13 [Monateri, « Overview »].

[129] Pour un exemple frappant, voir JC Bluntschli, « Arische Völker und arische Rechte » dans JC Bluntschli, Gesammelte kleine Schriften, t 1, Nördlingen, Beck’schen Buchhandlung, 1879, 63. Voir aussi Martti Koskenniemi, The Gentle Civilizer of Nations: The Rise and Fall of International Law, 1870–1960, Cambridge, Cambridge University Press, 2001 à la p 103; Tuska Benes, « From Indo-Germans to Aryans: Philology and the Racialization of Salvationalist National Rethoric, 1806–1830 » dans Sara Eigen et Mark Larrimore, dir, The German Invention of Race, Albany, State University of New York Press, 2006, 167 à la p 168 .

[130] Hayden White, Tropics of Discourse: Essays in Cultural Criticism, Baltimore, John Hopkins University Press, 1986 aux pp 151–52 tel que cité dans Koskenniemi, supra note 129 à la p 103.

[131] Voir Monateri, « Éléments de comparaison », supra note 83 aux pp 90–91.

[132] Voir par ex J Kohler, Das Recht als Kulturerscheinung: Einleitung in die vergleichende Rechtswissenschaft, Würzburg, Druck und verlag des stahel’schen, 1885.

[133] Voir par ex AH Post, Der Ursprung des Rechts: Prolegomena zu einer allgemeinen vergleichenden Rechtswissenschaft, Oldenburg, Schulzesche, 1876 [Post, Der Ursprung des Rechts]; Albert Hermann Post, Einleitung in das Studium der ethnologischen Jurisprudenz, Oldenburg, Schulzesche, 1886 [Post, Ethnologischen Jurisprudenz].

[134] Pour une définition du terme « primitif » et un survol des champs d’études dans lesquels il fit son émergence, voir Tuori, supra note 112 aux pp 9, 57. Voir aussi James Whitman, « From Philology to Anthropology in Mid-Nineteenth-Century Germany » dans George W Stocking, dir, Functionalism Historicized: Essays on British Social Anthropology, Madison, University of Wisconsin Press, 1984, 214 à la p 216 et s.

[135] Pour comprendre comment la conception de l’homogénéité des processus évolutifs fut complémentaire à la légitimation des systèmes d’exploitation des sociétés « moins développés » (voir Norbert Rouland, Anthropologie juridique, Paris, Presses Universitaires de France, 1988 à la p 28 et s), il sera suffisant reproduire un passage très révélateur de l’œuvre la plus connue de Rudolf von Jhering, où il explique que « [l]es inégalités géographiques, naturelles et intellectuelles de l’avoir de peuples s’aplanissent par l’échange des productions matérielles et intellectuelles : grâce à cet échange, la parcimonie de la nature est vaincue et l’idée de la justice universelle se réalise dans l’histoire universelle » (Jhering, L’esprit, supra note 57 à la p 7). Ce n’est pas seulement une application théorique des principes d’économie politique de David Ricardo, mais un manifeste de philosophie de l’histoire :

Dire que tout peuple a pour lui seul ce qu’il possède et ce qu’il produit, est aussi vrai et aussi faux que lorsqu’on affirme pour l’individu. L’histoire a eu soin d’inculquer aux peuples cette vérité, qu’il n’y a point de propriété absolue, c’est-à-dire indépendante de la communauté. Lorsqu’un peuple se montre incapable d’utiliser le sol que la nature lui a départi, il doit céder la place à un autre. La terre est au bras qui sait la cultiver. L’injustice apparente que la race anglo-saxonne commet en Amérique contre les Indiens indigènes est, au point de vue de l’histoire universelle, l’usage d’un droit, et les peuples européens ne sont pas moins dans leur droit lorsqu’il ouvrent par la force les fleuves et les ports du Céleste-Empire et du Japon, et qu’ils contraignent ces peuples à faire le commerce. Le commerce, ou dans un ordre d’idées plus général, l’échange des biens matériels et intellectuels, n’est pas seulement une question d’intérêt dépendant de la libre volonté des peuples, c’est un droit et un devoir. Refuser d’accomplir ce devoir, c’est s’insurger contre l’ordre de la nature, c’est désobéir aux commandements de l’histoire (ibid à la p 7).

En même temps, il ne faut pas oublier que même la documentation sur les conditions de vie et les institutions juridiques des « primitifs », utilisée dans les premières études d’ethnologie juridique, fut en grande partie obtenue grâce aux entreprises coloniales (voir Tuori, supra note 112 à la p 102).

[136] La popularisation du modèle darwinien dans les sciences sociales conduisit à regarder l’histoire de toutes les sociétés humaines comme caractérisées par un développement graduel, qui comporte un passage plus ou moins rapide par une même série de stades successifs, quelles que soient leurs différences. Par conséquent, l’histoire juridique de ces sociétés était comprise d’une façon linéaire : de la promiscuité sexuelle primitive à la polyandrie, de la polyandrie à la polygamie, de la polygamie à la monogamie « civilisée »; du communisme originaire, à la propriété collective, jusqu’à la propriété individuelle; de la responsabilité de groupe, à l’individualisation de la sanction, etc. (voir Tuori, supra note 112 aux pp 4–7; Rouland, supra note 135 aux pp 57–62).

[137] Voir Constantinesco, supra note 28 aux pp 112–13.

[138] Voir Post, Der Ursprung des Rechts, supra note 133 à la p 9.

[139] Voir Kiesow, supra note 111 aux pp 197–98.

[140] Sur le rapport avec la théorie de Bastian, voir Koschaker « L’histoire du droit », supra note 56 aux pp 276–77.

[141] Voir Vogenauer, supra note 82 à la p 1143.

[142] « [C’]est-à-dire qu’elle est d’un côté socio-psychologique et d’un autre côté comparative, dans le sens où elle travaille aussi par comparaison là où il manque un lien historique entre les faits de la vie juridique » (Post, Ethnologischen Jurisprudenz, supra note 133 à la p 2 tel que cité et traduit dans Kiesow, supra note 111 à la p 198).

[143] On retrouve des considérations méthodologiques très intéressantes sur l’objet et le but de la « jurisprudence comparative » dans la première des six leçons dediées par Henry Sumner Maine aux « communautés villageoises » :

I think I may venture to affirm that the Comparative Method, which has already been fruitful of such wonderful results, is not distinguishable in some of its applications from the Historical Method. We take a number of contemporary facts, ideas, and customs, and we infer the past form of those facts, ideas, and customs not only from historical records of that past form, but from examples of it which have not yet died out of the world, and are still to be found in it. When in truth we have to some extent succeeded in freeing ourselves from that limited conception of the world and mankind, beyond which the most civilised societies and (I will add) some of the greatest thinkers do not always rise; when we gain something like an adequate idea of the vastness and variety of the phenomena of human society; when in particular we have learned not to exclude from our view of earth and man those great and unexplored regions which we vaguely term the East, we find it to be not wholly a conceit or a paradox to say that the distinction between the Present and the Past disappears. Sometimes the Past is the Present; much more often it is removed from it by varying distances, which, however, cannot be estimated or expressed chronologically. Direct observation comes thus to the aid of historical enquiry, and historical enquiry to the help of direct observation. The characteristic difficulty of the historian is that of recorded evidence, however sagaciously it may be examined and re-examined, can very rarely be added to; the characteristic error of the direct observer of unfamiliar social or juridical phenomena is to compare them too hastily with familiar phenomena apparently of the same kind. But the best contemporary historians, both of England and of Germany, are evidently striving to increase their resources through the agency of the Comparative Method; and nobody can have been long in the East without perceiving and regretting that a great many conclusions, founded on patient personal study of Oriental usage and idea, are vitiated through the observer’s want of acquaintance with some elementary facts of Western legal history (Maine, Village-Communities, supra note 121, aux pp 6–8).

À propos de cette utilisation de la méthode comparative et ses limitations épistémologiques, voir Napoli, supra note 26 à la p 136 et s.

[144] Zweigert et Siehr, supra note 10 à la p 219. Voir généralement, sur les rapports entre l’idée de système et la comparaison juridique des origines, Losano, supra note 56 aux pp 107–50.

[145] Kiesow, supra note 111 aux pp 206–07.

[146] Voir Pollock, « Comparative Jurisprudence », supra note 54 à la p 76.

[147] Sur ce paradigme, lié surtout à la pensée d’Auguste Comte, voir Moses et Knutsen, supra note 12 aux pp 19–51.

[148] La perspective du droit comparé comme histoire comparative est soutenue, parmi d’autres, par les juristes suivants : Kohler, « De la méthode », supra note 122; Maxime Kovalewsky, « La sociologie et l’histoire comparée du droit » dans Congrès international de droit comparé, supra note 39, 405; G Tarde, « Le droit comparé et la sociologie » dans Congrès international de droit comparé, supra note 39, 437 (en France); Frédéric Pollock, « Le Droit comparé : prolégomènes de son histoire » dans Congrès international de droit comparé, supra note 39, 248 (échos signifiants de cette perspective). Sur cette approche à la comparaison, voir Napoli, supra note 26 à la p 138.

[149] Voir Lambert, « Le droit comparé », supra note 39 aux pp 32–35. Voir aussi R Saleilles, « Conception et objet de la science du droit comparé » dans Congrès international de droit comparé, supra note 39, 167 aux pp 169–70 [Saleilles, « Conception et objet »]. Une pareille aspiration taxonomique est bien visible, par exemple, dans le rapport de Tarde, supra note 148 aux pp 439–40, où la constatation de plusieurs « types juridiques » différents porte l’auteur à refuser la logique mécaniciste de l’évolution unilinéaire :

[…] la tâche du droit comparé est bien moins de collectionner indéfiniment des droits exhumés, que d’élaborer une classification naturelle, c’est-à-dire rationnelle, des types juridiques, des embranchements et des familles de Droits. Dans ce casier une fois découvert, se rangeraient facilement toutes les institutions juridiques connues ou à connaître. C’est ainsi que les linguistes ont démontré depuis longtemps l’hétérogénéité des grandes familles d’idiomes, et y font rentrer sans peine toutes les nouvelles langues qu’ils déchiffrent. La classification botanique ou zoologique n’est pas modifiée non plus parce que quelques plantes ou quelques animaux viennent s’y ajouter; et le nombre des espèces vivantes aurait beau diminuer de moitié, elle n’aurait pas lieu d’être remaniée à fond. Quand les objets d’une science sont bien classés, d’après leurs affinités véritables, l’intérêt d’en compléter la collection devient secondaire.

[…] Il n’y a pas un droit naturel, il y en a plusieurs; […] ce qui signifie, encore une fois, qu’il y a des types juridiques distincts, susceptibles de se réaliser par des chemins différents. Tracer cette carte routière est la première œuvre qui s’impose à la Science générale du droit; et là-dessus elle aura à travailler ensuite comme la biologie a travaillé, avec Darwin et d’autres, sur les classifications de Jussieu et de Cuvier, préalablement établies dans leurs grandes lignes.

[150] Lambert, « Le droit comparé », supra note 39 à la p 35.

[151] Voir Kennedy, « Methods », supra note 34 aux pp 349, 371 et s. Pour des détails ultérieurs à cette période, voir généralement Marc Ancel, « La tendance universaliste dans la doctrine comparative française au début du XXième siècle » dans Dölle, Rheinstein et Zweigert, supra note 36, 17.

[152] Voir Christophe Jamin, « Le vieux rêve de Saleilles et Lambert revisité : à propos du centenaire du Congrès international de droit comparé de Paris » (2000) 52:4 RIDC 733 à la p 744. Voir aussi, quant à la perspective de Lambert, Carlos Petit, « Absolutísmo jurídico y derecho comparado: método comparativo y sistema de fuentes en la obra de Edouard Lambert » dans De la ilustración al liberalismo: symposium en honor al profesor Paolo Grossi, Madrid, Centro de Estudios Constitucionales, 1995, 121. Il faut noter que c’est à ce moment (au tout début du siècle) que s’ouvre le « Combat pour la méthode » de François Gény, qui dédia Science et Technique, supra note 18, à son ami Raymond Saleilles.

[153] Lambert, « Le droit comparé », supra note 39 aux pp 39, 42, 48.

[154] Saleilles, « Conception et objet », supra note 149 à la p 181.

[155] Voir Ancel, supra note 151 aux pp 23–24.

[156] Lambert, « Le droit comparé », supra note 39 aux pp 46–47.

[157] Ibid à la p 48. Voir aussi Napoli, supra note 26 à la p 139.

[158] Voir Lambert, « Le droit comparé », supra note 39 à la p 46.

[159] Voir A Esmein, « Le Droit comparé et l’enseignement du droit » dans Congrès international de droit comparé, supra note 39, 445 à la p 451 (distinguant quatre groupes ou familles de droits : le groupe latin, le groupe germanique, le groupe anglo-saxon et le groupe slave).

[160] Lambert, « Le droit comparé », supra note 39 à la p 48.

[161] Ibid à la p 49.

[162] Voir Jamin, supra note 152 à la p 749. Sur le plan biographique, Lambert eut un rapport très troublé avec les anglais depuis son expérience à l’Ecole Khédiviale du Caire (voir Amr Shalakany, « Sanhuri and the Historical Origins of Comparative Law in the Arab World (or How Sometimes Losing Your Asalah Can Be Good for You) » dans Riles, Rethinking the Masters, supra note 43, 152 à la p 165 et s).

[163] Lambert, « Le droit comparé », supra note 39 à la p 48.

[164] R Saleilles, « Droit civil et droit comparé »  (1911) 61 R Intl Enseignement 6 à la p 28 tel que cité dans Jamin, supra note 152 à la p 750.

[165] Voir Monateri, « Overview », supra note 128 aux pp 9–10; Monateri, « Éléments de comparaison », supra note 83 aux pp 92–93.

[166] Pour un discours similaire à propos de l’historien du droit, voir Adolfo Giuliani, « What Is Comparative Legal History? Legal Historiography and the Revolt Against Formalism, 1930–60 » dans Aniceto Masferrer, Kjell Å Modéer et Olivier Moréteau, dir, Comparative Legal History: A Research Handbook in Comparative Law, Cheltenham (R-U), Edward Elgar à la p 3 et s [à paraître en 2017].

[167] Voir en général Pier Giuseppe Monateri, Geopolitica del diritto: genesi, governo e dissoluzione dei corpi politici, Roma-Bari, Laterza, 2013 aux pp 11–25.

[168] Voir par ex Lambert, « Le droit comparé », supra note 39 aux pp 46–47.

[169] Né à Vienne en 1874, Rabel étudia avec le célèbre historien du droit et romaniste Ludwig Mitteis. Après avoir enseigné comme professeur de droit romain et germanique à Lipse, et jusqu’après à Bâle (où il travailla aussi comme juge de la Cour d’appel), à Kiel et à Göttingen, Rabel fut nommé professeur de droit à l’Université de Munich en pleine guerre, en 1916. Ayant déjà écrit beaucoup sur le droit comparé, il conditionna son acceptation de la chaire à la création d’un Institut de droit comparé. Après dix ans, durant lesquels il travailla aussi comme juge dans la Cour d’appel de Bavière, Rabel fut invité à se déplacer à Berlin pour fonder et diriger — avec le soutien financier de l’Association des industriels allemands — un nouvel Institut de droit comparé, le Kaiser-Wilhelm-Institut für Ausländisches und Internationales Privatrecht (qui sera renommé après la guerre Max-Planck-Institut für Ausländisches und Internationales Privatrecht et relocalisé à Hamburg). Pour des détails ultérieurs sur la vie et l’œuvre de Rabel, voir Max Rheinstein, « In Memory of Ernst Rabel » (1956) 5:2 Am J Comp L 185.

[170] Voir Hans G Leser, « Einleitung des Herausgebers » dans Ernst Rabel, Gesammelte Aufsätze, t 3, Tübingen, JCB Mohr, 1967 aux pp xv–xvi.

[171] Sur le contexte historique de Rabel, voir David J Gerber, « Sculpting the Agenda of Comparative Law: Ernst Rabel and the Facade of Language » dans Riles, Rethinking the Masters, supra note 43, 190 aux pp 193–94.

[172] Voir en particulier Ernst Rabel, « Rechtsvergleichung und internationale Rechtsprechung » dans Rabel, Gesammelte Aufsätze, supra note 170, t 2, 1 à la p 3.

[173] Voir Ernst Rabel, « Aufgabe und Notwendigkeit der Rechtsvergleichung » dans Rabel, Gesammelte Aufsätze, supra note 170, t 3, 1 à la p 6 [Rabel, « Aufgabe und Notwendigkeit »].

[174] Voir Rabel, « Das Institut für Rechtsvergleichung an der Universität München » dans Rabel, Gesammelte Aufsätze, vol 2, supra note 170, 22 à la p 24.

[175] Voir Rabel, « Aufgabe und Notwendigkeit », supra note 173 à la p 11.

[176] Voir Henri Lévy-Ullmann, « Observations générales sur les communications relatives au droit privé dans les pays étrangers » dans Les transformations du droit dans les principaux pays depuis cinquante ans (1869-1919) : Livre du cinquantenaire de la Société de législation comparée, t 1, Paris, Librairie générale de droit et de jurisprudence, 1922, 81, qui, lorsqu’on lui demanda si l’absence d’un rapport spécifique sur l’Allemagne ne représentait une lacune regrettable, répondit que la législation allemande avait été examinée dans le cadre d’une discussion sur l’application des lois françaises aux provinces retrouvées, l’Alsace et la Lorraine :

A cette occasion, le droit allemand a été mis en cause, et ses principales originalités analysées en pleine lumière. Or voici ce qui est apparu. Sans doute, grâce à un siècle de travail scientifique, dans un pays où la législation n’était pas codifiée — donnant dès lors à la doctrine de grandes facilités pour la construction et la synthèse — la science allemande a pu réussir à développer, à mettre au point, certains détails de mécanisme dans des institutions déjà existantes chez les autres pays. Mais ce ne sont là que des avantages d’une importance relativement minime et dont la multiplicité avait pu éblouir, lors de l’apparition des nouveaux Codes; mais ce qui prouve combien, en somme, étaient restreintes les originalités profondes de cette codification, c’est le nombre extrêmement limité des matières sur lesquelles l’Alsace et la Lorraine peuvent souhaiter de voir apporter des modifications à notre droit national, afin de le mettre en harmonie avec les institution qu’elles avaient reçues pendant la domination allemande. Nos collègues […] nous ont établi cette nomenclature : le régime matrimonial de droit commun, la tutelle, les fondations, le régime foncier, les assurances, voilà pour le droit civil; pour le droit commercial : la procuration, les sociétés à responsabilité limitée, et peut-être la faillite civile. — Voilà à quoi se réduisent, passées au crible de l’expérience, les originalités vraiment susceptibles d’être retenues de toute une Codification dont l’apparition avait été saluée comme une véritable révolution dans la législation civile! Combien le temps a remis les choses en place, il est désormais facile d’en juger (ibid aux pp 84–85).

[177] Voir Rabel, « Aufgabe und Notwendigkeit », supra note 173 aux pp 12–13.

[178] Rabel, « Aufgabe und Notwendigkeit », supra note 173 à la p 13.

[179] Hermann Isay dénonça dans un livre célèbre, paru en 1924, « l’isolement de la pensée juridique allemande » (voir Hermann Isay, Die Isolierung des Deutschen Rechtsdenkens: Ein Vortrag, Berlin, Vahlen, 1924).

[180] Voir Rabel, « Aufgabe und Notwendigkeit », supra note 173 à la p 14.

[181] Voir ibid à la p 11.

[182] Voir Rheinstein, supra note 169 aux pp 185–86.

[183] Voir E Rabel, « Rechtsvergleichung vor den Gemischten Schiedsgerichtshöfen » dans Rabel, Gesammelte Aufsätze, vol 2, supra note 170, 50 à la p 52.

[184] Dans un essai publié sous forme de livre en 1923, Rabel fit une analyse très sophistiquée des problèmes de comparaison juridique découlant de l’interprétation de normes telles que l’art 296(b) ou l’art 297(e) du Traité de Versailles émergant devant les Tribunaux mixtes (voir ibid). Les questions traitées par Rabel dans cet essai très important incluent l’interprétation de la notion de « dommage aux biens » (« injury to property ») selon les modèles français ou allemand (voir ibid aux pp 114–19), ou la détermination de notions telles que « faillite », « en déconfiture », « bankruptcy » ou « insolvency », employées par l’art 296 du Traité (voir ibid aux pp 54–81).

[185] Voir Rabel, « Aufgabe und Notwendigkeit », supra note 173 aux pp 19, 21.

[186] Ibid à la p 21.

[187] Sur la présence d’un aspect « nationaliste » dans ces écrits méthodologiques, voir Gerber, supra note 171 à la p 198.

[188] Pour l’histoire de la fondation et du développement de ces instituts, voir Ernst Rabel, « Zwei Rechtsinstitute für die internationalen privatrechtlichen Beziehungen » dans Rabel, Gesammelte Aufsätze, vol 3, supra note 170, 73.

[189] Voir Gerber, supra note 171 à la p 195 et s.

[190] Concernant l’importance de la question du langage dans la pensée juridique de Rabel, voir Gerber, supra note 171 à la p 199; Jaakko Husa, « Comparative Law, Legal Linguistics and Methodology of Legal Doctrine » dans Mark Van Hoecke, dir, Methodologies of Legal Research: Which Kind of Method for What Kind of Discipline?, Oxford, Hart, 2011, 209 à la p 217. Le même discours pourrait être reproduit à propos du droit international privé (voir Ernst Rabel, The Conflict of Laws: A Comparative Study, vol 1, 2e éd, Ann Arbor, University of Michigan Law School, 1958 à la p 54 et s).

[191] Voir Graziadei, supra note 38 aux pp 104–06.

[192] Voir Kunze, supra note 28 à la p 45.

[193] Rabel, « Aufgabe und Notwendigkeit », supra note 173 à la p 2.

[194] Ernst Rabel, « Die Fachgebiete des Kaiser-Wilhelm-Instituts für ausländisches und internationales Privatrecht » dans Rabel, Gesammelte Aufsätze, supra note 170, vol 3, 180 aux pp 191–92.

[195] L’influence sur Rabel de la jurisprudence téléologique de Jhering est indéniable (voir Zweigert et Siehr, supra note 10 à la p 221).

[196] Jaluzot, supra note 22 à la p 40.

[197] Voir Sacco, supra note 53 à la p 1167; Basedow, supra note 40 à la p 831.

[198] Voir Rabel, « Aufgabe und Notwendigkeit », supra note 173 à la p 4 : « Comparer les textes de loi est insuffisant » [notre traduction].

[199] Parmi les exemples donnés par Rabel, se trouve celui du contrat de travail : on ne saurait comparer sa discipline en se limitant à l’analyse des articles du code, sans analyser les conventions collectives (voir ibid à la p 4).

[200] Ibid à la p 4.

[201] Jaluzot, supra note 22 à la p 40.

[202] Voir Gerber, supra note 171 à la p 201.

[203] On sait, en effet, qu’entre les deux guerres, la culture juridique était dans un état de profonde transformation en vertu de la diffusion de plusieurs courants critiques, tels que l’école de Gény en France, la jurisprudence des intérêts et l’école du droit libre en Allemagne, et le réalisme juridique aux États-Unis (voir Duncan Kennedy, « Two Globalizations of Law & Legal Thought, 1850–1968 » (2003) 36:3 Suffolk UL Rev 631 aux pp 657–58).

[204] Voir Bronislaw Malinowski, Crime and Custom in Savage Society, New York, Harcourt & Brace, 1926 aux pp 1–5 (qui reprochait au courant du « primitivisme juridique » d’avoir fait de l’anthropologie sans fondement scientifique, s’étant basé seulement sur des abstractions, des préjugés, et oubliant l’exigence de travaux de recherche sur le terrain). Sur cette démarche empiriste en anthropologie, voir Tuori, supra note 112 aux pp 110–15. On peut également penser à la critique de l’utilisation mécaniciste de la méthode comparative de Franz Boas, « The Limitations of the Comparative Method of Anthropology » (1896) 103 Science 901. Voir aussi Moses et Knutsen, supra note 12 aux pp 147–49 (pour plus de détails sur la formation scientifique de Boas).

[205] Voir ci-dessus, partie I.

[206] Sur le rôle du fonctionnalisme comme méthode dominante en droit comparé, voir Siems, Comparative Law, supra note 48 aux pp 25–28; Ralf Michaels, « The Functional Method of Comparative Law » dans Reimann et Zimmermann, supra note 54, 339; James Gordley, « The Functional Method » dans Monateri, Method, supra note 21, 107.

[207] Voir Gerber, supra note 171 à la p 206.

[208] Voir Rabel, « Aufgabe und Notwendigkeit », supra note 173 à la p 7 (« Le comparatiste pense de façon plus objective » [notre traduction]). Voir aussi G Frankenberg, Comparative Law, supra note 13 à la p 6 (quant à cette naïveté).

[209] Pour cette critique, voir Richard Hyland, Gifts: A Study in Comparative Law, Oxford, Oxford University Press, 2009, aux pp 65–66, 69 et s; Teemu Ruskola, « Legal Orientalism » (2002) 101:1 Mich L Rev 179 aux pp 189–91; Frankenberg, Comparative Law, supra note 13 à la p 58.

[210] Voir Charles Bernheimer, « Introduction: The Anxieties of Comparison » dans Charles Bernheimer, dir, Comparative Literature in the Age of Multiculturalism, Baltimore, John Hopkins University Press, 1995, 1 à la p 1. Voir aussi Pauline Yu, «Comparative Literature in Question » (2006) 135:2 Daedalus 38; Rey Chow, « A Discipline of Tolerance » dans Ali Behdad et Dominic Thomas, dir, A Companion to Comparative Literature, Chichester, Wiley-Blackwell, 2011, 15 à la p 21.

[211] Voir ci-dessus, parties I–V.

[212] Voir Riles, « Introduction », supra note 43, aux pp 9–10.

[213] Voir en général Duncan Kennedy, « Political Ideology and Comparative Law » dans Bussani et Mattei, supra note 43, 35 [Kennedy, « Political Ideology »] (sur la méthode fonctionnaliste et son rapport avec l’émergence de la pensée juridique sociale).

[214] Voir Ugo Mattei, « The Comparative Jurisprudence of Schlesinger and Sacco: A Study in Legal Influence » dans Riles, Rethinking the Masters, supra note 43, 238 à la p 251 et s. Voir aussi Pier Giuseppe Monateri, « Critique et différence : le droit comparé en Italie » (1999) 51:4 RIDC 989 aux pp 292–93 [Monateri, « Critique et différence »].

[215] Tels que John Dawson, John Merryman et James Gordley.

[216] Ces juristes ont apporté une contribution cruciale non seulement à la théorie du droit comparé, mais aussi à la dé-formalisation de la culture juridique italienne (voir Giuliani, supra note 166 à la p 28 et s; Monateri, « Critique et différence », supra note 214 à la p 990 et s).

[217] Voir Monateri, « Critique et différence », supra note 214 à la p 992; Monateri, « Future of Comparative Law », supra note 32 à la p 839 et s.

[218] Pfersmann, supra note 22 à la p 287.

[219] On pourrait rappeler la dialectique entre « âge de la foi » et « âge de l’anxiété » décrite par Grant Gilmore, « The Storrs Lectures: The Age of Anxiety » (1975) 84:5 Yale LJ 1022.

[220] Voir Samuel, « Comparative Law », supra note 50.

[221] Voir Jerome Frank, « Words and Music: Some Remarks on Statutory Interpretation » (1947) 47:8 Colum L Rev 1259 à la p 1272.

[222] J’utilise la notion de « superstition » dans le sens donné à ce mot par Vincenzo Zeno-Zencovich, « The Dark Side of the Force: Superstition And/As Law » (2011) 2:2 Comparative L Rev 1 à la p 7 et s (discutant du recours systématique aux normes juridiques comme antidote aux fléaux sociaux et donc comme objet de superstition dans les sociétés modernes). Voir aussi Pierre Legrand, Le droit comparé, Paris, Presses Universitaires de France, 1999 aux pp 21–22; Monateri, « Future of Comparative Law », supra note 32 à la p 845.

[223] Amitai Etzioni et Fredric L Dubow, « Introduction » dans Etzioni et Dubow, supra note 19, 1 à la p 2.

[224] Voir WJT Mitchell, « Why Comparisons Are Odious » (1996) 70:2 World Literature Today 321 à la p 322.

[225] Je me réfère au discours fascinant de François Jullien, L’écart et l’entre : leçon inaugurale de la Chaire sur laltérité, Paris, Galilée, 2012.

[226] Voir dans cette perspective Jucquois, t 1, supra note 14 à la p 15 (soulignant « le caractère profondément “subversif” [du comparatisme], puisqu’il s’agit, ni plus ni moins, de douter — fût-ce provisoirement — de ce qui est tenu pour certain »); Jan M Smits, « Law and Interdisciplinarity: On the Inevitable Normativity of Legal Studies » (2014) 1:1 Critical Analysis L 75 à la p 83 (quant à la comparaison juridique comme « method of estrangement »).

[227] Voir H Patrick Glenn, « Against Method? » dans Adams et Heirbaut, supra note 21, 177 à la p 177.

[228] Par exemple, les approches historique, fonctionnelle, structurelle, herméneutique, sociologique, etc. (voir Samuel, Theory and Method, supra note 21 à la p 45 et s).

[229] Voir Basedow, supra note 40 à la p 835.

[230] Voir ci-dessus, notes 45–51 et texte correspondant.

[231] Rodolfo Sacco, « Legal Formants: A Dynamic Approach to Comparative Law (Instalment II of II) » (1991) 39:2 Am J Comp L 343 à la p 385.

[232] Pour une synthèse du paradigme positiviste traditionnel, voir Martijn W Hesselink, The New European Private Law: Essays on the Future of Private Law in Europe, La Haye, Kluwer Law International, 2002 à la p 11 et s.

[233] Voir Glenn, « Aims of Comparative Law », supra note 2 aux pp 67–69; Glenn, « Quel droit comparé? », supra note 25 à la p 33; Mariana Pargendler, « The Rise and Decline of Legal Families » (2012) 60:4 Am J Comp L 1043.

[234] Voir Monateri, « Black Gaius », supra note 75 à la p 484 et s; Kennedy, « Political Ideology », supra note 213 à la p 37; Frankenberg, Comparative Law, supra note 13 à la p 41.

[235] Voir Ralf Michaels, « Global Legal Pluralism » (2009) 5 Annual Rev L & Social Science 243 aux pp 247–48; Werner Menski, Comparative Law in a Global Context: The Legal Systems of Asia and Africa, 2e éd, Cambridge, Cambridge University Press, 2006 à la p 29 et s.

[236] Voir Macdonald et Glover, supra note 27 aux pp 142–43.

[237] Cela a notamment été le cas du droit japonais (voir Giorgio Fabio Colombo, « Japan As a Victim of Comparative Law » (2014) 22:3 Mich State Intl L Rev 731).

[238] Voir Basedow, supra note 40 à la p 825.

[239] Ibid aux pp 854–56.

[240] Voir par ex Ralf Michaels, « Comparative Law by Numbers? Legal Origins Thesis, Doing Business Reports, and the Silence of Traditional Comparative Law » (2009) 57:4 Am J Comp L 765; Ralf Michaels, « The Second Wave of Comparative Law & Economics? » (2009) 59:2 UTLJ 197.

[241] Voir Nicholas Kasirer, « Bijuralism in Law’s Empire and in Law’s Cosmos » (2002) 52:1–2 J Leg Educ 29. Voir aussi Roderick A Macdonald et Thomas B McMorrow, « Decolonizing Law School » (2014) 51:4 Alta L Rev 717.

[242] Voir par ex Macdonald et Glover, supra note 27 à la p 126 et s; H Patrick Glenn, « Doin’ the Transsystemic: Legal Systems and Legal Traditions » (2005) 50:4 McGill LJ 863; Helge Dedek et Armand de Mestral, « Born to be Wild: The “Trans-systemic” Programme at McGill and the De-nationalization of Legal Education » (2009) 10:7 German LJ 889; Roderick A Macdonald et Jason MacLean, « No Toilets in Park » (2005) 50:4 McGill LJ 721; Yves-Marie Morissette, « McGill’s Integrated Civil and Common Law Program » (2002) 52:1–2 J Leg Educ 12; Daniel Jutras, « Énoncer l’indicible : le droit entre langues et traditions » (2000) 52:4 RIDC 781.

[243] Voir H Patrick Glenn, « Vers un droit comparé intégré? » (1999) 51:4 RIDC 841; Glenn, The Aims of comparative law, supra note 2, à la p 57. Contra Mathias Reimann, « The End of Comparative Law as an Autonomous Subject » (1996) 11 Tul Eur & Civ LF 49.

[244] Voir Jhering, L’esprit, supra note 57 à la p 14 : « Par le droit romain, mais outre et au délà : telle est, pour moi, la devise qui résume toute l’importance de ce droit pour le monde moderne ».