Article Volume 61:3

Les expulsions pour arriérés de loyer au Québec : un contentieux de masse

Depuis son entrée en fonction en 1980, la Régie du logement du Québec — le tribunal en charge du contentieux entre propriétaires et locataires — reçoit entre 30 000 et 50 000 demandes d’expulsions pour arriérés de loyer par année. Ces recours représentent entre 45 % et 62 % de l’ensemble du contentieux traité par la Régie, selon les années considérées. Dans une province de huit millions d’habitant(e)s, dont 40 % sont locataires, il s’agit d’un « contentieux de masse ». À partir d’une étude de la législation, de la jurisprudence et d’une enquête de terrain à la Régie, les auteurs s’interrogent sur le droit en vigueur et la procédure relative aux deux cas précis autorisant l’expulsion pour des arriérés de loyer : le retard de plus de trois semaines et les retards fréquents. Ils décrivent une procédure expéditive notamment parce que le pouvoir discrétionnaire des magistrats pour tenir compte des obligations contractuelles des locateurs, de la proportionnalité de la décision, du témoignage et du préjudice des locataires est marginal. Il s’agit ainsi d’un contentieux largement « sans espoir », lors duquel les causes du non-paiement et les conséquences humaines et sociales de l’expulsion sont écartées. Les auteurs défendent alors l’hypothèse que ces éléments contribuent à miner la confiance des justiciables envers le système judiciaire et participent à expliquer l’absentéisme des locataires aux audiences, tout comme le taux extrêmement faible de la représentation par avocat. Dans cette perspective, ils invitent à remettre en question le droit en vigueur et sa conformité avec les règles de droit international au premier rang desquelles, le droit au logement.

Since it began operating in 1980, the Régie du logement du Québec—the tribunal responsible for disputes arising between landlords and tenants—hears anywhere between 30,000 and 50,000 applications regarding unpaid rent each year. These actions represent between 45% and 62% of all matters heard by the Régie in the material time for this study. In a province of eight million inhabitants, 40% of which are tenants, this constitutes “mass litigation”. Through a study of relevant legislation, jurisprudence, and the results of fieldwork at the Régie, the authors question the law and procedure relating to two specific justifications for evicting tenants: rent payments more than three weeks overdue and frequent late payments. This study reveals an expedited process largely attributable to the minimal discretionary power commissioners have in considering tenants’ contractual obligations, the proportionality of the decision, tenants’ testimony, and the prejudice they sustain. This litigation is therefore one “without hope”, in the course of which the causes of nonpayment and the human and social consequences of eviction are cast aside. The authors thus defend the thesis that these elements contribute to the public’s deteriorating confidence in the judicial system and partly explain tenants’ absenteeism at Régie hearings as well as the extremely low representation rate. From this perspective, the authors invite a questioning of the law as it currently stands and its conformity with international standards on housing rights.

* Martin Gallié, professeur, Département des sciences juridiques, UQAM et membre du Groupe interuniversitaire de recherche sur l’emploi, la pauvreté et la protection sociale (GIREPS). Julie Brunet, étudiante au baccalauréat en droit, UQAM. Richard-Alexandre Laniel, étudiant à la maîtrise en droit social, UQAM. Ce texte cherche à présenter les recherches entreprises dans le cadre d’un partenariat entre le Service aux collectivités de l’UQAM et le Regroupement des comités logements et associations de locataires du Québec (RCLALQ). Les auteurs tiennent à remercier les travailleurs et travailleuses des comités logements ainsi que Claire Abraham, Martin Blanchard, Me Andrée Bourbeau, Jonathan Carmichael, Guillaume Dostaler, Elsa Galerand, Catherine Hamel, Isabelle Monast-Landriault, Me Gaël Morin-Greene, José-Anne Riverin, Gaétan Roberge, André Trépanier, Me Mathilde Valentini et Margaret van Nooten pour leurs contributions respectives à cette recherche. Enfin, les auteurs remercient les évaluateurs externes pour leurs précieux commentaires et suggestions, ainsi que le comité de rédaction de la Revue pour son inestimable travail d’édition sur ce texte.  La présente étude a été rendue possible grâce au soutien financier du Conseil de recherche en sciences humaines du Canada (CRSH).

Table of Contents

Introduction

I.   Sur la banalité des demandes d’expulsions 

II. Le non-paiement du loyer depuis plus de trois semaines et la marginalisation du préjudice des locataires

A.  Le droit applicable 

B.  Le déroulement de l’audience en l’absence du locataire

C.  Un témoignage fréquemment inopérant

D.  Un contentieux « sans espoir »?

III.   La résiliation pour retards fréquents et l’évaluation du « préjudice sérieux » des propriétaires

A.  Le droit applicable et la notion de « préjudice sérieux »

B.  L’audience et la preuve des conséquences financières et des démarches administratives

C.  L’ordonnance de la « dernière chance »

IV. L’absence des locataires et des avocats aux audiences 

A.  L’absence des locataires aux audiences

B.  L’absence de représentation par avocat

Conclusion

Introduction

[L]e Comité recommande à l’État partie : […] De réglementer les conditions de location pour que les locataires puissent exercer leur droit à un logement convenable à un prix abordable et ne soient pas vulnérables aux expulsions forcées; [d]e veiller à ce que sa législation sur les expulsions soit compatible avec les normes internationales, particulièrement en ce qui concerne l’obligation de faire en sorte que personne ne se retrouve sans logement ou victime d’autres violations des droits de l’homme dues aux expulsions, et que les victimes d’expulsions soient dûment indemnisées ou bénéficient d’une solution de relogement[1].

Depuis son entrée en fonction en 1980, la Régie du logement du Québec (ci-après « la Régie ») — le tribunal en charge du contentieux entre propriétaires et locataires — reçoit entre 30 000 et 50 000 demandes d’expulsions pour des arriérés de loyer[2] par année. Si cette proportion est comparable à celle que l’on trouve dans d’autres provinces[3], force est d’admettre qu’elle renvoie à un contentieux de masse au Québec, qui compte huit millions d’habitant(e)s, dont 40 % sont des locataires[4]. À titre de comparaison, la Cour supérieure ouvre moins de 30 000 dossiers par an en matière familiale (divorce, obligation alimentaire, autorité parentale, etc.)[5]. Malgré l’ampleur de ce contentieux et le caractère radical de cette sanction civile qui prive les locataires du droit au maintien dans les lieux, les données disponibles sur la population concernée, le nombre d’individus et de familles visés, les catégories sociales touchées et les conséquences sociales et sanitaires de l’expulsion sont rares, pour ne pas dire inexistantes[6]. Dans le champ juridique, le contentieux locatif est l’un des objets les plus délaissés. La doctrine québécoise compte peu de publications sur ce thème, et la question des expulsions y occupe une place relativement marginale[7]. Les articles de doctrine semblent également peu nombreux en Ontario et en Colombie-Britannique[8]. En droit français, la question est un peu plus étudiée[9], surtout depuis l’adoption de la Loi sur le droit au logement opposable (DALO)[10]. Aussi, face à l’accroissement des expulsions locatives, le gouvernement français a commandé une vaste évaluation des mécanismes de prévention[11]. Enfin, d’importantes études de terrain ont été réalisées dans les housing courts de plusieurs grandes villes anglaises et nord-américaines[12]. La crise financière de 2008, avec la hausse importante des expulsions qui l’a accompagnée, a par ailleurs contribué à susciter un regain d’intérêt pour cette question dans la doctrine anglophone[13]. Reste que le phénomène des expulsions est aujourd’hui sous-étudié[14], comme le souligne Matthew Desmond : Eviction is perhaps the most understudied process affecting the lives of the urban poor[15].

Globalement, la doctrine s’empare timidement du phénomène et ce désintérêt contraste fortement avec les préoccupations exprimées tant par les Nations Unies (notamment sur la situation au Canada[16]) que par les associations de défense des droits des locataires ou des propriétaires. Les expulsions et, plus largement, le problème de l’insécurité légale d’occupation sont en effet au cœur des travaux des rapporteurs spéciaux sur le droit au logement, ces derniers constatant un accroissement des inégalités, surtout dans les grandes métropoles, et leurs conséquences dramatiques en termes de droit au logement[17]. Les associations québécoises de locataires dénoncent pour leur part l’augmentation continue des loyers, qui place les locataires devant des dilemmes intenables : choisir entre le paiement du loyer, la santé ou l’éducation, par exemple. Les associations de locataires pointent les effets sexués[18] et racisés[19] de la « crise » du logement, l’absence de logements sociaux[20], la priorité accordée aux demandes d’expulsion sur les causes d’insalubrité ou de moisissure notamment[21]. Elles dénoncent une législation trop peu protectrice à l’égard des locataires[22]. A contrario, les organismes de défense des droits des propriétaires soutiennent qu’« un processus complet d’expulsion d’un locataire […] fait déjà perdre de trois à quatre mois de loyer aux propriétaires »[23] et que le problème auquel les propriétaires sont confrontés n’est pas tant celui de la pauvreté que celui des barrières légales et administratives, lesquelles décourageraient l’investissement dans le logement locatif[24]. L’Association des Propriétaires du Québec dénonce, elle, la « surprotection du locataire » et « déclare la guerre aux mauvais payeurs » en lançant des avis de recherche[25]. Elle revendique l’abolition du contrôle des loyers par l’entremise de la suppression de la clause « G » du bail et l’accélération des procédures d’expulsion[26].

C’est dans ce contexte conflictuel que nous avons mené, en collaboration avec le Regroupement des comités de logement et associations de locataires du Québec (RCLALQ), la recherche dont nous présentons quelques résultats ici[27]. Celle-ci consistait à documenter ce contentieux de l’expulsion : les dispositions légales applicables, le déroulement des audiences et les voies de recours.

      Précisions méthodologiques

Concernant l’analyse de jurisprudence, nous avons étudié séparément le contentieux — c’est-à-dire les litiges — relatif au non-paiement depuis plus de trois semaines d’une part et les retards fréquents d’autre part. En pratique toutefois et dans l’immense majorité des cas ces deux motifs sont indissociables; les propriétaires demandent le plus souvent, selon nos données, la résiliation pour les deux motifs. Ils sont cependant l’objet de dispositions légales distinctes et la preuve à fournir n’est pas la même, elle est plus exigeante dans le second cas. Par ailleurs, les statistiques des rapports annuels de la Régie distinguent ces deux contentieux. C’est pour ces raisons que nous les avons dissociés dans le cadre de notre analyse.

Pour identifier les jugements pertinents, nous avons procédé par mots clefs sur la base de données SOQUIJ. Pour le premier contentieux, nous avons analysé 120 jugements sélectionnés de manière aléatoire sur une période d’un an[28]. Pour les retards fréquents, nous avons constitué deux échantillons distincts de 120 jugements chacun. Le choix de faire deux échantillons s’explique pour deux raisons en particulier. En premier lieu, nous n’avons pas pu trouver de décisions où seul ce motif était invoqué par les propriétaires. Dans l’immense majorité des cas analysés, les propriétaires demandent ou obtiennent la résiliation pour les motifs et non pas spécifiquement pour des retards fréquents. Il nous semblait donc important d’élargir notre échantillon. En second lieu, nous avons souhaité examiner de manière plus spécifique l’ordonnance de la « dernière chance » (art 1973 CcQ) qui permet aux locataires — uniquement en cas de retards fréquents — d’obtenir un délai à l’expulsion. Ainsi, dans le premier échantillon[29], nous avons retenu les affaires où les retards fréquents étaient invoqués par les propriétaires, mais où les régisseurs ne statuaient pas nécessairement sur ce moyen, en ne statuant que sur le retard de trois semaines. Dans le deuxième échantillon, pour affiner nos résultats sur la jurisprudence relative à l’usage de l’article 1973, nous avons analysé 120 jugements supplémentaires en isolant les cas où les magistrats se prononçaient explicitement sur cet article et la question des délais[30].

Pour chaque affaire, nous avons compilé les données sur la présence des parties, leur représentation (par avocat ou non), le montant du loyer, les loyers dus, l’expulsion et l’exécution provisoire ordonnées ou non. Nous avons également compilé les « notes » des régisseurs lorsque les jugements étaient davantage motivés; quand le non-paiement était contesté par les locataires, par exemple, les motifs de la contestation.

Nous avons également analysé 123 jugements rendus entre le 1er avril 2014 et décembre 2015 quand les locataires plaidaient l’exception d’inexécution[31] pour justifier le non-paiement.

Outre l’analyse de la jurisprudence, nous avons observé 133 audiences codées (17 rôles différents) à Montréal (aux deux bureaux), à Victoriaville et à Sorel-Tracy entre les mois de mars et juin 2015. 116 audiences portaient sur le non-paiement. Parmis ces audiences, 48 étaient non contestées, 36 étaient contestées (pour un total de 84) et 32 portaient sur les retards fréquents. La majorité de ces observations a été réalisée à Montréal au bureau du village Olympique et au bureau sur René Lévesque (7 rôles; 83 causes codées). Des observations ont également été réalisées par les travailleurs et les travailleuses de neuf groupes membres du RCLALQ (10 rôles; 50 causes codées) à partir de la même grille d’observation : à Sorel-Tracy par l’ALPS (1 rôle); à Victoriaville par l’ALBF (2 rôles); à Montréal par le Comité logement de Montréal-Nord (1 rôle), par le Comité logement de Beauharnois (2 rôles), par Infologis (1 rôle), le Comité logement Parc-extension (1 demi-rôle), le Bail de Québec (1 rôle), l’Association coopérative d’économie familiale (1 demi-rôle) et l’Association des locataires de Villeray (1 rôle).

Cet article s’articule autour de trois objectifs. Il s’agit, dans un premier temps, de rendre compte des données disponibles sur les expulsions au Québec et de faire voir l’ampleur de ce phénomène largement sous-évalué et sous-étudié (I). Dans un second temps, c’est le fonctionnement et la réglementation en vigueur au Québec, soit les dispositions légales et la jurisprudence qui retiendront notre attention. Nous nous appuierons notamment sur nos notes d’observation des audiences de non-paiement (II) et de retard fréquent (III) pour montrer que le droit et la procédure laissent peu de pouvoir discrétionnaire aux magistrats pour tenir compte des causes du non-paiement et des conséquences sociales, familiales et sanitaires de leurs décisions. En d’autres termes, les causes et les conséquences de l’expulsion, le plus souvent, ne sont pas traitées comme des enjeux de droit, ce qui laisse peu d’espoir aux locataires d’obtenir des délais ou de ne pas être expulsés de leur logement. Dans une dernière partie, nous avançons l’hypothèse selon laquelle l’absentéisme des locataires aux audiences et leur sous-représentation par avocat, malgré l’existence d’un service public d’aide juridique (IV), trouvent une partie de leur explication dans le fait que « ce recours a manifestement très peu de chance de succès »[32], pour reprendre les termes de la loi en question.

I.   Sur la banalité des demandes d’expulsions

Les locataires ne sont pas les seuls à être touchés par le phénomène des expulsions. La crise des subprimes (foreclosure-gate) en 2008 a bien mis en lumière la violence des expulsions de propriétaires surendettés ainsi que de leurs locataires[33], principalement dans les quartiers pauvres et racisés des États-Unis[34]. Le Québec n’a pas échappé à cette vague de saisies immobilières en Amérique du Nord. Ainsi, au plus fort de la crise des subprimes, en 2009, il y eut 2 503 saisies au Québec. En 2013, ce nombre est tombé à 1 359 propriétés résidentielles. Il faut toutefois ajouter que 256 propriétaires dans l’incapacité de payer leurs dettes ont choisi d’abandonner leurs propriétés cette même année[35]. Ce volume de saisies est de toute évidence important et révélateur du taux d’endettement de nombreux Québécois et Québécoises. Il reste néanmoins sans commune mesure avec les dizaines de milliers de demandes d’expulsions déposées chaque année et, selon nous, probablement ordonnées par la Régie du logement, pour non-paiement du loyer en particulier.

Malgré l’ampleur du phénomène, la problématique des expulsions pour non-paiement n’est pas un enjeu d’étude pour les pouvoirs publics, si bien que les données précises sur les différentes causes des expulsions légalement autorisées sont inexistantes. Tout au plus, le rapport annuel de la Régie du logement distingue les cas de résiliation pour non-paiement du loyer de ceux pour retard fréquent du loyer. Les expulsions sans faute des locataires, comme les évictions (pour agrandissement, par exemple) ne sont pas comptabilisées. Seules les expulsions pour reprise du logement par le propriétaire (pour s’y loger ou pour loger un membre de sa famille) sont indiquées.

 

 

Demandes de résiliation du bail : données disponibles
  2011–2012 2012–2013 2013–2014 2014–2015
Recouvrement-résiliation 38 659

 

 

38 005

 

37 969 35 536

 

Retards fréquents 5 681

 

5 742

 

5 676

 

5 369
Reprises 1 145 1 122 898 850
Évictions ? ? ? ?
Résiliation pour un autre motif[36] 5 015 4 524 4 192 3 739

Source : Régie du logement, Rapport annuel de gestion, 2013-2014, aux pp 68–69;
Régie du logement, Rapport annuel de gestion, 2014-2015, à la p 74.

Entre 1998 et 2014, le non-paiement du loyer et les retards fréquents représentaient entre 52 % et 62 % du volume total des demandes à la Régie[37]. À partir des données disponibles, nous pouvons donc conclure qu’ils constituent les principaux motifs de contentieux à la Régie.

Ces chiffres ne portent cependant que sur le nombre de demandes d’expulsions déposées par les propriétaires; ils ne correspondent pas au nombre d’expulsions finalement ordonnées, pour lesquelles il n’existe aucune donnée officielle. Nous ne pouvons donc que produire des estimations sur la réalité de l’expulsion au Québec. Au regard des 240 jugements que nous avons examinés en matière d’arriérés de loyer, l’écart entre le nombre de demandes d’expulsions et le nombre d’expulsions finalement ordonnées apparaît relativement faible. L’expulsion apparaît quasi automatique en matière de non-paiement depuis plus de trois semaines (120/120), tandis qu’elle est ordonnée dans 79.5 % des cas en matière de retards fréquents (E1 : 101/120; E2 : 90/120). Ainsi, en ce qui concerne les arriérés de loyers, l’expulsion semble ordonnée dans 86.3 % des cas (311/360).

Il convient ensuite de préciser que le nombre de demandes annuelles ne correspond pas au nombre de jugements rendus annuellement par la Régie, puisque de nombreux dossiers sont en attente. Il reste que le volume des jugements rendus est imposant : pour 2014–2015, les propriétaires ont déposé 40 905 demandes, et la Régie a rendu 28 980 décisions[38].

Par ailleurs, ce n’est pas parce que le tribunal ordonne l’expulsion que les locataires quittent nécessairement le logement. À l’issue du procès, conformément à l’article 1883 du Code civil du Québec (« CcQ »), les locataires ont d’abord la possibilité de payer les sommes dues entre la date d’audience et la date du jugement (ou de la prise connaissance du jugement) et le jugement d’expulsion est alors annulé. À ce jour, les données disponibles ne permettent pas de mesurer le nombre de fois où les locataires se prévalent de cette disposition. Les parties peuvent aussi conclure une entente de paiement et le propriétaire peut renoncer à faire exécuter le jugement. C’est notamment ce qui ressort de l’étude réalisée sur les expulsions au Nunavik, où 11 000 Inuits sont logés dans des logements sociaux en grande partie insalubres et surpeuplés. Concrètement, depuis le début des années 2000, l’Office municipal d’habitation Kativik (OMHK) obtient chaque année des centaines de jugements ordonnant l’expulsion des locataires. Jusqu’en 2010, cependant, il ne procédait pas aux expulsions. Mais à partir de cette date, l’OMHK a commencé à identifier certains « mauvais payeurs » et à procéder à des expulsions sélectives : « Ainsi, 5 familles ont été expulsées en 2010; 16, en 2011; et 14, en 2012 » [notes omises][39].

Enfin, si les locataires peuvent décider de rester dans le logement malgré le jugement de la Régie, ce ne semble pas être le cas le plus fréquent, selon l’Association des propriétaires d’appartement du Grand Montréal (APAGM)[40]. Dans le même sens, les propriétaires ont relativement peu recours aux mécanismes d’exécution forcée. La Cour du Québec, qui a compétence en matière d’exécution forcée, ne publie aucune donnée sur ces jugements, mais selon une enquête journalistique, elle aurait émis 4 465 brefs d’expulsion[41] en 2008 et 4 288 brefs d’expulsion en 2009 pour un total de 32 458 décisions rendues en 2008–2009 par la Régie du logement[42].

Les rares études réalisées sur les expulsions dans d’autres pays relèvent que les données statistiques sont cependant toujours sous-évaluées. Celles-ci ne tiendraient jamais compte des expulsions dites « sauvages », « négociées » entre les parties ou « imposées » par les propriétaires, lesquelles seraient bien plus nombreuses que les expulsions « légalement » autorisées. Selon Eloisa Rodriguez-Dod, les données produites excluent généralement au moins deux éléments[43]. En premier lieu, elles ne comptabilisent pas les locataires qui quittent leurs logements suite à des menaces de leurs propriétaires, ou suite à un règlement à l’amiable. Selon une étude de terrain réalisée à Milwaukee, les expulsions légalement autorisées par une décision judiciaire (donc connues et comptabilisées) seraient minoritaires dans la ville : elles ne représenteraient que 24 % des cas. Les procédures informelles, les « ententes » plus ou moins imposées, comme les expulsions forcées par les propriétaires, prévaudraient et représenteraient 48 % des cas. Le reste des expulsions correspondrait aux saisies immobilières (23 %) ou aux destructions d’immeubles (5 %)[44]. Au Québec, le nombre d’expulsions finalement exécutées, « négociées » ou « imposées », est inconnu[45]. En deuxième lieu, ce qui vient fausser le comptage des expulsions selon Rodriguez-Dod tient au fait que celui-ci se limite au titulaire du bail : les conjoints, enfants ou colocataires sont ainsi oubliés et donc non comptabilisés. Or, d’après la Société d’habitation du Québec (SHQ), les ménages locataires seraient à près de 50 % composés de deux personnes ou plus, et près de 26,4 % des ménages locataires seraient des couples avec enfants[46].

Bref, en raison de l’état actuel de la documentation disponible, en Europe comme en Amérique du Nord, il est à proprement parler impossible de connaître et d’évaluer précisément le nombre de personnes visées par une demande d’expulsion, ainsi que le nombre de personnes effectivement expulsées[47]. Au Québec, on peut tout au plus se référer à cette estimation produite par une enquête non publiée, citée dans un rapport de la Direction de la santé publique de Montréal : « un ménage locataire sur dix a craint d’être évincé de son logement au cours des dix dernières années »[48].

Enfin, aucune information sur les régions, les quartiers, les catégories sociales concernées et les conséquences sociales et sanitaires des expulsions n’est disponible, contrairement aux exigences fixées par le droit international[49]. Nous pouvons faire l’hypothèse qu’au Québec, comme ailleurs[50], ce sont d’abord les quartiers et les catégories sociales aux revenus les plus faibles, les travailleurs et les travailleuses précaires[51] avec au premier rang les femmes[52], les racisés[53], les autochtones[54] et les migrants[55], qui sont concernés par les expulsions. L’une des plus importantes études de terrain réalisées aux États-Unis révèle par exemple que ce sont tout particulièrement les femmes racisées des quartiers pauvres qui sont concernées[56]; mais les contextes sociaux et juridiques étant distincts[57] en dépit des homologies, il est évident qu’une étude centrée sur le cas québécois serait tout à fait cruciale pour vérifier cette hypothèse.

Enfin, les conséquences des expulsions ne sont pas documentées au Québec. Si bien que la Direction de la santé publique de Montréal doit elle-même s’appuyer sur des études réalisées aux États-Unis pour tenter d’apprécier les conséquences sur la santé physique et mentale des locataires qui craignent une expulsion et ainsi d’attirer l’attention des pouvoirs publics[58]. Ces études montrent qu’il existe des corrélations fortes entre l’expulsion et le développement de problèmes de santé mentale[59], notamment chez les mères de famille[60]. D’autres études ont également établi que les personnes expulsées sont aussi poussées vers les quartiers les plus défavorisés, où elles paient, le plus souvent, des loyers équivalents ou supérieurs à ceux qu’elles payaient précédemment[61] et qu’elles risquent davantage de perdre leur emploi[62]. On relèvera par ailleurs que les locataires d’HLM se trouvent le plus souvent exclues des programmes d’aide financière et de logements sociaux[63] et cela, même au Québec[64].

II. Le non-paiement du loyer depuis plus de trois semaines et la marginalisation du préjudice des locataires

La Régie peut ordonner l’expulsion de locataires dans deux cas de figure : pour faute et sans faute. Les principaux motifs d’expulsion pour faute sont le non-paiement depuis plus de trois semaines et les retards fréquents dans le paiement du loyer. Il peut également s’agir de cas, beaucoup moins fréquents, liés au non-respect par les locataires des obligations du bail (troubles de voisinage, dégradation du logement, harcèlement, etc.). Par contre, les locataires peuvent être expulsés de leur logement sans avoir commis de faute en cas de reprise du logement par le propriétaire, quand celui-ci souhaite le reprendre pour son usage personnel ou pour y loger un membre de sa famille (arts 1957–62 CcQ). C’est également le cas quand le propriétaire décide de changer l’affectation du logement (le transformer en commerce, par exemple) ou encore de l’agrandir substantiellement ou de le subdiviser (arts 1959–61, 1965–70 CcQ). On parle alors d’éviction, mais le résultat est le même que celui de la reprise. Si l’éviction est autorisée, les locataires sont expulsés sans avoir commis de faute[65]. Cependant, nous concentrons ici notre analyse sur les deux premiers cas, le non-paiement depuis plus de trois semaines et les retards fréquents, tous deux explicitement liés à l’expulsion pour des arriérés de loyer.

En pratique, ces deux causes sont confondues, puisque les propriétaires demandent souvent la résiliation pour les deux motifs. Elles font toutefois l’objet de dispositions légales spécifiques et sont traitées lors d’audiences distinctes, si bien qu’il convient de les analyser séparément. Le premier motif, le plus fréquemment invoqué par les propriétaires (35 536 demandes en 2014–2015) est donc la demande d’expulsion pour non-paiement du loyer depuis plus de trois semaines. Le droit applicable ne pose pas de problème d’interprétation particulier, puisque la résiliation est quasi automatique dès que le retard est établi (A). Nous verrons alors que les locataires ne se présentent le plus souvent pas à l’audience, si bien que l’essentiel du contentieux est traité en leur absence (B). Quand, toutefois, ils se présentent à l’audience, leur témoignage est, le plus souvent, juridiquement inopérant (C). Ainsi, concrètement, ce contentieux se présente comme « sans espoir » pour les locataires (D).

A.  Le droit applicable

Depuis plus d’un demi-siècle, les mêmes dispositions s’appliquent[66] : trois semaines après la date convenue, si le locataire n’a pas payé son loyer, le propriétaire peut demander la résiliation du bail et l’expulsion du locataire (art 1971 CcQ). Si l’échéance est le premier du mois, l’action en résiliation pourra donc être entreprise le 23e jour du même mois. Ce délai de trois semaines, appelé « délai de grâce », constitue selon Pierre-Gabriel Jobin une preuve de « clémence » de la part du législateur à l’égard du locataire résidentiel « négligent » ou qui rencontre des difficultés financières[67].

À l’expiration de ce délai, que nous pouvons considérer comme étant court pour, par exemple, une personne venant de perdre son emploi[68], la sanction est radicale : le magistrat vérifie si le paiement du loyer a été ou non effectué et dans la négative, il doit ordonner la résiliation du bail, quels que puissent être le montant et le nombre de loyers dus ou les causes de l’insolvabilité du locataire. La Cour suprême du Canada a ainsi déjà eu l’occasion de préciser qu’après trois semaines « le commissaire [désormais, le régisseur] a le devoir de résilier le bail. Il ne jouit d’aucune discrétion »[69]. Dès que le non-paiement d’un seul mois de loyer est constaté (que le montant dû soit de 2 $[70] de 20 $[71] ou plus), aucune raison financière ne peut venir empêcher la résiliation du bail[72]. Le chômage, le fait d’avoir commis une erreur de date ou de montant, d’avoir été victime d’un vol, hospitalisé ou emprisonné ou de ne pas avoir touché ses prestations d’aide sociale ou d’aide au logement[73] ne peuvent empêcher la résiliation si celle-ci est demandée. Plusieurs avocats ont déjà plaidé que l’objet de la loi est de favoriser le maintien des locataires dans les lieux et que les lois sociales doivent recevoir une interprétation large et libérale[74]. Suivant cette logique, ils ont proposé des solutions innovantes pour tenter de tempérer la radicalité de cette interprétation[75], mais jusqu’à présent, ils se sont vu opposer que « [c]ette philosophie socio-juridique n’a jamais eu pour effet de faire disparaître les obligations légales des parties »[76].

Le caractère expéditif de la procédure est, par ailleurs, organisé par la loi puisque le juge ne peut accorder aucun délai pour tenir compte de la situation sociale des locataires. L’article 1973 CcQ dispose en effet qu’en matière de non-paiement de plus de trois semaines, le tribunal ne peut refuser d’ordonner la résiliation et d’octroyer un ultimatum en cas du défaut de payer le loyer. Cependant, et « [a] contrario, “quand l’ampleur des arriérés de loyer le justifie” »[77], le juge peut accélérer la procédure en ordonnant l’exécution provisoire de l’expulsion et réduire ainsi le délai d’expulsion de trente jours à un jour[78], les délais octroyés par l’ordonnance étant à la discrétion du magistrat. D’après nos propres observations[79] et analyses de la jurisprudence, entre les mois d’avril 2014 et mars 2015[80], deux mois de loyer dus suffisent pour justifier l’émission d’une telle ordonnance, laquelle est accordée dans 84 % des cas (104 jugements sur 120). Les locataires sont alors généralement tenus de quitter le logement immédiatement ou dans des délais variant de cinq, six ou onze jours (le cas le plus fréquent) suivant la date du jugement.

Le caractère expéditif de la procédure est également organisé par des dispositions administratives. En effet, la conciliation n’est pas offerte en matière de non-paiement de loyer ou de fixation du loyer (deux des principaux contentieux à la Régie), à moins que le propriétaire en fasse la demande[81]. Une telle exclusion peut paraître a priori paradoxale, alors que le recours à la justice participative est l’une des priorités du ministère de la Justice[82] et que la conciliation est considérée comme une priorité par l’administration de la Régie. Pour justifier cette exclusion, la Régie invoque « la nature » et les « délais » propres à ces contentieux[83]. De fait, les demandes en non-paiement bénéficient déjà d’une priorité d’audience et sont entendues en moins d’un mois et demi[84]. Le recours à la conciliation, dont l’une des principales qualités est de réduire les délais, apparaît dès lors largement inutile pour l’administration[85].

Il existe toutefois des situations spécifiques et exceptionnelles, où le juge ne résiliera pas le bail. Celles-ci sont importantes, car malgré ce qui précède, ce sont précisément ces exceptions qui ont conduit le juge Patrick Théroux de la Cour du Québec à souligner en appel en 2013 que

[l]a Régie a pleine compétence pour disposer d’une demande de résiliation de bail sur le fond. Son rôle à ce niveau ne doit pas être limité à une simple fonction d’estampillage (“rubber stamping”). Il n’est donc pas exact d’affirmer qu’elle est soumise à une obligation péremptoire de prononcer la résiliation du bail lorsque le motif invoqué est le retard de plus de trois semaines dans le paiement du loyer[86].

Parmi ces exceptions, on peut mentionner en premier lieu les cas où le locataire réussit à faire la preuve que le propriétaire a délibérément refusé d’encaisser les chèques du loyer (comme dans l’affaire portée en appel mentionnée plus haut)[87], qu’il a perdu les chèques[88] ou qu’il doit de l’argent aux locataires suite à la réalisation de travaux[89], par exemple. Ce cas de figure se présente cependant rarement puisque la preuve (à la charge des locataires) est pour le moins difficile à établir. Elle nécessite un aveu, un reçu du propriétaire en question ou encore des témoins, toujours difficiles à solliciter pour une audience ¾ donc pour une demi-journée ¾ en semaine. En second lieu, les locataires peuvent invoquer l’exception d’inexécution[90] (art 1591 CcQ) et retenir une partie du loyer « dans une mesure correspondante » au préjudice subi quand les propriétaires n’exécutent pas « substantiellement » leurs obligations[91]. Comme le montre Gagnon, « ce moyen est rarement accepté par les décideurs judiciaires : il est en effet inaccoutumé que l’inexécution du locateur soit suffisamment substantielle pour justifier l’occupation gratuite du logement »[92]. Par exem-ple, si les locataires continuent d’habiter un logement qui connaît des problèmes d’insalubrité, il est peu probable que les magistrats acceptent qu’ils ne paient pas un mois de loyer, puisqu’il n’y aura pas « absence totale de jouissance du logement »[93]. Par ailleurs, ce moyen de défense est strictement encadré et les magistrats le rejettent le plus souvent si les locataires n’ont « pas introduit de recours en justice » pour faire valoir leurs droits[94] ou si la retenue du loyer « vise à compenser immédiatement le locataire de ses réclamations en dommages-intérêts »[95]. Les régisseurs déclarent ainsi, dans l’immense majorité des cas, que les locataires n’ont pas à se « faire justice eux-mêmes » et rappellent que ceux-ci auraient pu procéder à une demande d’autorisation de déposer le loyer à la Régie (art 1907 CcQ)[96]. Sur les 123 jugements analysés entre mars 2014 et décembre 2015 où les locataires invoquaient l’exception d’inexécution, nous n’avons trouvé qu’une seule affaire où un régisseur a explicitement retenu ce moyen de défense[97]. Certains magistrats acceptent cependant une retenue partielle du loyer[98], et ce, même si les locataires n’ont pas exercé de recours préalable et déposé le loyer à la Régie[99]. Il s’agit là, dans tous les cas, de situations très exceptionnelles. D’après nos résultats de recherche, les locataires poursuivis en non-paiement devaient en moyenne environ 1 890 $ mois de loyers moyens), montant qui suppose un préjudice grave pouvant difficilement être accepté comme une « mesure correspondante » au regard de la jurisprudence actuelle[100].

À noter qu’une fois la résiliation et l’expulsion ordonnées, le, la ou les locataire(s) ont toujours la possibilité, en vertu de l’article 1883 CcQ, de payer le loyer et les intérêts dus « avant jugement ». Ils ont donc la possibilité de payer les sommes dues à l’audience ou dans le court délai (généralement de quelques jours en matière de non-paiement)[101] entre l’audience et la rédaction du jugement. Comme mentionné plus tôt, nous ne connaissons pas, à ce jour, le nombre de cas où les locataires se prévalent de cette disposition. Nous savons, en revanche, que le terme « avant jugement » suscite régulièrement des controverses entre les locataires et les propriétaires, tandis que la jurisprudence est partagée sur la manière de calculer les délais. Certaines décisions considèrent la date de prise de connaissance du jugement par le locataire[102]. Dans d’autres cas, la prise de connaissance est réputée acquise à partir de la date de l’expédition de l’avis par la poste[103]. Plus rarement, certains régisseurs précisent que le loyer doit être payé dans les sept jours de la signature de la décision[104]. Quoi qu’il en soit, à l’expiration de ce délai, même si le locataire paie tous les montants dus[105], il ne pourra plus s’opposer à l’émission d’un bref d’ex-pulsion[106], ce qui apparaît pour le régisseur Pierre Gagnon « passablement sévère […] alors même que la dette a été entièrement liquidée »[107].

B.  Le déroulement de l’audience en l’absence du locataire

Compte tenu du peu de controverse possible sur l’interprétation des dispositions légales et afin d’accélérer la procédure et de la rendre moins coûteuse, le contentieux de l’expulsion n’est pas uniquement confié à des régisseurs[108]. Quand la demande en non-paiement n’est « pas contestée », c’est-à-dire quand le locataire est absent lors de l’audience, ce sont des greffiers spéciaux qui ont la charge du contentieux[109]. Lors de chaque rôle pour non-paiement, le personnel à l’accueil de la Régie classe les demandes selon la présence ou non des locataires à l’audience et toutes les causes non contestées sont alors confiées aux greffiers spéciaux. Les greffiers et les régisseurs reçoivent ensuite leurs dossiers respectifs, pendant les audiences, au fur et à mesure de l’arrivée des parties.

Ainsi, d’après nos observations, l’immense majorité du contentieux est traité par des greffiers spéciaux. Le Protecteur du Citoyen estime que les locataires sont absents dans « plus de 70 % des cas »[110]. Dans notre échantillon, ceux-ci étaient absents dans plus de 68 % (82/120) des cas. L’analyse des rôles des audiences permet par ailleurs de constater qu’un greffier spécial peut traiter plus de 100 dossiers non contestés en trois heures (soit un rôle)[111].

Les audiences que nous avons observées se sont déroulées de manière analogue[112]. Le ou la greffière spéciale appelle trois ou quatre causes en même temps, dans la salle d’audience. Les propriétaires ou leurs représentants sont ensuite assermentés. La plupart du temps, l’audience se limite à sept questions et réponses qui sont toujours les mêmes : on demande au représentant du propriétaire s’il a un mandat (1), on demande la preuve de la signification (2), le bail (3), si les locataires sont solidairement responsables (4), le montant du loyer (5), les sommes dues (6) et pour quels mois (7). Lors de nos observations, nous n’avons jamais vu un décideur réclamer d’autres documents aux propriétaires. La Demande relative au non-paiement de loyer du propriétaire — qui est un formulaire type disponible en ligne[113]est suffisante pour statuer sur les sommes dues. Nous avons par ailleurs pu constater que lorsque le propriétaire ou son représentant oublie de demander les frais judiciaires (environ 80 $) ou l’exécution provisoire de l’expulsion, le magistrat peut lui rappeler cette possibilité afin d’amender sa demande. L’audience dure ainsi deux à trois minutes au maximum.

C.  Un témoignage fréquemment inopérant

Quand les locataires sont présents, le contentieux est de facto « contesté » et est donc confié à des régisseurs. Ces derniers traitent alors entre 15 et 19 dossiers en trois heures, selon nos observations[114]. Là encore, l’au-dience est extrêmement rapide. Généralement, après avoir assermenté les parties, vérifié le mandat de l’éventuel représentant et demandé les montants dus, le régisseur se tourne vers le ou les locataires pour leur demander s’ils reconnaissent ou non les faits. Dans la quasi-totalité des cas observés, les locataires admettent spontanément ou après de très brèves hésitations qu’ils doivent de l’argent. Il est cependant arrivé qu’ils contestent le montant exigé par le propriétaire ou son représentant[115] et dans les deux seuls cas observés (2/36) où les locataires contestaient l’ensemble du non-paiement, les locataires n’avaient ni reçu, ni autre preuve écrite, à fournir au régisseur qui la demandait[116]. Au-delà de nos seules observations, « rarissimes sont les cas où la simple affirmation du locataire prévaudra contre celle du locateur qui allègue une dette de loyer »[117] selon le régisseur Pierre Gagnon.

Une fois l’aveu de non-paiement confirmé ou en l’absence de reçu, le régisseur explique qu’en vertu de la loi, il est tenu de résilier le bail. Celui-ci demande ensuite aux locataires s’ils ont des questions ou des points à ajouter. C’est seulement à ce moment que les locataires ont l’occasion d’expliquer les causes du non-paiement et les raisons de leur déplacement au tribunal. Les locataires qui se représentent eux-mêmes, lors des audiences que nous avons observées (34/36), avec tout ce que cela implique d’anxiété[118], ont fait tour à tour valoir l’absence d’emploi et de revenu, des difficultés financières passagères, l’insalubrité de leur logement, la présence de moisissure, le refus du propriétaire de réaliser les travaux demandés ou le refus du propriétaire ou de son représentant d’encaisser le loyer[119]. Parfois, ils ne disent rien[120].

Ne disposant pas de pouvoir discrétionnaire pour tenir compte des raisons financières du non-paiement et des conséquences sociales de l’expulsion et compte tenu des critères particulièrement exigeants de la défense d’inexécution, les régisseurs sont le plus souvent conduits à interrompre les témoignages des locataires, plus ou moins rapidement selon les cas observés : « je dois vous interrompre mais il s’agit d’un autre recours »; « vous avez d’autres recours pour faire valoir vos droits »; « ce n’est pas la question; en sortant, vous pouvez vous renseigner sur vos droits » ou « ce n’est pas l’objet du présent recours »[121]. Dans tous les cas observés, les locataires n’avaient pas exercé de recours, mais ils insistaient parfois pour poursuivre leur témoignage (sur les problèmes financiers, les moisissures, l’eau, le comportement du locateur ou son représentant, etc.). Les régisseurs les interrompaient alors de nouveau[122], laissant les locataires dans une incompréhension manifeste. Ainsi, nos observations font écho à celles qui ont pu être réalisées en France, quant au « désenchantement »[123] ou au « très net décalage »[124] entre les attentes des locataires qui ont choisi de se déplacer malgré le peu de chance de succès (et qui envisagent le tribunal comme un lieu de débats où ils pourront expliquer au magistrat leur situation) et le caractère expéditif de l’audience. L’audience apparaît à ce point si expéditive que le régisseur doit souvent se reprendre à plusieurs fois pour faire comprendre aux parties que l’audience est terminée et qu’elles doivent sortir[125].

Les jugements rendus viennent confirmer le caractère souvent inopérant des témoignages des locataires. À titre d’exemple, on peut lire, « [p]eu importe la raison mentionnée par le locataire, la loi ne permet pas d’exemption pour une situation semblable et le Tribunal se doit d’appliquer la loi »[126] ou encore, « [l]e tribunal ne peut retenir cette défense. Les difficultés financières du locataire sont étrangères au droit du locateur de percevoir le loyer. Le locateur a des obligations financières à assumer sur son immeuble »[127]. Seuls le retard et les montants dus sont consignés dans le jugement qui ordonne l’expulsion avec l’exécution provisoire, dans la majorité des cas. Il n’y a aucun développement sur les causes du non-paiement et souvent aucune analyse sur les mois concernés par le non-paiement, ce qui est parfois contestable au regard de la jurisprudence de la Cour du Québec[128].

D.  Un contentieux « sans espoir »?

C’est à bon droit que les régisseurs répondent aux locataires faisant le déplacement à la Régie que leurs difficultés financières ou les conséquences sociales de leur expulsion ne sont pas des questions d’intérêt juridique lors des audiences en non-paiement. Les magistrats ne disposent légalement d’aucune marge de manœuvre ou presque[129] pour apprécier ces arguments et la proportionnalité de la mesure[130]; les témoignages des locataires semblent « sans espoir »[131]. Toutefois, l’affirmation selon laquelle les locataires disposent d’autres recours pour faire valoir leurs droits en matière de salubrité, par exemple, est en pratique discutable. En effet, la Régie prend en moyenne 21 mois pour statuer sur les causes civiles (causes de salubrité, vermines, moisissure, etc.), contre 45 jours pour ordonner l’expulsion pour des arriérés de loyers[132]. À moins que la cause soit considérée comme urgente par le maître des rôles[133], le recours des locataires ne sera pas entendu avant la fin de leur bail. Une récente étude montre qu’il faut 790 jours en moyenne à la Régie pour statuer sur la présence de moisissures dans un logement, y compris dans des cas jugés graves pour la santé[134]. À toutes fins pratiques, si les locataires souhaitent défendre leur cause devant la Régie dans des délais raisonnables (qui soient, par exemple, plus courts que la durée de leur bail), ils ont d’une certaine manière tout intérêt à être poursuivi pour non-paiement et espérer que le régisseur accepte que les deux dossiers soient réunis[135]. Cependant, la réunion des demandes est à la discrétion du magistrat[136] et n’est donc pas automatique[137]. Précisons toutefois que la Cour du Québec a déjà jugé que ce droit devait être exercé « de manière à maintenir l’équilibre entre les droits de chacune des parties »[138] et que le refus de réunir des demandes constituait, dans certaines circonstances, un déni de justice[139].

L’un des cas que nous avons observés permet de préciser les enjeux du problème dont il est ici question[140]. La représentante d’une compagnie immobilière demande la résiliation du bail et l’expulsion des locataires au motif que les locataires, un couple d’étudiant(e)s étrangers, n’ont pas payé le loyer de juin et qu’ils sont en retard depuis plus de trois semaines. Le locataire présent confirme spontanément que les sommes sont dues et tente d’expliquer qu’il a toujours payé son loyer le 1er jour du mois. Cette fois-ci, il a délibérément décidé de retenir le loyer, compte tenu du comportement du locateur. Le régisseur l’interrompt fermement une première fois : « on ne peut se faire justice soi-même ». Il lui explique qu’il existe d’autres recours pour engager la responsabilité du locateur. Le locataire poursuit, malgré l’intervention du régisseur, pour préciser que s’il a délibérément retenu le loyer de juin, c’est que le logement était infiltré d’eau. Le régisseur réitère que ce n’est pas l’objet de la présente affaire, mais le locataire insiste et parvient à présenter des photographies au régisseur. Ce dernier, visiblement choqué par ce qu’il voit, se tourne alors vers la représentante de la compagnie immobilière, qui confirme l’infiltration d’eau, mais rappelle au régisseur qu’« il est bien établi » que les locataires ne peuvent se faire justice eux-mêmes. Le régisseur lui présente alors les photographies. La représentante explique à son tour qu’elle n’a jamais vu le logement, mais que des travaux ont été effectués, que « la politique du département du recouvrement » de la compagnie immobilière est de poursuivre automatiquement les locataires qui n’ont pas payé le loyer depuis plus de trois semaines. Finalement, le jugement a été mis en délibéré, mais légalement, les deux étudiants étrangers sont en retard et la résiliation du bail s’impose[141] : les locataires n’avaient pas fait la preuve qu’ils avaient mis en demeure le propriétaire de faire les travaux, ils n’avaient pas entamé de procédure à la Régie, ils n’avaient pas quitté le logement et ils n’avaient pas établi que le préjudice subi équivalait à un mois de loyer.

Que la procédure soit expéditive et que les témoignages soient parfois écourtés ne constitue donc peut-être pas le problème central. Sur ce point, les locataires ont des recours, puisque la Cour du Québec, en appel, a rappelé à plusieurs reprises que les régisseurs ont l’obligation d’entendre les locataires, notamment lorsqu’ils invoquent l’exception d’inexécution comme moyen de défense, et ce, même quand les locataires n’ont pas entamé de recours devant la Régie[142]. Pour la Cour du Québec, le refus d’entendre les locataires est en effet une violation des règles de justice naturelle et du principe audi alteram partem[143]; et sur ce point précis, dans le cadre de nos observations, les régisseurs ont toujours demandé aux locataires s’ils avaient quelque chose à dire et ils ont écouté plus ou moins longuement les arguments plaidés.

Le problème est plutôt que, sauf exception, le droit en vigueur et la procédure pour arriérés de loyer ne permettent pas aux régisseurs de prendre en compte les causes financières du non-paiement ou encore les conséquences de l’expulsion. Ils ne peuvent ni accorder de délais pour tenir compte du préjudice des locataires[144], ni suspendre les expulsions pendant l’hiver[145], ni échelonner la dette, ni tenir compte de l’historique de paiement ou de la situation sociale et familiale des locataires. Ce n’est que très exceptionnellement qu’ils peuvent prendre en compte les enjeux de salubrité pour s’opposer à une expulsion[146]. Les magistrats n’ont pas l’obligation, comme cela se fait en Europe ou en Afrique du Sud, de s’assurer que la mesure d’expulsion soit proportionnelle, « juste et équitable » ou « nécessaire dans une société démocratique » [notre traduction][147]. Dans les 120 jugements que nous avons analysés en matière de non-paiement depuis plus de trois semaines, l’expulsion a été ordonnée (120 cas sur 120), y compris lorsque les locataires étaient présents à l’audience (38 cas sur 120; 31,6 %).

III.   La résiliation pour retards fréquents et l’évaluation du « préjudice sérieux » des propriétaires

La résiliation du bail et l’expulsion des locataires peuvent être obtenues alors même que les locataires paient leurs loyers, mais « fréquemment en retard » (art 1971 CcQ)[148]. Il s’agit d’une disposition adoptée en 1979 après que la Cour suprême ait rejeté l’interprétation de la Commission des loyers qui considérait que le paiement en retard pouvait constituer « une source sérieuse de tracasseries »[149] justifiant la résiliation du bail[150]. Désormais, les propriétaires doivent faire la preuve non plus de « sérieuses tracasseries » mais d’un « préjudice sérieux » pour obtenir la résiliation du bail en cas de « retards fréquents ». L’analyse du droit et de la jurisprudence (A) comme les observations d’audiences révèlent toutefois que la preuve exigée est relativement peu contraignante (B). Dans le contentieux pour « retard fréquent », à la différence du contentieux pour non-paiement depuis plus de trois semaines, les magistrats peuvent cependant décider de sursoir à l’expulsion, ce qui « confère une discrétion considérable au décideur »[151]. C’est le seul cas où le législateur autorise les magistrats à prendre en compte les causes et les conséquences sociales de l’expulsion (C).

A.  Le droit applicable et la notion de « préjudice sérieux »

Pour obtenir la résiliation du bail en cas de retards fréquents (5 369 demandes en 2014-2015), le propriétaire doit d’abord faire la preuve du caractère « fréquent » du non-paiement. Il n’existe pas de définition arrêtée du retard fréquent. Selon Gagnon, « un ou deux retards, surtout s’ils sont de courte durée, n’équivalent généralement pas à un retard fréquent », mais il appartient aux magistrats de statuer selon chaque cas d’espèce[152]. Le fait de payer en retard à trois reprises dans le courant de l’année suffit pour remplir le critère de la fréquence[153], même s’il ne s’agit que de quelques jours de retard[154].

La résiliation pour retards fréquents n’est par ailleurs possible que si le propriétaire fait également la preuve qu’il subit un « préjudice sérieux »[155]. Là encore, il n’existe pas de définition légale du caractère « sérieux » du préjudice. L’interprétation est donc laissée à l’appréciation des magistrats, selon le cas. La jurisprudence couramment citée en la matière précise qu’il s’agit d’autre chose que de « simples inconvénients » occasionnés par tout retard et que la preuve est « exigeante » pour le propriétaire[156]. La Cour supérieure a également statué que pour conclure à l’existence d’un préjudice sérieux, le juge devait s’appuyer sur des preuves et motiver sa décision; le simple témoignage ne semble donc pas suffisant pour établir la preuve d’un préjudice sérieux pour ce tribunal[157]. A contrario, la Cour du Québec[158] a conclu, en 2013, que rien n’oblige

le régisseur de la Régie du logement à exiger une preuve documentaire si, par ailleurs, tel le cas en l’espèce, après appréciation des témoignages rendus par les parties, il était en mesure de conclure à l’existence des retards fréquents dans le paiement du loyer et au préjudice sérieux subi par la locatrice-intimée[159].

Rappelons simplement ici que l’article 79 de la Loi sur la Régie du logement exige que toute décision de la Régie soit motivée : le décideur a l’obligation de « fournir des explications au lecteur qui justifient la décision »[160]. Le juge Daniel Dortélus de la Cour du Québec a ainsi annulé une décision de la Régie au motif qu’elle était « laconique », ne permettant pas de comprendre le raisonnement de la Régie, et « muette quant à l’analyse qui mène à la conclusion de résilier le bail »[161]. Reste qu’en l’état actuel du droit sur le « préjudice sérieux », l’exigence de motivation pour la Cour du Québec apparaît limitée : soutenir qu’on a des obligations financières à assumer sur un immeuble peut être jugé suffisant[162], alors que cela semble discutable au regard des critères fixés par la Cour suprême[163].

Quoi qu’il en soit, quand les magistrats accordent la résiliation pour des retards fréquents, ils mentionnent généralement que « le locateur ayant démontré le préjudice sérieux occasionné par les fréquents retards du locataire à payer son loyer, il est en droit d’obtenir la résiliation du bail », sans trop détailler la preuve présentée à l’audience. Ils évoquent alors généralement, et très brièvement, deux éléments : les difficultés financières rencontrées par les propriétaires et/ou la lourdeur des démarches administratives[164]. Sur le premier argument, les jugements précisent, le cas échéant, que les retards ont imposent au locateur « des frais financiers supplémentaires car son hypothèque est difficilement payée »[165], que celui-ci « doit emprunter dans une marge de crédit pour rencontrer ses obligations »[166] et que cela « lui occasionne des frais pour se déplacer et écrire [au locataire] à maintes reprises »[167]. Mais il est également admis par la jurisprudence que les inconvénients ne sont pas nécessairement financiers[168]. Il peut s’agir d’inconvénients liés aux tâches administratives[169] (émettre un avis verbal, rédiger une mise en demeure, se déplacer), d’une perte de temps[170] ou d’avoir dû entamer une démarche judiciaire[171], ce qui rend la preuve nettement moins exigeante. Le fait d’avoir « beaucoup de logements à gérer »[172], même si le préjudice est principalement subi par le gestionnaire et non directement par le propriétaire, contribue à alourdir les démarches administratives et participe donc à établir, au moins dans certains cas, un préjudice sérieux[173]. L’analyse de la jurisprudence révèle ainsi que dans l’immense majorité des cas (222 sur 240), les régisseurs concluent que les retards causent un préjudice sérieux aux propriétaires et résilient le bail, sans développer davantage sur la situation sociale et financière du propriétaire ou sur les démarches effectuées[174].

B.  L’audience et la preuve des conséquences financières et des démarches administratives

Si le « préjudice sérieux » du propriétaire n’est donc pas automatiquement reconnu[175], nous avons pu constater lors des audiences que le niveau de preuve requis pour le faire reconnaître n’était pas nécessairement très élevé[176]. Là encore, quand ce moyen est plaidé, les audiences sont extrêmement rapides, jugées en moins de dix minutes en moyenne, quand les locataires sont présents. Le déroulement est globalement semblable à celui du non-paiement. Les parties s’identifient à la demande du magistrat qui les assermente et s’assure que la signification a bien eu lieu. Le magistrat se tourne ensuite vers le propriétaire ou son représentant[177] (présent dans près de la moitié des cas observés) et lui demande s’il y a des loyers dus, la fréquence des retards et s’il y a une hypothèque. Il demande parfois le montant de l’hypothèque et des revenus de location. Dans vingt-deux des vingt-cinq cas observés[178], aucune preuve écrite n’a été demandée aux propriétaires ou leurs représentants. Ces derniers répondent aux questions du magistrat sur l’hypothèque, en rajoutant parfois qu’ils ont dû effectuer des démarches administratives, sans prendre nécessairement la peine de les nommer.

Après le témoignage du propriétaire, le régisseur se tourne vers les locataires — lorsqu’ils ou elles sont présent(e)s — à qui il demande les raisons de contester les retards. Ces derniers font notamment valoir l’existence d’ententes avec le propriétaire, le fait que contrairement à son habitude, le propriétaire ne s’est pas présenté le premier du mois pour venir chercher le loyer ou qu’il n’a pas encaissé le chèque ou qu’ils ont subi une perte de revenu (séparation, chômage, prestations sociales, etc.)[179]. Mais, comme en matière de non-paiement, la preuve de l’existence d’une entente est difficile à établir pour les locataires[180]. Par ailleurs, là encore, aucune disposition légale n’oblige le magistrat à tenir compte de la situation sociale du locataire et du préjudice subi par celui-ci pour résilier le bail et ordonner l’expulsion.

On peut toutefois mentionner qu’à deux reprises lors de nos observations (2/32), les régisseurs ont refusé — explicitement et au cours de l’audience — de conclure à l’existence d’un préjudice sérieux du propriétaire. Dans le premier cas observé, le magistrat estimait que le représentant du propriétaire (l’oncle) ne pouvait établir la preuve du préjudice sérieux alors qu’il n’avait pas été témoin des faits en question[181]. Dans le second cas, le propriétaire (de plus de 25 logements) a témoigné qu’il percevait 12 000 $ de revenus de loyers par mois alors que l’hypothèque lui coutait 6 000 $. Le régisseur en a conclu qu’il n’était pas déficitaire et qu’il était difficile de conclure à l’existence d’un préjudice « sérieux »; il lui a alors demandé s’il avait subi d’autres préjudices. Le propriétaire a répondu que non, pas directement, mais que son concierge rencontrait « d’importants » problèmes de gestion. Le régisseur a alors conclu qu’il s’agissait d’activités normales de gestion et qu’il n’y avait pas de préjudice sérieux[182]. Ces deux exemples sont exceptionnels et de plus, dans le dernier cas, le bail a tout de même été résilié pour non-paiement depuis plus de trois semaines[183]. Car de fait, dans l’immense majorité des cas analysés, la résiliation pour « retards fréquents » est demandée de manière subsidiaire à la résiliation pour retard de plus de trois semaines. Ainsi, sur les 240 jugements examinés, l’expulsion a été ordonnée — pour l’un ou/et l’autre des deux motifs — dans 79,5 % des cas (191/240), avec une ordonnance d’exécution provisoire dans 69,1 % des cas (132/191).

Quoi qu’il en soit, et pour conclure sur ce point, on peut constater que les pertes de revenus locatifs sont prises bien au « sérieux » par les magistrats; trois retards dans le paiement du loyer et le fait d’avoir une hypothèque permettent actuellement, au moins dans certains cas, de conclure à l’existence d’un « préjudice sérieux », indépendamment de la situation sociale et financière du propriétaire, de l’historique de paiement et des conséquences de l’expulsion.

C.  L’ordonnance de la « dernière chance »

À la différence du non-paiement depuis plus de trois semaines, les locataires poursuivis pour des retards fréquents peuvent espérer obtenir un sursis de la part du magistrat, où le tribunal a la possibilité de substituer à la résiliation du bail une ordonnance visant à enjoindre le locataire à payer le premier de chaque mois (art 1973 CcQ), pendant une durée qui varie grandement selon les jugements[184], sous peine de voir la résiliation ordonnée[185]. C’est l’« ordonnance de la dernière chance » comme le rappellent les régisseurs aux locataires. Celle-ci est accordée de manière quasi automatique (117/120 cas de notre échantillon centré sur cette disposition), mais dans l’immense majorité des cas (87/117) de manière subsidiaire si le locataire paie les loyers dus « avant jugement » conformément à l’article 1883 CcQ. Dans le cas contraire, le bail sera résilié et l’ordonnance ne s’appliquera pas[186]. Celle-ci est beaucoup plus rarement octroyée afin de sursoir à la résiliation et l’expulsion (30/117 cas).

Les critères à remplir pour obtenir une telle ordonnance ne sont pas précisés dans la loi; il appartient aux magistrats de statuer au cas par cas et de manière discrétionnaire. Les raisons invoquées pour accorder ou non cette ordonnance ne sont cependant que très rarement explicitées dans les jugements. Seuls le nombre de retards ou leur fréquence sont parfois mentionnés. Dans la grande majorité des cas, le régisseur rappelle simplement que « compte tenu de la discrétion que lui accorde l’article 1973 », il octroie, ou non, une ordonnance. Sur les 240 causes analysées où les retards fréquents étaient invoqués, nous n’avons trouvé que deux décisions mentionnant explicitement, bien que brièvement, la situation sociale du locataire et justifiant par là de surseoir à la résiliation du bail. Dans le premier cas, le jugement précise que la locataire est « monoparentale et mère de quatre enfants »[187]; dans le second que « [l]e locataire admet payer en retard son loyer, mais qu’il s’est pris en main depuis un certain temps »[188].

Il ressort toutefois de l’analyse des cas où l’ordonnance est accordée, sans que le bail soit résilié (30/120 cas), qu’elle était le plus souvent accordée lorsque les locataires avaient payé les sommes dues avant ou à l’audience[189] et dans l’immense majorité des cas quand les sommes dues étaient inférieures au montant du loyer[190]. Et dans ces cas, il semble que les témoignages des locataires aient une portée déterminante dans la décision du régisseur d’accorder ou non une ordonnance. Il ressort en effet de notre analyse de la jurisprudence qu’en l’absence des locataires, les magistrats n’accordent qu’exceptionnellement[191] une telle ordonnance, encore plus rarement si les locataires doivent de l’argent (2/30 cas)[192]. On peut également mentionner qu’à deux reprises lors de nos observations, le magistrat a explicitement signalé la situation sociale des locataires, présents à l’audience, pour justifier l’octroi d’une ordonnance de la « dernière chance »; le premier locataire avait vu ses prestations de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (CSST) diminuer de 50 %; le second, « parti en affaires avec un ami », rencontrait des « difficultés passagères », mais il avait le « sens de l’entrepreneuriat […] une compétence rare au Québec »[193].

IV. L’absence des locataires et des avocats aux audiences

La présence des locataires ou de leurs représentants semble donc avoir un impact important sur l’issue du différend, à tout le moins dans les rares cas où les magistrats disposent d’un certain pouvoir discrétionnaire. Or, nos résultats de recherche révèlent que les locataires ne sont qu’exceptionnellement présents et encore plus exceptionnellement représentés. Au regard de l’enjeu du contentieux, soit l’expulsion d’un logement, comment expliquer ce taux extrêmement bas de participation? Notre hypothèse est que cet « absentéisme » trouve une partie de son explication dans les limites juridiques — réelles ou supposées — de l’impact du témoignage à l’audience (A) ou de la plaidoirie des avocats à l’audience (B) sur l’issue du différend. L’absence des locataires comme de leurs représentants éventuels révélerait ainsi une forme de « non-recours » au tribunal[194], subi ou stratégique[195], mais dans tous les cas « une illustration d’un repli commandé par un déni de confiance »[196] dans les occasions offertes par l’action judiciaire.

A.  L’absence des locataires aux audiences

Il n’existe, à notre connaissance, aucune statistique officielle au Québec sur la présence des parties aux audiences[197]. À l’instar de toutes les études réalisées à l’étranger que nous avons consultées, nos résultats de recherche nous portent à croire que les locataires ne considèrent pas le tribunal comme un moyen utile pour faire valoir leurs droits en cas de non-paiement. Sur les 240 jugements pour non-paiement et retards fréquents analysés dans le cadre de cette recherche, les locataires étaient absents dans près de 68 % des cas (163/240)[198]. C’est beaucoup plus que les données recueillies par Claude Thomasset en 1987 — mais dont les 150 observations ne portaient pas exclusivement sur le non-paiement —, qui estimait que les locataires étaient absents (et non représentés) dans 19,6 % des cas.

 

Absence des locataires aux audiences
  Jugements
Non-paiement 82/120 (68,3 %)
Retards fréquents (E1) 81/120 (67,5 %)
Total 163/240 (67,9 %)

240 jugements analysés

Comme nous l’avons vu, nos résultats sont en revanche très proches des chiffres avancés par le Protecteur du Citoyen. En 2010, celui-ci affirmait que « [e]n pratique, l’une des parties est absente dans plus de 70 % des cas »[199]. Nos données ne sont pas très éloignées de celles produites et publiées en 2002 par la Société canadienne d’hypothèques et de logement (SCHL), qui estimait que les locataires étaient absents dans 80 à 90 % des cas[200].

Le droit, la procédure et le contexte social sont évidemment distincts, mais les études disponibles à l’étranger constatent le même phénomène : dans l’immense majorité des cas, les locataires poursuivis en non-paiement sont absents lors des audiences[201]. À titre d’exemple, une récente étude réalisée en France, où le cadre légal semble pourtant plus protecteur et donc davantage sujet à controverse, démontre que l’absentéisme à l’audience est considérable : « [e]n effet, le taux de décisions contradictoires au plan national ne dépasse pas 37,5 % en 2012 et a baissé de 1,2 point en six ans, avec de fortes variations selon les territoires, allant de moins de 25 % à plus de 50 % »[202]. Une étude réalisée en 2003 en Australie relève quant à elle que les locataires n’étaient présents que dans 25 % des cas[203]. Or, malgré les enjeux, notamment d’équi-té, de respect du principe du contradictoire et de crédibilité du système judiciaire, les explications concernant ce taux d’absentéisme et ses effets sont très rares. C’est notamment, note Matthew Desmond, qu’il est très difficile d’entrer en contact avec les « absentéistes »[204].

En ce qui a trait aux effets, nous avons déjà relevé que l’absence des locataires semble avoir un impact important sur l’issue du différend, puisque les magistrats n’accordent qu’exceptionnellement des délais (quand ils le peuvent) lorsque les locataires ne se présentent pas aux audiences. Le même phénomène[205] est constaté en France, même si les magistrats ne s’entendent pas sur les conclusions juridiques à tirer de la présence ou l’absence des locataires[206]. Conscientes de l’impact de la présence des locataires sur l’issue du différend, certaines administrations judiciaires françaises ont toutefois mis en place des politiques proactives afin de favoriser la présence des locataires[207].

Parmi les explications avancées pour tenter de comprendre l’absence des locataires, l’étude française précédemment mentionnée discute de « procédures subies » : les locataires concernés seraient « démobilisés » et « [c]ette participation limitée refléterait impuissance et désespoir, épuisement face aux défis et démoralisation face à la pauvreté »[208]. Une récente étude australienne soutient que dans certains cas, les locataires n’ont pas reçu la convocation ou ne la comprennent pas, en raison de problèmes d’alphabétisation ou parce que la lettre n’est pas rédigée dans leur langue maternelle. Selon cette étude, les locataires seraient parfois dispute shy en ce sens qu’ils préfèreraient quitter leur logement plutôt que d’être confrontés à leurs locateurs au tribunal : 70 % des locataires auraient quitté leur logement avant même d’avoir reçu un avis d’expulsion. Elle évoque enfin l’isolement des locataires qui ne bénéficient pas ou de peu de services ou d’informations[209]. Matthew Desmond nuance quant à lui ces différentes explications :

In legal studies, there is an established tradition of in-court surveys, including those of housing courts. One limitation of these studies, however, is that tenants who do not appear in court are not interviewed. This raises the question, Are tenants who appear in court different from those who default? Somewhat surprisingly, there is little evidence of this. One study has shown that one’s distance from court and the presence of legal counsel for property owners do not explain why tenants default. Additionally, the study produced mixed evidence that neighborhood-level poverty affects the likelihood of defaulting and offered no support for the hypothesis that “psychological costs” involved in managing stigma discourage tenants from appearing in court. With respect to legal consciousness and competence, another study of housing court “generated no clear basis for speculating that the no-shows had a greater or poorer awareness of the law’s provisions than those tenants who did appear.” Although tenants accused of nonpayment appear more likely to default, 92% of tenants interviewed for the Milwaukee Eviction Court Study had missed rent payments. And although tenants with counsel are more likely to appear in court, the vast majority of tenants who show up at court are unrepresented. These considerations notwithstanding, that tenants who did not appear in court eluded the scope of this survey remains an important limitation to bear in mind [notes omises][210].

Ainsi, selon l’auteur, il n’est pas établi que l’absence des locataires aux audiences soit liée à un manque d’information juridique. Et sur ce point, nous avons consulté divers intervenants de comités logement[211] qui nous ont expliqué que les locataires poursuivis en non-paiement se déplaçaient relativement peu dans les comités pour se renseigner sur leurs droits[212] et souvent très tardivement[213]. Quand ils le font, les intervenants affirment, dans l’immense majorité des cas, n’avoir d’autres solutions que de leur conseiller de payer « avant jugement » ou de commencer à chercher un autre logement :

Le grand défi c’est que les gens n’ont généralement pas l’argent en main, mais si on regarde avec eux les montants qu’il faut payer avec les revenus qu’ils attendent, ou l’argent qu’ils pourraient emprunter, on arrive à éviter l’éviction. Des fois on prépare un document qui indique que la personne aura les montants à telle date (le 1, le 20) […] Des fois on suggère aux gens qui n’auront pas le plein montant de tenter de négocier un désistement avec un bon dépôt et un calendrier de paiements qu’on aide à rédiger. On avertit les gens qui n’auront pas le plein montant que le fait de manquer 50 [$] sur une dette de 2000 [$] entraînera quand même l’évic-tion[214].

Nous l’avons vu, les locataires ont très peu de moyens juridiques pour éviter l’expulsion ou pour obtenir des délais[215]. Si l’on considère que les locataires sont au moins partiellement au courant de leurs droits et obligations[216], que la Régie est relativement éloignée de chez eux ou de leurs lieux de travail, qu’ils sont susceptibles de travailler lors de la journée d’audience, qu’ils doivent commencer à chercher un autre logement, le déplacement à l’audience peut être considéré comme secondaire : « le jeu n’en [vaudrait] pas la chandelle » pour reprendre la formule de Philippe Warin[217]. Le « non-recours » au tribunal serait ainsi, pour partie, délibéré[218]. C’est notamment l’hypothèse défendue par Barbara Bezdek qui a mené une vaste étude de terrain dans un housing court de Baltimore en 1992 :

[W]e can rationally support a theory of calculated no-showing. This might be analyzed as a form of empowered “speech”, expressing a consciousness of resistance by overtly rejecting a mythology of rights[219].

Si cette corrélation entre la connaissance des chances de succès et la participation aux audiences venait à être vérifiée, l’absentéisme aux audiences ne pourrait plus s’expliquer par la « démobilisation », la désinformation, la pauvreté ou encore par des questions d’ordre psychologique[220]. Il conviendrait alors de prendre en compte l’éventuel calcul des locataires pour qui le déplacement au tribunal peut constituer une pure perte de temps et/ou d’argent. Et dans cette perspective, c’est bien davantage le fonctionnement de la justice locative que l’information, la formation ou le comportement des locataires qu’il conviendrait de questionner.

B.  L’absence de représentation par avocat

La question de la représentation des locataires en matière d’expulsion a déjà fait l’objet de nombreuses études à l’étranger. Au Québec, on peut mentionner l’étude de Claude Thomasset qui estimait en 1987 que les locataires étaient représentés dans 16,1 % des cas par avocat[221]. Nos résultats, centrés sur les arriérés de loyers, révèlent un taux de représentation beaucoup plus faible. Ils se rapprochent davantage des résultats obtenus aux États-Unis, notamment. Les locataires ne sont presque jamais représentés par avocat (3,2 % des cas) dans les différends portant sur des arriérés de loyer.

 

Représentations par avocats des locataires
    Avocats
Non-paiement
  Jugements 0/120
  Observations 2/36
Retards fréquents
  Jugements (É1) 6/120
  Jugements (É2) 5/120
  Observations 1/32
Total   14/428
Pourcentage   3,2 %

 

Ces résultats restent à expliquer puisqu’au Québec, les locataires qui font l’objet d’une demande d’expulsion peuvent avoir droit à l’aide juridique, et partant, à la représentation. Même si les causes en non-paiement ne sont pas explicitement couvertes par la Loi sur l’aide juridique, la Commission des services juridiques (CSJ) a déjà admis que les locataires qui font l’objet d’une demande d’expulsion peuvent être représentés en vertu de l’article 4.7(9)[222]. Cet article donne droit à l’aide juridique quand l’affaire met en cause la sécurité physique, psychologique ou encore les besoins essentiels du demandeur, notamment. La CSJ, qui administre l’aide juridique, a ainsi reçu 7 462 demandes d’aides juridiques en matière de logement en 2014–2015 (soit pour un peu plus de 10 % des 69 821 demandes déposées à la Régie pour cette année) et 2 060 de ces demandes ont été refusées (soit 27 %)[223].

Compte tenu de ce droit à l’aide juridique, comment expliquer que le taux de représentation soit si faible en matière de non-paiement? Les locataires visés sont-ils trop riches pour bénéficier de l’aide juridique? Est-ce simplement qu’ils ne consultent pas les services de l’aide juridique ou qu’ils le font trop tard? Est-ce parce que les avocats considèrent également ces recours inutiles? Les montants de l’aide juridique sont-ils trop faibles pour assurer une défense pleine et entière compte tenu de la charge de travail que ces dossiers peuvent représenter[224]? Est-ce parce que les bureaux d’aide juridique « fragmentent » l’aide offerte, comme dans certains États des États-Unis[225], et qu’ils ne font que donner des conseils juridiques sans assurer la représentation à l’audience? Nous ne disposons là encore d’aucune information nous permettant de répondre à ces questions.

Parmi les pistes de réflexion, on relèvera que malgré les dispositions de l’article 4.7(9), la CSJ peut notamment refuser l’aide quand « cette affaire ou ce recours a manifestement très peu de chance de succès »[226]. La jurisprudence du comité de révision chargé d’examiner les contestations de refus d’aide juridique permet de confirmer qu’effectivement, en matière d’expulsion, l’aide juridique n’est pas un droit absolu[227]. À titre d’exemple, dans une affaire en 2013, une locataire qui percevait des prestations d’aide financière de dernier recours s’est vue refuser l’aide juridique dans le cadre d’une demande d’expulsion pour non-paiement, compte tenu du fait que ses moyens de défense avaient très peu de chances de succès[228]. D’un point de vue purement statistique, au regard des « chances de succès » d’un locataire poursuivi pour des arriérés de loyer, la décision de la CSJ peut paraître logique même si une telle interprétation vide de tout son sens l’article 4.7(9) de la Loi sur l’aide juridique.

Si une telle explication venait à être confirmée, la représentation par avocat ne serait donc pas exclusivement liée à « la capacité de payer » des justiciables ou aux critères d’admissibilité économique à l’aide juridique, comme l’ont montré Emmanuelle Bernheim et Richard-Alexandre Laniel[229]. En effet, la représentation par avocat serait peut-être le résultat d’un choix administratif qui — et peut-être davantage en contexte locatif — vise à restreindre l’accès à un service public pour ce contentieux de masse. Concrètement, en substituant le droit à une défense pleine et entière par les « chances de succès » du recours, l’administration de l’aide juridique exclurait l’un des principaux contentieux au Québec de son champ de protection. Ce choix administratif permettrait, certes, de faire des économies substantielles sur le budget de l’aide juridique, mais il restreindrait fortement la notion de service public et de droit à la représentation par avocat, tout en excluant du champ de l’analyse comptable les conséquences potentiellement très coûteuses pour les fonds publics d’une expulsion — légalement justifiée ou non — en termes de soins de santé ou de relogement, par exemple.

Bien que le droit et les contextes sociaux soient bien différents[230], les études réalisées aux États-Unis peuvent constituer des points d’appui précieux pour interroger le cas québécois[231]. Or, ces études sont unanimes sur l’existence de liens étroits entre la représentation juridique et la réalisation du droit au logement[232], notamment parce que ceux qui sont représentés ont nettement plus de chance d’obtenir des délais et moins de chances d’être expulsés[233] (plus de trois fois moins, selon une étude[234]). Dans le même sens, selon une étude réalisée récemment à Boston, les locataires pleinement représentés à toutes les étapes de la procédure — conseils, assignation, représentation — ont deux chances sur trois de ne pas être expulsés contre une chance sur trois pour ceux qui ne le sont que partiellement[235].

Conclusion

Le contentieux locatif pour arriérés de loyer se présente comme un « contentieux de masse » et « sans espoir »[236] pour les locataires mais aussi, dans certains cas du moins, pour l’administration publique responsable de l’aide juridique. À l’exception de l’« ordonnance de la dernière chance » en matière de « retards fréquents », le droit et la procédure actuellement en vigueur n’accordent aucun pouvoir aux magistrats pour tenir compte de la situation financière des locataires et des conséquences sociales des expulsions. Cette absence de discrétion permet d’expliquer le prononcé quasi automatique de la résiliation et de l’expulsion, dans des délais extrêmement courts, sans qu’il ne soit jamais tenu compte de la proportionnalité de la mesure[237].

Suivant une logique strictement économiciste, Étienne Wasmer peut ainsi vanter l’efficacité et la rapidité de la procédure au Québec, qui permettrait d’éliminer les intermédiaires, comme les agences immobilières, et donc de réduire les coûts de transaction[238]. Dans le même sens, l’absen-téisme considérable des locataires et le caractère exceptionnel de la représentation par avocat auraient l’avantage de réduire les délais accordés, les frais des propriétaires et par voie de conséquence, les loyers, selon certains juristes[239]. Suivant une tout autre logique, le Directeur de la santé publique de Montréal soulignait en 2015 que « les écarts entre les propriétaires et les locataires se creusent depuis le milieu des années 1980 »[240] et que le prix des loyers augmente plus vite que l’inflation, et ce malgré les indices publiés par la Régie[241]. Or, on peut penser que le contentieux de masse de l’expulsion est précisément révélateur de l’incapacité de dizaines, voire de centaines de milliers de locataires, dont plus du tiers (37 %) vit sous le seuil de faible revenu[242], à s’acquitter de leurs loyers.

Si un tribunal composé de 40 régisseurs et 8 greffiers spéciaux n’apparaît clairement pas comme le meilleur endroit pour régler la question de la pauvreté, il est cependant le lieu d’une confrontation sur le logement entre propriétaires et locataires[243]. D’où l’importance d’interroger le peu de discrétion accordée aux magistrats en matière d’arriérés de loyers pour tenir compte tout à la fois de la situation financière des locataires, des conséquences sociales de l’expulsion ou encore, de la salubrité des logements, afin peut-être de restaurer la confiance des citoyens dans le système judiciaire[244].

En ce sens, des alternatives existent. Rappelons que la Cour européenne des droits de l’homme impose aux États parties d’adopter des procédures permettant d’évaluer la proportionnalité de la mesure d’éviction[245]. En France[246], par exemple, un rapport d’enquête — « un diagnostic social et financier »[247] réalisé par un travailleur social — doit être transmis aux magistrats avant l’audience afin qu’ils puissent vérifier si le locataire est en situation de régler sa dette locative, et fixer un échéancier viable. Lors de l’audience, le magistrat peut, même d’office, accorder des délais de paiement pour un délai de 24 mois maximum[248]. Environ 40 % des demandes d’expulsion sont accompagnées de tels délais[249]. Et si cette procédure ne peut être considérée comme un modèle tant sur le fond[250] que sur le plan de sa mise en œuvre[251], elle semble cependant plus conforme aux obligations fixées par le Pacte international des droits économiques sociaux et culturels ratifié par le Canada et signé par le Québec[252]. Parmi ces obligations se trouve celle d’adopter des mesures préventives à l’expulsion, celle de « donner des renseignements détaillés sur les groupes qui, dans [la] société, sont vulnérables et désavantagés en ce qui concerne le logement », celle de respecter le principe « de la capacité de paiement »[253] ou encore celle d’adopter des dispositifs d’assistance « afin de corriger le rapport de force déséquilibré qui est omniprésent dans les conflits fonciers et [qui] entrave l’accès à la justice »[254]. Ce sont précisément ces obligations que le Comité des droits économiques, sociaux et culturels de l’ONU a souhaité rappeler, en mars 2016, alors qu’il se déclarait fortement préoccupé par la « crise du logement » au Canada[255].

                       

[1]     HCDH, Comité des droits économiques, sociaux et culturels, Observations finales concernant le sixième rapport périodique du Canada, Doc NU E/C.12/CAN/CO/6, 4 mars 2016 aux para 40(c)-(d), en ligne : <documents-dds-ny.un.org/doc/UNDOC/GEN/
G16/062/38/PDF/G1606238.pdf?OpenElement> [HCDH, Observations finales].

[2]     Le non-paiement représentait 60 % du contentieux en 2014–2015. En 1981 déjà, il y eut 80 904 demandes. La résiliation du bail pour le défaut du locataire de payer son loyer ou parce que ce dernier a fait défaut d’exécuter une obligation représentait environ 45 % des demandes. Voir Louise Thibault-Robert, « La Régie québécoise du logement » (1982) 13 RGD 285 aux pp 291-92.

[3]     En Ontario par exemple, où le nombre de ménages locataires est approximativement le même qu’au Québec (1.3 million, comparativement à 1.25 million au Québec), la Commission de la location immobilière a été saisie en 2013–2014 de 81 748 demandes. Parmi ces demandes, 64,6 % portait sur le non-paiement et l’expulsion (environ 52 800 demandes). Voir Tribunaux de justice sociale Ontario, Rapport annuel 2013-2014, Toronto, TJSO, 2014 aux pp 35–36, en ligne : <www.sjto.gov.on.ca/documents/tjso/Rapport%
20annuel%202013-2014.pdf>. À titre de comparaison du nombre de ménages locataires, voir Statistique Canada, Recensement du Canada de 2006 : Tableaux thématiques, no de catalogue 97-554-XCB2006026, Ottawa, 12 septembre 2007, en ligne : <www12.
statcan.gc.ca/census-recensement/2006/dp-pd/tbt/Rp-fra.cfm?LANG=F&APATH=3&
DETAIL=0&DIM=0&FL=A&FREE=0&GC=0&GID=0&GK=0&GRP=1&PID=93624&PRID=0&PTYPE=88971,97154&S=0&SHOWALL=0&SUB=696&Temporal=2006&THEME=69&VID=0&VNAMEE=&VNAMEF=>.

[4]     Le nombre de ménages locataires est de 1,3 million, contre 2,1 millions de propriétaires : Société d’habitation du Québec (SHQ), L’habitation en bref 2015, Gouvernement du Québec, 2016, en ligne : <www.habitation.gouv.qc.ca/fileadmin/internet/publications/
0000024027.pdf> [SHQ, L’habitation en bref].

[5]     Cour supérieure du Québec, Rapport d’activités 2010-2014 : une cour au service des citoyens, Montréal, Bureau du juge en chef de la Cour supérieure du Québec, 2015 à la p 10, en ligne : <www.tribunaux.qc.ca/c-superieure/RapportActivites_juillet_2015.pdf>. Toujours à titre de comparaison, la Commission des normes du travail reçoit environ 30 000 plaintes : Rapport annuel de gestion de la Commission des normes du travail, 2014-2015, Québec, Publications du Québec (DATE) à la p 4, en ligne : <www.cnt.gouv.
qc.ca/fileadmin/pdf/publications/c_0296.pdf>. En fait, seul le contentieux pénal et criminel devant la Cour du Québec semble supérieur, avec environ 275 000 dossiers par an : Cour du Québec, « À propos de la Cour du Québec : Activités judiciaires », en ligne : <www.tribunaux.qc.ca/c-quebec/A_propos_Cour/fs_activite.html> (consulté le 25 août 2016).

[6]     À notre connaissance, au Québec, la seule étude disponible portant spécifiquement sur le sujet est celle de la Société canadienne d’hypothèques et de logement, Le non-paiement de loyer et la santé du secteur locatif au Québec, par François Des Rosiers, Ottawa, SHCL, 2003, en ligne : <publications.gc.ca/collections/collection_2011/schl-cmhc/nh18-1-2/NH18-1-2-40-2003-fra.pdf> [Des Rosiers]. On peut également renvoyer au sixième chapitre de l’ouvrage de François Saillant, La Régie du logement après 25 ans : Un chien de garde efficace?, Montréal, Groupe d’études et d’actions urbaines, 2006.

[7]     Voir Thérèse Rousseau-Houle, Précis du droit de la vente et du louage, Québec, Presses de l’Université Laval, 1978; Claude Thomasset, La Régie du logement à découvert, Montréal, Éditions Louise Courteau, 1987; Pierre-Gabriel Jobin, Le louage, 2e éd, Cowansville (Qc), Éditions Yvon Blais, 1996; Suzanne Guévremont, « Les règles particulières au bail d’un logement » dans Le louage, Collection de droit 2014-2015, vol 5, École du Barreau du Québec, Cowansville (Qc), Éditions Yvon Blais, 2015; Jennifer Memmi, « Régie du logement : Compétence, preuve, procédure et sanctions (infractions pénales) » dans Pierre Lafond, dir, Contrats nommés I, JurisClasseur Québec, coll « Droit civil », Montréal, LexisNexis, 2014, fasc 32; Jacques Deslauriers, Vente, louage, contrat d’entreprise ou de service, 2e éd, Montréal, Wilson & Lafleur, 2013; Maroine Bendaoud, « Le droit au logement tel que vu par le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels : sa mise en œuvre québécoise est-elle conforme? » (2010) 23:2 RQDI 51 aux pp 69-70, 79-80, 120; Denis Lamy, L’appel à la Cour du Québec d’une décision de la Régie du logement, Montréal, Wilson & Lafleur, 2010 [Lamy, L’appel]; Denis Lamy, Le bail résidentiel, la Charte québécoise et les dommages exemplaires, Montréal, Wilson & Lafleur, 2008; Denis Lamy, Le harcèlement entre locataires et propriétaires, Montréal, Wilson & Lafleur, 2004; Pierre Gagnon, Louer un logement, Cowansville (Qc), Yvon Blais, 2009 [Gagnon, Louer]. Il convient également de mentionner les précieux travaux historiques de Daniel Massicotte, « Stratification sociale et différenciation spatiale en milieu urbain pré-industriel : le cas des locataires montréalais, 1731-1741 » (1990) 44:1 R d’histoire de l’Amérique française 61; Daniel Massicotte, « Droit des contrats et pratiques contractuelles en droit romain et dans la coutume de Paris : aspects juridiques de la location immobilière à Montréal aux XVIIIe et XIXe siècles » (1996) 37:4 C de D 1053 aux pp 1065-66.

[8]     En Ontario, on peut mentionner deux importantes études — davantage sociologiques —, soit celle de Linda Lapointe en 2004 et celle de Lynn McDonald en 2011 : Ontario, City of Toronto Shelter, Housing and Support Division, Community and Neighbourhood Services Department, Analysis of Evictions Under the Tenant Protection Act in the City of Toronto: Overall Rental Housing Market, par Linda Lapointe en collaboration avec Sylvia Novac et Marion Steele, Toronto, 2004, en ligne : <www.urbancentre.
utoronto.ca/pdfs/elibrary/Toronto_Rental-Housing-Evic.pdf> [Lapointe et al]8ote 78;  et al 2004, nisation, ; Lynn McDonald, « Examining Evictions Through a Life-Course Lens » (2011) 37 Analyse de pol 115. Sinon, c’est davantage la question des sans-abris, suite à l’affaire Tanudjadja qui semble avoir fait l’objet de recherches juridiques, notamment en droit constitutionnel : Tanudjaja v Canada (PG), 2014 ONCA 852, 123 OR (3d) 161. La mort récente d’une personne âgée de quatre-vingt-deux ans et expulsée de son logement a également conduit les autorités à mener une étude sur les mécanismes préventifs aux expulsions, dans les logements sociaux : Toronto Housing Community Corporation, Report on the Eviction of Al Gosling and the Eviction Prevention Policy of Toronto Community Housing Corporation, par l’honorable Patrick J Lesage, Toronto, TCHC, 2010. Pour d’autres discussions du contexte ontarien, voir Elinor Mahoney, « The Ontario Tenant Protection Act: A Trust Betrayed » (2001) 16 JL & Soc Pol’y 261; Katherine Laird, « Re-Constructing the Work of the Ontario Rental Housing Tribunal: First Steps to a Fairer Process » (2002) 17 JL Soc Pol’y 115; Paul Stuart Rapsey, « See No Evil, Hear No Evil, Remedy No Evil: How the Ontario Rental Housing Tribunal is Failing to Protect the Most Fundamental Rights of Residential Tenants » (2000) 15 JL Soc Pol’y 163. La loi applicable en Ontario est la suivante : Location à usage d’habitation (Loi de 2006 sur la), LO 2006, c 17, arts 59–60. En Colombie-Britannique le phénomène des « rénovictions » semble avoir suscité une importante mobilisation lors des grands travaux pour les Jeux olympiques. Voir Sophy Chan, Unveiling the Olympic Kidnapping Act: Examining Public Policy and Homelessness in the 2010 Vancouver Olympic Games, mémoire de MA, University of Western Ontario, 2014 [non publiée], en ligne : <ir.lib.uwo.
ca/etd/2195/>. Voir également Residential Tenancy Act, SBC 2002, c 78, art 46 (paiement en retard) et 47 (retards fréquents). Pour une discussion du contexte canadien, voir Martha Jackman et Bruce Porter, « Rights-Based Strategies to Address Homelessness and Poverty in Canada: The Charter Framework » dans Martha Jackman et Bruce Porter, dir, Advancing Social Rights in Canada, Toronto, Irwin Law, 2014, 65. Pour une étude de terrain transversale, portant notamment sur les enjeux et les conséquences des expulsions dans trois villes canadiennes (Vancouver, Ottawa, Halifax), voir Policy Discussion Paper on Eviction and Homelessness: Stakeholder Perspectives on a Role for Human Resources & Social Development Canada, par Acacia Consulting & Research, Ottawa, Canada (30 novembre 2006), en ligne : <homelesshub.ca/sites/default/files/
policy_discussion_paper_on_eviction_and_homlessness.pdf>.

[9]     Pour la bibliographie et les travaux récents sur les expulsions, voir en particulier Virginie Donier, « Expulsion locative, droit au logement et référé-liberté : réflexions sur quelques incohérences — Note sous CE, ordonnance, 5 novembre 2014, Mme C, no 385431 » (2015) RD sanitaire et social 170; Pascal Combeau, « L’administration face aux expulsions locatives : à la recherche d’un nouvel équilibre entre répression et prévention » (2012) 35 Actu jur dr admin 1939. On doit également mentionner une importante étude de terrain réalisée par Jean-Gabriel Contamin, « L’exemple du contentieux en matière de logement » dans Jean-Gabriel Contamin et al, dir, Le recours à la justice administrative : Pratiques des usagers et usages des institutions, La Documentation française, 2008, 115.

[10]         Loi no 2007-290 du 5 mars 2007 instituant le droit au logement opposable et portant diverses mesures en faveur de la cohésion sociale, JO, 6 mars 2007, 4190. Voir aussi France, Sénat, Commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois sur l’application de la loi no 2007-290 du 5 mars 2007, Le droit au logement opposable à l’épreuve des faits, par Claude Dilain et Gérard Roche, rapport no 621 (27 juin 2012); France, CE, Rapport public 2009 : Droit au logement, droit du logement, Paris, La Documentation française, 2009, en ligne : <www.ladocumentationfrancaise.fr/var/storage/
rapports-publics/094000298.pdf>.

[11]         Voir France, Secrétariat général pour la modernisation de l’action publique, Évaluation de la prévention des expulsions locatives, Paris, 2014, en ligne : <www.modernisation.
gouv.fr/sites/default/files/epp/epp_prevention-des-expulsions-locatives_rapport.pdf> [Secrétariat pour la modernisation]. Il est à noter que ce rapport s’inscrit dans une mission interinspection qui regroupe le Conseil général de l’environnement du développement durable (rapport no 009381-01), l’Inspection générale des affaires sociales (rapport no 2013-181R), l’Inspection générale des services judiciaires (rapport no 36-14) et l’Inspection générale de l’administration (rapport no 14-059/13-132b/01).

[12]         Voir par ex Anthony J Fusco Jr, Nancy B Collins et Julian R Birnbaum, « Chicago’s Eviction Court: A Tenants’ Court of No Resort » (1979) 17 Urb L Ann 93; Barbara Bezdek, « Silence in the Court: Participation and Subordination of Poor Tenants’ Voices in Legal Process » (1992) 20:3 Hofstra L Rev 533; Steven Gunn, « Eviction Defense for Poor Tenants: Costly Compassion or Justice Served? » (1995) 13:2 Yale L & Pol’y Rev 385; David L Eldridge, « The Construction of a Courtroom: The Judicial System and Autopoiesis » (2002) 38:3 J Applied Behavioral Science 298; Erik Larson, « Case Characteristics and Defendant Tenant Default in a Housing Court » (2006) 3:1 J Empirical Leg Stud 121. On peut également mentionner une importante recherche en Angleterre : Caroline Hunter, Judy Nixon et Sarah Blandy, « Researching the Judiciary: Exploring the Invisible in Judicial Decision Making » (2008) 35 JL & Soc’y 76. Voir aussi une étude qui date un peu, mais est néanmoins très complète : Chester Hartman et David Robinson, « Evictions: The Hidden Housing Problem » (2003) 14:4 Housing Pol’y Debate 461. Voir aussi Boston Bar Association, The Importance of Representation in Eviction Cases and Homelessness Prevention: A Report on the BBA Civil Right to Counsel Housing Pilots, Boston, Boston Bar Association Task Force on the Civil Right to Counsel, 2012 à la p 3, en ligne : <www.bostonbar.org/docs/default-document-library/bba-crtc-final-3-1-12.pdf>.

[13]         Voir Steven T Hasty, « Protecting Tenants at Foreclosure by Funding Needed Repairs » (2012) 20:2 JL & Pol’y 581; Elan Stavros Nichols, « Unanswered Questions Under the PTFA: Exploring the Extent of Tenant Protections in Foreclosed Properties » (2011) 20:2 J Affordable Housing & Community Dev L 153; Creola Johnson, « Fakers, Breachers, Slackers, and Deceivers: Opportunistic Actors During the Foreclosure Crisis Deserve Criminal Sanctions » (2012) 40:4 Capital UL Rev 853; Eloisa Rodriguez-Dod, « Stop Shutting the Door on Renters: Protecting Tenants from Foreclosure Evictions » (2010) 20:2 Cornell JL & Pub Pol’y 243 à la p 247.

[14]         Voir Matthew Desmond et Monica Bell, « Housing, Poverty, and the Law » (2015) 11 Annual Rev L & Social Science 15 à la p 16 ([t]hese days, it is rare to see an article on housing in the leading law reviews or legal studies journals. This was not so in the 1960s and 1970s, when top journals regularly published groundbreaking work on landlord-tenant law geared toward the “slum dweller”).

[15]         Matthew Desmond, « Eviction and the Reproduction of Urban Poverty » (2012) 18:1 American J Sociology 88 à la p 90 [Desmond, « Eviction »]. Pour une analyse approfondie sur les causes et les conséquences des expulsions aux États-Unis, nous renvoyons aux différents travaux de cet auteur, et notamment à Matthew Desmond, Evicted: Poverty and Profit in the American City, New York, Crown, 2016.

[16]         Voir les procédures spéciales de 2006, 2009 et 2016 : NUCES, Comité des droits économiques, sociaux et culturels, Examen des rapports présentés par les États parties conformément aux articles 16 et 17 du Pacte : Observations finales — Canada, 36e sess, Doc NU E/C.12/CAN/CO/4, 22 mai 2006 au para 29 [NUCES, Examen]; Miloon Kothari, Rapport du Rapporteur spécial sur le logement convenable en tant qu’élément du droit à un niveau de vie suffisant ainsi que sur le droit à la non-discrimination à cet égard : Mission au Canada, Doc off AG NU, 10e sess, add, Doc NU A/HRC/10/7/Add.3 (17 février 2009) à la p 20; NUCES, Comité des droits économiques, sociaux et culturels, Observations finales concernant le sixième rapport périodique du Canada, 57e sess, Doc NU E/C.12/CAN/CO/6, 23 mars 2016.

[17]         Voir Raquel Rolnik, Rapport de la Rapporteure spéciale sur le logement convenable en tant qu’élément du droit à un niveau de vie suffisant ainsi que sur le droit à la non-discrimination dans ce domaine, Doc off AG NU, 25e sess, Doc NU A/HRC/25/54 (30 décembre 2013).

[18]         Voir Front d’action populaire en réaménagement urbain, Femmes, logement et pauvreté, Montréal, 2015, en ligne : <www.frapru.qc.ca/wp-content/uploads/2015/03/Femmes-logement-et-pauvrete.pdf> [FRAPRU 2015]; Front d’action populaire en réaménagement urbain, Femmes, logement et pauvreté : Sortir du privé, un enjeu de société!, Montréal, 2010, en ligne : <www.frapru.qc.ca/wp-content/uploads/2013/11/FRAPRU_
femmes_2010_v_web.pdf> [FRAPRU 2010].

[19]         Voir Front d’action populaire en réaménagement urbain, Immigration et logement au Québec : Mythes et réalités, Montréal, 2012 aux pp 3, 10–11, en ligne : <www.frapru.qc.
ca/wp-content/uploads/2013/11/Document_Immmigration_et_logement.pdf> [FRAPRU, Immigration].

[20]         Voir les nombreux rapports du Front d’action populaire en réaménagement urbain, disponibles en ligne : <www.frapru.qc.ca>.

[21]         Voir Collectif Pro Bono UQAM, L’organisation d’une justice à deux vitesses : La catégorisation et la hiérarchisation des causes mises au rôle à la Régie du logement, Montréal, UQAM, 2015, en ligne : <socialtravail.uqam.ca/files/2015/06/rapport_regie_
OnlineReader_150Dpi.pdf>.

[22]         Voir notamment les recherches et les revendications du RCLALQ, en ligne : <www.
rclalq.qc.ca>.

[23]         Voir les revendications de la Corporation des propriétaires immobiliers du Québec, (CORPIQ) sur leur site internet : <www.corpiq.com/index_fr.php>. Voir notamment CORPIQ, communiqué, « La CORPIQ dénonce le recul que constitue le projet de loi 28 » (31 janvier 2014), en ligne : <www.corpiq.com/fr/nouvelles/612-la-corpiq-denonce-le-recul-que-constitue-le-projet-de-loi-28.html>.

[24]         Association des Propriétaires du Québec (APQ), « Revendications 2014 », en ligne : <www.apq.org/revendications-2014.aspx>. Voir également CORPIQ, communiqué, « Les bas taux d’ajustement de loyer sont le principal frein à la rénovation, selon les propriétaires » (4 avril 2016), en ligne : <www.corpiq.com/fr/nouvelles/408-les-bas-taux-dajustement-de-loyer-sont-le-principal-frein-a-la-renovation-selon-les-proprietaires.
html?recherche=&page=5&pageRetour=00_100>.

[25]         APQ, communiqué, « L’association des propriétaires du Québec déclare la guerre aux mauvais payeurs : Avis de recherche sur Facebook » (12 décembre 2014), en ligne : <www.apq.org/lassociation-des-propri%C3%A9taires-du-qu%C3%A9bec-apq-d%C3%
A9clare-la-guerre-aux-mauvais-payeurs–avis-de-recherche-sur-facebook.aspx>.

[26]         Voir APQ, communiqué (pétition), « Il faut une nouvelle Loi » (2015), en ligne : <www.
apq.org/p%C3%A9tition-en-ligne.aspx>. Voir aussi APQ, communiqué, « L’Association des Propriétaires du Québec (APQ) se réjouit des modifications adoptées à l’article 692 du Projet de loi 28 instituant le nouveau Code de procédure civile, le 31 janvier dernier » (4 février 2014), en ligne : <www.apq.org/lassociation-des-propri%C3%A9taires-du-qu%C3%A9bec-apq-se-r%C3%A9jouit-des-modifications-adopt%C3%A9es-%C3%A0-larticle-692-du-projet-de-loi-28-instituant-le-nouveau-code-de-proc%C3%A9dure-civile-le-31-janvier-dernier.aspx>; APQ, communiqué, « Revendications 2015 : 17 Septembre 2015 – Régie du logement : le Protecteur du Citoyen recommande les revendications de l’APQ », en ligne : <www.apq.org/revendications-2015.aspx>.

[27]         Martin Gallié, « Le droit et la procédure de l’expulsion pour des arriérés de loyers : le contentieux devant la Régie du logement », Regroupement des comités logement et associations de locataires du Québec et Service aux collectivités de l’UQAM, Montréal, avril 2016, en ligne : <rclalq.qc.ca/wp-content/uploads/2016/05/LE-DROIT-ET-LA-PROC%C3%89DURE_rev.pdf> [Gallié, « Le droit et la procédure »].

[28]    Nous avons utilisé les mots clefs suivants : « expulsion », « 1971 », « retard », « trois semaines » et « NON fréquemment ». Afin d’éviter de tomber sur des jugements rendus par les mêmes régisseurs ou greffiers spéciaux, nous avons sélectionné vingt cas au hasard par mois, un mois sur deux, entre avril 2014 à mars 2015. Les décisions rectifiées n’ont pas été considérées.

[29]    Nous avons utilisé les mots clefs suivants : « expulsion », « 1971 » et « fréquemment ». Là encore, pour éviter de tomber sur des jugements rendus par les mêmes régisseurs ou greffiers spéciaux, nous avons sélectionné vingt cas au hasard par mois, un mois sur deux entre avril 2014 à mars 2015. Les décisions rectifiées n’ont pas été considérées.

[30]    Nous avons utilisé les mots clefs suivants : « 1973 », « fréquemment », « retard » et « expulsion ». Pour éviter de tomber sur des jugements rendus par les mêmes régisseurs ou greffiers spéciaux, nous avons sélectionné dix cas au hasard par mois, entre avril 2014 et mars 2015. Les décisions rectifiées n’ont pas été considérées.

[31]    Pour identifier les jugements pertinents, nous avons procédé par mots clefs sur la base de données SOQUIJ. Nous avons utilisé les mots clefs suivants : « exception d’inexécution » et « expulsion ».

[32]         Loi sur l’aide juridique et sur la prestation de certains autres services juridiques, RLRQ c A-14, art 4.11 [Loi sur l’aide juridique].

[33]         Voir Eloisa C Rodriguez-Dod, « “But My Lease Isn’t Up Yet!”: Finding Fault with “No-Fault” Evictions » (2013) 35:4 U Ark Little Rock L Rev 839 à la p 853 (au moins 40 % des expulsions réalisées en 2009 suite aux saisies immobilières ont touchées les locataires de ces logements) [Rodriguez-Dod, « Finding Fault »].

[34]         Raquel Rolnik, Rapport de la Rapporteure spéciale sur le logement convenable en tant qu’élément du droit à un niveau de vie suffisant ainsi que sur le droit à la non-discrimination à cet égard : Mission aux États-Unis d’Amérique, Doc off AG NU, 13e sess, add, Doc NU A/HRC/13/20/Add.4 (12 février 2010) aux para 47–48.

[35]         Voir Fédération des Chambres Immobilières du Québec, bulletin, « Mots de l’économiste » (avril 2014), en ligne : <fciq.ca/pdf/mot_economiste/me_042014.pdf>.

[36]         Le rapport de la Régie ne précise pas quels sont ces « autres motifs ». Il est fort probable que les causes d’éviction soient incluses dans cette catégorie ainsi que toutes celles liées au comportement du locataire (troubles, dégradation, etc.).

[37]         Gallié, « Le droit et la procédure », supra note 27.

[38]         Québec, Régie du logement, Rapport annuel de gestion de la Régie du logement, 2014-2015, Montréal, Gouvernement du Québec, 2015 aux pp 71, 77, en ligne : <www.rdl.
gouv.qc.ca/fr/pdf/Rapport_annuel_2014-2015.pdf> [Rapport 2014-2015 Régie].

[39]         Martin Gallié et Marie-Claude P Bélair, « La judiciarisation et le non-recours ou l’usurpation du droit du logement : le cas du contentieux locatif des HLM au Nunavik » (2014) 55:3 C de D 685 à la p 702.

[40]         « Il est important de mentionner que, dans un nombre important de causes, le locataire quitte par lui-même le logement, notamment lorsqu’il reçoit l’avis d’exécution et que ses recours de rétractation sont terminés. En d’autres mots, le locataire fautif ne désire pas faire l’objet d’une expulsion forcée » (APAGM, « Mémoire présenté aux membres de la Commission des institutions dans le cadre de consultations particulières et d’auditions publiques sur le Projet de Loi 28, Loi instituant le nouveau Code de procédure civile » (10 septembre 2013) aux pp 10–11, en ligne : <www.assnat.qc.ca/Media/Process.aspx?
MediaId=ANQ.Vigie.Bll.DocumentGenerique_74609&process=Default&token=ZyMoxNwUn8ikQ+TRKYwPCjWrKwg+vIv9rjij7p3xLGTZDmLVSmJLoqe/vG7/YWzz>).

[41]         À noter de surcroît que les expulsions forcées ne concernent pas que les locataires; il peut également s’agir de propriétaires dont le logement est saisi. Cependant, nous ne disposons d’aucune information sur ce point.

[42]         Voir Maxime Bergeron, « L’éviction d’un locataire : jour de sortie », La Presse (15 janvier 2011), en ligne : <affaires.lapresse.ca/economie/immobilier/201101/14/01-4360262-leviction-dun-locataire-jour-de-sortie.php>.

[43]         Rodriguez-Dod, « Finding Fault », supra note 33 à la p 848.

[44]         Voir Matthew Desmond, « Unaffordable America: Poverty, Housing, and Eviction » (2015) 22 Fast Focus 1 à la p 4, en ligne : <scholar.harvard.edu/files/mdesmond/files/
fastfocus2015.pdf> ([n]early half (48 percent) of all recorded forced moves were informal evictions. Formal eviction was less common, constituting 24 percent of forced moves. An additional 23 percent of forced moves were due to landlord foreclosure, and 5 percent were caused by building condemnation).

[45]         Aux États-Unis, les données sont également rares, mais selon certaines sources — au sujet desquelles toutes les études disponibles estiment qu’elles sont largement sous-évaluées — il est estimé qu’il y a à Baltimore 5.81 expulsions pour 100 habitants, 1.26 à New York, 2.74 à Philadelphie, 1.46 à Cleveland, 4.94 à Détroit et 5.7 à Washington D.C. (voir The Abell Foundation, « A System in Collapse: Baltimore City Suffers from an Overwhelmingly High Caseload of Tenant Evictions » (2003) 16:2 Abell Report 1, en ligne : <www.abell.org/pubsitems/arn303.pdf>).

[46]         SHQ, L’habitation en bref, supra note 4.  

[47]         À titre d’exemple, en Suède, où la procédure est différente, seulement 10 % des plaintes déposées au tribunal se concluent par des jugements d’expulsion : « Les chercheurs ne peuvent que constater : “Aujourd’hui, nous ne savons pas ce qui se passe pour les 90 % restants. Combien vivent encore dans leurs appartements? Combien ont été déplacés vers un autre appartement, sont en sous-location ou même sans-abri?” » (Sten-Åke Stenberg et Igor van Laere, « Evictions: A Hidden Social Problem – Comparative Evidence from Modern Welfare States », conférence FEANTSA « Homelessness and Poverty », Paris, 2009, extrait traduit dans Secrétariat pour la modernisation, supra note 11 à la p 199).

[48]         Québec, Direction régionale de santé publique, Pour des logements salubres et abordables : Rapport du directeur de santé publique de Montréal, Montréal, DRSP, 2015 à la p 40, en ligne : <www.dsp.santemontreal.qc.ca/medias_archives/dossiers_de_presse
_archives/dossiers_de_presse/rapport_du_directeur_de_sante_publique_de_montreal_2015.html> (« principalement en raison d’une reprise anticipée du logement par le propriétaire (27 %), d’un changement de propriétaire (13 %), d’une mésentente avec lui (24 %) ou, encore, de l’incapacité de payer le loyer (10 %) ») [DRSP, Rapport].

[49]         Selon l’Observation générale no 4, les États parties doivent fournir « des rensei­gnements détaillés sur les groupes qui, dans [la] société, sont vulnérables et désavantagés en ce qui concerne le logement » (NUCES, Comité des droits économiques, sociaux et culturels, Observation générale no 4, 6e sess, Doc NU E/1992/23, 1991 au para 13). Voir aussi NUCES Comité des droits économiques, sociaux et culturels, Observation générale no 7, 16e sess, Doc NU E/1998/22, 20 mai 1997 [NUCES, Observation générale]. Sur la composition du Parc locatif au Québec, on peut toutefois mentionner SHQ, Les logements privés au Québec : la composition du parc de logements, les propriétaires bailleurs et les résidants, par Francine Dansereau et Marc Choko avec la collaboration de Gérard Divay, Québec, SHQ, 2002, en ligne : <www.habitation.gouv.qc.ca/fileadmin/
internet/publications/M06470.pdf> [SHQ, Logements privés].8ote 78;  et al 2004, nisation,

[50]         En Ontario, par exemple, voir Lapointe et al, supra note 8; McDonald, supra note 8.

[51]         En ce sens, voir notamment l’étude de 2011 réalisée par McDonald, supra note 8 à la p 119 :

Generally, the limited number of studies on eviction indicate that tenants facing eviction tend to be younger than the general tenant population; the majority are employed although some rely on government transfer payments; many are families with children; they have lower incomes than the average tenant and lower rent-to-income ratios; they are more likely to be in arrears on their rent; and they are less likely to have social supports or to be satisfied with their housing.

[52]         Concernant spécifiquement les expulsions des femmes et des racisées nous ne disposons d’aucune donnée sur les expulsions au Québec. Tout au plus peut-on mentionner que toutes les études disponibles sur les femmes et le logement insistent sur l’extrême précarité de cette catégorie sociale. Voir Maureen Callaghan, Leilani Farha et Bruce Porter, Les femmes et le logement au Canada : Entraves à l’égalité, Toronto, Centre pour l’égalité des droits au logement, 2002, en ligne : <www.equalityrights.org/cera/
docs/barriers_fr.htm>; FRAPRU 2015, supra note 18; FRAPRU 2010, supra note 18.

[53]         Voir Gunn, supra note 12 à la p 393 ([s]eventy percent were members of racial or ethnic minorities, a significantly greater percentage than that of racial and ethnic minorities among all tenant households in New Haven).

[54]         Voir généralement Gallié et Bélair, supra note 39.

[55]         Concernant les immigrants, on peut toutefois relever que ces derniers « déménagent » — ou vivent des expulsions et des déplacements forcés — beaucoup plus souvent que les non-immigrants. Comme le souligne le FRAPRU : « entre 2001 et 2005, près de 60 % d’entre eux ont changé d’habitation. Là où les chiffres frappent, c’est chez les immigrantes et immigrants récents (après 2000) : on parle de 92 %! » (FRAPRU, Immigration, supra note 19 à la p 11).

[56]         Voir Desmond, « Eviction », supra note 15 aux pp 120–21 :

In poor black neighborhoods, what incarceration is to men, eviction is to women: a typical but severely consequential occurrence contributing to the reproduction of urban poverty. […]

These twinned processes, eviction and incarceration, work together—black men are locked up while black women are locked out—to propagate economic disadvantage and social suffering in America’s urban centers [italiques dans l’original].

Dans le même sens, il ressort d’une étude de l’Housing Court de Baltimore que 71 % des locataires observés sont des femmes, 87 % sont noirs et seulement 13 % sont blancs (voir Bezdek, supra note 12 à la p 540, nn 21–22).

[57]         Voir Philippe Apparicio, Xavier Leloup et Philippe Rivet, « La diversité montréalaise à l’épreuve de la ségrégation : pluralisme et insertion résidentielle des immigrants » (2007) 8:1 J Intl Migration & Integration 63. À noter toutefois qu’on relève des études une certaine homologie de situation entre les contextes canadiens (montréalais) et américains (voir Grace-Edward Galabuzi et Cheryl Teelucksingh, Social Cohesion, Social Exclusion, Social Capital, Peel (Ont), Region of Peel Human Services, 2010 à la p 13, en ligne : <www.peelregion.ca/social-services/pdfs/discussion-paper-1.pdf>).

[58]         Voir DRSP, Rapport, supra note 48 aux pp 40–41.

[59]         Voir Sarah A Burgard, Kristin S Seefeldt et Sarah Zelner, « Housing Instability and Health: Findings from the Michigan Recession and Recovery Study » (2012) 75 Social Science & Medicine 2215; Janet Currie et Erdal Tekin, « Is There a Link Between Foreclosure and Health? » (2015) 7:1 American Economic J 63.

[60]         Voir généralement Matthew Desmond et Rachel Tolbert Kimbro, « Eviction’s Fallout: Housing, Hardship, and Health » (2015) 94:1 Social Forces 295.

[61]         C’est le cas dans 60 % des cas selon une vaste étude, voir Matthew Desmond et Tracey Shollenberger, « Forced Displacement from Rental Housing: Prevalence and Neighborhood Consequences » (2015) 52:5 Demography 1751 à la p 1766.

[62]         Voir généralement Matthew Desmond et Carl Gershenson, « Housing and Employment Insecurity Among the Working Poor » (2016) 63 Social Problems 46.

[63]         Voir Deena Greenberg, Carl Gershenson et Matthew Desmond, « Discrimination in Evictions: Empircal Evidence and Legal Challenges » (2015) 51:1 Harv CR-CLL Rev 115 à la p 118.

[64]         Voir Gallié et Bélair, supra note 39; Règlement sur l’attribution des logements à loyer modique, RLRQ c S-8, r 1, art 16.

[65]         On relèvera qu’à la différence de certains états des États-Unis, il n’est pas possible d’expulser les locataires en cas de vente ou de rachat de l’immeuble (voir Rodriguez-Dod, « Finding Fault », supra note 33 à la p 853).

[66]         Voir Loi pour favoriser la conciliation entre locataires et propriétaires, LRQ c C-50, art 25. Cette loi a été remplacée par la Loi sur la Régie du logement, RLRQ c R-8.1 en 1980. Voir généralement Anne-Marie Morel, « La nouvelle législation concernant le logement : de quelques innovations et difficultés du Projet de Loi 107 » (1981) 15:2 RJT 201.

[67]         Jobin, supra note 7 au para 68.

[68]         À noter, par exemple, que la Loi sur l’assurance-emploi, LC 1996, c 23, art 13 prévoit un délai de carence (sans prestation) de deux semaines.

[69]         Blanco c Commission des loyers, [1980] 2 RCS 827 à la p 831, 1980 CanLII 230 [Blanco].

[70]         Voir Paré c Coopérative d’habitation l’Art de vivre, 2012 QCRDL 11406, AZ-50846520 (Azimut). Il s’agissait d’un loyer de 462 $. À ce sujet on rappellera que la Loi sur la Régie du logement exige des régisseurs qu’ils rendent des ordonnances « proportionnées à la nature et à la finalité de la demande et à la complexité du litige » (Loi sur la Régie du logement, supra note 66, art 63.1).

[71]         Voir Tang c Sem, 2014 QCRDL 37624, AZ-51123286 (Azimut). Le loyer dans cette affaire était de 610 $.

[72]         On doit toutefois rappeler les propos du juge Georges Massol, en appel d’un jugement de la Régie, qui tient à rappeler l’adage de minimis non curat lex ainsi que l’article 1604 du CcQ selon lesquels lorsque le défaut du débiteur est de peu d’importance, le tribunal peut exercer sa discrétion. Il conclut alors : « il serait questionnable qu’on exerce le droit d’expulser quelqu’un après autant d’années d’habitation pour le simple fait qu’il n’a pas payé à date la somme de 73 $, qui a été payée par la suite » (McCutcheon c Dupont, 2013 QCCQ 13022 au para 24 (disponible sur CanLII) [McCutcheon]).

[73]         Voir Suzanne Guévremont, « Commentaire sur la décision Domaine de Parc Cloverdale c. Issa : Jusqu’où va la discrétion judiciaire de la Régie du logement lors d’une demande de résiliation du bail pour retard de plus de trois semaines dans le paiement du loyer? » (mai 2011) Repères, Éditions Yvon Blais, EYB2011REP1059 (La référence) [Guévremont, « Commentaire »].

[74]         Voir Loi d’interprétation, RLRQ c I-16, art 41. Voir aussi Mélanie Samson, « Interprétation large et libérale et interprétation contextuelle : convergence ou divergence? » (2008) 49:2 C de D 297.

[75]         À titre d’exemple, Guévremont, « Commentaire », supra note 73 relève que le régisseur ou la régisseuse qui, pour une raison ou autre, ne souhaite pas résilier le bail pourrait décider d’ajourner l’audience, ou encore se prévaloir des dispositions relatives aux ordonnances de sauvegarde (voir Loi sur la Régie du logement, supra note 66, art 63.1).

[76]         Michaud c Picotte, [2000] RJQ 3073, 2000 CanLII 19169 (CS).

[77]         Gallié, « Le droit et la procédure », supra note 27 à la p 12, citant Gagnon, Louer, supra note 7 à la p 112. L’exécution provisoire de la décision d’expulsion est possible en vertu de l’article 82.1 de la Loi sur la Régie du logement, supra note 66 (« [l]e régisseur peut, s’il le juge à propos, ordonner l’exécution provisoire, nonobstant la révision ou l’appel, de la totalité ou d’une partie de la décision, s’il s’agit : 1° de réparations majeures; 2° d’expulsion des lieux, lorsque le bail est expiré, résilié ou annulé; 3° d’un cas d’urgence exceptionnelle »).

[78]         Normalement, les jugements deviennent exécutoires 30 jours après la signature, conformément au délai d’appel de 30 jours (voir Loi sur la Régie du logement, supra note 66, art 92).

[79]         Nous avons observé 48 audiences de « non-paiement non contesté » (10 rôles différents).

[80]         Précisions méthodologiques : 120 cas choisis aléatoirement (20 cas par mois, un mois sur deux entre avril 2014 et mai 2015). Les décisions rectifiées n’ont pas été considérées. Mots-clés utilisés : « expulsion », « 1971 », « retard », « trois semaines » et « NON fréquemment ».

[81]         Voir Québec, Régie du Logement, communiqué, « La conciliation à la Régie du Logement » (16 janvier 2009), en ligne : <www.rdl.gouv.qc.ca/fr/outils/ServConc2009.asp> :

À noter. La conciliation ne sera pas offerte pour les demandes urgentes, celles relatives au non-paiement du loyer, à la conservation des logements ou celles concernant la fixation du loyer. Le demandeur pourra cependant, s’il le désire, solliciter la tenue d’une séance de conciliation même si la demande qu’il a déposée porte sur l’un ou l’autre de ces recours.

[82]         Voir généralement Sylvette Guillemard, « Médiation, justice et droit : un mélange hétéroclite » (2012) 53:2 C de D 189.

[83]         Rapport 2014-2015 Régie, supra note 38 à la p 25.

[84]         Voir Collectif Pro Bono UQAM, supra note 21. Voir aussi Rapport 2014-2015 Régie, supra note 38 à la p 21 (le délai était en 2014–2015 d’1.4 mois).

[85]         On relèvera toutefois qu’une telle procédure existe dans d’autres pays, comme en France. Certes, cette procédure est peu utilisée par les magistrats, mais elle semble cependant être appréciée de ces derniers. Une étude a ainsi relevé que « les juges qui ont mis en place ces conciliations ont insisté sur le fait que l’intérêt réside à la fois dans le recours à un tiers impartial quand le dialogue est rompu ou n’a pas pu s’établir avec le bailleur, et son caractère “officiel” puisqu’elle est menée par le juge ou un conciliateur de justice » (Secrétariat pour la modernisation, supra note 11 à la p 32). Cette même étude estime par ailleurs que la conciliation permet, « quel que soit le stade de la procédure où elle intervient, au stade de la demande en paiement ou de l’assignation en expulsion, au bailleur et au locataire d’être parties prenantes de la solution de leur litige » (ibid).

[86]         3104-2583 Québec inc c Gingras, 2013 QCCQ 3888 au para 46 (disponible sur CanLII).

[87]         Ibid au para 47.

[88]         Voir Veilleux c Lebreux, [2003] JL 58, AZ-50167376 (Azimut) (RDL Qc), cité dans Gagnon, Louer, supra note 7 à la p 114.

[89]         Gagnon relève qu’« [i]l n’est pas sûr qu’en toutes circonstances, la Régie du logement soit le tribunal compétent pour établir soit la validité d’une telle entente, soit la valeur des travaux accomplis » puisqu’il peut s’agir d’une réclamation découlant d’un louage d’ouvrage (supra note 7 à la p 111).

[90]         Pour un aperçu de l’état du droit et de l’origine jurisprudentielle de ce moyen de défense devant la Régie du logement, voir Kougemitros c Esterson, 2014 QCRDL 23195, AZ-51088172 (Azimut) [Kougemitros]; Pierre Gagnon, « La défense d’inexécution en droit du logement » (2016) 45 Dr immobilier en bref 2.

[91]         Voir René Gauthier, « Le louage » dans École du Barreau, dir, Collection de droit 2015-2016 : Obligations et contrats, vol 5, Cowansville (Qc), Yvon Blais, aux pp 300 et s; Deslauriers, supra note 7 aux para 1658–60; Lamy, L’appel, supra note 7 à la p 218; Jobin, supra note 7 aux pp 460–61.

[92]         Gagnon, Louer, supra note 7 aux pp 111-12.

[93]         Bélanger c D’Aragon, 2015 QCRDL 38489 au para 21, AZ-51236484 (Azimut).

[94]         Thauvette c Ross, 2014 QCRDL 41459 au para 4, AZ-51132464 (Azimut). Voir aussi Nguyen c Savard, [2004] JL 101 à la p 102, AZ-50261232 (Azimut) (RDL Qc).

[95]         Kougemitros, supra note 90 au para 28.

[96]         Ces demandes sont exceptionnelles. En 2014–2015, il y eut 128 demandes déposées (voir Rapport 2014-2015 Régie, supra note 38 à la p 72).

[97]         Sur 123 jugements analysés entre le 1er mars 2014 et le 31 décembre 2015, nous n’avons trouvé qu’une affaire où la défense d’inexécution a été explicitement reconnue (recherche SOQUIJ; mots clefs : « exception d’inexécution » et « expulsion »). Dans cette affaire la juge relevait notamment que « les méthodes utilisées par le gestionnaire en pareilles circonstances sont également discutables » et qu’« [à] la lumière des allégations du locataire sur l’absence d’électricité dans son logement et l’admission du locateur d’en avoir été informé, mais ne pas avoir daigné vérifier et corriger la situation s’il y avait lieu, c’est à bon droit que la défense d’inexécution est soulevée en l’instance » (Caisse Desjardins de Rivière-des-Prairies c Tremblay, 2015 QCRDL 15153 aux para 62, 69, AZ-51176035 (Azimut)). On peut également mentionner une autre affaire où le décideur n’accepte pas ce moyen de défense, mais rejette tout de même la demande en résiliation des propriétaires : « le locataire a été victime d’un dégât d’eau, ce dont le locateur était informé et il n’a pas jugé bon de régler la question du loyer réclamé au locataire alors qu’il est évident qu’il avait droit à une certaine compensation. Le Tribunal est donc d’avis qu’il n’y a pas lieu de résilier le bail » (Sarom c Belley, 2015 QCRDL 1158 aux para 9–10, AZ-51141868 (Azimut)). Dans une autre affaire, la Régie relève « qu’il y aurait eu un problème de refoulement d’eau par le puisard, un problème de vermine et un problème d’électricité causée par le fait que l’époux de la locatrice avait arraché l’antenne électrique par erreur » et que « [l]a locatrice a renoncé à réclamer ce solde de 300 $ pour le loyer de novembre 2014 pour compenser le locataire des troubles et inconvénients subis » (Leduc c O’Bomsawin, 2015 QCRDL 12125 aux para 6–7, AZ-51168633 (Azimut)).

[98]         Gagnon, Louer, supra note 7 à la p 112.

[99]         Sur ce dernier point, on relèvera qu’il semble y avoir un débat entre une partie de la doctrine, dont Jobin, supra note 7 au para 186 qui estime que « [d]ans le louage résidentiel, la retenue de loyer, pour exercer l’exception d’inexécution, doit obligatoirement être exercée en suivant la procédure spéciale de dépôt du loyer au tribunal », alors que d’autres auteurs, comme Gauthier, supra note 91 à la p 300 considèrent que « selon la tendance jurisprudentielle actuelle », il est possible d’invoquer l’exception d’inexécution sans déposer son loyer. Dans ce dernier cas toutefois, les locataires prennent le risque de voir leur bail être résilié pour non-paiement du loyer.

[100] Simplement à titre d’exemple, et pour mettre en perspective l’appréciation de la notion de « mesure correspondante », le Rapport déjà cité sur les délais à la Régie, rapporte une affaire où une locataire a obtenu 50 $ par mois d’occupation pour un logement où l’inspecteur a constaté que

dans la salle de bains, il y avait des tâches qui apparaissaient sur les murs et le plafond (moisissure de surface), une odeur piquante se sentait en ouvrant la porte, la fenêtre ne s’ouvrait pas et le système de ventilation était défectueux. Dans le salon, la boiserie de la fenêtre était usée et la vitre brisée […]. À l’extérieur, la façade avant, l’allée pour piétons et perron étaient endommagés, Poste-Canada avait envoyé un avis aux locataires pour ne plus livrer de courriers à cette adresse (Abdelali c Zeffiro, 2011 QCRDL 20990 au para 7, AZ-50758080 (Azimut), cité dans Collectif Pro Bono UQAM, supra note 21 à la p 67).

[101] Le délai était de sept jours en 2014–2015 (voir Rapport 2014-2015 Régie, supra note 38 à la p 77).

[102] Voir Lamothe c Belisle, 2008 QCCQ 7108 au para 18 (disponible sur CanLII) pour une discussion de la jurisprudence.

[103] Voir Coop le Fleuve de l’Espoir c Aubé, 2008 QCCQ 3251 au para 18 (disponible sur CanLII).

[104] Voir McCutcheon, supra note 72. Dans cette affaire, le juge Massol de la Cour du Québec dénonce avec force le caractère « injuste » de prendre pour point de départ le jour de la signature du jugement; compte tenu du temps pris par l’administration ou la poste par exemple pour envoyer le jugement, les délais (d’appel ou de l’exécution provisoire) octroyés dans le jugement n’ont dès lors plus aucun sens pour le locataire : « Le temps qu’il contacte un avocat, qu’il essaie d’avoir des renseignements pour savoir qu’est-ce qu’il fait avec cette décision-là, il n’a pas le temps de se revirer de bord, le délai d’appel est échu. Ça serait complètement injuste » (ibid au para 14).

[105] Dans Brousseau c Ducharme, 2015 QCCQ 3606 (disponisble sur CanLII), lors de l’au-dience (12 janvier), le juge informe le locataire qu’il peut éviter l’expulsion s’il paie avant la date du jugement. Le locataire envoie par chèque les sommes dues le jour de la signature du jugement (le 15 janvier), et avant la réception du jugement par les parties (19 janvier) (ibid au para 8–9). La Cour du Québec a quand même fait droit à la demande d’expulsion, avançant que d’habitude le locataire remettait directement des chèques postdatés aux propriétaires et que « nul n’est censé ignorer la loi » (ibid au para 26). Le locataire avançait quant à lui des problèmes de santé pour expliquer le délai de trois jours entre l’audience et l’envoi en recommandé du chèque certifié (ibid au para 8).

[106] Voir Gestion Clauval c Mohammed, [2004] JL 257, 2004 CanLII 7933.

[107] Pierre Gagnon, « Commentaire sur la décision Lemaire c. D’Aragon : Une locataire évite la mise sur le carreau de ses biens par la conclusion d’une entente après un jugement de résiliation » (juillet 2007) Repères, Éditions Yvon Blais, EYB2007REP614 à la p 4 (La référence) [Gagnon, « Commentaire »].

[108] Le « recours à des greffiers spéciaux plutôt qu’à des régisseurs coûterait environ 33 % de moins » (Protecteur du Citoyen, communiqué, « Le projet de loi n° 131 : Loi modifiant la Loi sur la Régie du logement et diverses lois concernant le domaine municipal » (30 novembre 2010), en ligne : <protecteurducitoyen.qc.ca/fr/a-propos/discours/le-projet-de-loi-n-131—loi-modifiant-la-loi-sur-la-regie-du-logement-et-diverses-lois-concernant-le-domaine-municipal-1>).

[109] Voir Loi sur la Régie du logement, supra note 66, art 30.1 : « Un membre du personnel de la Régie peut être nommé greffier spécial par le ministre désigné, avec l’assentiment du président de la Régie et pour un terme précisé à l’acte de nomination ».

[110] Protecteur du Citoyen, supra note 108.

[111] Sur la charge et l’organisation du travail des régisseurs voir notamment, Farmer c Robins, 2014 QCCJA 691, 2015 CanLII 14105. L’affaire s’agissait d’une plainte contre un régisseur de la Régie du logement.

[112] 48 audiences observées dans 5 rôles différents entre mars 2015 et juin 2015.

[113] Québec, Régie du logement, « Demande relative au non-paiement de loyer (formulaire RDL-065-E) », en ligne : <www.rdl.gouv.qc.ca/fr/pdf/65_0309.pdf>.

[114] Nous avons observé 36 audiences de « non-paiement contesté » (10 rôles différents).

[115] Audience Bail1 (dossier des auteurs).

[116] On constate ainsi, à la suite de Barbara Bezdek, une inversion dans le mécanisme d’engagement de la responsabilité. Ce n’est plus au demandeur de faire la preuve d’une faute ou d’un préjudice, mais au défendeur de tenter de faire valoir ses droits : The central normative function of the rent court is to ask of the tenant, Did you pay the money claimed or not? It implies a statement of the individual tenant’s unmitigable fault for the failure to make out her own case of legitimate complaint against the landlord (Bezdek, supra note 12 à la p 568).

[117] Gagnon, Louer, supra note 7 à la p 111.

[118] Voir Emmanuelle Bernheim et Richard-Alexandre Laniel, « Un grain de sable dans l’engrenage du système juridique. Les justiciables non représentés : problèmes ou symptômes » (2013) 31 Windsor YB Access Just 45 à la p 62.

[119] Selon une étude réalisée à New Haven, aux États-Unis, dans 42 % la raison invoquée est que le propriétaire n’a pas fait les travaux. 30 % des locataires expliquent qu’ils ne peuvent pas payer leur loyer (en raison d’une perte d’emploi, de prestations sociales ou d’un colocataire, d’une hospitalisation, du paiement de dépenses médicales ou de frais funéraires non prévus, de vol ou de dettes). Dans 6 % des cas, les locataires avancent l’argument selon lequel le propriétaire a augmenté unilatéralement le bail, dans 2 % il y a un différend sur le montant, dans 5 % le propriétaire de n’est pas identifié au locataire. Dans 5 % des cas, le propriétaire a refusé le loyer. Dans d’autres cas, les locataires n’ont pas touché leurs prestations (1 %). Voir Gunn, supra note 12 aux pp 398–99. Une étude réalisée 16 ans plus tôt à Chicago relevait, grosso modo, les mêmes arguments et les mêmes statistiques. Voir Fusco, Collins et Birnbaum, supra note 12 aux pp 106–08.

[120] Audiences SAC4, SAC5 et SAC7 (dossier des auteurs).

[121] Audiences SAC4, SAC5 et SAC7 (dossier des auteurs).

[122] Barbara Bezdek a constaté le même phénomène à Baltimore et l’explique de la manière suivante :

Judge: “Is there anything you would like to tell me?” In our observations, when invited in this way at this juncture, many tenants offer the court an explanation for their nonpayment. The judge either waits through the story or interrupts it, but at either point, tells the tenant that her remarks are irrelevant, and orders judgment for the landlord. This is the clash between the conventions for talking about troubles in noninstitutional settings and the law’s conventions for speech within legal institutions, which the judge learned through formal education in law school and observation of other legal professionals’ courtroom behavior [notes omises] (supra note 12 à la p 586).

[123] Alexis Spire et Katia Weidenfeld, « Le tribunal administratif : une affaire d’initiés? Les inégalités d’accès à la justice et la distribution du capital procédural » (2011) 79:3 Dr et soc 689 aux pp 707-09.

[124] Pascale Vincent, « Comment en arrive-t-on à l’expulsion? » (2014) 184:4 Informations sociales 42 à la p 47.

[125] « C’est terminé » répète ainsi et à plusieurs reprises, un régisseur à une locataire qui lui demande comment prendre une entente de paiement (Audience Infologis1 (dossier des auteurs)). Le refus de répondre à ces questions, s’il peut se comprendre au regard de la charge de travail des régisseurs, pose cependant un problème au regard, cette fois-ci, du devoir d’assistance et de secours équitable aux parties.

[126] Wang c Proulx, 2014 QCRDL 33713 au para 4, AZ-51113922 (Azimut).

[127] TD Canada Trust c Cheff, 2014 QCRDL 11322 au para 6, AZ-51061834 (Azimut).

[128] Voir Bruyère c Coopérative Belles-Fleurs, 2014 QCCQ 1686 au para 6 (disponible sur CanLII) (un juge de la Cour du Québec a autorisé l’appel d’un locataire, et suspendu l’expulsion, en dénonçant le défaut de motivation de la décision de la Régie. Pour la Cour, le régisseur ne fait, notamment, « aucune analyse des montants dus par la requérante et ne traite pas du fait que le montant du loyer a été modifié durant le bail »); Coopérative Belles-fleurs c Bruyère, 2013 QCRDL 42063 au para 4, AZ-51031593 (Azimut) (la décision qui justifie l’appel est pourtant rédigée de la même manière que beaucoup d’autres en matière de non-paiement. Les régisseurs mentionnent les sommes dues, sans détailler, avant de résilier le bail : « [l]a preuve démontre que la locataire doit 3 666,60 $ en arriérés de loyer, plus 8,50 $ représentant les frais de signification prévus au Règlement »).

[129] Voir supra note 75.

[130] La Convention européenne des droits de l’homme, 4 novembre 1950, 213 RTNU 221 à la p 223 (entrée en vigueur : 3 septembre 1953) proclame à son article 8 que toute personne a le droit au respect « de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ». En vertu de cet article la Cour européenne a déjà jugé que « [l]a perte d’un logement est une atteinte des plus graves au droit au respect du domicile » (McCann c United Kingdom, (2008) 47 EHRR 40 au para 50, [2008] ECHR 385). Ainsi,

[t]oute personne qui risque d’en être victime doit en principe pouvoir faire examiner la proportionnalité de cette mesure par un tribunal indépendant à la lumière des principes pertinents qui découlent de l’article 8 de la Convention, quand bien même son droit d’occuper les lieux aurait été éteint par l’application du droit interne (ibid).

Le principe de proportionnalité implique notamment que la décision doit être motivée et que les raisons justifiant l’expulsion doivent être appropriées et suffisantes (Rousk c Sweden, n˚ 27183/04 (25 juillet 2013) au para 136). Sur cette question, voir Michel Vols, Marvin Kiehl et Julian Sidoli del Ceno, « Human Rights and Protection Against Eviction in Anti-Social Behaviour Cases in the Netherlands and Germany » (2015) 2:2 European J Comparative L & Governance 156 aux pp 162–64.

[131] On doit toutefois mentionner une affaire de 1998, semble-t-il exceptionnelle, où le régisseur, Me Gérald Bernard, a refusé de résilier le bail, malgré le non-paiement et les retards fréquents, après s’être assuré que le loyer serait payé « suivant l’offre fort raisonnable présentée par la locataire » (monoparentale, dépendante de l’aide de dernier recours et qui s’occupait de ses deux enfants, dans l’un gravement malade) (Office municipal d’habitation de Vaudreuil-Dorion c Marie Bourbeau, [1998] JL 349, AZ-98061154 (Azimut)). On peut également rappeler, l’adage de minimis non curat lex ainsi que les dispositions de l’article 1604 du CcQ selon lesquelles lorsque le défaut du débiteur est de peu d’importance, le tribunal a discrétion.

[132] Voir Collectif Pro Bono UQAM, supra note 21; Rapport 2014-2015 Régie, supra note 38 à la p 21 (le délai était en 2014–2015 d’1.4 mois).

[133] Dans ce cas, il faut attendre 2.2 mois pour une première audience (Rapport 2014-2015 Régie, supra note 38 à la p 18).

[134] Depuis la publication de ce rapport, la Régie du logement a précisé que « lors de l’évaluation d’une demande par les maîtres des rôles, si les motifs exposés dans la demande font état d’un risque pour la santé ou pour la sécurité des occupants, la demande est systématiquement placée dans la catégorie » des causes civiles urgentes (ibid à la p 71). Il s’agit d’une mention importante pour le droit à la santé des locataires, comme des propriétaires, et il restera à voir comment elle sera mise en œuvre alors que le gouvernement ne semble toujours pas vouloir accroitre les moyens financiers et humains de la Régie.

[135] Voir Loi sur la Régie du logement, supra note 66, art 57.

[136] Voir Boucher c Caisse populaire Atwater-Centre, 2012 QCCQ 4143 (disponible sur CanLII); Milunovic c Investissement ECSL inc. (4379209 Canada inc.), 2010 QCCQ 5777 (disponible sur CanLII).

[137] Voir Lafleur c Desnoyers, 2015 QCRDL 11860 au para 20, AZ-51168065 (Azimut) (le magistrat n’a pas souhaité réunir les demandes, au motif : « [a]u surplus, l’encombrement du rôle le jour de l’audience (dernier dossier à la fin de la journée) et le manque de temps d’audience disponible ne permettaient pas d’entendre immédiatement tout le dossier des locataires »).

[138] Di Matteo c Mercier, [2005] JL 172 au para 47, 2005 CanLII 9547.

[139] Voir Lamirand c Leclair, 2008 QCCQ 6433 (disponible sur CanLII) (permission d’appeler de la décision de la Régie accordée). La régisseuse avait refusé de réunir une demande d’expulsion pour non-paiement et une demande en diminution de loyer, déposée un mois plus tard par le locataire : « la demande de résiliation du bail pour des défauts répétés de payer les loyers dus, “était prioritaire” » (ibid au para 12). Statuant sur l’autorisation d’appeler, la juge Monique Fradette de la Cour du Québec relève cependant qu’il s’agit d’une négation du droit au maintien dans les lieux (art 1941 CcQ) et d’un probable « déni de justice » (ibid au para 19). Elle autorise donc l’appel. Pour motiver son jugement, elle rappelle alors que « [s]i le loyer est payable à chaque mois, le premier du mois, et doit l’être, le refus du locateur d’effectuer les travaux demandés afin de rendre “salubre” le logement, le cas échéant, n’est pas sans conséquence négatives pour la locataire » (ibid au para 18). Par conséquent, « [l]’examen des inexécutions respectives par l’une ou l’autre des parties de ses obligations au bail ne devrait-elle faire l’objet d’une même audition? » (ibid). L’appel n’apportera cependant pas de réponse à cette question, puisque la locataire ne contestait plus l’expulsion, ayant déjà quitté les lieux.

[140] Audience SAC5 (dossier des auteurs).

[141] Audience SAC7 (dossier des auteurs).

[142] Voir Sharpe c Côté, 2014 QCCQ 814 (disponible sur CanLII); Younes c Bennaoum, 2010 QCCQ 7893 (disponible sur CanLII).

[143] Mchanga c Huang, [2005] JQ no 374 (QL) aux para 33-34, 2005 CanLII 2089 (CQ) :

The Court does not believe that Me. Chicoyne could not hear and accept any evidence regarding the condition of the dwelling for the simple reason that the tenant had not filed an application before the Rental Board.

In doing so, and with all due respect, the fundamental legal principle of audi alteram partem was clearly denied to Mr. Mchanga. 

[144] Il semble important de souligner que le Projet de loi 28 instituant le nouveau Code de procédure civile prévoyait des dispositions à cet effet qui ont été finalement abandonnées, soit l’article 692, al 3 (relatif à l’avis d’exécution forcée) :

Cependant, si l’avis concerne la résidence familiale du débiteur, ce délai doit être d’au moins 30 jours; le tribunal peut, à la demande du débiteur, prolonger ce délai d’au plus trois mois, dans le cas où l’expulsion lui causerait un préjudice grave. Aucune prolongation ne peut valoir au-delà du terme du bail, le cas échéant » (PL 28, Loi instituant le nouveau Code de procédure civile, 1re sess, 40e lég, Québec, 2013).

[145] Là encore le Projet de loi 28 instituant le nouveau Code de procédure civile prévoyait pourtant une petite trêve hivernale : « Aucune expulsion n’a lieu pendant la période du 20 décembre au 10 janvier » (ibid). Celle-ci a été réduite du 24 décembre au 2 janvier (art 692 Cpc).

[146] Il s’agit selon nous d’autant plus d’un enjeu qu’un rapport de la Direction de la santé publique relevait que 28.2 % des locataires ont des problèmes de moisissures apparentes ou des traces d’infiltration d’eau (contre 10.9 % pour les propriétaires) et que 37.8 % ont de la vermine ou de l’humidité excessive (contre 17.7 % pour les propriétaires), avec tout ce que cela implique en terme de santé publique (voir DRSP, Rapport, supra note 48 à la p 28). Sur les conséquences de l’occultation des enjeux de salubrité lors des audiences en non-paiement, on peut rapporter à une étude réalisée sur les logements sociaux du Nunavik. Celle-ci révèle que les Inuits sont logés depuis des dizaines d’années dans des logements insalubres et surpeuplés. Les locataires ne font presque jamais valoir leurs droits tandis que l’Office d’habitation demande et obtient annuellement des centaines d’expulsions (sur 2 400 baux). Les enjeux de salubrité et la responsabilité du locateur ne sont ainsi jamais abordés. Voir Gallié et Bélair, supra note 39 à la p 704. Dans le même sens, et même si les contextes sont différents, une étude réalisée à New Haven, aux États-Unis qui s’appuie notamment sur des témoignages et des rapports d’inspecteurs, et qui relève que dans les deux tiers des cas, les tribunaux ont accordé l’expulsion alors que les locataires avaient des motifs sérieux pour s’opposer à leur expulsion (absence de chauffage, d’eau chaude ou d’eau froide, vermine, etc.). Voir Gunn, supra note 12 aux pp 404–05.

[147] Sarah Fick et Michel Vols, « Best Protection Against Eviction? A Comparative Analysis of Protection Against Evictions in the European Convention on Human Rights and the South African Constitution » (2016) 3:1 European J Comparative L & Governance 40 à la p 41.

[148] Loi instituant la Régie du logement et modifiant le Code civil et d’autres dispositions législatives, LQ 1979, c 48, art 111.

[149] La législation de l’époque n’autorisait la résiliation du bail que pour deux motifs, soit le paiement en retard depuis plus de trois semaines ou quand il avait été démontré « que le locataire, un membre de sa famille ou quelque autre personne sous son contrôle ou habitant avec lui se comporte sur les lieux loués de façon à constituer au jugement de l’administrateur, une source sérieuse de tracasseries pour le propriétaire ou pour les voisins » (Loi pour favoriser la conciliation entre locataires et propriétaires, supra note 66, art 39).

[150] Voir Blanco, supra note 69. D’ailleurs, comme le souligne Deslauriers, supra note 7 au para 1727, « [l]a Cour avait alors statué que le retard à payer le loyer ne pouvait constituer un préjudice sérieux justifiant la résiliation du bail, puisque cela reviendrait à priver le locataire de son droit d’éviter la résiliation en acquittant les montants dus avant jugement ».

[151] Gagnon, Louer, supra note 7 à la p 117.

[152] Ibid à la p 112. Voir aussi Neroshan c Saeide, 2014 QCRDL 42759, AZ-51135391 (Azimut) (rejet car un seul retard).

[153] Voir Rochon c Parent, 2014 QCRDL 9284, AZ-51056534 (Azimut); Groupe immobilier Rioux inc c Leblanc, 2014 QCRDL 43010, AZ-51136498 (Azimut).

[154] Sur ce point, le Comité des droits économiques, sociaux et culturels de l’ONU relevait en 2006 : « Le Comité note avec une préoccupation particulière que de nombreuses expulsions sont effectuées en raison de très faibles retards de paiement de loyer, sans considération pour les obligations qui incombent à l’État partie en vertu du Pacte » (NUCES, Examen, supra note 16 au para 29). À titre d’exemple plus récent, lors d’une de nos observations, un locataire explique qu’il a payé le loyer le 2e jour du mois, au lieu du 1er du mois. Le régisseur lui explique alors qu’il s’agit d’un retard (audience SAC4 (dossier des auteurs)). Toujours à titre d’exemple, dans une affaire récente, une régisseuse a tenu à « rappeler au locataire qu’il lui appartient de prendre les mesures nécessaires afin que le loyer parvienne au locateur le 1er jour du mois. Pour ce faire, le locataire aurait dû prévoir que les délais du service postal pendant la période des fêtes sont nécessairement plus longs en raison des jours fériés et du courrier volumineux à traiter » (Coulombe c Lawson-H, 2015 QCRDL 10177 au para 12, AZ-51164140 (Azimut)).

[155] Art 1971 CcQ.

[156] Voir Gestion Rochefort et Tessier inc c Babin, 2010 QCRDL 3990 au para 15, AZ-50605216 (Azimut) :

À cet égard, en employant le terme sérieux, le législateur a imposé une preuve exigeante au locateur. Il est vrai que la perception tardive d’un loyer crée en soi un préjudice. Cependant, pour justifier la résiliation d’un bail, il faut que ce préjudice constitue plus que de simples inconvénients occasionnés par tout retard. Cette preuve ne peut donc uniquement se fonder sur une simple allégation de retard. Le préjudice peut être prouvé par une preuve testimoniale ou documentaire et doit être fondé sur des faits objectifs et précis.

[157] Elle a ainsi déjà jugé :

À l’audition du 6 décembre 2010, mis à part la preuve de 4 paiements de loyer en retard, aucune preuve de préjudice n’a été offerte. Or, pour justifier sa décision de résilier le bail, le régisseur a invoqué les paiements hypothécaires à faire par la mise en cause, ses dépenses courantes, ainsi que les nombreuses démarches et inquiétudes que cela provoque. Ces motifs ne sont aucunement fondés sur la preuve. Le Tribunal considère qu’il s’agit là d’une détermination déraisonnable et que la décision n’est pas supportée par des faits suffisants de nature à la justifier. Le régisseur a déduit, sans preuve, que la défenderesse avait des paiements hypothécaires à faire et que les paiements en retard de la défenderesse lui occasionnaient un préjudice au niveau du paiement de ses dépenses courantes. Mais qu’en est-il en réalité? Est-ce que cet organisme est supporté par des subventions gouvernementales? Y a-t-il vraiment préjudice sérieux? La preuve présentée ne permettait pas de le déterminer (Lavigne c Régie du logement, 2012 QCCS 6934 aux para 39–42 (disponible sur CanLII)).

[158] La Cour du Québec est le tribunal d’appel pour l’immense majorité des jugements de la Régie. On précisera que les appels sont cependant exceptionnels, notamment depuis la réforme de 1997 qui instaure l’obligation d’obtenir la permission pour appeler. Denis Lamy, qui a mené une vaste étude de la jurisprudence de la Cour du Québec en matière de contentieux locatif, n’a comptabilisé que 241 jugements portés en appel entre janvier 2000 et septembre 2010, soit moins de 22 par an (Lamy, L’appel, supra note 7 aux pp 5–6).

[159] Parent c Albert, 2013 QCCQ 11339 au para 11 (disponible sur CanLII).

[160] Rhéaume c Picard-Chénard, 2012 QCCQ 4875 au para 14 (disponible sur CanLII).

[161] Tir c Dion, 2010 QCCQ 1351 au para 43 (disponible sur CanLII).

[162] Voir Tremblay c Madore, 2010 QCCQ 4868 (disponible sur CanLII) [Madore CQ], en appel de Madore c Tremblay, 2010 QCRDL 9212, AZ-50617574 (Azimut) [Madore RDL], juge administratif Marc Lavigne. Dans cette affaire, le régisseur avait simplement mentionné : « Le locateur a témoigné à l’effet que depuis le mois de décembre 2008 la locataire a payé constamment son loyer en retard. Il soutient que le fait de retarder fréquemment le paiement du loyer constitue un préjudice sérieux étant donné qu’il a des obligations financières à assumer sur son immeuble » (Madore RDL, supra note 162 aux para 5-6). La Cour du Québec a conclu que « [b]ien que peu motivé, cette conclusion du Régisseur répond aux prescriptions de l’article 1971 quant à la preuve et à la démonstration des “préjudices sérieux” » (Madore CQ, supra note 162 au para 14).

[163] La Cour suprême a récemment eu l’occasion de préciser :

Il se peut que les motifs ne fassent pas référence à tous les arguments, dispositions législatives, précédents ou autres détails que le juge siégeant en révision aurait voulu y lire, mais […] les motifs répondent aux critères établis dans Dunsmuir s’ils permettent à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision du tribunal et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables (Newfoundland and Labrador Nurses Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62 au para 16, [2011] 3 RCS 708).

Plus récemment, la Cour d’appel du Québec a toutefois précisé : « Même s’il est souhaitable que les décisions des tribunaux et organismes révèlent toutes les étapes du raisonnement menant au dispositif, là n’est pas le critère retenu par la jurisprudence au regard de l’obligation de motivation » (Matchewan c Centre communautaire juridique de l’Outaouais, 2012 QCCA 2000 au para 10, [2013] RJQ 2042). Il reste qu’en l’absence de développement sur les faits ou les données — par exemple concernant les obligations financières permettant de conclure à un préjudice sérieux — il paraît difficile à la Cour en révision de comprendre le fondement de la décision du tribunal à moins de considérer qu’une obligation financière est en soi un préjudice sérieux.

[164] Voir Milot c Loranger, 2014 QCRDL 10189, AZ-51058446 (Azimut); Bourgault c Houle, 2014 QCRDL 10123, AZ-51058379 (Azimut).

[165] Gamache c Amyot, 2014 QCRDL 15584 au para 7, AZ-51070689 (Azimut), juge administratif Anne Morin Oude.

[166] Bourgault c Houle, 2014 QCRDL 10123 au para 7, AZ-51058378 (Azimut), juge administratif Brigitte Morin.

[167] 9048-5541 Québec Inc c Gagnon, 2014 QCRDL 10532 au para 6, AZ-50159354 (Azimut), juge administratif Lyne Foucault.

[168] Voir Placements Martin Théolis inc c Pinheiro, 2011 QCCQ 3278 (disponible sur CanLII).

[169] Voir Immeubles de Guyenne inc c Roffi, 2014 QCRDL 9663 au para 9, AZ-51057273 (Azimut), juge administratif Anne Morin Houde: « Mis à part les problèmes administratifs occasionnés, le locateur n’a pu, par contre, détailler d’autres conséquences. La résiliation du bail n’est donc pas accueillie pour ce deuxième motif ».

[170] Voir Al-Moussawi c Émond, 2014 QCRDL 8261, AZ-51054190 (Azimut) [Émond].

[171] Voir Office municipal d’habitation de Montréal c Nantel, 2006 QCCQ 4923 au para 29 (disponible sur CanLII), cité dans Immeubles de la Cité c Grenier, 2015 QCRDL 2144 au para 16, AZ-51144583 (Azimut), juge administratif Louise Fortin :

Nous ne croyons pas que le fardeau de preuve que doit surmonter un locateur dans un cas de retards fréquents aille jusqu’à démontrer qu’un créancier hypothécaire ait entamé des procédures contre lui. Gérer le dossier du défendeur a alourdi la gestion de l’Office et les quatre vacations à la Régie du logement ne sont qu’une partie du préjudice sérieux qu’elle subit. Sachant ce qu’un recours judiciaire implique comme préoccupation, inquiétude, préparation, déplacements, frais, etc…, on ne peut que conclure qu’une démarche judiciaire est un préjudice sérieux, à moins qu’on démontre qu’un locateur a abusé de ses recours, qu’il a entrepris ses recours avec une rapidité telle qu’il n’a pas tenté un règlement du problème.

[172] Habitation LL de Rimouski inc c Boudreau, 2014 QCRDL 43008 au para 7, AZ-51136396 (Azimut), juge administratif Marc C Forest.

[173] Voir Capital Augusta inc c Cappiello, 2014 QCRDL 7742 au para 8, AZ-51053011 (Azimut), juge administratif Robin-Martial Guay; Émond, supra note 170. 

[174] Échantillon 1 : 11/120 non-préjudice sérieux; et dans 3 cas ne se prononce pas. Échantillon 2 : 4/120 fois le magistrat ne se prononce pas et sursoit.

[175] À titre d’exemple, on peut notamment mentionner une affaire où les locataires réussissent à établir « l’absence de préjudice sérieux du nouveau locateur puisque celui-ci a entrepris d’importantes rénovations au logement du 2e étage, supportant ainsi des déboursés importants, conjugués à un manque de revenus locatifs. Cette situation perdure en outre et le locateur admet qu’il ne remettra ce logement sur le marché locatif qu’au printemps » (Ciarlo c Iaizzo, 2015 QCRDL 4020 au para 19, AZ-51149112 (Azimut)).

[176] Nous avons observé 32 audiences de « paiement en retard » (six rôles différents).

[177] 50 % des observations (16/32); 42,5 % des jugements (51/120).

[178] Cette question n’a été codifiée que pour 25 observations (sur 32).

[179] Audience SAC4 (dossier des auteurs).

[180] Le principal moyen est d’obtenir un reçu, mais l’obtention de celui-ci dépend du bon vouloir du locateur. Une seule fois, des locataires sont venus avec des témoins.

[181] Audience CLB1 (dossier des auteurs).

[182] Le bail a toutefois été résilié pour non-paiement depuis plus de trois semaines (audience SAC5 (dossier des auteurs)).

[183] Audience SAC5 (dossier des auteurs).

[184] La question de la durée de l’ordonnance suscite d’importants débats à la Cour du Québec, et au sein de la doctrine (est-elle applicable pour la durée du bail? Pour la durée d’occupation du logement?). La Cour rappelle cependant régulièrement qu’elle doit être « claire, précise et ne laissez aucun doute ou ambiguïté » (Lavigueur c Grenon, 2015 QCCQ 14082 au para 32 (disponible sur CanLII) [Lavigueur]) et prévoir un délai qui soit « circonscrit dans le temps » (Brodeur c Joly, 2010 QCCQ 3987 au para 51 (disponible sur CanLII)) puisque dans le cas contraire, il peut résulter « une foule de circonstances (comme une renonciation tacite de la part des créanciers, etc…) pouvant nous faire croire qu’un débiteur, malgré tout, s’est conformé à une ordonnance » (Carrier c Coop la Voie lactée, 2007 QCCQ 1340 au para 33 (disponible sur CanLII)). Or sur ce point précis, on relèvera que si les jugements analysés et qui ordonnent une « dernière chance » indiquent bien un délai d’application, ce délai varie fortement selon les cas. Dans certains cas, il s’agit d’un délai strictement limité dans le temps tandis que dans d’autres l’ordonnance s’applique pour toute la durée d’occupation du logement. Voir également sur ce point Maxime Tremblay, « Chronique — La durée de vie des ordonnances prospectives rendues par la Régie du logement en vertu de l’article 1973 du Code civil du Québec et le caractère impératif de sa sanction lorsque le locataire ne s’y conforme pas » (août 2011) Repères, Éditions Yvon Blais, EYB2011REP1062 (La référence); Gagnon, « Commentaire », supra note 107; Guévremont, « Commentaire », supra note 73.

[185] En cas de non-respect de cette ordonnance, le propriétaire doit de nouveau saisir la Régie du logement pour obtenir la résiliation et l’expulsion du locataire. Dans ce cas, il y a « deux écoles de pensée », pour reprendre la formule du juge Serge Laurin (Lavigueur, supra note 184 au para 16). Selon la première école, le juge qui entend la demande sur le défaut de respecter l’ordonnance de 1973(1) n’a aucune discrétion une fois que le locateur a fait la preuve du non-respect de l’ordonnance, peu importe les explications fournies par le locataire (ibid au para 17). Selon la deuxième école, qualifiée de « discrétionnaire », défendue notamment avec nombre de précieux arguments par le juge Daniel Dortélus (voir Perron c Michaud, 2008 QCCQ 938 aux para 45-46 (disponible sur CanLII)). Voir aussi Lavigeur, supra note 184 au para 33 : « Il est tout à fait normal qu’une personne, sous le coup d’une telle ordonnance, désire présenter une défense et s’expliquer », le droit d’être entendu est une « règle de justice naturelle commune à tous les tribunaux ». En ce sens et à titre d’exemple, voir Barbara c Châteauguay (Office municipal d’habitation de), 2016 QCCQ 116 (disponible sur CanLII); Caruso c Moultala, 2015 QCRDL 2080, AZ-51144822 (Azimut).

[186] On peut relever que dans tous ces cas-là, l’ordonnance n’est donc pas tant accordée pour offrir une dernière chance au locataire d’éviter la résiliation que pour offrir l’opportunité au propriétaire d’obtenir la résiliation plus rapidement en cas de nouveau retard du locataire.

[187] Joly c O’Farrell-Cléroux, 2014 QCRDL 10196 au para 12, AZ-51058453 (Azimut).

[188] Lamontagne c Marchand, 2015 QCRDL 10594 au para 5, AZ-51164552 (Azimut).

[189] Voir par ex Fortmann c Huet, 2014 QCRDL 24984, AZ-51093463 (Azimut).

[190] Voir par ex Immeubles Focus c Lehoux, 2014 QCRDL 28820, AZ-5110327 (Azimut); Immeubles Centraux c Routledge, 2014 QCRDL 21124, AZ-51082768 (Azimut) mais contra Blouin c Gaddou, 2014 QCRDL 27789, AZ-51100476 (Azimut)  [Blouin]. Dans Blouin, les locataires devaient 1 545 $, soit un mois de loyer (990 $) et un solde de 555 $. Le dispositif prévoit cependant que l’ordonnance est octroyée et que ce n’est qu’en cas de non-respect que le bail sera résilié.

[191] Cela arrive cependant, comme nous l’avons mentionné, quand les locataires ont payé avant l’audience.

[192] Voir Gestion Bluenose inc c El-Haj, 2014 QCRDL 28100, AZ-51101856 (Azimut). Voir aussi Blouin, supra note 190.

[193] Audience SAC4 (dossier des auteurs).

[194] Philippe Warin, « Qu’est-ce que le non-recours aux droits sociaux? » (1er juin 2010), La Vie des idées, en ligne : <www.laviedesidees.fr/Qu-est-ce-que-le-non-recours-aux.html> [Warin, « Non-recours »]; Erhard Blankenburg, « La mobilisation du droit : Les conditions du recours et du non-recours à la Justice » (1994) 28:3 Dr et soc 691 aux pp 696-97.

[195] Voir Isabelle Sayn, « La place des outils procéduraux dans l’accès au droit et à la justice des plus pauvres » dans Patrick du Cheyron et Didier Gélot, dir, Droit et pauvreté, Paris, ONPES, 2007, 139 à la p 154, en ligne : <www.onpes.gouv.fr/IMG/pdf/droit_et_
pauvrete_web.pdf>.

[196] Philippe Warin, « Le non-recours par désintérêt : la possibilité d’un “vivre hors droits” » (2008) 1 Vie sociale 9 à la p 14.

[197] La Régie ne fournit par exemple aucune information sur la présence des parties aux audiences dans ses rapports annuels.

[198] Nous avons délibérément écarté le deuxième échantillon de l’analyse car celui-ci portait spécifiquement sur l’ordonnance de la dernière chance (art 1973 CcQ). Ce critère additionnel semble en effet modifier quelque peu les données puisque dans cet échantillon, les locataires étaient absents dans 58,9 %, contre près de 68 % des cas quand les magistrats ne se prononcent pas spécifiquement sur l’article 1973.

[199] Protecteur du Citoyen, supra note 108.

[200] Des Rosiers, supra note 6 à la p 16.

[201] Ce n’est pas l’objet de cet article, mais on relèvera que cet absentéisme et ce type de calcul « coût/avantage » ne semblent pas propres aux locataires. Le déplacement au tribunal n’est clairement pas une priorité pour les propriétaires, qui sont pourtant les demandeurs. Là encore, nous ne disposons pas de données officielles, mais ils n’étaient présents que dans 59 % des jugements analysés. Dans les autres cas, ce sont des « gestionnaires » au mandat plus ou moins valide et exceptionnellement des avocats qui représentaient les intérêts des propriétaires. On a ainsi pu constater qu’il n’était pas rare que les propriétaires délèguent leur pouvoir à leur « concierge » ou encore à des mandataires, qui n’étaient pas légalement habilités selon les régisseurs ou les greffiers spéciaux. Voir Loi sur la Régie du logement, supra note 66, arts 71–72.

[202] Secrétariat pour la modernisation, supra note 11 à la p 21 [notes omises].

[203] Voir Michele Slatter et Andrew Beer, Housing Evictions in South Australia: A Study of Bailiff-Assisted Evictions, Adelaide, Australian Centre for Community Services Research, 2003 à la p 23, en ligne : <www.sapo.org.au/binary/binary181/Housing.pdf>.

[204] Voir Desmond, « Eviction », supra note 15 à la p 125 pour les difficultés d’entrer en contact avec les « absentéistes » et donc de saisir leurs motivations.

[205] « La présence du locataire à l’audience constitue un critère déterminant pour une grande partie des magistrats » (Secrétariat pour la modernisation, supra note 11 à la p 21).

[206] Alors que pour certains « la présence du locataire traduit un intérêt de ce dernier pour sa situation et constitue un gage de mobilisation ultérieure quant au respect de la décision », d’autres magistrats, en revanche, ne tirent « aucune conséquence de l’absence du locataire, estimant qu’elle s’explique par sa situation de rupture sociale et par la crainte de l’audience » (ibid).

[207] À titre d’exemple, dans les tribunaux d’instance d’Arras, Lens et St-Omer, par exemple, « le greffe adresse systématiquement avant l’audience un courrier simple au locataire qui n’a pas été cité à personne pour lui indiquer l’importance de sa présence à l’audience et les pièces justificatives qu’il doit apporter » (ibid à la p 123).

[208] Ibid à la p 200.

[209] M Slatter, « Eviction » dans Susan J Smith et al, dir, International Encyclopedia of Housing and Home, vol 2, Amsterdam, Elsevier, 2012, 129 aux pp 130-31.

[210] Matthew Desmond, « Eviction », supra note 15 aux pp 125-26.

[211] Consultations du Comité d’Action Parc-Extension (CAPE), Entraide Logement Hochelaga-Maisonneuve (ELHM), du RLCALQ et de Projet Genèse, correspondance du 15 février 2016 (dossier des auteurs).

[212] Selon Entraide Logement Hochelaga-Maisonneuve (ELHM), réponse du 16 février 2016 (dossier des auteurs) :

Effectivement, peu de locataires nous consultent par rapport à une poursuite en résiliation de bail pour non-paiement de loyer au regard du nombre important de cas traités par la Régie. Ironiquement, ceux qui nous consultent sont souvent contents d’être convoqués par le tribunal y voyant là une occasion inespérée de faire valoir leurs problèmes de logement. Évidemment, quand je leur explique la game, ils déchantent.

[213] Selon Projet Genèse, réponse du 17 février 2016 (dossier des auteurs) :

Ce qu’on peut dire qu’une proportion importante des locataires consultent lorsque les démarches sont déjà avancées : si seulement tout le monde venait dès réception de la demande ou de l’avis d’audience! C’est arrivé à plus d’une reprise qu’une personne (dans nos bureaux pour une autre raison) ne soit pas consciente du fait qu’elle a une audience pour éviction — elle sait qu’elle a une audience, mais elle croit que c’est par la demande de réparations déposée il y a plus d’un an, ou il y a eu des propos oraux que le locataire a pris plus ou moins au sérieux. Une grande proportion des personnes viennent nous voir pour la première fois avec l’avis du huissier en main, d’autres avec la décision.

[214] Projet Genèse, réponse du 17 février 2016 (dossier des auteurs).

[215] Même si les contextes et la procédure sont bien distincts, il nous semble intéressant de relever que ce constat est également partagé par une étude réalisée aux États-Unis (à Chicago); les locataires ont, selon cette étude, peu d’intérêt à se déplacer pour ce type de contentieux : tenants, regardless of whether they appear or whether they present a defense, almost always lose (Fusco, Collins et Birnbaum, supra note 12 à la p 101). Voir aussi Bezdek, supra note 12 aux pp 533-41; Carroll Seron et al, « The Impact of Legal Counsel on Outcomes for Poor Tenants in New York City’s Housing Court: Results of a Randomized Experiment » (2001) 35:2 Law & Soc’y Rev 419; Larson, supra note 12; Seedco, Housing Help Program: Homelessness Prevention Pilot Final Report, New York, 2009 à la p 9, en ligne : <seedco.org/wp-content/uploads/2011/11/Housing-Help-Program.pdf>; D James Greiner, Cassandra Wolos Pattanayak et Jonathan Hennessy, « The Limits of Unbundled Legal Assistance: A Randomized Study in a Massachusetts District Court and Prospects for the Future » (2013) 126:4 Harv L Rev 901.

[216] Une étude réalisée à Baltimore en matière de contentieux locatif révèle que les personnes interrogées — celles qui se sont présentées au tribunal — étaient bien au courant de leurs droits dans 50 ou 60 % des cas. On ne peut cependant tirer aucune conclusion sur ceux qui ne se présentent pas. Voir Bezdek, supra note 12 à la p 581.

[217] Warin, « Non-recours », supra note 194.

[218] Voir Pierre Mazet, « La non demande de droits : prêtons l’oreille à l’inaudible » (1er juin 2010), La Vie des idées, en ligne : <www.laviedesidees.fr/La-non-demande-de-droits-pretons-l.html>.

[219] Bezdek, supra note 12 à la p 581.

[220] On relèvera ici que pour le ministère de la Justice, l’information des justiciables reste l’un des principaux enjeux en termes d’accès à la justice, davantage que le fonctionnement même des tribunaux ou le droit en vigueur (voir Ministère de la Justice, Plan stratégique 2010-2015, Québec, Publications du Québec, 2001 à la p 13).

[221] Thomasset, supra note 7 à la p 51. À noter que les causes analysées dans cette étude ne portaient pas uniquement sur le non-paiement.

[222] « Une demande de résiliation de bail en défense pour cause de non-paiement de loyer alors que le requérant pourrait se voir expulser est un service couvert puisqu’elle met en cause les besoins essentiels du requérant » (Comité de révision de la C.S.J., (30 juillet 1997), Montréal, CR970209 (CSJ Qc), décision de Mes Pinard, Meunier et Labrecque (dossier des auteurs)).

[223] Réponses des 15 et 16 février (dossier des auteurs).

[224] À titre d’information, pour une consultation, un avocat en pratique privée perçoit 65 $ d’aide juridique. S’il mène le dossier en procédure judiciaire devant la Régie, il percevra 450 $. Voir Entente entre le ministre de la Justice et le Barreau du Québec concernant le tarif des honoraires et les débours des avocats dans le cadre du régime d’aide juridique et concernant la procédure de règlement des différends, RLRQ c A-14, r 5.1.

[225] Voir Greiner, Pattanayak et Hennessy, supra note 215.  

[226] Loi sur l’aide juridique, supra note 32, art 4.11(2).

[227] 1 144 demandes ont été refusées en matière civile et administrative (dont le contentieux locatif) pour le motif « peu de chance de succès » (demande d’accès à l’information du 15 février 2016, réponses des 15 et 16 février (dossier des auteurs)).

[228] La locataire avait admis qu’elle n’avait pas payé son loyer parce que le locateur ne faisait rien pour régler le problème d’insectes dans son logement. Elle précisait au soutien de sa demande de révision qu’elle n’avait pas les ressources financières nécessaires pour payer les honoraires d’un avocat. Le Comité reconnait alors que « la présente affaire pourrait mettre en cause les besoins essentiels de la demanderesse puisque la demande du locateur à la Régie du logement prévoit la résiliation du bail et son expulsion. Cependant, l’étude du dossier révèle que les moyens de défense envisagés par la demanderesse ont manifestement très peu de chance de succès » (Anonyme — 13 767, 2013 QCCSJ 765 (disponible sur CanLII)). Voir aussi Anonyme — 15 923, 2015 QCCSJ 923 (disponible sur CanLII).

[229] Bernheim et Laniel, supra note 118 à la p 64.

[230] Aux États-Unis, comme au Québec, les locataires menacés d’expulsion n’ont pas un « droit à l’avocat » en cas d’expulsion. Depuis 1981 et l’arrêt Lassiter v Department of Social Services of Durham County, 452 US 18, 101 S Ct 2153 (1981) de la Cour suprême des États-Unis, le droit à la représentation par avocat est réservé au seul cas où la liberté physique des « indigents » est en jeu, ce qui exclut l’immense majorité du contentieux civil. Ainsi, et pour reprendre l’expression de Desmond et Bell, en ce qui concerne la représentation dans le contentieux locatif, les riches et les pauvres sont traités de la même manière (Desmond et Bell, supra note 14 à la p 26). Toutefois, pour lutter contre le phénomène grandissant de l’autoreprésentation et pour permettre aux avocats de « faire des affaires » (Greiner, Pattanayak et Hennessy, supra note 215 à la p 905 [notre traduction]), la plupart des états américains autorisent une aide juridique partielle ou fragmentée (unbundled) qui permet aux avocats d’offrir, minimalement des conseils (sans la représentation au tribunal), à certains locataires (voir Desmond et Bell, supra note 14 aux pp 26–27; Rebecca L Sandefur et Aaron C Smyth, Access Across America: First Report of the Civil Justice Infrastructure Mapping Project, Chicago, American Bar Foundation, 2011, en ligne : <www.americanbarfoundation.org/uploads/cms/documents/
access_across_america_first_report_of_the_civil_justice_infrastructure_mapping_
project.pdf>).

[231] Voir par ex Fusco, Collins et Birnbaum, supra note 12; Bezdek, supra note 12; Seron et al, supra note 215; Larson, supra note 12; Seedco, supra note 215; Greiner, Pattanayak et Hennessy, supra note 215.

[232] Voir Risa E Kaufman, Martha F Davis et Heidi M Wegleitner, « The Interdependence of Rights: Protecting the Human Right to Housing by Promoting the Right to Counsel » (2014) 45:3 Colum HRLR 772 aux pp 784-94.

[233] Voir Seron et al, supra note 215.

[234] Voir Gunn, supra note 12 aux pp 413–14.

[235] Voir Boston Bar Association, supra note 12 à la p 2.

[236] Sénat, supra note 10, arts 4, 41, 74.

[237] Alors même que selon l’étude d’Antoine Guilmain le principe de proportionnalité s’est hissé en droit privé, comme en droit public, « au panthéon des principes généraux du droit » (Antoine Guilmain, « Sur les traces du principe de proportionnalité : une esquisse généalogique » (2015) 61:1 RD McGill 87 à la p 123).

[238] Wasmer estime ainsi que « dans les pays à procédure de contentieux rapide (les pays anglo-saxons notamment), il n’existe pas d’intermédiaires comme les agences immobilières pour le logement locatif : tout se passe de gré à gré entre locataire et propriétaire, ce qui diminue énormément les coûts de transaction et améliore d’autant la fluidité du marché. C’est par exemple la situation au Québec » (Étienne Wasmer, « Analyse économique du marché du logement locatif » (2007) 58:6 R économique 1247 à la p 1256).

[239] À titre d’exemple voir « Legal Services and Landlord-Tenant Litigation: A Critical Analysis » (1973) 82:7 Yale LJ 1495. Voir la critique de ces analyses par Gunn, supra note 12 aux pp 386–87.

[240] DRSP, Rapport, supra note 48 à la p 15. Le rapport précise par ailleurs que 37 % des ménages locataires vit sous le seuil de faible revenu (SFR) (ibid).

[241] Simplement à titre d’exemple, à Montréal, « entre 2001 et 2014, le prix moyen des loyers mensuels a augmenté de 31 % pour les logements de deux chambres à coucher et de 38 % pour les logements de trois chambres à coucher et plus. La hausse des loyers durant cette période a été supérieure à l’inflation qui était de 28 % pour la période 2001-2014 » (ibid [notes omises]).

[242] Voir ibid.

[243] On relèvera ici que si les conditions de vie des locataires commencent à être relativement bien documentées, la littérature sur l’économie politique du parc locatif et les propriétaires de logement locatif est largement inexistante au Québec. On peut toutefois mentionner qu’une recherche réalisée en 2002 estimait que les 1,3 million de logements loués appartenaient à 277 000 propriétaires de logements. Parmi eux, 34 100 (soit 12 %) contrôlaient près de 60 % du marché (57 % pour le Québec et 61 % pour Montréal). Voir SHQ, Logements privés, supra note 49.

[244] Voir par exemple INFRAS, Enquête sur le sentiment d’accès et la perception de la justice au Québec : Rapport final, Québec, 15 avril 2016 aux pp 11–15, en ligne : <www.justice.
gouv.qc.ca/francais/ministere/acces/sondage/RapportFinal_SondageJustice_MJQ_INFRAS_2016-ob.pdf>. Pour une analyse plus générale de la question de la confiance du public envers les tribunaux, voir Pierre Noreau, « Accès à la justice et démocratie en panne : constats, analyses et projections » dans Pierre Noreau, dir, Révolutionner la justice : constats, mutations et perspectives. Les Journées Maximilien-Caron 2009, Montréal, Thémis, 2010, 13.

[245] Sur l’application de ce principe et ses implications concrètes en Europe voir en particulier Vols, Kiehl et Sidoli del Ceno, supra note 130; M Vols, PG Tassenaar et JPAM Jacobs, « Anti-Social Behaviour and European Protection Against Eviction » (2015) 7:2 Intl J L Built Environment 148.

[246] Voir Virginie Donier, « Expulsion locative, droit au logement et référé-liberté : réflexions sur quelques incohérences » (2015) RD sanitaire et social 170. Voir aussi, Pascal Combeau, « L’administration face aux expulsions locatives : À la recherche d’un nouvel équilibre entre répression et prévention » (2012) Actu jur dr admin 1939.

[247] Loi n° 2014-366 du 24 mars 2014 pour l’accès au logement et un urbanisme rénové, JO, 26 mars 2014, 5809, art 27.

[248] Voir art 1244 CcF.

[249] « Ces décisions représentent au plan national en 2012 40,6 % des 115 086 décisions d’expulsions locatives prononcées pour impayé de loyers ou défaut d’assurance et 55,7 % d’entre elles ont été rendues alors que le locataire était présent ou représenté » (Secrétariat pour la modernisation, supra note 11 à la p 21 [notes omises]).

[250] Comme le relève un rapport français, une plus grande protection juridique des droits des locataires ne signifie pas nécessairement, en pratique, une plus grande réalisation du droit au logement : « De même la tension permanente entre les droits de la propriété et le “droit au logement” peut-elle faire l’objet de lectures différentes : le renforcement des droits au maintien dans le logement est-il in fine favorable au locataire? “Si un législateur bien intentionné rend très difficile l’expulsion des locataires, les propriétaires seront probablement conduits à compenser en formulant des exigences croissantes vis-à-vis des locataires potentiels” » (ibid à la p 198 [notes omises]).

[251] Voir par exemple, l’analyse critique d’un magistrat français, Étienne Rigal, « Le juge civil instrument de la lutte contre l’exclusion » (2003) 226 J dr jeunes 17.

[252] Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, 16 décembre 1966, 993 RTNU 3, arts 2, 11.1 (entrée en vigueur : 3 janvier 1976). Le Pacte a été ratifié par le Canada le 19 mai 1976 et signé par le Québec le 21 avril 1976 (décret no 1438-76).

[253] NUCES, Observation générale, supra note 49.

[254] Rolnik, supra note 17 au para 80.

[255] HCDH, Observations finales, supra note 1.